TITRE : La lutte contre le terrorisme : essai de bilan institutionnel
AUTEUR : François Vergniolle de Chantal, Docteur en Sciences Politiques de
l'IEP de Paris, est Maître de Conférences en civilisation américaine à l'Université
de Bourgogne.
Depuis une quarantaine d' années, les républicains se sont fait
fort de réduire le poids de l' Etat fédéral .
Or l' actuelle lutte contre le terrorisme, menée par une équipe
républicaine qui , pourtant , adhère totalement à les critiques contre le Big
Government , remettrait en cause l' engagement conservateur en faveur de la
décentralisation .
Les différentes mesures annoncées depuis septembre 2001 vont
toutes dans le même sens, un considérable renforcement de la présence de l' Etat
fédéral .
Comme toutes les guerres menées par les Etats-Unis, celle
entamée contre le terrorisme risquerait, elle aussi, de renforcer la centralisation
.
Quels sont les aspects de ce retour de l' Etat central ?
Comment s' opère la recentralisation, et avec quelles
conséquences dans l' équilibre fédéral ?
Finalement, quelles sont les conclusions à tirer de cette
évolution ?
En particulier, comment s' articule la lutte contre le
terrorisme avec ' engagement conservateur en faveur de les Etats fédérés ?
Selon nous, la lutte contre le terrorisme ne serait pas
similaire aux évolutions entraînées par les autres conflits .
Elle débouche en fait sur un activisme tous-azimut, qui
concerne aussi bien l' Etat fédéral que les Etats fédérés et les autorités locales (
villes, comtés ) .
Plutôt que de parler de centralisation, il faudrait évoquer un
renforcement des fonctions légitimes de chacun des niveaux du gouvernement : la
défense et la protections des citoyens pour le niveau fédéral ; les autorités
locales, elles, gèrent les moyens de réponse immédiats aux agressions terroristes (
police, pompier, santé ) .
L' essentiel des problèmes suscités par la protection du
territoire contre le terrorisme réside dans la coordination entre les différents
organes .
L' administration actuelle s' engage résolument dans cette
voie, et entame une réorganisation massive des administrations nationales .
Face à l' urgence : les premières décisions de l'
administration Bush
Dans le mois qui a suivi l' attentat du 11 septembre, l'
administration a procédé à un certain nombre d' initiatives spectaculaires à
plus d'un titre, notamment par l' intrusion massive des autorités fédérales dans
différents domaines où, jusqu'alors, l' interventionnisme fédéral n' était pas
de mise .
A commencer par la sécurité aérienne, au vu, bien sûr, du
déroulement des attentats : les attaques contre des objectifs civils semblaient
alors être l' objectif de prédilection des groupes islamistes .
C' est pourquoi, sous la responsabilité du Secrétaire aux
Transports, Norman Y. Mineta, un nouveau texte a été adopté par le Congrès dès
le 19 novembre, le Aviation and Transportation Security Act ( ATSA, Public Law
107 - 71 ) .
Ainsi est instituée la Transportation Security
Administration ( TSA ), qui prend en charge la sécurité de l' aviation civile,
auparavant de la responsabilité de la Federal Aviation Administration ( FAA ) .
A partir de février 2002, la nouvelle instance a "
fédéralisé " les points de contrôle des 429 aéroports commerciaux des
Etats-Unis, processus, qui, en fin de compte, devrait encore prendre quelques
mois .
Dorénavant, les compagnies privées de sécurité - jusqu'ici
sous-traitantes de les compagnies aériennes - ne sont donc plus responsables du
contrôle des passagers ; près de 28000 fonctionnaires fédéraux doivent
maintenant prendre le relais, et leur recrutement devrait se faire avec des
critères plus exigeants que ceux requis jusqu'alors .
Pendant ce temps, les craintes d' attentats contre d'autres
types de cibles civiles se multipliaient .
Ainsi, un certain nombre d' élus démocrates ( dont le
Sénateur de New York Hillary R. Clinton ) ont appelé en novembre à une prise en
charge fédérale de la sécurité des 103 centrales nucléaires du pays par la
Nuclear Regulatory Commission .
Mais l' initiative est, pour le moment, restée lettre morte
au Congrès : en l'état actuel de la situation, la protection des sites
nucléaires est toujours assurée par les quelques 57000 réservistes et membres de
la Garde Nationale qui ont été mobilisés suite à les attentats .
Initialement chargés aussi de la sécurité dans les
aéroports, ils en ont été rapidement relevés lors de la création de la TSA ; ils
assurent maintenant exclusivement la défense des centrales nucléaires, et l'
administration Bush semble s' en satisfaire .
Ces actions immédiates ont été renforcées par d'autres
mesures, budgétaires, qui vont directement à l'encontre du libéralisme
économique prôné par les républicains .
Ainsi, le Président a immédiatement décidé des aides
d'urgence : 40 milliards de dollars répartis entre l' Etat de New York et le
FBI, les agences de renseignement et l' armée ; à ce montant s' ajoute 15
milliards de dollars pour aider les compagnies aériennes .
Autant dire que le non interventionnisme économique de l'
Etat fédéral a été immédiatement relegué au second rang devant l' urgence de la
situation .
La restriction budgétaire a tout de suite cédé la place à la
nécessité de lutter contre le terrorisme .
Après quatre années d' excédents fédéraux, le budget de 2003
- qui débute en octobre 2002 - renoue avec les déficits .
Sous l' effet conjugué du ralentissement économique et de la
lutte contre le terrorisme ( les démocrates rajouteraient aussi les baisses d'
impôts parmi les facteurs explicatifs ), le budget devrait afficher un déficit
de l'ordre de 43 milliards de dollars .
Les principaux postes budgétaires sont dorénavant la
sécurité du territoire ( homeland security ) et la défense .
Dans le premier cas, le budget passe de 15 milliards de
dollars à 38 milliards, une part non négligeable ( un peu moins de trois
milliards ) étant consacrée à la lutte contre le bioterrorisme .
A un niveau institutionnel, et plus seulement fonctionnel,
l' administration Bush a décidé de renforcer considérablement les polices
locales, pompiers, et services d'urgence, qui, tous, constituent la première
ligne de défense vis-à-vis des attaques terroristes .
Environ 3,5 milliards de dollars - soit une multiplication
par dix des financements antérieurs - sont ainsi destinés aux autorités locales,
municipales et étatiques, c' est-à-dire aux échelons politiques responsables de
ces différents corps .
En ce qui concerne la défense, le Secrétaire, Donald
Rumsfeld , se trouve maintenant à la tête du second poste dans le budget fédéral
.
Le Président a obtenu une rallonge budgétaire de 48
milliards de dollars, soit une enveloppe qui dépasse le montant du budget
militaire annuel de n' importe quel autre pays dans le monde .
L' effort ainsi consenti est comparable à celui engagé par
Truman lors de la Guerre de Corée .
Comme il y a cinquante ans, les Etats-Unis sont
véritablement entrés dans un budget de guerre : celui -ci devrait atteindre 396
milliards de dollars en 2003, et, si les prévisions se concrétisent, se chiffrer
à 470 milliards en 2007 .
A priori, l' administration Bush a adopté des dispositions
budgétaires qui la placent en décalage par rapport à les discours républicains
en faveur de la modestie budgétaire et de la nécessaire rigueur dans les
dépenses .
Dans ce domaine, l' Etat fédéral a bénéficié d' une nouvelle
marge de manoeuvre, inespérée au vu de l' orientation politique de l' équipe
dirigeante .
C' est d' autant plus vrai que ces mesures ne sont pas
précisément des décisions sur lesquelles l' administration se serait engagée à
revenir .
au contraire, la Présidence a, dans un second temps de sa
lutte contre le terrorisme, élaboré un cadre plus général qui cherche à
pérenniser les décisions prises à l' automne .
L' accroissement des pouvoirs de l' Etat fédéral ne tient
pas de l' accident de parcours .
Il s' agit au contraire d' une priorité des pouvoirs publics
.
L' élaboration d' un cadre de lutte contre le terrorisme
Le rapide panorama des mesures d'urgence que nous venons d'
établir a pris place dans un cadre légal établi à l' automne 2001, puis complété
par une réorganisation institutionnelle des structures de l' Etat fédéral au
printemps 2002 .
Ainsi, d' un point de vue législatif cette fois, l'
administration Bush a fait présenter une loi de lutte contre le terrorisme .
Massivement adoptée par le Congrès et signée par le
Président le 26 octobre, le texte ( USA Patriot Act , ou Uniting and
Strengthening America by Providing Appropriate Tools Required to Intercept and
Obstruct Terrorism , PL 197 - 56 ) renforce considérablement la loi précédente,
celle adoptée sous l' équipe Clinton après l' attentat d' Oklahoma City .
A l'époque, un grand nombre de républicains avaient réussi à
bloquer les principales extensions prévues du pouvoir fédéral, mettant en avant
les incohérences des agences " gouvernementales " .
Le FBI, chargé de la surveillance de le territoire , était
en effet mis en accusation pour sa mauvaise gestion des confrontations avec une
secte texane et différents mouvements " antigouvernementaux " .
Dans ces conditions, la loi de mars 1996 avait été vidée de
toute extension des possibilités de surveillance de l' Etat fédéral .
Rien de tel avec la loi du 26 octobre dernier .
Celle -ci repose au contraire sur une extension considérable
des possibilités de surveillance, notamment électroniques, et des écoutes
téléphoniques .
Elle donne une définition du terrorisme intérieur qui est
extrêmement large .
Ainsi, toute personne se déclarant comme représentant - sans
forcément être membre - d' une organisation terroriste , est considérée comme
terroriste .
Toute aide, et, a fortiori, tout soutien financier, sont des
activités terroristes s' ils ont contribué à faciliter une quelconque attaque .
Les membres de la famille d' un terroriste peuvent eux
-mêmes être considérés comme tels si le Garde des Sceaux le pense .
Concrètement, la liste des activités dites terroristes
regroupe : toute tentative, menace ou réalisation d' un détournement ou d' un
sabotage de n' importe quel moyen de transport ; toute attaque contre une
personne protégée par le droit international ( ambassadeur, titulaire de
fonctions politiques etc . ) ; enfin, toute utilisation d' une arme en vu de
porter atteinte à la tranquillité publique ou de détruire la propriété d'
autrui, ce qui s' ajoute aux autres crimes ( incendie volontaire, explosion,
meurtre, tentative de meurtre, etc ) déjà inscrits dans le droit péna
L' extension de la définition est telle que, pour certains
observateurs, n' importe quelle dispute dans un bar pourrait maintenant tomber
sous le coup d' une accusation de terrorisme !
Seules les mesures les plus controversées - l' extension de
la détention provisoire - ont une durée de validité de quatre ans .
Bien loin de vouloir revenir sur ces mesures adoptées dans
l' urgence, l' administration républicaine, dans le cadre de sa nouvelle
orientation budgétaire , tente de mettre en oeuvre une réorganisation des
pouvoirs de l' administration fédérale .
Un grand nombre de commentateurs y voient même une des
tentatives les plus ambitieuses depuis la Seconde Guerre Mondiale .
Le 8 octobre 2001, le Président a nommé, par ordonnance, Tom
Ridge, jusque là Gouverneur républicain de Pennsylvanie, responsable de la
sécurité intérieure .
Il était initialement chargé de coordonner depuis la Maison
Blanche les activités de défense civile de près de 50 organismes fédéraux dont
la CIA et le FBI ( même si le premier restait rattaché au Pentagone, et le
second au Ministère de la Justice ) .
Les observateurs étaient d'abord sceptiques sur ses chances
de s' imposer dans le labyrinthe administratif que constitue la machinerie
fédérale .
Et ce d' autant plus qu' il disposait d' une équipe de 16
personnes et d' un budget symbolique !
Mais en juin 2002, le Président a décidé de la création d'
un Ministère de la Sécurité du Territoire ( Department of Homeland Security ),
initiative approuvée à plus de 70 % par ' opinion publique, et relayée au
Congrès par le Représentant Marc Thornberry ( républicain, l Texas ), et les
Sénateurs Joe Lieberman ( démocrate, Connecticut ) et Arlen Specter (
républicain, Pennsylvanie ) .
Ce tout nouveau ministère, dont Tom Ridge est le responsable
, va regrouper 22 agences et services dépendant actuellement de 8 ministères
différents ( ainsi des gardes-côtes, des douanes, et, peut-être, des services de
l' immigration ) .
Contrairement à la précédente structure instituée en octobre
2001, celle -ci ne regroupe ni le FBI ni la CIA . Le nouveau ministère serait
pourtant le 3ème ministère en nombre de fonctionnaires ( selon les formules,
entre 170.000 et 200.000 personnes ), et, regroupant une vaste palette de
compétences, serait doté d' un budget d' environ 38 milliards de dollars .
Il complète le plan de réorganisation du FBI annoncé un mois
auparavant .
Secouée par les scandales et placée sous pression constante
par ses autorités de tutelle et les pouvoirs politiques, l' agence est dans une
position de plus en plus délicate .
D' où la nécessité pour son récent directeur - Robert
Mueller a pris ses fonctions une semaine avant les attentats du 11 septembre ! -
de reprendre la situation en main .
Son plan annonce l' affectation de 600 agents, ordinairement
chargés de la lutte contre la criminalité classique, à la lutte anti terroriste
( ce qui représente une multiplication par quatre des effectifs anti terroristes
actuels ) .
D' ici septembre 2002, le Bureau devrait au total engager
900 nouveaux agents ( qui rejoignent les 7000 existants ) .
Un nouveau bureau de renseignement devra centraliser toutes
les informations sur la lutte contre le terrorisme .
Il sera dirigé par un membre de la CIA ; et c' est là
d'ailleurs une des grandes nouveautés introduites par ce plan, l' association
plus étroite de la CIA dans le fonctionnement des activités anti terroristes du
FBI . En effet, 25 membres de la CIA sont d'ores et déjà délégués au FBI, et
d'autres doivent encore être répartis dans les bureaux les plus importants .
Enfin, concernant ses missions, le Bureau a des pouvoirs
plus étendus ( désormais, il peut par exemple espionner des espaces
traditionnels de liberté d' expression, comme les lieux de culte, les
bibliothèques et internet ) .
Ainsi, l' extension de la mission anti terroriste serait en
train de faire profondément évoluer le FBI : il quitterait même son rôle de
police pour devenir une agence de renseignement intérieure, tout comme la CIA à
' étranger . l Ces deux initiatives institutionnelles, comme toutes celles
évoquées jusqu'à présent, renforcent encore le poids de l' Etat fédéral .
L' évaluation que nous venons de faire 0 des modalités de
la lutte contre le terrorisme ne laisse donc que peu de place au doute .
Bush Jr . risque de rejoindre son père comme un des
présidents républicains qui a le plus contribué à la centralisation du pays au
cours de les dernières années .
Que ce soit pour le budget ou la justice, le poids du
pouvoir central se renforce, et ce avec le soutien de l' écrasante majorité de
l' opinion publique : les sondages font état d' un niveau de confiance élevé
dans l' Etat fédéral, de l'ordre de ce qu' il était au début de les années
soixante .
Pendant l' administration Clinton, 20 % de les sondés
déclaraient faire confiance à l' Etat fédéral ; immédiatement après les
attentats, le taux a bondi à 66 % .
il a un peu baissé depuis, il reste néanmoins très élevé,
ce qui facilite grandement les mesures centralisatrices de l' équipe Bush
.
Quelques observations finales sur le fédéralisme
Ces différents éléments plaident tous pour la même
conclusion : le renforcement de l' autorité fédérale .
Historiquement, pour faire face à des crises - économiques
ou militaires - l ' pour faire face à des crises - économiques ou militaires -
l' Etat fédéral a toujours été le principal moteur de l' action .
Il a étendu, non seulement sa taille - telle que mesurée par
exemple en nombre de fonctionnaires - mais aussi son champ de compétences .
Les évolutions du New Deal ou de la Seconde Guerre Mondiale
furent, de ce point de vue, exemplaires .
Il semblerait en aller de même actuellement .
Or le puissant mouvement de centralisation auquel nous
assistons depuis le 11 septembre ne contribue que très modestement à une
extension des compétences dévolues à l' Etat fédéral .
Les mesures de soutien économique annoncées à l' automne
prennent principalement la forme d' exemptions fiscales et non pas de transfert
monétaire .
De même, les autorités " gouvernementales " ont, jusqu'à
présent, refusé d' attribuer aux centrales nucléaires la même protection
fédérale que celle dont bénéficient dorénavant les aéroports .
D'autres exemples sont disponibles .
Ainsi, malgré des sondages indiquant une ouverture de l'
opinion publique sur ce point, les pouvoirs publics fédéraux se refusent
toujours à établir une carte d' identité nationale .
Seul le cas de la sécurité aérienne est clairement une
extension - à la fois en termes de compétence et de fonctionnaires - du pouvoir
fédéral .
Comment rendre compte de cette relative modestie ?
Pour nous, la guerre contre le terrorisme a une spécificité
en politique interne .
Contrairement à une guerre " traditionnelle ", entre Etats
souverains, elle contribue tout autant au renforcement des autorités fédérées
que des autorités fédérales .
Pendant la Seconde Guerre Mondiale, la gestion du conflit a
été du ressort de l' Etat fédéral, au détriment de les Etats fédérés .
Rien de tel dans le cas présent .
Le jeu des relations entre niveaux de gouvernement est à
somme positive : autrement dit, la lutte contre le terrorisme renforce - un peu
- l' Etat fédéral, certes, mais aussi les Etats fédérés .
Au moment de l' envoi des lettres porteuses du bacille du
charbon, une douzaine d' Etats fédérés ont créé leur propre structure de défense
civile, alors que Tommy Thompson, Secrétaire d' Etat à la Santé, ne semblait pas
vraiment en position de mener une campagne d' envergure pour prévenir la panique
naissante .
Les experts s' entendent pour souligner que l' actuelle
lutte anti terroriste renforce l' Etat fédéral avant tout dans ses fonctions
légitimes, à savoir protéger les citoyens, et assurer leur défense .
En fait, plutôt que un renforcement unilatéral de l' Etat
fédéral, on assisterait aussi à une participation accrue des Etats, des
collectivités locales, voire du secteur privé ( dans la mesure où les usagers
devront certainement payer pour des améliorations de leur sécurité quotidienne .
Dans un territoire aussi vaste que celui des Etats-Unis, le
nombre de cibles potentielles est difficilement gérable par une seule autorité .
Dans ces conditions, la sécurité du territoire est forcément
une activité décentralisée ; les fonctions sont dispersées entre les niveaux de
gouvernement et ne peuvent pas être rassemblées sous une seule autorité : selon
l' Office of Management and Budget, près de 70 agences - nationales ou locales -
ont un poste budgétaire consacré à la lutte contre le terrorisme, et ceci ne
tient pas compte des services des Départements d' Etat et de la Défense, ni des
services secrets .
De ce fait, une grande partie du succès de la lutte anti
terroriste est due aux autorités locales .
L' Etat fédéral, lui , se concentre dans des domaines qui
ont toujours été les siens : l' amélioration des services de sécurité, la
protection des frontières et la lutte contre toute puissance extérieure qui
soutiendrait d' une façon ou d' une autre les organisations terroristes .
La récente réorganisation annoncée du FBI va dans ce sens .
Dorénavant, le Bureau ne devrait plus se pencher autant sur
les attaques à main armée dans n' importe quelle banque du pays, mais concentrer
ses énergies sur une lutte nationale contre le terrorisme .
Les autorités locales sont donc placées en première ligne,
et ressentent d'ailleurs le coût des nouvelles attentes à leur endroit .
En effet, une des conséquences des attentats du 11 septembre
a été une forte réduction des services offerts par les Etats, les villes et les
comtés, à tel point que certains Etats envisageraient maintenant de supprimer
toute aide aux villes, renforçant par là -même le coût de la sécurité pour les
gouvernements non étatiques .
Le transfert des ressources fédérées vers le poste de la
protection anti terroriste a donc été massif .
Un article du Los Angeles Time soulignait ainsi que " Les
autorités locales n' avaient pas eu une responsabilité de cette envergure en
matière de défense depuis l' époque des Indiens et de la Frontière " .
Ainsi, lorsque l' Etat fédéral a tenté, à l' automne, d'
arrêter près de 5000 personnes pour les interroger, les polices locales ont été
les premières concernées .
Dès les attentats, ce sont bien les forces de sécurité
locales, police et pompiers, qui ont été immédiatement chargées des opérations .
La suite des événements a encore renforcé le poids des
responsabilités sur les premiers secours ( first responders ), principalement du
ressort des autorités locales .
Les autorités fédérales, outre leurs compétences propres ,
doivent en fait coordonner les différents acteurs subétatiques à l' oeuvre .
C' est là le rôle essentiel du tout nouveau Secrétariat à la
Protection du Territoire .
Le thème est loin de être neuf : le trafic de drogue ou le
crime international avaient déjà suscité ce genre de débat .
Les échanges d' agents entre la CIA et le FBI ont été
pratiqués depuis des années .
Mais la lutte contre le terrorisme devrait entraîner une
coordination à un niveau supérieur, par exemple celui des Secrétariats d' Etat .
En ce sens, la création du nouveau ministère en juin dernier
est une étape essentielle .
Elle est complétée par la création, en avril 2002, d' un
Commandement militaire spécifique et national ( Northern Command ) par Donald
Rumsfeld .
Ce nouvel outil est chargé des réactions d'urgence en cas de
attaque terroriste, et peut mobiliser à la fois les moyens terrestres, navals,
et aériens des forces armées nationales .
Il peut aussi, bien entendu, assister les autorités locales
le cas échéant .
Ces deux nouvelles structures ne sont pas assimilables à une
tentative de centralisation imposée aux autorités subnationales .
au contraire, elles reposent toutes deux sur une pleine et
entière reconnaissance des compétences des Etats et des gouvernements locaux .
Les rapports entre les nouvelles institutions nationales et
les autres niveaux de gouvernement se déroulent donc sous le signe de la
collaboration intergouvernementale .
Sur la scène politique américaine, la guerre contre le
terrorisme ne remet pas fondamentalement en cause les équilibres fédéraux .
L' activisme des pouvoirs publics - et aussi de le privé -
est certain, mais ne s' effectue pas au détriment de les autorités étatiques et
locales .
Les problèmes potentiels résident en fait dans le
fonctionnement de cette collaboration : le débat en cours autour de la formation
du Département de la Sécurité du Territoire en est la meilleure illustration .
Un certain nombre d' experts soulignent que ce futur
ministère est chargé de trop de fonctions et devrait en fait se concentrer sur
des objectifs plus précis .
L' inclusion de la Federal Emergency Management Agency (
FEMA ) , par exemple , dans les compétences de ce nouveau Secrétariat obligerait
ce dernier à intervenir dans des situations bien éloignées du terrorisme, comme
les feux de forêts ou les inondations .
Néanmoins, au-delà de ces dispositions techniques, l'
évolution en cours reste tout simplement dans le droit fil d' un fédéralisme dit
" politique ", fait de collaboration entre les niveaux de gouvernement, et que
la Cour Suprême avait reconnu comme le fonctionnement régulier des institutions
dans l' arrêt Garcia ( 1985 ) .
Si les mesures actuelles de l' équipe Bush sont certainement
en porte-à-faux par rapport à la jurisprudence plus récente de la Cour, elles
sont par contre en plein accord avec la pratique politique des républicains au
pouvoir .
L' équipe Bush Jr, comme les précédentes , n' hésite pas à
utiliser les potentialités de l' administration fédérale lorsque cela est rendu
nécessaire par les circonstances .
Ni Reagan, ni Bush Sr, ni Gingrich n' ont fait exception à
cette règle .
Bush Jr renoue, sans hésiter, avec cette pratique .
TITRE : Le contrôle de l'imagerie commerciale : après la campagne
d'Afghanistan
AUTEUR : LAURENCE NARDON
Introduction
Ce nouveau rapport du Centre français sur les Etats-Unis
fait suite à le policy paper sur " Le Contrôle de l' imagerie satellitaire, un
dilemme américain ", publié en septembre 2001, puis mis à jour dans une version
en anglais en mars 2002 .
L' objectif initial du présent rapport était de présenter
les résultats d' une étude menée par le National Security Council ( NSC ) sur le
contrôle de la diffusion de l' imagerie commerciale par le gouvernement
américain .
Lancée au printemps 2001, cette étude devait s' achever en
début de année 2002 .
Malheureusement, certaines difficultés structurelles et
conjoncturelles sont apparues et cette étude officielle n' a pas encore vu le
jour .
Le groupe de réflexion chargé de l ' étude était une
sous-commission particulière du Policy Coordinating Committee sur l' espace (
PCC-space ) créé par le NSC . Dans les faits, les efforts du NSC en matière
spatiale n' ont pas été suffisants .
L' autorité au sein des sous-groupes n' était pas clairement
attribuée au NSC . Ed Bolton, Director for Space au NSC sous l' autorité de
Frank Miller, n' était pas de rang suffisant pour imposer des compromis aux
différentes agences réunies dans le PCC-Space .
Surtout, les événements du 11 septembre ont axé les
priorités du gouvernement sur l' action et non sur la réflexion .
La campagne d' Afghanistan a entraîné des innovations
importantes dans les mécanismes de contrôle de la diffusion de l' imagerie .
Mais aucune réflexion d' ensemble n' est intervenue et la
situation est pour l' instant confuse .
des changements de personnel à la Maison Blanche vont
entraîner un recadrage dans les mois qui viennent .
Le buy-to-deny, une innovation d' octobre 2001
Le rejet du shutter control pendant l' opération
Enduring Freedom
A l' automne 2001, seule la compagnie Space Imaging
proposait des images à haute résolution sur le marché commercial .
Opérationnel depuis fin 1999, son satellite Ikonos
produit des images à un mètre de résolution en mode panchromatique et à 4
mètres de résolution en mode multispectral .
Au moment de entamer l' opération Enduring Freedom en
Afghanistan, l' administration Bush a voulu s' assurer que ces images ne
pouvaient tomber entre des mains hostiles, susceptibles d' en faire un usage
militaire .
A ce niveau de détail, les images pouvaient montrer par
exemple la mise en place de bases au sol américaines sur le territoire
afghan, le déplacement des troupes américaines sur le terrain, le degré de
visibilité des infrastructures Talibanes, etc ...
Quoique moins facilement avouable car touchant à la
censure, il était aussi important pour l' administration de contrôler l'
usage de l' imagerie par les médias .
Fin septembre 2001, Space Imaging était déjà en
pourparler avec CNN pour vendre à la chaîne d' information télévisée des
images des opérations .
Le gouvernement ne pouvait courir le risque de voir sa
politique commentée ou contestée avec des images, dont la charge
émotionnelle est souvent importante .
Depuis l' adoption de la directive PPD - 23 en 1994, l'
administration disposait d' un mécanisme pour interdire la diffusion d'
imagerie commerciale par les entreprises privées, en cas de crise .
Selon la directive, " le secrétaire au commerce peut
décider de limiter les opérations d' un satellite commercial, soit lorsque
le secrétaire à la défense estime que la sécurité nationale est en jeu, soit
lorsque le secrétaire d' Etat estime que des obligations internationales et
/ ou des politiques étrangères pourraient être compromises " .
L' opérateur du satellite doit alors limiter la prise de
vue au-dessus de le territoire concerné ou restreindre la distribution des
images .
Qui plus est, les communications entre le satellite et
ses stations de réception doivent rester accessibles au gouvernement .
Cette procédure dite de shutter control faisait l' objet
de critiques de la part de les médias .
Notamment, la formulation des conditions dans lesquelles
le shutter control pouvait être déclenché était beaucoup trop floue .
Selon la jurisprudence relative au Premier amendement à
la Constitution, qui garantit la liberté de la presse, il faut " un danger
clair et présent " ou " une menace sérieuse et imminente pour la sécurité
nationale " pour justifier une quelconque censure .
Depuis 1994, des associations de journalistes avaient
signalé leur intention d' intenter un procès au gouvernement dès la première
utilisation du shutter control, pour en obtenir la reformulation .
Les producteurs d' imagerie spatiale déploraient aussi
le choix du mécanisme de shutter control .
En cas de application, les entreprises étrangères
resteraient libres de vendre leurs images des zones en crise et opéreraient
sur un marché d' où la concurrence américaine aurait disparu .
Pour éviter toute complication, le gouvernement a donc
adopté une autre solution pour empêcher la diffusion de l' imagerie
commerciale .
Un accord commercial a été conclu entre la compagnie
Space Imaging et l' agence de renseignement responsable de l' imagerie ( la
National Imagery and Mapping Agency, NIMA ), accordant à cette dernière une
exclusivité sur les images prises de l' Afghanistan .
Rendu public le 18 octobre, l' accord a été signé le 5
octobre pour une durée de un mois .
Pour 1,9 millions de dollars, Space Imaging s' engage à
ne plus vendre d' images de ' Afghanistan et de la région ( Pakistan,
Ouzbékistan ) à d'autres clients que la NIMA . Chaque kilomètre carré imagé
est facturé 20 dollars et les commandes ne peuvent porter sur moins de
10.000 km à la fois .
L' accord a été renouvelé le 5 novembre pour un second
mois .
Après le 5 décembre, l' accord n' a pas été renouvelé .
La NIMA, redevenue un client comme les autres , a
poursuivi ses commandes sans clause d' exclusivité .
Pour le gouvernement, l' accord de buy-to-deny
présentait un certain nombre d' avantages par rapport à le shutter control .
Tout d'abord, l' entreprise d' imagerie concernée ne
pouvait plus se plaindre d' un manque à gagner, comme dans le cas de un
shutter control interdisant la production .
au contraire, elle a obtenu en deux mois une somme que
l' on peut estimer à 13.2 millions de dollars .
L' association Reporter Sans Frontières et l'
association américaine Radio-Television News Directors Association ( RTNDA )
sont plaintes pour leur part de la mesure adoptée .
Dans des lettres adressées à Donald Rumsfeld, et aux
responsables de la NIMA, elles ont comparé le buy-to-deny à de la censure .
Elles n' ont toutefois pas intenté de procès,
probablement parce que leurs chances de l' emporter étaient très minces dans
le contexte de l' opération Enduring Freedom .
D' un point de vue pratique, l' accord de buy-to-deny
était aussi plus facile à mettre en place que le shutter control .
Ce dernier implique au moins deux secrétaires : le
Secrétaire au commerce prend la décision sur la demande du Secrétaire à la
défense ou du Secrétaire d' Etat .
C' est une décision politique qui implique la
responsabilité du gouvernement .
La décision du buy-to-deny est en revanche une décision
commerciale et les négociations ont été discrètement menées par la NIMA
.
Enfin, le gouvernement a souligné la grande utilité des
images Ikonos pour les forces armées et les agences de renseignement
américaines .
Celles -ci peuvent les utiliser pour établir la
cartographie du territoire, dans le cadre de missions opérationnelles, ainsi
que pour communiquer plus facilement avec les forces alliées .
Les images commerciales ne sont pas classifiées et
peuvent être utilisées sans problème lors de briefings interalliés .
La NIMA résiste à la diffusion de l' imagerie
Ce que la presse a rapidement appelé l' accord de
buy-to-deny ( " acheter pour empêcher l' utilisation " ), la NIMA l' appelle
pour sa part l' accord de assured access, c' est-à-dire " d' accès assuré "
.
L' accord initial semblait inclure une clause d'
exclusivité à perpétuité sur les images achetées .
Il semble néanmoins que les images soient déjà
déclassifiées et versées aux archives de la compagnie .
Clients et chercheurs peuvent désormais consulter la
liste des images commandées par la NIMA à l' automne dernier .
Steven Livingstone , professeur à la School of Media and
Public Affairs de l' Université George Washington a analysé les images
commandées par la NIMA pendant les deux mois couverts par l' accord .
Du 5 octobre au 5 décembre, un total de 470 000 km
carrés d' imagerie a été acheté par la NIMA . Il s' avère que les images de
l' Afghanistan achetées par la NIMA correspondent bien aux zones de front
sur le territoire .
Semaine après semaine, elles suivent les mêmes
évolutions géographiques que les opérations armées .
Selon les conclusions de l' étude, il est possible que
la NIMA ait utilisé les images Ikonos pour dresser des cartes précises et à
jour des régions en cause .
L' administration ne disposait pas de cartes de tout le
territoire afghan et il fallait rapidement pallier ce manque .
La situation était la même en 1990, lors de les
préparatifs de l' opération Desert Storm .
Le Pentagone avait alors acheté des images Spot pour
établir des cartes du sud de ' Irak .
La NIMA a accompli cette mission en interne .
Lors de sa création en 1996, elle a l accueilli les
quelques 7000 employés de la Defense Mapping Agency ( DMA ) et l'une de ses
missions est la cartographie .
Mais l' utilisation de ces images par les forces armées
pour des missions opérationnelles semble avoir été plus difficile .
La presse s' est fait l' écho de difficultés dans l'
exploitation effective des images et notamment dans leur transmission aux
forces sur le terrain .
Conformément à l' accord conclu avec la NIMA, les images
de la zone en guerre prises par le satellite Ikonos ne pouvaient être
transmises à la station de réception installée par Space Imaging dans les
Emirats Arabes Unis ( à Abou Dhabi ) .
Elles devaient être reçues et traitées dans les
installations de la compagnie sur le territoire américain .
Elles étaient donc reçues dans le Colorado ( Denver ) et
en Alaska ( Fairbanks ) .
Elles étaient ensuite envoyées par e-mail et par
courrier spécial à la base aérienne de Bolling, à Washington, DC . Elles y
étaient archivées par la NIMA, sans doute après leur exploitation pour la
cartographie .
Dans un premier temps, le personnel de l' Air Force
désireux d' utiliser les images Space Imaging devait se rendre sur la base
de Bolling, copier les images sur des CD ou des disques durs d' ordinateurs
portables, puis envoyer ces données par avion en Arabie Saoudite, où elles
étaient réceptionnées sur la base de l' U.S . Air Force Prince Sultan .
Elles pouvaient alors être distribuées aux soldats de l'
Air Force dans une quinzaine de sites du théâtre d' opération .
Les livraisons de Bolling vers la base Prince Sultan
étaient effectuées une fois par semaine au début de le conflit .
C' est à ce moment -là qu' elles ont acquis le surnom de
Pony Express, du nom des courriers reçus par les pionniers du far West, au
XIXème siècle .
Elles ont ensuite été envoyées plus facilement par
satellite, notamment grâce à le Global Broadcast Service .
Il semble probable que la NIMA a eu des difficultés à
distribuer ce type de renseignement .
Il n' y avait pas de procédure en place pour organiser
la distribution ; les agents, qui manquent encore d'habitude face à ces
produits différents, entretiennent une certaine méfiance envers une source
d' approvisionnement qu' ils ne contrôlent pas totalement .
Au-delà de ces difficultés, certains responsables de l'
Air Force et de Space Imaging ont évoqué à mots couverts la mauvaise volonté
de la NIMA . L' agence de renseignement est avant tout soucieuse de
maintenir des programmes d' observation " nationaux " importants dans les
décennies à venir .
Or, plus les besoins servis par les entreprises
commerciales seront importants, plus les futurs programmes de satellites du
NRO pourront être réduits .
La NIMA a donc intérêt à restreindre l' accès des forces
armées à ' imagerie commerciale, afin que elles ne prennent pas l' habitude
d' utiliser ces nouveaux l produits .
Elle veut éviter que les crédits destinés à l'
acquisition de systèmes militaires soient consacrés à l'achat de produits
commerciaux .
Le rapport Rumsfeld de janvier 2001 évalue à 50 % les
besoins en renseignement de la NIMA qui pourraient être couverts par de l'
imagerie à 50 cm de résolution .
Le satellite QuickBird de l' entreprise DigitalGlobe ,
opérationnel à le printemps 2002 , annonce une résolution de 61 cm en mode
panchromatique .
La firme Space Imaging a reçu en décembre 2000 une
licence pour construire son prochain satellite avec une résolution de 50 cm
.
L' offre croissante d' imagerie à haute résolution
forcera sans doute la NIMA à s' adapter .
Les agences fédérales civiles, utilisatrices
concurrentes
Au-delà de la communauté du renseignement et des forces
armées américaines, les agences fédérales civiles font également usage d'
imagerie spatiale pour mener à bien leur mission .
Dans le cadre de une étude réalisée en 2001 pour le
Sénat, le Congressional Research Service a tenté d' évaluer l' ampleur de
leur recours à l' imagerie .
Sur un total de 19 agences ou ministères interrogés,
quinze de données issues de l' observation de la Terre , avec un usage très
important pour onze d' entre elles . quinze font usage de données issues de
l' observation de la Terre, avec un usage très important pour onze d' entre
elles .
Parmi les sources d' approvisionnement citées figurent
les systèmes gouvernementaux civils ( Nasa, NOAA, USGS ), les systèmes
commerciaux américains ( Space Imaging, OrbView ), et les systèmes étrangers
institutionnels et commerciaux ( Spot, IRS, ERS, Radarsat ) .
Les systèmes militaires américains sont plus rarement
utilisés, pour des raisons de classification .
Les agences fédérales civiles sont des utilisatrices
potentiellement importantes de l' imagerie commerciale .
Les budgets qu' elles consacrent à l'achat d' imagerie
commerciale sont difficiles à appréhender .
Pour certaines agences comme USAID, ou le Département d'
Etat, les budgets n' ont pu être reconstitués, car les fonds sont éparpillés
entre les différents utilisateurs et les types de dépense ( software,
personnel, images ) .
D'autres agences, comme le Département de l' énergie ,
ont un accès gratuit aux images de la Nasa et de la NOAA . Ces deux
dernières agences présentent à l' inverse des budgets surdimensionnés, qui
recouvrent la maintenance des systèmes de données, des infrastructures et
des stations-sol et certaines missions opérationnelles .
Certains autres budgets semblent plus prometteurs : le
Département de l' agriculture, par exemple, a dépensé 38.3 millions en
imagerie en 2000 et le Département des transports ( incluant les Coast Guard
) en a acheté pour 8 millions en 2001 .
Mais d'autres chiffres sont trompeurs .
Au sein du Département de la justice, l' Immigration and
Naturalisation Service ( INS ) a acquis pour 35 millions de dollars d'
imagerie en 2001 et a requis 55 millions pour 2002, mais il semble que ces
sommes soient consacrées à l'achat d' imagerie aérienne ( voir détail page
suivante ) .
Le total des budgets consacrés par les agences civiles à
l'achat d' imagerie spatiale commerciale semble donc peu élevé pour l'
instant .
Le rapport du Sénat mentionne quelques moyens d'
augmenter le recours à ce type de produit dans l' avenir .
Il recommande par exemple la mise en place de centres de
commande d' imagerie uniques au sein de chaque l' administration, afin de
obtenir des prix et des services meilleurs de la part de les fournisseurs ;
des investissements communs dans le software et dans la formation à l'
interprétation des images ; la possibilité d' acquérir une licence d'
exploitation des images valable pour l' administration entière, afin que les
agences fédérales puissent se communiquer les images entre elles .
Plus l' usage de l' imagerie commerciale se répandra
dans l' administration, plus il sera difficile pour la NIMA et le NRO de
justifier la non utilisation de ces données .
Le buy-to-deny n' est pas une solution de long
terme
L' accord d' octobre 2001 est une innovation judicieuse
.
Il n' est pas sûr qu' il pourra être renouvelé dans le
futur .
Le nombre de fournisseurs américains et étrangers d'
imagerie doit s' accroître dans les prochaines années .
La NIMA ne peut adopter comme mécanisme de sécurité l'
achat toutes les images dangereuses .
Pendant la campagne d' Afghanistan, seul le satellite
Ikonos 2 produisait des images à haute résolution, avec des images optiques
à 1 mètre et des images multispectrales à 4 mètres .
Lors de une prochaine crise internationale, la NIMA
pourrait avoir à acheter la production du satellite QuickBird 2 de
DigitalGlobe, ( opérationnel au printemps 2002, résolutions de 61 cm en mode
panchromatique et 2,44 mètres en mode multispectral ), du satellite OrbView
3 d' Orbimage ( lancement prévu en 2003, résolutions de un mètre en mode
panchromatique et 4 mètres en mode multispectral ) et d' Ikonos 3 (
lancement prévu en 2004, 50 cm de résolution en mode panchromatique ) .
L' achat de toutes les images produites serait sans
doute coûteux et aléatoire .
Quant à les entreprises étrangères, quel que soient leur
nombre et la résolution de leurs images, il est peu probable qu' elles
acceptent les propositions d' achat exclusif d' une agence de renseignement
américaine comme la NIMA .
Le buy-to-deny a été une solution de court terme .
De l' aveu des responsables de ' actuelle
administration, il n' est pas non plus pensable de revenir au shutter
control .
L' administration doit donc maintenant s' attacher à
trouver un nouveau mécanisme de contrôle .
Vers la formulation d' une nouvelle politique ?
des cadres plus motivés à la Maison Blanche
Les premiers mois de l' administration Bush ont vu un
désengagement de la Maison Blanche sur les questions spatiales, attribuées
au Pentagone .
Le National Security Council ( NSC ) a nommé une seule
personne en charge de ces questions .
Edward Bolton , lieutenant-général de l' armée de l' Air
, résumait sa mission en soulignant que l' espace n' était pas la priorité
du gouvernement Bush, que ce soit avant ou après le 11 septembre .
Les groupes de travail dépendants de le PCC-Space n' ont
pas été très dynamiques .
Certains n' ont pas été réunis une seule fois .
En avril 2002, Gil Klinger a remplacé Ed Bolton au poste
de Director for Space .
Gil Klinger est un responsable de niveau plus élevé .
Il a été Deputy Under Secretary of Defense for Space
lors de la création de cette fonction en 1994 .
Ce poste a été supprimé en 1998 et remplacé par un
Assistant Secretary of Defense for Space ( qui chapeaute un " Directorat
pour l' espace " ) .
Gil Klinger a alors été nommé Director for Policy au
National Reconnaissance Office, poste qu' il a conservé jusqu' en 2002
.
Gil Klinger est doté d' une forte personnalité .
Il a été appelé à la Maison Blanche par le Senior
Director for Defense and Arms Control Frank Miller, pour reprendre en main
le dossier espace .
Parmi les thèmes dont il doit s' occuper en premier
figurent le contrôle de l' imagerie, mais aussi le marché des lanceurs, le
contrôle des exportations et le dialogue avec les pays étrangers .
Il compte réaffirmer l' autorité de la Maison Blanche
face à les autres entités administratives .
L' OSTP, la NOAA , le bureau de les exportations ( BXA )
et les autres agences qui participent à les groupes de travail de le
PCC-Space devront sans doute à nouveau accepter l' autorité du NSC . Sous la
conduite plus énergique de Gil Klinger, les groupes de réflexion pourront s'
attaquer au problème des risques liés à la diffusion d' imagerie commerciale
à haute résolution .
Les solutions envisagées par l' administration
Autoriser la distribution de l' imagerie à un mètre de
résolution sur le marché est un risque que l' administration a pris
consciemment en 1994 .
Les concurrents étrangers semblaient se diriger de toute
manière vers la production de ce type d' imagerie et les Etats-Unis
souhaitaient prendre les devants .
Il faut maintenant gérer les risques associés à '
ouverture de cette " boîte de Pandore " .
Kevin O'Connell , senior analyst sur les questions d'
imagerie spatiale à la Rand Corporation , a une opinion tranchée sur la
question .
Selon lui, il est inutile de s' acharner à contrôler la
diffusion de l' imagerie commerciale en cas de crise, car ' apparition de
fournisseurs étrangers rendra ces tentatives de plus en plus illusoires .
Tout l en précisant qu' il faut conserver les
possibilités juridiques de restrictions, Kevin O'Connell propose de faire
porter les efforts sur la sécurisation en aval .
La Maison Blanche rejoint Kevin O'Connell dans l' idée
que le contrôle par l' administration américaine ne restera plus étanche
très longtemps .
Elle souhaite concentrer ses efforts sur la réponse à
apporter aux situations où l' ennemi dispose d' imagerie métrique .
Elle n' abandonne pas totalement l' idée du contrôle,
mais le situe dans une perspective en amont plus globale .
A un stade très peu abouti de la réflexion des
responsables, quelques éléments concrets sont mentionnés pour une nouvelle
approche du problème .
Préparer la réponse en cas de diffusion d' imagerie
métrique
Acceptant l' idée que l' ennemi ou la presse
disposeront d' imagerie à haute résolution lors de futures opérations,
le gouvernement doit mettre au point de les réponses appropriées .
Les campagnes militaires
Pour préparer la défense des troupes lors de
opérations extérieures, le Département de la Défense devra organiser
des exercices militaires spécifiques .
des scénarios dans lesquels l' ennemi disposera
, lui aussi , d' imagerie à un mètre de résolution , montreront à
quels dangers supplémentaires les troupes sont exposées et quelles
solutions peuvent être apportées .
L' idée de prendre de vitesse les forces
ennemies dans l' obtention et l' exploitation de l' imagerie
figurera sans aucun doute dans les enseignements tirés de ces
exercices .
L' imagerie doit parvenir plus vite aux forces
américaines qu' aux forces ennemies .
Elle doit aussi être mieux interprétée .
Lors de une opération de type Enduring Freedom,
il faudrait par exemple que le satellite Ikonos transmette
directement les données à la station de réception SpaceImaging
située dans les Emirats Arabes Unis, que les meilleurs logiciels et
photo-interprètes l' interprètent rapidement, et que les
informations soient aussitôt envoyées aux troupes sur le terrain .
Le délai total ne devrait pas excéder 24 heures
.
Il est probable que les forces ennemies ne
pourraient obtenir l' imagerie aussi rapidement et ne sauraient pas
l' exploiter aussi bien .
La diffusion d' imagerie auprès de elles serait
moins dangereuse dans ces conditions .
La sécurité du territoire
L' Office of Homeland Security, à la Maison
Blanche doit coordonner la réflexion en ce qui concerne la sécurité
intérieure .
La préparation consistera à voir quelle
information opérationnelle l' imagerie métrique peut apporter pour
préparer une action hostile sur le territoire américain .
Il faudra par exemple recenser les cibles
potentielles aux Etats-Unis : aéroports, centrales nucléaires, bases
militaires, réservoirs d' eau potable ...
Leur sécurisation passe par le camouflage et /
ou le renforcement des structures, la révision des droits d' accès
aux installations, la restriction des droits de survol et une mise
en alerte des forces aériennes .
Les médias et les ONG
L' accès des médias à les images est un autre
problème .
La presse ou les ONG vérificatrices ( comme par
exemple GlobalSecurity.com , dirigée par John Pike ) peuvent
questionner la politique du gouvernement sur la base de images
accusatrices .
La prévention de ce risque très spécifique est
délicate .
Le gouvernement américain peut soit engager un
dialogue avec les médias américains, soit exercer un droit de
censure et de saisie .
Mais cette seconde défense est illusoire .
La transmission de l' information est devenue
aujourd'hui trop rapide pour que les autorités fédérales puissent
agir à temps ; l' internet et les médias étrangers restent quant à
eux difficilement contrôlables .
Pour l' instant, le manque de fournisseurs d'
imagerie métrique et la loyauté des médias américains fournissent un
garde-fou .
Mais il n' y a pas de solution claire au
problème qui risque de se poser dans l' avenir .
Un contrôle plus en amont
L' administration doit étudier une nouvelle méthode
de contrôle de la diffusion de l' imagerie .
Celle -ci ne passera plus par l' interdiction de
produire ou l' acquisition de droits d' exclusivité .
Il lui faut sans doute exercer une influence très en
amont sur la production .
Repenser les fondements de la relation entre l'
état fédéral et les entreprises d' imagerie commerciale
Les entreprises survivent à l'heure actuelle
grâce à les achats institutionnels .
Mais ceux -ci trop limités pour permettre aux
entreprises de décoller .
Compte-tenu de les besoins en imagerie qui
peuvent être couverts par ces entreprises et leurs systèmes , le
gouvernement semble envisager d' accroître sensiblement le volume de
ses achats, afin de mener ces entreprises à une sorte de prospérité
.
La direction de la NIMA a mentionné une nouvelle
Commercial Imagery Strategy ( dite CIS 2001 ), qui remplacerait la
CIS de 1998 .
Elle mettrait en place une " nouvelle alliance
stratégique " fondée sur plusieurs éléments : la planification à
l'avance des achats d' imagerie commerciale par la NIMA, pour
permettre aux entreprises d' investir dans leurs systèmes futurs ;
le transfert d' exigences de plus en plus raffinées, notamment le
traitement de l' information, vers le secteur privé .
Le NRO serait soulagé d' une partie de ses
missions en résolution métrique et basse .
Il faut pour cela que la NIMA obtienne des fonds
très importants du Congrès .
L' application des CIS précédentes a montré que
les parlementaires américains ne votaient toujours les budgets
demandés pour l' achat d' imagerie commerciale par les agences de
renseignement .
Pour que la nouvelle architecture fonctionne, il
faut aussi que le personnel de la NIMA accepte d' utiliser et de
diffuser effectivement l' imagerie commerciale auprès de l' ensemble
des forces .
L' expérience de l' opération Enduring Freedom a
montré que certains officiers de renseignement préfèrent conserver
les financements pour leurs propres systèmes et résistent à l'
évolution en cours .
A terme, l' application de la CIS 2001
signifierait que les entreprises d' imagerie commerciale américaines
seraient très fortement intégrées dans l' architecture de
renseignement fédérale .
Il leur deviendrait difficile de désobéir aux
souhaits du gouvernement en cas de crise .
Le gouvernement bénéficierait d' un droit d'
exclusivité implicite .
il il parvient à se mettre en place, un tel
système serait l' objet de critiques : l' exclusivité
gouvernementale irait à l'encontre des principes de l' ONU de 1986,
selon lesquels un pays observé par un système commercial doit
pouvoir acheter les images en question .
Ce serait aussi la fin durable des efforts des
entreprises pour se développer sur un marché civil et privé .
Les entreprises américaines n' auraient plus de
commercial que le nom et constitueraient en réalité un système
para-public .
Un dialogue avec les pays étrangers producteurs
d' imagerie
Le Département d' Etat aura la responsabilité d'
entamer des discussions avec les pays qui possèdent des systèmes
commerciaux .
Selon la Maison Blanche, l' harmonisation des
méthodes de contrôle semble un objectif très ambitieux à ce stade :
la plupart des pays producteurs n' ont pas encore de système de
contrôle particulier .
Les images vendues par les entreprises non
américaines restent de résolution plus grossière et présentent pour
l' instant moins de danger en termes de sécurité .
Lors de la campagne d' Afghanistan, par exemple,
Spot Image a reçu peu de commandes de la presse, car les images
disponibles ( Spot 1, 2 et 4, résolution de 10 mètres en mode
panchromatique ) n' étaient finalement pas assez parlantes pour le
public .
C' est pour cette raison que l' entreprise
française se contente actuellement de respecter les décisions de l'
ONU . Il peut s' agir d' embargos, comme celui qui s' applique à l'
Irak, mais surtout des résolutions plus spécifiques de 1986 sur l'
imagerie .
En accord avec ces résolutions, Spot Image
garantit l' accès des pays observés aux photographies prises, dans
des délais et pour un prix raisonnable .
Le gouvernement français n' a pas adopté pour l'
instant de mécanisme de contrôle plus strict .
Mais les satellites commerciaux non américains
progressent eux aussi vers des résolutions plus fines, aux alentours
de deux mètres .
Le satellite israélien Eros s' approche de la
résolution métrique avec une résolution de 1,8 mètres .
Spot 5 , qui vient d' être lancé , présente une
résolution de 2,5 mètres .
Rocsat pour la Corée et Alos pour le Japon ,
dont les lancements sont prévus pour 2003 et 2004 respectivement ,
auront tous les deux une résolution proche de 2 mètres en mode
panchromatique .
La compagnie russe SovinformSpoutnik semble
posséder actuellement un système opérationnel d' une résolution de 2
mètres .
L' Inde prévoit le lancement du satellite de
cartographie IRS-P5 pour 2002-2003 .
L' intérêt de l' imagerie à deux mètres reste
plus limitée pour des utilisateurs hostiles ou pour les médias
.
Si son système de satellites à résolution
métrique Pléiades est déployé dans la seconde partie de la décennie,
Spot Image proposera alors des images potentiellement plus
dangereuses .
Les débats interministériels déjà entamés en
France devront alors aboutir à l' adoption d' une politique de
contrôle plus stricte .
La coordination de ces futurs mécanismes de
contrôle avec ceux qui existeront à les Etats-Unis reste à inventer
.
Dans les situations de crise internationale
post-guerre froide, la France, de même que la Russie et Israël ,
sont le plus souvent dans le même camp que les Etats-Unis .
Un dialogue informatif et préparatoire doit être
dès à présent entamé .
Le Département d' Etat fera connaître ses
positions et ses vulnérabilités, puis appréhendera la manière dont
les administrations étrangères envisagent d' éventuels contrôles
.
Une partie de ce dialogue portera sur la réforme
possible des procédures de contrôle des exportations de matériel
sensible américain .
Les restrictions ne doivent plus être simplement
fondées sur la résolution des images, mais pourraient prendre en
compte les alliés destinataires des exportations et la nature des
technologies considérées .
Il devrait être possible de négocier une
harmonisation des attitudes des pays alliés en cas de crise .
Ceci ne sera pas forcément vrai pour des pays
comme la Chine ou l' Inde .
Le contrôle des systèmes commerciaux étrangers
doit donc aussi pouvoir reposer, en fin de compte, et selon la
gravité du danger ressenti par les Etats-Unis, sur des systèmes
militaires .
En conclusion, l' évolution qui se dessine
semble constituer une certaine reformulation du concept d'
information dominance .
Ce concept élaboré dans les années 1990 a été
largement adopté par le Pentagone sous l' administration Clinton .
Il prévoit la maîtrise de l' information,
notamment spatiale et commerciale, dans un but de domination
militaire :
Information dominance may be defined as
superiority in the generation, manipulation, and use of information
sufficient to afford its possessors military dominance . "
Un élément important de l' information dominance
est la possibilité d' entraver l' accès de l' ennemi à l'
information .
au lendemain de l' opération Enduring Freedom,
l' administration Bush repense son approche .
Elle doit accepter la possible diffusion de l'
imagerie spatiale .
Les solutions explorées passent par un dialogue
très en amont avec les producteurs américains et étrangers, une
utilisation de l' imagerie meilleure et plus rapide que l' ennemi
pendant les crises, la préparation dès à présent des ripostes à la
diffusion de l' imagerie .
TITRE : L'administration Bush et l'espace : Militarisation, gestion et
coopération
AUTEUR : LAURENCE NARDON
Introduction : l' espace de Bush est militaire
Avec l' arrivée au pouvoir de l' administration Bush, l'
espace change de nature .
La précédente administration avait privilégié une approche
industrielle des questions spatiales .
Au sein de la Maison blanche, le National Economic Council
avait produit un certain nombre de directives facilitant les avancées
commerciales des entreprises américaines ( observation, navigation, lanceurs )
.
L' espace de Bush est au contraire un dossier militaire .
Donald Rumsfeld a des projets ambitieux en la matière, qui
impliquent une réorganisation de l' Air Force, ainsi que des programmes
militaires plus avancés .
Les secteurs spatiaux civils et industriels risquent de
souffrir de cette évolution .
La Nasa entre dans une période de remise en question .
Son nouvel administrateur reçoit l' appui de la Maison
Blanche pour remettre de l' ordre dans le mode de financement de ses programmes
.
Les industriels, pour leur part , n' obtiendront sans doute
pas un assouplissement de la procédure d' exportation des satellites de
télécommunication .
Les premiers mois de l' administration Bush avaient vu un
désengagement de la Maison Blanche sur le dossier spatial, délégué au secrétaire
à la défense .
Mais cette attitude est en train de se modifier, avec un
changement du personnel chargé de ces questions au sein de le NSC et de l' OSTP
.
Alors que l' Europe progresse dans le domaine spatial, avec
l' accroissement des compétences de l' Union ou le lancement du programme
Galileo, il est particulièrement important de suivre les évolutions de la
politique spatiale américaine .
Celles -ci ont un impact direct sur l' effort spatial
européen :
La réévaluation par la Nasa de le programme de station
spatiale internationale pourrait nous permettre de réduire notre
contribution à ce programme ;
Les avancées du programme de futur lanceur de la Nasa et
de l' Air Force intéressent les concurrents européens sur le marché des
lanceurs, notamment dans l' hypothèse de négociations sur l' évolution du
marché mondial ;
Le maintien des strictes procédures d' exportation de
satellites aura, elle aussi, des conséquences pour tous les industriels du
secteur en Europe ;
L' absence probable de grands partenariats industriels
transatlantiques dans le futur proche continue à modeler une base
industrielle strictement européenne ;
Enfin, l' Europe sans doute sa place dans le débat qui
émerge sur le déploiement d' armements en orbite .
PRIORITE AU SPATIAL MILITAIRE
Après le rapport Rumsfeld, les réorganisations en cours
Les affaires spatiales à les Etats-Unis sont affectées
par une réorganisation institutionnelle, qui trouve son origine dans les
propositions d' une récente Commission parlementaire .
L' actuel secrétaire à la défense Donald Rumsfeld a
présidé, pendant les derniers mois de l' Administration Clinton, une
commission indépendante chargée par le Congrès d' évaluer l' efficacité des
structures de gestion des questions relatives à l' espace militaire (
Commission to Assess United States National Security Space Management and
Organisation ) .
Le rapport final de cette Commission , publié en janvier
2001 , proposait le développement de capacités de défense active des moyens
spatiaux ( armes anti satellites ), ainsi que des modifications
institutionnelles assez radicales visant à donner une plus grande importance
au domaine spatial .
Le secrétaire à la défense s' est efforcé de mettre en
oeuvre les propositions de sa Commission .
Les remaniements proposés affectaient la présidence, le
Pentagone et l' Armée de l' Air .
Certains ont été adoptés ou sont en cours de adoption ;
d'autres ne sont pas repris .
Les spaceniks du Pentagone
En ce qui concerne le Département de la Défense, les
grands axes du rapport Rumsfeld visant à développer l' espace militaire
sont adoptés .
Seules quelques modalités diffèrent de celles qui
étaient précisément édictées dans le texte de janvier 2001 .
Donald Rumsfeld a obtenu la confirmation d' un
certain nombre de personnes dotées d' une grande expérience des
questions spatiales au plus haut niveau de son ministère ( au sein de l'
Office of the Secretary of Defense - OSD ), de l' état-major interarmées
et de l' Air Force .
Cela confirme son intention de renforcer l'
importance de l' espace dans les affaires militaires .
Edward " Pete " Aldridge, Undersecretary for
Acquisition, Technology and Logistics .
Pete Aldridge possède une grande expérience des
questions spatiales, à travers sa carrière dans l' industrie
aéronautique ( CEO d' Aerospace Corporation 1992-2001, président de
McDonnel Douglas Electronic Systems de 1988 à 1992 ) et au Pentagone
( secrétaire de l' Air Force de 1986 à 1988 ) .
Il a suivi des entraînements d' astronaute, pour
prendre part à des missions sur Challenger - annulées après l'
accident de 1986 .
Steve Cambone , Principal Deputy Under Secretary
for Policy , a été le secrétaire de la Commission Rumsfeld sur le
réaménagement des structures spatiales .
Le général Richard Myers a été nommé à la tête
de l' état-major interarmées ( chairman of the joint chiefs of staff
) en octobre 2001 .
D ' août 1998 à février 2000 , il avait été
Commandant-en-chef du North American Aerospace Defense Command (
NORAD ) et du U.S. Space Command, et Commandant du Air Force Space
Command .
Il a ensuite été vice-chairman de l' état-major
interarmées .
Peter Teets a été confirmé au poste de
Undersecretary of the Air Force le 7 décembre 2001 .
M. Teets a abordé les questions spatiales sous
un angle industriel dans sa carrière .
Il est entré chez Martin Marietta Space en 1963
et en était président lors de la fusion avec Lockheed en 1995 .
Il a ensuite été PDG de la division "
Information et Services " de Lockheed Martin ( 1995-1997 ) puis PDG
de Lockheed Martin de 1997 à 1999 .
Compte tenu de la présence de nombreux spaceniks ( "
fous de l' espace " ) dans ces postes hauts placés, l'une des
recommandations du rapport Rumsfeld est devenue inutile : le poste d'
Assistant Secretary for C3, devait être transformé en Under Secretary
for Space Intelligence and Information .
Un Under Secretary est hiérarchiquement supérieur à
un Assistant Secretary .
Ce nouvel Under Secretary aurait disposé de plus de
moyens, de personnel et d' autorité pour traiter des questions de sa
compétence .
Dans la situation actuelle, il a semblé inutile de
bouleverser l' organigramme, puisque Pete Aldridge ou Steve Cambone
suivent de très près ces questions .
Un intérêt plus affirmé pour les questions spatiales
au sein de le Département de la Défense pourrait avoir un impact sur
celles -ci, au-delà de leurs aspects militaires .
Le Pentagone a un avis à rendre sur les relations
commerciales des Etats-Unis lorsqu' elles portent sur des matériels
militaires ou à usage dual .
Depuis le milieu des années 1990, les responsables
militaires se déclarent dans l' ensemble favorables à un assouplissement
des contrôles d' exportations .
Ils pourraient soutenir plus activement les demandes
de licences d' exportation de matériel spatial déposées par les
industriels auprès de le Département du Commerce ou du Département d'
Etat .
Un nouveau rôle pour l' Air Force
L' armée de l' Air revendique depuis les années
soixante un rôle prépondérant en matière spatiale .
Elle juge que la contiguïté de l' espace aérien et
de l' espace extra-atmosphérique fait naturellement des programmes
spatiaux - et des importants budgets qui y sont attachés -, une de ses
prérogatives .
L' armée de terre et la Navy ont évidemment des vues
opposées .
Or, les propositions que Donald Rumsfeld veut voir
appliquées donneront un avantage définitif à l' Air Force .
Le secrétaire à la défense a annoncé des changements
à l' automne 2001 .
Dans un mémorandum adressé aux responsables du
Département et des services armés, ainsi que au directeur de la CIA, il
annonce une nouvelle répartition des rôles en matière spatiale parmi les
différentes armes .
Pete Aldridge ( Under Secretary for Acquisition ) et
David Chu ( Under Secretary for Personnel and Readiness ) doivent mettre
en route cette réorganisation, qui reprend les grandes lignes du rapport
de la commission Rumsfeld .
L' Air Force doit devenir l' agent exécutif pour l'
espace au sein de le Département de la Défense .
James Roche , le secrétaire de l' Air Force , sera
responsable de la planification, de la programmation et de l'
acquisition des systèmes spatiaux militaires .
L' Under Secretary of the Air Force Peter Teets
devient responsable des acquisitions spatiales de l' Air Force et
autorité de référence pour les acquisitions spatiales de tout le
Pentagone .
Sa fonction est jointe à celle de directeur du
National Reconnaissance Office ( NRO ) .
Le NRO acquiert et opère les satellites d'
observation militaires .
Les demandes programmatiques du NRO seront donc
relayées au plus haut niveau de l' Air Force par l' Under Secretary
Peter Teets .
Cette évolution va sûrement faire naître des
controverses, car elle fait apparaître une deuxième voie pour l'
acquisition des matériels .
L' Under Secretary for Acquisition Aldridge sera
responsable des grands programmes du Département ( navires, avions,
nucléaire, ... ), mais tous les programmes de satellites ou de lanceur
seront du ressort du secrétaire de l' Air Force .
L' Air Force pourra faire approuver par son
secrétaire ses propres requêtes programmatiques spatiales .
On peut se demander si ce système est très
raisonnable .
Par ailleurs, la nomination d' un général de niveau
quatre étoiles à la tête de le U.S. Air Force Space Command est adoptée
.
Ce général ne sera plus chargé en même temps de la
direction du NORAD et du U.S. Space Command .
Cette décision suit les recommandations du précédent
titulaire de ce poste, le général Eberhart, qui avait déclaré avoir du
mal à assurer les trois fonctions en même temps .
Le général Lord est à ce poste en avril 2002 .
Ce général de niveau 4 étoiles a eu la
responsabilité du pas de tir militaire de Vandenberg ( Californie ) de
1993 à 1995, mais son expérience des questions spatiales reste à part
cela limitée .
Il n' y a pas longtemps que l' Air Force dirige
systématiquement certains officiers vers les responsabilités et les
expériences spatiales .
Ces " space cadets " n' ont pas encore atteint le
rang de général à 3 ou 4 étoiles .
Il a donc été difficile de trouver un général de
niveau 4 étoiles pour remplir le poste de U.S. Air Force Commander
.
L' Air Force est satisfaite de ces évolutions, qui
consacrent sa prééminence en matière spatiale .
Mais elle se trouve désormais dans une position
délicate .
Elle s' oppose bien sûr à toute évolution vers la
création d' un corps spatial autonome .
La formation d' une cinquième arme dédiée à l'
espace affaiblirait considérablement l' Air Force .
Elle devra donner aux programmes spatiaux militaires
toute la place que Rumsfeld souhaite leur voir prendre, sans toutefois
qu' ils acquièrent une importance telle que l' idée d' un space corps
indépendant s' impose .
Le secrétaire à l' Air Force James Roche a fait
carrière dans la Navy avant de devenir staffer au Sénat ( au Armed
Services Committee ), puis de travailler chez Northrop Grumman .
Le poste de secrétaire d' une arme est un poste
civil .
Il n' est pas rare qu' un civil ou un militaire d'
une autre arme y soit nommé .
Il reste à voir comment cet ancien marin appliquera
les directives de Donald Rumsfeld au profit de l' Air Force .
Changement d' attitude de la Maison Blanche
Le rapport Rumsfeld proposait que la Maison Blanche
donne une plus grande priorité aux questions spatiales .
Cette direction n' a pas été adoptée au départ, mais
la situation évolue au printemps 2002 .
Les décisions impliquant directement le
président ne sont pas retenues
La commission Rumsfeld proposait que l' espace
soit élevé au rang de " priorité nationale " par le président .
Ceci n' a pas été fait .
De même, le projet de création d' un
Presidential Space Advisory Group n' est pas repris .
Ce groupe de conseillers de très haut vol aurait
compté des membres de la communauté scientifique civile, des chefs
d' entreprises aéronautiques et spatiales, et des conseillers
militaires .
Il se serait réuni à la demande du président
pour se prononcer sur les politiques spatiales aussi bien civiles
que militaires, commerciales que scientifiques .
Ce groupe n' aurait pas fait partie du
gouvernement, à proprement parler .
En cela, il différait du National Space Council,
qui a existé de 1958 à 1973, puis de 1988 à 1993 .
Ce conseil, qui était placé à le même niveau de
l' exécutif , avait une existence plus formelle et un large pouvoir
de décision .
Le président a jugé que ces évolutions n'
étaient pas indispensables .
Les questions spatiales, qu' elles soient
civiles , militaires ou économiques , ne sont pas une priorité au
plus haut niveau de l' exécutif .
Le NSC modifie son attitude
Selon les conclusions de la Commission Rumsfeld,
une cellule spatiale plus importante devait être rassemblée au sein
de le National Security Council .
Mais l' ancien système, dans lequel une seule
personne , placée sous l' autorité de le Senior Director for Defense
Policy and Arms Control , s' occupe de l' espace au sein de le NSC ,
a prévalu .
des groupes de travail interministériels , dits
Policy Coordinating Committees ( PCC ) , sont organisés sous l'égide
de le NSC . Un PCC sur l' espace a commencé à se réunir au printemps
2001 .
Il a initié une cellule de réflexion sur le
contrôle de l' imagerie spatiale commerciale par le gouvernement,
une deuxième sur la question de l' attribution des fréquences radio,
et une troisième sur l' avenir du transport spatial .
Mais ces groupes semblent pour l' instant peu
actifs .
L' autorité au sein de chaque cellule de
réflexion a été déléguée à des agences extérieures : Nasa, NIMA, etc
.
Ceci n' est pas très efficace lorsqu' il s' agit
d' amener des agences gouvernementales aux intérêts structurellement
contradictoires à atteindre un compromis .
Selon Jefferson Hofgard ( Boeing ), attribuer
systématiquement l' autorité à le NSC est le seul moyen de forcer l'
ensemble des participants à se mettre d' accord .
Il semble que au printemps 2002, la décision de
modifier la situation ait été prise .
Le Director for Space , Ed Bolton , peu
dynamique et de rang modeste ( lieutenant colonel ) vient d' être
remplacé par Gill Klinger .
Ce dernier, déjà en poste à le Pentagone sous
Clinton , est plus senior .
Il est connu pour sa force de caractère et
tiendra sans doute à reprendre l' autorité sur les sous-groups du
PCC-espace .
Pour les autres cellules de la Maison
Blanche, on note les évolutions suivantes :
Le rôle des conseillers économiques devrait
être moindre dans la formulation de la politique spatiale que
dans les années précédentes .
Sous l' Administration Clinton_NEW_ les
questions spatiales ont souvent été traitées sous un angle
économique ( imposition de standards techniques, choix des
politiques d' exportation, décisions sur la navigation et sur l'
observation commerciale ) et les responsables du National
Economic Council avaient une forte influence dans les décisions
.
Désormais, l' espace est vu sous un angle
plus clairement militaire .
L' Office of Scientific and Technology
Policy ( OSTP ) conserve son rôle d' encadrement des décisions
relatives à la Nasa .
Le poste d' assistant du Directeur pour les
questions " Espace et Aéronautique " est actuellement vacant .
Scott Pace , nommé par Bush , vient de
quitter ces fonctions pour rejoindre le bureau de l'
administrateur de la Nasa .
Comme pour le NSC, la pratique de la nouvelle
administration a été jusqu'à présent de ne pas faire présider par l'
OSTP les groupes de réflexion auxquels il participe .
Il est possible que le départ de Scott Pace ait
à voir avec ce mode de fonctionnement peu efficace .
Les programmes spatiaux militaires pour 2003
Dans le cadre de la réorganisation de ses services,
Donald Rumsfeld a également lancé des réformes favorables à une
meilleure gestion des programmes spatiaux militaires .
Dov Zakheim , Comptroller de le Pentagone , est
ainsi chargé d' établir un budget et un système de comptabilité
regroupant l' ensemble des programmes spatiaux du Pentagone et des
services de renseignement, afin que les ressources allouées soient plus
visibles .
Jusqu'à présent, les lignes budgétaires relatives à
ces programmes étaient éparpillées et partiellement classifiées (
notamment celles qui sont relatives aux systèmes d' observation du
National Reconnaissance Office - NRO ), ce qui en rendait la lecture
très difficile .
Comme on l' a vu, les programmes spatiaux de l' Air
Force et du NRO vont être gérés par une seule et même personne .
En effet, les postes de directeur du NRO et de Under
Secretary of the Air Force sont désormais confié à une même personne (
Peter Teets ) .
Cela permettra d' aligner l' ensemble des programmes
et de mettre en commun leurs éventuels gains de productivité .
Peter Teets a été nommé à ces deux postes .
Il faudra voir, en pratique, comment les deux voies
d' acquisition de matériel ( spatial à travers Peter Teets et non
spatial à travers Pete Aldridge ), pourront fonctionner sans heurts
.
des instructions proprement programmatiques sont
également données par le secrétaire à la défense .
Le sous-secrétaire pour l' acquisition Pete Aldridge
doit préparer des instructions précises pour la Defense Advanced
Research Project Agency ( DARPA ) et pour les laboratoires des
différentes armes .
Ces derniers sont chargés d' entreprendre des
recherches et d' effectuer des démonstrations de systèmes et de
technologies innovantes, répondant à des missions spatiales militaires
spécifiques ( dedicated ) .
Celles -ci doivent pouvoir être " offensives et
défensives ", le cas échéant .
Certains chiffres apparaissent dans le projet de budget
pour 2003, présenté par la Maison Blanche le 4 février 2002 .
Ils vont être discutés et modifiés par le Congrès avant
d' être votés en fin d' année .
Les chiffres présentés ici ne sont donc pas définitifs
.
Le programme de défense anti missile
Le programme de défense anti missile ( MD ) reçoit
7.5 milliards de dollars dans le projet de budget pour 2003 .
Il s' agit là du montant destiné à la composante sol
de l' architecture MD ( stations radar et systèmes de missiles au sol,
comme par exemple les installations en Alaska ) et à sa composante
espace SBIRS-Low .
Le système SBIRS-Low sera formé d' une constellation
de missiles en orbite basse, chargée de faire du suivi au sol d' objets
froids ( cold objects tracking ), de l' intelligence électronique, et du
renseignement situationnel lors de les conflits ( battle space awareness
) .
Ces deux parties de l' architecture anti missile
sont gérées par la nouvelle Missile Defense Agency ( MDA ), qui remplace
l' ancienne BMDO .
La troisième partie du système de MD est le
programme SBIRS-High, qui verra le déploiement de satellites
géostationnaires chargés de l' alerte avancée .
Cette partie du programme, qui remplacera le système
actuel DSP, est gérée par l' Air Force et non par la MDA . Elle reçoit
815 millions de dollars dans le budget 2003 et son coût total est évalué
à 4.5 milliards de dollars .
Un effort de R & D sur la militarisation de
l' espace
En ce qui concerne les programmes spatiaux hors MD,
il est difficile de faire le point des financements proposés à l'heure
actuelle, car les lignes budgétaires restent éparpillées et le plus
souvent non identifiables dans le projet de budget de la Maison Blanche
.
Par exemple, les termes " special projects " ou "
Technology development " , dans le budget de l' Air Force , peuvent
désigner un programme de brouillage des télécommunications .
Le regroupement des budgets prévu par le nouveau
secrétaire à la défense apportera une amélioration de cet état de fait,
mais il n' est pas sûr que les données seront déclassifiées .
Les débats dans les Commissions des forces armées de
le Sénat et de la Chambre feront sans doute apparaître des précisions en
cours de année .
On cite le chiffre de 1 milliard de dollars
supplémentaire pour les programmes spatiaux, demandé cette année par
rapport à le projet 2002, ce qui amènerait le montant total à 8
milliards de dollars .
Ce montant inclut l' ensemble des programmes
spatiaux non classifiés, dont 920 millions pour ' Advanced
Extremely-High Frequency Satellite l Communication System, et le système
SBIRS, dans ses composantes High et Low .
Il inclut également les programmes plus
innovants de R & D sur la militarisation de l' espace, qui
se développent selon deux axes :
Le programme Discoverer 2 de radar en orbite (
space-based radar ) , capable de repérer les cibles mobiles à le sol
était déjà entamé en 2001 .
