exploitable et diffusable pour la communauté scientifique
ne peut être utilisé à des fins commerciales
ANNODIS
projet financé par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche), CNRS, 2007-2010, dirigé par Maire-Paule Péry-Woodley, université de Toulouse - UTM
objectif : création d'un corpus de français écrit annoté discursivement
encodage des textes selon la norme de la Text Encoding Initiative, TEIP5
http://www.tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc
L'investissement financier que suppose ce genre de produits est relativement important ; il dépasse de loin les moyens du chercheur isolé. Il exige, soit une décision proprement politique, soit la recherche capitaliste d'une rentabilité.
Les dictionnaires sont des textes importants. Témoignant de ce qui s'est déjà dit ou écrit pour guider ce qui pourra se dire ou s'écrire, ils reflètent, par leurs contenus, leur diffusion et leurs usages, les rapports d'une culture à son idiome ou les relations qu'elle entretient avec d'autres cultures et l'intérêt qu'elle porte à leurs idiomes. Mais ces liens sont tout sauf simples, et leurs reflets sont volontiers brouillés. S'ils sont peu diversifiés et pauvres en substance, les dictionnaires constituent pour leurs destinataires des repères faciles et d'utilisation aisée mais laissant sans réponses nombre de questions ; s'ils sont plus variés et plus riches, donc plus complexes, leur choix adéquat requiert du discernement et leur utilisation, moins immédiate, demande application et patience. La difficulté à trouver une information dans un dictionnaire, surtout dans une version imprimée de celui-ci, étant susceptible de croître avec la probabilité qu'elle y figure, ces répertoires deviennent d'autant plus élitistes que leur matière s'enrichit et que le traitement de celle-ci s'affine : attestant simultanément de la vitalité des idiomes dont ils traitent et de l'attachement que vouent à ceux-ci certains locuteurs, mais se désancrant ipso facto du rôle utilitaire qui est au principe de cette classe d'ouvrages, ils tendent alors à trouver leur fin dans leur propre développement, ce qui les prédispose à être salués comme des oeuvres dont le nom s'inscrira dans la liste des monuments de la lexicographie à côté d'autres produits de l'esprit sélectionnés pour l'admiration et l'exégèse, en même temps que se restreint le nombre de ceux qui, étant disposés à assumer le coût de leur acquisition et les efforts requis par leur consultation, peuvent assez maîtriser celle-ci pour en tirer profit.
Un remède humaniste à ce paradoxe d'une production dictionnairique d'autant moins accessible qu'elle enrichit son contenu informationnel et, partant, qu'elle est susceptible de rendre davantage de services pourrait être une éducation scolaire suivie aux bienfaits de la consultation régulière des dictionnaires, tout au long de la vie, pour la construction et la consolidation d'un rapport intime de chacun avec son propre idiome et son ouverture à d'autres idiomes, accompagnée d'une formation pratique méthodique et suffisamment approfondie à cette consultation pour que celle-ci puisse s'effectuer judicieusement, avec aisance et efficacité. Sans un soutien approprié de cette nature, on ne peut que s'attendre à voir les locuteurs, même cultivés, comprendre ce qu'ils peuvent dans des dictionnaires érudits trop complexes pour eux ou se détourner de ceux-ci pour des répertoires plus frustes et inégalement recommandables mais dont la modestie des ambitions facilite la consultation, la gratuité d'accès à un certain nombre d'entre eux sur Internet jouant nécessairement en leur faveur.
On peut envisager, cependant, que l'évolution technologique permette de concilier raffinement des contenus et simplicité d'emploi, par une personnalisation très élaborée des modes de consultation sur écran. Telle était la vision du « dictionnaire du futur » présentée, il y a douze ans déjà, par la lexicographe britannique Sue Atkins dans une communication au congrès de Göteborg de l'association européenne de lexicographie EURALEX réimprimée six ans plus tard dans un livre d'hommages (Atkins 2002). Dans l'environnement lexicographique plurilingue qu'elle imaginait (§ 2), le lexique de chaque langue prise en compte ferait l'objet d'une description fouillée stockée dans une base de données, en respect d'un même cadre théorique afin d'établir des liens hypertextuels entre les différentes bases et de permettre la comparaison des langues. De cet ensemble « réel » de bases de données lexicographiques de référence structurées linguistiquement en thesaurus émanerait, selon les souhaits des consultants, une pluralité de dictionnaires « virtuels » ? monolingues, bilingues ou bilingualisés ? dont la métalangue, parfaitement explicite et dépourvue de codifications, serait choisie par eux et qu'ils pourraient consulter à leur gré soit pour des recherches ponctuelles, soit pour approfondir à loisir leurs connaissances concernant une langue ou les ressemblances et différences entre langues, notamment par l'accès à de nombreuses occurrences en corpus. Pour sa promotrice, cet environnement lexicographique inédit de grande ampleur qui ferait de la consultation des dictionnaires un plaisir et dont la palette d'utilisations possibles s'étendrait du plus utilitaire au plus culturel était linguistiquement et technologiquement réalisable, mais se heurtait à l'obstacle du financement des moyens exceptionnels que son élaboration nécessiterait.
