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ANNODIS
projet financé par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirigé par Maire-Paule Péry-Woodley, université de Toulouse - UTM
objectif : création d'un corpus de français écrit annoté discursivement
encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
Politique étrangère 4/2001
Les attentats du 11 septembre expriment un monde, celui de l'après-guerre froide, écartelé entre l'accélération de la mondialisation et le pourrissement des affrontements provinciaux. Ils vont nous contraindre à ouvrir une nouvelle étape de la mutation de notre pensée stratégique entreprise voici dix ans. Ce qui doit être revu, c'est à la fois l'articulation entre les composantes militaires et non-militaires de nos stratégies, et des politiques de défense qui ont trop longtemps ignoré que les sociétés développées produisaient leurs propres vulnérabilités.
Les événements du 11 septembre, comme les autres, expriment leur monde : le nôtre. Un monde que nous peinons à comprendre et que nous échouons encore à gouverner, en dépit de toutes nos tentatives, de tous les modèles maniés depuis dix ans.
Si nous l'observons à travers des critères stratégiques pour évaluer les rapports entre forces et dessiner les espaces où ils s'exercent, ce monde apparaît, depuis dix ans, à la fois de plus en plus décloisonné et de plus en plus provincial. Décloisonné : l'accélération de la mondialisation a abattu nombre d'obstacles à la diffusion des images, des biens et des hommes, relativisant donc les équilibres locaux. Elle s'accompagne en outre d'un discours sur son évidence, son caractère irrépressible - discours éminemment idéologique qui se réclame de la mort des idéologies. Provincial, puisque, sous le grand vent de l'unification, et à proportion de l'absence d'institutions politiques lui correspondant, les dynamiques régionales, les abcès locaux se développent. Le monde est peut-être unique, mais couvert d'une peau de léopard qui montre plus de diversités, plus de contradictions.
Le terrorisme, tel qu'il apparaît dans ses habits neufs du 11 septembre 2001, renvoie au double caractère de ce temps. Il est à la fois le produit de problèmes locaux ou régionaux, et celui de la revendication d'un universel qui s'opposerait à la seule idée globale régnante, celle du monde vu comme un système de marchés, symbolisé par les idées et la puissance de l'Amérique.
La détermination par le local ou le régional ne peut être niée. Les blocages diplomatiques des derniers mois au Proche-Orient n'ont pu, pour de simples raisons de chronologie, produire les attentats. Mais le pourrissement discret, puis brutal, de la relation israélo-palestinienne, la dégradation de long terme de la situation dans la Corne de l'Afrique, le caractère à la fois illégitime et inefficace de nombre de régimes arabes contestés par les mouvements islamistes radicaux, et la longue tragédie de l'Afghanistan débordant sur l'Asie centrale ont manifestement joué un rôle dans l'envol des actes et les mutations des réseaux terroristes. Les attentats contre La Mecque de la mondialisation financière visent pourtant bien plus haut que la simple pression dans un conflit déterminé : ils s'attaquent à un monde, celui que représente l'Occident, et donc l'Amérique, avec sa dominance économique, militaire et culturelle. En espérant que les réponses de l'agressé seront suffisamment erratiques pour aider à cristalliser un sentiment mondial, universel, qui se lèverait contre l'universel haï des États-Unis.
Produit monstrueux d'une combinaison de provincialisme et d'universel, notions qui prennent un nouveau sens avec le désenclavement et la segmentation de l'après-guerre froide, le terrorisme new look exprime aussi la fluidité de notre environnement stratégique. Enjeux permanents, acteurs identifiés et forces paisiblement mesurables appartiennent au passé. La topographie de l'international (son découpage en espaces) et sa scénographie (son éclatement en acteurs) évoluent rapidement, en grande partie du fait de l'affaiblissement des frontières physiques ou techniques. Les phénomènes terroristes prolifèrent au croisement de quatre grandes circulations : celle des mots et des images (qui permet de bricoler des solidarités entre des sociétés très différentes), celle des capitaux (qui autorise la mise sur pied de logistiques performantes), celle des armes (qui ouvre sans cesse le champ des dangers futurs), et celle des hommes. Mouvements inégalement répartis sur la planète, mais qui, ensemble ou séparément, touchent tous les théâtres stratégiques et rendent plus difficiles les opérations de police ou de défense intérieure, hier aidées par la distinction claire entre l'en-dedans et l'en-dehors. Mouvements qui créent ou métamorphosent des acteurs, des risques, que ne sont pas habitués à traiter nos appareils de défense.