Développé sous la responsabilité de l' Air Force
._NEW_ il est complémentaire du système SBIRS-Low, car il fonctionne
dans le radar et non dans l' infra-rouge .
Pour 2003, la phase de R & D se poursuit
.
Dans une deuxième phase, la meilleure
technologie devrait être sélectionnée et développée .
Pour 2003, une requête de 91 millions est
indiquée .
Les technologies de contrôle de l' espace (
space control ) désignent les capacités de brouillage des
communications, les éblouisseurs laser ( laser dazzler ) et autres
moyens de nuire aux systèmes spatiaux ennemis ou de protéger les
flottes spatiales américaines .
Plusieurs programmes de recherche et
développement sur des armes anti satellite sont déjà en cours .
L' Air Force travaille sur un système de
stations-sol mobiles de brouillage des activités satellite ( Space
Control Technology ) .
L' armée de Terre développe un intercepteur de
satellites basé au sol ( KEAsat pour Kinetic Energy Asat).Un laser
basé au sol, nommé Miracl pour Mid-Infrared Advanced Chemical Laser,
été testé en 1997 .
La requête budgétaire pour 2003 est de 88
millions .
Tous ces programmes sont assez anciens et semblent
avoir évolué lentement à cause de les réticences du Congrès à accepter
le déploiement de systèmes spatiaux offensifs .
Les programmes de R & D retenus pour l'
instant ne prévoient pas de systèmes offensifs déployables dans l'
espace .
Dans le contexte de débat sur la militarisation de
l' espace auquel on assiste actuellement, cela aurait sans doute un
poids politique trop lourd à assumer pour le gouvernement américain .
Qui plus est, certaines des technologies développées
sont sans doute suffisamment en amont pour pouvoir être déployées sur
des plates-formes orbitales dans l' avenir, le cas échéant .
Un débat inédit dans les think-tanks
Lorsque les Américains et les Soviétiques ont commencé à
déployer des satellites dans les années 1950 et 1960, l' application la plus
précieuse était le renseignement .
Les satellites d' observation apportaient une
information irremplaçable sur le territoire ennemi .
Pour espionner avec efficacité, les systèmes déployés
devaient rester les plus discrets possibles .
L' administration Kennedy fit adopter en 1960 une
décision de classification totale des systèmes spatiaux militaires .
Depuis cette date et jusque dans les années 1980, il n'
y a eu aucune communication officielle sur ce sujet aux Etats-Unis .
Dans les années récentes, alors que ces systèmes étaient
mieux connus, leur signification stratégique a été obscurcie par la
polémique sur les systèmes de défense antimissile .
L' architecture du futur système américain prévoit une
composante spatiale .
Mais l' espace militaire ne se résume pas à la défense
antimissile, et regroupe d'autres éléments .
A la différence de les armes nucléaires, qui sont l'
objet de discussions houleuses depuis les années 1960, les systèmes spatiaux
militaires sont donc restés jusqu'à présent en dehors de le débat
stratégique public .
Mais la publication du rapport Rumsfeld en janvier 2001
semble avoir provoqué une prise de conscience .
En 2001 et 2002, plusieurs think-tanks de Washington
organisent des séminaires ou des programmes de réflexion sur la
militarisation de l' espace .
Le Stimson Center tient à jour une bibliothèque
électronique regroupant des ouvrages sur les questions de space
weaponization ; Le Space Policy Institute de l' université George Washington
a reçu une bourse de la fondation MacArthur pour organiser des déjeuners sur
ce thème sur une durée de deux ans ; Le Eisenhower World Affairs Institute
poursuit des groupes de travail sur l' espace entamés depuis longtemps, mais
désormais plus nettement axés sur les aspects militaires ; Le Council on
Foreign Relations réunit pour sa part un groupe d' étude sur le même thème ;
le Center
Même si le débat se limite encore trop souvent aux seuls
experts et a du mal à toucher le grand public, des échanges inédits s'
engagent entre partisans et adversaires des projets du Pentagone .
On assiste peut-être enfin à la naissance de un débat de
nature stratégique sur l' espace militaire .
Les défenseurs de l' arms control sont très réservés
face à la perspective d' une extension à l' espace de nouveaux types d'
armement .
Celle -ci leur semble condamnable par principe, mais
aussi pour des raisons juridiques .
Les armes antisatellites ne sont pas spécifiquement
interdites par le Traité de 1967, qui ne prohibe que le déploiement d' armes
nucléaires et de destruction massive .
Mais le déploiement d' asats reste contraire à l' esprit
du Traité et, plus généralement, va à l'encontre des efforts de désarmement
intervenus depuis quelques décennies .
D'autres chercheurs se fondent sur des arguments
stratégiques pour affirmer que le déploiement d' armements dans l' espace
reste contraire aux intérêts américains : les adversaires potentiels des
Américains n' ont pas envie d' initier ces déploiements, mais seraient
amenés à l' imiter, si les Etats-Unis font les premiers pas .
Ils estiment également que ces moyens spatiaux nouveaux
créent une tentation de frappe en premier et par surprise .
Dans une situation ou il existerait des moyens spatiaux
indispensables et des moyens de les détruire, il serait tentant de lancer
une attaque-surprise, pour désarmer l' adversaire avant qu' il ne prenne l'
initiative lui -même .
Les possibilités de frappe préemptive sont un facteur
déstabilisant pour les relations internationales et les Etats-Unis ne
doivent pas s' engager dans cette voie .
LA NASA REPRISE EN MAIN ?
Un administrateur rigoureux
Le nouvel administrateur de la Nasa a finalement été
nommé en décembre 2001 .
Sean O'Keefe succède à Dan Goldin, en poste depuis 1992
.
Sean O'Keefe a une certaine expérience des questions
militaires : il a été secrétaire de la Navy, Staff Director chargé du budget
de la défense à la Commission des Appropriations du Sénat et Comptroller au
Département de la Défense .
Mais son expertise en matière spatiale est réduite
.
Sean O'Keefe est redouté pour ses pratiques de
gestionnaire rigoureux .
Il quitte pour venir à la Nasa les fonctions de
directeur adjoint de ' Office of Management and l Budget ( OMB ) .
On peut penser qu' il voudra sans état d' âme mettre fin
aux dérives budgétaires qu' a connues l' agence récemment - notamment avec
un dépassement de budget de 800 millions de dollars pour la station
internationale .
Il dénonce également la procédure des fonds réservés,
attribuables à la discrétion de le Congrès ( les earmarks ) .
On se souvient que Dan Goldin avait essayé d' en faire
autant, mais sans succès : l' administrateur de la Nasa n' a pas le pouvoir
d' imposer au Congrès l' abandon de cette pratique .
Cette remise en question financière pourrait s'
accompagner d' une réorganisation profonde de la Nasa .
Un rapport récent intitulé Strategic Ressources Review
analyse de manière critique les missions des différentes bases de la Nasa et
propose l' élimination de certaines d' entre elles .
On imagine mal comment faire accepter de telles mesures
aux parlementaires représentant les Etats concernés par cette
rationalisation .
Les liens d' amitié personnels de Sean O'Keefe avec le
vice président Dick Cheney constitueront un atout précieux dans les tâches
délicates du nouvel administrateur .
Mais on doit s' attendre à ce que la Nasa mette en route
toutes ses capacités de lobbying pour échapper à ces réformes .
Dan Goldin , pourtant nommé dans le but de réformer les
pratiques budgétaires de la Nasa , avait fini par épouser les pratiques
traditionnelles de l' agence .
L' arrivée de Sean O'Keefe à la tête de la Nasa est vue
par beaucoup comme le signe de nouvelles orientations programmatiques .
Si le nouvel administrateur s' avoue toujours en phase
de formation au sein de l' agence , certaines de ses décisions commencent à
apparaître dans le projet de budget pour 2003 .
Le retour à l' exploration de l' Univers
O'Keefe a mentionné à plusieurs reprises son désir de
voir l' agence retourner à sa mission première de recherche et développement
.
Il a repris à son compte le slogan " back to basics ",
déjà entendu .
Cette fois-ci, les " basics " en question sont définis
comme l' exploration et la découverte, selon des priorités bien ciblées
.
Il recommande pour cela des missions automatiques,
plutôt que de les missions habitées risquées et coûteuses .
Dans le projet de budget pour 2003, la ligne " Sciences
de l' Espace " augmente de 19 %, pour atteindre 3,415 milliards de dollars .
Une partie de cette augmentation est consacrée à la
recherche sur l' utilisation de l' énergie nucléaire en orbite pour les
missions longues et le développement de systèmes de propulsion nucléaire
pour l' exploration du système solaire lointain .
Cette décision est critiquée par les écologistes
américains, qui craignent les conséquences pour la population mondiale d'
éventuels accidents lors de les lancements ou des réentrées des véhicules
concernés .
Par ailleurs, l' exploration de l' Univers devrait être
réorganisée au sein de un programme nommé " New Frontiers " .
Il devrait succéder aux programmes Pluto-Kuiper et
Europa Orbiter qui semblent annulés en tant que tels .
Mais le Congrès pourrait à nouveau refuser l' annulation
de ces deux programmes de sonde vers Pluton et Europe .
En 2001, la sénatrice démocrate du Maryland Barbara
Mikulski avait fait réintégrer le programme Pluto-Kuiper dans le budget de
la Nasa pour 2002 .
En revanche, le budget Sciences de la Terre stagne, à
1625 millions de dollars .
Si l' on considère que 60 millions de ce budget sont
attribués aux opérations des réseaux au sol, une dépense qui était
auparavant incluse dans la ligne budgétaire de le vol habité , on voit que
ce budget est réellement en légère baisse .
Comme on le soulignait l' an dernier, les études
environnementales ne sont pas une priorité de l' Administration Bush .
La station spatiale
Le programme de station spatiale internationale ( ISS )
et le programme de navette réutilisable sont regroupés dans la ligne
budgétaire " Vols Habités " .
Avec 6,1 milliards de dollars demandés pour 2003, en
baisse de 10 %, c' est la ligne la plus importante du budget de la Nasa
.
Mais le programme de station internationale est l'une
des premières cibles du nouvel administrateur .
Il faut dire que ce programme a connu une augmentation
de 7 milliards par rapport à son coût de 17,4 milliards initialement prévu .
Paru à l' automne 2001, le rapport Young a constitué une
critique extrêmement forte de la gestion financière de la station dans les
années récentes .
L' administration a donc décidé de mettre le programme
de station " à l' essai " pendant deux ans .
Les équipes de la Nasa en charge de le programme de
station devront faire la preuve de leur sérieux dans la gestion du programme
et l' estimation de ses coûts .
En attendant, l' architecture de la station est réduite
à sa version minimale, dite " core complete ", qui pourra accueillir trois
astronautes, au lieu de les sept prévus .
La possibilité de mener des recherches à bord est
quasiment nulle dans cette configuration .
La contribution des partenaires étrangers ( Europe ,
Japon , Canada et Russie ) est affectée, mais l' administration se refuse à
promettre la construction future de la station dans sa version complete à 7
astronautes .
Le budget pour construire la navette " core complete "
n' est même pas totalement attribué selon les projets de financements
2002-2006, car il manque 603 millions sur cette période .
Cette somme doit soi-disant être trouvée dans la
réalisation d' économies - ce qui semble douteux .
La requête financière 2003 pour l' ISS est de 1,8
milliards .
Ce montant inclut les travaux de recherche relatifs à la
station, déplacés dans une autre ligne budgétaire .
La succession de la navette
Après la fin du programme Apollo, la Nasa a choisi de se
doter d' une navette habitée réutilisable, comme moyen principal d' accès à
l' espace .
La navette spatiale, dite RLV pour Reusable Launch
Vehicle , représente la première génération de véhicule spatial réutilisable
.
Elle emporte un équipage en orbite et revient sur Terre
après sa mission .
aux Etats-Unis, les entreprises privées et l' Air Force
exploitent des fusées traditionnelles à utilisation unique ( dites ELV pour
Expendable Launch Vehicle ) .
Quatre exemplaires de la navette sont actuellement en
activité .
Endeavor, Atlantis , Discovery , et Columbia ont été
construites par Rockwell ( maintenant intégré à Boeing ) .
Leur maintenance est assurée par Boeing et
Lockheed-Martin, dans le cadre de le consortium U.S. Space Alliance .
Mais ce RLV de première génération n' est pas tout à
fait au point .
La maintenance des navettes entre chaque vol est longue
et coûteuse .
La requête budgétaire 2003 pour le programme de navette
est de 3,2 milliards ( incluse dans le pôle budgétaire " Vol Habité " ) .
Ce financement est insuffisant pour assurer les 6 - 7
missions annuelles et leur nombre devrait être réduit à 4 - 5 par an .
Les responsables du programme dénoncent un manque de 1
milliard de dollars sur les 5 prochaines années .
La Nasa doit donc se préparer à remplacer les navettes
par un système moins coûteux et plus réactif .
Souhaitant repousser les décisions à 2005, les
responsables de l' agence ont lancé un programme dit " Integrated space
transportation ", qui lance des travaux exploratoires dans deux directions
.
Une série d' études doit d'une part chercher à améliorer
la navette actuelle .
Les responsables du programme déclarent que les quatre
modèles n' ont atteint que 30 % de leur cycle de vie utile et qu' un shuttle
upgrade pourrait suffire à assurer l' avenir sur le long terme .
Les recherches portent notamment sur l' amélioration de
la sécurité des vols .
Elles prévoient un budget de 1,86 milliards de dollars
pour la période 2001-2005 .
Mais un grand effort est engagé d'autre part pour tenter
de développer un système totalement nouveau :
La Space Launcher Initiative
Le programme de Space Launcher Initiative ( SLI ) vise à
développer un système de lanceur réutilisable entièrement inédit .
Les entreprises privées recevront 4,8 milliards de
dollars entre 2001 et 2006 pour réaliser des recherches sur ce thème .
Une partie des travaux porte sur les technologies de
transport dites " Nasa-unique ", c' est-à-dire consacrées exclusivement aux
vols habités .
Une autre porte sur l' établissement d' un moyen d'
accès commercial à la station spatiale .
Il s' agit d' encourager les entreprises privées à
desservir la station avec leurs lanceurs traditionnels, ce qui constituerait
une solution de rechange en cas de problème .
Mais la partie la plus importante de la SLI est le
sous-programme de " Second generation RLV ", c' est-à-dire de lanceur
réutilisable de seconde génération .
L' élément principal du cahier des charges de ce
véhicule est l' abaissement des coûts .
Il devra ainsi pouvoir mettre en orbite une livre ( 454
grammes ) de matériel pour 1000 dollars contre 10.000 dollars pour la
navette actuelle .
Dans le cadre de le système X - 33, qui a été abandonné
l' an dernier, la Nasa avait voulu développer un système global .
Elle a maintenant changé d' approche .
Avec le programme SLI, la Nasa fait travailler un
certain nombre d' entreprises sur différentes technologies aérospatiales,
qu' il faudra ensuite combiner pour développer le futur lanceur .
Les technologies nécessaires ont été identifiées en
2000, pendant la première année du programme .
Par un appel d' offre daté d' octobre 2000, les
entreprises intéressées ont été appelées à établir des propositions pour un
premier cycle de contrats .
Ces contrats ont été conclus en deux fois en 2001 .
Vingt-deux entreprises ont été choisies le 17 mai, pour
des contrats d' une valeur totale de 766 millions de dollars .
Le 17 décembre, 94,6 millions supplémentaires étaient
attribués .
au premier rang des entreprises lauréates, Boeing a reçu
136 millions de dollars en mai pour aborder 5 domaines de recherche et 5,4
millions en décembre pour des études sur la survie et la protection des
équipages ( dans le cadre de la mission " Nasa-unique " de vol habité ) .
Pratt & Whitney reçoit 125 millions pour
travailler sur les méthodes de propulsion et les étages supérieurs ; l'
entreprise Kistler obtiendra 135 millions de dollars après avoir effectué le
vol de démonstration de son lanceur K - 1 ( contrat de 10 millions de
dollars avec une option de 125 millions ) .
En décembre, Northrop Grumann et Orbital Sciences Corp .
se sont vu attribuer un montant combiné de 20,7 millions de dollars pour des
études d' ingénierie système et de définition d' architecture .
Rocketdyne reçoit 63 millions et TRW 5,4 millions pour
des études sur la propulsion .
Toutes les entreprises retenues ont des chances de
participer à la réalisation du futur lanceur de la Nasa .
Dans tous les cas, les entreprises sélectionnées en 2001
resteront propriétaires des résultats de leurs travaux, qui auront sans
doute des retombées sur les programmes de technologies lanceurs qu' elles
poursuivent par ailleurs .
Les résultats du premier bilan intermédiaire ( milestone
review ) seront connus début mai 2002 .
Un deuxième cycle d' appel d' offres sera lancé par la
Nasa en 2002 .
Dans le projet de budget pour 2003, la ligne "
technologies aérospatiales " connaît une augmentation de 12 %, soit 2,8
milliards, destinés principalement au projet SLI .
Vers un rapprochement avec le Département de la Défense
?
Sean O'Keefe a mentionné à plusieurs reprises la
possibilité de coordonner les efforts de recherches de la Nasa et du
Département de la Défense sur le futur lanceur réutilisable .
L' étude " One Team " menée pendant 4 mois par l' agence
et l' Air Force sur ce sujet s' est achevée en début de année 2002 .
Elle devait identifier les possibilités de travaux
conjoints entre les deux entités .
Mais il semble difficile de réconcilier les besoins des
militaires et des scientifiques .
En effet, le Département de la Défense a des exigences
bien particulières en ce qui concerne son système de lanceur futur .
Les militaires veulent pouvoir effectuer un lancement
dans les 12 à 48 heures suivant la décision de lancement .
Ils veulent aussi pouvoir lancer jusqu' à 20 fusées en
deux ou trois semaines si la situation l' exige .
En revanche_NEW_ le vol habité s' avère inutilement
risqué et coûteux pour les militaires .
En revanche, les missions habitées apparaissent comme
l'une des raisons d' être de la Nasa, et leur maintien reste jusqu'à présent
une priorité .
Il semble donc difficile de pousser les recherches
communes Nasa-Air Force au-delà de un stade de recherche très préliminaire .
Si les conclusions de l' étude " One Team " ne sont pas
encore rendues publiques, c' est peut-être parce que elles ne sont pas très
optimistes .
Une autre voie explorée par Sean O'Keefe est celle de la
privatisation de la navette .
La shuttle privatization a été mentionnée sans beaucoup
de précisions dans le projet de budget 2003 et dans diverses interventions
du nouvel administrateur .
Depuis l' accident de la navette Challenger en 1986, les
navettes ne peuvent plus accomplir de missions commerciales .
Le président Reagan n' avait pas voulu que la vie des
équipages soit risquée pour mettre en orbite des satellites privés .
La présente Administration pourrait revenir sur cette
loi .
La privatisation de la navette pourrait se limiter au
tourisme spatial, dont quelques expériences lucratives ont déjà eu lieu
.
LE CONGRES ET LES INDUSTRIES : PAS DE REFORME DES CONTROLES
D' EXPORTATION ?
des échanges industriels peu développés
Par une convergence d' éléments très divers, l' espace
semble être un secteur dans lequel les relations industrielles
transatlantiques sont très limitées .
Tout d'abord, il n' y a pas de tradition de coopération
entre industries spatiales américaines et européennes .
Parce que ils ne souhaitaient pas voir proliférer les
technologies balistiques, les Etats-Unis ont vu d' un mauvais oeil les
efforts de mise au point de un lanceur européen. .
La base industrielle européenne s' est donc développée
de façon indépendante .
La restructuration des industries et la globalisation
des échanges dans les années 1990 ont entraîné la mise en place de
programmes de coopération dans de nombreux domaines, tels que l' automobile,
la métallurgie ( aluminium ) et les hautes technologies .
Mais le domaine spatial n' a pas bénéficié de cette
évolution .
En effet, les programmes spatiaux restent marqués par
des commandes finalement peu nombreuses et la prééminence des marchés
publics .
Ceux -ci imposent en Europe la procédure du juste retour
industriel, qui est peu favorable à l' importation de composants américains
.
Parallèlement, les parlementaires américains sont jaloux
des productions réalisées dans leur circonscription et ne souhaitent pas les
voir sous-traitées à l' étranger .
C' est dans le secteur des télécommunications par
satellite, que les perspectives de profit sont les plus fortes : les acteurs
privés ont donc pris la relève du secteur public pour assurer les
investissements .
des coopérations significatives, entre Loral et Alcatel
, ont été engagées depuis de nombreuses années .
Qui plus est, les espoirs de gain technologique sont
rarement suffisants pour justifier des coopérations .
Les technologies moteur de Snecma, qui ont suscité une
coopération avec Pratt & Whitney forment un cas particulier .
Hormis cet exemple, les technologies sélectionnées de
part et d'autre de l' Atlantique sont trop similaires pour laisser beaucoup
d' intérêt aux échanges de savoir-faire .
De même, du point de vue financier, la production
spatiale n' est pas suffisante pour que son regroupement sur l' autre
continent amène des économies d' échelle .
Enfin, l' éventuelle volonté des gouvernements de lancer
une coopération internationale dans le domaine spatial , trouve son
expression hors du domaine commercial et industriel .
En effet, la plupart des applications spatiales sont
duales, et dès lors très délicates à organiser dans un cadre multinational .
Les institutionnels choisissent plutôt des programmes
scientifiques comme celui de Station Spatiale Internationale pour lancer un
partenariat à signification politique .
La rigidité des procédures américaines d' exportation de
technologies et de matériels sensibles est une cause supplémentaire de
difficulté des échanges industriels .
Elle tient avant tout à l' attitude des parlementaires
et à l' action parfois contradictoire des lobbies .
Les espoirs d' évolution dans ce domaine n' ont pas
abouti jusqu'à présent, mais renaissent avec chaque session parlementaire
.
Le strict contrôle des exportations de matériel sensible
Les systèmes de satellites et de lanceurs sont gouvernés
par différentes procédures d' exportation, selon qu' ils sont considérés
comme des armements ou simplement des matériels à usage dual .
Dans les années 1990, plusieurs firmes américaines ont
été accusées d' avoir transmis des technologies balistiques protégées à la
Chine, dans le cadre de exportation de satellites américains devant être
lancés sur des fusées chinoises Longue Marche .
Le Congrès a alors resserré les procédures d'
exportation, au grand dam des constructeurs de satellite américains .
L' administration Bush est arrivée au pouvoir avec le
projet de faire assouplir ces procédures par le Congrès, mais la session
parlementaire 2001 n' a abouti à rien .
La session 2002 devrait reprendre le dossier .
Armements et matériel dual
aux Etats-Unis, les exportations d' armement et de
matériel à usage dual sont gouvernées par des systèmes différents .
La loi fixe les grands principes .
des règlements établissent ensuite la liste précise des
matériels considérés ( liste des munitions, liste des matériels à usage
dual, . ) .
Enfin, les policy directives fixent l' attitude pratique
des services qui traitent des demandes .
Ces dernières ne sont pas toujours rendues publiques et
peuvent même parfois ne pas faire l' objet d' un texte formel .
Pour les exportations d' armements, la loi actuellement
en application, le Arms Control Exportation Act ( ACEA ), date de 1976 .
Les décrets d' application, appelés International Trade
in Arms Regulations ( ITAR ) sont établis par le Département d' Etat, après
consultation du Département de la Défense et sur décision du président .
Le Département d' Etat établit donc la liste des
munitions, qui détermine les matériels qui seront considérés comme des armes
.
La loi ACEA elle -même n' est pas remise en question .
Ce sont les ITAR qui font l' objet de fréquentes
modifications et de constantes critiques .
Dans sa plate-forme électorale, le président avait
indiqué qu' il souhaitait modifier les réglementations d' exportation, sans
néanmoins préciser sa démarche .
Pour les exportations de matériel dual, la loi appliquée
est le Export Administration Act .
Elle a été modifiée en 2000 ( 106ème Congrès ) .
Les tentatives de modification n' ont pas abouti en 2001
( 107ème Congrès ) . 10 Les règlements d' application, dits Export
Administration Regulations, établissent cette liste et sont adoptés par le
Département du Commerce .
A nouveau, une procédure de consultation du Département
d' Etat et du Département de la Défense est prévue .
Les exportations de satellites
Les procédures d' exportation de satellites forment deux
cas particuliers, l'un pour les satellites de télécommunication, l' autre
pour les satellites d' observation .
Dans les faits, seule la première catégorie fait l'
objet de fréquentes exportations .
Les satellites de télécommunication, même commerciaux ,
ont longtemps été portés sur la liste des munitions ( ITAR ) .
Leur exportation était contrôlée au même titre que les
armements .
Mais en 1990, le Congrès a souhaité renforcer la
position des entreprises américaines, dans une perspective de conquête des
marchés extérieurs .
Le président Bush a transféré une partie des satellites
de communication sur la liste des matériels duaux en 1992, et le président
Clinton y a porté l' ensemble de ces satellites en 1996 .
Leur exportation était dès lors contrôlée par le
Département du Commerce, selon une procédure plus simple et plus rapide
.
Dans la seconde moitié des années 1990, divers scandales
ont éclaté .
Les entreprises américaines Loral et Hughes ont été
accusées d' avoir illégalement transmis à la Chine des technologies
balistiques, lors de le lancement en 1996 de satellites américains sur des
lanceurs Longue Marche .
En 1998, le Congrès a ramené le pouvoir d' attribution
des licences d' exportation au Département d' Etat ( Strom Thurmond Act du
17 octobre 1998 ) et les satellites de télécommunication sont revenus sur la
liste de munitions ITAR à compter de le 15 mars 1999 .
Il faut noter toutefois que les transferts de
technologies frauduleux étaient intervenus à l'occasion de l' exportation de
satellites sous le régime ITAR d' avant 1992 !
La décision de 1998 a eu des répercussions sur les
marchés spatiaux .
Compte tenu de l' ampleur politique des scandales, le
service responsable au sein de le Département d' Etat a traité les dossiers
de demande de licence d' exportation de manière tatillonne et extrêmement
lente .
Certains clients étrangers ne peuvent attendre plusieurs
années avant de savoir s' ils pourront acheter un satellite américain et ont
préféré s' adresser à d'autres fournisseurs .
Cela a bien sûr gêné les constructeurs de satellites
américains .
Symétriquement, il est devenu difficile pour les
entreprises étrangères d' obtenir des contrats de lancement de satellites
américains .
Toutefois, l' aménagement de régimes spéciaux pour les
pays Otan et les autres pays alliés, ainsi que pour l' entreprise
Arianespace, lève les obstacles majeurs à l' exportation de satellites
américains vers l' Europe et à leur lancement par l' entreprise européenne
Il reste difficile pour les constructeurs de satellites
américains d' exporter vers le reste du Monde et les entreprises de lanceurs
de ces régions restent pénalisées .
Le 3 mai 2001, Dana Rohrabacher , président de la
sous-commission Espace et Aéronautique de la commission Science de la
Chambre de les Représentants et Howard Berman , représentant démocrate de
Californie , ont introduit une proposition de loi ( H.R. 1707 ), demandant
que les licences d' exportation des satellites de communication soient à
nouveau accordées par le Département du Commerce . 12 Plus précisément, c'
est le hardware nécessaire à la construction de ces satellites qui devait
être transféré de la liste des munitions à la liste des matériels duaux
.
Pendant l' été, cette proposition est devenue un
amendement à la proposition de loi visant à réformer l' exportation du
matériel dual ( Export Administration Act ) .
La proposition de loi et son amendement se sont ensuite
enlisés dans les débats de fin d' année .
Il n' est pas sûr qu' une telle mesure aurait bénéficié
aux entreprises européennes, car elle réintroduisait une plus large
concurrence - de la part des constructeurs de satellites américains et de la
part de les lanceurs du reste du monde - sur un marché étroit .
La question de l' exportation des satellites de
télécommunication ne devrait pas être soulevée pendant la présente session .
La situation internationale s' est fortement modifiée
pour les Etats-Unis depuis l' année dernière et, même si la Maison Blanche
poursuit sa réflexion sur le sujet, l' assouplissement des procédures d'
exportation n' est pas à l'ordre de le jour .
La situation est plus stable pour les satellites d'
observation .
Vers 1992, dans les premières années qui ont suivi
la fin de la guerre froide, la robuste industrie américaine de l'
observation spatiale a pu craindre que les agences de renseignement
nationales lui commandent désormais moins de satellites d' observation
dans l' avenir .
La question de la commercialisation et de l'
exportation d' imagerie et de systèmes clef en main s' est alors posée
.
Les satellites d' observation spatiale voient leurs
exportations gouvernées par une loi particulière, le Land Remote-Sensing
Act ( actuellement dans une version de 1992 ) .
Une Presidential Decision Directive ( PDD - 23 ) de
1994 établit une procédure distincte pour l' exportation de systèmes
clef en main et pour l' exportation d' imagerie :
1 ) Le Département d' Etat , après consultation de
le Département de la Défense et de le Département de le Commerce décide
de l' exportation de systèmes de satellite d' observation clef en main .
Les satellites d' observation figurent donc sur la
liste des munitions ITAR et ce, quelle que soit leur résolution ( très
haute pour des satellites d' observation de type militaire, ou très
basse pour les satellites de météorologie ) .
Il a été prévu un temps d' introduire une
distinction entre les satellites d' une résolution supérieure à 10
mètres, dont l' exportation aurait été autorisée par le Département du
Commerce et les satellites d' une résolution inférieure, qui auraient
été gouvernés par le Département d' Etat, mais cette mesure n' est
jamais entrée en vigueur .
Concrètement, il n' y a jamais encore eu de cas d'
exportation de systèmes de satellites d' observation clef en main, même
de météorologie .
Les Emirats Arabes Unis avaient demandé à acheter un
satellite d' observation à haute résolution en 1992, c' est-àdire avant
la PDD - 23, mais la demande a été refusée .
Les exportations américaines restent jusqu' à
aujourd'hui limitées aux satellites de télécommunication 13 .
2 ) Après consultation de le Département d' Etat (
Bureau of Political Military Affairs ) , de le Département de la Défense
( assistant secretary for C3-I ) , de le Département de l'intérieur (
chargé de les questions d' environnement ) et de les agences attribue
les autorisations d' opération et de vente d' imagerie par les
entreprises américaines .
Il n' y a pas de changement envisagé pour l' instant
sur ce type de procédures d' exportation .
La Maison-Blanche a cependant mis en place un comité
de réflexion sur l' observation spatiale et les implications de la
commercialisation d' imagerie sur la sécurité nationale .
Les recommandations de ce groupe pourraient toucher
aux questions d' exportation des satellites imageurs et de l' imagerie
elle -même .
TITRE : Le triangle syro-libano-israélien : scénarios de crise
AUTEUR : May Chartouni-Dubarry
C' est devenu presque une tradition : chaque premier ministre en
Israël entame sa législature en relançant l' option " Le Liban d'abord " .
Dès son élection et la formation de son gouvernement en juin
1996, Benyamin Netanyahou a tenté de négocier via les Syriens un retrait israélien
unilatéral du Liban-sud assorti de garanties de sécurité draconiennes, sans offrir
aucune contrepartie sur le Golan, si ce n' est une vague promesse d' une réouverture
des négociations syro-israéliennes interrompues en mars 1996 .
Manoeuvre tactique de la part de un gouvernement qui a annoncé
haut et fort sa détermination de ne céder aucun pouce du Golan ou prélude à un
revirement de stratégie par rapport à la politique suivie par les travaillistes sous
Itzhak Rabin puis Shimon Pér
Un an et demi après l' arrivée de l' équipe de Benyamin
Netanyahou au pouvoir, l' option " Le Liban d'abord " semble avoir fait long feu .
Cet écran de fumée s' est rapidement dissipé : le Liban n' est
pas plus une priorité pour le présent gouvernement qu' il ne l' a été pour son
prédécesseur .
Loin de marquer une rupture avec la politique libanaise suivie
par l' État hébreu depuis l' instauration de la zone de sécurité au sud Liban en
1985, cette initiative ressemble davantage à une manoeuvre tactique visant tout à la
fois à " tester " l' acteur syrien, à montrer à l' opinion publique israélienne que
le gouvernement tente de trouver une issue à l' inextricable problème libanais et à
rectifier auprès de la communauté internationale une image négative de fossoyeur
politique et juridique du processus de paix en se déclarant prêt à se conformer "
sous certaines co
Ces " conditions " - un redéploiement progressif à négocier
contre des garanties de la part de l' État libanais de désarmer la résistance
libanaise et l' ouverture de négociations de paix séparées avec l' État hébreu -
reproduisent dans leur formulation générale le schéma du traité israélo-libanais
avorté du 17 mai 1983, qui, quinze ans plus tard, fait figure d' anathème pour le
couple syro-libanais qui s' est formé à l'issue de les accords de Taëf en 1989
.
Fait significatif, l' option " Le Liban d'abord " omettait
délibérément de faire mention d' un retrait simultané du Golan .
au contraire, cette " ouverture " en direction de le Liban s'
accompagnait d' une volonté claire de clore les négociations syro-israéliennes,
voire d' en annuler tous les acquis et les avancées, en niant formellement qu' un
quelconque engagement formel ait été pris par Itzhak Rabin dès 1994 concernant le
principe d' un retrait du Golan .
Selon Benyamin Netanyahou, il ne s' agirait là que d' hypothèses
" parmi d'autres posées sur la table de négociations .
Le gouvernement actuel ne s' estime donc ni politiquement, ni
juridiquement lié par des promesses ou engagements qui n' ont fait l' objet de
documents écrits, signés et ratifiés .
Dès juin 1996, le Premier ministre exprimait cette position sans
ambiguïté : " Le gouvernement considère le plateau du Golan comme vital à la
sécurité de l' État ; le principe de la souveraineté israélienne sur le Golan est à
la base de toute forme d' accord avec la Syrie " .
En même temps que il fermait la porte à toute négociation avec
Damas, celui -ci demandait donc implicitement aux Syriens de l' aider à s' extirper
du bourbier libanais .
Alors que le gouvernement précédent avait totalement avalisé le
principe de la " concomitance des deux volets ", syrien et libanais, Benyamin
Netanyahou lançait un véritable défi à la Syrie en tentant de dissocier les deux
occupations du Golan et du Liban-sud .
Si cette manoeuvre était diplomatiquement prévisible , en
revanche ce qui est plus étonnant depuis le retour à le pouvoir de le Likoud , c'
est la prudence certaine dont il fait preuve dans sa gestion de la politique
libanaise .
Cette retenue contraste avec le discours musclé tenu tant à
l'égard de la Syrie ou de l' Iran, co-parrains du Hezbollah, qu' à l'égard de l'
État libanais menacé et sommé quotidiennement de se comporter en acteur souverain et
d' étendre son autorité sur l' ensemble de son territoire faute de s' attirer les
foudres de la puissante machine militaire israélienne .
Alors que l' on aurait pu en toute logique, dans un contexte non
plus de gel mais de régression du processus de paix, s' attendre à une "
réactivation " de les options militaires israéliennes notamment à le Liban , c' est
l' inverse qui prévaut sur le terrain .
Non que le Sud meurtri par plus d' un quart de siècle de guerre,
dite de " faible intensité ", connaisse une période de répit .
Mais le bilan plus que mitigé de la dernière opération
israélienne en territoire libanais , appelée " Raisins de la colère " , a contribué
avant même la victoire électorale de Benyamin Netanyahou à un rétrécissement des
options israéliennes au Liban .
En effet, le nouveau premier ministre hérite d' une situation
ingérable au Liban-sud que son intransigeance vis-à-vis de la Syrie ne fait qu'
accroître .
Le triangle syro-libano-israélien s' est rigidifié selon un
schéma désormais bien connu où le Liban, bien que reconnu aux termes des accords de
Taëf comme un État pleinement souverain, demeure le théâtre central où s' affrontent
les deux acteurs syrien et israélien .
Si cette configuration triangulaire n' a rien de bien nouveau ,
en revanche , les paramètres en ont été substantiellement modifiés par rapport à le
modus vivendi syro-israélien instauré au lendemain du redéploiement israélien de
1985 .
au " dialogue de la dissuasion " dont la principale vertu avait
été de prévenir tout risque d' escalade incontrôlé entre les deux armées présentes
sur le sol libanais, s' est substitué un déséquilibre stratégique notable au
détriment de la partie israélienne .
Le piège du Liban-sud s' est refermé sur l' État hébreu : aucune
option militaire ne semble viable et une issue politique est plus que jamais
fonction de la volonté syrienne .
Cet article se situe précisément à ce tournant .
Il vise à apporter un éclairage prospectif sur l' évolution, à
moyen terme - dans les six ans à venir - de ce triangle syro-libano-israélien en
fonction de les scénarios qui nous semblent les plus plausibles .
L' analyse de la configuration actuelle, les enjeux de le volet
syro-israélien de le processus de paix et l' imbrication étroite de le couple
syro-libanais dans les dynamiques de ce triangle serviront de canevas à ces
scénarios de crise .
État des lieux
Historique et enjeux des négociations
L' année 1994 constitue probablement un tournant dans
les négociations syro-israéliennes qui piétinaient depuis le lancement du
processus de paix à Madrid en octobre 1991 .
Trois événements majeurs vont contribuer à en relancer
la dynamique : la rencontre à Genève entre Hafez al-Assad et le président
Clinton au cours de laquelle le président syrien exprime officiellement son
engagement pour la paix ; l' acceptation en juillet 1994 par Itzhak Rabin (
jamais confirmée officiellement ) du principe d' un retrait israélien du
Golan jusqu' aux lignes du 4 juin 1967 ; et la signature de l' accord de
paix jordano-israélien qui donne à la partie israélienne les coudées plus
franches pour avancer sur le volet syrien .
La définition de la position israélienne, résumée par la
formule de Itzhak Rabin devenue célèbre depuis " la profondeur de le retrait
( de le Golan ) sera proportionnelle à la profondeur de la paix ", a permis
de lever toute ambiguïté sur la reconnaissance par la partie israélienne de
la résolution 242 des Nations unies comme la base des négociations de paix
avec la Syrie .
Itzhak Rabin a ainsi donné satisfaction à Hafez al-Assad
qui exigeait comme point de départ des négociations un engagement israélien
ferme sur un retrait total du Golan .
Dès le départ, il était clair que Hafez al-Assad n'
accepterait pas moins que ce que Anouar al-Sadate avait obtenu .
La rétrocession du Golan dans sa totalité constitue un
objectif vital pour le président syrien pour des raisons symboliques et de
légitimité - réparer l' honneur perdu de la défaite de 1967 alors qu' il
était ministre de la Défense .
La partie israélienne voulait compenser la perte du
Golan par des mesures de sécurité drastiques, seul moyen d' obtenir l'
adhésion de l' opinion publique israélienne à un accord de paix avec la
Syrie .
La normalisation devait en outre être pleine et entière
: ouverture des frontières, libre circulation des hommes et des biens,
échange d' ambassades ...
Mais ce sont véritablement les pourparlers engagés à
Maryland, de décembre 1995 à février 1996, qui ont permis d' avancer sur les
quatre dossiers litigieux : l' étendue du retrait, les arrangements de
sécurité, la normalisation des relations, et le calendrier de mise en oeuvre
.
Les discussions avaient comme base un document de
travail élaboré et rédigé par les Américains, intitulé " Objectifs et
principes des arrangements de sécurité " ( Aims and Principles of Security
Arrangements ) qui réaffirme le principe selon lequel la sécurité de l'une
des deux parties ne doit pas être aux dépens de la sécurité de l' autre
partie .
En l' espace de quelques mois à peine, Israéliens et
Syriens auraient accompli des progrès fulgurants dans leur marche vers la
paix .
Une nouvelle ère allait s' ouvrir pour la région grâce à
la " clef " syrienne sans laquelle il n' y a pas de paix globale viable au
Moyen-Orient .
L' État hébreu allait pouvoir consolider les acquis
obtenus sur les autres volets du processus de paix et se désengager
progressivement du Liban-sud .
L' un des principaux objectifs israéliens était bien
entendu de s' extirper de ce triangle infernal dans lequel l' état de guerre
froide avec la Syrie l' avait enfermé au Liban-sud .
Mais l' année 1996 ne sera pas celle de la paix
syro-israélienne .
Nous examinerons plus loin les perceptions et les
interprétations syriennes et israéliennes de ce " rendez-vous manqué " avec
l' histoire .
Mais ce court épisode des négociations avortées est
riche d' enseignements quant à la mécanique de fonctionnement de ce triangle
.
En effet, alors que la Syrie gère son couple avec le
Liban sur la base de la concomitance et l' indissociabilité des deux volets,
la partie libanaise a brillé par son absence avant de disparaître
complètement du paysage des négociations .
Il est vrai qu' en s' accrochant avec entêtement à l'
application inconditionnelle de la résolution 425, la délégation libanaise
s' est engagée, dès l' ouverture du processus à Madrid en 1991, dans un
dialogue de sourds avec les représentants israéliens qui refusaient de
négocier sur la base de une résolution qui n' offre, selon eux, aucune
garantie de sécurité pour l' État hébreu .
Mais l' explication de l' inexistence des négociations
libano-israéliennes réside ailleurs .
Au moment où les pourparlers syro-israéliens démarrent
sur des bases encore incertaines, le Liban - et non sa partie sud -
constitue paradoxalement le seul point non litigieux entre les deux parties
.
Les projets grandioses du tandem Begin / Sharon au pays
de le Cèdre ne constituent plus aujourd'hui qu' une parenthèse amère dans
une politique qui, depuis l' entrée des troupes syriennes au Liban en 1976,
s' est appuyée avec constance sur le " dialogue de la dissuasion " entre
Damas et Tel-Aviv .
Au-delà de ses aspects techniques, ce modus vivendi
était bâti sur une reconnaissance mutuelle par ces deux puissances d'
intérêts de sécurité vitaux dans ce pays .
Loué par les uns pour sa fonction stabilisatrice,
dénoncé par les autres pour son cynisme à l'égard de un pays réduit à n'
être plus qu' une zone-tampon, cet accord a été sérieusement menacé par l'
opération " Paix en Galilée " en 1982 dont l'un des objectifs majeurs était
d' éliminer toute présence syrienne du Liban en y installant un État dominé
par les maronites et allié d' Israël .
Le redéploiement israélien en 1985 renouait avec la
politique libanaise suivie par l' État hébreu dans les années 70
privilégiant le maintien du statu quo dans les relations avec Damas et
limitant le champ de son intervention à la zone de sécurité qu' elle a
établie depuis dans le sud du Liban .
La réalité stratégique du couple syro-libanais n' a pas
constitué - et ne constituera pas - un obstacle dans les négociations
syro-israéliennes .
Résignés et même soulagés pour certains d' une prise en
charge syrienne du Liban, les Israéliens soutiennent dans leur
quasi-unanimité l' option d' un retrait conditionnel du Liban-sud qui
renforcerait la sécurité de la frontière nord de l' État hébreu .
L' un des leitmotivs de les responsables politiques et
de les représentants de l' intelligentsia est qu' Israël n' a aucune visée
territoriale ou revendication idéologique au Liban et particulièrement dans
sa partie sud .
L' autre réalité est le sentiment mélangé de
désillusion, d' amertume et de ressentiment à l'égard de les Libanais et
plus particulièrement des maronites .
David Kimche , qui a pris une part active à les
négociations israélo-libanaises et à l' élaboration de le traité avorté de
le 17 mai 1983 , parle de terrible déception alors que Yossi Olmert, avec
beaucoup moins de distance et de retenue, affirme qu' aucun Libanais, qu' il
soit chrétien ou musulman, ne mérite que lui soit versé une seule goutte de
sang israélien .
À propos de l' opportunité manquée ...
La version syrienne la plus élaborée et la plus
détaillée en est fournie par le principal négociateur syrien, ambassadeur de
Syrie à Washington, Walid al-Moualem .
La responsabilité de l' échec des pourparlers de Wye
Plantation est rejetée sur la partie israélienne et plus spécifiquement sur
Shimon Pérès qui a décidé, dans la foulée, la suspension des négociations,
l' organisation d' élections anticipées et le déclenchement d' une vaste
offensive au Liban en avril 1996 .
Selon l' ambassadeur syrien, Itzhak Rabin et Shimon
Pérès avaient chacun leur style et obéissaient à un rythme de négociations
différent .
Le premier était méfiant, réticent, avançait prudemment
et à petits pas .
Devenu Premier ministre, Shimon Pérès était mû par un
sentiment d'urgence .
Il désirait entrer en campagne électorale avec un accord
syro-israélien clefs en main .
Les deux pierres d' achoppement sur lesquelles butait l'
accord final étaient liées aux arrangements en matière de sécurité et à la
nature de la " normalisation " .
Les exigences israéliennes en matière de sécurité
étaient jugées inacceptables pour les Syriens qui réclamaient l' application
du principe de symétrie concernant les postes de surveillance avancés et les
zones démilitarisées .
Sur le dossier de la normalisation, les Syriens
opposaient à la vision israélienne d' une " paix chaude ", une normalisation
graduelle, en faisant prévaloir qu' il est encore prématuré pour l' opinion
publique syrienne d' assimiler et d' accepter un passage brutal d' une
situation de guerre à une situation de paix .
Sur le volet du retrait du Golan et de sa profondeur,
Walid al-Moualem et le président Assad lui -même ont affirmé que les
Israéliens, conformément à la condition posée par les Syriens comme
préalable à la poursuite des négociations, s' étaient dès 1994 engagés sur
le principe d' un retrait jusqu' aux lignes du 4 juin 1967 .
Si l' on a une version monolithique prévisible en Syrie,
les Israéliens en revanche sont partagés sur l' interprétation et les
implications de cette opportunité manquée .
Le débat oppose ceux qui croient que la paix était une
option stratégique réelle pour la Syrie à ceux qui restent convaincus que
les objectifs de Hafez al-Assad, une situation de non belligérance, étaient
fondamentalement différents de la paix telle que la conçoivent les
Israéliens .
Pour les tenants de la première thèse, un accord sous le
forme d' une " Déclaration de principes " était sur le point d' être conclu
.
L' opportunité manquée serait due à une erreur de calcul
de la part de le président Assad qui n' a pas voulu comprendre et entendre
qu' il était de sa tâche de convaincre l' opinion publique israélienne, très
réticente et en majorité encore opposée à un retrait total du Golan, de son
engagement réel pour la paix .
Une rencontre au sommet avec Shimon Pérès aurait
contribué à créer une dynamique propre .
En refusant d' effectuer ce geste symbolique en
direction de les Israéliens, il aurait contraint celui -ci à suspendre les
négociations et à provoquer des élections anticipées .
Pour les tenants de l' autre thèse, le président syrien
a fondamentalement peur de la paix en raison de ses implications sur la
stabilité du régime et sur le poids stratégique régional de la Syrie .
Son adhésion au processus de Madrid et au principe de "
La terre contre la paix " n' aurait été qu' une manoeuvre tactique pour
empocher les dividendes que lui valait en soi sa posture de négociation .
À l' inverse, la paix aurait à terme contribué à la "
banalisation " de l' acteur syrien en réduisant considérablement sa valeur
stratégique .
L' un des enjeux du débat porte, comme de coutume en
Israël, sur la personnalité de Hafez al-Assad .
De plus en plus de voix s' élèvent qui considèrent que
le président syrien constitue un obstacle à la paix et qu' Israël devrait
attendre l' après-Assad avant de relancer un quelconque processus de
négociations avec la Syrie .
Certaines figures traditionnelles du Likoud, tel Yossi
Olmert , mettent en cause la légendaire habileté politique et manoeuvrière
du président syrien en affirmant que celui -ci n' a jamais su transformer
les " cartes " dont il disposait en atouts tangibles .
De l' autre côté du spectre politique, des personnalités
telles que Itamar Rabinovitch, principal négociateur et fin connaisseur des
questions syriennes, ne disent pas autre chose en qualifiant Hafez al-Assad
d' homme du passé ", foncièrement conservateur et qui n' a jamais réussi à
bien saisi
Personne n' est en mesure aujourd'hui de confirmer ou d'
infirmer la thèse courante selon laquelle si Shimon Pérès avait remporté les
élections, une " Déclaration de principes " aurait été signée en l' espace
de quelques mois, prélude à un accord de paix global .
Rétrospectivement, il est assez troublant de constater
que l' opinion publique israélienne ne conserve pas le sentiment d' une
opportunité historique manquée avec la Syrie .
Est -ce parce que Hafez al-Assad a, avec consistance,
refusé de s' adresser directement à elle comme le lui demandait avec
insistance la partie israélienne ?
En outre, Itzhak Rabin s' était engagé à soumettre cet
accord sur le Golan à référendum, prenant par là un gros risque, la société
israélienne n' étant guère acquise à la formule " La paix en échange de la
terre " appliquée à la Syrie .
Enfin, deux visions quasi irréconciliables de la paix
continuaient à s' opposer : la paix est conçue par Damas comme un moyen de
contenir Israël dans ses frontières, alors que pour la partie adverse la
paix constitue une fin en soi devant se traduire par une normalisation
totale des relations tout en garantissant à l' État hébreu les conditions
optimales de sécurité .
Selon toute probabilité, un arrangement était sur le
point d' être conclu bien que il soit difficile d' en déterminer les termes
et le contenu .
Les responsables israéliens qui ont été impliqués très
dans les négociations sont très évasifs sur le sujet .
Selon Itamar Rabinovitch, il n' y aurait eu aucun accord
entre les deux parties sur les postes de surveillance avancés ou sur les
zones démilitarisées .
En outre, la délégation israélienne aurait bien demandé
un redéploiement de l' armée syrienne mais non une réduction de la taille
des forces armées, contrairement à les affirmations de la délégation
syrienne .
Quant au retrait du Golan, il n' aurait été abordé que
de façon très hypothétique .
La récurrence du terme " hypothétique " dans le discours
officiel israélien , de droite comme de gauche , s' agissant de le principe
même de le retrait laisse quelque peu sceptique quant à l' imminence de
cette paix manquée .
Il est évident que la grande prudence stratégique de
Hafez al-Assad et ses réserves idéologiques concernant le processus de
normalisation avec l' État hébreu ne sont pas seules en cause .
Les perceptions israéliennes de la Syrie restent
fondamentalement négatives et il n' est pas sûre qu' une poignée de main
entre Shimon Pérès et Hafez al-Assad aurait suffi à calmer les craintes des
Israéliens, nourries par trente ans de campagne selon laquelle renoncer au
Golan, c' est renoncer à la sécurité de la Galilée .
Enfin, on semble déceler quelques notes discordantes
entre Shimon Pérès et Uri Savir d' un côté, et Itamar Rabinovitch - qui
avait été nommé par Itzhak Rabin - de l' autre .
Bien que il n' en ait jamais fait état publiquement,
Itamar Rabinovitch ne semblait partager ni l' empressement de Shimon Pérès à
vouloir conclure un accord, ni son enthousiasme pour donner un contenu
nouveau plus économique et culturel aux négociations dans le cadre de sa
vision du " Nouveau Moyen-Orient " .
L' anecdote qui illustre bien la distance "
psychologique " qui séparait les deux parties , syrienne et israélienne ,
est celle relative à la volonté de Shimon Pérès, en pilote averti, de "
voler haut et vite " ( to fly high and fast ) .
Il usait de cette métaphore pour convaincre ses
interlocuteurs syriens qu' il était dans leur intérêt et leur sécurité
réciproques d' accélérer le rythme des négociations et d' en changer les
modalités, en provoquant une rencontre au sommet avec Hafez al-Assad et en
élevant les négociations directes au niveau de les chefs d' État et de
gouvernement .
À cela, les Syriens rétorquaient qu' il était certes
important de " voler " mais qu' il était tout aussi important de ne pas se
tromper sur le lieu et le moment de l' atterrissage .
Les scénarios
Les deux scénarios identifiés et analysés ici sont ceux qui
déterminent une configuration spécifique du triangle syro-libano-israélien, avec
ses prolongements sur les situations internes, et ses implications régionales et
internationales propres : le scénario du statu quo et l' option d' un retrait
israélien du Liban-sud .
Ces deux cas de figure comportent des variantes
intermédiaires que sont les risques d' escalade militaire et même de guerre
ouverte ou les percées et les progrès sur le front diplomatique .
Néanmoins, l' effondrement de la dynamique et de l'
architecture de le processus de paix israélo-arabe a réduit l' éventail des
options .
Le triangle syro-libano-israélien se situe aujourd'hui dans
cette zone grise, intermédiaire, entre l' option de la paix et celle de la
guerre, mais qui reste une zone de crise et de turbulences .
Maintien du statu quo actuel
Le scénario de " ni guerre , ni paix " est sans aucun
doute le plus plausible aujourd'hui concernant l' évolution à moyen terme du
triangle syro-libano-israélien .
La perspective d' une reprise des négociations s'
éloigne au fur et à mesure que la confusion politique s' accroît en Israël .
Contrairement à ce qui se passe sur le front intérieur,
en Palestine, il n' y a pas ici de sentiment d'urgence pour Israël, sauf au
Liban-sud .
Mais le gouvernement de Benyamin Netanyahou semble bien
déterminé à ne céder sous aucun prétexte aux pressions qu' exerce Damas via
le Hezbollah pour ramener la partie israélienne à la table des négociations,
sur la base de la paix en échange du double retrait du Golan et du Liban-sud
.
D'ailleurs, le Premier ministre estime que le Golan ne
constitue pas une priorité pour le président Assad .
La stabilité interne, le rôle de la Syrie à le Liban ,
ses relations avec les États-Unis et son poids régional sont, selon lui, des
enjeux autrement plus vitaux .
Parallèlement, les deux puissances israélienne et
syrienne redoublent de vigilance pour éviter l' escalade et la confrontation
militaire directe .
Le retour de part et d'autre au discours belliqueux et
radical qui caractérisait les relations entre les deux États avant Madrid ,
les rumeurs de surarmement et de mouvements de troupes , ne sauraient faire
oublier que, depuis la guerre d' octobre de 1973 et les accords de
désengagement sur le Golan, la frontière syro-israélienne est, comparée au
foyer de tension permanent du Liban-sud, un îlot de paix .
Certains stratèges israéliens, minoritaires , ont
pourtant élaboré des scénarios de conflit entre Damas et Tel-Aviv, qui se
fondent sur l' hypothèse centrale que la situation de statu quo n' est
viable ni pour l'une ni pour l' autre des deux parties soumises à des
échéances internes et à des pressions internationales croissantes .
Il ne fait pas de doute que la Syrie maintiendra au
Liban-sud une pression militaire indirecte aussi forte que le lui permettent
les lignes rouges fixées par l' accord de cessez-le-feu d' avril 1996 - sans
impliquer ses 35 000 soldats stationnés au Liban - et aussi longtemps que le
gouvernement israélien en place refusera de reprendre les négociations là où
elles se sont arrêtées .
Délimitée géographiquement à la zone de sécurité, la
guerre d' usure que se livrent le Hezbollah ( 1 500 hommes ) et l' armée
israélienne épaulée par l' ALS ( Armée de le Liban-sud qui compte 2 500
hommes ) , comporte certes des risques de dérapage, comme en 1993 et 1996,
lors de les deux opérations " Justice rendue " et " Raisins de la colère " .
Néanmoins, les règles du jeu scrupuleusement respectées
par Israël et la Syrie depuis l' entrée de les troupes de Damas en 1976 -
règles que la création de le Comité de surveillance de le cessez-le-feu n' a
d'ailleurs fait que formaliser vingt ans plus tard - ont instauré des
mécanismes efficaces d' endiguement de ces risques .
Une escalade militaire généralisée dont le Liban-sud
serait le détonateur ne pourrait, dans le contexte actuel, que venir d' une
décision stratégique israélienne visant à en découdre par la force avec le
Hezbollah, pacifier sa frontière nord sans avoir à payer un quelconque prix
à la Syrie .
Mais le syndrome libanais en Israël pèse de tout son
poids, psychologique certes mais également politique .
La succession de revers que continue à subir Tsahal à l'
intérieur même de sa zone de sécurité ne fait que raviver ce sentiment d'
échec et d' impuissance, relançant le débat public interne sur le maintien
de la zone de sécurité, sur lequel nous reviendrons plus loin .
Outre les fortes résistances de l' opinion publique à
toute nouvelle expédition chez le petit voisin au nord, le gouvernement
israélien doit également compter avec les oppositions et les divisions qui
se sont développées au sein de son propre état-major sur l' opportunité d'
une nouvelle action militaire pour " casser " le statu quo actuel et y
imposer un nouvel ordre garantissant la sécurité " absolue " à la fois des
populations du nord mais également celle des soldats de Tsahal .
Que ce soit une opération punitive massive prenant en
otage la population civile libanaise ( à l'instar de les " Raisins de la
colère " ) ou l' extension de la zone de sécurité vers le nord ou encore une
attaque ciblée contre les positions de l' armée syr aucune de ces trois
variantes de l' option militaire n' apparaît dans le contexte actuel comme
une stratégie gagnante .
Aucune ne semble susceptible d' échapper à la logique
de l' enlisement qui, depuis 1982-1985, est perçue comme une " malédiction "
proprement libanaise où l' arme militaire finit par se retourner
politiquement contre son utilisateur .
En outre, il va sans dire que le contexte régional et
international actuel ne se prête guère à une nouvelle action militaire
israélienne au Liban .
Le désengagement et la passivité relatives de l'
Administration américaine à le Proche-Orient sont incontestablement l'un des
éléments du statu quo actuel .
Dans le même temps, les conséquences diplomatiques du
blocage du processus de paix et les réalignements géostratégiques qui se
dessinent à le Moyen-Orient , en même temps que la vague croissante d' anti
américanisme dans le monde arabe , n' augurent rien de bien rassurant à
terme pour les intérêts et la position des États-Unis dans la région .
L' activisme diplomatique tous azimuts que déploie la
Syrie pour parer à les risques d' isolement que l' élection de Benyamin
Netanyahou avait à un moment fait craindre, notamment par le biais de la
consolidation des liens stratégiques avec la Turquie, a porté ses fruits .
Le soutien réitéré apporté par l' Égypte et l' Arabie
Saoudite à Damas , leur dénonciation quotidienne de la politique israélienne
et de la complaisance américaine , leur refus de participer à le sommet
économique de Doha de novembre 1997 , puis leur part constituent autant de
signaux d'urgence lancés à Washington par ses deux alliés les plus fiables
dans la région .
Il est peu probable qu' à un moment où la capacité de
médiateur de l' Administration américaine est sérieusement mise en cause par
ses partenaires arabes, celle -ci avalise une action militaire israélienne
au Liban .
Échaudé par le coup de poker électoral qui a précipité
Shimon Pérès dans la désastreuse opération " Raisins de la colère ",
Washington ne voudrait en outre surtout pas prendre le risque de condamner
ainsi le volet syrien des négociations, ce qui signerait l' arrêt de mort du
processus .
Tant que la partie syrienne continuera à se montrer
disposée à reprendre les négociations avec Israël sur la base de " ce_NEW_
continuera à se montrer disposée à reprendre les négociations avec Israël
sur la base de " ce disposée à reprendre les négociations avec Israël sur la
base de " ce avec Israël sur la base de " ce sur la base de " ce qui a été
conclu à Wye Plantation ", les responsables américains veilleront à éviter
toute escalade militaire dont l' objectif premier serait pour le
gouvernement israélien d' imposer par la force l' option " Le Liban d'abord
" .
Le maintien du statu quo est un pis-aller aujourd'hui
pour Washington qui a tant investi dans le processus de paix et qui peut se
targuer d' avoir réalisé de remarquables percées sur le dossier
syro-israélien en un laps de temps assez court, compte tenu de l'
antagonisme profond qui opposait les deux parties .
Il n' est pas question de revenir sur les acquis de Wye
Plantation, qu' il faut geler en attendant que le verrou israélien se
débloque, soit par un bouleversement de la donne interne, soit par un
changement de l' état d' esprit de la communauté juive américaine et de ses
puissants groupes de pression dans le sens de une plus grande fermeté à
l'égard de le gouvernement actuel afin que il réactive le processus de paix
.
À ce jour, il n' y a donc pas eu ce dangereux glissement
que beaucoup redoutaient, entre le retour à un état de guerre froide entre
Israël et la Syrie et une détérioration incontrôlable de la situation au
Liban-sud .
L' autre front, celui de le Golan , pourrait -il se
rallumer dans ce contexte de regain de tension ?
Le gouvernement israélien pourrait -il être tenté de
porter le conflit en territoire syrien pour résoudre le dilemme dans lequel
il se retrouve pris aujourd'hui au Liban-sud du fait de sa propre
intransigeance sur le Golan et de l' absence d' une alternative militaire
crédible pour sortir du bourbier libanais ?
Cette option ne recueille pratiquement pas d' échos en
Israël même parmi les milieux les plus " syrophobes " au sein de la
coalition gouvernementale qui, redoutant l' ouverture d' un nouveau front
sur le Golan, préconisent d' infliger enfin un coup fatal à la présence
syrienne au Liban .
Toutes les opérations israéliennes dans ce pays n' ont
effectivement jamais pris pour cible les positions de l' armée syrienne dans
la Békaa ( à l'exception de les frappes préventives de 1982 ), alors même
que c' était Damas et non Beyrouth qui était politiquement visée .
Il est peu probable que l' option militaire contre la
Syrie, avec toutes ses conséquences incontrôlables en termes de sécurité
pour l' État hébreu, fasse plus d' émules au sein de l' opinion publique
comme de l' establishment militaire et politique, et ce, tant que Hafez
al-Assad continuera, comme il l' a toujours fait, de se conformer aux
fameuses lignes rouges au-delà desquelles il exposerait son pays à la
supériorité militaire écrasante de Tsahal .
Certains stratèges israéliens, minoritaires , n'
écartent pourtant plus l' éventualité d' une guerre limitée que
déclencherait le président syrien pour sortir de l' impasse politique
devenue intenable .
Les tenants de ce scénario reprennent à contre-pied une
thèse communément partagée - par des hommes politiques aussi différents que
Itamar Rabinovitch et Benyamin Netanyahou - selon laquelle Hafez al-Assad n'
aurait jamais été pressé de signer un accord de paix sur le Golan .
au contraire rétorquent ceux -là, le président syrien se
trouve aujourd'hui dans la même situation d'urgence que Yasser Arafat ou que
Shimon Pérès à la veille des élections qui allaient sceller politiquement
son sort .
Il partagerait également ce même sentiment d' amertume
et de frustration d' avoir laissé la " victoire " lui échapper alors qu' il
était si proche de le but : le retour du Golan sous souveraineté syrienne .
Privé d' options diplomatiques pour libérer le Golan et
face à l' inertie de la communauté internationale, Hafez al-Assad pourrait
être tenté par une opération militaire sur le modèle de la guerre d' octobre
1973, sous la forme de une incursion limitée au Golan dans la zone du mont
Hermon, forçant ainsi Américains et Européens à intervenir rapidement pour
prévenir les risques d' escalade et relancer les négociations .
Ce scénario reste peu convaincant, ne serait -ce que par
la place centrale qu' il accorde à la psychologie du président syrien qui,
arrivant au seuil de son existence et à l'heure terrible des bilans,
opterait brutalement pour un revirement de la stratégie qui a été la sienne
depuis 1973 et qui a été globalement gagnante en termes de poids régional,
pour se précipiter tête baissée dans une confrontation militaire avec
Israël, dans une ultime tentative de jouer quitte ou double : c' est-à-dire
récupérer le Golan ou perdre tous les acquis engrangés jusque-là, dont la
mainm
En outre et sans être un fin stratège, on voit mal selon
quelle logique Israël céderait à une pression militaire syrienne sur le
Golan, en acceptant de reprendre les négociations selon les conditions
posées par Damas, alors que la guerre d' usure au Liban-sud n' a pas à ce
jour entamé l' intransigeance du gouvernement israélien .
Le président Assad - qui a toujours dans ses calculs
accordé une place centrale à les équilibres stratégiques - sait qu' une
tentative syrienne pour occuper par la force une partie du Golan entraînera
une riposte israélienne dévastatrice .
Les conditions qui prévalent aujourd'hui sont en outre
radicalement différentes du contexte régional et international qui a permis
à Anouar al-Sadate de récolter les fruits politiques d' une opération
militaire limitée dans ses objectifs .
Le président égyptien disposait alors d' atouts
stratégiques majeurs qui font défaut à Hafez al-Assad - et qui expliquent
d'ailleurs le choix historique de la Syrie de renoncer à la parité
stratégique avec l' État hébreu et d' accepter l' option de la paix : l'
effondrement de l' Union soviétique, le découplage des divers volets
égyptien, jordanien et palestinien, la disparition d' un " front " arabe
commun, etc .
Enfin, une défaite militaire de cette taille infligée à
l' armée syrienne risquerait fort de provoquer un cataclysme interne .
La dernière chose que souhaiterait le président syrien
est de se retrouver piégé dans une confrontation militaire avec Israël
.
Hafez al-Assad continuera à privilégier l' option
actuelle de " ni guerre, ni paix " que la Syrie a connue de 1974 à 1991
avant qu' elle ne se rallie au processus de Madrid .
La suspension des négociations a évidemment
considérablement réduit ses options .
Néanmoins, le président Assad a une longue expérience de
ces situations de statu quo et il sait comment en exploiter les failles et
tourner à son profit le processus de " pourrissement " actuel, pour préparer
les conditions de nouvelles négociations de paix .
Loin de le réduire à l' impuissance ou à la passivité,
la perpétuation de ce scénario le poussera de plus en plus à jouer de sa
capacité de nuisance en agissant sur quatre leviers : faire payer Israël un
prix de plus en plus lourd au Liban-sud ; geler tout processus de
normalisation entre Arabes et Israéliens et renforcer son soutien aux
mouvements d' opposition aux accords d' Oslo ; jouer sur les tensions entre
Tel-Aviv et Washington ; et enfin rentabiliser au mieux les deux cartes,
iranienne et irakienne .
Le scénario du statu quo réduit donc plutôt que il ne
favorise les risques d' escalade militaire .
En revanche, il n' est pas immuable en ce sens que l' on
est entré, non pas dans une situation de gel du processus de paix, comme l'
auraient souhaité ses architectes américains, mais dans une phase de
régression .
En effet, tels les deux accords de paix égypto-israélien
et jordano-israélien, si certains acquis semblent aujourd'hui irréversibles,
la paix des peuples régresse de façon assez inquiétante .
Pour certains, cela relève d' une vision romantique et
angélique de la réconciliation historique des sociétés arabes et
israélienne, bien éloignée des véritables impératifs et intérêts politiques,
économiques et stratégiques censés guider le processus de paix .
Mais, si les États arabes peuvent décider de faire la
paix dans un premier temps sans leurs peuples, ils ne peuvent la faire
contre eux .
Le raidissement et même la radicalisation des opinions
publiques arabes vis-à-vis d' Israël ont aujourd'hui des réminiscences d'
une époque que l' on croyait révolue depuis une dizaine d' année : celle du
refus du fait accompli israélien .
Un tel état de chose, s' il se prolongeait , aurait des
incidences politiques et stratégiques dans la mesure où la marge de
manoeuvre des États arabes se retrouverait progressivement réduite vis-à-vis
d' Israël mais aussi de Washington .
Déjà affaiblis sur le plan interne, ils seront de plus
en plus contraints à répondre de leurs choix face à des sociétés qui ne
voient guère se matérialiser les dividendes de la paix et face à une
contestation politique interne, majoritairement islamiste, opposée à la
normalisation avec l' État hébreu .
Autant que l' évolution politique interne en Israël ou
la question de l' après-Assad, cette donnée est essentielle dans l'
évaluation des différents scénarios et de leur probabilité .
La principale clef du statu quo actuel réside sans aucun
doute en Israël .
En dépit de l' opposition virulente de l' ensemble des
élites - hommes politiques, intellectuels, armée, services de sécurité et de
renseignements - et d' une position de plus en plus inconfortable au sein de
son propre parti, le Premier ministre semble être passé maître dans l' art
de la survie politique .
Si le maintien de Benyamin Netanyahou au pouvoir et sa
réélection en l' an 2000 semblent constituer une garantie contre la reprise
des négociations syro-israéliennes, rien ne permet d' affirmer aujourd'hui
qu' un changement de la donne politique israélienne, à moyen terme,
débloquera l' impasse actuelle .
Dans tous les cas de figure envisagés, motion de censure
contre le gouvernement ( qui requiert 61 voix au sein de la Knesseth ) ou
contre le Premier ministre ( 80 voix ), provoquant des élections anticipées
dans le premier cas, et la nomination d' un nouveau chef de gouvernement
dans l' autre, il est probable que le Golan et la paix avec la Syrie ne
constitueront pas des enjeux prioritaires tant au niveau de l' opinion
publique que de la classe politique .
Ce désintérêt s' explique par le fait que ces enjeux ne
sont pas pour l' heure vitaux pour la sécurité d' Israël .
Il est vrai que la frontière syro-israélienne est la
plus sûre, à telle enseigne que le Golan et le lac de Tibériade sont
aujourd'hui les lieux de villégiature privilégiés des Israéliens, les colons
eux -mêmes se reconvertissant massivement dans le secteur touristique
.
En dépit de ses professions de foi préélectorales que le
Golan restera israélien et qu' il s' y emploiera pour cela, la position de
Benyamin Netanyahou sur la paix avec la Syrie est plus ambivalente qu' il n'
y paraît .
Ainsi, à la veille de la première tournée dans la région
du secrétaire d' État américain, Madeleine Albright , à le mois de septembre
1997 , de les rumeurs persistantes ont circulé dans les médias israéliens
sur des messages secrets que le Premier ministre aurait fait parvenir à
Hafez al-Assad, via Dennis Ross et / ou Uzi Arad, son conseiller politique,
pour examiner les possibilités d' une reprise des négociations avec la Syrie
.
Le Premier ministre aurait proposé une version édulcorée
de la formule lancée par Itzhak Rabin et reprise par Shimon Pérès, selon
laquelle la profondeur du retrait n' est plus proportionnelle à la
profondeur de la paix, mais aux garanties de sécurité que Damas est prête à
concéder à l' État hébreu sur le Golan .
Bien que le cabinet du Premier ministre ait confirmé la
nouvelle, il a refusé d' en divulguer la teneur .
Benyamin Netanyahou est prisonnier non seulement de son
approche idéologique - que l' on peut résumer concernant la Syrie par " la
paix avec le Golan " - mais également de ses impératifs de survie politique
au quotidien .
Toute concession sur le Golan risque en effet de
provoquer l' effondrement de sa propre coalition .
Avigdor Kahalani, ministre de la Sécurité intérieure et
leader de le parti de la " Troisième voie " , l'un des officiers ayant
combattu sur le Golan , est formellement opposé à toute forme de restitution
du plateau vital, selon lui, pour la sécurité de l' État hébreu .
Variations autour du scénario du retrait unilatéral du
Liban-sud ... ou comment décomposer le triangle ?
Impensable à la veille de l' opération " Raisins de la
colère ", ce scénario avec toutes ses variantes fait désormais partie du
domaine du " politiquement " envisageable .
Il a été retenu ici en raison de l' évolution du débat
en Israël sur le Liban qui, en moins de deux ans, a acquis une acuité sans
précédent .
Le tabou qui , depuis 1982 , inhibait la liberté de
débattre de la politique libanaise de l' État hébreu a été levé .
L' audience que recueille l' option de le retrait
unilatéral de le Liban-sud s' est élargie de façon spectaculaire en l'
espace de deux ans à peine .
Les causes sont liées à la prise de conscience, déjà
latente mais accélérée par le bilan négatif des " Raisins de la colère ", du
fait qu' Israël n' a pas les moyens de gagner cette guerre d' usure au
Liban-sud et que la zone de " sécurité " est devenue en soi une source d'
insécurité où de jeunes soldats israéliens continuent de payer de leur vie
une politique que certains jugent " archaïque " et dépassée .
Une autre raison fondamentale à cette remise en question
de la légitimité même de les arguments sécuritaires , qui justifient le
maintien de la zone de sécurité , est liée à l' arrêt net et brutal du
processus de paix avec la Syrie .
Tant que les négociations syro-israéliennes semblaient
en bonne voie et sur le point d' aboutir à un accord global, incluant le
règlement du problème libanais, les victoires de la guérilla remportées par
le Hezbollah avaient moins d'importance .
L' impasse à le Liban-sud était vécue comme un mal
nécessaire mais provisoire .
Alors qu' aujourd'hui l' option de la paix avec la Syrie
semble durablement enterrée, des voix de plus en plus nombreuses s' élèvent
en Israël pour réclamer une révision de la politique libanaise et une
redéfinition de ses objectifs à la lumière de la situation actuelle .
Ce sentiment d'urgence au Liban-sud est exacerbé aussi
par le nouveau cadre imposé par l' accord de cessez-le-feu qui a mis un
terme à l' opération " Raisins de la colère " d' avril 1996 et a contribué à
rétrécir considérablement le champ des options israéliennes .
Cet arrangement impose des conditions restrictives à l'
armée israélienne rendant à terme sa position intenable .
Le système dans le cadre duquel opère l' armée
israélienne à le Liban-sud est devenu de plus en plus rigide, ne serait -ce
qu' en raison de l' existence du Comité de surveillance du cessez-le-feu qui
bride l' action de l' armée israélienne et neutralise en grande partie sa
puissance de feu en lui interdisant de s' en prendre aux civils .
En outre, la présence d' Américains et de Français au
sein de ce comité a de facto contribué à une forme d' internationalisation
du conflit .
Sur le plan militaire et en dépit de les récentes
déclarations du ministre de la Défense sur les " bons résultats " obtenus
par l' armée israélienne grâce à la mise en oeuvre de tactiques de combat
plus performantes, Tsahal reste astreint à une position défensive face à le
Hezbollah dont les méthodes de guérilla se sont considérablement affinées au
cours de ces dix dernières années et qui semble contrôler parfaitement le
terrain .
Pour la première fois depuis l' instauration de la zone
de sécurité, le nombre de tués israéliens a dépassé en 1997 celui des
Libanais, civils et combattants du Hezbollah confondus .
La question du maintien de la zone de sécurité est
devenue un facteur de division aussi bien parmi la classe politique qu' au
sein de l' état-major de l' armée qui se garde pourtant d' étaler au grand
jour ses discordances internes .
L' option du retrait unilatéral, total ou partiel ,
provoque un débat public particulièrement vif entre partisans et opposants .
Les prises de position sur cette question transcendent
les lignes de clivages traditionnels Likoud / Parti travailliste et
finissent par brouiller encore davantage un échiquier politique déjà confus
.
Ainsi, si la " colombe " travailliste, Yossi Beilin, et
le " faucon " du Likoud et ministre des Infrastructures nationales, Ariel
Sharon , soutiennent tous deux l' option de le retrait unilatéral , leurs
motivations sont loin de être les mêmes .