Douze ans plus tard, le rêve de Sue Atkins attend encore son financier, en dépit de l'universalité de la langue anglaise. Quant à la lexicographie française, toujours dominée par l'imprimé, il est à craindre qu'elle soit engagée, au moins pour ce qui concerne sa composante monolingue qui sera seule envisagée ici, dans une traversée du désert dont l'issue ne se laisse pas discerner et qu'au trompe-l'oeil de ce que Pruvost (2006 : 83 - 92) a décrit comme son « demi-siècle d'or » (1950 - 1994) succède une phase récessive marquée par le rétrécissement de l'offre et la médiocrité de la demande.
Divers indices, qui seront exposés plus loin, semblent en effet indiquer une atonie durable du marché français des dictionnaires en dépit de coups d'éclat commerciaux isolés : il y a dix ans déjà, on pouvait percevoir un essoufflement de l'innovation dictionnairique, qui perdure malgré quelques soubresauts. Les causes, pour autant qu'on les discerne, en apparaissent complexes et la situation actuelle pourrait être la résultante d'un processus de désajustement de l'offre et de la demande obéissant à plusieurs paramètres qui trouverait son commencement au début même du « demi-siècle d'or », ce dont la conjugaison du prestige des ouvrages phares de cette période et de succès commerciaux compensant suffisamment les échecs aurait contribué à retarder la perception.
Toute périodisation est à la fois une construction intellectuelle, dont on ne peut guère faire l'économie, qui, sur la base d'un choix de critères plus ou moins explicités, discerne des repères qui aident à penser le flux historique, et un coup de force qui, s'il trouve des échos, fixe l'interprétation de celui-ci en une doxa dont la pseudo-évidence fait obstacle à d'autres découpages. Les familiers de l'histoire récente de la lexicographie générale monolingue française discernent bien ce que Jean Pruvost a voulu enserrer entre les bornes qui délimitent son « demi-siècle d'or » : un ensemble de répertoires remarquables par divers traits combinables sans être partagés par tous les ouvrages envisagés, au premier rang desquels figurent des dimensions importantes, une couverture culturelle et patrimoniale ambitieuse, des coûts élevés, l'influence de théories linguistiques et la mise en oeuvre de concepts dictionnairiques et de dispositifs textuels originaux ? toutes propriétés qui peuvent avoir joué un rôle à la fois dans la notoriété des ouvrages parmi ceux qui s'intéressent aux dictionnaires et dans les modulations très variables de leur succès public. Mais, par rapport aux dates repères proposées, dont la première (1950), qui n'est que la marque du milieu du siècle sans corrélat dictionnairique précis, vise assurément à englober les débuts de la parution en volumes de la première édition du Grand Robert (1953) alors que la seconde (1994) coïncide avec celle du dernier tome du Trésor de la langue française, la périodisation peut être sensiblement affinée et relativisée si d'une part on réfère les bornes initiale et finale à des critères identiques et si d'autre part on interprète de façon raisonnée les traits hétérogènes précédemment mentionnés pour fixer des limites chronologiques à la production d'ensembles cohérents d'ouvrages partageant des propriétés qui éclairent les orientations de l'édition et les réactions du public. C'est sur la base de cette circonscription plus précise d'une époque de la lexicographie monolingue française communément appréciée comme prestigieuse que l'on pourra commencer à y repérer diverses préfigurations de sa configuration actuelle.
Une première façon de périodiser est de s'appuyer sur la date de parution des ouvrages. Pour ceux en plusieurs volumes dont la publication est échelonnée, on peut alors prendre en compte soit l'année du début de celle-ci, soit celle de son achèvement, qui sont toutes deux intéressantes mais ne correspondent ni aux mêmes dispositions d'achat (une souscription étant plus insensible dans un budget qu'une acquisition à échéance pour les ouvrages chers), ni au même contexte éditorial de mise des dictionnaires sur le marché : en 1964, si l'on disposait de quelque argent, on pouvait songer à acheter le Grand Larousse encyclopédique en dix volumes ou le Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française de Paul Robert, tous deux achevés cette année-là, mais, onze ans plus tôt, on n'aurait pu souscrire qu'à ce dernier ouvrage, dont paraissait le premier tome, alors que la publication du dictionnaire Larousse, plus concentrée, ne débuta qu'en 1960 ; à l'inverse, 1971 vit la concurrence des souscriptions au Trésor de la langue française et au Grand Larousse de la langue française, mais les souscripteurs de celui-ci jouirent de leur collection complète seize ans avant ceux de celui-là, qui finit de paraître dans un environnement éditorial différent, d'où le dictionnaire Larousse avait disparu mais dans lequel figurait, depuis 1985, la deuxième édition du Grand Robert de la langue française.