Dans ce monde-là, les grandes puissances - celles qui ont les moyens à la fois d'une défense territoriale et d'une projection stratégique de forces - semblent hésiter entre la volonté d'intervenir dans certaines crises, et la tentation de se replier sur leurs intérêts nationaux - cette tentation encadrant et organisant, à l'occasion, l'intervention. Ces puissances apparaissent ainsi doublement suspectes aux " provinciaux " : suspectes de tenter d'imposer une volonté internationale élevée sur des principes contestés, et de promouvoir leurs intérêts égoïstes d'États. Ce monde trop vite imaginé pacifié est bien dérégulé, peu ou mal gouverné, et agité de conflits plus nombreux, aux formes nouvelles, qui mettent souvent en oeuvre des moyens qui maximisent l'efficience de petits groupes humains.
Dans ce contexte, l'agression du 11 septembre est à la fois peu nouvelle et inédite. Peu nouvelle pour l'instrument : c'est le concept d'emploi qui fait du Boeing une arme de jet dévastatrice (ce qui nous rappelle opportunément qu'en stratégie innovation n'est pas toujours synonyme d'invention technique). La non-revendication des attentats, notée par plusieurs observateurs, n'est pas non plus nouvelle. Elle est usuelle en matière de terrorisme : elle augmente la terreur et bride la réponse en compliquant l'identification de l'adversaire. L'absence des tentatives habituelles de récupération s'expliquant simplement par l'ampleur de l'horreur.
Les attentats de New York sont pourtant inédits. Ils installent définitivement les États-Unis dans une position de cible qui correspond à l'étendue de leur puissance. Jusqu'ici, l'Amérique semblait ne pouvoir être touchée gravement que par un acte de guerre massif (attaque balistique, nucléaire...) ; les Européens étaient les victimes beaucoup plus vraisemblables du terrorisme. L'importance des moyens mobilisés, en termes de recrutement, de formation, de financement, bref, l'organisation et la constance dans le projet stratégique apparaissent également neufs. Tout comme l'élargissement du vivier des candidats au terrorisme-suicide, qui ne se recrutent pas, ou plus seulement, dans les peuples souffrant d'une insupportable domination, ou dans les milieux sociaux marginaux. Enfin, le 11 septembre est inédit dans ce qu'il ne montre pas mais laisse entrevoir : l'usage possible, avec une tactique comparable, d'armes plus terribles encore. Pour toutes ces raisons, ces attentats ouvrent un nouveau front, révèlent une béance de notre défense, secouent la routine de nos débats stratégiques.
Depuis dix ans, la grande affaire des systèmes militaires occidentaux est la marginalisation de la menace territoriale massive. Concepts stratégiques, modèles de manoeuvre des forces, organisation même de ces forces : tout doit changer dans des pays qui ont toujours dessiné leurs systèmes de défense pour résister à l'invasion du territoire ou pour mener une grande guerre classique, les autres hypothèses étant jugées secondaires. C'est la fin, au moins provisoire, de la grande forme guerrière, qui vise à employer, contre un adversaire clairement identifié, et au mieux de manière décisive, une concentration de puissance potentiellement infinie. Les logiques, les règles, les appareils d'une vulgate clausewitzienne soigneusement appliquée depuis deux siècles apparaissent déclassés sur un échiquier où conflits et acteurs appellent d'autres manoeuvres, d'autres réponses. D'où des réformes en cascade d'appareils militaires qui savent qu'ils n'ont guère de chance d'être utilisés " en bloc " (concept de modularité des forces), ni d'être utilisés dans le seul cadre national (concept d'interopérabilité).
Après avoir écarté l'idée qu'une menace Sud pourrait remplacer la menace Est pour légitimer des appareils militaires inchangés, on s'est d'abord attaché au règlement de crises extérieures. Si la sécurité internationale n'est plus mise en cause par des hypothèses d'invasions massives, mais par les effets induits d'abcès locaux, l'intervention de stabilisation prend tout son sens. Les opérations internationales qui se sont succédé nous ont ainsi obligés à penser l'usage de nos moyens d'action, et spécialement de nos forces militaires, dans une autre configuration que celle du conflit classique. Il s'agissait bien (voir les efforts de l'Union européenne depuis 1998 pour définir les instruments adaptés aux " hypothèses de Petersberg ") de penser, pour l'en-dehors, " autre chose que la guerre ".