L' architecte de l' opération de 1982 " Paix en Galilée
", qui rejoint par là les positions de le parti de la " Troisième voie " ,
est favorable à un retrait unilatéral, à la seule condition qu' il ne soit
pas négocié avec les Syriens .
L' objectif est non seulement de priver la Syrie de son
atout-maître, mais également de dissocier les deux volets libanais et syrien
.
Il ne s' agit plus de l' option " Le Liban d'abord ",
mais de l' option " Le Liban seulement " .
Le retrait se transforme alors en une carte contre la
Syrie .
Mais l'un des arguments majeurs de Ariel Sharon reste
qu' Israël doit pouvoir décider en toute liberté du moment, des modalités et
des conditions d' un retrait .
Yossi Beilin et d'autres, dont l' Association des 4
mères " de soldats israéliens servant au Liban-sud, s' appuient davantage
sur des arguments de type humanitaire pour démonter le raisonnement
stratégique et sécuritaire qui sous-tend le maintien de cette
Le nombre de soldats israéliens tués au Liban ( 1 200
environ depuis 1982 ) et le bilan chaque année un peu plus élevé devraient,
selon eux, inciter les responsables israéliens à changer de politique .
Ils soutiennent que Tsahal serait bien plus en mesure
de défendre la sécurité de l' État d' Israël à partir de le territoire
israélien .
À l' extrême gauche de l' échiquier politique, on
retrouve des opposants au retrait tels que le député Yossi Sarid ( Meretz )
- l'un des plus virulents critiques de l' opération " Paix en Galilée " -
qui redoute dans ce cas de figure un déluge de katioushas sur le nord d'
Israël, contraignant l' armée israélienne à revenir en force au Liban en y
lançant une invasion massive, terrestre et aérienne .
Le consensus apparent au sein de les forces armées sur
la nécessité de maintenir cette zone-tampon aussi longtemps que Israël et la
Syrie ne sont parvenus pas à un accord politique semble sérieusement ébranlé
.
Le doute commence à gagner un nombre croissant d'
officiers supérieurs du Commandement de la région nord quant à l' efficacité
d' une politique dont le but déclaré est de protéger la sécurité de la
frontière nord d' Israël sans pour autant exposer la vie des soldats
israéliens .
Bien que ces responsables militaires ne fassent aucune
déclaration publique sur une nécessaire révision de la stratégie israélienne
au Liban, certaines " fuites " laissent à penser que l' option d' un retrait
unilatéral fait de plus en plus d' émules jusqu' aux plus hauts échelons de
la hiérarchie militaire .
De l' avis de ces militaires, l' enlisement de Tsahal à
le Liban-sud commence à affecter sérieusement le moral des troupes alors que
l' assurance et la combativité du Hezbollah ne font que se renforcer sur le
terrain .
À l' inverse, l' ALS censée au départ être la cheville
ouvrière de tout le dispositif israélien à le sud est devenue au fil de le
temps et plus précisément depuis deux ans un allié de moins en moins fiable
et de plus en plus difficile à gérer et à contenir .
Plusieurs sources, israéliennes et autres , font état de
défections de plus en plus nombreuses en son sein de jeunes combattants qui
vont grossir les rangs du Hezbollah et / ou se transforment en agents
doubles transmettant au Hezbollah des renseignements sur les mouvements et
les opérations tactiques des troupes israéliennes .
Contre les tenants de cette thèse, un noyau dur d'
officiers continue à défendre fermement le maintien de la zone de sécurité
comme un moindre mal .
Un retrait sans garantie de sécurité, même avec menaces
de représailles massives en cas de attaques de le Hezbollah sur le nord d'
Israël , serait un coup de poker aux risques incontrôlables, qui exposerait
directement les populations civiles .
Les combattants du Hezbollah s' étendraient tout au long
de la frontière et tenteraient des opérations d' infiltration en territoire
israélien .
Le retrait porterait également un coup fatal au prestige
de Tsahal vis-à-vis de l' opinion publique israélienne mais également arabe,
contrainte pour la première fois de se replier sous la pression d' une
guérilla de quelques milliers d' hommes .
Ainsi, selon Uri Lubrani, coordinateur des opérations
israéliennes à le Liban-sud , ce serait pure folie que d' envisager un
retrait dans les conditions actuelles, même assorti de mesures sécuritaires
et logistiques, impliquant une tierce partie, la France par exemple, qui en
garantirait la bonne application .
Il est convaincu que le maintien de la zone de sécurité
est la situation la moins coûteuse pour Israël en termes de sécurité .
Il considère l' option " Le Liban d'abord ", dans toutes
ses formulations et déclinaisons, comme mort-née, mais n' est pas partisan
pour autant de la réédition d' une attaque de type " Raisins de la colère "
.
La pression croissante de l' opinion publique relayée
par le malaise dans les rangs de l' armée face à les succès militaires
remportés par le Hezbollah - notamment contre le fameux char d' assaut
Merkava, fleuron de l' industrie de l' armement israélienne
Néanmoins, la radicalisation de ce débat ne peut manquer
à terme de faire éclater les contradictions - et peut-être bien les
divisions internes - du gouvernement qui marche, par conservatisme ou
absence de consensus interne, dans les pas de son prédécesseur mais sans
avoir de direction précise .
S' agit -il de ne rien entreprendre au Liban qui puisse
y miner l' influence et la prédominance de la Syrie, seule puissance en
mesure de garantir une pacification de la frontière nord d' Israël
permettant aux troupes de Tsahal de se retirer en toute sécurité ?
Mais alors comment résoudre cette contradiction
inhérente à la position israélienne qui reconnaît à la Syrie les pleins
droits sur le Liban mais ne lui en concède aucun sur le Golan ?
Les probabilités d' un tel scénario de retrait
unilatéral restent minces .
En dépit de l' acuité du débat, l' opinion publique ne
semble pas dans sa majorité gagnée par l' idée du retrait .
L' une des raisons à cela est liée à la perception
négative de la notion d' unilatéral " qui équivaudrait à " inconditionnel ",
donc à une forme de reddition de l' armée israélienne .
En réalité, aucun des acteurs principaux ne souhaite qu'
Israël le mette en pratique, surtout dans sa version inconditionnelle et non
concertée : ni les Syriens qui se retrouveraient privés de leur principal
levier de pression sur Israël, ni l' État libanais qui redoute l'
installation d' un vide stratégique au Liban-sud favorisant les tensions et
les règlements de compte intra-libanais, ni Washington et ses alliés arabes
- notamment l' Égypte et l' Arabie Saoudite qui ont officiellement avalisé
et soutenu la stratégie syrienne sur la " concomitance des deux volets " -
c
Un tel cas de figure présente pourtant bien des
avantages du point de vue israélien, l' isolement du couple syro-libanais n'
en est pas des moindres .
Non point que l' État hébreu cherche à défaire ce couple
; comme il a été souligné plus haut, aucun dirigeant israélien de droite ou
de gauche ne souhaite aujourd'hui s' immiscer dans les relations bilatérales
entre la Syrie et le Liban .
Mais, en renonçant à sa zone de sécurité, Israël aurait
réussi à s' extirper de ce triangle hors duquel le couple syro-libanais perd
l'un de ses éléments essentiels de cohésion et de légitimation .
Le redéploiement des troupes syriennes, prévu par les
accords de Taëf , serait de nouveau à l'ordre de le jour .
Par ailleurs, il n' est pas du tout sûr, contrairement à
les craintes exprimées par les opposants à un retrait unilatéral, que le
Hezbollah " poursuive " l' armée israélienne en Israël pour deux raisons
majeures .
La première est qu' il est très délicat pour la Syrie d'
apporter sa caution implicite à des opérations militaires menées en
territoire israélien, par crainte à la fois de l' ampleur prévisible de la
riposte israélienne et de la réprobation internationale que cela ne manquera
pas de susciter, de la part aussi bien des États-Unis et de l' Union
européenne que des alliés égyptien et saoudien de la Syrie .
La deuxième raison tient à la stratégie proprement
interne du Hezbollah qui prime sur toute autre considération d' ordre
régional .
La direction actuelle de le mouvement ne voudrait en
aucun cas mettre en péril les bénéfices politiques de plus d' une douzaine
d' années de résistance à l' occupation israélienne en " ouvrant ", en cas
de retrait des troupes de Tsahal, un nouveau front sur la frontière
libano-israélienne .
Le capital de sympathie et de soutien dont il bénéficie
sur le plan national et l' audience croissante qu' il s' est taillé au sein
de la communauté chiite face à le mouvement Amal pourraient en être
durablement affectés et menacer la survie même du mouvement sur la scène
politique libanaise .
Malgré les avantages qu' elle présente, une telle
initiative israélienne constituerait un coup de poker, tant les risques
restent grands et imprévisibles .
Un bien timide ballon d' essai a été lancé avec l'
évacuation par l' ALS d' une douzaine de villages de la région de Jezzine .
Cette manoeuvre visait à tester la capacité de l' État
libanais à reprendre le contrôle des zones " libérées ", dans l' hypothèse
d' un retrait par étapes ( autre variante du retrait unilatéral ) .
Face à l' absence de réaction de la part tant du
Hezbollah que de l' armée libanaise, le gouvernement israélien semble pour
l' heure avoir renoncé à la carte " Jezzine d'abord " .
Mais cette option comme celle d' un retrait total
restent ouvertes .
Beaucoup dépendra de la configuration future des
rapports de forces internes en Israël dont il est difficile de saisir les
contours, et de l' évolution de la relation avec Washington .
Une impasse prolongée sur le dossier palestinien peut
également pousser le gouvernement israélien à cette forme de fuite en avant
en évacuant ses troupes de la zone de sécurité .
Il n' est pas exclu que Benyamin Netanyahou ait, en son
for intérieur, déjà pris cette décision et qu' il attende le moment opportun
pour abattre une carte qu' il estime gagnante .
L' ALS prend très au sérieux la possibilité d' un
retrait subit et non concerté de Tsahal, comme le prouvent les déclarations
de son commandant, Antoine Lahad, qui, pour la première fois, a publiquement
menacé Israël de représailles en cas de retrait unilatéral .
Mais, si un tel retrait s' effectuait dans le contexte
actuel de blocage diplomatique, même sous la bannière de la résolution 425,
il ne contribuerait certainement pas à désamorcer le climat de tension .
L' État libanais serait bien en peine de reprendre le
contrôle du Liban-sud, bien que, techniquement, l' armée soit aujourd'hui
tout à fait en mesure de remplir le rôle prévu par les accords de Taëf .
Il devra faire face à un grave dilemme en cas de retrait
: soit laisser le champ libre au Hezbollah - sur instructions syriennes -,
soit déployer l' armée libanaise dans une région qui échappe totalement
depuis 1978 à l' autorité du pouvoir central et remplir le rôle de
garde-frontières au bénéfice de Israël .
La Syrie, quant à elle , célébrera à grands renforts de
médias et de déclarations triomphalistes la " libération " du Liban-sud
comme la victoire de la résistance libano-syrienne .
Mais le temps des festivités passé, le président Assad
devra relever ce défi qui met à plat sa stratégie de négociation face à
Israël .
Il pourrait opter pour l' escalade mais encore faudrait
-il qu' il puisse justifier au regard de la communauté internationale la
poursuite d' actions de " résistance " en territoire israélien .
des substituts au Hezbollah - trop identifié aujourd'hui
à la résistance libanaise contre l' occupation israélienne - devront être
trouvés qui agiront alors sous le slogan " Libérer la Palestine " .
Le président Assad pourrait se servir des principaux
mouvements d' opposition palestiniens qu' il abrite pour recréer un nouveau
" fathland " au Liban-sud, comme aux heures de gloire de la résistance
palestinienne au Liban .
L' autre alternative - qui semble la plus probable - est
qu' il prendra sagement le temps de la réflexion, en évitant surtout de se
lancer dans une action précipitée qui risquerait de menacer son emprise sur
le Liban .
Son réflexe premier sera plutôt de chercher à protéger
la solidité du couple syro-libanais même s' il doit dans le même temps
mettre entre parenthèses son " combat " pour libérer le Golan .
Il sait qu' il dispose d' atouts non négligeables en cas
de retrait unilatéral israélien .
Le premier d' entre eux et le plus important est que
personne - ni la troïka libanaise, ni les pays arabes, ni Israël, ni l'
Iran, ni les États-Unis, ni même la France ou l' Union européenne - n'
exigera de la Syrie qu' elle se conforme enfin aux dispositions des accords
de Taëf qui prévoient le redéploiement puis le retrait des troupes
syriennes, selon un échéancier bien précis mais sans cesse repoussé en
raison de les " conditions exceptionnelles " que traverse le Liban,
autrement dit l' occupation israélienne et la nécessité vitale d' y mettre
un terme .
La crainte réelle d' un basculement du Liban dans la
guerre civile agit comme un repoussoir pour tous les acteurs régionaux ou
internationaux impliqués directement ou indirectement sur la scène libanaise
.
Même l' Iran - qui figure en tête de la liste de les "
rogue states " établie par l' Administration Clinton - ne serait pas
favorable à une rupture du statu quo intercommunautaire libanais issu de
Taëf qui a considérablement amélioré la position et le poids de la
communauté chiite .
Il est important de souligner à cet égard, contrairement
à la perception largement partagée en Israël, que Téhéran reste un acteur
extérieur au triangle syro-libano-israélien et que son influence sur le
Hezbollah a été démesurément exagérée .
Il ne s' agit pas de nier la réalité des faits, à savoir
que ce mouvement est né en 1985 de l' alliance syro-iranienne au Liban, à un
moment où il y avait une véritable prolifération de milices au Liban .
Mais ce mouvement a réussi à se hisser au rang de parti
politique et à s' affirmer, à travers sa participation au jeu électoral et
sa forte représentation parlementaire, comme un acteur à part entière sur la
scène politique libanaise - pour autant bien sûr que l' on puisse qualifier
de vie politique, l' immobilisme et la paralysie qui frappent les
institutions de la IIe République libanaise .
En tout état de cause, le jeu de Téhéran à le Liban a
toujours soigneusement évité de heurter de front ou de court-circuiter le "
maître et seigneur des lieux " syrien .
Les États-Unis s' abstiendront également d' exercer des
pressions dans ce sens pour les raisons qui ont été évoquées plus haut -
ménager la Syrie dans l' espoir d' un déblocage du processus de paix - et
parce que ils ne font guère confiance à la capacité de l' État libanais à
assurer la paix civile et à imposer son autorité sur l' ensemble du
territoire .
Quant aux Israéliens, ils seront plus que sensibles aux
arguments que la Syrie ne manquera d' agiter comme autant d' épouvantails
contre d' éventuelles pressions pour que elle retire ses troupes du Liban .
Le premier de ses arguments concerne la " porosité " de
la frontière libano-israélienne : seule Damas est aujourd'hui en mesure de
contrôler les groupes potentiels qui voudront se lancer dans de nouvelles
opérations de guérilla en territoire israélien .
Le deuxième argument, tout aussi porteur , est lié à la
question des 300 000 réfugiés palestiniens au Liban dont le sort est de plus
en plus incertain, compte tenu à la fois du refus de l' État libanais d'
envisager une quelconque solution d' intégration " et du déraillement du
processus d' Oslo .
Là encore, le rôle de la Syrie peut s' avérer vital .
Enfin, la position commune de la France, de l' Union
européenne et de la majorité de les pays arabes est que la Syrie doit
demeurer une partie centrale de tout accord ou " désaccord " dans le cas de
un retrait unilatéral israélien ...
Conclusion
Le triangle syro-libano-israélien est aujourd'hui
complètement verrouillé par l' impasse du processus de paix .
Des trois parties prenantes à ce jeu triangulaire, c' est
sans conteste l' acteur israélien qui détient la clef d' un " déblocage " .
au terme de cette étude, il semble probable que l' option du
statu quo l' emportera côté israélien, tout au moins jusqu' aux prochaines
élections législatives .
Mais la scène politique israélienne reste confuse et son
évolution, même à court terme, demeure imprévisible ; ce qui n' est pas sans
déconcerter les amateurs de scénarios que nous sommes et qui avons appris qu'
une démocratie offrait plus de transparence et de lisibilité au niveau de sa
politique extérieure et de sa sécurité qu' une autocratie, et qu' elle était
naturellement plus encline à opter pour la paix .
Il n' est pas de notre propos ici d' analyser les mutations
sociopolitiques diverses que connaît l' État d' Israël .
Mais le processus de paix et son accélération en l' espace
de trois ans à peine ont eu l' effet d' un séisme sur une société contrainte de
se redéfinir dans son double rapport à son environnement resté étranger et à son
identité propre .
Le refus de l' assimilation que prône Benyamin Netanyahou n'
est que l'une des expressions de ce choc historique .
Il n' est dès lors pas acquis que son départ suffise à
remettre sur les rails le processus de paix .
Ehoud Barak , secrétaire général de le Parti travailliste ,
lui -même , se garde bien de s' engager clairement sur le sujet .
Homme secret, il fait très peu de discours et se présente
toujours comme le successeur de Itzhak Rabin .
On suppose qu' une fois au pouvoir et disposant d' une
majorité confortable, il donnerait la priorité au volet palestinien .
Concernant les négociations avec le couple syro-libanais,
il adoptera à n' en pas douter la même approche que Itzhak Rabin et Shimon
Pérès, à savoir que la Syrie reste le passage obligé de tout règlement global .
Au mois d' août 1997, il avait envoyé par l'intermédiaire
de la délégation d' Arabes israéliens, en visite à Damas, une lettre au
président syrien dans laquelle il s' engageait à suivre la voie de la paix
tracée par Itzhak Rabin .
Hafez al-Assad qui , à cette occasion , a loué les vertus d'
homme de paix de le président de le Parti travailliste , continuera à observer
avec beaucoup d' attention les évolutions politiques internes en Israël .
À mi-parcours entre la suspension des négociations début
mars 1996 et la fin du mandat de Benyamin Netanyahou en l' an 2000, le président
syrien n' a de meilleur choix que celui d' attendre en tablant sur le fait que
le temps joue contre le premier ministre israélien et discrédite les options qu'
il défend, en démontrant qu' il n' y aura pas de sécurité pour l' État hébreu
sans paix réelle .
Et cette paix doit passer par la restitution du Golan et l'
évacuation du Liban-sud tout en préservant l'une des victoires les plus
éclatantes de Hafez al-Assad : la consolidation de son hégémonie au Liban
.
TITRE : Scénarios syriens : processus de paix, changements internes et
relations avec le Liban
AUTEUR : Volker Perthes*
Il a fallu beaucoup de temps et de longs débats internes à la
Syrie avant d' accepter l' idée que le processus de négociations bilatérales et
multilatérales, lancé lors de la conférence de Madrid en 1991, pouvait à terme
déboucher sur une paix réelle avec Israël .
En effet, une large partie de l' élite politique comme
intellectuelle redoutait les conséquences de la paix et de la " normalisation " sur
la position régionale de la Syrie, sa stabilité interne et sa situation économique .
Damas est demeurée pendant un long moment sceptique quant à la
volonté réelle d' Israël de parvenir à un accord équitable et satisfaisant pour les
deux parties .
Ce n' est qu' en 1995 que les responsables syriens ont commencé
à croire qu' une base commune pouvait être trouvée avec le gouvernement travailliste
.
Et de fait, les négociations tenues à Maryland de décembre 1995
à janvier 1996 ont été beaucoup plus sérieuses et poussées que tous les " rounds "
précédents .
C' est à ce moment -là, semble -t-il, que les Syriens ont pris
la décision de s' engager pleinement dans le processus de paix .
Mais les choses allaient se dérouler autrement que prévu .
La victoire de Benyamin Netanyahou à les élections de 1996 a
pris les responsables syriens par surprise ; ils ne l' avaient évidemment ni
souhaitée, ni intégrée dans leur stratégie de négociation comme une éventualité
plausible .
Mais rien ne pourra les contraindre aujourd'hui à renégocier
avec le gouvernement du Likoud ce qui avait été déjà négocié avec ses prédécesseurs
ou de revenir sur les bases de l' accord tel qu' il semblait se préciser avec les
travaillistes, autrement dit un retrait israélien " total " du Golan en échange d'
une paix " totale " .
Par conséquent, le scénario le plus probable , aussi longtemps
que le Likoud demeurera à le pouvoir , est la prolongation de la situation de " ni
paix, ni guerre " entre la Syrie et Israël, autrement dit la poursuite de la guerre
d' usure au Liban-sud avec toujours les risques d' escalade généralisée et d' une
confrontation directe entre les forces israéliennes et syriennes .
À court et moyen termes, le scénario le plus improbable reste
celui d' une reprise des négociations menant à terme à un accord de paix
syro-israélien, en raison soit d' un changement de l' équipe au pouvoir en Israël,
soit d' un revirement de stratégie de la part de le gouvernement actuel .
Cette étude tente, pour chacun de ces deux cas de figure, d'
analyser les implications qui pourraient en résulter sur la situation interne de la
Syrie, sa position et sa stratégie régionales, en mettant plus particulièrement l'
accent sur les relations avec le Liban .
La " question de la succession " de le pouvoir syrien actuel
sera également abordée .
Enfin, quelques suggestions seront faites concernant plus
spécifiquement la politique européenne vis-à-vis de la Syrie, du volet
syro-israélien des négociations et du " couple " syro-libanais .
Le lecteur devra garder à l' esprit les limites inhérentes à ce
genre d' exercice .
Les scénarios développés ici et leur probabilité de réalisation
se fondent certes sur des informations et une analyse objectives .
Il n' en demeure pas moins que les sociologues et politologues
ne sont pas pourvus de dons de voyance qui rendraient leurs prévisions infaillibles
.
Ni guerre, ni paix "
En supposant que le gouvernement de Benyamin Netanyahou se
maintienne au pouvoir en Israël, il est probable que l' impasse actuelle du
processus de paix persiste surtout au niveau de son volet syrien .
Cela d' autant plus que la prolongation de cette situation
instable de " ni guerre , ni paix " - qui prévaut d'ailleurs entre Israël et la
Syrie depuis 1974 - est perçue par beaucoup, notamment parmi les responsables de
la politique moyen-orientale à Washington, comme étant la plus favorable .
Pour la ligne " dure " israélienne, un traité de paix avec
la Syrie n' a jamais été considéré comme valant la perte du Golan ; les
dirigeants syriens sont à cet égard honnêtes quand ils affirment que, pour eux,
le temps ne presse pas .
Si les deux parties peuvent s' accommoder du statu quo
actuel, elles ont un égal intérêt à éviter la guerre ouverte et réussiront en
toute probabilité - comme l' expérience passée tend à le démontrer - à le faire
.
L' environnement régional et international
L' intransigeance israélienne et l' impasse du processus
de paix ont contribué jusque-là à renforcer la position de la Syrie
vis-à-vis de ses alliés dans la région .
Dans le court et moyen termes au moins, les alliés
arabes de la Syrie, autrement dit ses partenaires de la déclaration de Damas
( l' Égypte et les États du Conseil de coopération du Golfe ), continueront
à lui apporter leur concours politique et financier .
Damas pourra également compter sur le soutien moral et
politique de la Ligue arabe, dont l' expression la plus forte a été la
décision prise en 1996 de lier le processus de normalisation avec Israël aux
progrès accomplis au niveau de les deux volets syro-israélien et
israélo-palestinien .
La reconnaissance de ce lien entre la " normalisation "
régionale et les négociations bilatérales avec l' État hébreu conjure pour
la Syrie le spectre de l' isolement dans le cadre de un " Nouveau
Moyen-Orient " façonné par Israël, la Jordanie, certains États arabes du
Golfe et du Maghreb auquel se joindrait peut-être la Turquie .
Ce lien vient également rappeler aux Israéliens que
Damas ( autant que Gaza ) demeure le passage obligé vers l' établissement de
relations économiques et commerciales avec le monde arabe .
Quant aux relations syro-iraniennes, elles ne sont pas
tributaires de l' attitude de la Syrie vis-à-vis d' Israël mais sont fondées
plus largement sur des intérêts communs .
Il n' en demeure pas moins que le gel actuel des
relations entre la Syrie et Israël supprime un facteur de tension potentiel
entre les deux alliés .
Le timide rapprochement esquissé avec l' Irak répond en
large partie aux craintes que suscite le renforcement de l' alliance
stratégique entre Israël et la Turquie .
Il ne faut cependant pas s' attendre à voir se former
une contre-alliance syro-irakienne .
La méfiance réciproque reste forte entre Damas et
Bagdad, et il est probable que les responsables syriens limiteront leurs
relations avec le régime irakien en fonction de ce que leurs alliés arabes
du Golfe jugeront acceptable .
Sur le plan international, les relations de la Syrie ne
seront pas affectées outre mesure par l' impasse actuelle et cela tant que
Damas continuera à faire la preuve de son engagement en faveur de la paix .
L' Administration américaine, qui n' est pas sans
ignorer que la collaboration de la Syrie est essentielle pour relancer le
processus , ne cédera probablement pas aux pressions du Congrès en faveur de
un durcissement de la politique américaine à l'égard de Damas .
Pour l' Union européenne, un accord syro-israélien reste
la clef de la paix et de la stabilité au Moyen-Orient et en Méditerranée .
Conscients que leur contribution au volet syro-israélien
des négociations est limitée, l' UE, et certains États européens
individuellement , continueront à favoriser une plus grande participation de
la Syrie et d' Israël dans le cadre de les projets de coopération euro -
méditerranéenne, et notamment la négociation d' un accord d' association
entre l' UE et la Syrie .
Damas considère cette initiative européenne comme un
moyen d' intégrer la mondialisation économique via l' Europe plutôt que par
le biais de un " Nouveau Moyen-Orient " dominé par Israël .
La Syrie acceptera l' assistance européenne pour
accompagner le processus de réformes mais ne tolérera pas qu' on en lui
dicte le rythme - que ce soit l' Europe plutôt que la Banque mondiale n' y
changera rien .
En outre, tant que le volet syro-israélien demeurera
bloqué, il est peu probable que la Syrie soit soumise à des pressions
américaines, européennes ou arabes pour desserrer son emprise sur le Liban
.
Le Liban
Selon la vision " realpoliticienne " de Damas, la
configuration des rapports de force à le Machrek reste essentiellement
dominée par la compétition entre les deux principales puissances régionales
: Israël et la Syrie .
Dans cette perspective, les acteurs arabes " secondaires
" - la Jordanie , les Palestiniens et le Liban - devraient dans leur intérêt
propre accepter de se placer sous la houlette syrienne .
Toute forme de relations que l'une de ses parties
engagerait avec l' État hébreu, stratégique ou économique, sans coordination
préalable avec Damas, contribuerait à affaiblir le camp arabe .
Depuis que l' OLP et la Jordanie ont choisi de faire
cavalier seul, la carte libanaise est devenue encore plus vitale pour Damas
qui veille jalousement à travers son emprise sur tous les aspects de la
politique libanaise à prévenir toute tentative de dissocier les deux volets
syrien et libanais, à l'instar de l' option israélienne du " Le Liban
d'abord " et de ses différentes variantes .
La Syrie dispose des moyens nécessaires pour empêcher le
Liban de s' engager dans une négociation séparée avec Israël et mettra toute
l' énergie nécessaire afin que le règlement du problème libanais soit partie
d' un accord global syro-israélien .
En l'absence de progrès dans les négociations entre
Damas et Tel-Aviv, la stratégie syrienne consistera à maintenir une pression
constante, quoique limitée, sur Israël, à travers son soutien conditionnel
au Hezbollah et autres groupes de résistance, mais toujours en évitant d'
exposer les forces armées ou le territoire syriens .
Il existe deux éventualités, quoique peu probables, qui
pourraient bouleverser cette situation .
La première est celle d' un retrait unilatéral des
forces israéliennes du Liban - en application de la résolution 425 du
Conseil de sécurité des Nations unies - avec menace de représailles massives
en cas de attaques en territoire israélien .
L' autre possibilité serait une escalade de la violence
entre les forces israéliennes et le Hezbollah qui pourrait amener Israël à
lancer une attaque de large envergure contre le Liban et contre des cibles
syriennes .
Dans ces deux cas de figure, la Syrie se retrouverait
dans une situation embarrassante .
Elle pourrait difficilement dénoncer un retrait
israélien du Liban-sud mais, dans le même temps, elle deviendrait de facto
responsable de la sécurité de la frontière nord d' Israël sans avoir en
contrepartie gagné l' engagement d' un retrait israélien du Golan .
Damas pourrait être tentée de faire avorter une telle
manoeuvre israélienne en encourageant le Hezbollah à intensifier ses
activités .
Une initiative de ce type serait néanmoins pleine de
risques, dans la mesure où Damas serait condamnée par la communauté
internationale pour avoir fait échouer une démarche de paix .
Sans oublier qu' une intensification de les activités de
le Hezbollah finirait par provoquer une escalade généralisée avec cette fois
de les raids israéliens contre des cibles syriennes .
Damas pourrait difficilement s' abstenir de riposter au
cas où ses troupes seraient attaquées, mais elle n' est pas sans ignorer les
lourdes pertes que cela lui coûterait .
En réalité, il est peu probable que le gouvernement
Netanyahou veuille appliquer la résolution 425 en se retirant
unilatéralement et sans conditions du Liban-sud .
Sa proposition " Le Liban d'abord " visait à parvenir à
un règlement sur le front libanais assorti de garanties syriennes .
Dans le même temps, Damas a tout intérêt à éviter une
escalade incontrôlable au Liban-sud et considère que le Comité de
surveillance du cessez-le-feu remplit parfaitement cette mission en
contenant le conflit dans ses limites propres .
Une guerre ouverte conduirait à une défaite syrienne .
Israël réussira sans aucun doute à bouter la Syrie hors
du Liban, mais elle devra dans le même temps renoncer à son projet de
normalisation de ses relations avec l' ensemble du monde arabe pour une
décennie, ou plus encore, et prendre le risque de s' exposer à des attaques
à l' intérieur même de son territoire et peut-être aussi à une guerre d'
usure sur les deux fronts, libanais et syrien .
Par conséquent, les deux parties israélienne et syrienne
n' ont aucun intérêt à laisser se développer un tel scénario .
Sur le plan de la situation interne au Liban, l' impasse
actuelle de le processus ne peut que renforcer la détermination de la Syrie
à maintenir la forme de stabilité très spécifique qu' elle a contribuée à
asseoir dans ce pays .
Cela se traduit par un soutien actif au gouvernement
libanais dans ses efforts pour développer son appareil de sécurité et pour
imposer d'une main de fer l' ordre public et la sécurité interne dans les
régions sous son contrôle effectif ; cela exclut la zone de sécurité occupée
par Israël et certaines zones de combat périphériques .
Mais le type même de stabilité que Damas cherche à
promouvoir à le Liban y limite singulièrement les perspectives de
changements politiques .
Le régime syrien préfère collaborer avec le même groupe
de personnes sur le long terme ; il n' a aucun intérêt à encourager une
alternance au niveau de le pouvoir libanais et veillera à maintenir l'
équilibre actuel entre les principaux piliers de la coalition
gouvernementale .
Les élections législatives de 1996 ont illustré
clairement cette stratégie de maintien du système en place .
Il y a certes eu de " vraies " élections dans la mesure
où il existait une large marge de compétition et de choix possibles .
Néanmoins, l' influence syrienne a joué un rôle décisif,
et parfois ouvertement, dans la finalisation des listes électorales dans les
zones sensibles de manière à y garantir une place pour toutes les forces
proches du régime issu de Taëf, tout en maintenant un savant équilibre entre
les différents candidats .
De la même manière, un deuxième renouvellement du mandat
du président Hraoui n' est pas à exclure .
Dans le même temps, Damas se gardera d' intervenir dans
la définition de la politique économique et sociale au Liban, à la seule
condition que la main-d'oeuvre et les produits syriens soient épargnés par
les mesures de nature protectionniste que le gouvernement libanais jugera
bon de prendre .
La Syrie a tout intérêt à ce que le processus de
reconstruction aboutisse en raison à la fois des opportunités de travail que
ce marché pourrait offrir aux chômeurs en Syrie et, à plus long terme, de la
contribution libanaise à la modernisation de l' économie syrienne .
Bien que certains Syriens considèrent le Liban un peu
comme le Hong-Kong de la Syrie, l' objectif de Damas n' est pas de réaliser
une union politique avec ce pays et encore moins de l' annexer .
L' une des raisons principales à cela et non de les
moindres est qu' une telle initiative contribuerait à bouleverser tant l'
équilibre régional que la situation intérieure des deux pays - des risques
que le régime syrien cherche à tout prix à éviter .
Les implications internes
Bien que la prolongation pour une période indéfinie de
cette situation de " ni guerre, ni paix " convienne à la majeure partie de
l' establishment syrien, elle n' augure rien de bon à moyen et long termes
pour les perspectives de développement du pays .
En effet, cette situation ne peut que favoriser l'
immobilisme sur le plan interne à un moment où la Syrie devrait s' engager
dans des réformes politiques et économiques vitales pour affronter les défis
de la prochaine décennie et au-delà .
Dans la prochaine décennie, l' économie syrienne devra
chaque année gérer quelque 200 000 à 250 000 nouveaux arrivés sur le marché
de l' emploi ( actuellement, celui -ci ne peut en absorber que la moitié ) ;
cela dans un contexte de baisse des revenus pétroliers, d' un épuisement
probable des réserves pétrolières, d' une sévère crise de la balance des
paiements - à moins de attirer les investisseurs étrangers et de renforcer
la flexibilité et la compétitivité des industries de production syriennes -
et enfin dans un contexte de risques d' une paupérisation accrue .
Afin de faire face à l' ensemble de ces défis, la Syrie
devra relancer et accélérer le train de réformes économiques timidement
entreprises à la fin de les années 80 et au début de les années 90 mais qui
a évité de s' attaquer aux enjeux les plus sensibles tels que la
privatisation des banques, le développement du marché boursier, ainsi que la
libéralisation des investissements commerciaux et industriels .
La Syrie devra en outre développer ses ressources
humaines - ses étudiants, ses technocrates, sa main-d'oeuvre en général,
ainsi que ses élites intellectuelle, administrative et bureaucratique .
Enfin, dans le but de créer un environnement propice aux
investisseurs locaux et internationaux, la Syrie devra également se
conformer aux règles d' un État de droit, avec un gouvernement responsable
et un système juridique fiable .
Toutefois, la prolongation du rapport de forces existant
sur les plans interne et externe - l' absence de progrès dans les
négociations et le maintien de le pouvoir actuel - n' incitera pas le régime
syrien à prendre les décisions nécessaires pour accélérer les réformes
économiques et encore moins politiques .
D'abord, la configuration politique interne n' est pas
de nature à y encourager les forces en faveur de un changement .
La marge de manoeuvre de ceux qui militent pour des
réformes en profondeur est limitée ; toute initiative dans ce sens
menacerait les intérêts et les privilèges de larges secteurs de la base de
soutien au régime .
On ne peut non plus compter sur des soulèvements de
nature politique ou sociale .
La Syrie est pratiquement devenue un État dépourvu d'
opposition ( sérieuse ) ; la situation économique connaît une amélioration
certaine comparée aux années 80 et le régime sera probablement en mesure de
prévenir toute crise d' envergure dans les prochaines années - en cas de
urgence, l' Arabie Saoudite et le Koweit restent toujours disposés à
apporter leur aide .
Le Président lui -même a gagné en popularité du fait de
sa capacité à stabiliser le pays et à gérer au mieux le processus de paix
comme les relations de la Syrie avec le reste des pays arabes .
Deuxièmement, les décisions fondamentales de nature à
provoquer l' opposition d' une grande partie de la bureaucratie ou d'autres
piliers du régime ne peuvent être prises que par le sommet, c' est-à-dire
par le Président lui -même .
Cependant, pour Hafez al-Assad, la politique économique
reste secondaire, à moins de avoir une incidence ou un lien directs avec la
sécurité de l' État ou du régime .
Le président syrien est peut-être conscient du besoin
impérieux de réformes dans son pays, mais il n' entreprendra rien qui puisse
mécontenter la principale base de soutien à son régime tant que le processus
de paix n' aura pas abouti .
Le régime syrien est convaincu, semble -t-il, qu' aussi
longtemps que l' éventualité d' une guerre contre Israël n' est pas
totalement écartée, il serait très mal avisé de démanteler les fondements de
l' économie étatiste, tel le secteur de l' industrie publique, et ce, quels
que soient ses dysfonctionnements propres .
Hormis quelques mesures de changement purement
formelles, le régime se gardera bien d' engager le pays sur la voie de
réformes d' ordre structurel susceptibles de provoquer un mouvement de
mécontentement social ou de favoriser l' émergence de centres de pouvoir
économiques autonomes - comme cela pourrait être le cas avec une
privatisation massive ou avec l' établissement d' un secteur bancaire privé
.
Troisièmement, la nature et la structure du pouvoir en
Syrie ne changeront pas tant que persistera la menace d' une confrontation
militaire .
Le pluralisme contrôlé permet à certains réformateurs à
l'intérieur de le régime et aux milieux d' affaires de faire entendre leur
voix .
Mais aucune véritable mesure de libéralisation politique
- telle que l' autorisation de créer 0 des partis politiques indépendants de
le Front national progressiste dirigé par le Ba'th , une compétition
électorale entre ces partis ou une presse indépendante - ne sera envisagée
ou tolérée tant que les conditions régionales exigeront de la Syrie qu' elle
serre les rangs " .
Enfin, le président Assad ne modifiera pas la
composition de l' équipe au pouvoir sans la perspective de résultats
positifs concrets au niveau de le processus de paix .
Certains des fidèles du président Assad ont atteint l'
âge de la retraite et sont sur le point d' être remplacés .
Une nouvelle génération d' officiers de l' armée et de
les services de sécurité ont été formés pour prendre la relève .
Les personnalités-clefs telles que Abdel-Halim Khaddam ,
Hikmat al-Shihabi , Mustafa Tlas et quelques autres conserveront néanmoins
leurs fonctions ne serait -ce que pour aider le président syrien à gérer le
processus de paix .
Cela est d' autant plus probable que ce processus est
aujourd'hui extrêmement précaire .
des personnalités plus jeunes, telles que l' ambassadeur
de Syrie à Washington , continueront à mener l' essentiel de les
négociations mais le rôle de la vieille équipe à le pouvoir formée de
militaires d' expérience et de confiance , ainsi que de " gesti restera
indispensable pour gérer les véritables défis : soit la finalisation et le
succès des négociations, soit, dans le pire des cas, l' effondrement de
celles -ci menant à la confrontation militaire .
L' ensemble de ces facteurs vont dans le sens de la
continuité ; ils contribuent également à rendre la Syrie fiable et
permettent à ses partenaires comme à ses adversaires de calculer et de
prévoir l' attitude de ses dirigeants .
Cela est important pour une issue heureuse au processus
de paix .
Dans le même temps et paradoxalement, cet état de choses
favorise l' immobilisme qui caractérise la vie politique en Syrie, la peur
du changement, et augmente les risques de se retrouver loin derrière les
autres acteurs régionaux qui ont d'ores et déjà commencé à se préparer pour
intégrer la nouvelle division du travail au Moyen-Orient .
Le scénario de la paix : en cas de accord syro-israélien ...
La Syrie a réitéré à maintes reprises et de façon explicite
sa volonté de reprendre les négociations avec Israël .
des discussions sérieuses - et non pas le type de
négociations purement formelles qui ont dominé la période allant de Madrid à la
défaite de le gouvernement Shamir - ne sauraient cependant être envisagées sans
un changement de majorité en Israël ou, perspective plus improbable, sans un
revirement dans la stratégie du gouvernement de Netanyahou vis-à-vis de la Syrie
et d' un éventuel retrait du Golan .
Dans les deux cas, les négociations ne reprendront pas
nécessairement " là où elles ont été suspendues " ( comme le réclame
officiellement la Syrie ), mais plus vraisemblablement sur la base de un accord
de principe selon lequel l' objectif du processus est de parvenir à une " paix
totale " en échange d' un " retrait total " .
À cet égard, la formule de Itzhak Rabin " la profondeur de
le retrait sera proportionnelle à la profondeur de la paix " est aujourd'hui
perçue par des responsables au sein de les services de sécurité en Syrie comme
un principe rationnel et opérationnel .
Si les deux parties en manifestaient une égale volonté
politique, il ne faudrait pas plus d' un an, et peut-être moins encore, pour
parvenir à un règlement .
Celui -ci comprendra sans aucun doute des arrangements de
sécurité, tels que les dispositions concernant la présence de forces
internationales sur les hauteurs du Golan ; un calendrier fixant les étapes du
retrait israélien ( militaires et colons compris ) ; le principe de la
normalisation des relations ; et un compromis sur la définition des frontières
qui permettra à la Syrie de récupérer la majeure partie des territoires à l'
ouest de ladite " frontière internationale " de 1923 ( qui correspond à la
frontière séparant les territoires sous mandat britannique et françai
Parallèlement à la phase finale des négociations
syro-israéliennes, les deux parties mettront au point les arrangements
concernant spécifiquement le Liban .
Ceux -ci, quoique négociés officiellement entre les deux
délégations libanaise et israélienne, définiront les termes d' un accord de paix
et d' un retrait israélien de la zone de sécurité au Liban-sud, les modalités du
désarmement du Hezbollah et de la mi
L' environnement régional et international
Une percée significative dans les négociations de paix
syro-israéliennes ouvrirait la voie à une normalisation entre l' État hébreu
et le monde arabe dans son ensemble .
L' impossibilité pour Israël d' établir 0 des liens avec
les États arabes plus périphériques tant que il n' a satisfait pas à les
revendications territoriales de la Syrie constitue en fait l'un des
atouts-clefs de Damas dans le cadre de négociations futures avec Tel-Aviv .
Même en cas de paix, il ne faut pas escompter un
développement significatif des relations économiques et sociales entre ces
deux États qui, en tout état de cause, resteront tributaires de la lutte d'
influence et de prééminence régionale qui continuera pendant un temps encore
à les opposer .
La Syrie mettra donc en garde les autres États arabes,
et notamment les pays du CCG ( Conseil de coopération du Golfe ), contre une
normalisation trop hâtive avec Israël .
Néanmoins, avec la restitution de ses territoires, Damas
perdra l'un de ses principaux moyens de pression sur les États arabes du
Golfe qui, sans pour autant lui retirer leur soutien, ne se sentiront plus
redevables à la Syrie qui a toujours su monnayer sa position dans le conflit
israélo-arabe .
au contraire, les États du CCG seront même en mesure de
exiger de la Syrie en contrepartie qu' elle soutienne sans ambiguïté leur
politique et leurs intérêts dans la région .
Plutôt que de continuer à lui apporter une aide
financière, ils rechercheront les opportunités d' investissement, poussant
ainsi la Syrie à créer un environnement économique plus favorable .
Dans un contexte de paix, la Syrie demeurera un acteur
central au Moyen-Orient comme au sein de la Ligue arabe .
N' étant plus soumise à la menace directe d' une guerre
avec Israël, elle verra sa sécurité renforcée et son intégrité territoriale
rétablie .
Ses relations avec la Jordanie et l' OLP connaîtront une
amélioration sensible dans la mesure où les sources de tension avec ces deux
acteurs régionaux étaient causées par les divergences autour de le processus
de paix .
Quant à ses liens avec l' Égypte et le CCG, tout porte à
croire qu' ils demeureront solides .
Washington honorera la signature d' un traité de paix
syro-israélien en rayant la Syrie de la liste des pays " soutenant le
terrorisme ", en lui apportant une aide économique limitée et en n' opposant
plus son veto aux programmes de la Banque mondiale .
L' Europe, enfin , effacera sans doute une grande partie
de la dette syrienne .
Dans le même temps, la Syrie verra son importance
stratégique se réduire .
Elle sera peut-être enfin considérée par l' Occident
comme un pays ami mais perdra en contrepartie son statut d' acteur essentiel
.
Bruxelles, par exemple , continuera à insister sur le
rôle de la Syrie en tant que partenaire à part entière dans le cadre de le
projet euro - méditerranéen, mais aucun traitement privilégié ne lui sera
concédé au cas où elle refuserait de se conformer aux mêmes conditions que
les autres pays arabes ( application graduelle du libre-échange,
introduction d' un régime d' État de droit, etc . ) .
On peut également supposer que les pressions politiques
sur la Syrie se renforceront, notamment de la part de les États-Unis, pour
un retrait ou un redéploiement significatif de ses troupes au Liban une fois
le Hezbollah désarmé .
Le Liban
Un accord de paix syro-israélien ne fera sans doute
aucune référence explicite au Liban .
Israël acceptera, selon toute vraisemblance, un maintien
des troupes syriennes dans ce pays pour une période intérimaire, afin de s'
assurer du désarmement effectif du Hezbollah et des autres groupes de
résistance .
Néanmoins, sur le moyen et long termes, la Syrie sera
forcée d' adopter un profil plus bas au Liban, non pas tant suite à des
pressions israéliennes ou occidentales - qui irriteront certes Damas mais
auxquelles elle saura résister - que pour des raisons inhérentes aux
évolutions internes propres à la Syrie et au Liban .
L' impératif purement stratégique pour Damas de
maintenir 0 des positions militaires avancées au pays de le Cèdre faiblira
une fois que les troupes israéliennes auront évacué le Liban-sud .
Sans la supprimer complètement, un accord de paix
réduira de façon significative la menace d' une attaque sur la Syrie à
partir de le territoire libanais et particulièrement de la Békaa .
En outre, un retrait israélien et le désarmement du
Hezbollah contribueront à renforcer la stabilité interne au Liban .
Il y aura donc d' autant moins de raisons pour les
troupes syriennes de remplir le rôle de forces de police .
Le régime syrien est également conscient du fait que l'
opposition à la tutelle syrienne ira croissant une fois le Liban débarrassé
de l' occupation israélienne .
Il procédera sans doute à une révision " rationnelle "
de sa politique libanaise .
Par la suite, le degré d' interférence de la Syrie dans
les affaires intérieures de son petit voisin dépendra, en large partie, de
la capacité des hommes politiques libanais à rompre avec cette tradition
historique consistant à entraîner de façon active les acteurs extérieurs
dans leurs conflits internes .
ils ils réussissaient à se prendre en main et à résoudre
les problèmes politiques et sociaux de leur pays sans " assistance "
étrangère, on pourrait s' attendre à ce que le redéploiement, sans cesse
reporté, des troupes syriennes ait enfin lieu dans un contexte de "
réduction graduelle " de la domination politique de Damas sur le Liban .
La réduction graduelle signifie que la Syrie veillera à
maintenir une certaine influence sur les affaires politiques et de sécurité
de ce pays, principalement en plaçant des hommes de confiance aux postes les
plus sensibles au sein de l' armée libanaise et du Deuxième Bureau, en
soutenant des forces politiques ayant fait la preuve de leur loyauté envers
Damas et enfin en opposant son veto à l' ascension " politique de personnes
connues pour lui être ouvertement hostiles et qui brigueraient des postes
gouvernementaux haut placés .
De plus, la série d' accords conclus entre les deux
États et qui couvrent tous les domaines de la coopération ( tels que la
sécurité , le commerce , le travail , l' agriculture , la santé et le
partage des eaux de l' Oronte ) garantira la pérennité des intérêts de la
Syrie au Liban et préservera le caractère privilégié de ses relations avec
ce pays même avec la fin de son système de tutelle actuel .
Néanmoins, une réduction plus hâtive et même désordonnée
de la présence et de l' influence syriennes n' est pas à exclure au cas où
se produirait un changement de régime brutal à Damas .
Paix et stabilité interne
Contrairement à les affirmations de certains
observateurs, le président Assad n' a plus besoin de maintenir le pays dans
un état de guerre pour des raisons de légitimité interne .
Son régime jouit d' une popularité plus grande
aujourd'hui qu' il y a dix ou quinze ans .
Sa gestion du processus de paix - en engageant son pays
sur la voie de la paix régionale mais sans y s' précipiter tête baissée -
semble recueillir l' assentiment des partisans du pouvoir comme de ses
opposants .
La perspective d' une paix avec Israël a dès le départ
été présentée à l' opinion publique comme " la paix des braves " et surtout
pas comme une mise au rabais des aspirations nationales du peuple syrien
.
La concrétisation de la paix entre les deux États
conduira certainement à des évolutions significatives sur la scène politique
syrienne .
En tout premier lieu, le président Assad devra procéder
à des changements de personnes au sein de son équipe .
Cela ne soulèvera pas trop de difficultés dans la mesure
où ses vieux fidèles seront d'ici là complètement exténués et probablement
soulagés de prendre une retraite bien méritée .
Le sentiment d' un grand nombre au sein de l'
establishment syrien est que cette équipe aura fait son temps au moment où
le Golan sera libéré .
Le Président lui -même ne se retirera sans doute pas de
la vie politique, mais s' appliquera à promouvoir à des postes de
responsabilité des éléments plus jeunes, notamment parmi les officiers
supérieurs travaillant en étroite coopération avec son fils et quelques
technocrates " modernistes " ayant une expérience du secteur privé .
Deuxièmement, une fois le traité de paix conclu ( et
probablement avant qu' il ne soit ratifié par le Parlement ), Hafez al-Assad
cherchera à se rallier le soutien officiel des institutions plus
traditionnelles du régime, à savoir le parti Ba'th et le Front national
progressiste .
Il est quasi certain qu' une conférence générale du
Ba'th aura lieu, afin de intégrer en son sein la jeune génération de
dirigeants et avaliser l' accord de paix .
Cela ne pourra se faire sans procéder à certains
amendements dans les statuts et les principes du parti, très marqués par les
références à l' éternel conflit avec l' entité sioniste, et ouvrira ainsi la
voie à une libéralisation significative du système politique .
Cela est d' autant plus probable que, jusque-là, les
rigidités du système ont été justifiées par la permanence de l' état de
guerre .
La primauté de la confrontation avec Israël et l'
impératif de serrer les rangs pour y faire face font partie des arguments
légitimant le maintien de la loi d'urgence et la restriction des activités
politiques au seul et unique Front national progressiste .
Nombreux sont ceux qui, en Syrie, s' attendent à ce que
la paix avec Israël conduise à l' instauration d' un régime plus ouvert,
plus libéral et même démocratique .
Ces attentes sont, nous semble -t-il, quelque peu
exagérées .
Aussi longtemps que le président Assad tiendra les
rênes du pays, il n' y aura pas d' auto-dissolution du régime sur les ruines
duquel s' élèverait une véritable démocratie .
Plus vraisemblablement, quelques mesures seront prises
dans le sens de un renforcement du processus de pluralisme contrôlé lancé
par le régime dans la première moitié des années 90 .
Le modèle à suivre en l'occurrence sera probablement
celui de l' Égypte - et non pas celui de la Turquie, comme le souhaiteraient
certains libéraux en Syrie -, c' est-à-dire un régime aux structures encore
fondamentalement autoritaires mais qui introduirait une certaine dose de
pluralisme et quelques rudiments de base d' un État de droit, ce qui le
rendrait plus " fréquentable " sur la scène internationale .
Troisièmement, le régime entreprendra d' accélérer le
train des réformes économiques .
L' argument sécuritaire justifiant le maintien d' un
secteur public pléthorique ne jouera plus avec la fin de l' état de guerre .
Une privatisation sélective sera discutée et certains
des dossiers clefs qui ne peuvent être tranchés que par le haut, comme l'
établissement d' un marché financier, finiront par attirer l' attention du
Président lui -même .
De plus, un accord de paix syro-israélien, loin de
engendrer un " Nouveau Moyen-Orient " intégré , créera nécessairement de
nouvelles formes de compétition entre les économies régionales .
Dans la mesure où la paix renforcera la stabilité de la
région, les investisseurs internationaux commenceront à songer sérieusement
à y placer leurs capitaux, et les acteurs régionaux entreront en compétition
pour attirer ces investisseurs potentiels .
La Syrie, comme d'autres , devra déployer de véritables
efforts pour moderniser et ouvrir son économie afin de créer un
environnement plus attractif pour les milieux d' affaires .
Ce sont les facteurs politiques internes qui
détermineront la rapidité et l' efficacité avec lesquelles la Syrie répondra
à ces pressions structurelles .
Un changement qualitatif, quoique limité, au niveau de
le personnel compétent, lui permettra de relever ces défis .
Il est significatif de constater qu' au sein de l'
élite politico-intellectuelle syrienne, les partisans de la libéralisation
économique comme ses opposants se rejoignent pour établir un lien très clair
entre la " paix régionale " et " la réforme interne " .
Toute initiative dans le sens du changement se heurtera
à certaines résistances .
Il y aura des divergences d' opinion au sein de le parti
Ba'th, de la machine bureaucratique et des syndicats .
Au niveau de l' appareil de sécurité, il n' y aura
vraisemblablement pas d' opposition significative .
Les militaires auront leur mot à dire dans la phase
finale des négociations et ils considéreront le traité de paix comme étant
en grande partie le leur ; par ailleurs, nombreux sont ceux qui, au sein de
les services de sécurité, ont pris la mesure de l' urgente nécessité de
réformer le système politique et l' économie en Syrie .
Dans le même temps, Hafez al-Assad fera en sorte de
protéger les intérêts corporatistes de l' appareil de sécurité .
Dans ce contexte, il ne fait pas de doute que le
président syrien réussira à passer outre aux oppositions émanant de la base
de pouvoir traditionnelle du régime .
Quant à l' État hébreu - et contrairement à ce que
pensent certains Israéliens -, il lui sera plus facile, et probablement
moins risqué, de faire la paix avec Hafez al-Assad que de tenter de négocier
et de conclure un traité de paix avec ses successeurs .
Le régime qui succédera à celui de Hafez al-Assad sera,
quel qu' il soit, moins stable .
Il devra en premier lieu faire la preuve de sa
légitimité nationaliste à travers une surenchère dans la rhétorique
populiste et ne sera de ce fait certainement pas disposé à faire davantage
de concessions sur le dossier des négociations avec Israël .
Les conditions syriennes pour la paix resteront donc
grosso modo les mêmes .
Le président Assad et la signature qu' il apposera à le
bas d' un traité de paix garantiraient - dans la mesure où il existe des "
garanties " en politique internationale - ce que tout autre successeur
serait incapable de faire : à savoir la pérennité d' un accord et son
respect même en cas de changement de régime, ainsi que la bonne mise en
oeuvre de toutes les dispositions concernant la normalisation et les
arrangements de sécurité .
Le facteur " Assad " : quelques mots sur l' enjeu de la
succession ...
Dans la mesure où le régime syrien est fortement
personnalisé, un changement au sommet pourrait bien bouleverser l' équilibre
interne et tout au moins ouvrir une ère nouvelle pour la Syrie en y modifiant l'
ordre des priorités politiques .
Le régime qui succédera à celui -ci sera, selon toute
probabilité, plus libéral et donnera la priorité aux réformes politiques et
sociales plutôt que aux questions de politique régionale .
Le successeur de Hafez al-Assad sera moins expérimenté que
l' homme qui a présidé aux destinées de la Syrie depuis 1970 .
Il lui sera extrêmement difficile de maintenir le rôle que
la Syrie a réussi à jouer pendant un quart de siècle au Moyen-Orient et
cherchera de ce fait à " comprimer " sa politique régionale .
La façon la plus aisée de y s' prendre est de limiter l'
engagement politique et militaire au Liban - en cantonnant les forces syriennes
dans une mission sécuritaire et en se désengageant de la vie politique interne
du Liban - ou même d' y mettre un terme .
La Syrie ne pourra plus en tout état de cause exercer le
même droit de regard sur les affaires intérieures libanaises .
Néanmoins, cela n' empêchera pas le développement des
relations syro-libanaises, plus particulièrement dans le domaine de la
coopération économique et technique .
Ces prévisions se basent sur l' hypothèse selon laquelle l'
arrivée au pouvoir du successeur de Hafez al-Assad ( à la suite de le décès de
ce dernier ou, moins vraisemblablement, de son renversement ou de sa propre
démission ) se déroulera sans graves troubles internes ou régionaux .
La pseudo-question de la succession en Syrie a été débattue
pendant plus d' une décennie et demeure l' objet des spéculations les plus
diverses .
L' enjeu central du débat porte sur la manière dont la
succession aura effectivement lieu .
Deux scénarios s' affrontent . s' affrontent .
Le premier affirme que la mort du Président fera
immanquablement basculer la Syrie dans l' anarchie, les conflits
interconfessionnels et même dans une longue guerre civile avec les risques d'
éclatement du pays en mini-États communautaires .
Selon ce même scénario, l' installation d' une situation d'
anarchie en Syrie conduirait vraisemblablement à un départ précipité et même
désordonné des troupes syriennes du Liban .
Selon que le pouvoir central réussisse ou non à conserver le
contrôle de ses troupes, celles -ci soit seront acheminées pour reprendre en
main la capitale ou d'autres parties du territoire syrien, soit refuseront de se
soumettre et tenteront de s' emparer de toute parcelle d' autorité ou de
territoire qui sera à leur portée .
Même si la Syrie ne devait pas se désintégrer en de petites
entités ou tomber dans un scénario à la libanaise et même si l' autorité du
pouvoir central devrait être rétablie à l'issue de la guerre civile, l' État
syrien serait de toute manière considérablement affaibli comparé à aujourd'hui,
se rapprochant davantage de la Syrie des années 50 que de l' acteur-clef qu' il
était devenu au Moyen-Orient sous Hafez al-Assad .
Bien que l' on ne puisse pas écarter complètement le
scénario de l' anarchie, il est loin de être le plus réaliste, ou même le plus
honnête intellectuellement .
Il exprime, au moins en partie, une forme de " wishful
thinking " de la part de ceux qui le défendent .
Le scénario alternatif - que l' auteur considère comme le
plus plausible - part de l' hypothèse selon laquelle l' État syrien sera tout à
fait capable de faire face à la fois à la mort du Président et à un changement
de régime .
encore Ni les affrontements interconfessionnels, ni une
situation d' anarchie, ni moins encore la_NEW_ la guerre civile ne constituent
des options sérieuses et cela pour de nombreuses raisons .
La plus importante est que la légitimité de l' État n' est
plus remise en cause aujourd'hui - comme c' était le cas dans les années 50 et
60 - et un sentiment d' appartenance nationale s' est développé dans l' ensemble
du pays .
Toutes les composantes ou presque de la société syrienne, la
bourgeoisie et l' appareil de sécurité inclus , ont intérêt au maintien de l'
État, de sa stabilité et, autant que possible, de son poids régional .
La quasi-situation de guerre civile qui a prévalu de 1979 à
1982 constitue une expérience qu' aucun des plus importants acteurs sociétaux ne
souhaiterait revivre .
L' intérêt général à éviter toute forme de déstabilisation
est tel que l' on ne saurait exclure, dans le cas de une vacance du pouvoir
présidentiel, que les institutions de l' État jouent pleinement leur rôle .
Ainsi, dans le but de prévenir les risques de chaos, les
responsables militaires et de la sécurité respecteraient les dispositions
constitutionnelles réglant le problème de la succession, comme ce fut le cas en
Égypte lorsque Anouar al-Sadate succéda à Gamal Abdel Nasser .
À la différence des années 60, il n' existe plus aujourd'hui
un corps d' officiers hautement politisé dont l' objectif serait de bouleverser
les structures socioéconomiques existantes .
L' appareil sécuritaire s' est transformé en une force
conservatrice, capable de préserver à la fois ses intérêts corporatistes et les
structures sociétales actuelles .
De plus, l' armée syrienne a démontré jusque-là un degré de
cohésion interne certain .
Au cas où les officiers de l' armée viendraient à douter de
la capacité d' un régime civil post-Assad à remplir son rôle, ils auraient
probablement recours à une prise de pouvoir militaire .
De même, on ne saurait sous-estimer la capacité des
différentes branches des services de sécurité à gérer une situation
politiquement tendue que ne manquerait pas de provoquer une disparition soudaine
du Président .
En dépit de leurs divergences d' intérêt dans d'autres
domaines, les principaux " barons " de la sécurité en Syrie voudront coûte que
coûte conserver le contrôle de la rue et sauront parfaitement s' y prendre
.
Même parmi ceux qui estiment une transition relativement
douce du pouvoir syrien actuel plus probable que le scénario du chaos, il existe
0 des différences sur l' identité même de le successeur de Hafez al-Assad :
serait -ce, avec l' accord tacite ou explicite des forces de sécurité, un autre
officier alaouite, peut-être même le fils du président, Bachar, ou alors un
responsable politique ou militaire sunnite ?
Toutes les réponses restent spéculatives .
Et bien que la question de savoir qui sera aux commandes en
Syrie soit d' une grande importance, l' avenir de ce pays - de son évolution
interne comme de son poids régional - ne dépend ni de l' enjeu confessionnel (
si le prochain président est alaouite ou sunnite ), ni de la nature et de la
forme de la succession au pouvoir actuel, " dynastique " ( au cas où Bachar
al-Assad succéderait à son père ) ou plus républicain .
Il faudrait plutôt s' interroger sur la future élite
politico-administrative qui sera en charge des affaires du pays .
Pour gérer efficacement les défis internes et régionaux à
moyen terme, la Syrie devra se doter de dirigeants politiques et administratifs
( à tous les échelons du pouvoir et pas seulement au sommet ) dont la vision du
monde soit radicalement différente de celle de la classe politique actuelle .
Cette nouvelle élite devra adopter une approche
qualitativement différente de l' État, de l' économie et de la notion de
sécurité nationale : elle devra penser en termes de citoyenneté plutôt que en
termes de contrôle, en termes de compétence plutôt que de favoritisme et enfin
en termes de sécurité mutuelle plutôt que de équilibres à somme nulle .
L' Europe et la Syrie : assister pour réformer
L' Europe a un intérêt réel à établir une relation de
partenariat solide avec la Syrie et à l' intégrer dans une architecture de
sécurité euro - méditerranéenne .
Le but de cette étude n' est pas de fournir une liste de
prescriptions à l' intention des responsables européens .
Seules quelques suggestions sont proposées sur les principes
qui, selon l' auteur et à la lumière de les scénarios décrits plus haut,
devraient guider les politiques européennes vis-à-vis de la Syrie .
Le processus de paix syro-israélien
L' UE et certains États européens pris individuellement
ne pourront jouer qu' un rôle très limité dans le processus de négociations
entre Israël et la Syrie .
La Syrie, tout comme le Liban et les Palestiniens , fait
peut-être davantage confiance à l' UE qu' aux États-Unis .
Mais, connaissant les limites des pressions que l'
Europe est en mesure de exercer efficacement sur l' État hébreu, ils
continueront à solliciter la médiation américaine lorsqu' ils estimeront qu'
une intervention extérieure de poids est nécessaire pour finaliser un accord
.
La politique méditerranéenne de l' Europe peut néanmoins
apporter une contribution spécifique au processus de paix, en fournissant
notamment le cadre d' un dialogue permanent même quand les négociations
directes sont dans l' impasse .
Afin de corriger cette perception d' un Occident
globalement plus favorable à l' État hébreu, il est tout aussi important que
l' Europe maintienne fermement ses positions de principe soutenant une paix
globale qui garantirait à la fois la sécurité d' Israël, le droit des
Palestiniens à l' autodétermination et le rétablissement de l' intégrité
territoriale de la Syrie et du Liban .
L' Europe devrait exprimer très clairement sa volonté d'
apporter un soutien financier et technique à un éventuel accord de paix ( y
compris l' engagement de troupes de certains États européens ou l' envoi d'
un contingent européen dans le cadre de forces de maintien de la paix dans
le Golan ou au Liban-sud, au cas où les pays concernés le souhaiteraient ) .
Dans le même temps, l' UE devrait tenter de faire
entendre aux Israéliens que, s' ils désirent réellement parvenir à un
règlement satisfaisant avec la Syrie, ils seraient beaucoup plus avisés de
négocier aujourd'hui avec Hafez al-Assad plutôt que de attendre ses
successeurs éventuels .
La position régionale de la Syrie
La politique méditerranéenne de l' Europe et les
relations bilatérales syro-européennes constituent un élément fondamental de
la nouvelle configuration régionale au Moyen-Orient de l' après-paix .
Ces deux facteurs alimentent les attentes de la Syrie (
comme celles d'autres pays ) sur ce que sera et à quoi ressemblera l'
environnement régional au lendemain d' un règlement du conflit israélo-arabe
.
De ce fait, en traitant la Syrie comme la pierre
angulaire du partenariat euro - méditerranéen, l' UE peut et devrait s'
employer à calmer les craintes syriennes d' une marginalisation dans le
cadre de un " Nouveau Moyen-Orient ", selon l' idée chère à Shimon Pérès et
à rassurer la Syrie sur l' importance du rôle qu' elle sera amenée à jouer
dans la nouvelle division régionale du travail en période de paix .
La Syrie et le Liban
L' un des principes directeurs de la politique
européenne devrait être de traiter avec le Liban comme avec une entité
autonome et indépendante - et non point comme une annexe de la Syrie .
L' Europe ne peut et ne doit pas consentir à ce que
Damas exerce un droit de regard sur les relations libano-européennes .
L' Europe doit également être très claire sur le fait
qu' elle considère la présence militaire syrienne au Liban comme légitime
mais provisoire - et légitime seulement dans la mesure où elle demeure
provisoire et dans le cadre défini par les accords de Taëf .
L' évolution interne en Syrie
La politique de l' Europe à l'égard de la Syrie devrait
concentrer ses efforts pour aider ce pays à s' adapter à un environnement
régional en mutation .
La Syrie n' est pas un État pauvre et l' aide financière
européenne dont elle bénéficie, bien que appréciée, n' atteindra jamais ni
le niveau ni l' adéquation de l' aide en provenance de les pays arabes du
Golfe .
Là où l' Europe est mieux équipée que les riches alliés
pétroliers de la Syrie, c' est au niveau de l' aide qu' elle peut apporter
pour lui permettre de développer son système légal et institutionnel, son
infrastructure éducative et, surtout, ses ressources humaines ( dans le
secteur privé comme dans l' administration publique ) afin
TITRE : Le Liban et le couple syro-libanais dans le processus de paix
Horizons incertains
AUTEUR : Joseph Bahout*
On a trop souvent tendance à oublier que l' accord de Taëf -
mettant fin à la guerre du Liban - comprenait presque sur pied d' égalité deux
volets consacrés à l' interne et à l' externe ; tandis que le premier incluait un
ensemble de réaménagements de l' édifice institutionnel et politique, le second
était consacré à la souveraineté libanaise avec, pour partie principale, les lignes
directrices des futures relations libano-syriennes .
On a aussi trop tendance à oublier que c' est au moment où ces
mêmes accords de Taëf devenaient effectifs qu' un nouvel ordre stratégico-politique
s' ébauchait au Moyen-Orient dans la foulée de la deuxième guerre du Golfe et que c'
est, surtout, à ce même moment que s' annonçaient les voies du processus de paix
entamé quelque temps plus tard à Madrid .
Cet enchaînement faisait d'ailleurs un bien curieux écho à
quantité d' analyses averties, récurrentes dans les milieux libanais depuis 1975,
ainsi que à des certitudes populaires bien ancrées, selon lesquelles il ne saurait y
avoir de solution au conflit libanais sans solution durable de la question
israélo-arabe .
Si les causalités sont loin de être aussi directes - et les
déterminismes aussi simples - entre les deux dossiers belligènes, il n' en demeure
pas moins frappant qu' à l'heure où le processus de paix semble durablement enlisé,
la question d' un avenir viable pour le Liban peut être à nouveau légitimement posée
aujourd'hui .
Dans un premier temps, par sa structure à deux étages, l' accord
de Taëf faisait de la Syrie le garant principal de l' application des réformes et y
liait ainsi en partie sa présence dans ce pays .
Dans un deuxième temps, et par le fait d' évolutions régionales
et plus proprement libanaises qu' il n' y a pas lieu de rappeler ici, la Syrie
faisait passer son rôle libanais à un stade supérieur, devenant un acteur interne de
la vie politique libanaise, quitte à y apparaître parfois comme le décideur exclusif
.
L' entrée de la Syrie dans le processus de paix , sans en être
l' explication unique , est sans doute pour beaucoup dans ce processus de
tutellisation rampante .
Elle l' est, d'abord, par l' acquiescement implicite dont cette
tutellisation fait l' objet de la part de les États-Unis, parrains et architectes en
chef des négociations, soucieux de rassurer le plus possible Damas quant à son
principal acquis régional à l'heure où tout, dans la région, connaît des transitions
aussi rapides qu' imprévisibles .
Elle l' est, ensuite, par le fait que cet acquis devient de plus
en plus précieux pour la Syrie après les paix séparées d' Oslo et de Wadi Arba qui
voient les Palestiniens et la Jordanie échapper à la coordination arabe telle que la
comprend Hafez al-Assad .
Ainsi laissé par la majeure partie de la communauté
internationale en tête-à-tête avec son puissant voisin syrien, le Liban voyait le
temps mort de la négociation l' effacer graduellement comme sujet sur le plan
diplomatique, et son tuteur mettre à profit cette fenêtre d' opportunité pour
institutionnaliser son emprise et rendre l' ingestion le plus difficilement
réversible .
D' où l' hypothèse la plus partagée, et qu' il s' agira de
soumettre à l' examen ici, selon laquelle un déblocage des négociations et l'
aboutissement à un règlement syro-israelien ne manqueraient pas de se traduire par
un affaiblissement de l' emprise syrienne
Le présent article se propose donc d' explorer les avenirs
possibles du Liban dans un tel contexte, en prenant en considération les champs
politico-sécuritaires et socioéconomiques .
aux niveaux de la situation du Sud, de la relation régissant le
couple syro-libanais, des institutions et forces politiques internes, et de la
reconstruction et de le socioéconomique , le diagnostic de l' effet pervers de l'
état actuel de " ni paix , ni guerre " qui se prolonge dans la région sur la
situation libanaise conduira à constater une déperdition croissante de la réalité
libanaise en termes de souveraineté et de vitalité politique .
Si l' ordre actuel au Liban est celui de la fin d' un état de
guerre, il est encore loin de être celui d' une pleine paix civile dont le sens s'
imposerait à tous .
À partir de cet état des lieux, il s' agira alors d' examiner,
par une approche aussi prospective que possible, les probabilités d' inversion de la
dégradation en cours, et ce, en cas de reprise sérieuse des négociations de paix et
en cas de percée réelle sur le volet syro-israélien .
Le Liban entre blocage régional et abdication diplomatique
Sept ans après le début du processus de paix ouvert à Madrid
en 1991, la situation du Liban comme acteur étatique et comme négociateur à part
entière a quelque chose d' ironiquement paradoxal .
De tous les États appelés à se joindre à la négociation, le
Liban était en effet le seul dont la lettre d' invitation faisait figurer autre
chose que la seule résolution 242 comme base de règlement de son contentieux
avec Israël .
Fort, lui , d' une autre résolution de le Conseil de
sécurité ( la 425 ) , il s' écartait ainsi insensiblement du principe directeur
de la négociation, à savoir " La terre contre la paix ", pour - du moins la
diplomatie libanaise l' a -t-elle pensé un moment - aller devant les instances
internationales réclamer tout simplement, serait -on tenté de dire, un retrait
israélien inconditionnel du sud du Liban .
À ceux qui, au sein de la classe politique libanaise issue
de Taëf, considéraient alors qu' en entrant dans un forum où les retraits
étaient conditionnés par des traités de paix, le Liban perdait sa carte
diplomatique maîtresse, ou encore à ceux qui, au sein de la même classe,
estimaient que l' attitude du Liban constituait un écart à leurs yeux
inacceptable par rapport à la stratégie syrienne résumée par la résolution 242,
la diplomatie libanaise répondait par un argumentaire en deux temps : la 425
devra uniquement assurer un retrait militaire du Sud et cette étape ne s
C' est alors que le Liban se joindra à ses pairs arabes,
étape politique et diplomatique, pour signer avec eux, et pas avant, une paix "
juste et globale " basée sur la résolution 242 .
Pour logique qu' il soit, cet argumentaire occultait deux
choses : d'une part, il n' intégrait pas réellement ce qui se passait au même
moment sur le terrain, c' est-à-dire dans le Sud occupé, où la résistance opérée
par le Hezbollah doublait la dynamique politique des négociations
libano-israéliennes par une logique militaire qui finirait, forcément, par
imposer d'autres temporalités et d'autres équations .
L' argumentaire n' admettait pas assez, d'autre part, que l'
objet de ses propres négociations, le Sud, ne soit plus exclusivement sien, mais
revête maintenant une fonctionnalité essentielle dans la stratégie négociatrice
syrienne, comme l'un des derniers leviers à même de amener Israël, sous la
pression des coups portés par la résistance, à débloquer l' impasse sur le Golan
d'abord et à y concéder davantage ensuite .
C' est l' alignement graduel de la position officielle
libanaise sur ce dernier point, ainsi que l' instrumentalisation à outrance par
la Syrie de la carte libanaise, qui vont progressivement mettre un terme à la
singularité et à la distinction offerte au Liban par la résolution 425 et miner
son existence comme acteur régional autonome .
Alors que les négociations libano-israéliennes s' arrêtent
définitivement au bout de le 12e round, la Syrie reprend les siennes en incluant
dans ses dossiers la question du Sud ; négociations dont elle tient quand même
le Liban informé - a posteriori, il est vrai .
La " concomitance de les deux volets " ( Talazum
al-masarayn ) , comme l' appelle désormais le lexique officiel libanais ,
devient dès lors l' unique doctrine diplomatique du pays ; seulement, elle n'
est nullement comprise comme un parallélisme résultant de la coordination entre
deux acteurs étatiques agissant de concert, mais comme l' attente libanaise
passive que quelque chose se débloque sur le front syrien pour pouvoir revenir
dans le jeu .
De cette subordination en découlent alors bien d'autres,
qui ont pour résultat de dévoyer le rapport existant au départ entre la présence
syrienne au Liban et les dynamiques internes en cours dans ce pays .
À l' équation de Taëf qui liait la mise en oeuvre des
réformes à le redéploiement militaire syrien et à la redéfinition de les "
relations privilégiées " , succède une équation qui, implicitement, fait de la
présence syrienne une fonction de la donne régionale .
D' où l' évidence selon laquelle le temps mort des
négociations est un temps durant lequel se perpétue et s' aggrave le rapport
inégal syro-libanais, avec les conséquences politiques et économiques internes
qui en résultent .
Le couple syro-libanais isolé
Il est désormais admis que la carte libanaise est l' atout
régional le plus précieux entre les mains de la Syrie .