Cette distinction des moments initial et terminal d'une édition a pour effet sur la périodisation en question que, si l'on retient la date de publication complète des dictionnaires multivolumes, adéquate pour saisir les ouvrages qui sont en concurrence effective sur un marché donné, le « demi-siècle d'or » n'aura duré que 30 ans, de 1964 à 1994, alors que, sur la base du début de leur publication, plus pertinente pour apprécier les options des éditeurs, son ancrage est antérieur (1953) et sa durée plus incertaine, selon le choix de l'ouvrage que l'on prendra comme terme, qui dépendra des critères retenus : 29 ans si c'est 1982, avec le Robert méthodique et le Grand dictionnaire encyclopédique Larousse, 32 en intégrant la refonte du Grand Robert de la langue française, 35 ou 36 si l'on pousse jusqu'au Petit Robert des enfants et au très renouvelé Petit Larousse illustré 1989 (1988), voire au Robert oral-écrit (1989) ou au Robert électronique, disque optique pionnier (1989), 39 si, sur la base de son retentissement, on s'autorise à agglomérer aux dictionnaires généraux le Dictionnaire historique de la langue française dirigé par Alain Rey (1992), et même 40 si l'on inclut le Nouveau Petit Robert de 1993, sur lequel reposent les versions actuelles.
Une autre manière de périodiser, particulièrement intéressante pour l'histoire des projets dictionnairiques mais dans certains cas difficile à mettre en oeuvre avec précision, serait de retenir l'origine de ceux-ci et le début de leur concrétisation. Sur une telle base, qui fait remonter le Trésor de la langue française à la fin des années cinquante avec comme repère symbolique le colloque préfigurant sa mise en route (Collectif 1961), le « demi-siècle d'or » pourrait avoir débuté en 1945, année que Paul Robert retint comme point de départ de son dictionnaire, et duré une quarantaine d'années si l'on prend comme terme le Dictionnaire culturel en langue française, paru en 2005 seulement, mais engagé par Alain Rey dès le début des années quatre-vingt-dix, dans l'élan de son Dictionnaire historique de la langue française, et conçu sans nul doute assez antérieurement.
Pour tenter de comprendre les modalités et les rythmes d'une évolution qui a mené d'un proche passé entreprenant et riche de réalisations originales mais aux limites chronologiques incertaines à un présent inquiet et prudent, il convient de distinguer, dans l'ensemble flou et composite dont la notion intuitive de « demi-siècle d'or » suscite l'évocation, des sous-ensembles d'ouvrages partageant des propriétés qui tout à la fois peuvent avoir contribué à leur aura et limité leur succès. Une partition opératoire semble être celle qui distingue d'une part les très grands ouvrages multivolumes qui avaient vocation à servir de références mais dont le prix et l'encombrement pouvaient être dissuasifs, et d'autre part des répertoires plus réduits de divers types qui ont expérimenté des formules nouvelles avec des fortunes variables.
S'est-on jamais avisé qu'en à peine plus de trois décennies on a proposé à la population française d'acheter huit collections dictionnairiques multivolumes de référence, quatre "de langue" et quatre "encyclopédiques", soit en moyenne une tous les quatre ans et demi, dont deux étaient des refontes d'ouvrages antérieurs et trois autres des refontes de répertoires publiés dans l'intervalle considéré ? Soit, dans l'ordre de parution de leur premier volume : le Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française (6 vol., 1953 - 1964), le Grand Larousse encyclopédique (10 vol., 1960 - 1964, refonte du Larousse du XXe siècle en 6 vol. de 1928 - 1933), le Dictionnaire encyclopédique Quillet (8 vol., 1968 - 1970, refonte de l'édition en 6 vol. de 1953), le Grand Larousse de la langue française (7 vol., 1971 - 1978), le Trésor de la langue française (16 vol., 1971 - 1994), le Dictionnaire encyclopédique Quillet (10 vol., 1977, refonte de l'édition de 1968 - 1970), le Grand dictionnaire encyclopédique Larousse (10 vol.24, 1982 - 1985, refonte du Grand Larousse encyclopédique de 1960 - 1964) et le Grand Robert de la langue française (9 vol., 1985, refonte du Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française de 1953 - 1964). Avec la concentration, dans une période aussi ramassée, de cinq sommes de connaissances (trois "de langue" et deux "encyclopédiques") foncièrement différentes (compte non tenu des trois refontes les plus récentes), l'importance patrimoniale de l'activité lexicographique monolingue était assez manifeste pour qu'un observateur étranger expert vît dans la France le « pays du dictionnaire » (Hausmann 1985 : 36), l'année même où la nouvelle édition du Grand Robert de la langue française venait clore une série globalement prestigieuse (même si, toute appréciation qualitative réservée, les dictionnaires Quillet ne jouissent pas de la même cote symbolique que les Larousse, les Robert et le Trésor de la langue française).