Parallèlement s'affirmait, dans un contexte où la menace était moins proche et l'engagement humain plus incertain, l'emprise de la logique technique. Les attitudes américaines sont ici dominantes, avec un formidable effet de contagion sur nos raisonnements. Deux directions ont ainsi été privilégiées : le recours aux technologies de l'information, tout d'abord, pour acquérir à distance une connaissance d'espaces stratégiques choisis et y agir militairement en limitant l'engagement physique des forces, ou en en maximisant l'effet : double problématique d'une domination à distance de l'espace d'affrontement et du champ de bataille éventuel ; puis l'enrôlement de ces mêmes techniques dans une entreprise visant à resanctuariser des espaces nucléarisés contre le double risque de la prolifération des missiles balistiques et de celle des armes de destruction massive.
En bref, les débats stratégiques de ces dix dernières années ont, spécialement en Europe, tourné autour de deux questions-clefs :
Ces débats ont laissé de côté l'hypothèse d'une atteinte massive non-conventionnelle aux sanctuaires. Les systèmes de défense étaient là pour parer à une atteinte militaire massive. Rien ne permettait de penser que, réglés sur l'hypothèse soviétique, ils ne seraient pas pertinents pour des affrontements interétatiques beaucoup moins dangereux. Quant aux hypothèses non-conventionnelles, en particulier les scénarios terroristes, on les tenait dans des limites imaginées d'après les expériences précédentes des années 1980 ; ou on les renvoyait aux technologies émergentes, donc à un avenir plus ou moins lointain.
La démarche que nous avons suivie pour l'en-dehors (découvrir et organiser " autre chose que la guerre "), les événements du 11 septembre nous forcent à l'appliquer à l'en-dedans. Car la proclamation de l'état de guerre face au terrorisme ne résout nulle question. La situation héritée des attentats n'est pas la guerre dans sa définition sociologique : l'affrontement sanglant et armé entre groupes humains organisés et de statuts comparables. Et elle n'est pas non plus la guerre dans sa définition fonctionnelle : une situation qui appelle l'utilisation de l'appareil militaire tel qu'il est - et c'est justement pourquoi la réplique est si difficile à concevoir...
La question centrale n'est pas ici la qualification de l'état d'affrontement, mais l'appréciation des vulnérabilités et, par conséquent, celle des moyens d'y parer. La vulnérabilité spécifique de nos sociétés développées doit de toute évidence occuper une place centrale dans nos raisonnements. Cette vulnérabilité est un thème récurrent ces dernières années, mais tout se passe comme si son ampleur et sa dynamique n'avaient été que confusément perçues.
Au coeur du débat, ce théorème : la vulnérabilité globale des sociétés sophistiquées croît plus rapidement que les moyens techniques d'y parer. Ce qui ne signifie pas que ces sociétés soient à tout moment menacées, ni qu'elles soient, inévitablement, de plus en plus menacées, mais que leur sophistication diversifie les vulnérabilités et en change la nature. Par la concentration de leur habitat, des ressources nécessaires à leur survie et des réseaux d'échanges, par la sophistication de leurs mécanismes économiques ou techniques, nos sociétés sont évidemment vulnérables à des agressions qui n'exigent que la réunion de moyens limités - ceux-ci pouvant être raffinés (le progrès technique crée aussi des moyens d'attaque) ou rustiques.
Stratégiquement, la démonstration du 11 septembre est limpide. Pour frapper un pays développé de telle sorte qu'un coup limité ait un large effet, il faut refuser d'entrer sur le champ d'affrontement où ce pays contrôle une écrasante palette de moyens, et le frapper là où sa sophistication est une faiblesse et non une force. Il y a tout à parier que si, dans un proche avenir, un conflit met en cause les sanctuaires des pays développés, l'affrontement tournera autour de ces vulnérabilités : systèmes informatiques et médiatiques, approvisionnement des grandes zones urbaines, maillons dangereux de la chaîne industrielle, populations mal protégeables contre des attaques de masse, etc.