Aussi, c' est sur le couple syro-libanais que se
concentreraient pressions des uns et réactions des autres pour tenter de
modifier le statu quo, et dans un contexte pareil, l' utilisation du terrain
libanais pour amener la Syrie à plus de souplesse dans la négociation n' est pas
à exclure .
L' éventail des instruments est à ce niveau multiple,
empruntant le biais du socioéconomique et de la dette libanaise croissante,
jouant sur le ressentiment politique du camp chrétien, ou prenant aussi le
visage de la " légalité internationale " en ouvrant plusieurs registres sur
lesquels le Liban est perçu comme en manquement ( drogue, asiles de terroristes
recherchés, ou encore droits de l' homme non respectés ... ) .
Un degré supérieur de pression serait par ailleurs celui de
la déstabilisation sécuritaire de faible ou moyenne intensité .
Face à les cas de figure évoqués, l' alternative de Damas
serait de s' agripper avec encore plus de force à son acquis régional .
Dans ces cas extrêmes, le recours de la Syrie elle -même à
la violence n' est pas totalement à exclure .
Toutefois, une logique de ce type est lourde de risques, ne
serait -ce que parce que elle mettrait en lumière une carence essentielle du
rôle dévolu par la communauté internationale à la Syrie au Liban, à savoir celui
de mettre à profit le temps de sa gestion libanaise pour y consolider la paix
civile .
En cas de blocage prolongé dans la région, et aussi éloignée
qu' une telle éventualité puisse paraître, le retour de la violence armée sur la
scène libanaise ne saurait être exclu .
L' ancienne équation " paix libanaise si paix régionale "
redeviendrait alors opératoire .
Nombre de dynamiques internes libanaises se prêtent
d'ailleurs à un tel appel belligène .
La guerre s' est achevée sur un sentiment de réconciliation
incomplète ; perçu ou réel, ce sentiment exprime l' idée que la guerre a
clairement fait des vainqueurs et des vaincus .
À d'autres niveaux aussi, beaucoup de comptes sont encore à
régler entre les différentes factions libanaises, et leur règlement par les
armes n' est pas - comme on pourrait le penser - unanimement rejeté, si les
conditions régionales le permettaient - en assurant l' approvisionnement en
armes et les prolongements d' alliances .
De telles attitudes trouvent des relais jusqu' au sein de le
pouvoir, dont les pratiques ont généralisé un regain de crispation communautaire
devenue depuis sept ans une véritable culture politique dominante .
Aussi, force est de constater qu' aujourd'hui au Liban s'
expriment dans certains milieux, et se lisent à certains indices, des
perceptions qu' un climat semblable à celui de l' année 1975 couve sous la
cendre ...
Bien sûr, d'autres forces travaillent les sociétés civile et
politique libanaises ; des forces qui tentent de démontrer que la guerre a été
une véritable leçon et que la violence ne saurait rien régler .
La transversalité de ces forces est toutefois encore bien
faible et leur impact limité à certains cercles élitaires, sinon marginal .
Il l' est d' autant plus que les partenaires extérieurs du
Liban, ignorant trop souvent ces dynamiques pourtant dignes d' être investies,
préfèrent se donner pour seul interlocuteur un Liban certes officiel, mais
lourdement hypothéqué .
L' éventualité d' un regain de tension violente à le Liban
acquerrait plus de consistance encore - mais aussi plus de complexité - si elle
venait à se greffer sur, ou à avoir lieu à un moment où la situation interne
syrienne risque de se compliquer en raison de la transition délicate que ne
manquera pas d' ouvrir la succession du président Assad .
Ce texte n' est bien sûr pas le lieu d' envisager des
scénarios de cet ordre, mais il est nécessaire de remarquer que l' imbrication
des espaces politiques libanais et syrien a atteint un degré tel qu' il est
difficile d' en séparer les dynamiques strictement internes et d' en délimiter
des effets circonscrits .
Le va-et-vient entre ces deux espaces est loin de être à
sens unique ; depuis vingt ans maintenant que le pouvoir syrien pratique et
fréquente le Liban, ses crises et ses modes de production sociales et
politiques, nul ne sait plus très bien qui des deux acteurs a le plus teinté l'
autre .
Dans ce domaine comme dans d'autres, plutôt que de parler
uniquement de domination à sens unique ou d' hégémonie unilatérale, il
conviendrait aussi de parler de convergence entre deux régimes et deux types de
fonctionnement .
Dans un cas de figure comme celui -ci, l' espace libanais ne
serait plus un espace neutre où se projette seulement la puissance syrienne,
mais un espace où se projettent également les rivalités des " barons " de cette
puissance .
Plus encore, plusieurs indices montrent que le Liban est
aussi pour eux un espace-ressource et - par procuration - un vivier de forces d'
appoint pour leurs propres luttes d' influence .
Hypothèques et viabilité du politique au Liban
En cas de blocage persistant et durable au niveau de les
négociations, et si la dégradation sécuritaire était exclue - la Syrie ne
pouvant ainsi contribuer à nier sa propre raison d' être au Liban -, Damas a
tout de même largement d'autres moyens de s' y assurer le contrôle quasi
exclusif, pour un temps du moins, en profitant de sa maîtrise devenue inégalée
de toutes les ressources du jeu local .
Dans pareil cas de figure, il faut s' attendre à la
perpétuation sous égide syrienne des modes de gestion politique en cours
aujourd'hui au Liban, sans exclure, de plus, de brusques durcissements sur des
dossiers sensibles ou à même de le devenir .
L' ensemble de l' édifice politique mis en place au Liban
depuis Taëf est dans ce sens parfaitement instrumentalisable .
D'abord, la " troïka " présidentielle - née d' un
enchevêtrement savamment dosé de les pouvoirs et de les prérogatives entre les
deux branches de l' exécutif , et entre elles et le législatif - est une
structure doublement propice .
Elle est génératrice de divisions durables et infinies d'une
part, permettant, à chaque fois, à Damas d' en réconcilier in extremis les
acteurs .
Elle est, d'autre part, génératrice d' immobilisme et de
statu quo décisionnel, ce qui permet, à chaque fois aussi, à Damas de trancher
pour l' option qui a sa faveur .
En perpétuant ainsi le besoin d' arbitrage syrien, la
structure constitutionnelle libanaise assure à la Syrie un " monitoring "
permanent et sans failles, tout comme elle la prémunit contre tout risque de
dérapage et contre toute velléité - de quelque partie libanaise qu' elle émane -
d' élargissement de marge de manoeuvre .
Le pouvoir étatique ainsi tenu, le contrôle s' étend par la
suite à l' ensemble de la classe politique institutionnelle ou à l' activité
agréée ou admise .
au terme de deux scrutins législatifs, d' un long travail de
pénétration du terrain qui dure depuis parfois deux décennies, d' innombrables
retournements d' alliances entre les forces locales sur la scène libanaise et d'
une connaissance profonde des ressorts de la sociologie politique libanai Damas
peut être assurée aujourd'hui de contrôler la quasi-totalité des membres du
Parlement, des partis politiques en exercice, des forces, groupes et
associations à capacité mobilisatrice plus ou moins notable .
Elle profite, de surcroît, en cela de la dislocation des
forces traditionnellement opposées à sa politique libanaise ( les Forces
libanaises, l' ossature de certaines anciennes brigades de l' armée, le
mouvement aouniste, certains groupes islamistes, des réseaux arafatistes ou
proches de l' OLP, les sympathisants du Ba'th irakien rival ... ) .
Enfin, maîtresse des échéances diverses, Damas peut, tour à
tour, les utiliser pour renforcer et consolider ses instruments de contrôle (
élections législatives, par exemple ) ou, au contraire, pour les geler et les
annuler afin de éviter des tests difficiles ou gênants selon la conjoncture (
élections municipales, jusque-là ; élection présidentielle de 1995 ) .
Aussi, au nom de les " circonstances ( régionales )
exceptionnelles " et des " dangers qui menacent la sécurité nationale et la paix
civile ", le déficit démocratique ne cesse de se creuser au niveau de l'
exercice du pouvoir, mais aussi - de façon croissante - à celui de l' exercice
et de l' expression des libertés et des droits fondamentaux .
Dans un tel contexte, l' équilibre actuel - imposé mais
fluctuant , entre les trois principales forces politiques libanaises que
représentent Rafiq Hariri , le Hezbollah et l' armée libanaise - est appelé à
perdurer .
Concernant ce triangle, il est possible de parler de trois
projets politiques sensiblement divergents en termes d' objectifs, de stratégies
et d' alliances locales et régionales .
Leur compétition et leurs différends restent toutefois pour
l' heure inscrits dans une équation de conflit et de coopération très
précisément rythmée et dosée par l' impératif de leur subordination à ce que les
libanais appellent désormais le " plafond syrien " ( As-saqf as-sury ) .
Par son ambitieux projet de reconstruction, et la dynamique
économique que cela provoque et entretient, Rafiq Hariri joue sur un besoin
syrien de stabilité économique et sociale au Liban dans la période d' attente
qu' imposent à tous les négociations .
C' est cette logique qui a largement présidé à sa nomination
comme Premier ministre en 1992, à l'issue de les élections législatives
controversées auxquelles il n' avait pas directement pris part, et à un moment
où la crise économique libanaise atteignait la côte d' alerte .
Certes, par ailleurs, Rafiq Hariri incarne et représente
bien d'autres aspects et bien d'autres fonctionnalités .
Présent dans les coulisses du jeu politique libanais depuis
près de quinze ans, son entregent, sa surface financière et ses réseaux lui
confèrent une possibilité non négligeable de convertir l' ensemble des forces
politiques de la guerre en forces de gouvernement .
D'autre part, sa facette saoudienne, ses relations d'
affaires et personnelles avec plusieurs dirigeants de le Golfe , d'autres
parties de le monde arabe et de certains pays industrialisés , constituent des
atouts sur lesquels Damas peut s' appuyer pour gérer la période difficile d'
adaptation aux nouvelles règles du jeu international, de négociations et de
gestion de la carte libanaise dans un environnement volatil .
Considérant la centralité que la résistance au sud occupe
dans la stratégie négociatrice syrienne, le Hezbollah acquiert une place
prépondérante, et souvent à part, dans le jeu politique libanais .
Son exception provient bien sûr de l' activité militaire qu'
il est désormais pratiquement le seul à entreprendre contre Israël, ce qui l' a
exempté de se soumettre à la dissolution des milices à la fin de la guerre .
Mais elle provient aussi de ce qu' il est l' expression la
plus évidente de l' alliance syro-iranienne .
D' un point de vue strictement libanais, les analyses et les
degrés d' acceptation du fait que représente le Hezbollah sont multiples et
diverses . " Contre-société " potentiellement dangereuse ( car porteuse de
projet de théocratisation de la vie politique ) pour les uns, vecteur d'
ingérence syro-iranienne ( à l'origine de la prolongation de l' épreuve du
Liban-sud ) pour d'autres, le Hezbollah est aussi considéré par beaucoup comme
un parti politique - aux spécificités certes notables - somme toute parfaitement
intégré au jeu politique libanais, voire banalisé .
Ce qui est invoqué à cet égard est l' entrée du parti dans
le paysage parlementaire dès 1992, ses positions relativement modérées sur
plusieurs questions internes et ses relations très largement étendues à toutes
les parties libanaises : autant de caractéristiques qui font de lui une force
semblable à d'autres forces dites de " l' opposition institutionnelle " .
Il reste évident que l' importance du Hezbollah s' impose à
tous, ne serait -ce qu' en raison de sa fonction - en concurrence avec le
mouvement Amal - d' encadrement et de mobilisation effective et symbolique d'
une partie de la communauté chiite, et de la place qu' occupe désormais cette
dernière dans tous les équilibres libanais .
La fin de la guerre a fait apparaître un besoin pressant de
sécurité .
L' armée libanaise, devenue au fil de le conflit l'un de ses
acteurs majeurs , se voit alors confier, en étroite collaboration avec les
troupes syriennes stationnées au Liban, le rôle de gardien de l' ordre et de la
paix civile .
À la croissance numérique qu' un tel rôle impose, s'
ajouteront par la suite d'autres fonctions que l' armée se donnera .
Face à le projet de la résistance et à ses débordements
potentiels, l' armée joue - vis-à-vis des parrains du processus - le rôle de
garant, afin que les termes de tout arrangement soient respectés ;
corollairement, elle suggère, également aux partenaires étrangers, qu' en cas de
défaillance soudaine de la présence armée syrienne - pour des raisons qu' il n'
est pas possible de discuter ici - elle serait prête à remplir le vide
sécuritaire, mais aussi à parer à toute potentielle défaillance politique .
Face au projet " tout-économique ", l' armée se donne une
image de creuset intégrateur de la nation et de ses générations montantes,
multipliant publications, camps de jeunes et campagnes diverses de civisme .
Plus encore, face à la dégradation de l' image de la classe
politique libanaise, elle se pose aussi en recours possible, en jouant de
surcroît sur une opinion dont de vastes segments ne seraient pas hostiles à un
scénario bonapartiste .
Représentant la reconstruction, la résistance et la
sécurité, ces trois forces expriment - parfois lourdement - des divergences
découlant de leurs logiques intrinsèques, mais dont les expressions reflètent
aussi les positions nuancées de leurs propres alliés et protecteurs respectifs
au sein de le leadership syrien, quant à les politiques à suivre au Liban ou
envers le dossier régional .
Les membres de ce leadership, en retour , jouent de ces
différences, afin de mettre en avant telle ou telle option en fonction de l'
état d' avancement du processus lui -même .
La divergence la plus flagrante , la plus profonde aussi ,
est celle qui oppose Rafiq Hariri au Hezbollah .
En la matière, tout ou presque a été dévoilé durant les deux
semaines d' avril 1996, lors de l' opération " Raisins de la colère " .
Pour le Premier ministre dont la priorité absolue est son
projet de reconstruction, la libération du Sud doit - autant que possible - être
obtenue par la négociation .
La résistance est en ce sens coûteuse, au sens propre du
terme, surtout si elle devait mener Israël à exécuter sa menace de destruction
des infrastructures, en riposte à sa vulnérabilité au Sud .
D'autre part, c' est la véritable opposition entre deux "
projets de société " qui sépare les deux forces, les valeurs sociétales
véhiculées par le Hezbollah pouvant difficilement s' acclimater avec l' imagerie
du Liban de demain incarnée par les technocrates d' une économie de services,
extravertie et dépendante .
En présentant sa bataille législative à l' été 1996 comme
étant celle de la " modération contre l' extrémisme ", Rafiq Hariri pointait
aussi bien cela du doigt .
Aussi, il fait peu de doute que le modus vivendi entre la
formation islamiste et Rafiq Hariri doive presque exclusivement à la pression
syrienne .
Entre Rafiq Hariri et l' armée libanaise, les crises ont été
tout aussi fréquentes et pas toujours feutrées .
des promotions d' officiers - dont le numéro deux de les
renseignements militaires - bloquées par le Premier ministre , à les accusations
directes lancées à les " services " pour leur immixtion dans plusieurs
manifestations de la vie civile , en passant p est longue .
Par deux fois, Rafiq Hariri ira jusqu' à sous-entendre que
l'une des raisons essentielles de la crise économique est à rechercher dans le
budget démesuré alloué aux forces armées et au traitement de la troupe .
Effectivement, en absorbant une bonne partie des milices
dissoutes, l' armée a vu ses effectifs s' hypertrophier depuis le début de la
décennie .
Mais à ce développement numérique correspond aussi un
changement assez profond de structure, l' armée se présentant aujourd'hui comme
un corps où les officiers sont en surnombre et où les avantages sociaux et
matériels qui leur sont conférés sont en croissance constante .
D' instrument militaire, l' armée est en passe de devenir un
véritable corps social, doté de ses logiques propres et de ses revendications
corporatistes .
Par ailleurs, se greffent sur ces évolutions des lectures
politico-communautaires de la troupe .
Alors que, traditionnellement au Liban, l' armée était
considérée comme l'un des outils privilégiés de l' hégémonie maronite, elle est
aujourd'hui perçue comme le vecteur d' une ascendance chiite au sein de les
appareils de l' État .
Plus profondément, c' est là encore deux quasi - " projets
de société " qui s' affrontent et qui cherchent, chacun, à se placer d'ores et
déjà comme l' acteur de réserve idéal en cas de règlement régional .
En cas de avancée des négociations, non seulement ces
équilibres seront modifiés, mais la nature et l' action mêmes de chacun de ses
acteurs ( pour deux d' entre eux du moins ) seront appelées à varier
sensiblement .
La déflation du conflit israélo-libanais poussera sans aucun
doute vers une plus grande conversion du Hezbollah en force exclusivement
politique et vers une plus grande intégration de cette dernière dans les rouages
institutionnels .
C' est en ce sens que une ligne de plus en plus affirmée au
sein de les cadres du parti prône, depuis un certain temps déjà, la "
libanisation ", c' est-à-dire une plus grande distance à prendre par rapport à
les impératifs stratégiques proprement iraniens, même si la filiation
idéologique et spirituelle avec Téhéran n' est pas à remettre en question .
La Syrie aura - encore plus qu' actuellement - un rôle
essentiel à jouer dans ce processus, en faisant accepter à son allié local les
logiques du règlement régional et en obtenant probablement pour lui, en
compensation, des concessions substantielles à l'intérieur de le système
libanais .
Dans le cas contraire, la conversion du Hezbollah pourrait
s' avérer plus problématique .
L' option du désarmement forcé de le Hezbollah serait alors
imposée à la Syrie ou encore à l' armée libanaise .
Tant l'une que l' autre ont déjà eu des affrontements avec
le Hezbollah : en 1987, lorsque l' armée syrienne ne put entrer dans la banlieue
sud qu' après un assaut qui fit 27 morts dans les rangs du Hezbollah ; et, en
septembre 1993, lorsque l' armée libanaise tira sur des manifestants du parti
qui protestaient contre la signat faisant 13 morts dans leurs rangs .
Si les rancoeurs se sont depuis éteintes, elles pourraient
être suscitées à nouveau .
La reconversion pourrait d'autre part être freinée - ou
compliquée - par la relance, de la part de les États-Unis le plus probablement,
de demandes judiciaires concernant des affaires passées de " terrorisme " et
pouvant atteindre certains cadres aujourd'hui bien en vue de le Hezbollah, dont
des parlementaires .
Cette dernière éventualité étant bien entendu sujette à l'
état des relations libano-américaines et syro-américaines à ce moment là .
Quant à la coexistence du Hezbollah avec le projet Hariri
dans un système où ce dernier, toutes choses étant égales par ailleurs , sera
une force probablement plus autonome , elle sera sans doute fonction de l' état
des relations entre la Syrie, les États du Golfe - essentiellement l' Arabie
Saoudite - et l' Iran .
Il faut toutefois se figurer ce que pourrait devenir le
Hezbollah comme force politique interne, si la carte de la résistance au Sud ne
faisait plus partie de son arsenal discursif et mobilisateur .
Dans ce sens, le parti a déjà entamé une diversification de
ses thèmes d' action et de revendication, en se portant présent sur les fronts
de la revendication sociale et des libertés publiques où il montre d'ailleurs
une capacité notable à lier des alliances avec des forces très disparates sur l'
échiquier politique libanais, jouant en cela d' une forte légitimité acquise sur
le champ de bataille .
Par ailleurs, une reconcentration du parti sur des thèmes
politiques proches de ceux de les autres mouvements islamistes de la région -
avec lesquels le Hezbollah est d'ailleurs en relation - n' est pas à exclure ;
elle a toutefois pour limite de faire alors réapparaître un clivage
communautaire entre les deux grandes familles de l' Islam .
Quant à l' armée, son rôle dans l' après-règlement
continuerait d' être crucial .
Aussi, au nom de la nécessité d' assumer l' engagement
sécuritaire au Sud, elle plaidera probablement pour un accroissement de ses
effectifs et de ses moyens, surtout si elle devait à la fois assurer le
déploiement dans la partie méridionale et dans le reste du pays .
C' est sur cette économie des forces armées que joue
d'ailleurs l' argument de la nécessité d' un maintien des troupes syriennes au
Liban après la paix .
Le déploiement de forces étrangères de maintien de la paix
dans le cadre de les arrangements à prévoir serait en ce sens un moyen de sortir
de cette logique .
C' est du reste en se présentant comme la force concrète de
substitution à l' armée syrienne que l' armée libanaise tente de promouvoir son
image tant auprès de les franges anti syriennes de l' opinion qu' auprès - plus
discrètement - des Etats-Unis dont elle a traditionnellement toujours été très
proche .
À cet égard, le travail de contrôle syrien à l' oeuvre au
sein de l' armée depuis 1991 , et dont attestent le traité de défense commune et
les sessions d' entraînement de les officiers libanais en Syrie , est supposé
constituer pour Damas la garantie que les forces armées libanaises ne seront pas
entraînées, comme elles l' ont souvent été, dans des actions hostiles à la
politique libanaise .
C' est pourquoi il serait à craindre qu' en cas de
divergences sérieuses entre la Syrie et les parties tierces, autour de la
gestion du terrain libanais en situation de paix, l' armée ne soit l' objet de
polarisations .
À plus long terme, il serait cependant plus probable que la
pacification de la région entraîne une diminution de l' importance de l' armée
dans l' équation politique, même si elle devait conserver l' essentiel de ses
acquis sociaux .
À cet égard, il faut rappeler que ce débat est propre à l'
ensemble des États de la région : la démobilisation entraînera -t-elle un recul
d' influence des militaires dans la vie politique des sociétés concernées ou, au
contraire, cette influence sera -t-elle appelée à s' affirmer, parfois sous l'
encouragement des parrains de la paix, pour garantir les engagements pris ?
Dans le cas du Liban, un facteur supplémentaire s' ajoute à
cela .
La coexistence entre l' armée et le projet Hariri, toujours
en cas de pacification , pourrait se faire sur le mode " taiwanais ", c'
est-à-dire celui de la nécessité d' assurer les investisseurs étrangers et leurs
capitaux contre des risques de mécontentement social ...
En cas de percée sur le volet syro-israélo-libanais des
négociations et en cas de desserrement de l' emprise syrienne sur le Liban, la
relève libanaise et la viabilité politique de le pays dépendraient encore
d'autres facteurs, largement internes .
Les hypothèques à ce niveau sont nombreuses .
En premier lieu, la grande fragmentation de la société
libanaise, aggravée par quinze années de guerre, et dont l' histoire montre qu'
elle est une source récurrente d' appel à l' ingérence extérieure dans les
affaires du pays mais aussi de ses communautés .
La classe politique libanaise reflète, amplifie et sans
doute recrée les conditions de cette fragmentation ; elle y ajoute un égoïsme
indépassable et une culture politique souvent étroite et " paroissiale " .
En contrepartie, une contre-élite foncièrement différente -
et à même de jouer des rôles de nature et d' envergure qualitativement autres -
n' a pas émergé ou, du moins, n' est pas prête d' être structurée autour de
projets lisibles et repérables .
Pour une bonne part, elle est d'ailleurs le fait de
personnalités de l' ancienne classe politique ou de ses héritiers, souvent
marquée par des velléités revanchardes .
des personnalités politiques se détachent pourtant, et
contribuent encore, par des positions courageuses et notables, à préserver un
minimum d' immunité à la vie politique libanaise .
Leur action reste toutefois individuelle et le moindre de
leurs échecs n' est pas justement cette incapacité à fédérer des positions par
ailleurs attendues par une large part de la société .
Le poids de la tutelle et celui de les blocages régionaux
sont certainement à cet égard un facteur à prendre en compte .
Il reste que la nécessité de recréer les circuits de
recrutement et de mobilité d' une nouvelle élite politique, mais aussi
administrative, est pressante si le Liban doit, dans un Proche-Orient pacifié,
affronter des défis d' un tout autre ordre que ceux qu' il a connus jusqu'ici .
Dans ce sens, l'un des atouts majeurs du projet Hariri est
justement de pouvoir se présenter comme un vecteur politique de transversalité
dans la société libanaise et comme porteur d' une modernisation - certes
coûteuse et autoritaire .
Reste que la culture politique suggérée tant par son
discours que par certaines des mesures prises depuis cinq ans laissent entrevoir
une distance certaine entre ce projet et des pratiques pleinement démocratiques
.
Quoi qu' il en soit, la principale limite du projet Hariri
reste dans sa propre surévaluation .
En accréditant - ou ne laissant se confirmer - la thèse de
la " non alternative " ( La badil ) à ce projet, le Liban court le risque -
auquel il a jusque-là échappé - d' aligner son système politique sur celui de l'
ensemble des États arabes de la région, en raison du manque total d' alternance
et de la non circulation de leurs élites, tal d' alternance et de la non
circulation de leurs élites, leur difficulté à entrevoir avec sérénité la
succession politique ou naturelle de leurs dirigeants .
L' économique, entre déperditions et potentialités
La perpétuation du statu quo actuel se paie d'ores et déjà
en forte déperdition du potentiel économique libanais .
Il est difficile de ne pas voir que l' essentiel du projet
économique engagé après la guerre, et qui prendra une ampleur et une vitesse
grandissantes à partir de 1992 avec l' arrivée directe au pouvoir de Rafiq
Hariri, est basé sur l' hypothèse, faite alors, que la paix serait installée
dans l' ensemble de la région quelque deux à trois ans plus tard .
Au moment de son entrée en fonctions en octobre 1992, le
Premier ministre promettait aux Libanais des réalisations considérables pour le
printemps suivant .
La plupart des rapports rédigés au tout début des années 90
prévoyaient la réduction quasi totale du déficit public libanais dès 1994-1995,
un taux de croissance soutenu de 8 à 9 % à partir de ces mêmes années, le début
du passage de l' investissement public en travaux d' infrastructure à des
investissements plus productifs, etc .
Il est facile de constater aujourd'hui le caractère plus qu'
optimiste de ces projections et de ces promesses .
Bien sûr, la réparation de l' infrastructure physique du
pays a été largement entamée .
Elle est toutefois encore insuffisante alors qu' une majeure
partie des sommes qui lui étaient allouées ont été dépensées .
Ces dépenses comprennent une large part de coûts et de frais
non pris en compte au départ, et que l' on peut sans risque attribuer à la
situation alarmante de l' administration, mais aussi et surtout aux blocages et
nuisances politiques - locales et régionales - qu' il s' agit chaque fois de
surmonter ou de contourner financièrement .
Alors que le coût global de la reconstruction était censé se
chiffrer à environ 20 milliards de dollars, la seule dette publique libanaise -
interne et externe - atteint déjà 13 milliards de dollars .
En cas de blocage durable des négociations, il faut s'
attendre à la perpétuation de la morosité économique, à la dégradation de l'
état des finances publiques, à l' accroissement de la dette - ou au moins de son
service - sans décollage réel de l' activité productive .
Les taux d' intérêt élevés , outils d' une politique
monétaire restrictive destinée avant tout à la défense de la stabilité de la
monnaie nationale , découragent une bonne partie des investissements productifs
au plan local, réduisent le niveau de la consommation et gonflent
artificiellement la bulle spéculative foncière .
Les investisseurs étrangers, lorsqu' ils s' installent à le
Liban , le font en " stand-by ", par le biais de petites structures, mobiles et
peu coûteuses, dans une logique de prise d' options au cas où les choses se
débloqueraient dans la région .
Quant à les capitaux libanais à l' étranger, estimés à plus
de 30 milliards de dollars, et sur lesquels beaucoup d' espoirs se fondent, il
s' agit d'abord de voir quel est leur degré de mobilité, quel est encore leur
degré de " libanité " et, enfin, quelles sont les conditions politiques que
leurs détenteurs attendent pour les diriger vers leur pays d' origine .
Dans le même temps, les pesanteurs et blocages politiques
rendront pratiquement impossibles et vaines les tentatives de réforme
administrative - si elles ont lieu .
Ainsi, la corruption qui grève les finances publiques est
appelée à perdurer .
Un déficit accru par le fait que la situation sociale
devenant de plus en plus critique , il sera difficile à l' ensemble de la classe
politique de priver le corps social des fonctionnaires de la prébende que
constituent pour eux l' emploi public et ses avantages en nature .
Ces considérations macroéconomiques se traduisent
douloureusement sur le niveau de vie des Libanais .
Si la classe moyenne à l' assise autrefois large n' en finit
pas de s' étioler depuis le début de la guerre, l' après-guerre a vu se
développer une nouvelle pauvreté aux proportions objectivement alarmantes .
C' est dire que le blocage persistant de la situation
régionale aura donc pour effet d' entamer sérieusement la crédibilité et l'
image - au départ très avantageuses - de Rafiq Hariri comme opérateur économique
et comme homme miracle de la convalescence libanaise d' après-guerre .
Si cette situation s' envenimait , ses effets pourraient
même s' avérer politiquement dangereux et devenir, par contrecoup, des facteurs
de crise économique syrienne, ne serait -ce que par le biais de le marché de l'
emploi que le chantier libanais offre au surplus de main-d'oeuvre syrienne .
Ce n' est d'ailleurs là pas la moindre des fonctions
syriennes du projet Hariri, à savoir celui de générateur de prospérité pour la
Syrie .
En dépit de tous ces signaux négatifs, l' économie libanaise
garde quand même de grandes ressources de viabilité si le blocage régional était
levé .
Certes, comme tous les autres États de la région, le Liban
aura à vivre des adaptations difficiles et parfois douloureuses, la nouvelle
division régionale du travail imposant sacrifices et contraintes de type nouveau
.
Il est d'ores et déjà probable que le Proche-Orient
économique dans l' après-paix se dessinera autour de deux ensembles plus ou
moins intégrés, dont les relations seront sujettes aux considérations
politiques, mais aussi à celles de l' avantage comparatif .
Si la première de ces zones regroupe les " trois " -
Palestine , Jordanie et Israël - , une zone " à deux " devra lui faire
contrepartie, regroupant la Syrie et le Liban .
Dans ce sens, les dynamiques à l' oeuvre dès maintenant dans
le couple syro-libanais sont essentielles et constituent autant de chances que
de pesanteurs .
et Si la perception actuellement dominante est celle du
modèle Chine / Hong-Kong, il est vrai qu' à maints égards, le Liban remplit pour
la Syrie la fonction d' un espace économique compensatoire, il n' en demeure pas
moins que le fonctionnement optimal de cet ensemble pour le bénéfice des deux
parties comporte ses conditions .
Il appartiendra donc au pouvoir libanais de rééquilibrer la
mise en oeuvre des traités économiques entre le Liban et la Syrie, en faisant
jouer pleinement la règle des avantages comparatifs, en réduisant les
protectionnismes appuyés sur les rapports de force inégaux entre les deux pays
et en s' éloignant - le plus tôt serait le mieux - de pratiques plus proches de
la prédation économique que la Syrie exerce sur certains secteurs libanais .
À ce niveau, le problème de la main-d'oeuvre syrienne , dont
les estimations les plus prudentes chiffrent la ponction à un minimum de 1
milliard de dollars par an , se pose en termes particulièrement complexes, tant
il mêle les considérations économiques à d'autres, plus psychosociologiques,
engageant des représentations dangereusement négatives de l' autre .
Par ailleurs, le Liban peut être envisagé par la Syrie aussi
comme un espace de spécialisation par procuration .
Certains faits signalent déjà que plusieurs entreprises
libanaises servent dès aujourd'hui d' école à des cadres syriens formés pour la
plupart à l' étranger .
au sens plus large, d'ailleurs, l' entrée dans le marché
libanais de la reconstruction d' un certain nombre d' entrepreneurs syriens
contribue à l' acquisition par ces derniers de réflexes propres à une économie
de marché ouverte et plus compétitive .
Les conditions économiques de la paix imposeront au Liban
une double adaptation : avec l' économie syrienne, mais aussi avec celle d'
Israël .
Dans ce sens, plusieurs secteurs devront être sacrifiés,
d'autres développés plus encore et mieux dans une perspective de spécialisation
et d' excellence ( banque, hospitalisation, système éducatif, informatique et
télécommunication ... ) .
À plus long terme, et si les blocages étaient véritablement
levés, la possibilité que le Liban serve d' espace intermédiaire entre le marché
israélien et les marchés arabes - et plus spécifiquement syrien - ne peut pas
être exclue .
De pareilles perspectives ne manqueront pas, cependant, de
placer les entrepreneurs libanais dans des situations de tension, difficiles à
tenir si les échanges commerciaux continuaient d' être idéologisés dans une
logique de refus de normalisation totale même après la paix .
Relever ces défis nécessite dès maintenant que le Liban s'
engage sur la voie de certaines corrections et réformes de son environnement
économique et social .
Les conditions du miracle économique des années 50 , 60 et
70 ont drastiquement changé et la guerre n' y est certainement pas pour peu .
À titre d' exemple uniquement, l' économie libanaise devra
progressivement accommoder un nombre croissant de nouveaux venus sur son marché
du travail, en raison de une pyramide des âges en rajeunissement constant depuis
un certain temps .
Le système éducatif et de formation professionnelle devra
retrouver son rôle central de qualification .
C' est de lui, ainsi que d' un système fiscal plus juste,
que dépend la recréation d' une classe moyenne importante .
Une grande partie des entreprises devront moderniser leurs
structures organisationnelles et consolider leur capitalisation ; à l' ère de la
compétition régionale et de la mondialisation, il y a peu de place pour des
entreprises essentiellement familiales et parfois sous-capitalisées .
L' avantage comparatif du Liban en termes de tourisme ne
pourra être exploité si des actions résolument volontaires n' étaient
entreprises pour arrêter la dégradation catastrophique de son environnement
naturel ...
Le Liban et l' intégration régionale
L' économie libanaise dans un Proche-Orient en voie de
pacification , voire même le couple économique syro-libanais dans un tel
environnement , sera aussi largement dépendant de ce que les négociations
multilatérales dessineront comme cadres et comme contraintes .
Concernant le Liban, cela est vrai pour deux domaines au
moins : celui de l' eau et celui des réfugiés .
Si la position officielle israélienne, maintes fois
réitérée, est de n' avoir aucune visée territoriale sur le Liban , cela ne
saurait exclure que des arrangements concernant l' eau libanaise ne soit mis sur
la table des négociations .
À tort ou à raison, le Liban est présenté comme un pays
excédentaire en eau, dans une région où sa rareté fait loi .
À cet égard, Israël pourrait invoquer le précédent du traité
libano-syrien de partage des eaux de l' Oronte, où le Liban s' est montré
légèrement généreux, pour exiger à son tour, et sur d'autres cours d' eau, le
droit à l' utilisation de certaines quantités .
Pareil point renvoie à la question plus globale des
négociations multilatérales et à ce qui y attend le Liban .
Pour politiquement défendable que soit la position libanaise
de boycott des négociations multilatérales, celle -ci aura eu jusque-là, et aura
davantage encore à l'avenir, un prix plus élevé pour le Liban que pour le
partenaire syrien, dans la mesure où le Liban est concerné de façon vitale par
le dossier des réfugiés où se joue le sort des quelque 300 000 Palestiniens
stationnés sur son sol .
il il peut continuer à s' en tenir à une stricte rhétorique
juridique en la matière, le Liban ne pourra pas longtemps ignorer qu' en cas de
paix, ce genre de question sera plutôt réglée selon des modes de
transnationalité, modes qui revisiteront sans doute largement les principes
traditionnels du droit international public au profit de mécanismes juridiques
plus souples et plus inventifs aujourd'hui envisagés sans lui .
Si l' absence aux négociations multilatérales a ses raisons,
un palliatif momentané serait, pour le Liban, d' être aussi présent que possible
au sein de autres forums - multilatéraux mais moins chargés diplomatiquement et
politiquement .
Outre que le Liban, s' il y était traité comme acteur
autonome réaffirmerait ainsi son identité diplomatique, il y gagnerait aussi par
le fait que ses représentants prendraient là le pouls de ce qui se prépare pour
lui et pour la région dans différents domaines .
À cet égard, on peut légitimement s' inquiéter de l' état d'
impréparation " du négociateur libanais en ce qui a trait à certains dossiers
techniquement pointus .
Sur des questions cruciales comme celle de l' eau, des
réfugiés palestiniens, de l' intégration économique ou des futurs systèmes de
sécurité collective, le consensus national est loin de être formé, l'
accumulation de connaissances et d' expertises est embryonnaire, la mise à
contribution des spécialistes est au mieux informelle et dispersée, quand elle
n' est pas simplement écartée pour des raisons de conformité politique .
Le temps mort depuis l' arrêt de les négociations
libano-israéliennes aurait pu être mis à profit pour avancer sur la maîtrise de
ces dossiers .
Dans ce sens, en se montrant aussi craintif et réticent à
l'encontre de toute présence d' experts libanais dans des cénacles
internationaux portant sur ces sujets, Beyrouth se prive d' opportunités
sérieuses de construction de capacités négociatrices futures .
Conclusion : l' avenir du couple syro-libanais
Si, selon certaines analyses, la Syrie peut - ou préfère -
ni guerre ", s' accommoder de l' état de " ni paix, le Liban, lui , a clairement
intérêt à un déblocage et à une issue rapides des négociations .
Là n' est n' est pas la moindre de ses différences avec la
Syrie .
Le Liban joue aujourd'hui sa viabilité dans une course
contre la montre et chaque jour passé dans la situation actuelle se paie cher :
en vies humaines au Sud, en déliquescence politique à l' intérieur, en marasme
économique, en ponction de plus en plus lourde opérée par son protecteur sur ses
ressources, en désenchantement tous les jours plus profond que vivent ses
citoyens .
Est -ce à dire que c' est dans la paix que réside la seule
clef de l' entier recouvrement du Liban ?
La relation syro-libanaise dans sa forme actuelle est sans
doute appelée à se prolonger pour un temps encore .
Il s' agit là d' un processus tissé sur le long terme, dont
les configurations sont fluides et à même de accommoder les pressions exogènes .
La Syrie a créé au Liban des facteurs de contrôle durable,
dont le moindre n' est pas sa maîtrise du complexe que constituent l' élite
politique et une partie importante des forces sociales effectives .
Le Document d' entente nationale mettant fin à la guerre
devait être compris, au départ, comme un arrangement intérimaire, adaptable et
améliorable, une plateforme offrant des perspectives ouvertes sur des relations
syro-libanaises plus mutuellement bénéfiques et sur des équilibres internes plus
novateurs .
Toutefois, la conjoncture régionale et internationale des
premières années de la décennie 90 , ainsi que les rapports de force interarabes
et intra-libanais , avaient alors laissé le champ libre à une lecture
unilatérale - et fermée - par la Syrie du sens de l' accord de Taëf et avaient
ainsi gravement dévoyé la relation syro-libanaise .
L' impact simple et direct d' une percée réelle du processus
de paix sur cette relation reste donc limité, contrairement à ce qu' un "
wishfull thinking " largement répandu chez les Libanais laisserait croire .
Quand bien même un tel processus entraînerait le retrait, le
redéploiement ou l' allégement des effectifs militaires syriens au Liban,
d'autres types de contrôle pourraient aisément s' y substituer ou en prendre le
relais .
Dans ce sens, si le retrait militaire syrien est nécessaire,
il n' est en aucune façon suffisant .
Un véritable rééquilibrage des relations syro-libanaises
reposera largement sur la capacité qu' auront - à partir de les données du Liban
actuel - de nouvelles forces sociales et politiques à mettre à profit les marges
offertes par la nouvelle donne régionale, par la vitalité économique du pays, et
par leur formulation commune d' un projet de vie politique - où les Libanais
seront réconciliés autant avec eux -mêmes qu' avec leur environnement, pour
réaffirmer une véritable souveraineté libanaise .
Celle -ci ne devra, en aucun cas, se reconstruire contre la
Syrie ou sur le ressentiment aveugle envers elle .
De telles tendances existent .
En effet, malgré le côté incantatoire des déclarations
officielles libanaises sur la fraternité qui caractérise désormais les relations
entre les deux pays, malgré le slogan du président Assad lui -même selon lequel
Libanais et Syriens sont " un seul peuple dans de l' aspect idyllique d' une
telle relation est démenti par les détails du vécu quotidien .
Les échauffourées sanglantes de la Cité sportive, qui ont
opposé à le mois de juin 1997 les supporters de les équipes syrienne et
libanaise de football , ne sont qu' un spécimen des rancoeurs accumulées entre
les deux sociétés, où se mêlent l' économique et le social à l' identitaire et
au patriotique .
Aussi, l' avenir d' une réelle coopération syro-libanaise
qu' exige un Proche-Orient en paix passe, en grande partie, par un travail de
réajustement des perceptions croisées de ces deux sociétés .
D'une part, la Syrie a été véritablement intériorisée par la
représentation collective libanaise comme le démiurge et le régulateur des
crises, comme la partie prenante et l' arbitre, omnisciente, omnipotente et
omniprésente .
De l' autre côté, on oublie parfois que le Liban a fini par
devenir partie intégrante du système syrien lui -même .
Le régime du Mouvement rectificatif du président Assad vit
avec le Liban - et avec sa crise - sans interruption aucune depuis au moins 1976
.
Une grande partie de son édifice politique et militaire s'
est structuré au Liban, s' est même parfois structuré par le Liban .
Il est vrai que des pratiques uniformisées de part et
d'autre de la frontière ont peut-être progressivement lissé les deux espaces ;
mais elles ont aussi exacerbé les plus petites différences .
C' est justement entre ces deux extrêmes, celui de la fusion
et celui du rejet, que le Liban et la Syrie - seuls mais ensemble - devront
réapprendre à vivre .
TITRE : LA CONTESTATION DE LA MONDIALISATION : UNE NOUVELLE EXCEPTION
FRANÇAISE ?
AUTEUR : Eddy Fougier
A la fin des années 1980, un consensus semble se dégager en
France autour de l' idée de la fin de ce que l' on appelait l' exception française "
.
Les clivages idéologiques irréconciliables et l' atmosphère de
guerre civile larvée ont disparu, tandis que les grands conflits sociaux, mais aussi
l' engagement et la participation politique, sont en net déclin .
C' est pourquoi l' apparition d' une forte contestation de la
mondialisation constitue une véritable surprise, tant pour les observateurs que pour
les acteurs eux -mêmes .
Elle paraît contredire cette forme de " fin de l' histoire " à
la française, c' est-à-dire cette reconnaissance quasi généralisée des principes de
l' alternance démocratique, mais aussi, et surtout, de l' économie de marché .
On peut dès lors se demander si cette contestation témoigne d'
un retour de cette fameuse " exception française " ou si elle est seulement le
symptôme des difficultés traversées par une société confrontée aux défis de l'
actuel processus de mondialisation .
La singularité de la contestation à la française
La contestation française de la mondialisation n' est pas
tant singulière par ses caractéristiques, que par son influence notable sur la
société et sur le débat politique .
Cette contestation à la française est née, en grande partie,
dans le sillage de le débat sur Maastricht, mais aussi de la réapparition de
mouvements sociaux importants, avec les actions des " sans " ( logement,
travail, papier ) et surtout les grèves du secteur public fin 1995 .
La création, en juin 1998 , d' ATTAC et son succès rapide ,
l' intense campagne menée par la Coordination contre l' AMI ( Accord
multilatéral sur l' investissement négocié à l' OCDE ) et le démontage de le
restaurant McDonald's à Millau par des militants font de la France à travers ses
figures médiatiques, notamment celle de José Bové, l'un des hauts lieux de la
lutte contre la " mondialisation libérale ", avant même l' organisation des
manifestations de
Elle le reste et le sera tout particulièrement en 2003
puisqu' elle devrait accueillir deux des grands événements de l' année sur le
front contestataire : les manifestations à l'occasion de le sommet du G8 à Evian
du 1er au 3 juin 2003, et le Forum social européen, qui se déroulera à
Saint-Denis du 29 octobre au 3 novembre 2003 .
Il n' existe pas pour autant un mouvement antimondialisation
en France .
On doit davantage parler d' une mouvance ou d' une nébuleuse
de groupes souvent très disparates par leurs structures, leurs objectifs ou
leurs effectifs que d' un mouvement structuré .
En outre, la contestation française apparaît plutôt
altermondialiste qu' antimondialiste, dans la mesure où les protestataires
défendent une autre mondialisation que l' actuelle " mondialisation libérale " .
Ses acteurs apparaissent donc assez diversifiés et éloignés
des clichés réduisant la critique de la mondialisation en France aux groupes ou
aux personnalités les plus visibles lors de les manifestations à l'occasion de
les sommets internationaux ou des réunions propres aux contestataires ( Forum
social mondial et, aujourd'hui, Forum social européen ) ou dans les médias, à
savoir José Bové et ATTAC . En effet, les activités protestataires ne se
résument pas à ces manifestations .
Les groupes s' expriment également à travers une intense
activité de lobbying auprès de les " décideurs " ou du grand public en réalisant
un certain nombre de campagnes sur des thèmes spécifiques comme la dette, la
taxe Tobin ou les organismes génétiquement modifiés ( OGM ) ; une activité d'
information, d' analyse, de pédagogie et de publications ; et de
contre-expertise sous la forme de une surveillance et d' une évaluation de la
politique menée par diverses institutions ( nationales ou internationales ) ou
par des entreprises, fondement d' un véritable contre-pouvoir
Ainsi, bien plus qu' ATTAC et la Confédération paysanne de
José Bové, les groupes les plus impliqués dans les campagnes sont d'abord des
organisations de solidarité international ( OSI ), souvent d' origine
confessionnelle, telles Agir ici, AITEC, Artisans du monde, le CCFD, le CRID,
Peuples solidaires, le Réseau Afrique-Europe Foi et justice, RITIMO, Solagral ou
Terre des hommes, ou d'autres ONG, comme des groupes écologistes ( Les Amis de
la Terre et Greenpeace ) et l' association de défense des droits de l' homme de
Danielle Mitterrand, France Libertés .
En fait, la mouvance contestataire française est composée de
trois types de groupes : les ONG, les mouvements sociaux et les " nouveaux
groupes contestataires " .
Les ONG appartenant à la mouvance sont des organisations
spécialisées dans l' aide au développement et la lutte contre la pauvreté dans
les pays du Sud ou la protection de l' environnement .
Mais d'autres ONG tendent également à s' impliquer dans la
critique de la " mondialisation libérale ", comme celles qui défendent les
droits de l' homme, la condition féminine ou les minorités sexuelles .
Elles s' expriment principalement par le biais de campagnes,
surtout axées sur l' amélioration de la situation des pays du Sud (
développement durable, annulation de leur dette, lutte contre la politique menée
par les institutions financières internationales ) .
Une part notable de la contestation française, à l'instar de
la situation existant dans d'autres pays , est ainsi composée d' organisations
d' origine confessionnelle, rappelant que l' Église est également un pôle
important de critique du capitalisme .
Les mouvements sociaux comprennent des mouvements de défense
des exclus - les " sans " -, des mouvements paysans et des syndicats radicaux,
comme Sud-PTT . Ils s' expriment en particulier par le biais de manifestations,
souvent assez spectaculaires, mais aussi de campagnes contre l' OMC . Enfin, les
nouveaux groupes contestataires, contemporains de la mondialisation, ont été
spécifiquement créés en liaison avec ce thème .
Ils comprennent des associations, comme ATTAC, des réseaux,
des observatoires et des " groupes de surveillance " qui s' expriment par le
biais de campagne, de publications ou de promotion de telle ou telle action .
Ils sont surtout présents dans la lutte contre l' OMC . On
peut distinguer parmi eux des groupes réformistes, qui sont dans une logique d'
engagement plus que d' affrontement face à les " acteurs " de la mondialisation
( gouvernements, entreprises, institutions internationales ) et qui acceptent d'
entrer dans des mécanismes de consultation mis en place par ces derniers, et des
groupes radicaux qui, eux, sont plutôt dans une logique d' affrontement et se
refusent à tout compromis avec le " système " .
Pourtant, concrètement, leurs différences apparaissent
beaucoup plus floues, en tout cas plus de degré que de nature .
Ces groupes incarnent une certaine continuité historique
avec les formes de contestation passées ( ouvrière, intellectuelle, " anarchiste
", mais aussi celle de l' Église ) et dans la tonalité de leurs critiques .
Mais ils s' inspirent également de courants plus
contemporains, comme les mouvements " post-matérialistes " des années 1960-1970
ou la mouvance ONG . Par ailleurs, ils ont une structuration inédite et de
nouveaux objectifs .
A la différence de la contestation ouvrière et marxiste d'
autrefois, les groupes protestataires actuels n' aspirent plus au " Grand soir
", c' est-à-dire à une forme de prise de pouvoir politique et de transformation
radicale de la société par la force, ou de toute révolution de type socialiste
impliquant, par exemple, une appropriation collective des moyens de production .
Ainsi, personne, au sein de la mouvance contestataire , ne
défend l' expérience soviétique en tant que modèle alternatif au capitalisme .
Un groupe comme ATTAC affirme même ne refuser ni l'
existence du marché, ni celle de l' entreprise privée .
Leur objectif réside donc plutôt dans la formation de
contre-pouvoirs efficaces, et non dans la prise de pouvoir politique ou même une
éventuelle participation gouvernementale .
La contestation française présente donc de nombreuses
similitudes avec la nébuleuse contestataire internationale , mais aussi quelques
particularités , avec d' un côté , une quasi absence de think tanks , de groupes
spécialisés sur la mondialisation , d' se structure également autour de les
grandes campagnes internationales ( contre l' OMC et les institutions de Bretton
Woods, et en faveur de la taxe Tobin et de la remise de
Une France contestataire ?
Il existe une contestation à la française .
Son influence est tangible tant sur la société que sur le
discours politique .
Elle peut être mesurée par le nombre d' adhérents ou de
sympathisants des groupes protestataires .
Le cas d' ATTAC est particulièrement emblématique de ce
point de vue .
L' association compte aujourd'hui environ 30 000 adhérents
et 230 comités locaux, y compris dans les universités et les grandes écoles .
Les résultats aux élections professionnelles des syndicats
appartenant à la mouvance montrent que ces groupes ont une représentativité
certaine dans des secteurs qui tendent à fournir une grande partie des soutiens
à la contestation de la mondialisation en France : l' agriculture, le secteur
public et l' enseignement .
La Confédération paysanne a obtenu 28 % des suffrages lors
de les élections aux chambres d' agriculture en janvier 2001 .
Le syndicat Sud obtient des scores importants lors de les
élections de représentants des salariés au conseil d' administration de grandes
entreprises du secteur public ( second syndicat à la Poste et à France Télécom,
troisième à la SNCF ) ou même d' entreprises privées ( second syndicat chez
Michelin ) .
Enfin, la FSU est la première fédération syndicale du
personnel enseignant, mais aussi de la fonction publique de l' État .
Les succès éditoriaux ( ouvrages de José Bové , de Susan
George , de Viviane Forrester ou de Pierre Bourdieu , l' évolution des ventes du
Monde diplomatique ) ou le nombre important de signataires de pétitions ( 110
000 en faveur de la taxe Tobin , 520 00 sont également les symptômes .
Les enquêtes d' opinion soulignent enfin que la perception
des contestataires et surtout de leurs principales propositions est largement
positive et tend même à dépasser les clivages partisans traditionnels, sauf si
ces groupes sont bien identifiés à gauche .
Ainsi une très importante majorité des personnes interrogées
est favorable à la taxe Tobin et à l' annulation de la dette .
On ne peut pas parler pour autant de France contestataire .
Les Français ne sont pas majoritairement et foncièrement
hostiles à la mondialisation, et n' apparaissent pas globalement partisans d'
une fermeture économique et culturelle .
Ils se montrent néanmoins plutôt inquiets face à les
conséquences les plus négatives de ce processus et tendent à soutenir les
propositions de régulation et d' humanisation " .
L' influence des contestataires est également évidente sur
la politique et sur le débat .
Mais elle apparaît faible sur la décision politique à
proprement parler .
En effet, au-delà de leur impact très notable sur le
discours politique, leur effet sur la décision paraît assez limité .
Ceci est illustré par l' étude de deux cas où la France a
joué un rôle fondamental : l' échec des négociations sur l' Accord multilatéral
sur l' investissement ( AMI ), suite à son retrait, et l' adoption d' une
législation sur la taxe Tobin .
Dans le premier cas, considéré comme la première " victoire
" des contestataires, leur rôle sur la décision française a été beaucoup plus
réduit que ce qu' ils affirment eux -mêmes, tandis que dans le second, la
législation adoptée n' a aucune incidence pratique et le gouvernement, malgré
une rhétorique plutôt favorable, s' est montré fermement opposé à toute mise en
place effective d' une taxe Tobin .
En fait, l' étude du processus de décision indique que les
contestataires sont influents lorsque deux conditions sont réunies : lorsqu' ils
font la promotion de micro propositions concrètes et techniques sur lesquelles
le gouvernement français peut avoir prise, et
En définitive, leur influence la plus notable est sur le
débat .
La grande victoire des contestataires français est, en
effet, d' avoir réussi à influencer la perception globale de la mondialisation
en France et à définir les termes mêmes du débat .
Les résultats des élections présidentielles et législatives
de mai - juin 2002 en ont, par exemple, été une illustration .
La gauche au pouvoir, écartelée entre , d'une part , une
approche pragmatique et réaliste de l' économie de marché et de la
mondialisation et , d'autre part , un discours souvent assez proche de les
thématiques de les contestataires , a certainement souffert électoralement de
ces contradictions, alors qu' un grand nombre de sympathisants de gauche étaient
séduits par le discours contestataire défendant une " gauche de gauche " .
Cette influence est également perceptible dans les débats au
sein de une gauche en crise suite à ces défaites, en particulier chez ceux qui
souhaitent que sa pratique s' adapte à son discours et qui reprennent à leur
compte nombre d' analyses et de propositions contestataires .
Malgré sa vigueur, la contestation en France n' a pourtant,
pour le moment, pas véritablement modifié les trois grandes tendances durables
de la société française : la pacification idéologique, sociale et politique .
Elle ne constitue donc pas le ferment d' une nouvelle "
exception française ", celle -ci n' ayant pas vraiment créé de nouvel
antagonisme idéologique fondamental autour de la mondialisation et les Français,
globalement, n' étant pas opposés à son processus .
La contestation apparaît en fait comme le symptôme d' une
crise, celle de la difficile adaptation du " modèle social français " - crise d'
adaptation de l' économie, de la société et du gouvernement, au sens large du
terme - et du " modèle républicain " - crise de la représentation, de la
démocratie représentative et du politique - au contexte contemporain marqué par
la mondialisation .
Elle soulève également l'un des principaux défis économique,
social et politique en liaison avec les effets de la mondialisation, à savoir l'
intégration économique,
TITRE : Les élections de mi-mandat aux Etats-Unis (5 novembre 2002)
AUTEUR : François Vergniolle de Chantal
Les dernières élections de mi-mandat sont en opposition avec les
schémas électoraux traditionnels : ce point a été souligné à maintes reprises dans
la presse .
La victoire du GOP ( Grand Old Party ) s' inscrit en faux contre
cette " loi d' airain " de la démocratie américaine selon laquelle le parti du
Président au pouvoir perd des sièges aux élections de mi-mandat .
L' élection de 2002 rejoint en ceci les précédents de 1934 et de
1998, où des Présidents démocrates ont réussi à enregistrer des gains électoraux
durant leur mandat .
A chaque fois, l' Exécutif a pris avantage de cette situation
pour faire passer son programme dans des conditions aisées .
Le cas de FDR est, de ce point de vue, exemplaire .
En 2002, le résultat de Bush est d' autant plus surprenant que
le Législatif est rarement de la même orientation politique que le Président, et ce
de manière de plus en plus fréquente depuis la fin des années soixante . A un
premier niveau, il semble ainsi que l' élection de 2002 mette un terme aux blocages
partisans trop souvent caractéristiques de la vie politique américaine .
Le Parti républicain est maintenant en position de totale
responsabilité, tandis que le souvenir de la dernière présidentielle s' efface et,
avec lui, le discrédit qui entachait à la fois la Cour Suprême et la Présidence .
Néanmoins, dans les faits, cette conclusion exagère l' impact de
la victoire républicaine .
Comme on le verra, la fin d' un Congrès démocrate est loin de
être suffisant pour modifier les équilibres institutionnels : le mandat de Bush est
fragile, et les contraintes qui pèsent sur ses décisions restent puissantes .
A partir de un bilan ponctuel de ces élections, on tentera donc
de valider notre évaluation plus générale .
Les élections de mi-mandat du 5 novembre 2002 : une victoire
de la Présidence
Les élections mettaient en jeu les 435 sièges de la Chambre
des Représentants, 34 sièges au Sénat, et 36 postes de Gouverneurs .
Malgré le second tour de l' élection sénatoriale en
Louisiane le 7 décembre dernier et l' élection d' une Sénatrice démocrate, les
résultats définitifs constituent une victoire assez nette pour les républicains
: ils détiennent dorénavant une majorité de 51 sièges au Sénat ( 47 démocrates
), de 228 sièges à la Chambre ( 203 démocrates ), et de 26 Gouverneurs ( 24
démocrates ) .
Ainsi, ils possèdent maintenant tous les leviers
institutionnels du pouvoir - la Cour Suprême étant majoritairement conservatrice
depuis les années quatre-vingt -, ce qui constitue une configuration extrêmement
rare à l' aune de la pratique politique des vingt dernières années .
Le " divided government ", l' opposition partisane entre
Congrès et Présidence, caractérisant la vie politique américaine de façon
particulièrement marquée depuis la fin des années soixante .
Bush Jr . se retrouve maintenant en position de force ; et
tous les commentateurs ont souligné la facilité que cela lui procurait dans la
lutte anti terroriste, aussi bien que dans la gestion de la crise irakienne 2 .
Nous allons ici nous pencher sur les conséquences purement
partisanes et politiques sur la scène publique américaine .
Mais auparavant, il faut immédiatement souligner que ce
succès est imputable à la stratégie individuelle du Président Bush .
Il s' est personnellement impliqué dans le déroulement de la
campagne, en jouant pleinement sur les règles localistes du scrutin .
En première approche, il semble que cette participation
individuelle extrêmement forte, en proportion inverse de sa fragilité issue de
2000, ait eu des conséquences positives pour les républicains .
Sa popularité personnelle très solide ( 60 % de satisfaits )
a rejailli sur son parti .
Néanmoins, une analyse plus fine révèle rapidement que le
comportement du Président a surtout eu des conséquences sur le camp adverse,
celui des démocrates .
Ils ont été privés de toute marge de manoeuvre pour se
distancier d' un Président qui n' a pas hésité à jouer la carte nationaliste
pour s' assurer une vaste popularité .
C' est donc d'abord la focalisation sur le Président,
sensible pendant toute la campagne, qui a conduit à la défaite des démocrates .
Leur absence de message fort a été flagrante .
Tout comme le manque de figure charismatique pour se faire
entendre, à l' exception, contestable, de Tom Daschle, Sénateur démocrate du
Dakota du Sud ( depuis 1986 ), et actuel président du groupe démocrate au Sénat
( Senate Minority Leader depuis 1995 ) .
Si on prend les trois grands thèmes importants - les
impôts, la sécurité du territoire ( homeland security ), et l' Irak - les
démocrates ont apporté la preuve de leurs divisions, tout particulièrement en ce
qui concerne la sécurité du territoire .
En effet, la réorganisation de l' Etat fédéral impulsée par
l' équipe Bush a une conséquence sociale lourde : elle conduit à modifier le
statut de plusieurs catégories de fonctionnaires fédéraux, dans le sens de la
remise en cause de certains de leurs acquis sociaux .
Le mouvement de consolidation des structures fédérales à l'
oeuvre se traduit concrètement par le regroupement des fonctionnaires fédéraux
sur le plus petit dénominateur social commun .
Etant donné le poids de les syndicats au sein de le Parti
démocrate , on aurait pu s' attendre à une réaction vigoureuse de leur part .
Or il n' en a rien été .
Le discours nationaliste l' ayant très largement emporté de
part et d'autre , il s' est avéré être un piège électoral particulièrement
efficace pour les démocrates .
Au niveau des classes moyennes modérées, les électeurs se
sont tournés de préférence vers l' original plutôt que vers la copie : ils ont
suivi les républicains plutôt que les démocrates .
A l' inverse, au niveau des électeurs traditionnellement
démocrates, le parti a souffert de son manque d' affirmation, de sa faible
différenciation par rapport à le GOP . Sur les autres sujets, le Président est
aussi en mesure de mettre en oeuvre son programme .
Il peut créer son fameux " Ministère de la Sécurité du
Territoire " .
Il va pouvoir aussi faire pérenniser plus facilement son
programme de baisse des impôts : Thomas Daschle n' est plus en position de s'
opposer .
De même, d'autres projets devraient bénéficier de cette
nouvelle configuration politique : celui de la privatisation des retraites (
Social Security ), ou encore l' exploitation des réserves énergétiques de l'
ANWR ( Alaska National Wildlife Refugee ), chère à un grand nombre des
contributeurs de la campagne républicaine 3 .
En fin de compte, le Parti démocrate donne l' impression d'
avoir perdu sur les deux tableaux .
Il semble également que les responsables du parti aient,
tout comme dans les années quatre-vingt, sous-estimé l' impact du " personnage "
politique que s' est construit Bush : celui du Président " proche ", dépourvu de
toute prétention intellectuelle, mais honnête, et capable de prendre une
décision simple le moment venu .
Reagan avait déjà utilisé cette caractéristique de la vie
politique américaine, qui revient régulièrement sur le devant de la scène depuis
Andrew Jackson dans les années 1830 4 .
Dans une période de crise et d' incertitude, les discours
de type " Axe de le Mal " sont bien perçus par l' électorat, à la différence de
les flottements enregistrés côté démocrate .
Les responsables démocrates ont laissé une impression d'
inutile sophistication .
On pourrait aisément prendre d'autres exemples en politique
interne, mais l' idée resterait la même : les démocrates n' ont pas saisi ce
besoin de proximité des électeurs, à la différence de un Président qui, lui, en
use et abuse, notamment avec la lutte anti terroriste .
C' est dans ce cadre général que prend place la
recomposition des forces au Congrès et au niveau de les Etats .
Nous aimerions maintenant évoquer quelques-unes des
personnalités marquantes qui émergent de cette élection, en commençant par le
Congrès, puis en se penchant sur les Gouverneurs .
Une fois ce panorama achevé, nous conclurons sur les limites
qui, à court terme, vont sans doute conduire le Président à une certaine
modération .
Enfin, nous tenterons de tirer quelques conclusions
générales sur l' état du système politique américain .
Les conséquences partisanes de l' élection
C' est bien sûr au Congrès que la situation évolue le plus,
et d'abord pour les démocrates 5 .
Face au Président Bush, les démocrates semblent tiraillés
entre un besoin de retour aux sources idéologiques et une poursuite de la
politique de modération mise en oeuvre par Bill Clinton .
Le choix de Nancy Pelosi, élue de San Francisco , comme
Minority Leader ( responsable de la minorité démocrate ) à la Chambre de les
Représentants , et le maintien de Tom Daschle à la tête de le groupe démocrate à
le Sénat traduisent, respectivement, cette tension .
Nancy Patricia d' Alesandro Pelosi est une des plus élues
les plus " libérales " de la nation, c' est-à-dire, engagée à gauche .
Elle représente le 8ème district de Californie depuis 1987,
en étant confortablement réélue à chaque fois .
Elle a construit sa carrière sur la lutte contre le SIDA, et
la fermeté de sa position vis-à-vis de la Chine .
Malgré son opposition au Président Clinton sur de nombreux
points - et en particulier la question chinoise - elle est un des plus efficaces
contributeurs ( fund-raiser ) du Parti démocrate 6 .
Elle siège par ailleurs à la Commission du Renseignement (
Intelligence Committee ) depuis le 107ème Congrès, et dans celle d' attribution
des crédits ( Appropriations Committee ) depuis le 102ème Congrès .
Dès janvier 2002, elle avait obtenu le poste de Minority
Whip, ce qui l' avait propulsé à un des deux postes les plus importants du
groupe minoritaire .
A première vue, ce sont les contributions financières
obtenues par Pelosi qui lui ont valu cette importante promotion .
Mais il reste que le message idéologique est également
clair : son engagement à gauche est un signal de radicalisation des démocrate
.
Face à cette recomposition démocrate, les républicains ne
sont pas en reste .
Tout comme chez leurs adversaires, la tendance est nettement
à la radicalisation idéologique .
Nancy Pelosi doit ainsi apprendre à cohabiter avec le
Représentant Tom Delay, Whip du parti, allié indispensable du Speaker J. Dennis
Hastert, et élu du Texas depuis 1984 .
Sa réputation de strict conservateur n' est plus à faire .
Malgré ses relations tumultueuses avec l' ancien Speaker
Newt Gingrich, c' est bien T. Delay qui a rédigé l' essentiel du programme
conservateur de 1994 ( Le Contrat avec l' Amérique ), en s' en prenant notamment
à l' extension du pouvoir fédéral .
Il aurait largement contribué à la chute de Gingrich en 1997
et son remplacement par Hastert, le tout avec le soutien du " Majority Leader "
Dick Armey .
Ce trio - avec T.Delay occupant donc la troisième place -
est plus que jamais fermement à la tête du Parti républicain .
Hastert est clairement le plus modéré des trois .
Ancien professeur d' histoire, Hastert est un élu
républicain depuis 1986 pour la 14ème circonscription de l' Illinois .
Sa promotion de Chief Deputy Majority Whip à celle de
Speaker remonte à 1998, et fut organisée avec comme message explicite de calmer
les haines partisanes au sein de la Chambre .
On ne peut pas en dire autant du Majority Leader, Dick
Armey, nettement plus idéologue .
Elu de la 26ème circonscription de le Texas depuis 1986 ,
il est un ancien universitaire, économiste, partisan acharné de Reagan, et qui
acquiert sa position de prééminence lors de le 104ème Congrès .
Ses conceptions fiscales extrêmement conservatrices sont
connues : il est partisan d' un taux unique d' impôt fédéral sur le revenu - la
fameuse " flat tax " à 17 % - et s' était violemment opposé à Bush Sr lors de l'
augmentation des impôts en 1990 .
Son activité intellectuelle est encore intense : outre une
partie du programme de 1994, il a aussi écrit une série de livres d' actualité
sur les nécessaires réformes à mener : Price Theory : A Policy-Welfare Approach
( 1977 ), The Freedom Revolution ( 1995 ) et The Flat Tax ( 1996 ) .
au Sénat, la situation est plus stable par définition .
Mais là aussi, le constat est identique : l' activisme
idéologique est de plus en plus marqué, tout particulièrement du côté
républicain .
Côté démocrate, en effet, le pragmatisme de les " Nouveaux
démocrates " chers à Bill Clinton semble se poursuivre .
Tom Daschle , Senate Minority Leader depuis plusieurs années
, représente, avec, jusqu' à récemment, Richard Gephart à la Chambre, une
poursuite du pragmatisme clintonien .
Le Président trouvait en eux d' utiles relais au sein de le
législatif, même si les ambitions des uns et des autres pouvaient
occasionnellement perturber les relations .
Après les derniers résultats, la démission de Gephart a
ouvert la voie à Pelosi, Daschle restant seul .
Sa pratique des républicains au cours de le 104ème Congrès
l' a habitué à adopter une position souple, tout en tenant efficacement la base
.
Il a ainsi pu réformer les règles du Sénat lors de le 107ème
Congrès dans un sens favorable aux démocrates .
Son opposition au programme de Bush Jr est ferme - comme p .
ex . sur les baisses d' impôts - mais sans caractère idéologique ou revendicatif
comme certains le craignent de Pelosi .
Daschle est maintenant considéré comme un des
présidentiables démocrates potentiels en 2004, et ce d' autant plus que Gore a
officiellement annoncé en décembre dernier qu' il ne se représenterait pas .
Mais au sein du GOP, la situation est radicalement
différente .
Malgré le départ de certains " poids lourds " de la droite
républicaine - Jesse Helms ( Caroline du Nord ) et Strom Thurmond ( Caroline du
Sud ) - la relève est assurée par des élus clairement ancrés à droite : en
l'occurrence Elizabeth Dole ( élue à 54 % ) et Lindsay Graham ( qui recueille 55
% des voix ) .
Le principal responsable de le groupe républicain était le
Sénateur du Missouri Trent Lott jusqu' en décembre 2002 .
Elu en 1988 , il devient le " Majority Leader " du Sénat en
1996, à la fin de le 104ème Congrès, lorsque Bob Dole se lance dans la campagne
présidentielle 7 . Son parcours de républicain modéré - il travaillait pour un
Représentant démocrate lorsqu' il est arrivé à Washington en 1968 - a été
régulièrement marqué par des déclarations embarrassantes .
Par ailleurs, son arrivée comme " Majority Leader " a
coincidé avec l' érosion de la majorité républicaine .
Lott n' a jamais réellement réussi à consolider ses troupes
.
Ses tentatives pour atteindre un consensus sont fragiles,
et ne résistent pas à sa propension à tenir haut et fort des propos trop
controversés .
Le pragmatisme contrarié de Lott est le résultat direct de
l' amenuisement de la majorité républicaine jusqu' en 2002 .
Qu' en est -il maintenant que le GOP est dans une situation
plus confortable, non seulement au Sénat, mais également à la Chambre et au
niveau de les Etats ?
Peut -on s' attendre à une évolution sensible, peut-être
plus radicale, du Parti républicain ?
Pour l' instant, le nouveau responsable du GOP à le Sénat ,
B. Frist , semble adopter une politique de stricte adhésion à la Présidence Bush
8 .
Mais il est encore trop tôt pour dire s' il va s' agir d'
une personnalité de transition ou bien s' il pourra s' affirmer .
Au niveau des Gouverneurs, les changements sont moins
massifs qu' au sein de le Législatif .
Néanmoins, ce n' est pas une fonction à négliger : tous les
derniers Présidents d' envergure - Clinton, Bush Sr, Reagan et Carter - ont été
des Gouverneurs avant d' atteindre la Présidence .
Que ce soit l' Arkansas, la Californie, ou le Texas, l'
accession à le poste de Gouverneur semble maintenant être un marche-pied
efficace pour atteindre le poste le plus élevé du pays .
A ce niveau, une autre figure montante du Parti démocrate a
acquis une certaine visibilité 9 .
Il s' agit de Bill Richardson, qui vient d' être élu
Gouverneur du Nouveau Mexique en battant le républicain John Sanchez, 57 % à 38
% .
En Europe, sa réputation vient essentiellement de son action
diplomatique, notamment à l' ONU, entre 1997 et 1998 .
Il était devenu membre de l' équipe présidentielle de
Clinton en 1998, comme Secrétaire à l' Energie, avant de se lancer dans une
carrière politique nationale .
Sa récente élection constitue ainsi son premier succès sur
la voie de l' enracinement électoral, un élément qui, jusqu'à présent, avait
toujours manqué à ce haut fonctionnaire .
Ses prises de position traduisent une modération certaine,
même si ses engagements en faveur de la lutte contre la pollution ou l'
extension de la couverture-santé ( health care ) sont solides .
A part ce nouveau venu sur la scène étatique, les autres
résultats étaient attendus .
La réelection de Jeb Bush en Floride n' est pas une
surprise étant donné la soutien massif que son Président de frère lui a apporté
: 56 % contre 43 % pour Bill McBride 10 .
En Californie, le démocrate modéré Gray Davis a été
aisément réélu ( 48 % contre 42 % pour son adversaire, Bill Simon ), de même que
le républicain - lui aussi modéré et lui aussi élu en 1994 - de New York, George
Pataki ( à 50 % contre 33 % pour Carl McCall ) .
La seule " surprise " vient peut-être du changement à Hawaï
: cet Etat, historiquement démocrate, est passé aux républicains en élisant
Linda Lingle à 52 % contre 47 % pour son adversaire .
Les démocrates ont aussi reculé en Géorgie, en Caroline du
Sud et dans le Maryland, où leur candidate, Kathleen Kennedy Towsend, est la
fille aînée de Robert Kennedy .
Ils ne l' ont emporté clairement que dans des Etats
industriels comme l' Illinois, le Michigan ( avec Jennifer Granholm, une des
élues les plus en vue de le Parti démocrate ), et la Pennsylvanie .
Les limites de la victoire républicaine .
Au-delà de ces résultats, on peut lire les élections de 2002
comme un effacement des controverses de la présidentielle de 2000 .
Certes, les attentats du 11 septembre 2001 ont déjà très
largement permis au Président d' asseoir sa légitimité .
Cette victoire charismatique a d'ores et déjà été mise au
crédit du Président .
L' apport des dernières élections est un peu différent, mais
tout aussi sensible .
Comme on le sait, la fragile majorité républicaine du 107ème
Congrès ( 2000-2002 ) avait été remise en cause par la défection d' un Sénateur
républicain modéré, qui, en se déclarant non inscrit, avait fait passer la
majorité du Sénat aux démocrates 11 .
Cet accident de parcours a maintenant été effacé .
Les républicains ont récupéré leur majorité et ne dépendent
plus du vote d' un Sénateur non inscrit .
De même, la Cour Suprême a maintenant retrouvé de son
prestige, pourtant largement entamé par la " résolution " de la crise de l'
élection présidentielle en 2000 .
Son soutien en faveur du candidat Bush Jr se trouve
maintenant validé politiquement .
Le Président peut ainsi considérer à nouveau la possibilité
de nommer des Juges conservateurs non seulement à la Cour Suprême mais aussi aux
cours fédérales inférieures .
Alberto Gonzales est de plus en plus cité comme choix
potentiel du Président en remplacement de Rehnquist, actuellement Président de
la Cour ( Chief Justice ), ou de la Juge O'Connor .
Par ailleurs, le Président pourrait aussi tenter à nouveau
de choisir le Juge Charles W. Pickering pour un poste dans une Cour d' Appel,
pourtant rejeté par la Commission Judiciaire du Sénat en mars 2002 12 .
En clair, et plus généralement, les élections de 2002
constituent une sortie de la crise de légitimité issue de la présidentielle de
2000 .
Tous les éléments ralentis ou décrédibilisés depuis la
début de la Présidence Bush sont dorénavant débloqués politiquement et
institutionnellement .
Néanmoins, malgré cette situation, situation, il semble que
le parti du Président doive modérer ses ambitions et gérer un grand nombre de
contraintes .
Ainsi, en dépit de la victoire des républicains, il faut
largement en nuancer l' importance .
Les caractéristiques de l' élection sont telles qu' il faut
se garder de toute conclusion de long terme quant à la présidentielle de 2004
.
La participation électorale ne permet pas d' avoir une vue
complète de l' électorat .
La participation s' est établie à 39.3 %, en hausse légère
de 2 points par rapport à l' an 2000 .