Cependant, si la plupart de ces dictionnaires ont gagné leur place dans l'histoire des ouvrages marquants de la lexicographie française, qu'en a-t-il été de leur succès public et de leur fortune commerciale ? Même sans disposer de données suffisantes pour fournir une vue précise et significative de leurs ventes et de leurs publics respectifs, il semble possible, par le raisonnement et divers recoupements, d'avancer qu'il était déjà difficile pour la demande d'être au diapason d'une offre dont le prix de revient était très élevé, et qui ne pouvait être rentable que si l'on parvenait à toucher assez rapidement, outre ceux qui pourraient avoir un usage effectif et raisonnablement maîtrisé de certains des ouvrages, une fraction suffisante de ceux qui, faute de besoin ou de compétence, ne rentabiliseraient pas leur investissement par l'utilisation qu'ils feraient des répertoires acquis mais que leurs valeurs et leurs croyances, stimulées par les discours publicitaires, prédisposaient à considérer leur possession comme bénéfique à un titre ou un autre (culturel, éducatif, symbolique?). Divers indices suggèrent en effet que la riche production de dictionnaires de référence concentrée entre 1953 et 1985, dont l'abondance même et la concentration dans le temps limitaient le potentiel commercial de chacun, pourrait être le bouquet final d'une époque qui commençait à être révolue avant même que l'informatique ne vînt modifier les rapports des individus aux sources de connaissances :
Était-ce cher, plusieurs milliers de francs, pour un grand dictionnaire de référence ? En valeur absolue un dictionnaire est rarement cher au regard du nombre de ses caractères et de la quantité d'informations qu'il comporte, mais qui évalue les choses de cette façon ? Chacun détermine, en fonction de ce qu'il est, de ses revenus et de ses valeurs, quel prix est onéreux pour un dictionnaire, un voyage, un bijou, un vêtement ou toute autre chose. Un certain temps les grands dictionnaires constituèrent un bien précieux, pratiquement et symboliquement, auquel on souscrivait, en particulier auprès de courtiers, éventuellement en restreignant d'autres dépenses, parce que ce serait utile pour les études des enfants ou que cela agrémenterait un rayonnage de bibliothèque. Puis la société évolua, les tentations se multiplièrent, les valeurs changèrent et les sources de connaissances se diversifièrent : les grands dictionnaires devinrent moins précieux et le courtage périclita. Ce fut à la fin du XXe siècle. Verra-t-on encore paraître de grands dictionnaires imprimés ? Il y a déjà un quart de siècle, Bernard Quemada prédisait leur disparition, pour une pluralité de raisons convergentes : l'histoire semble lui donner raison, mais le recul n'est peut-être pas suffisant.
Dans la deuxième moitié du vingtième siècle, la lexicographie générale monolingue française fut aussi marquée par diverses innovations, concentrées sur 24 ans (de 1966 à 1989) et distribuables en deux séquences successives, qui affectèrent, au titre du traitement privilégié de certaines caractéristiques du lexique, l'organisation de dictionnaires de dimensions plus modestes que les grandes sommes de référence qui viennent d'être évoquées. Ce n'est pas, d'ailleurs, que certaines de celles-ci n'aient pas attaché un intérêt spécifique à des propriétés linguistiques particulières des mots : on peut penser notamment à la mise en évidence de leur réseau lexical dans le Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, qui, répercutée d'ouvrage en ouvrage, est devenue la marque de fabrique des dictionnaires Robert ; ou encore au traitement de la construction des verbes dans le Grand dictionnaire encyclopédique Larousse, qui reçut le renfort actif de Maurice Gross et de son équipe. Mais ces enrichissements du contenu de ces répertoires, s'ils contribuaient à complexifier leurs articles, se fondaient dans ceux-ci sans remettre foncièrement en cause leur classement et leur organisation, qui demeuraient classiques. Les dictionnaires dont il est question ici, dont beaucoup étaient destinés à soutenir l'apprentissage du français, perturbèrent davantage celui-là et/ou celle-ci, ce qui put être un facteur de notoriété comme de manque de succès (y compris pour un même ouvrage) :
Ces différents ouvrages eurent une carrière contrastée. À la fois manifestation et instrument du mouvement d'application de la linguistique à l'enseignement du français des années soixante et soixante-dix, le Dictionnaire du français contemporain, qui acquit une réelle notoriété et suscita l'intérêt de métalexicographes et de linguistes, fit l'objet d'une nouvelle édition augmentée à 33 000 mots et enrichie d'illustrations en 1980 (le Dictionnaire du français contemporain illustré), mais l'absorption de Larousse dans CEP Communication arrêta sa carrière avec la restauration d'une structuration alphabétique intégrale dans la refonte qui parut en 1986 sous le titre de Dictionnaire du français au collège. Si le Dictionnaire du français langue étrangère n'eut pas de suite en France et si le Pluridictionnaire fut remplacé en 1993 par le Dictionnaire général pour la maîtrise de la langue française, la culture classique et contemporaine, d'organisation traditionnelle, le Nouveau Larousse des débutants et le Lexis se sont, eux, pérennisés jusqu'aujourd'hui, le premier ayant même connu, sous le nom de Maxi débutants, deux refontes importantes en 1986 et 1997, alors que le second, objet, depuis 1979, de divers retirages mais seulement d'une révision légère récente (2002), n'a pas bénéficié du suivi continu qui lui aurait permis de demeurer un répertoire actuel au regard de l'ampleur de son lexique spécialisé. Le maintien du Maxi débutants dans un catalogue où, depuis 2003, il est en concurrence avec le Larousse junior destiné au même public peut s'expliquer à la fois par ses regroupements lexicaux, aménagés en 1997 pour devenir compatibles avec l'ordre alphabétique, et par le modèle didactique de la grande majorité de ses articles, dont les exemples glosés contrastent avec les définitions exemplifiées de son concurrent interne, ce qui renvoie à deux conceptions différentes des apprentissages lexicaux et des rapports des enfants d'âge scolaire à l'abstraction. En revanche, on peut se demander si la conservation du Lexis, vestige unique et vieillissant des nomenclatures désalphabétisées dont l'ampleur accroît l'incommodité de consultation, est autre chose qu'un moyen symbolique non coûteux de ne pas abandonner au Nouveau Petit Robert le monopole du grand dictionnaire monovolume "de langue".