Le progrès technique est inégal selon les zones de la planète, les acteurs y recourent donc de manière diversifiée. Et le progrès technique a, en matière de défense, des effets contradictoires. La technique est donc le problème stratégique, et non le moyen de résoudre ce problème, constat qui nous emmène loin de certains réflexes américains : installer la technique au centre du raisonnement stratégique, c'est sans doute se préparer à des guerres qui n'auront jamais lieu. Il n'y a aucune raison de penser que l'ennemi acceptera d'entrer sur le champ de bataille (numérique ou non...) que nous contrôlerons, ou qu'il voudra bien tirer la salve de missiles que nos systèmes sont précisément faits pour intercepter. Il serait aussi dangereux d'ailleurs de tout voir à travers les formes d'affrontement et les instruments d'hier, par exemple en négligeant les percées qui créent de nouveaux moyens d'agression.
Il faut appréhender le monde des rapports de forces en suivant la totalité de ses formes et des hypothèses qu'il nous impose. Tâche immense, impossible, mais qui suppose d'abord de récuser le mythe du monde unique. Pas plus en matière de stratégie qu'en économie, nous ne vivons dans un monde à logique univoque, tel système militaire, tel concept pouvant parer à la quasi-totalité des futurs possibles. Les espaces stratégiques sont hétérogènes, les acteurs disposant de leviers efficaces de plus en plus nombreux, et leurs stratégies de plus en plus diverses, dans un monde où coexistent le " sauvage " et le " mutant " technologique. Nous ne pourrons pas maîtriser cette réalité complexe en haussant ou en baissant le curseur technique de nos armes : il faut en revenir au politique.
Le temps nous le rappelle brutalement : la sécurité est le produit volatil de facteurs composites - alors que nous avons hérité de la guerre froide l'idée qu'elle était, pour l'essentiel, un produit militaire pouvant se stabiliser par l'accumulation de moyens matériels. Produit volatil : la sécurité " consolidée ", absolue, n'existe pas, d'abord parce qu'elle n'est jamais qu'une perception, ensuite parce qu'aucun système total, totalitaire, de défense n'élimine le risque. Produit de multiples facteurs : diplomatiques (qui organisent et régulent les rapports conflictuels), économiques (qui usent des échanges pour développer et rapprocher, en même temps qu'ils définissent les richesses mobilisables pour la défense), culturels (qui font dialoguer des sociétés humaines irréductibles l'une à l'autre) et, bien sûr, militaires (pour gérer les crises ou, simplement, se défendre). Imaginer une sécurité basée sur la seule défense militaire est tout aussi irresponsable qu'inefficace. La lutte contre le terrorisme, comme toute stratégie de sécurité, combine donc de multiples manoeuvres. Même si l'urgence impose le démantèlement physique des réseaux terroristes, seule une démarche complexe, intégrée, peut nous garantir - et toujours relativement - contre leur éternel et proliférant retour.
Le militaire demeure au coeur de ces stratégies de sécurité. L'expérience du 11 septembre va pousser à aborder d'un autre oeil le débat sur des moyens qui n'ont aucune vertu en soi et ne valent que dans un environnement déterminé. Quelle peut être désormais la pertinence des systèmes de défense territoriaux : quelle défense du territoire définir qui ne renvoie pas aux modèles du XIXe siècle ? Quelle réflexion mener sur les armes du champ de bataille, si nous ne connaissons ni le champ, ni la bataille ? Quel rôle pourraient jouer les systèmes techniques d'interception, si l'on considère que les missiles constituent désormais un moyen privilégié d'exporter les conflits au coeur de nos sociétés ?
Le traumatisme du 11 septembre est gros de recompositions géopolitiques dont il est difficile d'apprécier l'ampleur (peut-être surévaluée sous l'effet du choc). La réunion de l'immense majorité des États contre le terrorisme international ne sera pas la plus difficile à former. Il est en effet une menace pour tous ces États, quels que soient leurs objectifs ou leur degré de démocratie. L'adhésion des populations pose de tout autres problèmes. Elle pourrait être gravement mise en cause, si se formait une dynamique de peuples s'identifiant comme victimes de la logique de mondialisation, et tournée contre ceux qu'ils en jugeraient bénéficiaires. Si une telle dynamique collait à une division culturelle, par exemple singularisant le monde musulman, elle conduirait droit à la catastrophe.