La participation n' a été véritablement élevée que dans
quelques Etats bien précis, comme le Minnesota ( avec le soudain décès du
Sénateur P. Wellstone et la mobilisation autour de son remplacement ), le Dakota
du Sud, Etat d' origine de Tom Daschle : dans ces deux cas, la participation a
pu atteindre 60 % .
Certains taux sont par contre curieusement bas .
Ainsi des 45 % du Maine, où la participation est normalement
beaucoup plus élevée .
Ou encore, la Floride, dont le taux ne dépasse pas 43 %,
alors que les enjeux y étaient particulièrement importants .
Le Gouverneur de l' Etat, Jeb Bush , ayant en effet
bénéficié d' un important soutien de le Président , la médiatisation de l'
élection a été particulièrement intense .
Dans ces conditions, il n' y a pas vraiment de raz-de-marée
électoral en faveur de le Président, et encore moins de réalignement électoral .
Une analyse plus précise confirme aisément ce diagnostic
:
A la Chambre des Représentants, l' élection s' est jouée
sur 30 circonscriptions au maximum, et 15 semblaient être réellement
ouvertes ( sur les 435 de l' ensemble ) .
Les marges électorales ont été faibles, les
problématiques étaient locales, et le financement a été surdimensionné par
rapport à les gains électoraux enregistrés .
au Sénat, là aussi les thématiques nationales ont
disparu, que ce soient les impôts, la question du remboursement des
médicaments, ou encore le déficit budgétaire .
Ainsi, la pauvreté des marges électorales , auxquelles
s' ajoutent le localisme de les débats font de cette élection une victoire
républicaine à l'arraché, bien loin de la présentation journalistique sur le
thème de " l' exception " historique .
En fait, la surréaction médiatique est la grande
caractéristique de l' élection de 2002 .
Les observateurs prévoyant en majorité une continuation
de l' effritement de les positions républicaines , les quelques gains de le
GOP ont, au contraire, conduit à accorder trop d'importance à des résultats
somme toute ponctuels et / ou difficiles, sans tenir compte d'autres
facteurs : la participation électorale et la " fragmentation " du débat
nationale, bien sûr, mais aussi des facteurs plus institutionnels .
Au Sénat par exemple, la vraie majorité n' est pas de 50,
mais de 60, puisque c' est là la majorité nécessaire pour empêcher une
obstruction parlementaire ( filibuster ) .
Dans ces conditions, et malgré le renforcement de la
majorité républicaine, la continuité devrait être la règle en pratique !
Le GOP n' a aucune chance d' atteindre ce seuil .
D' une manière plus générale, et comme toujours dans le
système américain, la complexité de la procédure législative est telle, qu' elle
assure une modération des républicains majoritaires .
Autre élément qui devrait favoriser la prudence de l' équipe
actuelle, la fragilité de la structure électorale du GOP . Le Nord-Est est une
partie du pays déterminante pour les futurs succès du GOP : en effet, le Maine
ayant élu deux Sénatrices républicaines modérées, Susan Collins et Olympia
Snowe, et celles -ci sont tout à fait nécessaires pour n' importe quelle
majorité, même simple, au Sénat .
Or ces deux élues sont tout particulièrement modérées sur
les questions de moeurs ( l'une d' elle, Olympia Snowe, est même pro-choice ) .
Dans ces conditions, le Parti républicain ne peut qu'
adoucir ses prises de position, afin de conserver ses légers avantages sur les
démocrates .
Et ceci non seulement dans le domaine social, mais aussi
dans d'autres .
Ainsi, les derniers changements à la tête de la Commission
de l' Environnement ( Environment and Public Works ) à le Sénat en témoignent .
La réputation d' opposant systématique à l' EPA (
Environment Protection Agency ) de le nouveau Président , James M. Inhofe ,
devrait s' altérer devant les nécessités du compromis partisan 13 .
Ce schéma devrait se répéter et se généraliser au niveau de
la collaboration institutionnelle .
Conclusion
Les élections de 2002 ne permettent pas de conclure sur un
mandat clair pour le Président Bush .
Sa victoire, indéniable , est somme toute modeste, et les
gains enregistrés au Congrès ne sont pas tels qu' ils permettent au Président d'
assurer le passage de ses principales mesures .
A l' inverse, l' opinion publique, elle , perçoit bien les
républicains comme étant maintenant responsables à part entière .
Dans ces conditions, les démocrates peuvent s' assurer un
certain rebond électoral s' ils évitent la marginalisation partisane qui est
leur principal risque .
La seule conclusion à long terme que l' on semble pouvoir
tirer de ces élections est le quasi-équilibre entre les différentes institutions
.
Il y a une forme d' entropie institutionnelle qui ressort
des chiffres définitifs de l' élection rappelés au début de cet essai .
Cette situation est en clair contraste avec les élections de
1994 : l' engagement idéologique avait été tel que les impasses auxquelles cela
a conduit ont traumatisé les élus .
Depuis lors, les responsables politiques jouent de
préférence la carte de la modération, au point que le rapport de force partisan
s' équilibre et bloque le processus décisionnel .
En effet, la recherche de la modération ne va pas jusqu' à
cultiver le consensus avec le parti adverse .
Il semble tout simplement que le risque politique ne paie
plus sur la scène publique américaine .
TITRE : Dans l'" après-Saddam ", il y a encore " Saddam "
AUTEUR : David BARAN David Baran est le pseudonyme d'un journaliste
indépendant, ancien consultant en relations internationales pour le
Moyen-Orient.
Le renversement d' un régime n' a jamais permis d' en faire
table rase .
Comme on le constate déjà avec le recyclage des forces de
police, d' une dépravation notoire, l' Irak ne fera pas exception .
Mais l' héritage de l' ère précédente ne manquera pourtant pas
de surprendre - et même d' indigner - tous ceux qui ont communié dans l' anathème de
Saddam Hussein .
Et ils sont nombreux .
En effet, le cadre moral imposé au débat sur le bien-fondé d'
une guerre contre l' Irak obligeait chacun à une dénonciation unanime et convenue de
la brutalité du régime .
La moindre critique émise à l'encontre de la politique des
Etats-Unis était retournée en un cautionnement des pratiques les plus condamnables
du tyran ( de la même façon, toute dénonciation des abus commis par Israël est taxé
d' antisémitisme ) .
Cet argumentaire culpabilisateur disqualifiait éthiquement les
détracteurs de la guerre et structurait le débat, en interdisant de concevoir le
régime autrement que d' un point de vue moral .
D'autres points de vue existent .
En Irak, par exemple, la population avait beau être lasse des
exactions bien réelles du pouvoir en place, elle s' interrogeait sur l' avenir non
pas en des termes généraux, comme celui de " liberté ", mais de façon pragmatique .
Comment le nouveau pouvoir pourrait -il être démocratique ?
Comment éviter des conflits interethniques ?
Qui assurera la sécurité - notamment, qui protégera le centre
ville de Bagdad contre la population déshéritée des faubourgs ?
Combien de temps dureront les pénuries ?
Hors d' Irak, au lieu de engager une discussion technique
devant apporter des réponses convaincantes à ces questions, les différentes parties
au débat restaient prisonnières d' une vision strictement négative du régime, dont
la chute ne pouvait être que souhaitable ... et advienne que pourra .
Or ce régime, aussi brutal et illégitime fût -il, constituait
de fait un dispositif sophistiqué de gestion d' une population traversée de tensions
.
Loin de être fruste et purement répressif, il répondait, par sa
complexité, à la complexité de la réalité sociale à laquelle il était confronté .
On peut donc s' inquiéter de ce que la politique des Etats-Unis
soit justement fondée sur la négation de cette complexité, que le régime lui -même
n' a jamais cessé de prendre au sérieux .
Le scénario de la guerre était des plus élémentaires : les
héros américains, au prix de quelques balafres, abattent le vilain dans son repère
digne d' un film de James Bond, les opprimés en liesse célèbrent leurs libérateurs
... et la vie devient meilleure, tout simplement .
Grande perdante de ce scénario laconique, cette complexité de
la réalité irakienne semble prête à prendre sa revanche sur une Administration,
celle de George W. Bush, qui n' a aucune arme à lui opposer .
Le projet des Etats-Unis se réduit apparemment à restaurer l'
appareil d' Etat existant, au sommet duquel prendrait place un nouveau type de
gouvernement .
des problèmes se posent déjà au sommet, mais les plus insolubles
proviennent sans doute de la base .
Saddam Hussein a laissé en héritage un appareil d' Etat
dysfonctionnel, voire irrécupérable .
Doublé d' un appareil de parti et d' un appareil présidentiel,
concurrencé par un rôle social croissant des communautés, ruiné par l' embargo,
symboliquement synonyme de corruption plus que d' une quelconque universalité, l'
Etat " irakien , à vrai dire , n' en est pas un au sens propre et ne risque pas de
le redevenir .
D'une part, alors qu' il faut, avec Max Weber, D'une part, alors
qu' il faut, avec Max Weber, " concevoir l' Etat contemporain comme une communauté
humaine qui, dans les limites d' un territoire déterminé ( ... ), revendique avec
succès pour son propre compte le monopole de la violence il apparaît que ce monopole
en Irak est loin de être acquis .
D'autre part, la culture de prédation instaurée par le régime de
Saddam Hussein , couplée à cette dispersion de la violence , non seulement
compliquera les relations entre la population et l' Etat, mais minera inévitablement
celui -ci de l'intérieur .
Une violence diffuse
Avant-guerre, le recours à la force et l' usage de la
violence ne relevaient que marginalement de l' Etat .
Certes, l' armée jouait un rôle en matière de répression
interne et la police, sous tutelle du ministère de l' Intérieur, était
théoriquement chargée de la lutte contre les délits et les crimes en milieu
urbain .
L' appareil judiciaire prononçait certaines peines, et le
ministère du Travail et des Affaires sociales gérait une partie du système
pénitentiaire .
Cela dit, de nombreux autres acteurs, indépendants de l'
Etat, intervenaient en parallèle .
Le parti Baas, très actif en ville , assurait l' essentiel
des fonctions de police en milieu rural, en collaboration avec les tribus .
Les Fedayins de Saddam faisaient office de police de choc,
spécialisée dans les opérations musclées .
Partisans et Fedayins disposaient de leurs propres cellules
de détention .
D'autres formations paramilitaires, comme la Garde
républicaine et les forces d' intervention d'urgence , servaient d' instrument
de répression, aux côtés de l' armée ou en son lieu et place .
Ces organes n' offraient pas au régime une maîtrise totale,
" totalitaire " pour reprendre un terme utilisé à tort et à travers, de la force
.
Consacré prioritairement à la défense de ses intérêts
particuliers, le régime tendait à déléguer certaines de ses prérogatives .
Les tribus puissantes localisées le long de les frontières
recevaient des armes ( pick-up équipés de mitrailleuses lourdes,
fusils-mitrailleurs de modèles plus récents que l' armée, etc . ) au nom de une
mission, en principe régalienne, de contrôle du territoire .
Pour se faire, elles opéraient en coordination avec le
Parti et le renseignement, rendaient des comptes directement à la Présidence et
n' avaient aucun rapport, à cet égard, avec l' Etat .
Autre délégation de compétence, la justice tribale a
largement supplanté la justice civile, corrompue et sinistrée .
du meurtre à l' accident de voiture, en passant par le
divorce, un nombre croissant de litiges débouchent désormais sur des procédures
tribales de règlement .
Les assassins condamnés à mort par la justice civile
voyaient même leur peine commuée en prison à vie pour peu que ils versent aux
plaignants le " fasl ", c' est-à-dire les " dommages et intérêts " prévus par le
droit tribal .
Le régime a été jusqu' à autoriser chacun à faire sa loi,
dans le cas dit des " crimes d' honneur ", commis impunément par les parents
masculins d' une femme considérée coupable de mauvaises moeurs .
Prompt à écraser certaines conduites subversives, le régime
savait aussi faire preuve d' une grande mesure quant il semblait que cela était
à son avantage .
des tribus ont pu piller des dépôts d' armes, attaquer des
locaux de l' appareil d' Etat ou éliminer des fonctionnaires, tels que les
représentants honnis du ministère de l' Irrigation, sans encourir de sanctions
majeures .
Exemple plus parlant, les tribus du gouvernorat d' al-Anbar
ont longtemps racketté les voyageurs sur la route entre Amman et Bagdad, unique
moyen d' accès en Irak jusqu' à la fin de les années 1990, avant que le régime
ne se décide à mettre un terme à ce banditisme .
Alors que des images d' une répression brutale viennent
forcément à l' esprit, les méthodes employées donnent à méditer sur la subtilité
des rapports entre le pouvoir central et les pouvoirs locaux que sont devenues
les tribus : Saddam Hussein a dépêché un émissaire éminent auprès de les cheikhs
rassemblés en congrès, auxquels il a seulement rappelé leurs nobles devoirs de
maintien de l' ordre .
La force, qui génère le cercle vicieux de les représailles
, restait ici à l' état d' une menace tacite, bien comprise des chefs de tribus
.
A ceux -ci, le régime, conscient de la vexation qu' il
commettrait en les accusant ouvertement de les vols et en exigeant leur sujétion
, ménageait adroitement une porte de sortie honorable .
La politique en Irak ne se réduisait donc pas à l' exercice
permanent de la violence .
En encourageant la renaissance des tribus et les phénomènes
de communautarisation en général, le régime s' est placé au coeur d' un jeu dont
il possédait seul la capacité d' arbitrage .
Unique garantie d' un quelconque intérêt général, il s' est
investi d' un rôle modérateur des tensions qu' il a lui -même attisées ...
Il tirait d'ailleurs l' essentiel de sa légitimité, y
compris auprès de ses détracteurs, de cette qualité minimale de rempart contre
le chaos .
Pourquoi la disparition du pouvoir signifierait -elle
forcément l' anarchie ?
Déjà, parce que trop d' armes circulent au sein de la
population irakienne .
Les prix en vigueur sur le marché noir en début de année
aident à s' en faire une idée .
Le meilleur modèle de kalachnikov, à savoir le modèle russe
, léger et pliable , utilisé par la Garde républicaine , coûtait 100 dollars au
plus .
Les fusils dits " GC " , d' un format , d' un calibre et d'
une portée supérieurs à le kalachnikov , oscillaient entre 100 et 350 dollars,
selon l' origine ( Iran ou Etats-Unis ) .
Un lance-roquettes RPG en bon état de marche valait à peine
plus de 150 dollars .
A titre de comparaison, une arme rare comme un pistolet
italien Beretta dépasse les 800 dollars .
C' est dire la banalité du RPG ...
Cet excédent d' armes légères, né de l' effort de guerre
contre l' Iran , alimentait d'ailleurs un trafic illégal, mais lucratif, vers la
Syrie et l' Arabie Saoudite .
La dispersion d' un tel arsenal nourrissait évidemment une
violence chronique .
des problèmes d' accès à l'eau pouvaient se solder par des
tirs rangés entre voisins à la campagne .
des combats très graves entre deux tribus rivales, qui s'
étaient approprié des stocks d' arme chimique pendant la débâcle de 1991 , ont
été rapportés .
D'autres conflits locaux ont impliqué des Howitzers, de
grosses pièces d' artillerie .
Face à ces accès de violence, le régime restait le seul
garde-fou .
Bien que il n' ait jamais pu confisquer les armes légères en
circulation, d'une part, et qu' il ait lui -même armé certains de ses alliés, de
l' autre, ses capacités vigoureuses d' intervention et son monopole sur les
blindés lui assuraient cependant la suprématie en toutes circonstances .
A cet égard, la force d' occupation américaine se retrouve
dans le même cas .
Mais comment pourrait -elle s' entremettre à chacun des
innombrables conflits qui ne manqueront pas de surgir ?
Pour pacifier le pays, comment collectera -t-elle des armes
faciles à cacher, voire à enterrer, et à qui les Irakiens tiendront d' autant
plus qu' ils craindront l' anarchie ?
Quant aux futures forces irakiennes, bras armé d' un
nouveau régime dont on peine à imaginer la légitimité , ne renoueront -elles pas
tout simplement avec les méthodes tant réprouvées de l' ancien ?
A ce scénario catastrophiste s' oppose la vision américaine
d' un Irak apaisé, prospère et démocratique .
La prospérité pourrait être en effet la seule arme efficace
contre les dissensions et la violence .
Mais, plutôt que de attendre sa réalisation miraculeuse,
pourquoi, là encore, ne pas la concevoir en des termes techniques ?
On sait déjà qu' elle n' a de chance d' apparaître qu' à
quelques conditions, dont on peut citer les plus évidentes :
que les Etats-Unis aient honnêtement l' intention d'
assumer leurs responsabilités vis-à-vis de la population irakienne ;
que les Irakiens supportent la présence d' une force d'
occupation le temps d' instaurer un pouvoir stable et suffisamment légitime
;
que la dette écrasante de l' Irak et les lourdes
réparations de guerre qu' il doit encore à le Koweït et à l' Iran soient
annulées ;
qu' un véritable plan Marshall prenne en charge la
reconstruction de ce pays dévasté, dont les revenus pétroliers ne sauraient
suffire à surmonter les effets de trois guerres destructrices et de treize
ans d' embargo ;
que les revenus pétroliers soient redistribués et
réinvestis au bénéfice de la population et non de les Etats-Unis ou de les
nouveaux dirigeants de le pays ;
que la corruption et la logique de prédation qui
pervertissent actuellement l' économie irakienne régressent au point où l'
activité économique redeviendrait un gage de prospérité .
Une culture de prédation
Ce dernier obstacle n' est pas des moindres .
Les pillages qui ont fait suite à l' effondrement de le
régime n' étaient qu' une manifestation particulièrement visible de toute une
culture de prédation, née des pénuries et des incertitudes dont souffre la
population irakienne depuis 1991 .
Cette culture consiste en une appropriation immédiate et
sauvage, au détriment de la collectivité, des ressources matérielles disponibles
tant que il est encore temps .
Cette logique s' est traduite de multiples façons .
Elle inspirait évidemment les pratiques de l' élite au
pouvoir, qui se comportait comme si elle n' avait effectivement pas de lendemain
.
Un mois avant cette guerre perçue comme imminente , Ahmed
Watban Ibrahim al-Hassan , fils d' un demi-frère de Saddam Hussein , s'
accaparait encore, par exemple, le terrain d' un souk populaire du quartier d'
al-Mansour, à Bagdad, investissant jusqu'au dernier moment dans l' immobilier !
Quant à le fils aîné de Saddam Hussein, Oudeï, il
personnifiait, par ses prédations non seulement commerciales mais sexuelles, l'
attitude générale des hauts responsables du régime .
Néanmoins, la focalisation sur leurs personnes néglige les
phénomènes beaucoup plus vastes, endémiques, de corruption et de racket qui
formaient en Irak une sorte d' économie généralisée de l' intérêt particulier .
Une majorité de fonctionnaires complétaient leurs maigres
salaires grâce à les bakchichs .
Chaque métier donnait lieu à des stratégies de rançonnage
spécifiques .
Les professeurs, quant ils ne mettaient pas directement leur
complaisance à prix, gagnaient leur vie par des cours particuliers coûteux et
ambigus, car devenus une condition sine qua non de la réussite aux examens .
Les tarifs s' envolaient d'ailleurs à l'approche de ceux -ci
.
des instituteurs allaient jusqu' à dépouiller
quotidiennement leurs élèves de leurs barres chocolatées, revendues par la suite
.
des agents de l' irrigation autorisaient des pompages
illicites contre rémunération .
des officiers dans l' armée faisaient payer des dérogations
au service militaire ou des affectations privilégiées .
Même de soi-disant " gardiens " de parkings publics
exigeaient des automobilistes une rétribution excessive en se faisant passer
pour des collaborateurs de l' inquiétant Comité olympique, quartier général d'
Oudeï .
La corruption s' étendait en outre à des secteurs
sensibles, comme la sûreté ou le renseignement, chacun tirant de son pouvoir de
circonstance des revenus plus ou moins ingénieux .
Le tout s' organisait en une économie proprement cannibale,
dans laquelle une voiture ou une maison abandonnée était immédiatement désossée
par les plus pauvres, qui, n' ayant aucun pouvoir de circonstance à exploiter,
métabolisaient en quelque sorte les résidus .
Le régime tirait naturellement profit de ce qu' une
chercheuse a récemment qualifié de " dictature des besoins " .
Les prétendues largesses de Saddam Hussein , distribuées à
les Tikritis et autres alliés , ont été largement exagérées .
Les Fedayins de Saddam, pourtant totalement dévoués à la
cause de le régime , ne touchaient pas plus de 50 000 dinars par mois ( environ
25 dollars ) .
Le salaire d' un lieutenant colonel du Renseignement
militaire ne dépassait guère 70 000 dinars .
Quant à les gardes rapprochés de Saddam Hussein, dont l'
entraînement extrêmement sévère faisait de nombreuses victimes parmi les rangs,
leur pécule estimé de 2 à 3 millions ( soit de 1 000 à 1 500 dollars ) peut
paraître plutôt modeste pour une élite absolue .
Alors que des célibataires du célèbre quartier populaire de
Saddam City considéraient 100 000 dinars comme la somme nécessaire pour vivre
dignement, on comprend mieux les efforts déployés par beaucoup pour améliorer
leur quotidien en multipliant les sources de revenu, quitte à se compromettre en
cumulant les avantages du parti Baas, les gratifications offertes par la
Présidence, les primes de " l' Association des amis du président ", etc .
De tels arrangements pragmatiques expliquent pourquoi la
population déshéritée du sud de l' Irak, majoritairement chiite et hostile au
régime, n' en était pas moins majori-tairement baasiste .
Les exemples de cynisme dans les relations à le pouvoir
sont nombreux .
En voici un concernant les tribus .
En mai 2002, une réunion très discrète, tenue à Amman par
des cheikhs pour discuter de les perspectives de changement politique , était
dominée par les Shammar Jerba et les Baradost .
Or les Shammar Jerba, notamment la puissante famille de les
Al Mohammed , ont notoirement entretenu des rapports étroits avec le régime,
dont leurs activités commerciales ont beaucoup profité .
Quant aux Baradost, ces kurdes sont apparentés aux Zibar,
mercenaires de Bagdad employés contre le nationalisme kurde dans les années 1970
et contre l' Iran dans les années 1980 .
Quand le vent a tourné, en 1991, les Baradost sont entrés
en compétition avec les deux partis kurdes ( l' UPK et le PDK ) pour le partage
du pouvoir au Kurdistan autonome, avant de revenir, dépités, dans le giron du
régime .
Mais ce sont sans doute ces policiers qui reprennent
aujourd'hui du service qui fournissent le meilleur exemple de l' opportunisme
ambiant .
Issus des mêmes milieux sociaux que les pillards, ces
policiers suscitaient bien des craintes avant la guerre de la part de la
population irakienne, qui s' attendait justement à ce que ils se rangent du côté
de les voleurs à la faveur du chaos .
Ces " volontaires " que les Etats-Unis présentent comme un
modèle de coopération n' ont fait que trouver un nouveau maître cautionnant
leurs abus .
Partout réapparaissent les pratiques en vigueur sous l'
ancien régime .
Les " opposants " apportés dans leurs bagages par les "
libérateurs " de l' Irak ne seront pas les derniers à les imiter .
Le nouveau gouverneur autoproclamé de Mossoul, Mish'an
Rakkad al-Damin al-Jebouri , est un archétype en la matière .
Placé arbitrairement par Saddam Hussein à la tête de sa
tribu, couvert de privilèges, sollicité pour l' enrôlement de recrues dans la
Garde républicaine au début des années 1980, il a longtemps servi de conseiller
du tyran pour les affaires tribales, avant de s' installer à l' étranger .
Conspué dès sa réapparition à Mossoul, il doit son retour
en politique à l' instrumentalisation de la puissance américaine pour imposer
son autorité ...
Conscients de la fragilité de leur pouvoir dans un pays où
s' annonce une guerre de tous contre tous, les successeurs de l' ancien régime
risquent fort d' adopter la logique de prédation qui prévalait jusqu'ici .
Décrite par un Irakien comme la loi du " easy come, easy go
", cette logique se fonde précisément sur l' incertitude qui pèse sur l' avenir
.
Or cette incertitude, alors que les tensions qui traversent
l' Irak commencent à s' exprimer sans entraves, n' est pas prête d' être levée
.
TITRE : La maîtrise des espaces, fondement de l'hégémonie militaire des
Etats-Unis
AUTEUR : Barry R. POSEN
Depuis la fin de la guerre froide, les spécialistes de politique
étrangère se sont demandé quel nouvel ordre mondial succéderait à la bipolarité
Est-Ouest, et quelle nouvelle doctrine remplacerait pour les Etats-Unis celle du
containment .
Ceux qui pensent que nous sommes arrivés à un " moment
unipolaire " de l' Histoire et prônent pour les Etats-Unis une politique de "
suprématie ", c' est-à-dire d' hégémonie, l' ont apparemment emporté sur ceux qui
pariaient sur l' émergence d' un monde mul-tipolaire et penchaient pour une
politique étrangère plus retenue .
Certains estiment peut-être que ce " moment unipolaire " sera
court ; mais tout montre au contraire qu' il pourrait bien durer .
Unipolarité et hégémonie vont cependant durer un certain temps,
même si d' aucuns estiment que les Etats-Unis pourraient eux -mêmes contribuer, par
indiscipline ou hyperactivité, à en précipiter la fin .
L' un des piliers de l' hégémonie des Etats-Unis est leur
immense puissance militaire .
Les seules données économiques suffiraient à leur donner une
large marge de supériorité : ce pays dépense plus pour la défense que la
quasi-totalité des autres grandes puissances militaires, dont la plupart sont
d'ailleurs ses alliés .
Certains estiment que les Etats-Unis bénéficient aussi d' un
avantage qualitatif unique, décisif, concernant l' utilisation militaire des
technologies de l' information - on parle à ce sujet de " révolution dans les
affaires militaires " .
Ces pages proposent une analyse plus nuancée .
D'abord, en définissant les domaines d' intervention dans
lesquels les Etats-Unis disposent d' une réelle maîtrise - au sens de " maîtrise des
mers " .
Puis en se demandant si cette " maîtrise " fonde leur hégémonie
et si elle ne pourrait être confrontée pas bientôt à un défi à sa mesure .
Enfin, en rappelant qu' il existe encore des zones dans
lesquelles cette maîtrise est contestée, ou du moins contestable, par des
adversaires grands ou petits .
La maîtrise des " espaces communs "
L' appareil militaire américain a, aujourd'hui, la maîtrise
globale des " espaces communs " : la mer, le ciel, et l' espace .
Celle -ci est comparable à la " suprématie navale " chère à
Paul Kennedy .
Ces " espaces communs " ne relèvent de la souveraineté d'
aucun pays et constituent les voies de circulation et d' accès de notre monde .
Le ciel appartient en principe aux pays qui se trouvent en
dessous, mais rares sont les Etats qui peuvent interdire le survol des avions
américains au-delà de 15 000 pieds .
La " maîtrise " américaine ne signifie pas que d'autres pays
ne peuvent accéder à ces zones en temps de paix, ni qu' ils ne peuvent y
déployer des systèmes d' armes si les Etats-Unis n' y font pas obstacle .
Elle signifie que les Etats-Unis, plus que tout autre pays,
peuvent en faire un large usage militaire ; qu' ils peuvent de façon crédible
menacer d' en dénier l' usage aux autres ; et qu' ils peuvent défaire tout Etat
qui tenterait par la force de les empêcher d' en disposer : le challenger ne
pourrait avant longtemps reconstituer ses forces, tandis que les Etats-Unis n'
auraient pas de difficulté à préserver, restaurer, ou renforcer leur emprise
après la bataille .
Cette maîtrise des espaces est le facteur militaire clef de
la prééminence globale des Etats-Unis .
Elle leur permet d' utiliser de façon plus poussée d'autres
éléments de puissance, dont leurs propres forces économiques et militaires, et
celles de leurs alliés .
Elle aide les Etats-Unis à affaiblir leurs adversaires en
restreignant leurs possibilités d' accès au soutien extérieur, économique,
militaire ou politique, et leur fournit de puissants atouts pour fixer les
conditions d' une bataille éventuelle dans les zones contestées qui seront
évoquées ci-après .
Elle permet aux Etats-Unis de se jeter dans la guerre sans
long préavis, même dans des régions où leur présence militaire est réduite,
comme le montre la guerre menée en Afghanistan contre les Talibans après les
attentats du 11 septembre .
La maîtrise des espaces donne aux Etats-Unis un potentiel
militaire qui peut être mobilisé au service de une politique étrangère
hégémonique à un point qu' aucune puissance maritime n' a connu dans le passé .
au XIXe siècle, quand la Grande-Bretagne avait la maîtrise
des mers, ses capacités de projection de forces n' allaient guère plus loin que
la portée des canons des navires de la Royal Navy : celle -ci pouvait
transporter une armée un peu partout dans le monde, mais elle avait souvent
devant elle, une fois débarquée, un parcours long et difficile ; et sans
débarquement, les Britanniques n' avaient qu' une capacité d' influence limitée
sur les événements .
Les Etats-Unis bénéficient d' une maîtrise des mers
similaire et peuvent également transporter partout dans le monde des forces
armées importantes .
La maîtrise de l' espace exo-atmosphérique leur permet de
scruter en profondeur tous les territoires et de collecter sur eux plus d'
informations qu' ils ne peuvent en traiter .
Dans des conditions favorables, les Etats-Unis peuvent
localiser et identifier d' importantes cibles militaires et transmettre
rapidement ces données à leurs " tireurs " .
Leur puissance aérienne, à terre ou embarquée , peut
atteindre des cibles situées très loin à l'intérieur de les terres, et les
munitions de précision leur permettent souvent de les frapper et de les détruire
.
Si les forces terrestres s' aventurent à terre, elles
rencontrent donc un adversaire affaibli et disposent d' informations fiables, de
bonnes cartes et d' une connaissance précise de leurs propres positions .
Les Etats-Unis peuvent enfin recourir à des frappes
aériennes réactives, précises et destructrices qui garantissent aux troupes
terrestres une grande liberté de manoeuvre, même si elles ne déterminent pas
toujours à elles seules l' issue de la bataille .
Quelles sont les origines de cette maîtrise des espaces ?
La première, évidente , est tout simplement le poids
économique des Etats-Unis - 23 % du produit brut mondial d' après la CIA . A
titre de comparaison, la Chine et le Japon, qui sont les deuxième et troisième
puissances, n' en représentent respectivement que 10 % et 7 % .
En outre, en consacrant 3,5 % de leur budget national à la
défense ( soit 1 % du produit brut mondial ), les Etats-Unis peuvent
entreprendre des projets plus importants que n' importe quel autre pays dans le
domaine militaire .
Les armements et les plates-formes nécessaires pour s'
assurer de cette maîtrise de les espaces , et en user , sont en effet coûteux :
leur conception et leur fabrication reposent sur un énorme complexe scientifique
et industriel .
En 2001, les Etats-Unis ont engagé autant d' argent pour la
recherche et développement ( R & D ) militaire que l' Allemagne et la
France pour la totalité de leur défense .
L' utilisation militaire des nouvelles technologies de l'
information, domaine où les Etats-Unis excellent, joue ici un rôle-clef .
Les systèmes nécessaires à la maîtrise de les espaces
requièrent des compétences pointues dans l' intégration des systèmes et la
gestion de projets industriels à grande échelle, autres domaines d' excellence
des Etats-Unis .
La conception d' armements nouveaux et de nouvelles
tactiques repose sur une expérience accumulée sur des décennies et s' incarne
dans la mémoire institutionnelle des centres de R & D, privés et
publics, qui oeuvrent dans le domaine militaire .
Il faut enfin, pour gérer ces systèmes, un personnel
hautement qualifié et très bien formé .
Pour toutes ces raisons, un Etat qui voudrait acquérir 0
des capacités militaires concurrençant celles de les Etats-Unis devrait s'
acquitter de " droits d' entrée " très élevés .
La maîtrise de l' espace
Les satellites de reconnaissance, de navigation et de
communication fournissent aux Etats-Unis l' infrastructure globale
nécessaire à leurs opérations militaires .
Selon le général Michael Ryan, ancien chef d' état-major
de l' U.S . Air Force, les Etats-Unis disposent de 100 satellites militaires
et de 150 satellites commerciaux, soit plus de la moitié de tous les
satellites aujourd'hui actifs dans l' espace .
Le chiffre exact de leurs dépenses spatiales militaires
n' est pas disponible, mais un expert l' évalue pour 1998 à un peu moins de
14 milliards de dollars - soit le budget de la NASA . Ce chiffre a sûrement
progressé depuis et continuera de progresser compte tenu de l' importance
accordée à l' espace par Donald Rumsfeld .
des satellites commerciaux sont certes utilisés à des
fins militaires de reconnaissance et de communication ; mais la plupart sont
contrôlés par des entreprises américaines ou alliées, et leur exploitation
peut être interrompue par les Etats-Unis .
Il reste qu' en matière de projection de forces, les
Etats-Unis dépendent beaucoup de leurs satellites, et que ceux -ci
représentent du même coup une cible particulièrement attrayante pour leurs
adversaires .
Tous les satellites ne sont cependant pas également
vulnérables .
La plupart des tactiques et techniques qu' un adversaire
plus faible utiliserait contre les Etats-Unis ne fonctionneraient sans doute
qu' une fois : par exemple les mines spatiales ou un " micro-satellite " d'
interception en orbite .
En outre, les Etats-Unis possèdent des capacités anti
satellites naissantes qu' ils pourraient utiliser en cas de conflit .
Même sans disposer de tout l' éventail des techniques
spatiales, leurs capacités de frappe de précision sont conséquentes et
peuvent détruire ou neutraliser les éléments terrestres des forces spatiales
adverses .
En cas de conflit, les capacités satellitaires des
Etats-Unis seraient mises à mal, ce qui compliquerait pour un temps leurs
opérations militaires ; mais toute bataille spatiale aurait probablement
pour effet de dénier à l' adversaire les moyens d' accéder de nouveau à l'
espace .
La maîtrise des mers
La maîtrise des lignes de communication maritimes permet
aux Etats-Unis de projeter leur puissance militaire sur de vastes distances
.
Elle repose à la fois sur les capacités de l' U.S . Navy
et sur un réseau très élaboré de bases navales .
Les sous-marins nucléaires d' attaque ( SNA ) sont
peut-être l' atout essentiel en matière de guerre anti sous-marine en haute
mer, laquelle est elle -même la clef de la maîtrise durable des espaces
maritimes .
L' Union soviétique a longtemps rivalisé avec les
Etats-Unis grâce à sa flotte de SNA, mais elle n' a pu l' emporter .
A plus de 1 milliard de dollars pièce ( et plus de 2
pour le dernier modèle américain ), rares sont les pays qui peuvent s'
offrir des SNA modernes : seules la Grande-Bretagne, la France, la Russie et
la Chine en produisent - et cette dernière très difficilement .
A la fin des années 1990, de nombreux SNA en cours de
fabrication sont demeurés dans les chantiers russes : aucun SNA nouveau n' a
été mis en service .
L' U.S . Navy dispose de 55 SNA, quatre étant en
construction .
Elle prévoit d' en construire en gros deux tous les
trois ans, et de convertir quatre sous-marins nucléaires lanceurs d' engins
( SNLE ) Ohio en sous-marins dotés de missiles de croisière non nucléaires
en vue de attaques terrestres .
La Navy domine aussi la surface des océans, avec 12
porte-avions ( dont neuf à propulsion nucléaire ) emportant des avions très
performants .
A part la France, qui en possède désormais un, aucun
autre pays n' a de porte-avions nucléaire .
A 5 milliards de dollars le porte-avions de classe
Nimitz, on comprend pourquoi .
Par ailleurs, le Marine Corps dispose de 12
porte-aéronefs, chacun au moins deux fois plus grand que les trois navires
comparables de la Royal Navy ( classe Invincible ) .
Pour protéger leurs porte-avions et équipements
amphibies, les Etats-Unis se sont équipés, depuis 1991, de 38 destroyers
multifonctions de classe Arleigh Burke, d' une valeur de plusieurs milliards
de dollars, qui sont en mesure de effectuer des frappes terrestres et des
missions antiaériennes et anti sous-marines en environnement dangereux .
Il s' agit certainement là du navire de surface le plus
performant au monde .
Même si les Etats-Unis ont réduit depuis 1990 leurs
forces basées à l' étranger et ont abandonné certaines installations, par
exemple aux Philippines, le système de bases hérité de la guerre froide est
resté pour l' essentiel intact, et l' expansion de l' OTAN a même fourni des
bases supplémentaires dans l' est et le sud de l' Europe .
Depuis la guerre du Golfe, l' accès aux régions-clefs a
été amélioré, les Etats-Unis ayant développé un réseau de bases aériennes,
d' installations portuaires et de centres de commandement dans tout le golfe
Persique où troupes et avions se relaient en permanence .
Ils ont installé des stocks de munitions et des
équipements de soutien et de combat tout autour de le monde, sur terre et
sur mer, qui représentent l' équivalent de trois divisions et demie .
Depuis 1991, les Etats-Unis ont également amélioré de
façon significative leurs capacités de transport aérien et maritime sur
longue distance .
La maîtrise des airs
Une panoplie d' engins volants spécialisés dans l'
attaque, le brouillage et l' acquisition électronique de le renseignement
donne aux Etats-Unis une capacité de " suppression " ( destruction ou
neutralisation ) des défenses aériennes ennemies ( SEAD ) .
Elle limite l' efficacité des missiles sol-air ennemis
et d' éventuels chasseurs, et permet aux Etats-Unis d' user, sans trop de
risques, du ciel de l' adversaire au-dessus de 15 000 pieds .
A cette altitude, leurs avions sont hors de portée des
moyens de défense " rustiques ", comme les canons automatiques .
Les Etats-Unis possèdent d' importants stocks de
munitions aériennes de précision : leurs pilotes peuvent donc, même à cette
altitude, détruire de façon fiable des cibles aussi réduites que des chars
ou des bunkers .
Tout un éventail d' engins tels que les satellites , les
avions de reconnaissance et les drones leur fournit aussi des informations,
importantes même si imparfaites, sur la localisation et l' identification
des cibles majeures .
Ces capacités sont apparues durant l' opération Rolling
Thunder, au Vietnam ( 1965-1968 ) ; les résultats présents sont donc le
fruit de plus de trois décennies d' effort .
Aucun autre Etat dans le monde, à l' exception possible
d' Israël , ne dispose de moyens aussi sophistiqués en matière de SEAD ou de
frappes de précision .
La maîtrise des espaces communs est au coeur de la
puissance des Etats-Unis, au point qu' elle est rarement explicitement
reconnue ...
Sa pleine exploitation est rendue nécessaire par les
difficultés qui attendent leurs forces au contact de l' adversaire .
En dessous de 15 000 pieds, à quelques centaines de
kilomètres des côtes ennemies et au sol, les Etats-Unis entrent en effet
dans une zone où leur domination est contestée .
Les militaires américains espèrent atteindre dans ces
zones la même marge de supériorité que celle dont ils disposent dans les "
espaces communs " .
Mais cela n' est pas le cas, et ne le sera sans doute
jamais .
Les zones contestées de la domination des Etats-Unis
Les adversaires rencontrés par les Etats-Unis depuis 1990 se
sont rarement montrés coopératifs .
Ils savent quels sont les points forts de ce pays et s'
emploient à les neutraliser .
Les militaires américains utilisent le terme de " menace
asymétrique " pour désigner le recours par un adversaire aux armes de
destruction massive, au terrorisme ou à n' importe quelle autre méthode
classique prenant en compte les atouts des Etats-Unis .
En inventant un terme spécifique, on tombe cependant dans
une sorte de piège logique : les adversaires intelligents sont désignés par un
terme spécial, ce qui signifie implicitement que les autres sont censés être
stupides .
Or, il est peu probable qu' il en aille ainsi, et il est de
toute façon dangereux de raisonner de la sorte en matière militaire .
En réalité, plus les Etats-Unis s' approcheront du
territoire tenu par l' ennemi, plus celui -ci se montrera efficace, sous l'effet
de facteurs politiques, physiques et technologiques combinés .
Les cas de l' Irak, de la Serbie , de la Somalie , de l'
Iran , les embuscades rencontrées en Afghanistan au cours de l' opération
Anaconda montrent qu' il est possible de lutter militairement avec les
Etats-Unis .
Seuls les Somaliens peuvent revendiquer quelque chose qui
ressemble à une victoire ; mais les autres ont imposé aux Etats-Unis des coûts
inattendus, préservé leurs forces, et souvent survécu à l' affrontement jusqu' à
pouvoir hélas colporter entre eux leurs recettes .
Ces pays ou entités étaient petits, pauvres, et souvent très
en retard militairement .
Ces exemples appellent à la prudence .
Les facteurs essentiels sont ici les suivants .
En premier lieu, la guerre a en général pour les acteurs
locaux un intérêt politique de premier ordre, souvent bien plus important que
celui des Etats-Unis .
Leur tolérance à la souffrance est donc plus grande .
En deuxième lieu, en dépit de leur taille réduite, ces
acteurs supplantent d' ordinaire les Etats-Unis dans une ressource précise : le
nombre d' hommes en âge de combattre .
Même s' il n' est plus l' élément déterminant de la guerre
terrestre, il reste un facteur critique, notamment en ville, dans la jungle ou
en montagne .
Troisièmement, les " locaux " disposent en général d' un
avantage : ils jouent à domicile .
Si les Etats-Unis ont constitué au fil de les décennies la
mémoire institutionnelle qui leur permet de maintenir leur maîtrise des espaces,
les acteurs locaux ont fait un travail similaire sur leur propre pays .
Ils connaissent intimement le terrain et la météo, et ont
mis au point, sur des décennies, voire des siècles, des tactiques et des
stratégies adaptées à leurs milieux .
Quatrièmement, nombre des chefs militaires de ces Etats ou
entités ont été formés dans le monde développé - pendant la guerre froide, la
formation militaire fut souvent utilisée comme instrument d' influence politique
.
Ils ont appris les tactiques en vigueur en Occident, comme
l' usage des armes occidentales, et les meilleurs d' entre eux peuvent tourner
ces connaissances contre les Etats-Unis .
Certains rapports montrent d'ailleurs que les adversaires
des Etats-Unis ont échangé leurs expériences .
Cinquièmement, l' arsenal nécessaire à le combat rapproché
, à terre , dans les airs à basse altitude ou dans les eaux territoriales est
beaucoup moins coûteux que les armements nécessaires à la guerre dans les "
espaces communs " .
En outre, la diffusion des capacités économiques et
technologiques civiles trouve son parallèle dans le domaine militaire : de
nouveaux fabricants apparaissent, cherchant des débouchés à l' export, et l'
arsenal pour le combat rapproché connaît un perfectionnement constant .
Tous ces facteurs se renforcent et contribuent à créer une
" zone contestée " .
Dans une telle zone, les interactions entre les Etats-Unis
et les forces locales vont souvent prendre la forme d' un véritable affrontement
.
Tout ceci n' annonce pas forcément une défaite américaine,
mais nombre de difficultés .
Le combat littoral
Depuis la fin de la guerre froide, l' U.S . Navy a voulu
montrer qu' elle offrait des réponses adaptées aux réalités contemporaines .
Au début des années 1990, n' ayant plus d' adversaire en
mer, elle a commencé à se réorienter afin de influer sur le combat terrestre
.
Les premiers documents en ce sens s' intitulent, de
façon révélatrice, From the Sea et Forward from the Sea .
Le chef des opérations navales a récemment mis l' accent
sur les missions de la Navy à proximité du littoral adverse, dans un
document de doctrine : Sea Power 219 .
La Navy admet que le " combat littoral " est une mission
différente de celles pour lesquelles elle s' était spécialisée, exigeant
compétences et moyens particuliers ; mais elle n' a réalisé que peu de
progrès depuis dix ans .
Nombreux sont les pays experts en combat littoral .
La Suède, l' Allemagne et Israël , probablement la Corée
de le Sud , sont sans doute les meilleurs pour combiner les arsenaux et les
technologies les plus modernes, ainsi que un entraînement et des tactiques
appropriés .
La Chine, Taiwan , la Corée de le Nord et l' Iran ont
développé des forces militaires considérables dans ce domaine, même si tous
souffrent de quelques lacunes .
Une force structurée pour le combat littoral combine
plusieurs éléments : mines, missiles anti navires, sous-marins diesels,
vedettes d' attaque rapides, radars et moyens électroniques, batteries
mobiles de missiles sol-air ( SAM ) à longue portée, avions et hélicoptères
.
Ces systèmes sont relativement peu coûteux .
Ces dernières années, aucune grande puissance n' a eu à
combattre une marine côtière de bon niveau, mais les mines et les missiles
anti navires ont touché ou coulé plusieurs navires britanniques et
américains depuis 1980, des îles Malouines au golfe Persique .
Prises séparément, ces armes sont un obstacle et un
danger potentiel mortel .
Ensemble, elles créent des synergies difficiles à
briser, surtout si la nature du " terrain " est favorable à la défense, par
exemple dans des eaux closes comme celles du golfe Persique .
L' U.S . Navy pourrait sans doute démanteler une
défense littorale performante, mais avec du temps et de lourdes pertes en
hommes et en matériel .
Le problème des 15 000 pieds
En dessous de 15 000 pieds, les avions de combat
tactiques sophistiqués et coûteux restent vulnérables à l' action de moyens
pléthoriques et peu coûteux comme l' artillerie anti aérienne automatique (
AAA ) légère de tout calibre, les SAM, et surtout les systèmes portables à
guidage infrarouge comme les missiles américains Stinger .
En dépit de un taux de pertes très bas, 71 % de celles
subies par les forces aériennes alliées pendant la guerre de le Golfe furent
provoquées par l' AAA et des SAM infrarouges à courte portée .
Les forces aériennes occidentales volent donc au-dessus
de 15 000 pieds afin de éviter ce type d' armement .
Ce qui réduit sensiblement les pertes mais compromet la
localisation des forces ennemies au sol, surtout quand elles opèrent en
terrain favorable et ont recours au camouflage et aux leurres .
des moyens de défense anti aérienne simples, peu coûteux
, permettent donc de protéger les forces au sol, même s' ils n' abattent que
peu d' avions adverses .
Les moyens de défense anti aérienne sont encore plus
efficaces s' ils sont structurés dans un système de défense anti aérienne
intégré ( SDAI ), qui relie les systèmes à courte portée, intercepteurs de
combat et autres SAM à moyenne et longue portée à des radars, des moyens de
renseignement électronique et un système de communication .
Dans ce cas, pour que les forces aériennes occidentales
puissent opérer sans risque, les radars, les communications et les SAM de l'
adversaire doivent être neutralisés ou détruits .
Il faut pour cela disposer de toute une panoplie d'
instruments, et l' espace aérien adverse ne pourra être pénétré sans risque
que si ces moyens sont réunis .
Les militaires chargés de la défense anti aérienne ont
appris qu' il leur suffit de survivre pour accomplir une partie de leur
mission, à savoir la protection des forces au sol .
Aussi ne s' exposent ne s' exposent -ils que lorsqu'
ils le souhaitent, ce qui n' en contraint pas moins les Etats-Unis à
rassembler à chaque fois l' ensemble de leurs moyens SEAD, pourtant rares et
coûteux .
Les opérations de " suppression " sont détectables par
le renseignement électronique et les moyens d' alerte avancée ennemis .
La défense peut ainsi " rationner " les attaques et
être alertée à l'avance .
Si les défenseurs sont suffisamment patients, ils se
trouveront de temps à autre dans une situation tactique qui leur permettra
d' abattre un avion .
En 1999, l' armée serbe a montré qu' une AAA de basse
altitude et un SDAI bien structuré - quoique obsolète - pour les altitudes
moyenne et haute, constituaient un soutien puissant pour des forces au sol
tentant de survivre aux attaques de l' U.S . Air Force .
Ces forces terrestres présentaient un large éventail de
cibles petites et mobiles ; les Serbes surent camoufler leurs tanks,
véhicules et canons .
Ils usèrent d' une grande variété de leurres pour
tromper les pilotes américains, et la plupart des SAM mobiles serbes
échappèrent aux attaques .
Les Etats-Unis durent donc entreprendre chaque jour des
opérations de " suppresion " ( SEAD ), alertant ainsi les Serbes à l'avance
.
Certes, le succès de ces derniers ne pouvait être que
limité .
Qu' il s' agisse de réseaux de transport ou d'
infrastructures économiques, les objectifs fixes de grande taille comme les
ponts et les centrales électriques ne pouvaient être déplacées ou camouflées
, et ils furent donc détruits .
il fut sans doute décourageant pour les forces serbes
d' abattre aussi peu d' avions ennemis, l' OTAN infligea finalement assez
peu de dommages aux forces terrestres serbes déployées au Kosovo .
Le problème de l' infanterie légère
L' opération Tempête du désert suggère qu' il est peu de
forces terrestres au monde qui puissent rivaliser avec l' armée américaine,
en terrain ouvert et dans le cadre de une bataille mécanisée .
Mais il est d'autres configurations de combat terrestre
: en ville ou en montagne, dans la jungle ou dans les marais .
Et les Etats-Unis doivent avoir conscience des
difficultés qui peuvent les y attendre .
La première est une simple question d' effectifs .
Les trois pays désignés comme appartenant à l' axe de le
Mal " - la Corée de le Nord , l' Irak et l' Iran - ont des armées de
conscription .
Elles représentent en tout 16 millions d' hommes âgés de
18 à 32 ans .
Sans doute_NEW_ ces hommes sont -ils entraînés très
inégalement .
Mais ce nombre donne tout de même une idée du potentiel
dont disposent ces pays : les hommes constituent une importante ressource
militaire, ici et ailleurs .
La population de la planète devrait passer d' environ 6
milliards en 2003 à 8 milliards en 2025, l' essentiel de cette augmentation
touchant les pays en développement .
Les futurs fantassins devraient n' avoir aucun mal à s'
équiper .
Il y aurait dans le monde quelque 250 millions d' armes
légères à usage militaire ou policier, y compris les mortiers et les armes
antichars portables .
Les stratèges américains doivent aussi prendre
conscience du problème de police qui risque de se poser si les Etats-Unis
tentent de conquérir et de réorganiser politiquement des pays peuplés .
Occuper par exemple l' Irak, pays de 22 millions d'
habitants , et y maintenir l' ordre exigerait la présence sur place de 50
000 hommes, à condition que après la victoire, comme le prévoient de façon
optimiste les responsables militaires, le ratio policiers / population des
Etats-Unis convienne également en Irak ( 2,3 pour 1 000 ) .
Ces 50 000 hommes représentent 10 % des effectifs
actifs de l' armée des Etats-Unis, et sans doute un cinquième des troupes de
combat .
Or le personnel militaire est devenu presque trop cher
à recruter aux Etats-Unis .
Pour faire des économies, une récente étude du
Pentagone suggérait d'ailleurs de réduire les effectifs de 90 000 hommes,
soit une division active sur dix : mais cette recommandation n' a pas été
retenue .
Il est tentant de croire que les gros bataillons de l'
infanterie légère adverse seront aisément battus par des forces terrestres
lourdes et " high-tech " .
Les cas de la Somalie et de l' Afghanistan montrent que
ce n' est pas si simple .
Les forces d' élite envoyées à Mogadiscio en 1993 ont
souffert de lourdes pertes, en partie du fait de leurs propres erreurs .
Les combattants somaliens se sont battus avec courage
et habileté, aidés par l' environnement urbain .
Il existe d'ailleurs des " fantassins urbains " encore
mieux armés et préparés, comme les Russes l' ont découvert à Grozny .
Et les informations trouvées dans les camps d'
entraînement d' Al-Qaida en Afghanistan montrent qu' une infanterie peut
être formée de façon efficace avec des méthodes relativement simples et "
low-tech " .
L' opération Anaconda, en terrain montagneux , témoigne
du succès de cet entraînement .
L' adversaire, camouflé , s' y est montré extrêmement
habile : une colonne d' alliés afghans a été prise en embuscade de très près
.
Et tous les moyens de reconnaissance et de
renseignement américains n' ont probablement pu localiser que la moitié des
positions préparées par l' ennemi dans la vallée de Shah y Kot .
Tous les hélicoptères d' attaque envoyés en appui ont
été criblés de balles, et l' infanterie a souvent dû se déployer sous des
tirs précis de mortier, ce qui explique la plus grande part des deux
douzaines de blessés infligées aux Etats-Unis le premier jour .
Au bout de plusieurs jours de combat, de nombreux
éléments d' Al-Qaida ont pu s' échapper à la faveur du mauvais temps .
Durant cette opération, Al-Qaida s' est battue avec des
armes simples et très répandues de type soviétique : fusils d' assaut,
lance-grenades, mortiers et mitrailleuses .
Mais de nouvelles générations d' armes d' infanterie,
peu coûteuses , seront bientôt accessibles aux adversaires potentiels des
Etats-Unis .
En bref, un grand nombre d' hommes en âge de combattre
, un terrain favorable , un bon entraînement , et de grandes quantités d'
armes peu coûteuses peuvent constituer un défi significatif pour les forces
militaires américaines .
Les Etats-Unis ont jusqu'ici eu la chance de ne
combattre que des ennemis disposant seulement d' une des trois capacités de
base - aérienne, terrestre ou maritime .
Et quand l' adversaire se spécialisait dans l'une d'
elles, il n' était pas toujours du meilleur niveau .
Les Serbes étaient très efficaces, mais leurs meilleures
armes avaient une génération de retard, voire plus .
En outre, bien que ils se soient battus rudement, la
guerre n' avait pour eux qu' un objectif limité .
Les Somaliens se sont battus avec ténacité et ont tout
simplement chassé les Etats-Unis .
Mais ils n' étaient ni aussi bien armés, ni aussi bien
entraînés que les combattants d' Al-Qaida dans la vallée de Shah Y Kot .
Ces derniers n' étant pas aussi bien armés que le seront
certains de les adversaires futurs que les Etats-Unis pourraient affronter -
ils n' étaient d'ailleurs que quelques centaines sur le champ de bataille .
Enfin, les actions menées le long des littoraux par l'
U.S . Navy pendant la guerre de le Golfe ont bénéficié de conditions tout à
fait fortuites, l' Irak ne s' étant pas préparé sérieusement au combat naval
.
On ne peut prédire avec certitude si les Etats-Unis
auront un jour à affronter un adversaire doté de l' éventail complet des
capacités créant la " zone contestée " .
Et il il venait à se présenter, ils pourraient refuser
le défi .
A horizon de dix ans, pourtant, il est plausible que l'
Iran et la Chine auront acquis la maîtrise de certaines capacités aériennes,
terrestres et maritimes .
La Corée de le Nord est sans doute assez performante
dans le domaine de le combat rapproché au sol, mais plus médiocre en matière
de défense antiaérienne et de combat littoral .
Les capacités actuelles de l' Irak sont difficiles à
évaluer précisément .
La Russie sera probablement la principale source des
meilleurs systèmes de défense anti aérienne vendus dans le monde, mais la
Chine ne tardera pas à entrer sur le marché .
La Russie vend également des systèmes d' armes très
performants pour la défense côtière .
Il est d'ailleurs probable qu' elle conservera sa
compétence en matière de défense anti aérienne et qu' elle réinvestira le
domaine du combat littoral .
Mais elle rencontrera plus de difficultés en matière de
forces terrestres, et en particulier d' infanterie .
Les conséquences de la maîtrise globale
Nul ne doute que les Etats-Unis soient aujourd'hui la plus
grande puissance militaire du monde, et la plus grande puissance globale depuis
l' avènement de la voile .
Leur suprématie militaire est à la fois une conséquence et
une cause de l' inégale distribution de la puissance aujourd'hui .
Si les Etats-Unis n' étaient pas dominants économiquement et
technologiquement, ils ne seraient pas la première puissance militaire .
Cette domination militaire est aussi la conséquence de
certains choix, comme celui d' avoir de vastes budgets d' armement, ou de
certains types de dépenses .
Les Etats-Unis jouissent d' une supériorité dans les
capacités militaires qui leur permet une projection globale de puissance .
La maîtrise des espaces communs - air , mer , espace - ,
leur offre toute une gamme d' options stratégiques dont les autres pays sont
privés, bien que ils profitent, eux aussi, de ce " bien collectif " .
Aussi longtemps que les Etats-Unis feront bon usage de cette
maîtrise, nombre d' Etats jugeront que leur prééminence sert leurs intérêts .
Il sera donc difficile, pour d'autres, de la remettre en
cause avant longtemps .
Pour autant, il est essentiel que les Etats-Unis ne
concluent pas que les capacités qui leur assurent la maîtrise des espaces, ainsi
que la possibilité d' accéder à tous les champs d' opérations, leur promettent
un même niveau de supériorité dans toutes les circonstances .
Pour des raisons démographiques, politiques et
technologiques, le " combat rapproché " restera très probablement difficile .
Les responsables civils et militaires du Pentagone partent
souvent du principe selon lequel la supériorité technologique des Etats-Unis
dans les zones " maîtrisées " peut être reproduite dans les zones contestées,
pour peu que on investisse suffisamment dans la technologie .
C' est sans doute une chimère .
Les Etats-Unis devraient réfléchir à une stratégie
raisonnable, qui leur permette d' exploiter concrètement la supériorité que leur
confère la maîtrise des espaces pour créer les conditions les plus favorables
aux affrontements dans les zones contestées .
Une stratégie militaire exploitant pleinement cette
maîtrise de les espaces n' est pas compliquée dans son principe .
La maîtrise des mers permet aux Etats-Unis de rassembler
leurs propres forces, et celles de leurs alliés, pour disposer localement d' une
supériorité matérielle massive et couper l' adversaire de ses soutiens
politiques et militaires .
La maîtrise de l' espace exo-atmosphérique permet d'
étudier attentivement l' ennemi et d' adapter en conséquence les forces à
employer contre lui .
La maîtrise de l' air permet d' épuiser prudemment les
forces restantes de l' adversaire .
Au bon moment, les Etats-Unis et leurs alliés peuvent
frontalement défier un adversaire très affaibli dans la zone contestée .
Ces éléments, onéreux et durables , de la supériorité de
les Etats-Unis leur donnent de telles capacités - même si leur mobilisation peut
s' avérer lente - que bien peu d' Etats seront tentés de s' y mesurer .
Si tel était pourtant le cas, il suffirait aux Etats-Unis
de mettre en oeuvre une stratégie exploitant patiemment leur maîtrise des
espaces communs : peu d' adversaires pourraient la supporter, ou y résister
.
TITRE : L'adversaire irakien
AUTEUR : David BARAN
L' Irak, disaient les spécialistes à la fin de les années 1980,
était l'un des pays les plus méconnus au monde .
Avec l' embargo, les années 1990 ont encore aggravé cette
situation, en isolant ce pays autrefois fréquentable .
En dépit de un contexte de guerre annoncée, l' adversaire
irakien de Washington reste insaisissable, si ce n' est par des analyses se
focalisant sur les " capacités militaires " de Saddam Hussein .
Or les guerres, pour reprendre l' expression d' un expert , ne
tiennent jamais à des " facteurs tangibles ", c' est-à-dire chiffrables ( nombre d'
hommes, de chars ou de missiles dans chaque camp ) .
Le régime actuel a survécu plus de 30 ans à d' innombrables
dangers qui ont contribué à forger un dispositif de sécurité sophistiqué, dont le
rôle durant le conflit pourrait être déterminant .
Ce dispositif, initialement simple , s' est enrichi dans l'
épreuve, pragmatiquement .
Il est le résultat d' une sorte d' apprentissage, fait d'
erreurs, de corrections, de perfectionnements .
Par sa plasticité, il offre à Saddam, au-delà de les seules
capacités militaires, un ensemble de ressources qui pourraient se révéler utiles en
temps de guerre .
La consolidation du pouvoir : 1968-1980
Le régime actuel a pris le pouvoir à l'occasion de un coup
d' Etat militaire, orchestré par le parti Baas, qui demeure le parti unique en
Irak à ce jour .
Pour asseoir son autorité, il a procédé au remaniement de l'
appareil de sécurité et au développement d' institutions propres .
Il a hérité d' un dispositif de coercition classique,
comprenant une armée de taille modérée ( née en 1921 et incluant une force
aérienne, la plus ancienne du monde arabe ), un service de renseignement
militaire dit Istikhbarat ( chargé, depuis le début des années 1930, à la fois
d' informer l' armée et de garantir sa loyauté ) et une police politique connue
sous le nom de Amn, ou Sûreté ( remontant aux années 1920 ) .
A ces vénérables ancêtres datant 0 de la Monarchie s'
ajoutait une innovation ultérieure majeure, la Garde républicaine, formée en
1963 à partir de éléments de l' armée régulière .
Consacré à la protection de la Présidence et agissant sous
son autorité directe, ce corps d' élite est l' aïeul des fameuses Gardes
républicaines de Saddam Hussein .
Le développement et la subversion de l' armée
De ces quatre structures, l' armée est celle qui a connu
les transformations les plus spectaculaires .
Rassemblant 50 000 hommes en 1968, elle en aurait compté
près de dix fois plus en 1980 .
Cet élargissement s' est accompagné de la pénétration de
l' institution militaire par le Parti .
L' admission à l' Académie militaire a été restreinte
aux seuls membres du Baas .
La peine de mort est venue sanctionner toute activité
politique alternative dans l' armée .
Comme il était théoriquement possible à l'ancienne
génération de demeurer apolitique, les soldats ont été encouragés à désobéir
aux ordres d' officiers non baasistes au cas où ils les jugeraient "
suspects " .
Le recrutement militaire, répondant à des critères
idéologiques nouveaux , maintenait cependant d' anciens principes de
ségrégation communautaire .
Les Anglais, sous la Monarchie , avaient rapidement
institué une politique discriminatoire d' admission à l' école militaire,
favorisant les Arabes sunnites au détriment de les Kurdes et des Arabes
chiites .
En outre, le déclin économique amorcé à cette époque par
la bourgade de Tikrit , patrie de Saddam , avait engendré de nombreuses
vocations militaires .
Préexistait donc au coup d' Etat de 1968 une sorte de
corps sur lequel les nouveaux dirigeants politiques, eux -mêmes sunnites et
originaires de Tikrit, pouvaient compter .
Le régime n' a fait qu' accentuer ces tendances
sectaires au sein de l' armée .
Lorsque Saddam Hussein a revêtu les fonctions de
président de la République, en 1979, des Tikriti occupaient presque tous les
postes prééminents de commandement .
L' extension du dispositif militaire et de sécurité
Parallèlement à ces réformes, le régime a inauguré des
instruments inédits en matière de sécurité .
Deux d' entre eux méritent mention .
Il s' agit de l' Armée populaire et d' un autre service
de renseignement, non militaire cette fois, dit Moukhabarat .
Issus du Parti et formant d'emblée des organes
relativement sûrs, ils venaient concurrencer l' armée régulière et la
Sûreté, deux institutions dont la fidélité n' était pas acquise a priori .
Mise sur pied au début de les années 1970, l' Armée
populaire est l' avatar d' une milice aussi éphémère que redoutable,
responsable des quelques mois de terreur post-révolutionnaire qui ont suivi
la première et brève accession des baasistes au pouvoir en 1963 .
Les Moukhabarat, établis en tant que tels vers 1973 ,
sont issus d' un organe de sécurité interne élaboré par le Parti, contraint
d' agir, entre 1963 et 1968, dans la clandestinité .
Saddam Hussein , réputé être l' architecte de cet organe
implacable , rassemblant un noyau dur de militants de les plus engagés , y a
certainement été à bonne école .
En 1973, une spectaculaire tentative d' assassinat lui
fournit le prétexte nécessaire à une véritable refonte : préparée par le
directeur général de la Sûreté, Nadhem Gezar, elle ne visait pas moins que
le président de la République, Ahmed Hassan al-Bakr, et l' homme fort du
moment, Saddam Hussein .
Seul le ministre de la Défense y a perdu la vie ; le
régime, lui, gagnait une excellente occasion d' asseoir son pouvoir .
Outre diverses mesures renforçant l' autorité du
président et des hautes instances du régime, l' affaire Gezar a justifié le
remaniement et l' expansion soudaine des services de sécurité .
Elle a favorisé l' établissement des Moukhabarat comme
organe concurrent de la Sûreté .
Quant à l' armée populaire, encadrée par le Parti mais
placée par précaution sous le contrôle opérationnel des Moukhabarat, elle a
amorcé une forte progression de façon à accompagner la croissance de l'
armée .
Mobilisant 50 000 hommes en 1977, elle en rassemblait
250 000 en 1980 .
Pour verrouiller son emprise sur ce dispositif en pleine
croissance, Saddam Hussein a eu recours à deux formes de centralisation de
l' autorité .
L' une consistait à nommer des proches à des
postes-clefs, tout en veillant à se prémunir de leurs ambitions personnelles
.
Taha Yassin Ramadhan, camarade de lutte d' une loyauté
sans faille , commandant 0 de l' armée populaire à partir de 1974 , était
ainsi flanqué d' un second rapportant directement à Saddam .
Dans un même esprit, celui -ci nommait son demi-frère,
Barzan Ibrahim al-Hassan, adjoint au directeur général des Moukhabarat dès
leur conception .
L' autre forme de centralisation, plus institutionnelle,
consistait à court-circuiter les hiérarchies traditionnelles dans certains
secteurs sensibles .
Ainsi, les escadrons d' attaque de la Force aérienne
sont passés dès 1978 sous la coupe de Saddam Hussein .
Plus tard, la Sûreté et les Istikhbarat, soustraits à
les ministères de l' Intérieur et de la Défense , respectivement , ont de
même été soumis à la tutelle d' une présidence concentrant toujours plus d'
autorité .
Tout ce processus sera renforcé par le développement de
l' image de l' ennemi intérieur, relais des " impérialistes " et autres "
sionistes ", avant que l' identification des minorités irakiennes "
complices " soit bientôt doublée de celle d' un ennemi extérieur autrement
important : l' Iran .
Une guerre ogresse : 1980-1990
Ayant pris officiellement les commandes du pays, sûr de ses
forces, persuadé de pouvoir vaincre l' Iran en quelques opérations décisives,
Saddam Hussein a jeté l' Irak dans un conflit inutile et épuisant .
L' armistice du 8 août 1988 a arrêté les comptes, selon les
estimations les plus pessimistes, à 500 000 morts dans chaque camp .
Pourtant, huit ans de combats acharnés ont à peine altéré le
tracé des frontières .
A l'intérieur du pays, en revanche, la situation a
considérablement changé : à bien des égards, l' Irak s' est ruiné par son énorme
effort de guerre .
Mais les forces armées et l' appareil de sécurité se sont
épanouis, leur renforcement dans les années 1970 cédant la place à une
formidable explosion .
Une armée aussi immense que jugulée
L' armée, bénéficiant d' un programme d' armement massif
, a connu à cette époque une nouvelle inflation, comptant près de un million
d' hommes à la fin de la décennie .
Ce chiffre évocateur a aidé à faire de l' Irak, après l'
invasion du Koweït, cet ennemi terrible requérant une coalition de 33 pays,
dont les plus puissants au monde .
En fait, la croissance numérique de l' armée, autant que
son surarmement , servait à compenser de graves déficiences .
Elle souffrait d'abord d' un style rigide de
commandement .
Politique et hyper centralisé, celui -ci laissait peu d'
initiative aux professionnels de la guerre .
Une planification excessive des opérations aboutissait à
un manque fatal de réactivité .
Les plans d' attaque, fixant parfois 0 des objectifs
chimériques , étaient élaborés sous la supervision personnelle du commandant
en chef des Forces armées, c' est-à-dire de Saddam .
Les unités sur le front ne pouvaient ni annuler un
assaut, ni frapper des cibles impromptues sans en référer aux quartiers
généraux .
Le succès du concept d' armée idéologique est un second
handicap à relever .
L' armée, placée sous la surveillance de les
Istikhbarat , était aussi traversée d' un maillage de structures du Parti
doublant la hiérarchie militaire et veillant au respect de une stricte
orthodoxie politique .
Le " bureau militaire " de le Baas et les Istikhbarat
examinaient séparément les candidatures aux postes d' officiers .
Peu attentif aux aptitudes militaires, ils scrutaient
les activités civiles des gradés .
Les commandants sélectionnés, craignant constamment les
accusations de déloyauté , se pliaient ensuite à des ordres absurdes pour
manifester leur totale soumission .
Ces considérations politiques ont d'abord promu une
norme de médiocrité militaire au sein de l' armée .
Il subsistait naturellement des commandants valeureux .
Les besoins en personnel avaient d'ailleurs eu le
mérite d' ouvrir plus équitablement le recrutement des gradés à la
population chiite, qui ne fournissait pas seulement, comme on l' a parfois
prétendu, la " chair à canon " .
Nombre d' officiers chiites compétents ont pris la tête
de corps d' armée et les héros acclamés parmi eux n' étaient pas l'
exception .
La guerre, qu' il fallait bien gagner , obligeait le
régime à ne pas trop s' aliéner une hiérarchie frustrée de ses prérogatives
et allant jusqu' à donner quelques signes de mutinerie .
Confronté à de cuisantes défaites et à la stratégie
iranienne de " marée humaine ", Saddam a dû s' en remettre, finalement, aux
conseils de quelques commandants de confiance .
Ce changement ne signifiait pas la consécration
publique du talent militaire, au contraire .
A ce moment, Saddam Hussein a justement modifié sa
stratégie médiatique, reléguant dans l' ombre les officiers les plus
illustres pour se protéger de leur popularité .
Une série d' accidents suspects, causant notamment la
mort d' Adnan Kheirallah Tulfah , cousin et beau-frère de le président ,
cumulant les postes de commandant en chef adjoint de les forces armées , de
ministre de la Défense et de vice-Premier ministre , a incité les héros
ayant survécu au conflit à opter d' eux -mêmes pour la plus grande modestie
et la plus parfaite discrétion .
Les auxiliaires et contrepouvoirs
Conformément à sa vocation de contrepouvoir, l' Armée
populaire s' est étendue proportionnellement aux forces régulières .
Selon son commandant Taha Yassin Ramadhan, elle
dépassait en 1984 les 500 000 conscrits et venait d' être dotée d' armes
lourdes .
Son rôle sur le front la plaçait surtout en soutien à l'
armée .
Palliant le vide créé par la concentration des forces à
l' est, elle assurait aussi des campagnes d' arrestation de déserteurs et
diverses fonctions de logistique et de contrôle dans l' arrière-pays .
Dans le courant de la guerre, deux autres formations
sont venues peser dans ce jeu de contrepoids .
La Garde républicaine, initialement prétorienne , s' est
muée en une vaste force offensive, s' ajoutant aux armées régulière et
populaire .
Et l' expansion de la force aérienne a conduit au
déploiement d' un Corps aérien de l' armée, pourvu essentiellement d'
hélicoptères et indépendant du reste de l' aviation .
Redoutant ses propres avions, le régime a également
réduit, par un entraînement minimal, les capacités opérationnelles des
pilotes d' attaque .
Autre signe de défiance, la Garde républicaine et l'
Armée populaire ont été équipées d' un arsenal de D.C.A. considéré supérieur
à celui de la Défense aérienne, qui relevait de l' armée .
Malgré une organisation et une doctrine comparables, d'
inspiration soviétique, la Garde se distinguait de l' armée par sa capacité
à mener des opérations plus complexes et impliquant des blindés .
Recevant l' équipement le plus moderne grâce à un
système d' approvisionnement spécifique et prioritaire, elle devait son
efficacité à un personnel de qualité, motivé par le prestige de ses
fonctions et par les avantages qui y étaient attachés, en terme de soldes,
primes, permissions, rations, achats subventionnés, etc .
S' ébauchait ainsi un système de préséances que le
régime a systématisé par la suite .
La Garde inaugurait en outre une forme nouvelle de
recrutement, faisant appel aux contingents de quelques grandes tribus arabes
et sunnites, alliées du régime .
Ainsi, le régime désavouait ouvertement le concept d'
armée idéologique, fondement même de l' armée .
Les effectifs de la Garde républicaine ont été
particulièrement renforcés au cours de les deux dernières années du conflit
.
Elle dépassait les 100 000 hommes lors de l' armistice
et atteignit sa taille maximale de 150 000 hommes à la fin de la décennie .
Multipliant les succès face à un ennemi affaibli, elle
a joué un rôle concluant dans la " victoire " finale de l' Irak contre l'
Iran .
Performante et loyale, rompue à l'usage des gaz de
combats employés en coordination avec le Corps aérien pour endiguer les "
marées humaines " iraniennes, la Garde républicaine s' annonçait enfin comme
une arme de choix en politique intérieure .
des innovations en matière de sécurité
Deux formations apparues dans la première moitié des
années 1980 restent aujourd'hui encore aussi obscures que décisives .
Il s' agit de la Sécurité spéciale, organe infiltrant et
chapeautant l' ensemble de l' appareil militaire et de sécurité, et de la
Garde républicaine spéciale, force distincte de la Garde républicaine, bien
que elle lui ait succédé dans ses fonctions de protection du Palais .
Selon les avis, elle serait issue d' unités de la Garde
stationnées à Bagdad pendant la guerre ou d' un premier bras armé de la
Sécurité spéciale .
Quoi qu' il en soit, elle apparaît comme une structure
bien délimitée par une tâche unique : isoler physiquement les centres
névralgiques du régime de leur environnement menaçant .
Cet objectif simple implique en fait une extrême
polyvalence, pour garder les édifices vitaux du pouvoir, tenir front à une
sédition de blindés ou couvrir les déplacements furtifs de Saddam Hussein .
La Garde républicaine spéciale a en outre reçu très tôt
ses propres armes de D.C.A., ce qui illustre à quel point la notion de
redondance est un précepte structurant du dispositif de sécurité irakien .
Les origines de la Sécurité spéciale, service le plus
secret et le plus sensible de le régime , sont encore plus incertaines .
Sa structure précise et l' étendue exacte de ses
affectations ne sont pas accessibles à un observateur extérieur au monde du
renseignement .
Il serait d'ailleurs surprenant que même les agents de
ce service aient une vision complète et détaillée de son organisation .
Néanmoins, on peut tenter de la décrire grossièrement
en deux points .
D'une part, la Sécurité spéciale s' est imposée comme
l' instrument de contrôle d' un appareil militaire et de sécurité en pleine
effervescence .
La guerre contre l' Iran et le développement économique
du pays, impliquant une importante présence étrangère en Irak , a commandé
une forte expansion des Istikhbarat et des Moukhabarat, s' ajoutant à celle
de l' armée, de l' Armée populaire et de la Garde républicaine .
Les effectifs de la Sûreté ont également progressé
durant les années 1980, bien que ils aient été purgés par Ali Hassan
al-Majid, cousin de Saddam, et que son importance relative au sein de l'
appareil de sécurité ait eu tendance à diminuer .