Les trois nouveautés des années quatre-vingt eurent chacune une finalité didactique spécifique. Celle du Robert méthodique, publié en 1982, était de décrire la structure des mots complexes du français : prenant comme matrice le Micro Robert, dont il conservait le principe des regroupements de mots compatibles avec la préservation de l'ordre alphabétique (cf. supra n. 58), il se présentait comme une version retravaillée et enrichie de celui-ci, qui, en application d'une méthode distributionnelle de segmentation, fournissait en outre, pour chaque mot pour lequel c'était jugé pertinent, sa décomposition en éléments de formation, chacun de ceux-ci, au nombre de 1 730, faisant lui-même l'objet d'un article intégré dans la nomenclature générale. Si le Robert méthodique innovait par la spécificité de son propos, il en alla autrement, six ans plus tard, pour le Petit Robert des enfants, qui arriva tardivement sur un marché des dictionnaires pour l'école élémentaire investi successivement depuis une décennie par Larousse, Hachette, Nathan et Bordas et où était en train de s'opérer la partition entre les ouvrages destinés aux élèves des actuels cycles 2 et 3 : par rapport à cette production déjà standardisée, le Petit Robert des enfants, qui optait, lui aussi, pour des regroupements raisonnés de mots apparentés, trancha par diverses spécificités textuelles (utilisation de définitions phrastiques, exemples forgés référés à un univers fictionnel récurrent, citations provenant de la littérature enfantine, recours aux rimes dans les indications de prononciation) et par l'originalité d'une maquette qui distribuait dans les marges latérales différents composants des articles sous forme de nombreux modules autonomes noirs ou bleus, ce qui impliquait un format plus grand que celui des répertoires concurrents. Le bleu et le noir furent également utilisés en 1989 pour afficher contrastivement les deux niveaux d'adressage du Robert oral-écrit, conçu par Dominique Taulelle pour la didactique de l'orthographe et qui, à cette fin, subordonnait les diverses adresses graphiques de chaque ensemble d'homophones (qui incluaient des formes fléchies) à une adresse transcrivant leur prononciation commune au moyen d'un alphabet phonétique aménagé.
Ces trois dictionnaires originaux, intéressants dans leur principe et riches, chacun à sa manière, d'informations qui ne se trouvaient pas ailleurs, ne comptèrent pas parmi les succès de leur éditeur. Aux dires mêmes de sa conceptrice, Josette Rey-Debove, Le Robert méthodique, qui ne séduisit pas le public français, et notamment les enseignants, qui auraient pu en être le relais, n'a bénéficié d'une édition refondue en 2004 avec pour titre Le Robert brio qu'en raison du meilleur succès qu'il aurait connu en Suisse, où cette deuxième édition parut d'ailleurs dès 2003 sans perdre son nom d'origine. Le Petit Robert des enfants, en dépit d'un restylage sous le titre de Robert des jeunes en 1991 qui affecta principalement les dossiers hors texte, dut céder la place en 1993 au Robert junior illustré, conforme au standard du marché, sur lequel il est resté présent depuis. Quant au Robert oral-écrit, il disparut rapidement du catalogue de son éditeur sans connaître de deuxième chance.