Toute stratégie militaire, diplomatique, économique ou culturelle susceptible d'aggraver cette perception d'un écart par rapport au phénomène dominant de mondialisation impulsé par le monde riche, toute stratégie qui faciliterait une cristallisation (politique ou religieuse) anti-occidentale, endosserait une lourde responsabilité à long terme. C'est dans cette perspective aussi que doit être apprécié le déploiement de certains systèmes militaires. L'érection de hauts murs contre des menaces inactuelles peut se transformer en incitation à tourner la forteresse, politiquement (en faisant naître une vraie opposition, voire une vraie menace) ou militairement (en utilisant des méthodes inédites). C'est là une partie de la problématique des systèmes d'interception des missiles balistiques à longue portée.
Cette éventuelle cristallisation anti-occidentale - objectif majeur des terroristes à la Ben Laden - ne peut être écartée que par une stratégie multimodale : réunion la plus large des États dans un souple front de coopération anti-terroriste ; aide économique, politique, militaire, à la stabilisation régionale, au Proche-Orient, en Asie centrale, voire en Asie du Sud-Est ; incitation à la démocratisation de régimes largement rejetés en même temps que l'Occident qui les soutient ; enfin, intégration, chez nous, de populations issues d'une immigration qui se développe désormais dans la logique de la globalisation.
Les structures de sécurité adaptées au monde modifié par le 11 septembre seront, pour l'essentiel, définies par les États - surtout pour ce qui concerne la défense du territoire. Les cadres " durs " de sécurité vont, au moins provisoirement, reprendre la main. Pour un ensemble " mou " comme l'Union européenne, cela suggère soit une re-nationalisation des politiques de défense des États-membres, soit une " nationalisation " relative de l'Union, avec la redéfinition des objectifs et des moyens de la Politique commune de sécurité et de défense, qui se limite pour l'heure à la gestion des crises extérieures. Les échéances sont capitales pour l'Union. Qu'elle démontre qu'elle peut répondre à l'interpellation nouvelle, et elle sortira de son inexistence politique. Qu'elle prouve qu'elle est en situation dans le nouveau jeu, avec des arguments propres sur les concepts stratégiques pertinents, sur la conception d'une technologie moins impériale dans les discours et les pratiques militaires, ou même sur le modèle politique et social de la mondialisation, et l'Union se placera au centre du débat.
L'Alliance atlantique, quant à elle, va voir se redéployer le débat sur son champ d'intervention, et donc sur son ouverture. En restera-t-elle au statu quo ante : coalition militaire à objectif limité, ornée d'un zeste de sécurité collective - mais de peu d'utilité, apparemment, dans une situation mettant sans conteste en cause la sécurité d'un de ses membres ? Ou, tout en limitant ses élargissements, deviendra-t-elle enfin l'Alliance tous azimuts rêvée, mezza voce ou non, selon les temps, par les États-Unis ? Ou sera-t-elle encore le support du large front politique formé sous la houlette américaine : auquel cas il faudrait qu'elle s'élargisse beaucoup, sous une forme à définir, y compris et d'abord à la Russie, en relativisant, ou laissant diluer, sa définition militaire ?
On peut imaginer qu'on se dirige vers un double système de solidarités. Les solidarités politiques et de coopération s'exprimeraient dans un grand ensemble à définir, et les solidarités de défense et de sécurité dans des ensembles plus restreints, et peut-être durcis. Dans aucune de ces perspectives l'Organisation des Nations unies (ONU) n'apparaît très pertinente, ce qui pourrait annoncer un nouveau retrait, de fait, de son influence. Sans réforme profonde, l'organisation mondiale apparaît bien incapable de dépasser ses propres proclamations - légitimes, mais courtes. Une hypothèse optimiste serait que la prise de conscience du décalage actuel pousse à des décisions rapides, et que l'ONU puisse alors être le cadre d'expression de la solidarité politique et de ses implications concrètes, par exemple en matière de contrôle collectif des armes.
Les options de défense concrètes devront aussi être adaptées à l'évolution des risques. On peut surtout penser à quatre orientations.
La fin du système bipolaire a imposé une large révision de nos politiques de sécurité, mais le monde va plus vite que les adaptations institutionnelles. C'est une autre étape qui s'ouvre aujourd'hui, sans que nous en connaissions les contours, ni le terme. Les décisions qui vont être prises devront pourtant rester assez souples pour ne pas biaiser notre compréhension des évolutions en cours. Car si le temps de la décision politique est rapide, celui de l'intelligence du monde est lent.