Chargée de déceler toute dissidence, la Sécurité
spéciale s' est appuyée dans chacune de ces institutions sur des éléments
recrutés discrètement, cooptés pour un loyalisme absolu et préalablement
éprouvé .
D'autre part, elle s' est affirmée comme une sorte de
pouvoir exécutif propre aux intérêts supérieurs du régime .
Les ordres émis ou transmis par ses agents sont
indiscutables .
Son intervention signifie toujours que l' affaire est
d'importance en haut lieu .
Ainsi, la Garde républicaine, relevant officiellement de
le Commandement en chef de les forces armées , lui a été fonctionnellement
subrdonnée .
Mais c' est surtout dans le domaine dit de l'
industrialisation militaire " que son rôle d' exécutif occulte s' est révélé
.
Hussein Kamel Hassan al-Majid , neveu et gendre de
Saddam Hussein , cerveau de l' industrialisation militaire et architecte
supposé de la Sécurité spéciale , a mis celle -ci au service de le programme
ambitieux d' armement et d' approvisionnement militaire, secteur exigeant,
sensible et formateur s' il en est .
La Sécurité spéciale a notamment joué un rôle-clef dans
la mise en place d' un réseau de fournisseurs via des sociétés-écrans, dans
le détournement d' infrastructures civiles à des fins militaires, dans la
coordination des acteurs divers du secteur et dans la protection de l'
information, grâce à un cloisonnement accru de l' appareil de sécurité et à
la mise en oeuvre des techniques de dissimulation indispensables à ce
programme .
Bref, les années 1980, ponctuées par une guerre ogresse
, par des besoins insatiables en armement et par une terrible opération de
répression ( dite Anfal ) à le Kurdistan , ont été les années d' une
activité intense du point de vue de l' appareil de sécurité .
Les horreurs de l' opération Anfal, orchestrée par Ali
Hassan al-Majid , ont laissé comme symbole le gazage de Halabja .
du point de vue de l' appareil de sécurité, elles ont
démontré l' efficacité de petites unités paramilitaires, composées d'
éléments tribaux, de militants baasistes et d' agents de l' appareil de
sécurité, milices dont l' usage s' est aujourd'hui systématisé .
La débâcle et les sanctions : 1990-2002
La stratégie adoptée pour envahir le Koweït, en août 1990 ,
signalait le déclin de l' armée .
La maîtrise des airs, assurée par la Force aérienne , a
permis le largage, par des hélicoptères du Corps aérien, de commandos de la
Garde républicaine aux points stratégiques de l' émirat .
L' armée n' a servi, plus tard, que de force d' occupation .
Pour la petite histoire, c' est par la radio que le ministre
de la Défense et le chef d' état-major de l' armée auraient pris connaissance de
l' invasion .
L' humiliation de l' institution militaire entérinait la
perte progressive, durant les années 1980, de ses fonctions de répression
interne et de socialisation de la population dans une perspective de
construction nationale, etc .
Face à la coalition des Alliés, l' armée a d'ailleurs cédé à
une débandade quasi généralisée .
La Garde républicaine, à le contraire , s' est montrée digne
des espoirs que le régime avait placés en elle .
Une défaite paradoxale et ambiguë
La défaite patente de l' Irak montrait à l'évidence la
faillite d' une stratégie dépassée .
Statique et essentiellement défensive, inspirée des
tactiques soviétiques et de la guerre contre l' Iran, minée par des
considérations sécuritaires et d' incroyables erreurs de jugement, cette
stratégie ignorait surtout que aucune guerre classique ne pouvait être
gagnée contre les Etats-Unis .
L' armée irakienne n' avait jamais réussi à maîtriser
des opérations coordonnées complexes .
La supériorité technique acquise face à les Iraniens ,
précisément pour compenser de telles défaillances , devenait dérisoire
comparée à l'avance de l' OTAN . Saddam Hussein a vite compris qu' il
existait des réponses imaginatives et non technologiques à opposer aux
armements de l' ennemi .
Confronté à la suprématie aérienne américaine, le régime
a ordonné aux servants de la Défense aérienne d' évacuer leurs positions de
tir en moins de trois minutes, initiant la technique des tirs furtifs .
Il a disséminé de nombreux blindés dans les villes,
notamment à Bagdad, où sont restées intactes jusqu' à la fin de la guerre
des unités entières de la Garde républicaine .
Les avions rescapés de les premières nuits de
bombardement ont également été dispersés, garés dans des zones urbaines,
intégrés à des sites archéologiques, abrités sur des routes détournées ou
encore dissimulés dans des hangars déjà détruits .
Le Corps aérien, rivé à le sol et escamoté d'emblée , n'
a ainsi perdu en tout que six hélicoptères .
De même, les employés de l' appareil de sécurité ont
déserté leurs locaux officiels .
Certains dormaient dans leurs voitures ou s' invitaient
dans des familles qui ne pouvaient guère leur refuser l' hospitalité .
D'autres disposaient déjà de locaux banalisés .
Dès les années 1970, la Sûreté avait installé des
antennes locales dans les quartiers, rachetant des pavillons d' habitation à
des prix imposés .
Cette politique s' est étendue après les bombardements
massifs de 1991 .
Il est notoire que Saddam Hussein lui -même, pendant
les frappes, a eu recours à une mobilité constante plutôt que aux
fortifications, quitte à passer lui aussi la nuit " chez l'habitant ",
entouré de gardes du corps .
Les Etats-Unis, sait -on aujourd'hui, souhaitaient
pourtant le localiser pour le tuer d' un missile bien placé .
Ces exemples d' esquive convergent vers une doctrine
nouvelle et tacite de préservation .
Trois facteurs majeurs ont contribué à la survie du
régime . ont contribué à la survie du régime .
Tout d'abord, la préservation de Bagdad comme sanctuaire
, malgré de nombreux sacrifices , a fait paraître Saddam Hussein comme
difficilement " délogeable ", à moins de une invasion hasardeuse de la
capitale .
Ensuite, la préservation au sein des forces armées de
les forces dites " frappantes " ( quwat dhareba ) a autorisé de surprenantes
contre-attaques face à un adversaire enorgueilli par la faible résistance de
l' armée .
Plus fidèles et plus motivées que les unités régulières,
ces unités d' élite spécialisées dans les opérations ponctuelles s' étaient
justement éclipsées durant la première phase du conflit, s' abritant dans le
tissu urbain de Bagdad .
Enfin, la préservation de l' appareil de sécurité, dans
ses dimensions préemptive et répressive , assurait au régime, affaibli, de
rester maître de sa population .
Avec les encouragements de Georges Bush, des révoltes
ont éclaté lors de le retrait allié dans presque tout le pays, d'abord dans
le sud chiite, puis au Kurdistan .
Les soulèvements ont touché jusqu' à certains secteurs
de la capitale .
Ce qu' on a appelé une " Intifada " ressemblait
beaucoup, à vrai dire, à des émeutes désordonnées .
Pillages et carnages y étaient la norme en l'absence de
direction politique .
Le pouvoir en place a étouffé sans mal ce feu de paille
attisé puis délaissé par Washington .
Les villes, les campagnes et surtout les mémoires
portent aujourd'hui encore les marques d' une répression dont la Garde
républicaine et, dans une moindre mesure, le Corps aérien ont été les
instruments de prédilection .
Les Irakiens, dont beaucoup avaient d'abord cru à le
régime , voire adulé Saddam Hussein , n' en étaient certes pas à leurs
premiers désenchantements .
Néanmoins, la guerre et l' Intifada ont signé un
divorce plus formel entre le pouvoir et la population .
Cette fois, chacun avait irrémédiablement failli à l'
autre .
L' embargo a facilité cette rupture en devenant le
responsable désigné de la souffrance du peuple et du retard du pays .
Dispensé de prodiguer un quelconque bien-être social,
conscient de l' inanité de toute relance idéologique, le régime est dès lors
consacré à la seule défense de ses intérêts vitaux .
Un resserrement du dispositif militaire et de sécurité
Les transformations de son dispositif militaire après la
guerre résument bien la révision de ses ambitions .
Saddam a pris acte de l' ampleur de la débâcle et des
limitations imposées par la tutelle internationale à la fabrication et à l'
importation d' armements nouveaux .
L' armée régulière aurait été réduite à 350 000 hommes
environ .
Au-delà des chiffres, elle souffre surtout de la
démoralisation des soldats, de la défiance du régime et d' une grave pénurie
de pièces de rechanges pour un armement extrêmement diversifié .
Lui a été retiré le commandement de la Défense aérienne,
formation qui s' est distinguée par sa vaillance et son utilité durant le
conflit .
Contrepartie douteuse, un département des Istikhbarat,
la Sécurité militaire , en a été détaché en 1992 pour former un troisième
organe de surveillance imposé à l' armée .
Sécurité militaire et Défense aérienne sont passés sous
le contrôle direct de la Présidence, conformément à une logique de
centralisation toujours renforcée .
La Force aérienne et l' Armée populaire ont également
pâti des restructurations d' après-guerre .
Après une prestation lamentable face à les Alliés, l'
aviation s' est vu couper les ailes par la mise en place d' immenses zones
d' exclusion aérienne, limitant ses capacités d' intervention et d'
entraînement .
L' Armée populaire, réformée en tant que telle , s' est
réincarnée sous diverses formes dégénérées, dont l' Armée de libération de
Jérusalem ( jeish tahrir al-quds ) n' est que la dernière en date .
Né en 1998, ce monstre de 7 millions de soi-disant "
volontaires " , burlesques et démotivés , sert des fonctions de propagande
et de domination qui n' ont rien de militaire .
En revanche, le régime a patronné trois formations
importantes .
Bien que il ait réduit de moitié les effectifs de la
Garde républicaine, passée de 150 000 à 70 000 hommes, il a veillé à en
reconstituer les précieuses unités mécanisées et blindées .
Pour ce faire_NEW_ il a eu recours, outre quelques
importations illégales, à la cannibalisation des matériels rescapés du
pilonnage, souvent au détriment de l' armée .
Le régime s' est aussi détourné de son aviation au
profit de un Corps aérien plus opérationnel .
Il en a consolidé les escadrons habitués à opérer en
coordination étroite avec la Garde républicaine .
L' importation de pièces de rechange est d'ailleurs
révélée plus facile pour les hélicoptères, qui bénéficient d' un double
statut civil et militaire .
Enfin, les incursions quasi quotidiennes des avions
anglo-saxons dans les zones d' exclusion aérienne et les " frappes "
régulières de missiles de croisière ont stimulé l' intérêt porté par Saddam
Hussein à la Défense aérienne, rénovée et amadouée par des privilèges
semblables à ceux dont bénéficie la Garde républicaine .
On ne saurait souligner assez que c' est là la
principale disposition militaire classique prise par l' Irak contre un
adversaire étranger .
En somme, le régime a remodelé et réorienté ses forces
armées pour aller vers un système plus sûr et plus compact, au caractère
répressif et défensif .
Dans cette configuration, il ne représente plus guère,
en dépit de les accusations des Etats-Unis, une menace pour ses voisins .
Saddam Hussein perçoit plutôt l' armée, la Garde
républicaine et le Corps aérien comme une menace à son encontre, bien que
ils garantissent son hégémonie grâce à le monopole de l' artillerie lourde
et des blindés .
Depuis 1988, la Garde républicaine est cantonnée à la
périphérie de la capitale, où elle délimite à son tour un périmètre d' accès
interdit à l' armée régulière .
Dans tout le pays, un réseau de checkpoints détecte le
moindre mouvement de troupes .
A chacun de ces checkpoints, au moins dix plantons
relevant de hiérarchies différentes incarnent la méfiance ambiante .
Reste à dire que chaque unité comprend un agent de
renseignement officiel, disposant de plus d' autorité que son commandant
effectif, et d'autres rapporteurs plus officieux, pour mesurer à quel point
les considérations sécuritaires priment sur toutes les autres formes d'
efficience, notamment militaire .
Quant à l' armement non conventionnel du régime, qu' il
existe ou non, il ne peut avoir d' utilité sans l' appui de forces
conventionnelles, sauf en cas de agression .
Il paraît de toute façon exagéré par les Etats les plus
va-t-en-guerre .
La réactivation des programmes des années 1980 exigerait
l' importation illégale mais facilement décelable de toutes sortes d'
équipements, étant donnée l' ampleur du démantèlement des infrastructures
réalisé par l' ancienne commission en désarmement des Nations unies ( UNSCOM
) .
Elle offrirait donc, en toute logique, des pièces à
conviction abondantes .
En temps normal, la survie de Saddam Hussein découle d'
une savante mainmise sur le pays .
En politique intérieure, ses principales sources de
contrariété ont trouvé des solutions durables au cours de les années 1990 .
Le régime a malmené la communauté chiite et décapité sa
hiérarchie religieuse .
Il a mené à bien l' assèchement des marais, au sud,
ancien sanctuaire de déserteurs et d' opposants .
L' autonomie octroyée aux trois " gouvernorats " de le
Nord a réglé le problème que posait l' asile inexpugnable des montagnes du
Kurdistan .
Dernier refuge naturel, de luxuriantes palmeraies ont
été détruites sur des surfaces considérables .
Quant au tissu urbain, il reste quadrillé par un
maillage d' informateurs renseignant efficacement Moukhabarat et Sûreté .
Pour parfaire son contrôle du territoire, le régime a
élargi son dispositif sécuritaire en y intégrant les tribus, jugées
responsables de leurs membres et des régions qu' elles occupent .
Lorsque des troubles localisés surgissent, le régime
applique un principe de responsabilité collective et intervient brutalement
.
Une technique usuelle consiste à encercler, voire
bombarder, le village ou le quartier concerné avant d' y mener des rafles .
La Sécurité Spéciale, les Moukhabarat , la Sûreté et le
Parti disposent tous de leurs bras armés paramilitaires, qui opèrent souvent
en collaboration avec la Garde républicaine et les troupes régulières .
L' usage simultané de plusieurs de ces formations
illustre une fois encore la notion de redondance .
Pour compliquer ce jeu de contrepoids, le fils aîné de
Saddam Hussein , Oudei , y a ajouté en 1995 sa propre milice, probablement
pour contrer l' emprise de son frère cadet Qousei sur l' appareil de
sécurité .
Formés de jeunes déshérités, triés sur le volet,
endoctrinés et soumis à un entraînement sévère, ces " Fedayin de Saddam " n'
apportent pourtant rien de nouveau à un appareil amplement suffisant pour
maîtriser une population essentiellement inerte .
au plan interne, les menaces les plus sérieuses
viendraient donc de l' appareil de sécurité lui -même ... s' il n' avait été
soigneusement verrouillé .
A vrai dire, il est impossible de rendre compte de la
pléthore de précautions prises en réponse à les tentatives d' assassinat,
aux coups d' Etat manqués, aux complots ourdis jusqu' au sein de la Garde
spéciale, aux trahisons de proches tels que Hussein Kamel, ainsi que aux
moyens dispensés à l' étranger pour subvertir le système .
Se mêlent recouvrements de compétences, concurrence
entre services, contrôles croisés, dédoublement des mécanismes de
commandement, redistribution permanente du personnel, fabrication de "
conspirations-hameçons ", etc .
Cette complexité ne doit pas, d'ailleurs, faire illusion
.
L' appareil de sécurité n' est pas une machinerie
parfaite, rationalisée .
La Sûreté et les Moukhabarat, par exemple , sont minés
par une corruption notoire, non seulement tolérée mais intégrée et
instrumentalisée par le régime .
C' est là le point important : cette architecture est
perpétuellement en mouvement .
Or le mouvement est une ressource de ce régime qui est
tout sauf conservateur .
Un scénario possible pour une guerre annoncée
La plasticité du régime est un facteur ignoré dans toutes
les anticipations de la guerre .
Constatant que les " options militaires " de l' Irak sont
limitées, les analystes n' envisagent comme alternative à ces options classiques
que le scénario catastrophe des " armes de destruction massive " .
Ils n' entrevoient rien, semble -t-il, entre une débandade
assurée des forces armées irakiennes et une sorte d' apocalypse, renvoyant à l'
imaginaire du dictateur fou .
En Irak, pourtant, on craint moins la possibilité d' un
suicide dévastateur que celle d' un usage stratégique et retors de gaz de
combat, qui serait éventuellement attribué à l' armée des Etats-Unis pour
galvaniser l' opposition populaire contre " l' agresseur " .
Saddam Hussein , pragmatique , s' est assurément aguerri
face à les menaces extérieures .
Les " frappes " et autres ingérences étrangères l' ont
préparé à cette confrontation ultime .
Elles lui ont appris à escamoter ses cibles les plus
vitales, à savoir la personne physique des hauts responsables, les missiles
sol-air de la Défense aérienne et d' éventuelles armes de destruction massive .
Les inspecteurs eux -mêmes lui ont montré les limites et les
failles des méthodes de surveillance occidentale .
Il oblige ainsi ses ennemis à se rabattre sur des cibles
offertes, coquilles vides des édifices officiels ou centres de commandements de
la Défense aérienne, centres dont l' importance au sein de le système de défense
n' est plus nécessairement cruciale .
Le régime escamote parfois jusqu' aux cibles les plus
ordinaires .
Lors des bombardements de 1998, des écoles, ainsi que de
les installations industrielles et de les hangars alimentaires , ont accueilli
des dépôts de munitions .
Ces écoles abritent actuellement les membres du Parti
chargés de maintenir l' ordre dans chaque quartier .
Ceux -ci ont quitté leurs locaux officiels, imitant l'
ensemble de l' appareil de sécurité .
Le régime compte sur la dispersion de son personnel pour
maintenir la population dans l' inertie, peut-être même pour mener des
opérations de guérilla contre des forces américaines obligées de s' engager dans
le pays profond .
Toutes les formations paramilitaires citées plus haut sont
rompues aux combats de rue .
Extrêmement mobiles, elles opèrent au besoin en civil et
bénéficient d' une connaissance intime du terrain .
Resterons -elles loyales ?
On peut supposer que l' immense majorité des Irakiens ne
combattra volontiers ni pour défendre le pouvoir, ni pour le défier .
Tous redoutent la capacité de survie fabuleuse de Saddam
Hussein, conjuguée à sa capacité - non moins fantastique - de répression .
Ils pourraient obéir longtemps, mais sans zèle, aux
consignes du régime, en attendant la certitude de sa chute .
Il suffirait alors que la guerre traîne, qu' elle engendre
des pénuries et de nombreuses victimes, pour que Saddam galvanise ses troupes
les plus fidèles, maintiennent les plus déloyales dans l' irrésolution et gagne
ainsi du temps .
Ceci n' est qu' un des scénarios possibles, évidemment, aux
côtés de une guerre éclair, propre et sans surprise .
Ce qui est sûr , c' est que les dispositions prises par le
régime trahissent une sorte de désaffection pour la guerre classique .
Saddam Hussein ne se soucie guère, semble -t-il, d' opposer
une armée crédible contre les Etats-Unis .
Alors, où est donc l' adversaire irakien ?
Dans l' imprévu, justement .
TITRE : Les Etats-Unis et le pétrole § De Rockefeller à la Guerre du Golfe
AUTEUR : Pierre Noël, * Economiste du pétrole ; Docteur en science
politique. Chercheur au Centre français sur les Etats-Unis à l'Ifri ; chercheur
associé au LEPIIEPE, université de Grenoble. noel.cfe@ifri.org
Une histoire d' entrepreneurs
La naissance et le développement de l' industrie pétrolière
américaine ne furent pas une " affaire d' Etat " ; pour l' essentiel, cette
histoire est une histoire d' entrepreneurs .
En cela, les Etats-Unis se distinguent de tous les autres
pays, industrialisés ou non .
Nous verrons plus loin qu' il ne fallut pas attendre très
longtemps les premières interventions publiques dans le secteur, interventions
multiformes et de grande ampleur .
Mais on ne trouve aux Etats-Unis aucun des attributs
quasi-universels de l' industrie pétrolière, tellement répandus qu' ils
apparaissent parfois comme naturels : ni entreprise publique ; ni monopole sur
l' exploration, la production, le transport ou la distribution ; ni
subordination de l' industrie à des objectifs " supérieurs ", de politique
industrielle ou de politique étrangère .
Les Etats-Unis font même exception à la règle de la
propriété publique sur les ressources - exception plus discrète peut-être que
les précédentes, mais qui porte plus loin .
au commencement était le droit
Les ressources naturelles contenues dans le sous-sol
sont en général propriété publique .
Investir en vue de l' exploitation minière ou pétrolière
requiert, partout dans le monde ou presque, l' obtention d' un droit auprès
de la puissance publique, par exemple sous la forme de une licence .
Tel n' est pas le cas aux Etats-Unis, où la propriété de
la surface emporte la propriété du sous-sol, y compris les ressources qu' il
recèle .
Pour forer sur une parcelle donnée, il faut et il suffit
d' obtenir un droit de son propriétaire légitime .
Le contrat par lequel ce droit est transféré s' appelle
un lease ; c' est un contrat de droit privé .
On ne saurait exagérer l' importance de cette
singularité juridique ; osons affirmer qu' elle représente un des principaux
déterminants de l' histoire pétrolière des Etats-Unis .
La propriété sur la terre étant très peu concentrée ,
même à l'échelle de une province pétrolière , le marché de les droits d'
exploration est nécessairement concurrentiel .
Cette absence de contrôle sur le marché de l'
exploration induit à son tour la concurrence sur le marché du pétrole lui
-même .
L' économie industrielle a redécouvert, ces trois
dernières décennies et sous l' influence de Ronald Coase, le déterminisme
juridique dans l' organisation économique .
Dans le cas de l' industrie pétrolière américaine, la
règle de droit semble induire mécaniquement la concurrence .
Et il il fallait chercher un fil rouge courant tout au
long de l' histoire pétrolière des Etats-Unis, on le trouverait dans l'
affrontement permanent entre la dynamique concurrentielle et les forces
contraires, puissances " organisatrices " publiques ou privées .
Ascension et chute de John D. Rockefeller
souvent de très nombreux entrepreneurs, des aventuriers
risquant leur fortune personnelle , tentèrent leur chance dans l'
exploration pétrolière à partir de les années 1860 .
Acquérant des droits sur de minuscules parcelles ou sur
des milliers d' hectares, ils furent les acteurs de l' ère héroïque de l'
histoire pétrolière américaine .
Mais l' amont pétrolier ( exploration et production )
est une activité extrêmement risquée et pour beaucoup de ces pionniers l'
expérience tourna court .
La plupart ne découvrirent rien mais ceux qui eurent la
chance d' accéder au stade de la production affrontèrent la dure réalité d'
un marché libre de matière première .
Le développement intensif des premières découvertes
précipita rapidement une chute du prix du pétrole, qui passa de $ 37 à $ 7
entre 1870 et 18904 .
S' ensuivit une vague de faillites et un mouvement de
consolidation de l' industrie ( sélection et concentration ) .
Dans cet univers de concurrence " sauvage ", la première
manifestation des forces organisatrices ( ou plus exactement :
planificatrices ) ne vint pas de l' extérieur - de la puissance publique -
mais de l' industrie elle -même .
Un jeune homme de 25 ans, John D. Rockefeller , après
avoir tenté brièvement sa chance dans l' amont , délaissa ce jeu " où s'
épuisent les pauvres gens " pour se concentrer sur le raffinage, à la tête
de la Standard Oil .
Très tôt Rockefeller comprit l' intérêt de l'
intégration horizontale, c' est-à-dire l' absorption ou les alliances avec
les concurrents, et verticale, d'abord dans le transport ( en amont et en
aval des raffineries ), plus tard dans la production .
Son ascension fut fulgurante .
En 1873, la Standard Oil détenait déjà entre 30 et 40 %
des capacités de raffinage du pays, et jusqu' à 90 % en 1878 .
au tournant du siècle, la S.O. exportait 50 % de sa
production ; les Etats-Unis étaient, de très loin, le premier exportateur de
pétrole au monde, et l' huile était au second rang des produits d'
exportations américains, après le coton .
L' accession de la Standard Oil a une situation de
quasi-monopole sur l' aval pétrolier - et, par là, au statut de " régulateur
" de l' industrie dans son ensemble - devait donner lieu au premier grand
procès antitrust de l' histoire économique des Etats-Unis .
En cela, l' aventure de Rockefeller revêt une importance
qui dépasse la sphère pétrolière .
La principale loi antitrust américaine, le Sherman Act
de 1890 , fut largement rédigée en référence au cas S.O. En 1909, au terme
de plusieurs années d' une procédure initiée par le département de la
Justice, une cour fédérale établissait l' existence de pratiques anti
concurrentielles dans les activités de la S.O. - en particulier ses "
accords " préférentiels avec les transporteurs ferroviaires - et décidait de
dissoudre le trust en 35 entités indépendantes, sur la base de le Sherman
Act ( décision confirmée par la Cour Suprême en 1911 ) .
Plusieurs des grandes compagnies pétrolières américaines
sont issues de ce démembrement .
Cet événement marque un tournant dans l' histoire
pétrolière du pays et symbolise l' entrée dans l' ère des interventions
publiques .
Soixante ans d' intervention publique
A partir des années 1920 et jusqu' au début des années 1980,
le marché pétrolier américain a vécu sous un régime de très forte intervention
publique .
On distinguera les mesures dites de proration, le contrôle
des importations, et le contrôle des prix .
La mise en place de la politique de proration, entre le
début de les années 1920 et le milieu de les années 1930 , correspond à un
immense effort de la puissance publique - d'abord au niveau de les Etats, puis
du gouvernement fédéral - pour soustraire la coordination des producteurs de
pétrole au processus concurrentiel et la soumettre à un très haut degré de
planification centrale .
La proration est née d' une volonté de limiter le "
gaspillage " et la " surproduction " que le régime concurrentiel était sensé
entraîner .
Concrètement, les grands Etats producteurs ( Oklahoma ,
Texas , Louisiane - à l' exception notable de la Californie , qui ne fut jamais
" prorationniste " ) décidèrent de limiter leur production pétrolière en
attribuant des quotas à chaque champs, puis à chaque puits en activité, afin de
maintenir un prix largement supérieur au prix concurrentiel .
Ces efforts locaux étaient coordonnés au sein de une
instance inter-étatique, l' interstate compact .
Plus tard, dans le cadre du New Deal, la puissance fédérale
pris en charge la coordination et une partie de la mise en oeuvre du régime de
proration .
La crise des années 1930 , survenant juste après les
découvertes géantes de Seminole et de l' East Texas , précipita une chute des
prix qui renforça la perception du caractère destructeur de la libre concurrence
.
En fait, le principal problème était de nature juridique -
le droit, encore .
La règle dite de " capture " , qu' imposèrent les tribunaux
de common law à la fin de le XIXe siècle , autorisait un producteur à forer dans
un réservoir déjà exploité par un autre producteur opérant depuis un terrain
voisin .
Cette règle introduisait des incitations économiques
perverses et générait, effectivement, une importante surproduction en même temps
que nombre de puits inutiles .
Mais la proration ne réglait pas ce problème, au contraire :
parce que les puits les moins productifs étaient exemptés de quotas, le système
généra un énorme gaspillage de ressources .
Le régime de proration, qui survécut jusqu' au début de les
années 1970 , servait essentiellement les intérêts des milliers de petits
producteurs les moins performants, et des hommes politiques qui contrôlaient un
système profondément corrompu .
L' industrie pétrolière, qui est certainement un de les
symboles de le capitalisme américain , fut pendant plus d' un demi-siècle
soumise à un régime - certes incomplet - de planification centralisée .
Le contrôle des importations représentait un complément
naturel et indispensable du régime de proration .
La trop forte pénétration du pétrole vénézuelien et
moyen-oriental eût réduit à néant les efforts des Etats " prorationnistes " pour
défendre un prix supérieur au prix de concurrence .
Plus généralement, la concurrence du pétrole importé
représente une menace permanente pour l' industrie pétrolière américaine, et ce
dès l' entre-deux-guerres .
En conséquence, la tentation protectionniste traverse toute
l' histoire pétrolière américaine .
Les mesures les plus célèbres , parmi de nombreuses autres ,
sont les voluntary oil import quotas de 1949 et les mandatory oil import quotas
de 1959 .
Au début des années 1970, les objectifs de l' intervention
publique sur le marché pétrolier changèrent brutalement .
Du soutien des prix intérieurs par la réglementation de l'
offre et des importations, on passa à la lutte contre les effets de la hausse
des prix .
On pourrait dire : de la protection des producteurs à la
protection des raffineurs et des consommateurs .
Un système complexe de contrôle des prix et de
réglementation de la commercialisation fut mis en place, par strates
successives, avec des effets pervers très importants .
On citera en particulier les entraves à l' allocation
marchande du brut et des produits pétroliers, qui jouèrent un rôle décisif dans
les pénuries consécutives à l' embargo pétrolier arabe de 1974 et à la
révolution iranienne de 1979 - les fameuses gasoline lines qui traumatisèrent l'
Amérique ; mais aussi, plus structurellement, les " subventions aux importations
" introduites par le système des entitlements, par lequel les raffineurs s'
approvisionnant en pétrole " domestique " subventionnaient ceux qui recouraient
aux importations .
A la fin des années 1970, l' administration Carter
souhaitait libéraliser le marché pétrolier mais se heurtait à de fortes
résistances au Congrès .
Une loi votée en 1978 prévoyait un decontrol progressif
étalé sur 10 ans ; l' administration Reagan le réalisa en un mois .
Le " moment Reagan " et l' option libérale
Le premier mandat de Ronald Reagan à la Maison Blanche , et
même les premiers mois de ce mandat , apparaissent rétrospectivement comme une
période charnière dans l' histoire pétrolière américaine, où furent prises des
orientations rompant avec le passé et engageant l' avenir .
La politique conduite par l' administration Reagan était
inspirée par l' idée que l' efficacité et la sécurité énergétiques ne s'
obtiennent pas contre les forces du marché, mais en s' appuyant sur elles
.
R. Reagan prononça son discours inaugural le 20 janvier 1981
; le 28 janvier, il signait l' Executive Order n° 12287 ( le premier de son
mandat ), dont la première section dispose : " All crude oil and refined
petroleum products are exempted from the price and allocation controls adopted
pursuant to the Emergency Petroleum Allocation Act of 1973, as amended .
The Secretary of Energy shall promptly take such action as
is necessary to revoke the price and allocation regulations made unnecessary by
this Order . " L' Executive Order prenait effet le jour même .
Le Congrès, beaucoup plus interventionniste que l'
administration , ne désarma pas et en mars 1982 le Sénat vota le Standby
Petroleum Allocation Act, qui octroyait au Président le pouvoir d' instaurer, en
cas de crise, un contrôle des prix et des mesures d' allocation administrative
du pétrole et des produits .
R. Reagan opposa son veto à cette loi le 20 mars 1982 .
Le président écrit, dans sa lettre de " retour sans
approbation " transmise au Sénat : " this legislation grew from an assumption,
which has been demonstrated to be invalid, that giving the Federal Government
the power to allocate and set prices will result in an equitable and orderly
response to a supply interruption .
We can all still recall that sincere efforts to allow
bureaucratic allocation of fuel supplies actually harmed our citizens and
economy, adding to inequity and turmoil . " Face à une rupture d'
approvisionnement, c' est au contraire le libre fonctionnement du marché ( "
free trade among our citizens " ) qui, précise le président, est le plus à même
de réduire le coût supporté par l' économie américaine .
La déréglementation du marché pétrolier américain correspond
aussi à une réintégration complète dans le marché mondial .
A partir de 1982, le prix intérieur est à nouveau
strictement aligné sur le prix mondial .
Au cours des deux mandats de R. Reagan la faible_NEW_ Reagan
la faible taxe sur les importations n' a pas été supprimée, mais l'
administration résista, à plusieurs reprises et notamment après le " contre-choc
" pétrolier de 1985-1986, à de fortes pressions du Congrès pour l' augmenter de
manière significative .
Le decontrol américain eut également un effet non anticipé
sur les structures du marché pétrolier international : il accéléra la
substitution de transactions de court terme aux contrats de long terme et la
généralisation de la référence au prix " spot " .
Pleinement exposés aux aléas du marché mondial ( jusque-là
atténués par le contrôle des prix et les mécanismes de redistribution physique
), les raffineurs américains modifièrent leurs pratiques commerciales ; les
activités de trading ont explosé aux Etats-Unis au début de les années
quatre-vingt, et le NYMEX a lancé son marché de contrats à terme sur le pétrole
brut en 1983 .
Les gouvernements successifs, républicains et démocrates ,
ne sont pas revenus sur la réforme fondamentale initiée par l' administration
Reagan .
Dans les années 1990, la politique pétrolière de l'
administration Clinton ( largement " encadrée " , il est vrai , par un Congrès
républicain ) fut une politique libérale non seulement " passive " - absence de
remise en cause de la déréglementation - mais active .
Parmi les mesures d' inspiration libérale prises au cours de
cette période, on peut citer la levée de l' interdiction d' exporter le brut d'
Alaska, l' accélération du leasing dans l' offshore fédéral, les exemptions de
royalty sur l' offshore profond ( Deep Offshore Royalty Relief Act ), ou encore
la privatisation partielle des Naval Petroleum Reserves .
L' Amérique et le pétrole mondial
L' option libérale prise sous Reagan, et qui structure
depuis la politique pétrolière américaine, ne se limite pas à la
déréglementation de le marché intérieur ; elle a d' importantes implications
internationales .
Le primat économique dans la formulation de la politique
énergétique - plus précisément , l' idée que l' approvisionnement énergétique
doit reposer sur le fonctionnement de marchés libres et concurrentiels - a, en
matière pétrolière, un corollaire : l' acceptation du recours massif aux
importations .
Recourir au marché, c' est recourir au marché mondial .
Le taux de couverture de la demande par les importations
dépend, sur longue période, de l' évolution relative des coûts de développement
aux Etats-Unis et dans le reste du monde .
L' option fondamentale d' une politique énergétique libérale
impliquait donc nécessairement, pour les Etats-Unis, un approfondissement de la
" dépendance " pétrolière .
De fait, le moment Reagan correspond à l' entrée des
Etats-Unis dans une ère de dépendance acceptée et assumée .
Quelques données sur l' approvisionnement pétrolier
américain
C' est en 1949 que les Etats-Unis sont devenus
importateurs net, c' est-à-dire que leurs importations ont dépassé leurs
exportations .
Entre 1949 et 1970, la part de la demande couverte par
le pétrole importé est passée de 10 % à 23 % .
Entre 1978 et 1985, les importations ont fortement
baissé, tant en valeur absolue ( - 3,8 Mb / j ) que relative ( - 16 points
de part de marché ) .
Deux facteurs expliquent ce phénomène : le développement
du champ géant de Prudhoe Bay en Alaska, et la chute de la demande
pétrolière liée au second " choc pétrolier " de 1979 et à la récession
économique .
A partir de 1985, la part du pétrole importé dans la
couverture de la demande n' a cessé d' augmenter, jusqu' à aujourd'hui
.
La production américaine baisse au rythme de 2 % par an
en moyenne, même si cette baisse est moins forte depuis 1990 .
Les importations ont progressé de plus de 5 % par an en
moyenne sur 15 ans, pour atteindre leur maximum historique en 2000 .
Elles s' élevaient alors à 11 Mb / j, soit 54 % de la
consommation totale .
En 2020, ces chiffres pourraient passer à 17 Mb / j et
70 % .
Sécurisation et construction du marché mondial
Dépendance croissante, donc .
Mais dépendance acceptée et assumée, disions -nous .
L' option libérale prise au début des années 1980 n'
équivaut pas à une politique de laisser-faire ; elle s' accompagne de
politiques publiques ambitieuses relevant de la sécurisation et de la
construction du marché pétrolier mondial .
La sécurisation du marché regroupe des mesures aussi
différentes que la mise en place de la Strategic Petroleum Reserve ( SPR )
d'une part, la création d' un dispositif militaire d' intervention rapide au
Moyen-Orient d'autre part .
La SPR fut créée dans le cadre de l' Energy Production
and Conservation Act à la fin de 1975 mais resta " virtuelle " pendant cinq
ans, en raison de dysfonctionnements administratifs et surtout d' un manque
de volonté politique .
L' administration Reagan fit du remplissage de la SPR
une priorité de sa politique pétrolière .
A la fin du premier mandat de R. Reagan le volume stocké
était de 450 millions de barils ( Mb ), et 560 Mb fin 1988 - niveau auquel
on est encore aujourd'hui .
80 % du pétrole stocké dans la SPR l' a été sous Reagan,
dont plus de 60 % entre 1981 et 1984 .
La réserve pétrolière stratégique, entièrement détenue
et opérée par le gouvernement fédéral , a une capacité de " relâchement " de
4 Mb / j - soit la moitié de la production saoudienne moyenne en 2002 -
pendant 130 jours .
Ou encore, la SPR peut suppléer intégralement un
producteur comme le Koweït pendant près de neuf mois .
La " sanctuarisation " militaire de le Moyen-Orient n'
est certes pas réductible à une politique énergétique .
Toutefois, cette dimension était certainement présente .
La logique, de le point de vue pétrolier , est la même
que pour la SPR, même si l' instrument est très différent .
Accepter que l' approvisionnement américain repose sur
un marché mondialisé dominé par les transactions de court terme , supposait
la mise en place d' une sécurisation en amont, ou " par le haut ", dont le
coût s' apparente à la souscription d' une assurance .
Libéralisation et sécurisation ne s' opposent pas, mais
constituent deux faces d' une même politique .
Tout comme la libéralisation, les mesures de
sécurisation du marché initiées sous R. Reagan ont été assumées par tous les
gouvernements depuis lors, et demeurent un élément essentiel de la politique
pétrolière américaine .
L' effort de construction du marché consiste à améliorer
l' accessibilité des ressources pétrolières mondiales aux capitaux privés d'
exploration et production .
Il s' agit, pour les Etats-Unis, d' une préoccupation
très ancienne, qui prit notamment la forme, dans l' entre-deux-guerres, de
la politique de l' Open Door ( porte ouverte ) au Moyen-Orient .
A partir des années 1980, cette politique fut relancée
et renouvelée dans ses objectifs comme dans ses moyens .
L' objectif était de favoriser la diversification
durable de l' offre pétrolière mondiale, donc d' affaiblir le pouvoir de
marché de l' OPEP . L' administration Reagan lança, dès 1981, une politique
juridique internationale très ambitieuse, destinée à réformer le droit
applicable aux investissements pétroliers .
Cette politique fut relayée par la Banque Mondiale, dans
les années 1980, auprès de les pays en développement .
Dans les années 1990, les Etats-Unis investirent d'
importantes ressources dans les négociations sur les instruments
multilatéraux sur les investissements ( ALENA chap .
11, Traité sur la Charte de l' Energie, AMI ), et dans
la signature de traités bilatéraux sur les investissements avec les pays
riverains de la mer Caspienne .
L' Amérique a -t-elle le choix ?
En dépit de un discours politique récurent sur la
nécessité de contenir, voir de réduire, la dépendance pétrolière du pays -
discours qui jouit d' une très forte légitimité depuis les attentats du 11
septembre 2001 - l' option libérale prise il y a plus de vingt ans n' est
pas remise en question, au contraire .
Dans ces conditions, l' approfondissement de la
dépendance pétrolière des Etats-Unis au cours de les décennies à venir est
une quasi-certitude .
Après la " crise " de 2000-2002 comme après celle de
1990-1991, le grand débat de politique énergétique initié par l'
administration accouche essentiellement de non mesures .
On pourrait invoquer les lourdeurs du processus
législatif américain, qui permet aux groupes de pression d' entraver toute
action réformatrice .
On préférera souligner qu' il n' existe pas,
aujourd'hui, d' alternative raisonnable aux importations pétrolières
massives .
Les études économiques montrent que le coût d' une
réduction significative de la " dépendance ", tant par la stimulation de l'
offre intérieure que par la maîtrise de la demande, seraient largement
supérieurs aux bénéfices attendus en matière de sécurité énergétique .
En d'autres termes, il n' existe qu' un potentiel très
limité de réduction profitable du recours aux importations pétrolières .
Les Etats-Unis devraient donc continuer, dans l' avenir
prévisible et en attendant une révolution technologique dans les transports,
d' investir massivement dans la sécurisation et la construction du marché
pétrolier mondial .
TITRE : Perspectives
AUTEUR : Thierry de Montbrial, directeur de l'Ifri, membre de l'Académie
des sciences morales et politiques 13 juillet 2002
La " surprise " du 11 septembre
Selon toute vraisemblance, la date du 11 septembre 2001 est
entrée dans l' histoire universelle .
Elle est et restera considérée comme dividing, selon le mot
américain, c' est-à-dire que l' on distingue et distinguera un " avant " et un "
après " .
Ce n' est pas que le monde ait brusquement changé avec la
réussite des attaques contre le World Trade Center - celle qui a le plus frappé
- et contre le Pentagone .
Ce qui a changé, c' est la manière d' interpréter le passé
et de raisonner sur l' avenir .
On ne peut pas prétendre que pareil événement n' avait pas
été " prévu " .
En vérité, la possibilité et même la probabilité d' un "
hyperterrorisme " font l' objet de débats d' experts et même d' oeuvres
romanesques ( Tom Clancy ) depuis des années .
Pareillement, le jour où des armes de destruction massive -
nucléaires, chimiques ou bactériologiques - seraient utilisées effectivement par
une unité active étatique ou non étatique, on ne pourrait pas dire que cela n'
avait pas été " prévu " .
Toute la difficulté tient dans ce que les sociétés humaines
ne prennent les catastrophes au sérieux que lorsqu' elles se produisent, et,
lorsque c' est le cas, elles ont tendance à les oublier : on peut donner entre
autres l' exemple du respect des règles de sécurité dans les zones sismiques .
il en est ainsi, c' est que, pour prévenir ou limiter les
conséquences d' une catastrophe possible, il faut des mesures qui se heurtent
aux intérêts tangibles de toutes sortes d'autres unités actives, lesquelles s'
emploient à les empêcher ou à les atténuer .
La prévention est un art de même nature et aussi complexe
que la réforme .
De ce point de vue, l' autopsie du 11 septembre est aisée .
Ce qui est en cause , c' est d'abord une conception des
libertés .
aux États-Unis, il était possible de se présenter dans une
école de pilotage sans avoir à justifier de son identité, et de payer les cours
en espèces, en précisant que l' on n' avait pas besoin d' apprendre à décoller
ou à atterrir, tout cela sans susciter de réactions particulières .
En Grande-Bretagne, des groupes islamistes peuvent avoir
pignon sur rue, et les conditions d' extradition sont tellement restrictives que
les criminels se sentent protégés, au point que certains vont jusqu' à se
demander s' il n' existe pas une sorte d' accord implicite du type : immunité du
territoire britannique contre immunité des réseaux qui y sont implantés .
La question du financement du terrorisme se rattache à celle
des droits civils .
Pour mettre en place et développer un réseau comme Al-Qaida,
il faut beaucoup d' organisation et beaucoup de ressources .
La lutte contre le terrorisme passe donc par une
surveillance étroite des flux financiers, de leur origine et de leur
destination, laquelle se heurte à une conception du secret bancaire que l' on a
tendance à rattacher à la question des libertés .
Le même genre de remarques peut s' appliquer à la sécurité
du transport aérien en général .
L' abaissement de la sécurité dans les aéroports comme pour
le trafic lui -même est la conséquence d' une conception étroite de la
compétitivité, où l' on oublie que l' économie est au service de l' homme et non
l' inverse .
On pourrait poursuivre l' exercice .
L' incapacité des services américains, la CIA ( Central
Intelligence Agency ) et le FBI ( Federal Bureau of Investigation )
principalement , à anticiper et à déjouer les attentats de le 11 septembre , qui
les ont , en fait , pris à le dépourvu , s' analyse en dernier ressort par l'
inadaptation d' agences engluées dans des routines et par les très classiques
conflits bureaucratiques .
Dans le même ordre d' idées, comme le phénomène de la
mondialisation concerne les unités actives de toute nature, y compris les
organisations criminelles, la lutte contre le crime organisé - et en particulier
le terrorisme - suppose des formes de coopération originales entre les États,
notamment au niveau de leurs services secrets, de leurs polices et de leurs
institutions judiciaires .
Il s' agit de domaines où les traditions coopératives sont
limitées et où, là encore, l' adaptation se heurte aux habitudes et aux intérêts
corporatistes ou bureaucratiques .
Les observations précédentes n' ont aucune prétention à l'
exhaustivité .
Elles visent seulement à expliquer ce qui, sur le coup, a pu
paraître incompréhensible ou aberrant : comment un pays aussi puissant que les
États-Unis, qui consacre des ressources aussi immenses à sa sécurité, a -t-il pu
se laisser de la sorte agresser par surprise ?
Après un choc tellement considérable, on peut penser que
chacun des pays potentiellement menacés a entrepris de surmonter les obstacles
qui s' opposent à une prévention efficace .
Mais, aux États-Unis comme ailleurs, les résistances sont
énormes .
Pour certains Américains et non des moindres ( George Soros
), la " guerre contre le terrorisme " risque de saper les fondements mêmes de l'
unité du pays .
Les résistances sont également considérables sur le plan
international, quand il s' agit de coordonner les activités de plusieurs États,
car à l' affrontement des intérêts les plus tangibles se superposent les
malentendus politiques au sens large, malentendus qui - on le rappellera dans la
suite de ce texte - n' ont pas tardé à apparaître entre Washington et ses
alliés, anciens ou nouveaux, après une brève union sacrée .
Ainsi, dès le mois de décembre 2001, le Parlement européen
s' opposait -il à une coopération judiciaire renforcée avec les États-Unis
.
La réaction américaine
Dans les heures qui ont suivi les attaques, le président
George W.Bush a d'abord donné l' impression de s' en prendre à l' Islam en
adoptant la rhétorique du " choc des civilisations " et en parlant d' une "
guerre du Bien contre le Mal " .
Très rapidement, il a pris conscience du piège et adopté la
formule de la " guerre contre le terrorisme " .
car Expression ambiguë toutefois, il n' existe aucune
définition universellement acceptée du terrorisme, et, dans bien des cas, la
frontière entre terrorisme et résistance est difficile, sinon impossible à
tracer .
Ephraïm Halévy , le chef de le Mossad , le service de
renseignement israélien , avait peu de chances de faire l' unanimité en
déclarant : " La distinction entre bon et mauvais terrorisme n' a plus lieu d'
être .
Chacun doit choisir son camp : pour ou contre la terreur . "
De fait, Israël, l' Inde, la Russie ou encore la Chine se sont engouffrés dans
le boulevard ouvert par le président des États-Unis en assimilant les
Palestiniens, les Pakistanais, les Tchétchènes et les Ouïgours aux criminels du
11 septembre .
Au début de l' année 2002, le président du Conseil espagnol,
José Maria Aznar , déclarait ne faire " aucune différence " entre ces criminels
et l' ETA ( Euskadi Ta Askartasuna, " Patrie basque et liberté " ) .
En pratique, Washington a immédiatement accusé Al-Qaida et
son chef Oussama Ben Laden .
En identifiant aussi promptement l' agresseur, la
Maison-Blanche a produit un immense soulagement, car rien n' était plus
angoissant pour les opinions publiques américaine et même européennes que cette
impression d' un ennemi mortel innommable et invisible .
Avec Al-Qaida, on désignait aussi un État, l' Afghanistan .
On savait en effet que le milliardaire saoudien, lui aussi à
sa manière un apôtre de la guerre du Bien contre le Mal, tirait les ficelles du
sinistre régime de ce mollah Omar dont les outrances, au fil des mois, avaient
de plus en plus attiré l' attention du monde .
C' est donc contre l' Afghanistan que les États-Unis sont
entrés en guerre dès le 7octobre, en se donnant pour objectif de renverser l'
ordre taliban, de détruire les bases d' Al-Qaida et de saisir leurs chefs
.
Contrairement à ce qui a été si souvent écrit ou dit, cette
guerre a été des plus classiques, c' est-à-dire d' État à État .
Ses objectifs ont été partiellement mais rapidement atteints
.
Les Talibans ont perdu le pouvoir et les infrastructures d'
Al-Qaida ont été anéanties .
Ces résultats furent salutaires pour le moral des
Américains, mais aussi pour l' image des États-Unis dans le monde .
Le nouveau gouvernement mis en place par les vainqueurs,
dirigé par le Pachtoune royaliste Hamid Karzaï , n' a cependant guère les moyens
d' instaurer son autorité sur l' ensemble du territoire afghan, malgré la Loya
Jirga réunie au mois de juin .
Le pays reste largement soumis à la rivalité des seigneurs
de la guerre .
L' influence talibane n' a pas disparu, et les réseaux de
Ben Laden ont été d' autant moins démantelés qu' ils disposent d' appuis
conséquents au Pakistan occidental .
Quant à Ben Laden et au mollah Omar, ils courent toujours .
De nombreux indices suggèrent qu' une partie de ces réseaux,
bien implantés dans les pays occidentaux, conservent leur capacité de nuire .
Les intérêts occidentaux, dans la mesure où ils constituent
les cibles de Ben Laden et de ses émules , sont toujours menacés, même si des
agressions en série, d' ampleur comparable à celles du 11 septembre, paraissent
peu probables .
Pour venir à bout d' Al-Qaida, toute la panoplie des mesures
antiterroristes doit être mise en oeuvre, et nous avons vu plus haut que les
principaux obstacles se situent au sein même des unités politiques menacées .
Cela dit, il est vraisemblable qu' en affaiblissant les
bases territoriales des organisations terroristes, on en a réduit
considérablement les capacités, et donc le potentiel .
A priori, de telles bases ne peuvent être localisées que
dans les États qualifiés par les Américains de rogue states, expression que l'
on peut traduire par " États voyous ", ou de failed states, c' est-à-dire les "
États manqués " ou " incomplets " .
Dans son discours sur l' état de l' Union, au début de 2002,
George W.Bush a désigné les principaux rogue states, en les réunissant dans un "
axe du mal " .
L' Afghanistan étant maintenant neutralisé , il s' agit
principalement de l' Iran, de l' Irak et de la Corée du Nord ; mais le concept
est assez large pour inclure, le cas échéant, des pays tels que la Syrie ou la
Libye .
Par extension, le chef de l' exécutif américain situe les
mouvements islamistes dans cet axe du mal .
Quant à les failed states - c' est-à-dire les États où le
gouvernement n' exerce pas ou mal son autorité sur l' ensemble de son territoire
-, il y en a hélas beaucoup à des degrés divers, tels la Somalie, le Yémen, les
Philippines, mais aussi la Colombie ou le Tadjikistan .
Au cours des derniers mois, l' Amérique s' est efforcée d'
élaborer des stratégies susceptibles de réduire les risques provenant de ces
divers États : stratégie d' intervention dans les failed states ( envoi de
forces spéciales aux Philippines et au Yémen par exemple, et il semble que la
CIA pousse également ses pions en Algérie ) ; stratégie de prévention à
l'encontre des rogue states .
Une doctrine d' action préventive pourrait se heurter à de
très sérieuses objections .
En s' arrogeant le droit d' intervenir préemptivement et
unilatéralement, c' est-à-dire sans l' accord de la " communauté internationale
" incarnée par le Conseil de sécurité des Nations unies, les États-Unis
prendraient des risques, même vis-à-vis de leurs alliés les plus proches comme
la Grande-Bretagne .
Le cas de l' Irak est au centre de les préoccupations, car,
depuis son élection, George W.Bush paraît déterminé à renverser Saddam Hussein .
Il ne s' agit pas seulement d' aller jusqu'au bout du
processus engagé par son père en 1991, à la suite de l' invasion du Koweït .
En installant à Bagdad un régime qui leur serait favorable,
les Américains renforceraient la sécurité d' Israël et accroîtraient
considérablement leur marge de manoeuvre, tant vis-à-vis de l' Iran que de l'
Arabie Saoudite, cette dernière étant particulièrement suspecte à leurs yeux
depuis le 11 septembre .
Encore faudrait -il pouvoir monter des opérations militaires
permettant d' aboutir rapidement et sans provoquer l' éclatement du pays, et
mettre en place un gouvernement efficace .
Les alliés des États-Unis - ou du moins leurs gouvernements
- ne manifestent aucune sympathie pour Saddam .
Mais, d'une part, ils ne se montrent pas convaincus, à tort
ou à raison, par les arguments de Washington sur une éventuelle complicité de
Bagdad avec Al-Qaida ou sur l' imminence de l' acquisition de l' arme nucléaire
par l' Irak ; et, d'autre part, ils redoutent les effets sur les opinions
publiques des pays arabo-musulmans d' une opé-ration mal justifiée, et leurs
conséquences .
Cela dit, ils ne feront pas obstacle à la volonté des
Américains, si leur détermination à agir militairement est suffisamment forte,
quitte à adapter leur attitude en fonction de les résultats .
En ce qui concerne l' Iran, les Européens rejettent depuis
longtemps la politique de double endiguement consistant à traiter ce pays comme
l' Irak .
Ils estiment que le régime des ayatollahs est de toute
façon miné de l'intérieur comme l' était l' URSS de Brejnev .
Quant à la Corée du Nord, les États-Unis eux -mêmes ont
décidé de renouer le dialogue avec elle .
D' une manière générale, les partenaires de l' Amérique
considèrent que, même dans un système international hétérogène, aucun État ou
groupe d' États n' a le droit d' attaquer un autre au seul motif qu' il pourrait
s' en prendre à ses intérêts vitaux .
aux pires moments de la guerre froide, les États-Unis n' ont
jamais envisagé une attaque préventive contre l' URSS, même lorsque le rapport
des forces le leur aurait permis .
On comprend donc pourquoi ceux -là mêmes, à l' extérieur des
États-Unis, qui furent le plus sincèrement indignés par les attaques du 11
septembre ont par la suite exprimé, certes de façon généralement feutrée, des
réserves vis-à-vis de certains aspects de la politique de Washington .
Des réserves que le secrétaire d' État Colin Powell donne
parfois l' impression de partager, comme lorsqu' il déclarait, au mois de juin :
Any use of preemptive force must be decisive . " Encore faut -il s' entendre sur
le sens du mot decisive .
Les causes du terrorisme
À ce stade, il convient d' aborder la difficile question des
causes du terrorisme .
Le lecteur se rapportera au chapitre rédigé par Michel
Wieviorka pour un traitement général du sujet - et à celui de Gilles Kepel pour
l' analyse des liens entre terrorisme et islamisme .
On se bornera ici à quelques remarques .
Pour que une activité terroriste soit durable, il faut deux
conditions .
La première est l' existence d' unités actives - telles qu'
Al-Qaida, le Jihad islamique ou l' ETA à l'époque contemporaine, l' Irgoun ou le
groupe Stern au siècle dernier - et donc de groupes organisés partageant une
même culture ou une même idéologie combative .
La seconde est l' existence d' un réservoir humain
permettant à ces groupes de se renouveler et de s' élargir .
De ce point de vue, il en est des organisations terroristes
comme des mouvements de libération dans les situations coloniales .
Si les organisations terroristes qui ont sévi en Europe
occidentale dans les années 1970 et au début de les années 1980 n' ont pas
survécu, ce n' est pas seulement grâce à l' efficacité des gouvernements, mais
aussi et peut-être principalement parce que la force d' entraînement de l'
idéologie anticapitaliste qui cimentait ces groupes était insuffisante pour
assurer leur survie .
Si, à l' inverse, les organisations terroristes irlandaises,
basques ou corses résistent durablement à les contre-mesures , c' est qu' elles
trouvent dans les peuples dont elles sont issues les ressources humaines
nécessaires .
Ce qui distingue Al-Qaida des formes plus ordinaires du
terrorisme, c' est la conjugaison de l' ampleur des moyens hautement coordonnés
mis en oeuvre, et de l' inhabituelle obscurité de l' idéologie dont ce réseau se
réclame pour fonder ses actions .
Chacun peut comprendre, ce qui ne veut pas dire approuver,
que des groupes veuillent se battre par tous les moyens pour l' indépendance "
de l' Irlande du Nord, du pays basque ou de la Corse .
On notera, incidemment, qu' à l'instar de la plupart des
unités actives, les buts réels mais non avoués des organisations terroristes
tendent à se déplacer et, en l'occurrence, à s' étendre à des activités
criminelles ou " mafieuses " de toute nature, ce qui complique singulièrement
les choses .
Mais que veulent Ben Laden et ses partisans ?
La haine des États-Unis et, plus généralement , de la
culture occidentale est -elle un fondement idéologique suffisant pour assurer la
survie d' une organisation comme Al-Qaida ?
Faut -il penser que son gourou est l' expression d' un
nouveau type de nihilisme ?
Olivier Roy rejette le terme et lui préfère celui de
néo-fondamentalisme . " ( ... ) Tous ces néo-fondamentalistes, loin de incarner
la résistance d' une authenticité musulmane face à l' occidentalisation, sont à
la fois des produits et des agents de la déculturation dans un monde globalisé .
( ... ) Ben Laden n' est pas une réaction de l' islam traditionnel, mais un
avatar aberrant de la globalisation, tant dans les instruments de son efficacité
( technicité, compétence, organisation ) que dans la déconnexion de son action
par rapport à les sociétés réelles .
Dans les cibles visées et dans l' anti américanisme
virulent, il reprend une tradition très occidentale du terrorisme symbolique,
propre à la bande à Baader ou à Action directe, mais repensé à l'échelle de les
jeux vidéos et des films catastrophes d' Hollywood . " Ou bien faut -il
supposer, avec Alexandre Adler, que Ben Laden est un stratège génial comme le
fut Adolf Hitler, ou dans un autre genre Mao Zedong, qu' il a conçu un projet
grandiose pour édifier une sorte de califat ou de théocratie capable de s'
opposer à l' empire du Mal, c' est-à-dire, dans son imaginaire,
Selon cette perspective, le but des attentats du 11
septembre aurait été de déstabiliser l' Amérique, de la pousser à la faute et de
provoquer des soulèvements en chaîne dans les terres islamiques, avec pour buts
ultimes l' Égypte et l' Arabie Saoudite .
Si l' on préfère la comparaison avec les Bolcheviks,
pareille vision ne serait pas sans analogie avec les projets de révolution
mondiale au début de le XXe siècle .
Ben Contrairement à Lénine, à Mao ou à Hitler, Laden n' a
apparemment développé ses idées ni par écrit ni par oral, de sorte que ses
adversaires en sont réduits à spéculer .
Quoi qu' il en soit, on aurait tort d' écarter des
hypothèses sous le prétexte qu' elles seraient apparemment folles .
Certes, la révolution mondiale ne s' est pas produite comme
l' avait rêvée les Bolcheviks, mais sans eux et sans leur délire la révolution
d' Octobre n' eût pas eu lieu et l' histoire du siècle dernier eût été
différente .
Et il est vrai qu' Hitler a échoué, on peut penser qu' en
prenant Mein Kampf à la lettre, le grand drame de la Seconde Guerre mondiale eût
été épargné .
En d'autres termes, le risque d' une déstabilisation à
grande échelle de le monde arabo-islamique doit être pris au sérieux .
Pour y faire face, il est nécessaire de dépasser le cadre
conceptuel, beaucoup trop étriqué, de la " guerre contre le terrorisme " .
C' est pourquoi on n' échappe pas au débat sur les " causes
du terrorisme " .
Encore faut -il en poser correctement les termes .
Bien souvent, en effet, le problème est formulé de façon
partiale ou partielle .
Par exemple, à l' argument selon lequel la pauvreté ou les
inégalités seraient à la racine du terrorisme, on peut opposer que Ben Laden est
milliardaire et que les exécutants d' Al-Qaida étaient des personnes
sophistiquées et non de vulgaires endoctrinés des madrasas .
À ceux qui établissent un lien direct entre la politique
pro-israélienne des États-Unis et les attentats du 11 septembre, il est
également facile de rétorquer que Ben Laden ne s' est jamais référé que
marginalement au conflit israélo-palestinien .
Le centre de gravité de sa propre mappemonde est situé plus
à l' est .
Certaines formulations ont l' inconvénient d' apparaître
comme des critiques plus ou moins déguisées des États-Unis, accusés à la limite
d' être eux -mêmes responsables du drame dont ils ont été les principales
victimes .
Ce que l' on peut et doit dire , en revanche , c' est que
les cerveaux d' Al-Qaida ont l' art d' exploiter les misères du monde
arabo-musulman pour y puiser des ressources humaines et y faire retentir leur
idéologie .
Que des révolutionnaires soient souvent issus de milieux
privilégiés est une constante de l' Histoire .
Rien de surprenant non plus à ce que les actions politiques
des États-Unis, unique superpuissance depuis la chute de l' URSS, soient jugées
dans le reste du monde à travers les lunettes de chacun .
Que la politique américaine au Proche-Orient soit perçue
comme excessivement pro-israélienne dans le monde arabo-islamique, ou que le
soutien de Washington à certains régimes dits modérés - mais en tout cas non
démocratiques - de la région ( Arabie Saoudite , Égypte ) y soit considéré comme
cynique , ce sont là des faits politiques incontestables dont il convient d'
apprécier justement la portée .
Lorsque le prince Abdallah ou le président Moubarak, mais
aussi la plupart des Européens, font grief à Washington de ses oscillations face
à la guerre israélo-palestinienne, qui n' a cessé de s' étendre dramatiquement
depuis l' été 2001, et désapprouvent désapprouvent - quoique de façon feutrée -
l' exigence formulée par le président Bush, le 24 juin, du remplacement de
Yasser Arafat, ils expriment des attitudes non pas morales, mais politiques .
On y reviendra plus loin .
Les leaders arabes dits modérés , dont la légitimité interne
n' est pas supérieure à celle de le vieux combattant palestinien , redoutent d'
être pris entre le marteau américain et l' enclume de leurs populations .
Les gouvernements européens, qui ont de le monde
arabo-musulman une longue expérience , savent que le risque d' une
déstabilisation est réel .
S' agissant de l' Autorité palestinienne, les uns et les
autres partagent sans doute ce jugement d' Edward Saïd : " Il faut édifier les
fondements de la réforme à partir de forces vives de la société, celles qui,
jour après jour, ont résisté à l' invasion et à l' occupation ( ... ) 6 .
"
La politique internationale forme un tout, et ce, dans la
durée .
Après le retrait de l' URSS d' Afghanistan en 1989, les
États-Unis se sont aussitôt détournés de ce pays, mais aussi du Pakistan, devenu
sans intérêt à leurs yeux .
Ils n' ont pas vu le danger du régime des Talibans et des
connexions avec Islamabad .
En pratique, ils ont même encouragé ces développements .
Les moudjahidines avaient été leurs alliés pendant l'
occupation soviétique et un Ben Laden se trouvait alors du " bon côté " .
Ni les Américains, ni, semble -t-il, les Européens ne
semblent avoir prêté attention à la complexité de la situation tribale et à la
portée des camps où furent formés, entre autres, ces fameux
Afghans " qui devaient contribuer à mettre l' Algérie à feu
et à sang .
Dans les années 1990, des responsables américains ont même
caressé un moment l' idée de favoriser l' avènement d' un régime islamiste à
Alger .
Rappeler ces faits n' est pas insinuer que les Américains
sont responsables de leur propre malheur et de celui des autres .
Il s' agit seulement de montrer que certaines décisions qui
n' ont pas immédiatement des conséquences globales peuvent en avoir par la suite
.
Lorsque les dirigeants arabes dits modérés et les Européens
invitent les États-Unis à la prudence, ce n' est pas par pusillanimité, mais par
prévoyance .
En politique comme dans les affaires privées, la prudence
est une vertu cardinale .
Si l' on peut effectivement faire un reproche à la politique
américaine, c' est de ne pas suffisamment prendre en compte l' expérience et le
point de vue des autres .
Nul n' a le monopole d' avoir raison " .
Mais l' Amérique est aujourd'hui menacée par l' hubris .
Je reviendrai plus loin sur cette question, à propos de l'
unilatéralisme " .
Le rééquilibrage du système international
Dans l'immédiat, les attentats du 11 septembre ont provoqué
un rééquilibrage du système international .
Le trait principal, à mon sens , en est le renforcement des
États .
Cela peut surprendre à une époque où l' on s' inquiète
surtout de la dissolution des notions de territoire ou de souveraineté .
Le paradoxe n' est qu' apparent, car il s' agit justement d'
empêcher que le monde ne s' enfonce dans le chaos d' une mondialisation des
tribalismes .
La Russie
Le renforcement des États est manifeste dans ce que l'
on peut appeler le retour de la Russie, un phénomène amorcé en fait, comme
bien d'autres, avant le 11 septembre .
Sur le plan intérieur, Vladimir Poutine est parvenu à
redresser l' autorité du gouvernement central en reprenant largement en
mains les " sujets " de la Fédération, en limitant l' emprise des "
oligarques ", et en prenant ses distances vis-à-vis de la " famille " ( c'
est-à-dire du clan Eltsine ), quitte à prêter le flanc à la critique du
point de vue des pratiques démocratiques occidentales contemporaines .
Il faut insister sur le dernier mot, car, encore à
l'époque de le général de Gaulle, en France, le ministre de l' Information
surveillait la télévision de très près .
Dès le mois d' août 2001, au moment de le voyage de
Condoleezza Rice à Moscou, on pouvait déceler les termes d' une nouvelle
donne américano-russe, la Russie se résignant à un élargissement de l'
Organisation du traité de l' Atlantique Nord ( OTAN ) s' étendant aux pays
Baltes ainsi que à l' abrogation du traité ABM ( Anti- Ballistic Missiles
Treaty ) de 1972, avec, en contrepartie, une main plus libre en Tchétchénie
et la perspective d' une adhésion à l' Organisation mondiale du commerce (
OMC ) .
Le 11 septembre, le président Poutine a instantanément
saisi les potentialités de la situation, et, au grand dam des conservateurs
néo-communistes, il a fait clairement le choix d' une sorte de "
Sainte-Alliance " avec les États-Unis .
Ce choix avait des fondements objectifs .
Depuis longtemps, déjà, Moscou s' efforçait de
convaincre les Occidentaux de l' existence d' une menace terroriste à grande
échelle d' origine islamiste et inscrivait le problème tchétchène dans cette
perspective, alors qu' Américains et Européens privilégiaient les droits de
l' homme comme unique grille de lecture .
On comprend aussi pourquoi les Russes ont pu finalement
trouver un intérêt au principe d' une défense antimissile essentiellement
dirigée contre les " nouvelles menaces " liées au phénomène terroriste .
C' est pour la même raison que, dans les mois suivants,
le Kremlin n' a pas cherché à s' opposer au déploiement de forces
américaines au Caucase et en Asie centrale - ce qui, naguère encore, était à
peine concevable .
L' équipe de Poutine est parvenue à la conclusion que,
dans la situation économique difficile que traverse durablement le pays, ces
déploiements pouvaient utilement contribuer à soulager l' effort de défense
.
Évidemment, il y a des limites à ce qui est acceptable,
et Moscou ne verrait pas d' un bon oeil un excès d' activisme américain dans
les anciennes républiques soviétiques concernées .
Mais le Kremlin compte à la fois sur le jugement des
dirigeants de ces pays et sur la vigilance de leurs autres voisins,
principalement la Chine et l' Iran .
L' avenir décidera de la pertinence de ces calculs
.
En ce qui concerne l' OTAN, les dirigeants de la Russie
croient désormais ou affectent de croire que, puisque la menace d' un
conflit traditionnel a disparu sur le théâtre européen, cette organisation a
d' autant plus perdu de sa pertinence qu' elle n' est guère adaptée au
phénomène du terrorisme .
Sincèrement ou non, ils jugent que le nouvel
élargissement, particulièrement aux pays baltes, sera pour l' OTAN davantage
une source de problèmes que de solutions .
Ils notent, comme les Européens eux -mêmes, que l'
Alliance atlantique ne joue plus qu' un rôle marginal dans la nouvelle
approche géostratégique américaine, si perspective d' une adhésion à l'
Organisation mondiale du commerce ( OMC ) .
Le 11 septembre, le président Poutine a instantanément
saisi les potentialités de la situation, et, au grand dam des conservateurs
néo-communistes, il a fait clairement le choix d' une sorte de "
Sainte-Alliance " avec les États-Unis .
Ce choix avait des fondements objectifs .
Depuis longtemps, déjà, Moscou s' efforçait de
convaincre les Occidentaux de l' existence d' une menace terroriste à grande
échelle d' origine islamiste et inscrivait le problème tchétchène dans cette
perspective, alors qu' Américains et Européens privilégiaient les droits de
l' homme comme unique grille de lecture .
On comprend aussi pourquoi les Russes ont pu finalement
trouver un intérêt au principe d' une défense antimissile essentiellement
dirigée contre les " nouvelles menaces " liées au phénomène terroriste .
C' est pour la même raison que, dans les mois suivants,
le Kremlin n' a pas cherché à s' opposer au déploiement de forces
américaines au Caucase et en Asie centrale - ce qui, naguère encore, était à
peine concevable .
L' équipe de Poutine est parvenue à la conclusion que,
dans la situation économique difficile que traverse durablement le pays, ces
déploiements pouvaient utilement contribuer à soulager l' effort de défense
.
Évidemment, il y a des limites à ce qui est acceptable,
et Moscou ne verrait pas d' un bon oeil un excès d' activisme américain dans
les anciennes républiques soviétiques concernées .
Mais le Kremlin compte à la fois sur le jugement des
dirigeants de ces pays et sur la vigilance de leurs autres voisins,
principalement la Chine et l' Iran .
L' avenir décidera de la pertinence de ces calculs
.
En ce qui concerne l' OTAN, les dirigeants de la Russie
croient désormais ou affectent de croire que, puisque la menace d' un
conflit traditionnel a disparu sur le théâtre européen, cette organisation a
d' autant plus perdu de sa pertinence qu' elle n' est guère adaptée au
phénomène du terrorisme .
Sincèrement ou non, ils jugent que le nouvel
élargissement, particulièrement aux pays baltes, sera pour l' OTAN davantage
une source de problèmes que de solutions .
Ils notent, comme les Européens eux -mêmes, que l'
Alliance atlantique ne joue plus qu' un rôle marginal dans la nouvelle
approche géostratégique américaine, si ce n' est qu' elle demeure, sur le
plan politique, le principal forum de sécurité transatlantique .
À cet égard, ils attachent une grande importance à la
revalorisation des relations entre l' OTAN et la Russie .
Celle -ci s' est manifestée, en mai 2002, par l' entrée
en vigueur d' un nouveau Conseil OTAN-Russie, en même temps que un accord
sur la réduction des deux tiers des arsenaux nucléaires des deux anciennes
superpuissances .
Désormais, la Russie dispose, non pas d' un droit de
veto, mais d' une voix significative au sein de l' organisation .
On doit certes toujours se souvenir de ce mot de
Bismarck : " La Russie n' est jamais ni aussi forte ni aussi faible qu' il
n' y paraît . " Il n' empêche que, dans le contexte actuel, tous ces
résultats de la diplomatie du Kremlin sont assez remarquables .
Mieux encore : grâce au choix de Poutine le 11
septembre, Bush, né à les relations internationales après la guerre froide ,
et qui dit considérer son partenaire moscovite comme " un homme moderne " ,
a définitivement enterré la hache de guerre .
La guerre froide est vraiment " terminée " .
Anticipant sur l' avenir, Américains et Européens ont
décidé de reconnaître à la Russie le statut d' économie de marché, lui
ouvrant ainsi effectivement la perspective d' une prochaine adhésion à l'
OMC . Pour couronner le tout, lors de la réunion de Kananaskis ( Canada ), à
la fin de le mois de juin, la Russie s' est vu offrir - en même temps que
des engagements financiers importants pour renforcer la sécurité de ses
armements nucléaires - un fauteuil à part entière au G8, qui, désormais,
mérite pleinement son sigle .
Enfin, aussi bien les Américains que les Européens
envisagent dorénavant le partenariat énergétique avec la Russie de manière
plus constructive, avec moins d' arrière-pensées .
Dans leur évaluation des risques, les premiers ne sont
désormais pas loin de considérer que la Russie est plus sûre que le
Moyen-Orient .
Le développement de l' industrie du pétrole et de le gaz
est au centre de la stratégie de reconstruction économique de Moscou .
Dans ces conditions, c' est toute la géopolitique du
Moyen-Orient, mais aussi celle du Caucase et de l' Asie centrale - laquelle
est au centre de les préoccupations de l' Administration américaine, et
d'abord du vice-président Dick Cheney, dont on connaît le rôle auprès de
George W.Bush - qui vont se trouver modifiées .
La Chine
Quoique de façon moins spectaculaire que la Russie, la
République populaire de Chine ( RPC ) n' a pas, elle non plus, hésité à se
joindre à la Sainte-Alliance .
L' annonce en a été faite à l'occasion de une réunion au
sommet du Forum de coopération économique Asie-Pacifique ( APEC ), à
Shanghai, quelques semaines après les attentats .
Là encore, le rapprochement avec les États-Unis était en
fait entamé avant le 11 septembre, après des relations difficiles pendant
les premiers mois de la présidence de George W. Bush, celui -ci n' ayant pas
encore décidé s' il devait considérer l' empire du Milieu comme un
partenaire ou comme le futur rival ou adversaire à la place de la défunte
URSS . Certes, la Russie a des raisons plus solides que la Chine de vouloir
s' ancrer à l' Occident .
Plus de 85 % de sa population vit à l' ouest de l'
Oural, et la petite vingtaine de millions d' habitants répartie dans les
extrémités de l' est se trouve bien isolée face à l' Asie surpeuplée .
De plus, bien que la culture russe soit profondément
singulière, elle se rattache évidemment davantage à l' Europe qu' à l' Asie
.
Mais la Chine avait deux raisons principales d' affirmer
sa solidarité avec les États-Unis au lendemain du 11 septembre .
D'une part, elle doit faire face à ses propres problèmes
de minorité, essentiellement au Xinjiang et au Tibet .
Un peu comme la Russie à le Caucase , elle espère
désormais davantage de compréhension du côté occidental .
D'autre part, et là encore comme la Russie, quoique dans
des conditions tout à fait différentes, la Chine entend se consacrer
durablement à son développement économique et à la solution des immenses
problèmes sociaux qui en résultent, et préparer ainsi la " quatrième
modernisation ", celle de la démocratie .
Pour cela, il faut minimiser les occasions de conflits
extérieurs .
Une bonne entente avec les États-Unis est donc cruciale
.
En pratique, Pékin a joué un rôle déterminant auprès de
Islamabad, après le 11 septembre .
Les deux pays, qui forment une alliance de revers par
rapport à l' Inde , sont en effet très proches et leur lien a survécu aux
vicissitudes de l' histoire du second XXe siècle .