À défaut d'explications assurées, on peut faire diverses hypothèses sur les raisons de ces méventes. La première pourrait être simplement économique : sur tout marché, pour que certains produits réussissent, il faut que d'autres échouent, et peut-être la demande globale était-elle trop saturée pour que ces dictionnaires aient eu leur chance au moment où ils parurent. D'autres motifs, cependant, viennent à l'esprit :
Par ses grandes réalisations compilatoires comme par ses expérimentations linguistiques et textuelles, la lexicographie française de la fin du siècle écoulé a produit, en différentes séquences selon les types d'ouvrages, une palette de dictionnaires généraux monolingues dont l'histoire de ce genre documentaire a gardé la mémoire. Mais le public ne fut pas suffisamment au rendez-vous de cette offre foisonnante et les gestionnaires des éditeurs spécialisés en tirèrent les conclusions en tendant à se recentrer sur des formules supposées éprouvées tout en misant davantage sur le marketing, avec des résultats d'ailleurs très contrastés, tandis que, dans le même temps, l'État se désinvestissait des grands travaux dictionnairiques de prestige. À divers égards, les années qui ont donné son lustre à la lexicographie monolingue française dans la deuxième moitié du XXe siècle peuvent donc apparaître comme une période d'exception, rendue possible par la concomitance et la synergie de facteurs économiques, culturels et humains, qui aura probablement été le crépuscule des sommes imprimées multivolumes tout en constituant une parenthèse intellectuelle, sous l'influence notamment de la linguistique conquérante de l'époque "structurale", dans un flux plus modestement utilitaire qui semble avoir repris son cours depuis que le « demi-siècle d'or » s'est dissous dans des problèmes d'argent.
Aujourd'hui, en effet, l'observateur peut avoir le sentiment que le marché dictionnairique français est engagé dans une dynamique négative, entre une offre dominée par des principes gestionnaires sévères et une demande évolutive et difficile à saisir, dans un contexte où la part relative de la "référence" diminue régulièrement par rapport à celle d'autres secteurs de la librairie.
L'offre de dictionnaires généraux monolingues apparaît encore assez diversifiée dans les catalogues des maisons d'édition : autour de 25 références pour Larousse, une quinzaine pour Le Robert, un peu moins de 10 pour Hachette et quelques autres répertoires répartis entre plusieurs éditeurs non spécialisés, on atteint la soixantaine d'ouvrages et ce n'est pas négligeable. Cependant, par le jeu des variations de format et de conditionnement, des changements de support, des réemplois de contenus et des dérivations, la diversité dictionnairique effective est moins importante.
Les grands travaux dispendieux et les innovations déroutantes ont fait place à une lexicographie de gestion et de maintenance. Les compressions d'effectifs tendent vers une limitation des personnels permanents au minimum nécessaire pour gérer les projets, les tâches rédactionnelles étant souvent confiées à des rédacteurs externes, parmi lesquels les stagiaires ne sont pas quantité négligeable, ce qui ne peut qu'entraîner une déperdition dans la transmission des savoirs et des savoir-faire. La documentation, quand elle n'est pas simplement laissée à la charge de contributeurs temporaires, associe aux dépouillements classiques la glane sur Internet et l'utilisation de ressources électroniques toutes prêtes mais non échantillonnées (archives de presse), et elle ignore la constitution de corpus de référence à la manière anglaise, l'obstacle du coût pouvant parfois trouver un renfort dans les réticences tenaces de lexicographes notoires. L'informatique éditoriale permet des gains de productivité, par la facilitation du montage de contenus préexistants, la réduction du temps de rédaction, la variation à volonté de l'affichage d'un même ouvrage et l'internalisation de la mise en page qu'elle rend possibles. Corrélativement, les entreprises majeures peuvent déployer des efforts mercatiques importants, affectant soit les produits eux-mêmes, par le renouvellement fréquent de leurs couvertures, le changement, non exceptionnel, de leur titre ou le recours, pour leur habillage, à des graphistes célèbres, pour des éditions spéciales ou des créations et avec des réussites variables, soit leur commercialisation proprement dite, par des mises en place spectaculaires, la célébration d'événements exceptionnels (changement de millénaire, anniversaires), l'extension des millésimages ou le recours à des personnalités pour des campagnes publicitaires.
Dans ce contexte, on observe un lissage de l'offre, dominée par l'entretien plus ou moins régulier de modèles qui ont fait leurs preuves marchandes, et dans laquelle le très haut de gamme a grandement baissé pavillon. Pour les dictionnaires "de langue", tandis qu'on solde les derniers exemplaires imprimés de la version en 6 volumes du Grand Robert de la langue française parue en 2001, encore vendu en édition électronique, et que, dans le secteur non commercial, la « deuxième vie » que connaît le Trésor de la langue française à travers le nombre de ses consultations en ligne et les ventes de son CD-ROM ne confère pas une nouvelle jeunesse à son contenu textuel, les 4 volumes du Dictionnaire culturel en langue française de 2005, version allégée du Grand Robert assortie d'environ 1 300 articles lexico-culturels originaux hors texte qui rapporte quelques bénéfices après une gestation longue et coûteuse, constituent le sommet de l'offre récente. Quant aux dictionnaires identifiés comme "encyclopédiques", ils plafonnent désormais au niveau d'une nomenclature de Petit Larousse (87 000 articles) enrichie de développements non métalinguistiques et de spécificités iconographiques avec le Grand Larousse encyclopédique en 2 volumes, avatar détechnologisé et au prix ajusté (75 ?), en 2007, des 3 volumes du Grand Larousse illustré de 2005 (accompagnés alors d'un CD-ROM et, en option, d'un stylo multimédia permettant d'effectuer des recherches complémentaires sur Internet à partir du texte imprimé), dont l'échec commercial fut principalement imputé à un prix initial trop élevé (180 ou 250 ? selon la version). L'effet inattendu et paradoxal de cette situation est que, avec un concept très différent et à un prix plus élevé (118 ?), le couple constitué par le Nouveau Petit Robert et le Robert encyclopédique des noms propres, susceptibles d'être vendus conjointement en coffret, constitue désormais, avec ses 100 000 items, le dictionnaire "encyclopédique" imprimé le plus consistant, mais il n'est pas assuré qu'il soit perçu comme tel et le volume des noms propres ne passe pas pour un succès de librairie.
Dans un marché dorénavant presque limité aux dictionnaires en un volume, où Larousse et Le Robert investissent avant tout, de diverses façons, dans la promotion des produits phares ? Petit Larousse et Petit Robert ? qui constituent leur socle (cf. supra) et comme tels continuent à faire partie du petit nombre des répertoires qui existent aussi sur disque optique, l'examen du catalogue restreint de Hachette, éditeur dictionnairique de deuxième importance qui pratique une politique de prix bas appuyée sur la réduction des coûts de rédaction comme de communication et sur une maîtrise établie de la distribution, signale des segments sur lesquels il est intéressant d'être présent de façon continue : le dictionnaire de référence, ici en version "encyclopédique" (Dictionnaire Hachette, refondu pour 2002 ? sans CD-ROM, à la différence de l'édition antérieure ? et actualisé chaque année), les utilitaires portatifs (Dictionnaire Hachette encyclopédique de poche, Dictionnaire Hachette de la langue française mini) et les répertoires pour l'école primaire (Dictionnaire Hachette junior et Dictionnaire Hachette benjamin), qui changent plus souvent de livrée que de contenu. La concurrence est effectivement maximale sur ces deux derniers créneaux, où Larousse et Le Robert sont également présents et dont le second est aussi investi par plusieurs éditeurs spécialisés dans les publications pour la jeunesse pédagogiques ou de loisirs. En revanche, l'offre de milieu de gamme, qui semble être le segment le moins assuré des catalogues, n'émane durablement que des deux éditeurs majeurs, avec un public cible bien défini ? les collégiens ? et d'autres plus ouverts ou incertains, pouvant induire des déconvenues commerciales en dépit du caractère conventionnel des ouvrages.
La linguistique ne pèse plus guère dans la lexicographie de montage et d'entretien actuelle. Les répertoires survivants de l'époque où elle avait le vent en poupe (Lexis, Maxi débutants, Robert brio) perpétuent les modèles d'alors, et les innovations, conçues en dehors des entreprises majeures, connaissent à leur tour l'insuccès commercial, comme le peu manipulable Dictionnaire du français usuel de Jacqueline Picoche & Jean-Claude Rolland, paru en Belgique en 2002 à destination des apprenants étrangers, ou res-tent à l'état de chantiers universitaires suggestifs mais inachevés, comme le Dictionnaire explicatif et combinatoire du français contemporain conçu par Igor Mel'?uk et son avatar récent dénommé Lexique actif du français (Mel'?uk & Polguère 2007) au Québec ou le DAFLES en Belgique (désormais intégré dans une « Base lexicale du français », portail de ressources et de liens à visée didactique).
La lexicographie monolingue générale française vivote donc en gérant l'existant, peut-être davantage dans la crainte de nouveaux replis que dans l'espoir de lendemains rassérénants, en dépit de coups de coeur ponctuels d'une partie du public pour des "événements" dictionnairiques bien orchestrés comme le Petit Larousse du centenaire (millésime 2005) ou le Dictionnaire culturel en langue française, qui ne suffisent pas nécessairement à compenser les déconvenues, ce dont témoigne la reprise en main éditoriale de Larousse au sein d'Hachette-Livre sous la férule d'Isabelle Jeuge-Maynart en 2006 afin d'endiguer les mauvais résultats commerciaux. Mais, si ses gestionnaires ont tiré les leçons du passé en délaissant l'expérimentation à risque et en concentrant leur offre dans une palette de répertoires moins ouverte et une échelle de prix plus restreinte, le marché propose encore, en l'état, un large choix d'ouvrages pour divers usages et diverses compétences, globalement assez bien tenus à jour, et qui, dans les catalogues des éditeurs majeurs, riches d'une longue expérience et d'un important fonds documentaire et textuel, s'organisent en gammes qui, à défaut de ne proposer que des produits nettement différenciés (cf. supra § 3.1), les échelonnent de façon cohérente. Cette offre serait-elle encore trop importante pour la demande ?