En faisant pression sur le général Moucharraf pour que
celui -ci lâche les Talibans ( dont les systèmes de commandement dépendaient
de les Pakistanais ) et accepte de coopérer avec les États-Unis, la RPC a
apporté sa contribution à la victoire de George W.Bush contre le régime du
mollah Omar .
Avant même le 11 septembre, le spectre d' une alliance
sino-russe aux dépens de les Occidentaux avait par ailleurs été écarté .
Certes, les deux pays avaient signé, en juillet 2001, un
traité d' amitié et de coopération pour 20ans .
Pareil traité se justifie en soi, étant donné les
priorités des uns et des autres .
Sitôt signé, Vladimir Poutine avait pris soin de
déclarer qu' il n' y aurait pas d' alliance anti américaine avec la Chine .
La question pouvait se poser à l'époque .
Depuis le 11 septembre, elle est devenue complètement
caduque .
Le Pakistan
Les relations entre les grands pays du Nord étant ainsi
affermies , la question-clef de le Pakistan se présente sous de meilleurs
auspices .
Question-clef, car, depuis la partition de 1947, et même
après l' indépendance du Bangladesh, en 1971, on s' interroge sur la
viabilité d' une unité politique particulièrement fragile, en raison de ses
nombreuses et importantes fractures internes .
Sur le plan idéologique, les Occidentaux n' ont jamais
manifesté de sympathie pour un pays qu' ils comprennent mal et dont les
gouvernements démocratiques - ou d' apparence démocratique - sont
régulièrement balayés par des coups d' État, le dernier en date étant celui
qui a porté le général Moucharraf au pouvoir en octobre 1999 .
À tort ou à raison, beaucoup d' observateurs pensent que
l' unité du Pakistan ne tient qu' à l' existence de la tension avec l' Inde
à propos de le Cachemire, laquelle servirait à justifier l' ampleur et le
rôle des forces armées, en particulier le niveau élevé du budget de défense
.
Comme en Inde, l' accès à l' arme nucléaire a été une
préoccupation constante des militaires pakistanais, et, dans les années
1970, alors que l' Inde s' activait avec succès dans cette direction, on
agitait déjà le spectre de la " bombe islamique " .
La crainte de cette " bombe islamique " a d'ailleurs
joué un rôle décisif dans la politique de non prolifération de l'
Administration Carter, à laquelle la France, auparavant laxiste dans ce
domaine, s' est ralliée sous l' autorité du président Giscard d' Estaing .
Malgré tous les efforts pour les en empêcher, Indiens et
Pakistanais sont parvenus à leurs fins .
La victoire des nationalistes hindous en 1998 a mis en
quelque sorte le feu aux poudres .
En procédant à des essais nucléaires, l' Inde a brisé le
tabou, et le Pakistan lui a aussitôt emboîté le pas .
Concrètement, la question se posait au lendemain du 11
septembre de savoir si le général Moucharraf contrôlait effectivement son
pays .
Jusqu' à quel point, se demandait -on comme naguère à
propos de l' Algérie, l' armée était -elle noyautée par les forces
islamistes, en particulier par Al-Qaida ?
Dans quelle mesure le gouvernement pouvait -il contrôler
l' ISI ( Inter Service Intelligence ), c' est-à-dire la puissante
organisation de services secrets à laquelle on impute aussi bien l'
invention " des Talibans que l' entretien de la guerre au Cachemire ?
Peut-être Ben Laden a -t-il spéculé sur la fragilité du
Pakistan : en attirant les Américains dans le piège pachtoune, le pays n'
allait -il pas se casser ?
Al-Qaida n' allait -elle pas mettre la main sur l' ISI
et sur la bombe ?
Si tel a bien été le calcul, il a été déjoué, en tout
cas jusqu' à ce jour, et ce, au moins pour trois raisons .
Sans doute_NEW_ l' armée est -elle moins " noyautée " et
l' ISI moins autonome qu' on ne le pense .
De plus, toutes les pressions internationales qui se
sont exercées sur le général Moucharraf ont pointé dans la même direction .
Enfin, celui -ci a réagi en homme d' État, avec
sang-froid et courage .
Dans un discours de janvier 2002, il n' a pas hésité à
se prononcer clairement pour un État de droit .
Cela dit, la question fondamentale de la fragilité du
Pakistan demeure .
Moucharraf a lâché les Talibans .
Il est cependant probable que les réseaux d' Al-Qaida
sont encore actifs sur le territoire pakistanais .
Peut-être Ben Laden et le mollah Omar y vivent -ils
cachés .
Mais tout indique que ce lâchage n' est pas une duperie
.
Il semble également que le général-président coopère
avec les États-Unis pour que la " bombe islamique " ne tombe pas entre les
mains des islamistes .
Mais le général peut -il se permettre de céder aussi sur
le Cachemire sans risque de saper le pouvoir qu' il est jusqu'ici parvenu à
maintenir ?
Comme l' affaire israélo-palestinienne, la question du
Cachemire est de celles qui paraissent simples quand on les considère de
loin et sans passion, et deviennent inextricables lorsque l' on s' en
rapproche, a fortiori lorsque l' on y est engagé émotionnellement .
du point de vue de Sirius, le dossier pakistanais est
plutôt convaincant, puisque, après la partition, le rattachement du
Cachemire à l' Inde n' a tenu qu' à la décision d' un maharadja sans doute
manipulé, alors que la raison démographique ou géographique aurait conduit à
l' autre branche de l' alternative .
Depuis 1947, le désaccord sur le Cachemire est la
manifestation vivante du drame d' une séparation jamais complètement
acceptée du côté indien .
La victoire du BJP ( Parti du peuple indien ) et de le
nationaliste Atal Bihari Vajpayee , en mars 1998 , a ravivé des braises
jamais éteintes, d' autant plus que le nouveau Premier ministre a fait
procéder, comme on l' a rappelé, à des essais nucléaires .
L' ISI est -il à l'origine des attentats contre le
Parlement de New Delhi, en décembre 2001, et au Cachemire ?
Et s' il en est ainsi, comme on peut l' imaginer, jusqu'
à quel point le général Moucharraf lui -même a -t-il été obligé de
participer à les décisions ?
En tout cas, la tension n' a cessé de monter au fil des
mois .
au printemps, Washington avait toutes les raisons de
craindre que le Pakistan ne dégarnisse sa frontière avec l' Afghanistan,
pour redéployer les forces en direction de l' Himalaya .
Pour les États-Unis, il est clair que la question du
Cachemire est devenue cruciale puisqu' un dérapage pourrait y avoir des
conséquences catastrophiques pour la lutte contre Al-Qaida .
Imagine-ton, dans le contexte actuel, le retentissement
d' un échange nucléaire entre les deux frères séparés ?
C' est pourquoi le président Bush a dépêché dans la
région son ministre de la Défense, Donald Rumsfeld ( en juin ) .
Mais Washington ne saurait se contenter d' ordonner à
Islamabad d' empêcher les attentats au Cachemire .
Qu' on le veuille ou non, il y a terrorisme et
terrorisme, et une bonne stratégie antiterroriste n' est possible que sur la
base de une juste analyse des causes de tels actes .
En fait, dans la vaste révision d' ensemble de leur
politique étrangère, les États-Unis sont désormais obligés de trouver une
voie pour, à la fois, renforcer les liens avec l' Inde ( d'autant que de
graves problèmes risquent de surgir au Népal où sévit un mouvement
révolutionnaire " maoïste " ) et avec le Pakistan, dont le maintien de l'
unité revêt désormais un caractère vital .
En particulier, la superpuissance ne peut éviter de s'
interposer dans le conflit du Cachemire, pas plus qu' elle ne peut laisser
Israéliens et Palestiniens face à face .
du temps de la guerre froide, le jeu régional était
dominé par le croisement de deux alliances implicites, celle entre l' Union
soviétique et l' Inde, et celle entre les États-Unis et le Pakistan, que
venait compliquer le facteur chinois .
Dorénavant, la recherche d' un modus vivendi, sinon d'
une réconciliation, entre les frères séparés est devenu une priorité .
Là comme ailleurs, on peut prévoir que le réalisme va,
au moins pour un temps, l' emporter sur l' idéologie : mieux vaut, dans
l'immédiat, un Pakistan effectivement gouverné par un régime autoritaire,
mais un État solide participant activement à la Sainte-Alliance, qu' un
Pakistan théoriquement démocratique mais corrompu, impuissant et, en
définitive, friable .
L' Europe face à son destin
Face à ces événements, l' Europe n' apparaît pas grandie .
Certes, l' immense majorité des Européens a fortement
ressenti l' émotion si bien traduite dans un article rédigé à chaud par le
directeur du journal Le Monde, Jean-Marie Colombani, et commençant par cette
phrase : " Dans ce moment tragique où les mots paraissent si pauvres pour dire
le choc que l' on ressent, la première chose qui vient à l' esprit est celle -ci
: nous sommes tous Américains ! " Mais, en politique, les émotions ne dominent
pas durablement la scène .
George W.Bush a rapidement signifié que les États-Unis
entendaient régler seuls leur querelle, et que, dans la guerre contre Al-Qaida,
ils n' attendaient des Européens que des concours ponctuels, lesquels ne leur
ont pas été marchandés .
Certes, sur l' insistance de Lord Robertson, le 12
septembre, l' OTAN a décidé d' activer le fameux article du traité de l'
Atlantique Nord, mais il ne pouvait s' agir que d' un symbole dont l' impact fut
à peu près nul .
À long terme cependant, la coopération des États européens
est indispensable, comme l' est celle des États-Unis, pour toutes les questions
déjà évoquées ici, telles que le renseignement, la lutte contre le blanchiment
de l' argent, etc .
Dans l'immédiat et dans l' ordre des opérations militaires,
les Européens et l' Union européenne, en tant que telle , furent marginalisés .
On peut penser que tel aurait aussi été le cas si, au lieu
de s' en prendre au sol américain, Al-Qaida avait frappé des cibles sur le Vieux
Continent .
Et l' on peut craindre que tel serait le cas si pareille
tragédie devait se produire .
Il en est ainsi parce que notre Union ne s' est pas encore
dotée d' une véritable défense commune, ni au niveau de les procédures de
décision, ni au niveau de les moyens .
Ce n' est pas la seule raison .
Nécessité d' une politique extérieure commune
On ne saurait concevoir une politique de défense
réellement commune sans, parallèlement, une politique étrangère commune .
Il y a une trentaine d' années, on discutait gravement
de la notion d' Union économique et monétaire ( UEM ) et de la question de
savoir si l' union économique devait précéder l' union monétaire - ou
inversement .
Dans la réalité, on a fait les deux dans un même élan
stratégique .
Incidemment, il convient de saluer l' extraordinaire
succès du passage concret à l' euro, au début de l' année 2002, c'
est-à-dire la mise en circulation des billets et des pièces de la nouvelle
monnaie .
S' agissant de la politique étrangère et de sécurité
commune ( PESC ), il en ira nécessairement de même .
Certes, des petits pas significatifs ont été accomplis
dans la bonne direction, particulièrement depuis la rencontre
franco-britannique de Saint-Malo, en 1998, en ce qui concerne la défense ;
et, dans le domaine de la politique étrangère, on ne doit pas sous-estimer
les avancées .
Par exemple, en août 2001, Javier Solana , le Haut
représentant pour la PESC , a largement contribué à forger un arrangement
compliqué mais viable en Macédoine, qui a abouti au désarmement de la
guérilla albanaise .
L' Union européenne s' apprête également à assumer les
responsabilités de l' OTAN au Kosovo .
Elle a agi de façon cohérente vis-à-vis de l'
ex-Yougoslavie, dont le dernier avatar est une nouvelle fédération entre la
Serbie et le Monténégro .
Peut-être cependant l' Union devrait -elle se montrer
plus active dans cette région, car les ressentiments demeurent chez les
Serbes, dont beaucoup suivent avec sympathie la pugnacité de Milosevic au
Tribunal pénal international pour l' ex-Yougoslavie de La Haye .
Dans l'état actuel des choses, l' Union européenne en
tant que telle reste incapable d' affirmer et de défendre ses intérêts les
plus fondamentaux, pour ne pas dire vitaux .
On prendra deux exemples : la Russie et le Proche ou
Moyen-Orient .
Il est géopolitiquement évident que, dans le contexte
post-soviétique, l' idée même d' Union européenne implique la formulation d'
un concept russo - euro - péen .
Les Russes y aspirent, car, dans cette phase très
perturbée de leur histoire, ils ressentent avec lucidité notre communauté de
destin .
Il existe désormais un Conseil OTAN-Russie et un G8,
mais pas encore de structure où l' Union européenne en tant que telle et la
Russie puissent débattre et discuter de leurs intérêts communs, par exemple
à propos de Kaliningrad .
Dès lors que la Lituanie entre dans l' Union, la
question du transit entre cette ville - dont on ne saurait remettre en cause
l' appartenance à la Fédération de Russie sans bousculer tout l' édifice mis
en place en 1990, au moment de la réunification allemande - et le reste du
pays devient en effet u
Quant au Proche et au Moyen-Orient, c' est, également
dans une perspective à long terme, une région d' intérêt vital pour l'
Europe, à cause de la géographie .
Qu' il s' agisse du conflit israélo-palestinien, de l'
Irak ou de l' Iran, ceux de les pays européens auxquels l' histoire a
conféré un poids pour ces sujets raisonnent à peu près de la même façon .
Ils préconisent une approche plus équilibrée entre
Israéliens et Palestiniens, une politique de containment vis-à-vis de l'
Irak, mais sans intervention militaire massive aussi longtemps que une
situation de légitime défense n' aura pas été établie, et une politique de
détente bien contrôlée à l'égard de l' Iran .
Dans les trois cas, les principaux pays européens
divergent beaucoup moins entre eux qu' entre chacun d' eux et les États-Unis
.
Mais, étant divisés pour des raisons secondaires, ils en
sont réduits à un rôle supplétif - ce qui ne veut pas dire nul - par rapport
à les États-Unis et à des gestes dérisoires, comme de financer les
infrastructures de l' Autorité palestinienne avant d' assister, impuissants,
à leur destruction, puis sans doute d' être conviés à les financer de
nouveau .
La nécessité de s' adapter à un monde nouveau interdit
de renvoyer la question de la politique extérieure commune aux calendes
grecques .
Certes, pour que une unité politique puisse élaborer et
mettre en oeuvre une politique extérieure commune, il faut que cette unité
en soit effectivement une .
Or les arguments contraires ne manquent pas, et l'
existence de bureaucraties anciennes souvent pénétrées de leurs traditions,
au demeurant fort respectables, n' arrange pas les choses .
Pourtant, lorsque l' on regarde concrètement, et non
plus abstraitement, les grands enjeux planétaires, comment ne pas conclure à
la possibilité sinon à la nécessité d' une Union qui en soit une ?
J' ai développé ailleurs un parallèle entre la
construction européenne au sens de le processus en cours depuis maintenant
45ans, et la construction nationale telle qu' en parlait Ernest Renan .
Les deux aventures sont différentes mais se ressemblent
.
Il s' agit de traduire dans les faits, et donc d'abord
dans des institutions, un " vouloir vivre ensemble " fondé sur une
intelligence du passé et sur un projet commun .
Il est tentant, à propos de l' Europe, de transposer ce
cri de Massimo D' Azeglio, l'un des chefs modérés du Risorgimento, lors de
la première session du Parlement du royaume d' Italie nouvellement unifié :
" Nous avons fait l' Italie, maintenant nous devons faire les Italiens . " À
présent, la priorité est de faire l' Europe, avant de faire les Européens,
encore que la combinaison de la libre circulation et de l' euro y contribue
puissamment .
Le défi est principalement d' ordre institutionnel .
En décembre 2001, le Conseil européen de Laeken a décidé
de créer une Convention sur l' avenir de l' Union européenne, afin de
préparer la réforme des institutions, et de porter à sa tête l' ancien
président Valéry Giscard d' Estaing .
La tâche est immense et mérite le qualificatif d'
historique .
L' élargissement de l' Union est inscrit dans les faits,
et son hétérogénéité augmente .
Ainsi, au cours des derniers mois, a -t-on assisté à la
victoire des socialistes ( ex-communistes ) en Pologne, et à une remise en
cause des disciplines économiques et financières .
Une Union de plus en plus large , hétérogène et bancale
sur le plan institutionnel , serait vouée à l' éclatement .
Comment aboutir au contraire à une Union effectivement
large, mais cohérente et bien gouvernée ?
Tel est le défi que la Convention doit surmonter .
En attendant l' aboutissement de ses travaux, l' Europe
continuera d' être marginalisée dans les grandes affaires du monde .
Unilatéralisme américain ?
Ben Laden a -t-il spéculé sur un affaiblissement du moral de
l' Amérique après le 11 septembre ?
Si tel fut le cas, il s' est évidemment trompé .
La mobilisation patriotique a été extraordinaire et durable
.
La nation s' est massivement rangée derrière George W.Bush,
qui s' est ainsi trouvé une mission à la hauteur de l' Histoire .
Sa popularité, qui commençait à fléchir au milieu de 2001 ,
est brusquement remontée pour atteindre des sommets sans précédents depuis
Franklin D.Roosevelt .
Pendant des mois, la " guerre contre le terrorisme " aura
été le principal sinon l' unique objet de ses préoccupations et aura servi de
sésame pour tenter de restaurer une autorité présidentielle sévèrement affaiblie
depuis le Watergate, au début de les années 1970 .
C' est seulement à l'approche de les mid-term elections de
novembre 2002 que la petite politique tend à reprendre le dessus, au moins de
manière apparente car elle n' a jamais vraiment disparu .
Le peuple américain a donc remarquablement réagi, mais, au
moins sur un plan, avec une certaine naïveté collective .
D' où vient, demande en effet l' homme de la rue depuis le
11 septembre, " qu' on ne nous aime pas et même qu' on nous haïsse à ce point "
?
L' un des traits de la culture américaine auquel
participent aussi bien les citoyens fraîchement naturalisés , et qui constitue
une force autant que une faiblesse , est en effet cette modalité d'
ethnocentrisme selon laquelle on affirme de bonne foi l' universalité et donc la
supériorité absolue de sa culture .
L' immense majorité des Américains, dont George W.Bush est à
cet égard un représentant exemplaire , ne doutent pas que le " modèle américain
" soit l' horizon indépassable pour tout habitant de notre planète .
Et lorsque des voix contraires parviennent à se faire
entendre, on les ignore ou on les attribue à des forces obscurantistes .
Tel est souvent le cas dans les conférences internationales
où les pays du Tiers-Monde disposent d' un siège à part entière, comme à la
conférence mondiale contre le racisme et les discriminations, réunie à Durban
quelques jours seulement avant les attentats .
On y assista à une véritable levée de boucliers contre la
prétention des Occidentaux à imposer leurs valeurs et contre leur hypocrisie,
puisqu' ils utilisent souvent, en pratique, deux poids et deux mesures .
Certes, à Durban, les États-Unis ont fait une concession à
l' air du temps en acceptant de s' excuser " pour l' esclavage .
Ils n' en ont pas moins, avec Israël, claqué la porte le 3
septembre, lorsque l' accusation de racisme a été retournée contre eux .
Évidemment, la bonne conscience américaine suscite de l'
animosité et même de la haine, lorsque, dans l' exercice de la politique
extérieure, elle se conjugue à la force au sens le plus large du terme .
Tout ceci n' explique pas directement Ben Laden, et le
justifie encore moins, pas plus que des considérations purement sociologiques
suffiraient à expliquer Hitler .
Mais il y a toujours des diables d' homme parmi les hommes .
Ben Laden en est un, et il a su exploiter un anti
occidentalisme, et particulièrement un anti américanisme, dont les racines s'
étaient sourdement étendues depuis la chute de l' URSS, cependant que les
vainqueurs de la guerre froide projetaient leurs rêves sonores sur la fin de l'
histoire .
La politique étrangère des États-Unis reflète nécessairement
l' universalisme ethnocentrique inhérent à ce pays .
Dans ce domaine comme dans d'autres, la forme et le fond
sont intimement liés, mais l'un ne détermine pas entièrement l' autre .
De ce point de vue, le style très direct et même abrupt du
président George W.Bush convient incontestablement mieux à l' intérieur qu' à l'
extérieur de son pays .
On dirait que le 43e président s' ingénie à heurter les
Barbares .
Les Barbares, ce sont les autres, de même que les Arabes
distinguent la " terre de l' islam " ( Dar al Islam ) et la " terre de la guerre
" ( Dar al Harb ) .
Parmi les manifestations les plus récentes de cette forme de
violence, on notera le conflit sur l' acier, mais surtout le rejet catégorique
et sans nuance de la Cour pénale internationale et, début juillet, le coup de
force américain au Conseil de sécurité des Nations unies ( chantage sur la
prorogation du mandat de la Mission des Nations unies en Bosnie-Herzégovine (
MINUBH ) ) pour modifier le statut de la Cour à leur convenance .
Isolée, Washington a dû renoncer à certaines de ses
exigences et accepter un compromis .
Mais ni le droit international, ni le Conseil de sécurité n'
en sont sortis totalement indemnes .
À force de répétition, ce type de comportement ne contribue
pas à atténuer les effets de ce qui est ressenti par le reste du monde comme de
l' arrogance .
Or, la première puissance mondiale est simplement
convaincue de son bon droit, sa Constitution et son Bill of Rights l' emportant,
pour elle, sur les lois internationales .
Sur le fond, la politique extérieure américaine manifeste
structurellement une méfiance profonde vis-à-vis des institutions
internationales et, plus généralement, du " multilatéralisme " .
Les Français sont bien placés pour le comprendre, car le
temps n' est pas si loin où le général de Gaulle qualifiait l' ONU de " machin "
.
La France s' est progressivement accoutumée à cette nouvelle
forme de diplomatie, d'une part parce que elle participe de l' essence du
processus européen, et d'autre part en raison de la diminution du poids relatif
de notre pays dans le monde .
De nos jours, les Américains ont parfois tendance à voir
dans l' ONU une machine de guerre à leur encontre .
Ils tolèrent mal le partage de la décision au sein de l'
OTAN, comme on l' a constaté en 1999, à l'occasion de les opérations contre la
Serbie de Milosevic, où le général Clark n' a cessé de se plaindre de ne pas
avoir les coudées suffisamment franches .
Les événements du 11 septembre ont certes conduit les
États-Unis, par mesure de précaution, à régler leurs arriérés de paiement à l'
ONU . Ils ont également favorisé, comme on l' a vu, l' aboutissement d' un
accord avec la Russie sur le désarmement nucléaire .
Mais, en ce qui concerne les Nations unies, une mesure
tactique n' est pas un changement de stratégie .
Quant à la nouvelle relation avec la Russie, elle ne traduit
d'aucune manière un retour à la philosophie de l' arms control ", élaborée et
mise en oeuvre pendant la période soviétique .
Ce que l' on appelle " unilatéralisme " , c' est d'abord le
rejet du multilatéralisme institutionnalisé, qu' il convient de distinguer du "
multilatéralisme à la carte ", nouvelle dénomination mise à la mode par Richard
Haass, le directeur du Policy Planning Staff du département d' État .
Il s' agit là d' une dénomination équivoque, car elle ne
vise que les coalitions de circonstance .
Le rejet n' est pas total : les États-Unis ont appris à s'
accommoder de l' OMC . Mais il l' est pour ce qui concerne les grandes affaires
politiques .
Sur ce point, l' immense État américain n' a pas de meilleur
allié que le petit État israélien, lequel, typiquement, a signé le traité créant
la Cour pénale internationale en décembre 2000, mais n' est pas près de le
ratifier, la CPI étant d'avance soupçonnée d' impartialité, malgré toutes les
précautions prises .
Cela dit, la question du multilatéralisme, dans l' état
actuel des relations internationales, ne se pose pas en termes de tout ou rien .
Les grands États ( grands par la superficie et la population
comme la Chine , l' Inde ou même la Russie ), dont la situation le leur permet ,
s' efforcent autant que possible d' en rester à la diplomatie bilatérale
traditionnelle .
Quand on parle de l' unilatéralisme américain, c' est aussi,
plus spécifiquement, à la nature de leurs relations avec leurs alliés que l' on
pense .
À l' époque de la guerre froide, dans le cadre de l'
Alliance atlantique, on débattait ad nauseam de l' équilibre ou plutôt du
déséquilibre du processus décisionnel au sein de l' organisation, et du contenu
de la notion de " consultation " entre le grand frère et les autres .
À présent, l' OTAN n' a plus la même centralité dans les
relations transatlantiques, et les questions naguère jugées périphériques
occupent le devant de la scène .
L' asymétrie n' en est que plus frappante .
Tel est le cas face à le conflit israélo-palestinien .
Après une phase initiale d' indifférence, due notamment à l'
échec de la politique de Bill Clinton, le nouveau président avait compris, dès
avant le 11 septembre, la nécessité de s' impliquer dans le dossier .
au lendemain des attentats, il a d'abord semblé vouloir
rééquilibrer la politique américaine en se prononçant explicitement, dès le
2octobre, puis le 10 novembre à l' Assemblée générale des Nations unies - ce qu'
aucun de ses prédécesseurs n' avait osé faire - en faveur de un État palestinien
.
En mars 2002, la résolution 1397 de le Conseil de sécurité
de l' ONU , introduite par les États-Unis , a affirmé une " vision de la région
où deux États, Israël et la Palestine, vivent côte à côte dans des frontières
sûres et reconnues " .
En pratique, cependant, George W.Bush a laissé les mains
libres à Ariel Sharon, allant même, après l' intervention pour le moins musclée
de Tsahal à Jénine, jusqu' à qualifier le chef du gouvernement israélien d'
homme de paix ", ce qui a dû surprendre l' intéressé lui -même .
À cette époque, le président avait demandé au Premier
ministre de retirer " sans délai " les troupes engagées dans les villes sous
autorité palestinienne, mais les délais ont été bien longs et le retrait
réversible .
Le 19avril, les États-Unis ont introduit la résolution 1405
du Conseil de sécurité, décidant de l' envoi d' une commission d' établissement
des faits " à Jénine ; puis ils ont changé d' avis et mis Kofi Annan dans une
situation fort embarrassante .
Washington a ensuite proposé l' ouverture d' une conférence
internationale sur le Moyen-Orient, mais la Maison-Blanche s' est aussitôt
employée à en minimiser la portée .
Le 24juin, le président ne l' a pas même mentionnée .
Dans son discours ce jour -là, il a subordonné tout progrès
vers la création d' un État palestinien au remplacement de Yasser Arafat,
ajoutant ce nom illustre à la liste des leaders arabo-musulmans dont les
États-Unis veulent la tête .
En fait, George W.Bush a oscillé au rythme de les nombreuses
visites d' Ariel Sharon .
Tous les observateurs voient dans cette attitude l' effet de
ce qu' outre-Atlantique on appelle les lobbies : lobby juif mais aussi lobby des
chrétiens conservateurs .
Ce sont ces mêmes lobbies qui ont fait campagne sur le thème
de la pusillanimité, voire de l' antisémitisme, des Européens en général, et des
Français en particulier, au point de provoquer l' étonnement du Conseil
représentatif des institutions juives de France ( CRIF ) et une vigoureuse
réaction du président Jacques Chirac .
Bush, quant à lui , songe aux élections de novembre 2002 .
Il veut que les républicains récupèrent une partie d' un
électorat traditionnellement acquis aux démocrates .
Ce que l' on appelle unilatéralisme , c' est aussi la
surdétermination de certains aspects cruciaux de la politique étrangère par la
politique intérieure .
du côté européen, on peut résumer l' attitude vis-à-vis du
conflit israélo-palestinien de la façon suivante : Arafat ne s' est pas montré à
la hauteur de l' Histoire depuis Camp David II, et la corruption de l' Autorité
palestinienne n' est pas douteuse ; mais la responsabilité de Sharon - qui s'
est toujours opposé aux plans de paix, que ce soit le traité avec l' Égypte ou
le processus d' Oslo, et qui s' est engouffré dans la brèche du 11 septembre en
présentant la guerre contre les Palestiniens comme une modalité de la grande
guerre contre le terrorisme - est non moins
Pour parvenir à la paix, la communauté internationale doit
mettre en oeuvre les moyens de pression considérables - positifs et négatifs -
dont elle dispose vis-à-vis des deux parties, lesquelles dépendent en effet
massivement de l' extérieur pour leur survie .
Pour atteindre un objectif final - sur lequel ils sont
aujourd'hui largement d' accord -, une action mieux coordonnée entre Américains
et Européens est nécessaire, les uns et les autres ayant vocation à être les
garants ultimes du maintien de la paix une fois rétablie, laquelle pourrait être
en particulier assurée par une force d' interposition présente sur le terrain
.
Sur un plan évidemment moins dramatique, la surdétermination
de la politique étrangère par la politique intérieure s' est également
manifestée, au cours de les derniers mois, sur le plan commercial .
En décidant brutalement de protéger par des barrières
tarifaires le secteur sidérurgique, en perdition parce que il n' a pas su
entreprendre les restructurations nécessaires, et d' augmenter massivement les
subventions aux agriculteurs, le président Bush est allé à l'encontre de la
politique de libre-échange dont il avait fait un axe majeur de son projet
initial, quitte à susciter l' ire de plusieurs de ses partenaires étrangers, et
même celle d' une partie de la droite républicaine bien représentée par le Wall
Street Journal .
Mais il n' en a cure .
Dans les deux cas, les décisions ont été prises
exclusivement en fonction de considérations électorales, à charge pour le
talentueux représentant pour le Commerce, Robert Zoellick, de défendre
imperturbablement l' indéfendable en bâtissant un discours dont il ne croit
probablement pas un mot .
Les États-Unis se sont cependant engagés dans un nouveau
cycle de négociations commerciales multilatérales à Doha, et, en décembre 2001,
le président a obtenu, par une voix de majorité à la Chambre des représentants,
un vote favorable pour la Trade Promotion Authority ( TPA ), auparavant appelée
Fast Track, laquelle doit donner à l' exécutif des moyens de négocier des
compromis .
Pour conclure ces remarques complémentaires sur la politique
extérieure américaine depuis le 11 septembre, on ajoutera quelques mots sur l'
Amérique latine .
Au début de sa présidence, George W.Bush , qui est texan ,
avait fait une priorité de la constitution d' une zone de libre-échange couvrant
l' ensemble du continent .
Peut-être aurait -il activement poursuivi ce but si les
circonstances n' avaient durablement détourné son attention .
Dans la pratique, la politique latino-américaine de la
nouvelle Administration, conduite par Otto Reich , une personnalité très
controversée qui n' a été confirmée toujours pas par le Sénat , suscite des
interrogations .
D' un côté, il semble bien que les États-Unis n' aient pas
été étrangers à la tentative de coup d' État contre le président vénézuélien
Hugo Chavez, dont le populisme a tout pour leur déplaire .
Cette tentative a échoué .
De l' autre, Washington a complètement laissé tomber l'
Argentine, dont une fraction importante de la population s' enfonce dans la
misère .
On dirait que, pour Washington, aujourd'hui, contrairement à
un pays dont les difficultés économiques sont également sévères comme la
Turquie, la valeur géopolitique de la carte argentine est nulle .
Si Buenos Aires veut 0 de l' aide , il faut d'abord réformer
.
Et si aucun des gouvernements qui y s' succèdent n' y
parvient, advienne que pourra .
Sur quelle configuration le chaos argentin peut -il
déboucher ?
Quel type d' événements serait de nature à forcer Washington
à réagir ?
Autant de questions sur lesquelles on ne peut,
actuellement, que spéculer .
Dans l'immédiat, ni aux États-Unis, ni au Brésil, on ne
semble craindre la propagation d' une crise considérée comme très spécifique .
La défiance des marchés financiers à l'égard de le Brésil
tient davantage à l' incertitude qui entoure la succession du président Fernando
Henrique Cardoso .
En introduction du précédent RAMSES, j' avais retenu pour
commencer le thème du ralentissement économique .
Un an plus tard, alors qu' elle a subi deux chocs
supplémentaires, l' économie mondiale résiste .
Le premier choc, celui de le 11 septembre , a été
remarquablement absorbé, malgré son effet direct sur d' importants secteurs d'
activités, comme les transports aériens ou les assurances, et son effet indirect
sur la consommation des ménages aux États-Unis .
Un mois à peine après les attentats, la bourse de New York a
pu rouvrir avec succès, malgré la désorganisation de Wall Street .
Le second choc fut l' affaire Enron et celles qui s'
ensuivirent .
Cette fois, c' est la confiance dans la bonne gouvernance du
système capitaliste qui s' est trouvée gravement ébranlée .
En fait, en moins de deux ans, trois mythes particulièrement
porteurs se sont évaporés : les cycles économiques avaient disparu, l' Amérique
était invulnérable, et la concurrence avait atteint un tel degré de perfection
que le marché attribuait sa vraie valeur à chaque entreprise .
L' attitude péremptoire des thuriféraires de la
mondialisation qui déclinaient ces mythes sans exprimer la moindre réserve a
d'ailleurs contribué à susciter des réactions parfois excessives mais souvent
salutaires .
En tout cas, il a fallu se résoudre à reconnaître que l' on
n' en avait pas fini avec les cycles, et qu' à l'aube d' une nouvelle révolution
industrielle, de grandes entreprises peuvent commettre de grandes erreurs .
La puissante Amérique a été ensanglantée dans deux de ses
symboles, et elle sait maintenant que elle vit à l' ombre d' une épée de
Damoclès .
Enfin, l' opprobre est brusquement jeté sur le capitalisme,
que l' on disait transparent grâce à les analystes financiers, aux agences de
notation et naturellement aux sociétés d' audit .
Il n' est pas surprenant, dans ces conditions, que les
bourses se soient trouvées malmenées, avec des mouvements de grande ampleur .
L' une des raisons pour lesquelles l' économie réelle n' a
pas , jusqu'à présent , davantage souffert de le faisceau de les circonstances
défavorables est l' efficacité de la coopération entre les banques centrales,
déterminante dans les périodes critiques .
Cela dit, si la crise boursière devait s' aggraver, on voit
mal comment l' économie réelle ne finirait pas par en être affectée .
Le moindre indice favorable ou défavorable sur la croissance
de l' activité à les États-Unis suscite une réaction excessive des marchés,
extrêmement nerveux .
L' incertitude est lourde à court terme .
À moyen et long terme, les raisons d' optimisme ne manquent
pas .
La révolution des technologies de l' information n' a pas
été abolie par les faux pas de certaines entreprises, et, d' une manière
générale, comme l' a si bien démontré Schumpeter dans son ouvrage célèbre
Capitalisme, socialisme et démocratie, le capitalisme survit en s' adaptant et
en se transformant sans cesse .
Quant aux États-Unis, ils ont déjà prouvé qu' aucun Al-Qaida
n' était près de les mettre à genoux .
Cela dit, la prévision est l' art le plus frustrant .
La mondialisation nous réserve sûrement bien d'autres "
surprises " .
Dans un essai aussi concis que brillant où elle soutient que
le monde est déjà devenu chaotique, Thérèse Delpech manifeste un pessimisme
excessif à mes yeux, mais elle trouve le mot juste en disant que le " phénomène
de surprise stratégique pourrait à lui seul caractériser la période qui s' ouvre
" .
La plus étonnante des surprises stratégiques, dans la
première année de le siècle , sera venue d' une grotte quelque part en
Afghanistan .
TITRE : Les Etats-Unis face à leur dépendance pétrolière
AUTEUR : PIERRE NOËL
INTRODUCTION
En mai 2001, un groupe de hauts responsables de le
gouvernement fédéral , présidé par le Vice-Président Richard Cheney , rendait
public un rapport consacré à la politique énergétique des États-Unis .
Ce document, que nous désignerons comme le " rapport Cheney
" , présente un état des lieux de la situation énergétique du pays, dominé par
une tonalité pessimiste voire alarmiste, suivi d' un certain nombre de
propositions ou d' orientations pour l' action publique, susceptibles de
remédier aux problèmes identifiés .
Ce rapport peut être vu comme une manifestation éminente du
retour des affaires énergétiques sur le devant de la scène politique
outre-Atlantique, plus précisément des préoccupations de sécurité énergétique,
après une décennie dominée par les débats environnementaux .
La chute des prix du pétrole en 1998 , puis leur hausse
brutale et leur maintien à un niveau élevé en 1999 , 2000 et sur la première
moitié de 2001 , ont constitué le facteur déclenchant de ce regain d' intérêt .
En 2000, l' envolée des prix du gaz naturel sur le marché
américain , puis les ruptures d' approvisionnement électrique en Californie ,
ont fait du discours sur la " crise énergétique " un aspect incontournable du
débat politique américain .
A la différence des épisodes précédents ( 1973 - 74 , 1979 -
80 , 1990 - 91 ), la situation pétrolière ne constitue pas aujourd'hui l' unique
motif d' inquiétude et de mobilisation .
Elle en est toutefois une composante importante .
La forte hausse des prix des carburants fut très largement
interprétée comme le signe d' une crise structurelle, analysée en des termes
identiques à ceux entendus dix ans plus tôt lors de la crise du Golfe : l'
Amérique est trop " dépendante " de fournisseurs extérieurs, trop exposée à un
marché mondial " instable ", ce qui induit une menace permanente sur sa "
sécurité énergétique ", menace dont la crise récente ne serait que la dernière
manifestation, en annonçant d'autres .
Ce discours alarmiste est, depuis plusieurs mois,
considérablement atténué, les prix des carburants et du gaz naturel étant
revenus à leurs niveaux d' avant la " crise " .
Toutefois, les attentats du 11 septembre, l' action
militaire en Afghanistan , l' approfondissement de la crise
israelo-palestinienne et la volonté affichée d' une action militaire contre l'
Irak , ont contribué à alimenter le débat sur la " dépendance " pétrolière et la
gestion des approvisionnements, notamment au Congrès .
Cette étude prend prétexte de la " crise énergétique " de
2000-2001, du rapport Cheney et du débat sur la " dépendance pétrolière ", pour
présenter une réflexion critique sur la situation pétrolière des Etats-Unis, sa
perception dans les milieux politiques américains, et les politiques publiques
mises en oeuvre au cours de les dernières décennies .
La première section est consacrée à l' étude de l'
approvisionnement pétrolier des Etats-Unis : évolution de la demande, de la
production intérieure et des importations, de la structure géographique des
approvisionnements extérieurs .
L' approche choisie veut didactique .
On fait largement appel à des séries statistiques couvrant
un demi siècle ( 1949 - 2000 ), que l' on croise avec des analyses économiques
afin de faire clairement ressortir les tendances lourdes de l' approvisionnement
pétrolier des États-Unis, les grandes inflexions et leurs déterminants .
On évoque, lorsque c' est utile, l' évolution de la
situation pétrolière américaine d' ici 2020, telle qu' elle ressort de certains
exercices de prospective modélisée .
L' objectif général est de fournir des éléments d' analyse
permettant d' apprécier les marges de manoeuvre des politiques publiques en
matière pétrolière .
La principale conclusion de cette première section est qu'
elles sont beaucoup très limitées .
Dans la seconde section, on étudie le lien entre la
structure de l' approvisionnement pétrolier ( part des importations dans la
couverture de la demande, répartition géographique des approvisionnements
extérieurs ) et la sécurité énergétique des États-Unis .
On est amené à relativiser ce lien .
Dans l' étude de la politique pétrolière américaine sur
longue période, on est amené à mettre l' accent sur les orientations prises par
l' administration Reagan au début de les années 1980 .
Depuis ce " tournant ", les États-Unis ont une politique
pétrolière assez cohérente, centrée sur la libéralisation du marché intérieur,
la sécurisation et la construction du marché mondial .
L' objectif de cette politique n' est pas de réduire la "
dépendance ", mais au contraire de créer les conditions d' un recours massif et
inévitablement croissant aux approvisionnements extérieurs .
SECTION 1 .
L' APPROVISIONNEMENT PETROLIER DES ETATS-UNIS
La demande de pétrole aux États-Unis
Croissance de la demande : deux périodes
Au cours de l' année 2000, les États-Unis ont
consommé un peu plus de 7 milliards de barils de pétrole, soit 19,5
millions de barils par jour ( Mb / j ), un volume identique à celui de
1999 .
Il s' agit du plus haut niveau de demande pétrolière
de toute l' histoire américaine, le précédent " pic " ( 19 Mb / j )
ayant été atteint successivement en 1978 et 1998 ( Figure 1, p .
Ce volume représente plus de deux fois la production
saoudienne pour cette même année ( 9,1 Mb / j ), et le quart de la
consommation mondiale ( 74 Mb / j ) .
La demande de pétrole a plus que triplé depuis le
début des années cinquante ( Figure 2, p .
Mais cette progression s' est faite en deux périodes
bien distinctes, que sépare la " crise pétrolière " des années
soixante-dix .
Le rythme de croissance de la consommation est
nettement plus faible au cours de la seconde période .
Entre 1949 et 1973, la croissance annuelle moyenne
est proche de 5 % ; entre 1985 et 2000, le taux de croissance annuel
moyen est de 1.5 % ( Figure 1, p .
Ce taux de croissance de la demande de pétrole
correspond à celui des autres pays de l' OCDE .
Forte baisse de l' intensité pétrolière du PIB
Pourtant, la croissance économique américaine a été
très soutenue entre 1985 et 2000, le PIB progressant à un rythme moyen (
3.3 % ) proche de le taux observé sur 1949 - 2000 ( 3.6 % ) .
Si la demande pétrolière a progressé à un rythme
nettement inférieur à la tendance historique, c' est que l' intensité
pétrolière du PIB américain a très fortement chuté à partir de la fin
des années soixante-dix .
Le " contenu en pétrole " d' un dollar de PIB réel ,
qui avait augmenté de 10 % entre 1949 et 1976 , a diminué de près de 55
% entre 1977 et 2000 ( Figure 3, p .
En dollars de 1996, un baril de pétrole générait 13
$ de PIB en 2000 contre 6,5 $ en 1973 .
La baisse de l' intensité énergétique et pétrolière
du PIB américain ne paraît pas devoir s' essouffler ; il semble même qu'
elle s' accélère depuis la fin des années 1990 .
La place du pétrole dans le bilan énergétique est
stable
La part de la consommation d' énergie primaire
couverte par le pétrole est pratiquement identique en 1949 et 2000, soit
un peu moins de 40 % ( Figure 4, p .
Cependant cette part avait augmenté de 10 points
entre 1949 et 1977, puis a chuté de près de 8 points entre 1977 et 1985
; elle est pratiquement stable depuis 1990 .
La structure de l' approvisionnement des États-Unis
en énergie primaire connaît une remarquable stabilité depuis la fin des
années quatre-vingt : le pétrole couvre 40 % des besoins, le gaz et le
charbon se partagent à parts égales environ 45 % de la demande, le
nucléaire et les renouvelables ( y compris l' hydroélectrique ) couvrant
chacun la moitié des 15 % restant .
Cela signifie que la demande pour chacune de ces
sources d' énergie croît à peu près au même rythme que la demande totale
d' énergie primaire .
La demande se concentre sur les usages captifs,
notamment le transport
Si la part du pétrole dans l' approvisionnement
énergétique est relativement stable sur les 50 dernières années, la
structure de la consommation pétrolière s' est déformée au cours de le
temps, en particulier à partir de la fin des années soixante-dix .
Le secteur des transports est devenu le principal
moteur de la croissance de la demande de pétrole ( Figure 5, p .
Il est responsable de 73 % de l' augmentation de la
consommation entre 1949 et 2000, et de 85 % de cette augmentation entre
1985 et 2000 .
La part du transport dans la consommation pétrolière
augmente, passant de 54 % en 1978 à 67 % en 2000 ( Tableau 1, p .
Par contraste, la part du secteur industriel est
stable sur l' ensemble de la période, à environ 25 % .
L' industrie est responsable d'une part décroissante
de l' augmentation de la demande : 26 % sur 1949 - 2000, 15 % sur
1980-2000 .
Les autres secteurs ( résidentiel , commercial , et
production d' électricité ) ont tendance à devenir marginaux : ils
représentaient 22 % de la demande en 1949, 21 % en 1978 et 8 % en 2000 ;
leur consommation est stable en valeur absolue depuis 1983, après avoir
baissé entre 1978 et 1982 .
La part de marché des produits pétroliers dans le
secteur de les transports semble, dans l' état actuel des technologies,
strictement insensible aux prix relatifs des énergies .
En d'autres termes, il s' agit d' un usage captif,
où le pétrole n' est pas substituable .
Comme le montre la Figure 6 ( p .
19 )_NEW_ la part de marché du pétrole dans ce
secteur tend vers 100 % .
Dans les autres secteurs au contraire, les produits
pétroliers ont été largement évincés : leur part dans les secteurs
résidentiel et commercial baisse dès les années soixante ; le fuel
disparaît pratiquement de la production d' électricité au cours de les
années quatre-vingt et quatre-vingt-dix .
Dans l' industrie, le pétrole a perdu 7 points de
part de marché depuis 1979 ( cette part étant revenue en 2000 à son
niveau de 1949 ) .
A l'avenir, la demande pétrolière américaine
continuera d' être principalement tirée par le secteur des transports
et, dans une mesure moindre, certains usages industriels dont la
pétrochimie .
Dans les autres secteurs, en particulier la
production d' électricité, le pétrole est devenu une source d' énergie
marginale .
Deux conséquences importantes en découlent :
Premièrement, aucune politique de stimulation de
l' offre énergétique non pétrolière ( relance 0 du nucléaire ou 0 du
charbon , développement des énergies renouvelables , ou autres ) n'
est susceptible de réduire significativement la croissance de la
demande de pétrole, qui tend à être concentrée sur ses usages
spécifiques .
En particulier, la croissance des besoins
énergétiques liés au transport se traduira nécessairement par une
augmentation de la demande de pétrole ;
Deuxièmement, les politiques de maîtrise de la
demande énergétique ne peuvent avoir qu' un impact limité sur la
demande de produits pétroliers sauf à modifier la consommation du
secteur des transports .
Dans ses usages non spécifiques, le pétrole a
déjà été évincé par des technologies plus performantes .
Il existe au moins deux leviers que pourraient
actionner les pouvoirs publics fédéraux pour peser sur la demande
énergétique liée au transport .
Le premier est d' augmenter les taxes sur les
carburants, qui se situent à un niveau six fois inférieur à la moyenne
des autres pays de l' OCDE . Cette mesure aurait un effet direct sur la
demande, via la modification des comportements - effet d' autant plus
important que l' on part d' une situation où les prix sont bas, donc où
les agents ne sont pas incités à rationaliser l' usage de leurs
véhicules .
Elle aurait également un effet indirect, l'
augmentation des prix des carburants introduisant une forte incitation
pour les constructeurs à proposer des véhicules plus sobres, donc à
réduire la demande pour un niveau et des modalités donnés d' utilisation
des véhicules .
Le second type de mesures envisageable consiste à
durcir les normes de consommation pour les véhicules neufs, qui n' ont
pas été modifiées depuis 1990 pour les véhicules de tourisme ( passenger
cars ), et 1996 pour les light trucks .
L' efficacité énergétique moyenne du parc automobile
américain s' était améliorée entre 1979 et 1991, mais stagne depuis
cette date ( Figure 7, p .
L' efficacité des véhicules neufs, tous types
confondus , est aujourd'hui au même niveau qu' en 1982 .
Les Américains utilisent de plus en plus, pour leurs
déplacements quotidiens, des light trucks et autres Sport Utility
Vehicles, dont la consommation moyenne est nettement supérieure aux
véhicules légers traditionnels, et qui sont soumis à des normes moins
sévères .
Cette modification structurelle du parc automobile a
largement compensé le renforcement ponctuel des normes de consommation
des véhicules légers .
Notons que l' effet d' un durcissement des normes
est conditionné par le rythme de renouvellement du parc, et que ce
dernier serait d' autant plus rapide que l' action sur les normes s'
accompagnerait d' une action sur les prix des carburants, dont la hausse
augmente l' incitation économique à se séparer des véhicules les moins
efficaces .
Les autres mesures possibles concernent le soutien
au développement et à la commercialisation de technologies alternatives
au moteur à explosion et / ou aux carburants pétroliers .
Le rapport Cheney n' envisage pas la possibilité d'
augmenter les taxes sur les carburants .
Cette question est extrêmement sensible aux
Etats-Unis .
Il semble que aucun responsable politique ne soit en
mesure de proposer leur relèvement, encore moins de lui faire franchir
l' obstacle du Congrès .
L' administration Clinton en fit l' expérience au
début de les années 90, qui vit un important projet de taxe sur toutes
les consommations d' énergie ( BTU tax ) laminé par le Congrès, pour n'
aboutir qu' à une modeste augmentation de la fiscalité sur les
carburants .
Le rapport évoque ( chapitre 4 ) la " révision " des
normes de consommation imposées aux constructeurs automobiles (
Corporate Average Fuel Economy Standards, ou CAFEs ) et l' objectif de
les fixer de manière " responsable ", en sorte d' augmenter l'
efficacité énergétique des véhicules " sans affecter négativement l'
industrie automobile " .
Un récent rapport de l' Académie des sciences a
proposé une amélioration du système en vigueur consistant à attribuer
aux constructeurs qui vont au-delà de la norme des " bons d' économie ",
qu' ils peuvent soit stocker, soit revendre aux constructeurs qui sont
en retard par rapport à la norme - chaque constructeur étant tenu soit
de respecter la norme, soit d' être en possession de bons d' économie
pour un montant équivalent à la différence entre sa performance
effective et la norme .
Ce système fonctionne sur le même principe que le
marché de droits à consommer du carburant ; il s' agit en fait d' un "
marché de droits à ne pas respecter les normes de consommation " .
Pour favoriser la pénétration des nouvelles
technologies, le rapport Cheney envisage un crédit d' impôt pour l'
acquisition de véhicules économes ( hybrides, piles à combustibles ) .
Le soutien au programme de piles à combustible pour
les bus est réaffirmé .
On évoque par ailleurs une gestion du trafic urbain
à base de instruments de marché ( type péage, ou permis de circulation
négociables ), qui tendent à faire supporter à l' automobiliste le vrai
coût de sa présence sur la route .
Il est évidemment très difficile, vu le niveau de
généralité du rapport Cheney, d' évaluer l' impact potentiel des mesures
destinées à infléchir la consommation de pétrole dans les transports .
De manière générale, toute augmentation
significative de le coût d' utilisation de l' automobile semble être
politiquement impossible aux États-Unis .
L' Administration Clinton avait dû abandonner ses
projets en la matière, tant la taxe sur la consommation énergétique que
le durcissement des normes de consommation .
Le recours aux services rendus par l' automobile
semble revêtir en Amérique une dimension éminemment culturelle .
La compréhension des contraintes spécifiques de la
politique énergétique américaine serait certainement améliorée par des
travaux de nature sociologique sur la place de la voiture ( et avec elle
du pétrole ) dans l' American way of life .
au plan économique, il est vrai que le relèvement
des prix des carburants porterait directement atteinte à la valeur des
actifs détenus par les agents, notamment les véhicules ( les choix d'
investissements ont été faits sur la base de anticipations de prix bas )
.
Il s' agit d' un problème très classique en économie
de la réglementation ( on parle de coûts " échoués " ) ; dans ce cas, il
est rendu particulièrement délicat politiquement du fait du montant des
actifs en jeu, et de l' importance du groupe social concerné ( les
propriétaires de véhicules automobiles ) .
au printemps 2002, le secrétaire à l' Energie,
Spencer Abraham , a levé les incertitudes du rapport Cheney quant à les
normes de consommation des véhicules, en annonçant officiellement à
Detroit ( capitale de l' industrie automobile américaine ) qu' elles ne
seraient pas relevées .
L' automobile semble être la pierre de touche de la
politique pétrolière américaine .
Pour le reste, ce pays n' a pas échappé à la
rationalisation des usages du pétrole et à l' éviction massive de cette
forme d' énergie, que l' on retrouve dans tous les pays de l' OCDE
.
L' approvisionnement du marché américain : production
intérieure et importations
Prix et coûts : la concurrence entre production
intérieure et pétrole importé
En 1949, les importations pétrolières des États-Unis
dépassaient pour la première fois leurs exportations .
Depuis cette date, la part du pétrole importé dans
la couverture des besoins des agents américains a augmenté de manière
continue, à l'exception de la période 1978 - 85 ( Figure 10, p .
Pour expliquer cette croissance, absolue et
relative, des importations pétrolières, on évoque couramment " l'
épuisement " des réserves américaines .
Cette analyse demande à être précisée .
La disponibilité relative de la production
intérieure et de le pétrole importé est d'abord une question de coûts et
de prix .
La progression continue de la part de les
importations dans la couverture de la demande reflète la dégradation de
la compétitivité marginale de la production intérieure, laquelle s'
explique par la différence grandissante entre les coûts de développement
aux États-Unis et à l' étranger .
L' amorce du déclin de la production intérieure en
1970 ne modifie pas fondamentalement les données du problème .
Certes, de très nombreux champs dans les 48 États "
continentaux " sont entrés en phase de déclin irrémédiable, en ce sens
que il n' existe probablement aucun niveau de prix auquel les réserves
pourraient être renouvelées .
Mais il existe toujours un niveau de prix auquel la
demande baisserait plus vite que la production intérieure, donc les
importations plus vite que la demande .
L' interdépendance entre les coûts de production, le
prix de le pétrole , le niveau de l' offre domestique et de les
importations n' est pas rompue par l' entrée de nombreux champs
américains dans une phase de déclin " absolu " .
La compétition entre production intérieure et
pétrole importé est naturellement influencée par les éventuelles
barrières protectionnistes .
Le protectionnisme pétrolier est une tentation
permanente aux États-Unis, et fut longtemps une réalité .
La mesure la plus radicale consista à mettre en
place des quotas d' importation ( mandatory oil import quotas ), entre
1959 et 1973 ; ces quotas faisaient suite à les ( soi-disant ) voluntary
oil import quotas ( 1949 - 1958 ), qui avaient eux -mêmes succédé aux
tentatives infructueuses d' administration des importations par les
États fédérés ( en particulier le Texas ) dans les années trente .
Depuis 1982, le marché pétrolier américain est
totalement intégré au marché mondial .
Le prix sur le marché intérieur est le prix mondial
du pétrole brut ; la concurrence entre production intérieure et pétroles
importés est exempte de toute distorsion .
Quatre périodes
Entre 1949 et 1970, la production pétrolière
américaine ( brut et " condensats " ) est multipliée par deux ; dans le
même temps, la part de la demande couverte par le pétrole importé passe
de 10 % à 23 % .
La croissance de la production intérieure atteste
que le coût de renouvellement du " stock ", c' est-àdire des réserves,
était compatible avec le prix en vigueur à l'époque .
Toutefois, sur l' ensemble de cette période, la
dépense nécessaire à l' ajout d' un baril de réserves à le Moyen-Orient
représente une petite fraction de celle requise aux États-Unis, et cette
fraction diminue .
Le pétrole du Moyen-Orient ( mais aussi du
Venezuela, et d'ailleurs ) exerce donc, à partir de les années
cinquante, une pression concurrentielle très forte sur le marché
américain .
En l'absence de barrières protectionnistes, la
croissance des importations aurait été nettement plus rapide, tant en
valeur absolue que relative .
A partir de 1970, toutes les formes d'
investissement susceptibles d' augmenter les réserves de pétrole
connaissent, aux États-Unis, des coûts fortement croissants .
Les évènements de 1973 introduisent de nouveaux
paramètres, en particulier réglementaires .
L' explosion des prix de le brut aurait dû favoriser
un relatif redressement de la production intérieure et une baisse de la
demande, donc une décroissance des importations .
Mais les dispositions législatives prises pour
soulager les raffineurs face à l' augmentation de leurs coûts d'
approvisionnement ( entitlements system ) fonctionnent comme une
subvention aux importations .
Combinée à la réglementation des prix du brut à la
production, ces mesures entravent la diffusion du signal prix et
distordent les incitations : le développement pétrolier intérieur est
ralenti, la demande est artificiellement soutenue .
Entre 1978 et 1985, deux effets se conjuguent
pour précipiter une chute des importations ( Figure 10, Figure 11 )
:
La compétitivité marginale de la production
intérieure se redresse .
La forte augmentation du prix mondial déclenche
un véritable " boom " des investissements d' exploration et
développement ( dont les résultats sont décevants dans les 48 États
" continentaux " ) .
Elle permet en revanche une rapide et forte
montée en puissance du champ géant de Prudhoe Bay en Alaska,
découvert en 1967 .
Le développement de ce champ était rentable dès
avant le choc pétrolier, mais il fut retardé jusqu' en 1973 par la
bataille politique autour de la construction du pipeline
trans-Alaska .
D'autre part, la libéralisation des prix
pétroliers en 1981 supprime les aides aux puits les moins productifs
et les subventions aux importations liées au système des
entitlements : entre 1981 et 1985, même la production des lower 48
se redresse aux dépens de les importations .
L' ajustement de la demande, longtemps entravé
par la réglementation de les prix , s' effectue brutalement ( - 2 Mb
/ j entre 1979 et 1983 ) .
En conséquence, les importations chutent sur cette
période, tant en valeur absolue ( - 3,8 Mb / j ) que relative ( - 16
points de part de marché ) .
De 1985 à aujourd'hui, la part du pétrole importé
dans la couverture de la demande ne cesse d' augmenter .
La production américaine baisse au rythme de 2 % par
an en moyenne .
Cette baisse ralentit après 1990, grâce notamment à
la forte progression de l' offshore dans le Golfe du Mexique, stimulée
par des mesures fiscales et par les progrès technologiques ( cf . infra
) .
Les importations ont progressé de plus de 5 % par an
en moyenne sur 15 ans, pour atteindre leur maximum historique en 2000 .
Elles s' élèvent alors à 11 Mb / j, soit 54 % des
besoins de l' économie et de la société américaines ( Figure 10 )
.
Le rapport Cheney et la stimulation de la production
intérieure
Le rapport Cheney prévoit, dans son chapitre 5,
plusieurs mesures de stimulation de l' offre pétrolière intérieure :
promotion de la récupération assistée ; développement d' un partenariat
public-privé en vue de l' amélioration des technologies d' exploration ;
extension de la politique d' octroi de licences sur les terres fédérales
; octroi d' incitations fiscales à l' exploration et au développement
dans les zones " frontières ", les gisements difficiles, trop petits ou
trop risqués pour être rentables aux conditions du marché .
Enfin, la mesure la plus attendue et la plus
controversée consiste à préconiser l' ouverture aux activités
pétrolières de la réserve naturelle nationale d' Alaska ( ANWR ) .
Ces propositions, si elles étaient mises
effectivement en oeuvre , sont -elle de nature à ralentir le déclin de
la production intérieure et la hausse des importations ?
La réponse est certainement négative .
Il importe de noter que toutes ces mesures, excepté
l' ouverture de l' ANWR, sont déjà appliquées à des degrés divers .
Il ne s' agit donc au mieux que de les prolonger et
les amplifier .
Le partenariat public-privé en matière technologique
est déjà une réalité, de même que les exemptions aux législations
antitrust pour certaines activité de recherche et développement,
notamment dans l' offshore .
Dès 1993, le gouvernement fédéral a mis en place un
système d' incitation fiscale à l' exploration et développement dans l'
offshore profond, renforcé en 1995 par le Deep Offshore Royalty Relief
Act .
Enfin, la politique de leasing sur terres fédérales
n' a cessé d' être assouplie depuis une quinzaine d' années .
Les réserves pétrolières nationales ( champs situés
sur des terres fédérales et conservés pour servir de réserve stratégique
" naturelle " ) ont été partiellement ou totalement privatisées ( selon
les cas ), et sont donc développées selon une logique purement
commerciale par les compagnies concessionnaires .
Toutes ces mesures de stimulation de l' offre
intérieure ( à laquelle il faudrait ajouter la levée , en 1995 , de l'
interdiction d' exporter le brut d' Alaska ) n' ont pas été sans effet :
elles ont contribué au renouveau de la production offshore dans le Golfe
du Mexique, au redressement des investissements d' exploration et
développement en Alaska, et plus généralement au ralentissement de la
baisse de la production pétrolière américaine dans les années 1990 .
Elles ont donc amplifié les effets positifs des
progrès technologiques sur la productivité de l' effort d' exploration
et développement .
La prolongation de ces dispositions et leur
approfondissement éventuel ne peuvent avoir qu' un effet positif sur l'
offre intérieure .
Mais elles ne changeront pas la tendance lourde à la
croissance des importations dans la couverture de la demande, sauf dans
le cas ( improbable ) où celle -ci chuterait fortement dans un contexte
de prix mondial très élevé .
Reste le potentiel de l' ANWR . On estime dans les
milieux pétroliers que les ressources récupérables s' élèveraient à 10
milliards de barils, avec un rythme de production en pointe proche de 2
Mb / j .
Ces chiffres, ils ils devaient s' avérer exacts - ce
qui est loin de être acquis - sont impressionnants ; ils mettent l' ANWR
au niveau de le North Slope, c' est-à-dire qu' ils en font une " seconde
Alaska " .
Mais l' effet sur le niveau des importations est
impossible à prévoir, car il dépend du prix mondial .
Dans un contexte d' offre excédentaire, le brut de
l' ANWR ferait baisser le prix mondial et se substituerait largement à
du pétrole américain moins compétitif .
Il ne remplacerait du pétrole importé que si les
pays de l' OPEP limitaient leur production pour défendre un prix élevé,
ou si les États-Unis rétablissaient des barrières protectionnistes (
taxe ou quotas ) afin de maintenir le prix intérieur au-dessus de le
prix mondial .
Le projet de loi de la Chambre de Représentants
prévoit l' ouverture de l' ANWR, mais pas celui voté au Sénat .
Conclusion
La différence entre les coûts marginaux de
développement à les États-Unis et dans de nombreuses provinces
pétrolières plus compétitives à l' étranger - le Moyen-Orient étant un
cas extrême - est aujourd'hui très importante, et continue d' augmenter
.
Dans ces conditions, le taux de contribution de l'
offre intérieure à l' approvisionnement de les États-Unis sera
principalement déterminé par les politiques pétrolières de l' Arabie
Saoudite, du Koweït, de l' Iran, de l' Irak et du Venezuela, ainsi que
par la capacité de l' industrie pétrolière internationale à renouveler
ses réserves hors de l' OPEP . Les marges de manoeuvre des autorités
américaines sont extrêmement limitées .
L' effet des mesures de stimulation de l' offre est
difficile à appréhender avec précision .
La plus prometteuse d' entre elles , à savoir l'
accélération de l' ouverture de les terres fédérales à les activités
pétrolières est soumise à une forte incertitude politique .
On peut donc affirmer avec un degré élevé de
certitude que toute augmentation de la demande de pétrole se traduira
par une augmentation plus que proportionnelle des importations .
Sauf révolution technologique dans le secteur des
transports, une telle augmentation va se produire .
Les importations pétrolières américaines : structure et
dynamique
L' importation de pétrole brut et de produits raffinés
est une activité libre aux États-Unis .
Les restrictions administratives sont limitées aux pays
sur lesquels pèsent des sanctions économiques ( Iran et Libye ) .
L' évolution de la structure géographique des
importations américaines reflète donc les arbitrages économiques des agents
américains ( raffineurs, traders, gros utilisateurs de produits pétroliers
telles les compagnies aériennes ), et plus généralement des acteurs du
marché pétrolier mondial .
En fait, l' allocation géographique de l' offre
pétrolière mondiale est largement le produit d' un processus anonyme
impliquant des centaines d' agents économiques cherchant à maximiser la
valeur du pétrole qu' ils possèdent, et / ou à minimiser le coût de leur
approvisionnement .
Le marché américain est une composante de ce système
mondial marchand .
Les expressions du type " les États-Unis importent
davantage du Canada que d' Arabie Saoudite " doivent donc être utilisées
avec précaution .
Ce sont des acteurs privés qui importent, et leurs choix
sont dictés par des considérations de coût et de convenance, en particulier
quant à les caractéristiques techniques des différents bruts et produits
.
Depuis le premier choc pétrolier, deux tendances
majeures nous semblent mériter un intérêt particulier : d'une part l'
évolution de la contribution du Golfe persique aux approvisionnements
américains ; d'autre part la régionalisation des importations américaines au
cours de les années 1990 .
On évoquera aussi les développements récents ( 1998-2000
), et l' avenir des importations américaines .
La contribution du Golfe arabo-persique
Le Golfe persique est, sur le marché pétrolier
américain, un fournisseur parmi d'autres .
En moyenne, sur une période de 25 ans, les
importations en provenance de cette région couvrent moins de 10 % de la
consommation pétrolière des Etats-Unis ( 13 % en 1999 et 2000 ), et
cette part n' augmente pas ( Figure 13, p .
Les Figure 12 et Figure 14 montrent que le Golfe
occupe dans les approvisionnements extérieurs des États-Unis une place
ni négligeable, ni prépondérante .
Ce qui frappe également dans ces graphiques , c' est
le mouvement d' éviction du Golfe entre 1980 et 1985, suivi d' un retour
au cours de les cinq années suivantes .
De fait, cette région ( c' est-à-dire , sur le
marché américain , principalement l' Arabie Saoudite et l' Irak ) se
singularise moins par le niveau de sa contribution aux importations
américaines que par les fluctuations de sa part dans ces importations
.
Ces fluctuations ont une explication simple .
Le pétrole brut s' échange à un prix mondial unique
( net des coûts de transport et des différentiels de qualité ),
déterminé sur un marché " spot " .
Les pays du Golfe, qui ont à tout moment la
possibilité d' augmenter rapidement leur offre à des coûts représentant
une petite fraction du prix en vigueur ( soit en exploitant plus
intensément leurs capacités installées, soit en les augmentant ), ont
donc
A l' inverse, lorsqu' ils diminuent leur production
( ou simplement ne l' augmentent pas alors que la demande croît ) pour
défendre un niveau de prix, ils perdent des parts de marché si d'autres
producteurs sont capables de couvrir la demande au prix en vigueur ;
dans le cas contraire le prix augmente .
Entre 1980 et 1985, l' Arabie Saoudite réduit
continuellement sa production pour soutenir le prix dans un contexte de
baisse de la demande mondiale ; cela se traduit par une forte chute des
exportations du Golfe persique vers les États-Unis .
Après 1985, l' Arabie Saoudite s' engage dans une
stratégie de reconquête de ses parts de marché : ses exportations vers
les États-Unis passent de 0,2 Mb / j en 1985 à 1,4 Mb / j en 1989 (
Figure 15, p .
Dans les années 1990 et ceci pour la première fois,
la part du Golfe a baissé alors que les importations américaines
augmentaient .
Pendant cette période, l' offre pétrolière mondiale
( hors Golfe ) est restée très dynamique, contraignant les producteurs
du Golfe à contenir leurs niveaux de production pour éviter une chute
des prix ( qui s' est finalement produite en 1997 - 98 ) .
La part du Golfe dans les importations américaines a
donc baissé jusque 1997 .
Son redressement entre 1998 et 2000 est entièrement
dû au retour du pétrole irakien sur le marché américain : 700 000 b / j
en 1999 contre 0 en 1996 .
On pourrait donc dire que les producteurs du Golfe,
et notamment l' Arabie Saoudite, déterminent largement eux -mêmes l'
évolution de leur part de marché aux États-Unis ( et sur le marché
mondial en général ) .
Il leur suffit de produire davantage pour que cette
part augmente, au prix d' une baisse, éventuellement forte, des cours du
brut .
Sur l' ensemble de la période couverte ici, la
contribution du Golfe à les approvisionnements américains se situe à un
niveau très nettement inférieur à ce que il serait en l'absence de
restriction .
Entre 1949 et 1973, le mécanisme de restriction se
situait aux Etats-Unis ( limitation des importations ) ; depuis 1973, ce
sont les États du Golfe qui limitent leur production .
Si ces producteurs se désintéressaient du prix (
donc augmentaient leur production jusqu'à ce que le coût d' une unité
supplémentaire et le prix mondial s' égalisent ), le prix du pétrole s'
établirait probablement en dessous de 5 $ et le Golfe couvrirait une
part largement prépondérante des importations américaines, dont le
niveau serait beaucoup plus élevé qu' aujourd'hui .
La régionalisation des approvisionnements extérieurs
Les importations en provenance du Canada et de les
pays d' Amérique latine ont augmenté continuellement et assez
régulièrement depuis la fin des années 1970 ( Figure 14, Figure 15 ) .
Le contraste avec les fluctuations du Golfe persique
apparaît de manière saisissante .
En conséquence, on observe un mouvement de
régionalisation des importations américaines .
L' hémisphère occidental ( selon l' expression
consacrée aux États-Unis ) représentait 50 % des importations en 1997,
contre 35 % en 1990 et 20 % en 1980 ( Figure 16, p . 42 ) .
Cette progression a permis de compenser la baisse de
la production américaine pour maintenir autour de 70 % le taux de
régionalisation de l' approvisionnement pétrolier des États-Unis (
production intérieure comprise ) .
Développements récents
Face à la chute des prix survenue en 1997 - 98, les
pays de l' OPEP ont décidé de retirer du marché des quantités très
importantes de pétrole ( par exemple 3,5 Mb / j pour la seule année
2001, et environ 5 Mb / j depuis 1999 ), aidés ponctuellement par le
Mexique et la Norvège, marginalement par le sultanat d' Oman et la
Russie .
Les effets sur le prix mondial ont été très
importants .
Ils sont également fait sentir très directement sur
la structure des importations américaines ( Figure 15 ) .
Le volume en provenance du Venezuela a chuté de plus
de 300 000 b / j entre 1997 et 1999, et la progression des exportations
mexicaines vers les États-Unis, qui avoisinait 10 % par an depuis 1992,
a brusquement stoppé .
Seules les exportations saoudiennes vers les
États-Unis n' ont pas diminué ( à l' inverse de ce qui s' était passé
dans les années 80 ) .
La compensation de ces volumes " perdus " est venue
d' Europe et surtout du Canada, pays dont les exportations vers les
États-Unis ont atteint un record historique en 2000, en hausse de 20 %
par rapport à 1999 .
Le voisin du nord est aujourd'hui le premier
exportateur de pétrole vers les États-Unis .
Mais c' est surtout le pétrole irakien qui a
profité, sur le marché américain, des actions de l' OPEP ( le pétrole
exporté sous le contrôle des Nations Unies échappe aux quotas du cartel
) .
L' Amérique est le premier " client " de l' Irak
dans le cadre de le programme " pétrole contre nourriture " .
Jamais les États-Unis n' avaient importé autant de
pétrole irakien qu' en 1999 et 2000 .
L' avenir des importations américaines
Les projections du DOE anticipent une modification
sensible de la structure des importations pétrolières américaines au
cours de les vingt prochaines années .
Les importations en provenance du Golfe persique
représenteraient près de 20 % de la consommation en 2020, contre 13 %
aujourd'hui .
Elles progresseraient donc plus rapidement que le
total des importations, croissant elles -mêmes plus vite que la demande
.
Cette tendance reflète la croissance de la
contribution du Moyen-Orient à l' offre pétrolière mondiale .
On ne peut discuter ici dans le détail ces
projections .
On fera simplement deux remarques .
La première est que la capacité des modèles à
appréhender correctement l' évolution de l' offre " hors Golfe ", et
même " hors OPEP ", est incertaine .
des facteurs comme les progrès technologiques, l'
évolution de la fiscalité et de le cadre juridique de les
investissements , qui ont un impact tout à fait décisif sur les coûts et
les risques assumés par les compagnies pétrolières , donc sur les
décision sont très difficiles à intégrer dans une approche modélisée .
La seconde remarque est que les modèles traitent en
général la production du Golfe persique ( et parfois de l' OPEP ) comme
un volume résiduel : elle couvre la différence entre la demande mondiale
et la production " hors Golfe " ( le cas échéant " hors OPEP " ) .
Or le paysage énergétique en 2020 sera très
différent selon que les pays du Golfe ( auxquels il faut ajouter le
Venezuela et la Libye ) adopteront, comme ils le font depuis trente ans,
une politique de limitation de leur production en vue de la défense d'
un niveau de prix, ou que s' enclenchera une course aux parts de marché
au sein de l' OPEP . Parmi les facteurs qui pourraient favoriser l'
option concurrentielle, citons la levée des sanctions sur l' Irak ou la
défection d' un membre important de l' OPEP, quittant l' organisation de
fait ou de droit .
A l' inverse, la capacité de l' OPEP à associer
durablement de nouveaux producteurs à son action ( Mexique , Norvège ,
Russie ) , éloignerait le risque d' un éclatement du cartel .
Les incertitudes sont donc très importantes .
Le volume de production que les principaux modèles
attribuent à le Golfe persique en 2020 correspond à un doublement des
capacités par rapport à 2000 ( on passerait en gros de 20 à 40 Mb / j )
.
Les prévisions de prix varient mais n' anticipent
pas d' augmentation significative, en termes réels, sur les vingt
prochaines années .
Si les États du Moyen-Orient n' effectuaient pas les
investissements requis ( rappelons que les capacités de production dans
le Golfe n' ont pas augmenté depuis 30 ans ), le prix du pétrole
pourrait être nettement plus élevé, la demande plus faible, et la
production " hors Golfe " plus soutenue .
Les importations américaines seraient alors plus
faibles que ne l' anticipent les modèles et nettement moins concentrées
sur le Moyen-Orient .
A l' inverse, si le processus concurrentiel s'
enclenchait entre producteurs à coûts de production très bas, le prix s'
effondrerait, stimulant la demande et déprimant la production " hors
Golfe " .
Les importations américaines seraient encore plus
fortes qu' escompté, ainsi que la part du Moyen-Orient dans les
approvisionnements extérieurs .
Conclusions
On a souligné plus haut que les facteurs qui
détermineront le niveau des importations pétrolières américaines échappent
largement au gouvernement des États-Unis .
Cette conclusion vaut également pour la structure
géographique des approvisionnements .
Les décisions les plus structurantes , qui détermineront
la contribution de les provinces les plus compétitives à la couverture de la
demande mondiale , donc le niveau de les prix , seront prises par les
gouvernements des pays du Moyen-Orient et du Venezuela .
Elles le seront soit dans le cadre coopératif de l'
OPEP, soit individuellement, soit, et c' est le plus probable, dans un
entre-deux où les décisions collectives viendront consacrer les options
individuelles de quelques-uns .
Face au poids des tendances lourdes, les marges de
manoeuvre des politiques publiques américaines sont réduites, quoi qu' en
disent certains responsables de l' administration et du Congrès .