L'hypothèse n'est pas à exclure. Après tout, vendre chaque année en grand nombre un Petit Larousse ou un Petit Robert qui, pour l'essentiel et nonobstant l'actualisation de rigueur, n'a de neuf que son millésime, relève d'une sorte d'exploit dans un environnement dans lequel la concurrence de multiples biens de consommation (cf. supra § 2.2.1) ne peut que réduire mécaniquement le potentiel d'attractivité des dictionnaires et avoir une incidence sur l'évolution de leurs ventes. Et l'existence même de répertoires vedettes, enjeux majeurs pour leurs éditeurs et objets de soins destinés à entretenir leur succès, pourrait avoir dans l'édition dictionnairique, vis-à-vis d'autres titres des catalogues, un effet de nuisance du même ordre que celui généré par les best-sellers dans l'ensemble du commerce du livre, certains répertoires ne trouvant pas tout leur public potentiel faute que celui-ci, du fait d'une représentation lacunaire des fonctionnalités différenciées de dictionnaires généraux de diverses natures, soit en mesure d'appréhender l'ensemble de l'offre et de percevoir les services spécifiques que chaque répertoire serait susceptible de rendre. Si, comme l'affirment volontiers des lexicographes professionnels, la vérification orthographique constitue le premier motif de consultation de dictionnaires, suivie par les recherches de sens, et que le reste de l'information linguistique proposée n'est pas significativement perçu comme répondant à des besoins, ce sont les principes mêmes de la diversification des catalogues qui sont en situation de ne pas être compris. La porte est alors ouverte au choix aléatoire des dictionnaires les plus notoires, les mieux exposés ou les moins chers, si tant est que la multiplicité des ressources électroniques disponibles, des correcteurs orthographiques intégrés à divers logiciels aux dictionnaires en ligne gratuits de tout acabit, ne dissuade de tout achat.
Portés par tradition à la révérence vis-à-vis du dictionnaire considéré comme une transcendance, les Français ne sont en revanche pas nourris d'une culture lexicographique théorique et pratique qui leur donnerait les moyens d'apprécier à quoi correspond la pluralité de l'offre dictionnairique, d'y prendre les repères les plus appropriés et de tirer le meilleur profit de consultations efficaces, ce qui renvoie à l'écart entre la place qui serait à faire et celle qui est faite à l'éducation aux usages des dictionnaires dans l'enseignement (cf. supra § 1). Sans minimiser les autres facteurs qui les déterminent, il convient donc aussi de définir la part du déficit d'attentes dans les limites actuelles de la demande de dictionnaires.
Il est à craindre que les tendances récessives de l'offre et de la demande de dictionnaires n'aillent s'aggravant et que leur inversion ne soit pas à attendre de l'autorégulation du marché. Concurrencée par des res-sources gratuites de nature et de qualité très variables, le plus souvent sans fonctionnalités ajoutées, mais susceptibles de satisfaire une demande dépourvue d'attentes fortes faute d'une éducation et d'une culture spécifiques du public, la lexicographie commerciale se trouve en position défensive : les grands dictionnaires "encyclopédiques" d'un certain prix appartiennent au passé, l'amélioration effective du contenu des dictionnaires "de langue" s'effectue de façon trop subtile, par ajustements successifs au fil de révisions et de dérivations, pour constituer un argument de vente efficace, et les plus-values fonctionnelles des versions électroniques de certains répertoires n'ont pas suffi à créer un marché porteur. Comment, dès lors, l'offre privée, pour au moins maintenir ses positions, ne concentrerait-elle pas ses efforts sur la valorisation de l'image des marques et sur une stimulation ponctuelle artificielle de la demande par le marketing plutôt que sur des investissements fonciers à moyen ou long terme aussi onéreux qu'hasardeux et dont elle n'aurait de toute façon probablement pas les moyens ? Rien ne permet d'envisager une évolution favorable si le noeud du problème réside bien dans la qualité de la demande. On peut toujours rêver à un monde idéal dans lequel les pouvoirs publics, miraculeusement sensibilisés aux vertus éducatives des dictionnaires et à leur pouvoir thérapeutique dans une lutte à mener contre ce qui peut apparaître comme « la paresse, l'apathie, l'indifférence d'une majorité des Français à l'égard de leur langue » (Rey 2007 : 1318), donneraient à l'apprentissage de leur maniement une place plus affirmée que ce que prévoient aujourd'hui les programmes et instructions scolaires afin d'améliorer le potentiel d'expression autonome des citoyens, ce qui, par la relance de la consommation induite, aurait des répercussions positives sur l'offre des éditeurs. Mais pour l'heure cette vision keynésienne d'un encadrement qui donnerait un nouveau souffle à l'édition dictionnairique peut rejoindre le rêve technologique de Sue Atkins au rang des utopies. Tout au plus est-il possible, par le présent propos, de lui donner un mince écho en invitant la communauté des linguistes francophones intéressés par le lexique à réfléchir à ce qui pourrait contribuer à donner aux dictionnaires une meilleure place dans l'épanouissement de l'expression personnelle de chacun.