Le rapport Cheney annonce la continuation et l'
approfondissement d' une politique d' offre, donnant à l' industrie
pétrolière toutes les chances de découvrir, développer et produire les
ressources pétrolières intérieures .
Cette politique contribuera de manière très limitée à l'
objectif de réduire la " dépendance " pétrolière extérieure .
De ce point de vue, une action sur la demande de pétrole
aurait un impact potentiel supérieur ( en particulier l' augmentation des
taxes sur les carburants et l' amélioration de l' efficacité énergétique des
véhicules automobiles . ) Le rapport Cheney reste extrêmement prudent dans
ses orientations en matière de gestion de la demande de pétrole liée au
transport .
La tendance la plus probable est que les importations
pétrolières américaines vont continuer d' augmenter au cours de les vingt
prochaines années, vont couvrir une part croissante de la demande
intérieure, et seront plus concentrées sur les pays du Moyen-Orient .
L' intensité de ces évolutions est soumise à forte
incertitude .
Reste à étudier l' impact d' un approfondissement de la
" dépendance " sur la sécurité énergétique des Etats-Unis, question traitée
dans le second volet de ce travail .
SECTION 2 .
POLITIQUE PETROLIERE AMERICAINE ET SECURITE ENERGETIQUE
Le lien entre dépendance pétrolière et sécurité
énergétique : analyse critique
La croissance des importations dans la couverture de la
demande pétrolière , qui va se poursuivre au cours de les années et
décennies à venir , est très souvent décrite comme menaçant la " sécurité
énergétique " des Etats-Unis .
Même s' ils ne proposent pas d' atteindre l'
autosuffisance énergétique ou pétrolière, le rapport Cheney comme les
propositions de loi votées à la Chambre et à le Sénat en 2001 et 2002
reprennent à leur compte cette analyse , et établissent explicitement une
corrélation entre objectif de sécurité et objectif de limitation ( ou de
réduction ) de la dépendance .
Une appréciation rigoureuse du fonctionnement du marché
pétrolier montre au contraire que la sécurité énergétique, quel que soit le
contenu précis qu' on lui donne ( disponibilité physique des
approvisionnements, niveau et stabilité des prix, exposition aux crises ),
est quasi indifférente au niveau de les importations pétrolières, au taux de
dépendance extérieure, et à la provenance géographique du pétrole .
Une donnée fondamentale : le marché pétrolier est
intégré
Toute discussion sur la sécurité énergétique et les
approvisionnements pétroliers doit partir de cette réalité : le pétrole
est une matière première " fongible " échangée sur un marché mondial
techniquement et économiquement intégré .
L' équilibre entre offre et demande est un équilibre
mondial, qui détermine un prix mondial révélé par des marchés " spot "
.
Le marché est techniquement unifié car le pétrole se
transporte sur longues distances à des coûts relativement faibles :
environ 10 $ par tonne par exemple entre le Golfe persique et les grands
marchés de consommation, soit environ 1,4 $ / baril .
La plupart des bruts n' ont pas de marchés régionaux
strictement captifs et peuvent être raffinés en Europe, aux Etats-Unis
ou en Asie ( même si certaines caractéristiques physico-chimiques
limitent les possibilités de substituer rapidement un brut à un autre
dans certaines raffineries ) .
La " substituabilité " de les différents bruts dans
les raffineries américaines a augmenté ces dernières années à la faveur
de travaux de modernisation de l' appareil de raffinage .
Ainsi, les opérateurs de marché ( les traders )
peuvent effectuer des arbitrages afin de profiter des différences de
prix entre les marchés locaux, différences qui ne peuvent donc se
prolonger dans le temps : l' unité technique du marché induit son unité
économique .
Une fois déduits les coûts de transport et les
différentiels de qualité ( teneur en soufre, gravité ), il existe un
seul prix mondial du pétrole brut .
L' allocation de l' offre de pétrole entre les
demandeurs se fait par un processus purement marchand, anonyme, proche
de celui que décrivent les manuels de microéconomie .
Ce sont les acheteurs individuels ( traders,
raffineurs ) qui sont en concurrence pour s' approvisionner, et non les
Etats ou les économies nationales .
Le mécanisme des prix, qui répartit le pétrole entre
les milliers de consommateurs effectifs et potentiels , transcende les
frontières : les agents américains sont en concurrence entre eux comme
avec les agents européens, sud-américains, asiatiques et autres .
Une autre manière d' exprimer l' idée d' un marché
mondial intégré consiste à parler de " one great pool " .
L' image est due à M. Adelman, qui voit le marché
pétrolier comme une " grande bassine ", dans laquelle se déversent
toutes les productions - quelle que soit leur localisation géographique,
qu' elles donnent lieu à échange international ou non - et dans laquelle
puisent tous les consommateurs .
Si cette représentation correspond à le
fonctionnement réel de le marché , alors les prix doivent évoluer de
manière identique sur tous les marchés locaux, et tendre vers un prix
unique ( net des coûts de transport ) .
Les tests économétriques effectués ont largement
confirmé l' hypothèse du one great pool, ou du marché intégré .
Ils montrent en outre que l' intégration a fortement
progressé à la faveur du développement de nouveaux modes de
commercialisation, en particulier de la multiplication des instruments
financiers dérivés ( futures, swaps, options ) permettant d' optimiser
les stratégies d' approvisionnement en facilitant les arbitrages dans le
temps et dans l' espace .
Le marché pétrolier est devenu un marché de "
commodité " comme un autre : entre l' amont et l' aval de l' industrie,
forcément localisés, s' interpose un " midstream " autonome et
mondialisé, qui assure par des mécanismes purement marchands l'
optimisation des flux physiques et la révélation en temps réel de prix
spot et à terme, sur la base desquels les agents effectuent leurs
décisions .
Qu' est -ce qu' une crise pétrolière ?
Les mécanismes qui viennent d' être décrits
impliquent qu' il ne peut exister de rupture physique dans les
approvisionnements pétroliers d' une région ou d' un pays quelconque .
Une crise pétrolière, même lorsqu' elle a pour cause
la défection ( accidentelle ou volontaire ) d' un producteur , se
manifeste toujours par une hausse des prix, ressentie par tous les
consommateurs de pétrole où que ils soient dans le monde .
Si on laisse fonctionner le mécanisme des prix, c'
est-à-dire qu' on laisse monter les cours, les arbitrages - ou, plus
précisément , les anticipations sur les arbitrages - diffusent
instantanément l' augmentation sur tous les marchés .
Les mécanismes marchands fonctionnent donc comme une
machine à transformer une rupture physique d' approvisionnement ( qui
est un phénomène local ) en une hausse du prix ( qui est un phénomène
mondial ) .
Signalons que la hausse des prix, qui est le
symptôme de la pénurie, est aussi le principal remède à la pénurie .
Elle " signale " aux consommateurs qui le peuvent
qu' ils ont intérêt à s' effacer, partiellement ou entièrement ; elle "
signale " en outre aux producteurs qui le peuvent qu' ils ont intérêt à
produire plus .
La hausse des prix est donc le moyen par lequel le
marché diffuse à tous les agents concernés l' information sur la rareté
relative du pétrole, et engendre les incitations à adopter des
comportements individuels contribuant à rétablir l' équilibre entre
offre et demande mondiales .
Pour toutes ces raisons, la liberté des prix du
pétrole, surtout en temps de " crise " , est un élément central de toute
politique pétrolière rationnelle .
Un embargo pétrolier est -il possible ?
Un autre corollaire de ce constat fondamental sur l'
intégration de le marché pétrolier mondial est que les embargos
sélectifs ne constituent pas une menace crédible .
Par exemple, il n' est pas possible pour l' Arabie
Saoudite, ou pour tout autre producteur ou groupe de producteurs, de
restreindre ou de stopper ses exportations vers les Etats-Unis .
Admettons, par hypothèse, qu' il soit possible d'
interdire aux cargos ayant chargé du pétrole saoudien de le livrer aux
Etats-Unis ( ce qui suppose un accompagnement maritime de tous les
pétroliers qui chargent en Arabie Saoudite ) .
Les raffineurs américains touchés par l' embargo -
ceux qui raffinent habituellement 0 du brut saoudien - se retourneraient
vers le marché spot pour compenser les approvisionnements manquants .
Ils obtiendraient tout le pétrole pour lequel ils
sont prêts à payer, sachant que le prix spot augmenterait brutalement du
fait de leur comportement : le marché transformerait une pénurie
physique concernant quelques dizaines d' agents en une hausse de prix
ressentie par des milliers .
Sur cette base, deux scénarios sont possibles . sont
possibles .
Soit l' Arabie Saoudite maintient son niveau global
d' exportations et se contente " d' interdire " toute livraison aux
Etats-Unis ; dans ce cas la hausse des prix serait limitée au temps
nécessaire à la réorganisation des circuits de commercialisation vers l'
Amérique du Nord .
Soit l' Arabie Saoudite réduit ses exportations
totales de le montant habituellement livré à les Etats-Unis ; l' embargo
s' apparente alors à une réduction de l' offre mondiale et la durée de
la hausse des prix dépend du temps nécessaire aux autres producteurs
pour prendre la part de marché abandonnée par l' Arabie Saoudite .
Dans les deux cas les conséquences ressenties
spécifiquement par les agents américains, par exemple sous forme de
pénuries physiques , seraient faibles ou nulles ( à condition que il n'
y ait pas d' entrave à le libre fonctionnement de le marché : ni
réglementation de le prix , ni allocation administrative de le pétrole )
. sous forme de pén s physiques, seraient faibles ou nulles ( à
condition que il n' y ait pas d' entrave au libre fonctionnement du
marché : ni réglementation du prix, ni allocation administrative du
pétrole ) .
De manière générale, si un Etat exportateur souhaite
" punir " un Etat importateur ou faire pression sur lui, il ne peut le
faire que de manière non sélective, en faisant supporter à tous les
consommateurs une hausse du prix mondial .
Historiquement, l' embargo pétrolier sélectif n' a
été tenté qu' une seule fois, en 1973, par les producteurs arabes de l'
OPAEP, à l'encontre des Etats-Unis et des Pays-Bas .
Cet embargo, contrairement à une légende tenace , n'
a eu aucun effet direct notable - même s' il a contribué à engendrer des
comportements de panique, aggravés par le contrôle des prix sur le
marché américain .
Il n' obtint d'ailleurs aucun résultat politique .
Depuis les années quatre-vingt, le phénomène des
embargos fonctionne en sens inverse : les Etats-Unis interdisent l'
importation de pétrole libyen ( depuis 1982 ) et iranien ( depuis 1980
), et l' ONU administre les exportations irakiennes dans le cadre de un
programme dit " pétrole contre nourriture " ( depuis 1991 ) .
Pour l' Iran et la Libye, l' embargo est tout aussi
inefficace dans ce sens que dans l' autre : son effet mécanique est d'
augmenter les importations américaines en provenance de autres pays et
les exportations libyennes vers l' Europe, iraniennes vers l' Asie .
Pour ces deux pays ( et surtout pour l' Irak ), la
prohibition des investissements d' exploration et production est un
problème plus sérieux, mais extérieur à notre sujet .
De la dépendance extérieure à la concentration de l'
offre
Une fois acquise l' idée que le marché pétrolier est
intégré mondialement, on comprend que le lien entre dépendance
extérieure et sécurité énergétique doit être nettement relativisé .
Les conséquences pour les Etats-Unis d' une rupture
dans l' offre pétrolière quelque part dans le monde ne sont pas liées au
niveau de les importations en provenance de la région concernée, ni à la
part des importations dans l' approvisionnement du marché américain .
Une crise pétrolière se manifeste par une hausse du
prix mondial, et le prix sur le marché américain est le prix mondial du
pétrole .
La véritable " dépendance " est donc celle de l'
économie américaine à l'égard de le pétrole, plus exactement du marché
pétrolier mondial, et non des importations, du Moyen Orient ou de l'
Arabie Saoudite .
La sensibilité de l' économie américaine à une crise
pétrolière n' est pas liée au taux de dépendance extérieure ; en
revanche, le degré de concentration de l' offre pétrolière mondiale est
une variable importante de la sécurité énergétique .
La gravité d' une crise pétrolière est déterminée
par le rapport entre le volume d' offre qui vient à manquer et le total
de l' offre mondiale .
La sécurité énergétique des consommateurs de pétrole
( où que ils se trouvent ) est donc renforcée par la diversification
géographique de la production pétrolière mondiale et, réciproquement, un
mouvement de relative concentration augmente les risques .
Le risque est d' autant plus élevé que l' offre est
concentrée sur des pays ou régions où la probabilité d' une rupture de
la production est élevée .
Depuis plus de 25 ans, l' offre pétrolière mondiale
s' est profondément diversifiée ; elle l' est aujourd'hui beaucoup plus
qu' à aucune autre époque de l' histoire pétrolière .
Entre 1945 et 1973, la production du Moyen-Orient
augmentait beaucoup plus vite que la production mondiale : la part de
cette région est passée de 7 % en 1945 à 40 % en 1973 .
Après avoir nettement baissé dans les années 1980,
cette part est revenue aujourd'hui à 40 % et semble se stabiliser depuis
le début des années 1990 .
Depuis 1985, les prévisions d' un fort mouvement de
re-concentration de l' offre pétrolière sur le Moyen-Orient ont été
démenties .
Toutefois, les principales projections disponibles
aujourd'hui ( par exemple l' International Energy Outlook de l' Energy
Information Administration , le World Energy Outlook de l' Agence
Internationale de l' Energie ) montrent encore une forte progression de
la part de le Golfe persique dans l' offre pétrolière d' ici à 202049 .
La variable clé, en dehors de l' évolution de la
demande , est la capacité de l' industrie pétrolière internationale à
maintenir le rythme de développement de la production dans le segment
concurrentiel du marché mondial .
Cette capacité dépend de plusieurs facteurs parmi
lesquels :
Les évolutions technologiques en exploration et
production, qui font reculer la frontière des pétroles " non
conventionnels " en baissant les coûts dans l' offshore ultra
profond, les bruts extra lourds, les sables asphaltiques et les
schistes bitumineux
La qualité des institutions politico-juridiques
dans les pays en développement les plus actifs sur le marché des
permis, en Afrique subsaharienne, Amérique latine, en Russie ou Asie
centrale ;
L' évolution du climat général des relations
internationales, qui influera positivement ou négativement sur le
développement d' un régime juridique international favorable aux
investissements énergétiques, et sur la construction d'
infrastructures de tran
Enfin, naturellement, le déplacement éventuel de
la " frontière " du secteur concurrentiel, notamment l' ouverture
plus large de pays comme le Venezuela, la Libye, la Chine ou même
les pays du Golfe persique .
Conclusion
Il ressort de cette analyse que la réduction de la
dépendance pétrolière, à supposer qu' elle soit possible, ne constitue
pas un objectif raisonnable .
Les Etats-Unis se priveraient des gains à l' échange
avec les producteurs les plus compétitifs, sans compensation notable en
matière de sécurité énergétique ; ils n' obtiendraient en particulier
aucune réduction notable de la sensibilité de l' économie américaine aux
crises pétrolières .
Dans un contexte où le marché pétrolier est intégré
mondialement, les politiques de sécurité efficaces sont des politiques
de construction et de sécurisation du marché, et non des politiques de
limitation du recours au marché ( réduction de la demande ou des
importations ) .
C' est sur la base de ces conclusions que nous
allons étudier l' évolution de la politique pétrolière américaine depuis
les années 1920 .
La politique pétrolière des Etats-Unis avant 1980
1920 - 1973 : cinquante ans d' interventionnisme
pour protéger les producteurs
Contrôle de la production intérieure : la
proration
L' Amérique est sortie de la première guerre
mondiale avec le souci aigu d' une possible " dépendance pétrolière
" .
C' est alors que furent créées les Naval
Petroleum Reserves, champs pétroliers fédéraux maintenus en "
réserve " pour assurer, en cas de guerre, l' approvisionnement de la
marine .
C' est aussi à cette époque que la diplomatie
américaine entreprit d' obtenir des Britanniques et des Français l'
entrée des compagnies américaines dans les zones les plus
prometteuses, notamment en Mésopotamie - politique de l' Open Door
qui devait aboutir à l' entrée de Jersey Standard ( Exxon ) et
Socony ( Mobil ) dans la Turkish Petroleum Company, avant que ce
consortium ne referme la porte du Moyen-Orient par le célèbre accord
de la " ligne rouge ", en 1928 .
Mais l' anticipation de la pénurie fit
rapidement place à la difficile gestion de l' abondance avec l'
entrée en production, après 1925, des découvertes géantes effectuées
en Oklahoma ( champ de Seminole ) et, surtout, au Texas ( champ de
l' East Texas ) .
Ces découvertes géantes se conjuguèrent à la
crise de 1929 pour précipiter un effondrement des prix qui heurta
très durement l' industrie pétrolière, en particulier les milliers
de petits producteurs qui opéraient les puits les moins productifs .
Les autorités de ces deux États réagirent en
édictant des législations destinées à limiter la " surproduction "
et le " gaspillage " .
Ce fut le début d' un vaste effort
politico-juridique, relayé par les pouvoirs fédéraux dans les années
1930, qui mit fin à l' ère concurrentielle de l' histoire pétrolière
américaine .
Du milieu des années 1920 au début de les années
1970, l' industrie pétrolière vécut sous le régime de la " proration
" ; tous les puits, à l'exception de les moins productifs, se
voyaient octroyer des quotas de production définis au niveau de les
États ; le commerce inter-étatique était strictement contrôlé et
limité .
Pour justifier le maintien de ce régime né dans
des circonstances historiques très particulières, on continua d'
invoquer pendant près de cinquante ans la lutte contre la "
surproduction " que générerait nécessairement la libre concurrence
dans l' industrie pétrolière .
Les meilleurs économistes du pétrole ( P.
Bradley et M. Adelman , entre autres ) ont montré que la libre
concurrence eut été tout à fait praticable, en particulier si on
avait modifié le régime juridique de propriété sur les ressources et
/ ou imposé des règles d' unification des réservoirs .
Le système de proration fut maintenu car un
équilibre politique durable s' était formé en sa faveur : les petits
producteurs étaient les grands gagnants ; pour les majors le manque
à gagner local ( aux Etats-Unis ) était largement compensé par le
soutien qu' apportait le contrôle du marché américain ( et les
quotas d' importations, cf . infra ) à leurs accords anti
concurrentiels au plan mondial ; et les milieux politiques, tant
fédéraux qu' étatiques et même locaux, se partageaient les
prérogatives liées à l' administration d' un système très complexe -
et, pour certain
au plan économique, la proration généra une
augmentation du volume global de rentes par rapport à une situation
concurrentielle, et une redistribution de ces rentes vers les petits
producteurs d'une part, l' administration d'autre part .
Par ailleurs, les quotas entraînaient l'
apparition de capacités de production inutilisées ( exactement
comme, plus tard, les quotas de l' OPEP ), qui sont un facteur d'
instabilité du marché .
Enfin, les puits les moins productifs étant
exempts de quotas , les petits producteurs avaient intérêt à forer
toujours plus afin de gagner artificiellement des parts de marché
aux dépens de les puits plus productifs .
Motivé par la lutte contre un " gaspillage "
conjoncturel, le système de proration en généra un beaucoup plus
structurel, et de grande ampleur, tout en augmentant le coût de l'
approvisionnement pétrolier américain .
Contrôle des importations
Le contrôle des importations pétrolières
représente l' autre face de l' interventionnisme pétrolier américain
.
Dès les années 1930, et plus encore après 1945,
le pétrole du Venezuela et de le Mexique , puis de le Moyen-Orient ,
exerçait une forte pression sur le marché intérieur américain .
La mise en place de barrières protectionnistes
s' imposait comme une nécessité sous peine de ruiner le système de
proration : les deux faces de l' interventionnisme pétrolier sont
donc étroitement liées .
Concrètement, la protection prit la forme de
quotas et de taxes .
Les quotas furent d'abord " volontaires " ( 1949
- 1958 ), puis obligatoires dans le cadre de le Mandatory Oil Import
Program ( 1959-1973 ) .
En 1932, le Revenue Act imposa, pour la première
fois, des taxes sur les importations pétrolières ( pétrole brut et
certains produits raffinés ) ; elles furent progressivement réduites
à la faveur d' accords avec le Venezuela et le Mexique, et de la
signature du GATT en 1947 .
Cette forte réduction des taxes fut à l'origine
de la réglementation par les quantités ( quotas ) à partir de 1949 .
Les taxes ne furent pas pour autant abolies, et
furent réorganisées en 1962 dans le cadre de le Trade Expansion Act
.
La pénétration du pétrole importé fut néanmoins
très importante sur cette période ( cf .
Figure 10, p .
31 ) ;_NEW_ elle eut été nettement supérieure
en situation de libre-échange .
Conclusion
Les cinquante années qui précèdent les chocs
pétroliers représentent une période de forte intervention publique
dans le fonctionnement du marché américain .
La réglementation de la production intérieure et
le contrôle des importations sont les deux faces, inséparables, d'
une même politique consistant à contraindre le processus
concurrentiel pour protéger les intérêts des producteurs "
indépendants ", en particulier les moins efficaces d' entre eux,
mais aussi, indirectement, les intérêts des grandes compagnies
engagées par ailleurs dans des accords de contrôle du marché mondial
.
Il s' agit d' une politique destinée à renforcer
la " sécurité économique " de l' industrie pétrolière américaine
plus que la sécurité énergétique du pays, bien que les mesures
protectionnistes aient été, dès les années trente, formellement
justifiées à l' aune de considérations de " sécurité nationale " -
alors même que les Etats-Unis exportaient, en 1932, plus de pétrole
qu' ils n' en importaient et que les importations représentaient, en
1962, moins de 20 % de la consommation totale .
1973-1980 : effets pervers de la réglementation
destinée à protéger les raffineurs et les consommateurs
Les années 1970 furent un prolongement des cinquante
ans d' interventionnisme, dans une conjoncture radicalement différente :
il s' agissait désormais de lutter contre la hausse des prix et non plus
de prévenir leur baisse .
Dès avant 1973, les prix du pétrole étaient affectés
par les mesures générales de lutte contre l' inflation, dans le cadre de
le Economic Stabilization Act ( 1970 ) .
La période ouverte par la crise pétrolière de
1973-1974 fut marquée par une forte activité en matière de politique
énergétique, mais aussi par beaucoup d' erreurs et une certaine
confusion .
Après le premier choc pétrolier, le président des
Etats-Unis affirmait solennellement que son pays atteindrait l'
indépendance énergétique en 1980, et que cette quête représentait " l'
équivalent moral de la guerre " .
Cet objectif hautement improbable ne fut pas
atteint, loin de là : les distorsions introduites par le contrôle des
prix devaient conduire à une explosion des importations, qui
augmentèrent de près de 50 % entre 1974 et 1978 .
Côté législatif, le nombre de textes est
impressionnant : Emergency Petroleum Allocation Act ( 1973 ), Energy
Policy and Conservation Act ( 1975 ), Energy Conservation and Production
Act ( 1976 ), National Energy Act ( 1978 ) .
A la fin de la période, les dispositifs de contrôle
des prix, d' allocation physique de le pétrole et de subventions
croisées entre raffineurs avaient atteint un très haut degré de
complexité .
Leur objectif était de protéger les raffineurs et
les consommateurs contre la hausse des prix mondiaux .
Ils engendrèrent des effets pervers massifs (
sous-production, stimulation de la demande, subvention des importations,
pénuries locales ... ) et furent largement à l'origine des " files d'
attente " qui symbolisèrent, aux Etats-Unis, les crises pétrolières des
années 1970 .
En 1978 et face à les conséquences très
déstabilisatrices de la réglementation en vigueur, l' administration
Carter réussit à faire voter une loi prévoyant la libéralisation
progressive des prix du pétrole .
L' élection de R. Reagan devait accélérer
brutalement le calendrier, mais aussi l' approfondir .
La politique pétrolière des Etats-Unis depuis R. Reagan
A partir de l' élection de R. Reagan à la présidence, la
politique pétrolière des Etats-Unis allait rompre avec 60 ans d'
interventionnisme motivé par des objectifs divers, ayant généré des mesures
contradictoires et, pour beaucoup d' entre elles, désastreuses au plan de l'
efficacité économique et / ou de la sécurité énergétique .
La politique conduite par l' administration Reagan était
inspirée par l' idée que l' efficacité et la sécurité énergétiques ne s'
obtiennent pas contre les forces du marché, mais en s' appuyant sur elles .
Cette idée-force prenait à contre-pied l' opinion
dominante dans les milieux politiques à l'époque, non seulement aux
Etats-Unis mais dans tous les grands pays industrialisés et au sein de les
organisations internationales .
On classera ici en trois grandes catégories les actions
accomplies ou initiées par l' administration Reagan : libéralisation du
marché, sécurisation du marché, construction du marché .
Libéralisation du marché pétrolier intérieur
R. Reagan prononça son discours inaugural le 20
janvier 1981 ; le 28 janvier, il signait l' Executive Order n° 12287 (
le premier de son mandat ), dont la première section dispose : " All
crude oil and refined petroleum products are exempted from the price and
allocation controls adopted pursuant to the Emergency Petroleum
Allocation Act of 1973, as amended .
The Secretary of Energy shall promptly take such
action as is necessary to revoke the price and allocation regulations
made unnecessary by this Order . " L' Executive Order prenait effet le
jour même .
Le Congrès ne désarma pas et en mars 1982 le Sénat
vota le Standby Petroleum Allocation Act, qui octroyait au Président le
pouvoir d' instaurer, en cas de crise, un contrôle des prix et des
mesures d' allocation administrative du pétrole et des produits .
R. Reagan opposa son veto à cette loi le 20 mars
1982 .
Le président écrit, dans sa lettre de " retour sans
approbation " transmise au Sénat : " this legislation grew from an
assumption, which has been demonstrated to be invalid, that giving the
Federal Government the power to allocate and set prices will result in
an equitable and orderly response to a supply interruption .
We can all still recall that sincere efforts to
allow bureaucratic allocation of fuel supplies actually harmed our
citizens and economy, adding to inequity and turmoil . " Face à une
rupture d' approvisionnement, c' est au contraire le libre
fonctionnement du marché ( " free trade among our citizens " ) qui,
précise le président, est le plus à même de réduire le coût supporté par
l' économie américaine .
Sur ce point, R. Reagan semble avoir été fermement
convaincu par les démonstrations des économistes selon lesquelles le
marché libre est toujours supérieur à l' allocation administrative, même
( et surtout ) en temps de crise .
La déréglementation du marché pétrolier américain
correspond aussi à une réintégration complète dans le marché mondial .
A partir de 1982, le prix intérieur est à nouveau
strictement aligné sur le prix mondial ( voir Figure 1, p .
Au cours des deux mandats de R. Reagan la
faible_NEW_ Reagan la faible taxe sur les importations n' a pas été
supprimée, mais l' administration a résisté, à plusieurs reprises, à de
fortes pressions du Congrès pour l' augmenter de manière significative .
Le decontrol américain a également eu un effet non
anticipé, sur les structures du marché pétrolier international : elle a
accéléré la substitution de transactions de court terme aux contrats de
long terme et la généralisation de la référence au prix spot .
Pleinement exposés aux aléas du marché mondial (
jusque-là atténués par le contrôle des prix et les mécanismes de
redistribution physique ), les raffineurs américains ont modifié leurs
pratiques commerciales ; les activités de trading ont explosé aux
Etats-Unis au début de les années quatre-vingt, et le NYMEX a lancé son
contrat à terme de pétrole brut en 1983 ( après avoir lancé, en 1978,
les contrats à terme de heating oil ) ( voir Figure 18, p .
Les gouvernements successifs, républicains et
démocrates , ne sont pas revenus sur la réforme fondamentale initiée par
l' administration Reagan .
Dans les années 1990, la politique pétrolière de l'
administration Clinton ( largement " encadrée " , il est vrai , par un
Congrès républicain ) fut une politique libérale .
Il n' y eut aucun retour sur la déréglementation du
marché pétrolier .
Parmi les mesures d' inspiration libérale prises au
cours de cette période, on peut citer la levée de l' interdiction d'
exporter le brut d' Alaska, l' accélération du leasing dans l' offshore
fédéral, les exemptions de royalty sur l' offshore profond ( Deep
Offshore Royalty Relief Act ), ou encore la privatisation ( partielle )
des Naval Petroleum Reserves .
Sécurisation du marché pétrolier
La libéralisation du marché intérieur s' est
accompagnée de la mise en place d' un important dispositif public de
sécurisation du marché .
Il s' agit du second pilier de la politique
pétrolière américaine mise en place sous l' administration Reagan .
On peut regrouper dans cette catégorie des mesures
aussi différentes que la mise en place de la Strategic Petroleum Reserve
d'une part, la création d' une force d' intervention rapide au
Moyen-Orient ( la Rapid Deployment Force ) d'autre part .
La Strategic Petroleum Reserve ( SPR ) fut crée dans
le cadre de l' EPCA à la fin de 1975 mais resta " virtuelle " pendant
cinq ans, en raison de dysfonctionnements administratifs et surtout d'
un manque de volonté politique .
Les pays exportateurs, et notamment l' Arabie
Saoudite, ont dénoncé la SPR dès sa création, et menacé les Etats-Unis
de restreindre leur production si elle était mise en place .
En 1978, un accord secret entre le président Carter
et les Saoudiens avait " échangé " le non remplissage de la SPR contre
le maintien d' un " haut " niveau de production .
A la fin de 1980, la SPR ne contenait que 107
millions de barils de pétrole .
L' administration Reagan allait faire du remplissage
une priorité de sa politique pétrolière, complémentaire de la
libéralisation du marché intérieur .
A la fin du premier mandat de R. Reagan le_NEW_
Reagan le volume stocké était de 450 Mb, et 560 Mb fin 1988 - niveau
auquel on est encore aujourd'hui ( voir Figure 19, p .
Le rythme moyen de remplissage était de 77 000 b / j
entre 1976 et 1980 ; il est passé à 290 000 b / j en 1981 ( année
fiscale ) et 215 000 b / j en 1982 .
80 % du pétrole stocké dans la SPR l' a été sous
Reagan, dont plus de 60 % entre 1981 et 1984 .
Le renforcement de la présence militaire américaine
dans le Golfe Persique répondait certainement à des considérations
stratégiques plus larges que la seule prévention d' une rupture de l'
approvisionnement pétrolier mondial .
La création de la RDF venait après l' invasion
soviétique en Afghanistan et s' inscrivait dans le cadre de la "
doctrine Carter " ( sanctuarisation du Moyen-Orient ), qui n' est pas
réductible à une politique énergétique .
Toutefois, cette dimension était certainement
présente .
La logique est alors la même que pour la SPR, même
si l' instrument est très différent .
Accepter que l' approvisionnement pétrolier repose
sur un marché mondialisé , concurrentiel et dominé par les transactions
de court terme , supposait la mise en place d' une sécurisation en
amont, ou " par le haut ", dont le coût s' apparente à une assurance
contre les conséquences économiques d' une défaillance de l' offre
mondiale .
Libéralisation et sécurisation ne s' opposent pas,
mais constituent deux faces d' une même politique .
Tout comme la libéralisation, les mesures de
sécurisation du marché initiée sous R. Reagan ont été assumées par tous
les gouvernements depuis 1988, et demeurent un élément essentiel de la
politique pétrolière américaine .
Au cours des années 1990, la SPR a connu plusieurs
améliorations techniques au niveau de le stockage et des modalités d'
utilisation ; quant à la présence militaire au Moyen-Orient, elle est
aujourd'hui beaucoup plus forte qu' elle n' était en 1990 ( avant la
guerre du Golfe ) .
Construction du marché international des permis d'
exploration
La troisième orientation de la politique pétrolière
américaine est moins connue que les deux premières .
Il s' agit de l' effort de construction ( ou de
reconstruction ) du marché international des permis d' exploration et
production, après les bouleversements juridiques et politiques des
années 1970 .
Dans le sillage de la " révolution OPEP ", de
nombreux pays ont nationalisé leur industrie pétrolière et fermé leur
sous-sol aux compagnies étrangères, ou durci considérablement les
conditions juridiques et fiscales offertes aux investisseurs .
En conséquence, l' industrie pétrolière
internationale a recentré ses investissements d' exploration et
développement sur les pays de l' OCDE, essentiellement les Etats-Unis (
dont l' Alaska et le Golfe du Mexique ) et la Mer du Nord .
Les zones les plus prometteuses en dehors de l' OPEP
se trouvaient donc marginalisées dans les stratégies des compagnies
pétrolières .
Pour corriger cette situation très défavorable à la
diversification de l' offre pétrolière à long terme, il avait été décidé
dans le cadre de le G7 de créer, au sein de la Banque mondiale, une "
filiale énergie " destinée à aider les Etats exclus du marché des
capitaux pétroliers privés à entreprendre la prospection et l'
exploitation de leurs ressources énergétiques .
Ce projet s' est vu opposer un veto américain en
1981 .
L' administration Reagan a imposé l' idée selon
laquelle les institutions internationales devaient encourager les pays
en développement à adapter leurs législations et leurs fiscalités, et
non les soustraire au marché en apportant des financements publics .
Cette idée d' une nécessaire adaptation des termes
législatifs et contractuels dans les pays en développement était
défendue par les compagnies pétrolières internationales, qui y voyaient
la condition d' un retour de l' industrie dans ces pays .
L' action de la Banque mondiale a été réorientée en
ce sens ; entre 1985 et 1995, plusieurs dizaines d' Etats ont bénéficié
des conseils économiques et juridiques de la Banque pour réformer leurs
législations et rendre leurs sous-sols plus attractifs sur le marché des
contrats pétroliers .
Parallèlement, l' administration Reagan a lancé, dès
1981, une politique juridique internationale très ambitieuse, destinée à
réformer le régime juridique international des investissements .
Les objectifs poursuivis étaient : l' octroi d' un
haut niveau de protection des investisseurs étrangers ( application du
principe du " traitement national " ) ; le respect des contrats entre
investisseurs et Etats ; la liberté de rapatriement des profits ; l'
internationalisation du droit s' appliquant à la relation contractuelle
; enfin - point capital - le règlement des différends relatifs aux
investissements devant des tribunaux arbitraux dont les sentences sont
garanties par le droit international public .
La régulation juridique des contrats pétroliers,
pour lesquels ces principes revêtent une importance capitale ,
représentait une motivation essentielle de cette initiative .
Ces principes étaient initialement promus à travers
un programme de traités bilatéraux sur les investissements ( TBI ), qui
a ouvert la voie à une nouvelle génération de TBI portée par tous les
grands pays de l' OCDE, qui ont repris, dans les années 1990, les
principales dispositions des TBI américains .
Ensuite, l' influence américaine s' est fait sentir
dans les négociations sur les instruments multilatéraux régionaux (
ALENA chap .
11 ), sectoriels ( Traité sur la Charte de l'
Energie ), ou mondiaux ( AMI ) .
Vingt ans après le lancement de l' initiative
américaine, les principes que l' administration Reagan avait commencé de
promouvoir dans l' hostilité générale - et notamment de la part de les
pays en développement propriétaires de ressources naturelles - sont
aujourd'hui au fondement du nouveau régime juridique international des
investissements, auquel ont adhéré la plupart des pays en développement
actifs sur le marché des permis pétroliers, ou souhaitant entrer sur ce
marché .
Cette réforme juridique a joué un rôle important
dans le redéploiement des investissements privés d' exploration et
développement vers les pays d' Afrique, d' Amérique latine et d' Asie -
et aujourd'hui vers les pays de l' ex-URSS .
Conclusion
La politique pétrolière initiée sous la première
administration Reagan est motivée par l' idée qu' il n' existe pas de "
coût externe " de sécurité lié à la consommation de pétrole, même si
cela implique un recours croissant au pétrole importé .
Plus exactement, même il il existe une " externalité
", aucune mesure de politique énergétique ne peut la corriger à un coût
inférieur à son bénéfice social .
Dans ces conditions, la politique énergétique doit
consister à laisser fonctionner les mécanismes marchands, qui
garantissent la minimisation du coût d' approvisionnement, à sécuriser
le marché contre les perturbations exogènes, et à rechercher l'
extension géographique maximale du marché, qui améliore son efficacité
.
Cette politique pétrolière n' a pas été remise en
cause dans ses principes ; même si le discours politique met souvent l'
accent sur les risques associés à la " dépendance " et sur la nécessité
de la contenir, la réalité est que R. Reagan a fait entrer les
Etats-Unis dans l' ère de la dépendance pétrolière acceptée et assumée .
Reste à étudier les chances d' une réorientation
sensible de cette politique après quinze ans d' augmentation continue de
la part de les importations dans la couverture de la demande, et face à
la perspective d' une " dépendance " pouvant atteindre 70 % en 2020
.
Face à la dépendance croissante : une nouvelle politique
pétrolière ?
La politique pétrolière de l' administration Bush, telle
qu' elle est envisagée dans le plan Cheney , traduit -elle une évolution
dans la manière d' appréhender la " dépendance pétrolière ", ou augure
-t-elle d' une continuation de la politique conduite depuis vingt ans ?
L' analyse des propositions contenues dans le rapport
montre, de manière très nette, qu' il s' inscrit dans la continuité beaucoup
plus que dans la rupture .
Au-delà de l' association rhétorique entre maîtrise de
la " dépendance " et renforcement de la sécurité, c' est bien la
libéralisation, la sécurisation et la construction du marché qui dominent
très largement les propositions concrètes .
Le fonctionnement des mécanismes marchands est au centre
de la vision de l' approvisionnement pétrolier développée par le rapport
Cheney, ce qui implique l' acceptation d' un recours croissant aux
importations .
Les mesures visant à maîtriser la demande pétrolière
sont très timides ; en l'absence de durcissement des normes de consommation
( CAFE standards ), il s' agit essentiellement de crédits d' impôts pour l'
acquisition de véhicules efficaces ( hybrides ou piles à combustible )
.
Le rapport prévoit neuf mesures destinées à stimuler la
production intérieure, parmi lesquelles la continuation du soutien public à
la R & D en matière de technologie d' exploration et production, l'
accélération du leasing sur les terres fédérales et l' ouverture de
certaines zones jusque là fermées aux activités de forage, en particulier l'
ANWR en Alaska .
Il importe de noter que, en l'absence de barrières aux
importations et aux exportations, l' évolution de l' offre intérieure se "
dissout " dans l' évolution de l' offre mondiale .
L' ouverture des terres fédérales peut donc s'
apparenter à une mesure d' extension du marché mondial des permis d'
exploration et production .
Le chapitre 8 de le rapport Cheney , consacré à la "
sécurité énergétique nationale et à les rapports internationaux " ,
concentre l' essentiel des mesures pertinentes du point de vue la gestion de
la dépendance pétrolière .
Sur les 35 recommandations du chapitre, 18 ( soit 50 % )
constituent des mesures de construction du marché, qui peuvent être
regroupées en trois sous-catégories :
Soutien à l' ouverture et à l' amélioration du
climat d' investissement dans les pays en développement et en transition
.
L' Amérique latine , les pays de la Caspienne , la
Russie , le Moyen-Orient et l' Afrique de le Nord , l' Afrique
subsaharienne et enfin l' Asie sont mentionnés ;
Constitution et / ou renforcement de marchés
énergétiques transnationaux, en particulier en Amérique du Nord, mais
aussi en Europe ;
Création de conditions politiques et juridiques
favorables au développement des grandes infrastructures transnationales,
en particulier les pipelines .
Pour la première fois dans un document officiel, la
politique juridique extérieure des Etats-Unis en matière de régulation de
les investissements transnationaux est reconnue comme un instrument de
politique énergétique .
Le rapport fait explicitement référence à la signature
d' un traité bilatéral sur les investissements avec le Venezuela, et de "
consultations formelles " avec le Brésil en vue de améliorer le climat des
investissements énergétiques .
L' importance des mesures de construction des marchés
énergétiques internationaux dans le rapport Cheney est remarquable .
Elle témoigne d' une réelle prise en compte de l'
interdépendance des systèmes énergétiques, donc du fait que la sécurité,
pour l' essentiel, se construit globalement et non localement .
De ce point de vue, on peut noter une véritable
différence avec le Livre Vert publié fin 2000 par la Commission européenne,
qui semble n' accorder qu' une importance très relative aux dispositifs de
construction du marché .
Il s' agit cependant, rappelons -le, du maintien d' une
préoccupation constante des Etats-Unis depuis le début des années 1980, et
non d' une innovation de la présente administration .
On doit aussi inclure dans les mesures de construction
du marché la résolution des problèmes de " balkanisation réglementaire " du
marché américain des carburants automobiles, proposée au chapitre 7 du
rapport .
Le chapitre 8 de le rapport contient en outre six
recommandations relevant de la sécurisation du marché .
L' importance de la SPR est réaffirmée, et l'
augmentation de son volume est envisagée, en des termes très prudents .
En revanche, rien n' est dit n' est dit sur la réforme
des règles et modalités d' utilisation de la SPR ; au contraire, le rapport
précise que la SPR n' a pas vocation à être un instrument de gestion du
prix, et reste destinée à " répondre à une rupture imminente ou réelle des
approvisionnement pétroliers " - faisant l' impasse sur la question cruciale
de la définition et de l' identification d' une rupture d'
approvisionnements, qui passe forcément par une référence au prix du pétrole
.
Le rapport évoque la possibilité de louer à d'autres
pays les capacités inutilisées de la SPR, de manière à permettre à des Etats
qui n' ont pas de réserve stratégique d' en développer une à coût réduit .
Enfin, la question des stocks stratégiques dans les pays
d' Asie non membres de l' OCDE , qui n' en possèdent pas , est évoquée
.
Entre libéralisation, construction et sécurisation du
marché, le rapport Cheney marque, sur les questions pétrolières, une forte
continuité avec la politique initiée sous R. Reagan et poursuivie depuis
avec constance .
Après le débat législatif, il n' est même pas certain
que les mesures les plus fortes, côté offre comme côté demande, soient
préservées .
La proposition de loi votée par la Chambre octroie de
fortes aides fiscales à l' exploration et autorise l' ouverture de l' ANWR ;
le Sénat ( dominé par les démocrates ) a réduit les déductions fiscales et
supprimé l' ouverture de la réserve écologique d' Alaska, troquée contre des
subventions aux bio-carburants .
Le texte de compromis qui émergera - à supposer qu' il y
en ait un - sera en retrait par rapport à le rapport Cheney et ne comportera
aucune mesure significative .
Alors que la " dépendance " extérieure a atteint son
maximum historique, et que son approfondissement est une quasi certitude
pour les deux décennies à venir , les Etats-Unis ne semblent pas devoir
modifier radicalement leur politique pétrolière .
au contraire, les grandes orientations définies il y a
vingt ans sont confirmées, mêmes si c' est par défaut : après la " crise "
de 2000-2002 comme après celle de 1990-1991, le grand débat de politique
énergétique initié par l' administration accouche essentiellement de non
mesures, c' est-à-dire qu' il confirme l' approche libérale qui structure la
politique énergétique américaine depuis le tournant des années 1980 .
Pour l' économiste, cette politique reste raisonnable
même si elle implique une croissance régulière de la " dépendance pétrolière
" .
La plupart des études sur les coûts de réduction des
importations américaines coûts ( ou du taux de croissance des importations
), tant par la stimulation de l' offre intérieure que par la maîtrise de la
demande , concluent à la faiblesse des marges de manoeuvre en la matière .
Le seuil au-delà duquel les coûts de la réduction sont
supérieurs à les bénéfices en termes de sécurité énergétique est très vite
atteint ; il n' existe qu' un potentiel très limité de réduction profitable
de la " dépendance " pétrolière .
Si cette analyse coûts / avantages semble effectivement
inspirer la politique pétrolière américaine dans la durée, elle paraît
toujours aussi difficile à soutenir explicitement dans le débat public .
Les références à la réduction de la dépendance
énergétique comme source de sécurité sont omniprésentes dans le rapport
Cheney , comme dans le débat qui a eu lieu depuis à le Congrès , et servent
à justifier les mesures les plus diverses ( de la relance du nucléaire à l'
assouplissement des normes environnementales sur le charbon, en passant par
les subventions à la culture du colza et aux énergies renouvelables ), y
compris celles dont l' impact sur le niveau des importations pétrolières ou
sur la sécurité énergétique est plus que douteux .
Plus généralement, on observe depuis plus de vingt ans
une différence saisissante entre la tonalité très interventionniste du débat
public sur l' énergie aux Etats-Unis, et la reconduction - voire l'
approfondissement - d' une politique essentiellement libérale .
D' aucun_NEW_ D' aucun voudront expliquer ce décalage
par les dysfonctionnements du processus législatif américain, sa
perméabilité à l' action des groupes d' intérêt, sa pente naturelle au
compromis ( bipartisan d'une part, entre législatif et exécutif d'autre part
), toutes caractéristiques propres à laminer les ambitieux projets de
réforme, et notamment les comprehensive energy policy plans élaborés à
intervalles réguliers par l' administration ou les majorités parlementaires
.
Cette analyse doit être complétée par la prise en compte
du fait que les débats de politique énergétique ont toujours lieu, aux
Etats-Unis, dans le sillage de " crises ", c' est-à-dire d' épisodes de
forte hausse - éventuellement de fortes baisses - des prix de l' énergie :
1973 - 74, 1979 - 80, 1985 - 86, 1990 - 91, 2000-2001 .
Dans ces contextes marqués par un sentiment d'urgence
plus ou moins justifié, le débat politique est nécessairement dominé par une
" prime à l' intervention " : à situation exceptionnelle, mesures
exceptionnelles .
Ceci n' est évidemment pas propice à l' évaluation
froide et rationnelle des orientations proposées .
En temps de crise plus encore qu' en temps normal, les
affaires énergétiques et notamment pétrolières sont entourées, selon le mot
de M. Adelman, d' une " aura romantique " susceptible de " rendre plausible
n' importe quel non sens " .
Le sentiment d'urgence s' effaçant comme il était venu
avec le retour à une situation normale sur les marchés de l' énergie , il
devient impossible au moment décisif de réunir une majorité parlementaire
sur des mesures dont la rationalité est plus que douteuse - d' où le
sentiment, a posteriori, que la montagne a accouché d' une souris .
A bien y regarder, les " lourdeurs " de le processus
législatif américain constituent peut-être un garde-fou, au moins autant que
une entrave à l' action réformatrice .
TITRE : La réglementation des lobbies aux Etats-Unis et son impact sur les
think tanks spécialisés dans les politiques publiques
AUTEUR : Steven C. Clemons
Introduction : le monde des " points rouges " de Washington
Le lobbying n' est peut-être pas le plus vieux métier du
monde, mais peu s' en faut .
Dès l' instant où des souverains ont eu besoin d' intendants
et de conseillers pour gérer leurs affaires et administrer leur politique, d'
aucuns à ont cherché à les courtiser par le biais de leurs plus proches
serviteurs .
Il est intéressant de noter qu' aussi bien en Europe qu' en
Asie, rois et empereurs disposaient d' un vaste appareil destiné à entretenir
membres de la cour et favoris .
L' empereur chinois comme le shogun japonais étaient
entourés d' une foule de courtisans , et ceux qui étaient en quête de faveurs
cherchaient souvent à soudoyer les hauts dignitaires pour peser sur leurs
décisions .
Chaque fois que les pouvoirs publics envisagent des
politiques propres à faire des gagnants et des perdants, opposants et partisans
s' organisent pour défendre leurs intérêts .
Cette joute entre groupes d' intérêts et adversaires
politiques se livre dans la plupart des systèmes politiques, démocratiques ou
non, à tous les échelons de l' administration, au niveau tant local que national
.
Or aujourd'hui, pour ceux qui veulent infléchir le cours des
grandes décisions politiques, la première scène du monde, voire de l' Histoire ,
est à Washington, D.C., ville née d' une transaction politique entre forces
opposées qui s' est soldée par des gagnants et des perdants, mais où certains
ont récupéré plus que leur mise .
La genèse de la création d' une nouvelle capitale dans les
tous jeunes Etats-Unis d' Amérique a ouvert la voie au lobbying et en a fait un
terme incontournable de l' équation de toutes les grandes décisions de l' Etat .
Sous la présidence du général Washington, Alexander Hamilton
, le secrétaire à le Trésor , soucieux d' asseoir le crédit de la jeune nation ,
décide d' assumer les dettes héritées de la révolution .
Thomas Jefferson et James Madison , deux de ses adversaires
politiques , s' opposent à son plan, tout en faisant eux -mêmes l' objet d' un
lobbying de la part de les Etats et des groupes d' intérêts qui redoutent de
voir leur prospérité entamée si la nation honore ses dettes .
Mais Hamilton sait que ce qui importe davantage encore à
Madison, c' est le débat sur le lieu d' installation du futur siège du Congrès,
pour lequel cinq sites sont envisagés .
Les spéculateurs immobiliers ne pouvant que profiter de l'
opération , quel que soit le site choisi pour le Capitole , Hamilton s' assure
le soutien de ses adversaires sur la question du budget en se ralliant au projet
d' installer la capitale fédérale dans une zone marécageuse sur le Potomac, à
côté de la Virginie, Etat d' où Madison et Jefferson sont originaires .
Les amis de Madison en profitent et la fierté de la Virginie
s' en trouve confortée .
Le compromis politique n' est donc pas chose nouvelle, et
souvent la définition de la politique officielle est le fruit de l' âpre
rivalité qui, en coulisses, oppose entre eux les responsables politiques
légitimes, mais aussi les acteurs puissants et officieux, voire illégitimes, qui
oeuvrent au sein de l' appareil politique .
Si les rédacteurs de la Constitution des Etats-Unis n' ont
pas prévu le lobbying dans leur traité sur le gouvernement, les lobbyistes
constituent pourtant un rouage essentiel de l' appareil d' Etat depuis le début
de sa création .
Dans son acception initiale, le terme de " lobbyiste "
désigne toute personne ou tout groupe qui essaie d' influer sur la politique ;
mais, au fil de le temps, il a été utilisé plus généralement pour qualifier tout
simplement un agent d' influence rémunéré, un défenseur de dossiers, souvent
avocat ou chargé de relations publiques, ou encore ancien membre du
gouvernement, dont la connaissance des représentants et des coulisses du pouvoir
peut conférer à des intérêts privés l' avantage d' influer sur une décision
politique .
au Sénat comme à la Chambre des représentants, la
correspondance que reçoit le bureau d' un parlementaire est, en règle générale,
codifiée et enregistrée différemment selon que le courrier postal ou
électronique reçu fait partie d' un envoi massif ou qu' il est unique .
Si le courrier provient du district ou de l' Etat d' origine
du parlementaire, il bénéficie d' une attention plus grande que s' il émane d'
une lointaine localité .
Or, la catégorie qui se voit accorder une attention
prioritaire est souvent qualifiée de " point rouge ", ce qui signifie que le
membre du Congrès lit ce courrier et y répond souvent personnellement .
Pour bénéficier du statut de " point rouge ", il ne suffit
pas d' envoyer une proposition de mesure particulièrement intéressante et utile
pour la collectivité ; il vaut mieux effectuer des dons importants - du niveau
maximal autorisé par la loi - sur le compte de campagne de l' élu .
On peut aussi aider à mettre sur pied un comité d' action
politique qui versera, toujours dans le respect de la légalité, des sommes
importantes au parti politique dudit parlementaire, ou contribuera
financièrement à ce comité .
A l'évidence, l' argent règne en maître et il en a toujours
été ainsi .
Une participation financière permet de faire entendre sa
voix, et les lobbyistes exercent leur influence en mobilisant leurs réseaux
traditionnels, mais aussi en exploitant leur aptitude à collecter des fonds et à
susciter la contribution d' un grand nombre de " points rouges ", ainsi que en
démontrant leur capacité à obtenir les résultats politiques escomptés par leurs
clients .
Les cabinets de lobbying de Washington - la légion de les "
points rouges " - sont concentrés sur " K Street ", dans le district de Columbia
.
A vrai dire, " les lobbyistes d' entreprise ont tellement
pénétré dans la culture de la Cité qu' on a parfois le sentiment qu' ils font
partie de l' appareil d' Etat lui -même " .
Le secteur du lobbying a pris désormais une place si
importante que certains grands journaux de la presse nationale, comme le
Washington Post, le National Journal et Roll Call, lui consacrent une rubrique
spéciale .
L' archétype du lobbyiste, tel qu' il a été croqué aux
Etats-Unis dans certaines des caricatures politiques les plus incisives du XXe
siècle, a longtemps été un personnage ventripotent qui fume le cigare et rôde
dans l' ombre d' un homme politique dont il remplit les poches de dollars .
Aujourd'hui, les lobbyistes sont devenus des acteurs plus
sophistiqués du jeu politique .
Toutefois, des efforts sont en cours pour endiguer le
pouvoir de ces éminences grises et instaurer davantage de transparence sur les
liens qu' ils entretiennent avec les responsables politiques .
Auparavant, les lobbyistes avaient leurs entrées dans les "
vestiaires " du Congrès, ces antichambres privées dont disposent les délégations
des partis dans chacune des deux chambres, ce qui n' est pas le cas du citoyen
moyen .
Ce privilège leur a été retiré, mais le monde des " points
rouges " détient encore nombre de privilèges officieux, en particulier au
Congrès, dont le simple citoyen ne bénéficie pas non plus .
Récemment, Chris Dodd ( sénateur démocrate , Connecticut ) ,
président de le Senate Rules and Administration Committee ( Commission
sénatoriale de les règlements et de l' administration ) , a voulu une fois
encore accroître les prérogatives des lobbyistes par rapport à les citoyens
ordinaires pour ce qui est de leurs entrées au Capitole : il a proposé un
dispositif leur permettant d' y accéder plus rapidement et plus aisément pour
contacter les parlementaires et leurs collaborateurs - une sorte de coupe-file
analogue à la carte proposée aux VIP par la compagnie aérienne United Ai
Néanmoins, les relations financières entre responsables
politiques et lobbyistes sont strictement réglementées : repas, voyages ou dons
financés par des groupes d' intérêts par le biais de les seconds au profit de
les premiers sont soit devenus illicites, soit désormais réglementés par
plusieurs bureaux de contrôle déontologique au sein de le Congrès et de l'
Exécutif .
L' univers des think tanks, " seconde économie " de l'
influence politique
Dans un article écrit après la promulgation de l'
interdiction de dons aux sénateurs, en 1996, sous le titre " How to Still Make a
Senator Smile ? " ( " Comment faire encore sourire un sénateur ? " ), j' examine
comment le monde de l' influence peut encore induire en tentation les
législateurs et leurs équipes, malgré la profusion de règles et règlements
nouveaux qui ont été adoptés aussi bien à la Chambre des représentants qu' au
Sénat concernant leurs liens avec les lobbyistes .
C' est ainsi que la cafétéria du Sénat - et sa nourriture
bon marché mais tout à fait honnête - a remplacé les restaurants renommés pour
devenir le lieu privilégié où les lobbyistes invitent les collaborateurs
personnels ( staffers ) des membres du Congrès ou les parlementaires eux -mêmes,
car c' est un endroit où ils peuvent leur offrir un nombre illimité de repas non
enregistrés sans dépasser la limite annuelle imposée par les nouvelles règles .
Le Code de déontologie du Sénat est un document de 562 pages
qui recense ce qui est autorisé et ne l' est pas entre, d'une part, les
sénateurs et leurs collaborateurs et, d'autre part, les groupes d' intérêts .
Une partie des dispositions concernant les dons est libellée
comme suit :
Règlement du Sénat 35.1 ( a )
Règlement du Sénat 35.1(a)
Aucun membre, fonctionnaire ou employé de le Sénat
n' acceptera en toute connaissance de cause de dons autres que ceux
stipulés aux termes du présent règlement .
Un membre, un fonctionnaire ou un employé est
autorisé à accepter un don ( autre qu' en espèces ou équivalent ) dont
le membre, le fonctionnaire ou l' employé estime raisonnablement et de
bonne foi la valeur inférieure à 50 dollars, et la valeur cumulée,
provenant de la même source pour une année civile, inférieure à 100
dollars .
Les dons d' une valeur inférieure à 10 dollars ne
sont pas pris en compte pour le calcul du montant maximal annuel de 100
dollars .
Aucune tenue de comptabilité n' est requise aux
termes des dispositions du présent paragraphe, mais un membre, un
fonctionnaire ou un employé est tenu de s' efforcer en toute bonne foi
d' en respecter les dispositions . "
Règlement du Sénat 35.2 ( b ) ( 1 )
Le terme " don " désigne toute forme de gratification,
de faveur, de remise, d' invitation, de prêt ou d' exonération ou tout autre
élément ayant une valeur monétaire .
Il englobe les dons de services, de formation, de
transport, d' hébergement et de repas, qu' ils soient fournis en nature, par
l' achat d' un billet, par un paiement anticipé, ou par le remboursement des
dépenses engagées . " Toutefois, si certains collaborateurs personnels des
parlementaires peuvent toujours continuer à bénéficier de repas offerts par
des lobbyistes au service de intérêts aussi divers que les droits de pacage,
les licences d' utilisation du spectre électromagnétique, la levée des
sanctions unilatérales visant Cuba ou le Soudan, ou l' exploration
pétroli
Sans entrer dans le détail des dispositions qui
régissent désormais les rapports entre lobbyistes et membres du Congrès ou
de l' Administration, on constate néanmoins que s' est mise en place une
véritable " seconde économie " de l' influence politique .
Au lieu de se contenter des contacts privilégiés et
directs qu' ils entretiennent avec les membres de l' exécutif, les
lobbyistes recourent de plus en plus à des forums de " sensibilisation des
responsables publics " et à des think tanks ( " laboratoires d' idées " )
pour démarcher les parlementaires ou leurs assistants .
Le code de déontologie autorise les collaborateurs
politiques à assister à des réunions " largement ouvertes " - définies comme
étant simplement celles auxquelles assistent un minimum de dix personnes -
et à profiter des repas et autres avantages offerts à cette occasion .
Il autorise aussi les parlementaires et leurs assistants
à effectuer des voyages à l' intérieur et à l' extérieur des Etats-Unis, aux
frais de leur hôte, si l' objet de ces voyages relève de leurs obligations
et si le financement en est assuré par un organisme sans but lucratif
sélectionné par un bureau de déontologie .
Fait étonnant, malgré cette exigence de contrôle
déontologique, l' organisme de financement ne rencontre aucun problème et n'
enfreint aucune loi s' il sert de vecteur à une opération de blanchiment d'
argent pour le financement, par des entreprises ou des fonctionnaires
étrangers, de programmes ou de voyages destinés à des responsables publics .
C' est ainsi que le gouvernement chinois peut inviter
des membres du personnel du Congrès en finançant un organisme sans but
lucratif chargé de l' organisation de la visite et de l' invitation des
assistants des parlementaires, voire, dans certains cas, des parlementaires
eux -mêmes .
Le gouvernement taiwanais fait voyager tous les
collaborateurs invités des membres du Congrès en première classe sur China
Airlines et leur offre un accueil pour VIP dans les meilleurs hôtels de
Taipei, où ceux -ci ont le privilège tout à fait inhabituel d' avoir chacun
un serveur d' étage personnel .
C' est ainsi que un de ces collaborateurs, ayant changé
de domaine d' intervention au sein de l' équipe d' un membre de la Chambre
des représentants, m' a fait savoir qu' il était " disponible " pour
effectuer des visites partout dans le monde si celles -ci avaient trait à
ses nouvelles responsabilités dans le domaine de la politique des
télécommunications .
Nombre de programmes financés par des entreprises, voire
par des gouvernements étrangers , offrent effectivement d' excellentes
occasions de sensibiliser les participants aux dossiers de politique
publique ; mais beaucoup ne sont en fait qu' un simple moyen de voyager aux
frais de la princesse, et visent davantage à corrompre qu' à éclairer l'
esprit et le choix des hauts responsables des politiques publiques .
Jeremy Azrael , analyste de la RAND Corporation , a
beaucoup écrit sur les seconde et tierce économies de l' ex-Union soviétique
et des nouveaux Etats indépendants d' Europe orientale, estimant que la
corruption qui s' est manifestée au sein de ces appareils politiques était
une nécessité naturelle et prévisible compte tenu de l' inadéquation de l'
économie centralement planifiée .
Si l' Etat n' est pas en mesure de assurer une
distribution efficace de pain et de chaussures dans le pays , de les marchés
parallèles se mettent en place pour répondre à la demande .
Certes, les règles de comportement jouent un rôle - le
comportement étant influencé via la tactique de la carotte et du bâton -,
mais si les règles d' une économie politique vont trop à l'encontre de la
demande de certains biens ou services, le fournisseur cherchera d'autres
moyens de survivre et de prospérer .
Un bon exemple d' une telle situation est offert par l'
économie de la drogue aux Etats-Unis et dans d'autres systèmes fortement
régulés de lutte contre la production et la consommation de drogues
illicites .
L' économie souterraine du secteur de la drogue
outre-Atlantique semble en effet prospérer, et ce, malgré l' énorme effort
d' investissement déployé par l' Administration pour lutter contre la
production, l' offre et la distribution de drogues illicites .
On peut aussi voir dans le vol de propriété
intellectuelle pratiqué en Chine un autre cas où le dispositif de lois et
règlements n' est pas encore suffisamment élaboré pour battre en brèche l'
économie illicite qui consiste à copier, produire et distribuer des copies
piratées de disques compacts à succès, voire à publier une série de nouveaux
Harry Potter que J. K. Rowling n' a jamais écrits, sans parler des
nombreuses copies piratées de ceux qui sont réellement de son cru .
En réalité, face au contrôle et à la réglementation
accrus du secteur du lobbying, les lobbyistes ont cherché d'autres moyens de
défendre leurs intérêts : or, l'une des stratégies les plus habiles, déjà
employées par les entreprises et d'autres groupes d' intérêt, consiste à se
servir des think tanks pour relayer leurs propositions en matière de
politiques publiques .
La plupart des think tanks sont organisés en vertu de le
droit américain des sociétés selon les mêmes dispositions que celles
régissant les organisations caritatives et éducatives, ce que l' on appelle
les " organisations 501 ( c ) " .
Si DaimlerChrysler veut sensibiliser 0 des
parlementaires ou leurs assistants à le problème de le non respect par la
Corée de les termes de l' accord bilatéral sur l' automobile passé entre ce
pays et les Etats-Unis , ou si la Biotechnology Industry Assoc pourraient s'
adresser, par exemple, à des organisations comme celle à laquel
Ces groupes d' intérêt spécifiques pourraient demander à
une organisation sans but lucratif, telle que le Congressional Economic
Leadership Institute ou la New America Foundation, de mettre sur pied un
voyage à Sydney, en Australie, pour étudier la problématique des
biotechnologies, ou à Séoul ou Bruxelles pour comparer les caractéristiques
respectives du commerce européen et coréen de l' automobile .
Dans la mesure où les membres du Congrès disposent
souvent, en propre, de budgets de mission pour leurs bureaux personnels ou
pour les commissions auxquelles ils appartiennent, une tactique intéressante
employée par l' organisme sans but lucratif ou l' équipe de liaison de le
groupe d' intérêt concerné consiste à sensibiliser les épouses desdits
parlementaires aux dossiers de politique publique et à les faire participer
simultanément à des voyages qui poursuivent les objectifs du bureau
personnel de ces parlementaires ou de leur commission .
La corruption des think tanks
Suivant une tradition instaurée au sein de la vieille
Europe, des individus et de les institutions fortunés ont souvent mis sur pied
des associations caritatives destinées à aider les défavorisés .
Londres regorge encore aujourd'hui de ces vénérables "
fondations de bienfaisance " ( les charities ) créées pour éduquer la jeunesse,
aider les sans-abri et s' attaquer à toutes sortes de maux sociaux .
Sous une forme quelque peu différente, ce type de fondation,
issu d' une opulence révolue , est légion en Italie, en France, en Allemagne et
dans d'autres pays d' Europe .
aux Etats-Unis, des particuliers fortunés, d' Andrew
Carnegie à Bill Gates , se sont acquittés de leurs responsabilités de citoyens
privilégiés en créant des fondations privées .
La Ford Foundation de Henry Ford a été l'une des premières
grandes fondations à s' engager dans les affaires du monde .
Des libéraux de la société civile comme Norman Lear et des
politiciens conservateurs comme John Olin ont créé des fondations et des fonds
destinés à aider des projets et des individus s' inscrivant dans leurs camps
politiques respectifs .
Mais des entreprises ont fait de même .
DaimlerChrysler, AT & T , Federal Expression ,
Philip Morris , Toyota , AIG Citigroup : partout dans le monde , de les
entreprises allouent des fonds issus de leur trésorerie propre ou de leurs
fondations respectives, créées autour de leurs thèmes d' intérêt spécifiques,
pour financer aussi bien un orchestre philharmonique ou un bal d' investiture à
l'issue de l' élection présidentielle, que des voyages ou des programmes de
réflexion politique destinés aux responsables publics .
La société civile à les Etats-Unis regroupe un éventail
diversifié d' acteurs et de points de vue qui couvrent tout l' échiquier
politique et s' affrontent pour avoir le dessus, les gagnants d' un jour pouvant
être contraints à battre en retraite le lendemain .
Partis politiques, organismes de défense d' intérêts
particuliers constituent ainsi l'un des plus riches tissus sociaux du monde .
Préserver la bonne santé de la démocratie nécessite, entre
autres, d' empêcher des monopoles de pouvoir, qu' ils soient financiers ou
politiques, de déséquilibrer ce système de concessions mutuelles entre
adversaires .
Où se situent les lobbyistes et leurs cabinets dans ce
paysage ?
En général, ils sont dénués de moralité et prêts à défendre
la plupart des dossiers en échange d' une rémunération appropriée .
Il existe des lobbyistes de gauche comme de droite ; ils
peuvent représenter des communautés, des Etats, des intérêts particuliers, des
syndicats, des fédérations professionnelles et commerciales, ou des universités,
car les lobbies couvrent tous les intérêts dont les politiques publiques sont
susceptibles de faire des gagnants ou des perdants .
Les lobbyistes ont envahi le système, mais, en tant que
groupe, ils sont pratiquement invisibles puisqu' ils ont revêtu l' apparence de
leurs clients .
Comme l' a déclaré Jonathan Rauch dans un entretien sur l'
impossibilité de distinguer entre l' emprise omniprésente des lobbyistes sur le
gouvernement et l' intérêt véritable des citoyens, les lobbyistes sont des
citoyens, les citoyens sont des lobbyistes " .
Toutefois, comme les outils du lobbying, et notamment leur
faculté de solliciter des faveurs contre de l' argent , sont de plus en plus
réglementés et transparents, les professionnels de l' influence ont découvert
que les think tanks - qui sont eux aussi réglementés en théorie, mais beaucoup
moins en pratique - constituent un vecteur efficace pour promouvoir leurs
dossiers .
Aux termes des règles de l' Internal Revenue Service ( IRS
), les organisations 501 ( c ) bénéficient d' un régime fiscal particulier en
tant que organisations au service de l' intérêt public .
Un établissement de soins palliatifs pour malades de le sida
, une école privée , les Boy Scouts d' Amérique ( BSA ) sont autant d'
institutions constituées en organisations sans but lucratif dont l' objet n' est
pas officiellement de réaliser des bénéfices financiers mais bien de servir l'
intérêt public .
Or les think tanks sont généralement régis par les mêmes
dispositions du Code des impôts .
En tant que organisations 501 ( c ) traitant de questions d'
intérêt public, les think tanks ne sont pas autorisés à consacrer plus de 5 % de
leurs ressources totales au lobbying et à la promotion de points du vue
politiques .
Ils doivent se doter d' un conseil d' administration et
rendre librement accessibles le compte rendu des séances de ce conseil ainsi que
les formulaires 990 de déclaration fiscale .
Lors de la demande de statut d' organisation sans but
lucratif, l' IRS vérifie les règles d' adhésion, notamment le caractère non
discriminatoire, les programmes envisagés et le caractère public, ainsi que les
publications prévues et les modalités administratives qui en régissent le choix
.
Cependant, une fois le statut accordé, et tant que elle
dépose les déclarations fiscales requises, l' organisation n' est que très
rarement soumise à des investigations concernant le respect du caractère non
lucratif de ses activités .
L' une des rares exceptions à cette règle est le litige qui
oppose de longue date l' IRS et l' Eglise de scientologie, constituée en
association sans but lucratif d' intérêt public .
Si les règles régissant les organisations sans but lucratif,
à la différence de celles applicables aux entreprises classiques, intéressent
tellement les institutions actives dans le domaine de les politiques publiques
et les organismes à vocation sociale, c' est que les contributions qui leur sont
versées par des particuliers, des entreprises et des fondations sont déductibles
du revenu imposable .
En d'autres termes, des particuliers fortunés, inquiets par
exemple de l' incidence négative que pourrait avoir pour leurs affaires une
détérioration de les échanges commerciaux avec la Chine , peuvent soit donner de
l' argent à des parlementaires, soit faire un don à des partis politiques, ni
l'un ni l' autre n' étant déductibles du revenu imposable ; mais ils peuvent
aussi verser une contribution illimitée à des think tanks pour que ceux -ci
organisent à l' intention d' assistants parlementaires des dîners, des colloques
et des missions, ou encore subventionner des travaux
Cette pratique, souvent qualifiée de " lobbying de fond " ,
est mise en oeuvre depuis de nombreuses années .
Elle l' a été au premier chef par Roger Milliken, magnat du
textile de Caroline-du-Sud, qui a discrètement combattu l' Accord de
libre-échange nord-américain ( ALENA ), l' Initiative concernant le bassin des
Caraïbes ( CBI ), la législation " accélérée " et autres réglementations visant
à s' attaquer aux protections dont bénéficiait le secteur du textile aux
Etats-Unis .
Si les efforts de Milliken ont souvent échoué, sa fortune
lui a permis de gagner du temps et de devenir en coulisses un acteur décisif de
la scène publique .
Le soutien qu' il a apporté en sous-main à Ross Perot , en
1992 et 1996 , a vraisemblablement coûté leur élection à l' ancien président
George Bush et au sénateur Robert Dole .
Malgré la fortune de Perot, ce furent en fait le financement
par Milliken du Manufacturing Policy Project lancé par Pat Choate et ses liens
avec Pat Buchanan qui ont véritablement entravé la capacité du Parti républicain
à lancer une offensive efficace contre Bill Clinton .
Les tentatives cyniques mais couronnées de succès de George
W. Bush pour acheter le soutien de ceux qui étaient désireux de protéger l'
industrie sidérurgique ou de voir augmenter les subventions à l' agriculture -
mesures allant toutes à l'encontre du me visent aussi à empêcher d'autres
magnats de l' industrie du type de Roger Milliken de placer sur le chemin du
président sortant, en les finançant, des adversaires susceptibles de le mettre
en danger lors de les élections de 2004 .
Les think tanks ont toujours reçu des contributions de
particuliers, de fondations et d' entreprises défendant des causes politiques
spécifiques .
C' est ainsi que la Ford Foundation, soucieuse de
réhabiliter à bien des égards la mémoire de son fondateur, qui était antisémite
et pétri de préjugés divers, est devenue le champion des mesures anti
discriminatoires aux Etats-Unis .
Les organisations qui ne respectent pas une diversité
ethnique et une représentation de les deux sexes effectives sur le plan
quantitatif ne sont pas financées par cette fondation ; et celles qui s'
interrogent sur la question, particulièrement sensible, de savoir si de telles
mesures ne sont pas devenues anachroniques ne bénéficient pas non plus d' une
aide de la fondation, même si celle -ci est tout à fait favorable, par ailleurs,
à tel ou tel projet desdites organisations .
Il en va de même pour les entreprises et les syndicats .
Aucune fondation liée à un syndicat ne s' adressera à un
think tank qui a produit force travaux de recherche en faveur de le
libre-échange mondial .
Et des entreprises qui ont mené une guerre de tranchée
contre une politique de sanctions unilatérales ne soutiendront pas des
intellectuels ou des institutions qui considèrent qu' actuellement une grande
partie du monde profite de la situation créée par la décision des Etats-Unis de
sacrifier des avantages économiques aux intérêts supérieurs de la sécurité
nationale .
il n' est pas nouveau que les think tanks reçoivent de l'
argent d' instances défendant tel ou tel intérêt politique, la culture de la
société civile telle qu' elle existe aux Etats-Unis a fait que, globalement, les
think tanks et les institutions de recherche ont longtemps constitué les
meilleures sources d' analyses objectives des politiques publiques .
Ces études défendaient bien sûr des points de vue
divergents, mais leurs éclairages respectifs étaient étayés par une mise en
perspective historique, des analyses, des données empiriques, des modélisations,
et des réflexions stratégiques approfondies .
Parallèlement, d'autres acteurs occupaient d'autres
fonctions .
Les médias servaient non pas à approfondir les dossiers mais
à porter les faits sur la place publique et à informer les citoyens .
Divers intérêts opposés poursuivaient des objectifs
spécifiques plus limités mais n' étaient pas censés être la conscience
intellectuelle du processus d' élaboration des politiques publiques .
Les think tanks et, dans une certaine mesure , les
universités sont essentiellement des centres de recherche et d' analyse
politiques : or, ce sont précisément cette fonction et la légitimité dont les
think tanks jouissent auprès de l' Administration et des médias que les
lobbyistes se sont évertués à s' approprier et à mettre au service de leurs
propres stratégies .
Quelques exemples de la corruption des think tanks
Cet article ne prétend pas présenter le type de données "
évolutives " propres à nourrir une réflexion approfondie sur la corruption des
think tanks par le secteur du lobbying .
Il vise plutôt à dégager de grandes tendances et à mettre en
lumière la donne radicalement nouvelle introduite par l' inventivité tous
azimuts dont font preuve les lobbyistes pour trouver auprès de les think tanks
de nouveaux moyens d' atteindre leurs objectifs .
Cette mutation s' explique par toutes sortes de raisons, la
principale étant tout simplement qu' aux Etats-Unis, le lobbying fait désormais
l' objet d' un contrôle de plus en plus strict .
Les efforts démesurés déployés par le sénateur McCain aux
côtés de Trevor Potter , l' ancien président de la Commission de les élections
fédérales ( FEC ) , pour réformer le financement de les campagnes électorales
rendent encore plus difficile, quoique toujours possible, pour des intérêts
spéciaux de verser pour des campagnes politiques des sommes pratiquement
illimitées sous forme de soft money, ces contributions aux partis qui échappent
au plafonnement, à la différence de celles allouées aux candidats .
Bien entendu, les assistants des sénateurs sont aujourd'hui
contraints soit de s' accommoder des plafonds annuels auxquels sont soumis les
repas auxquels ils sont conviés, qui sont certes agréables mais en comité
restreint, soit d' obtenir des lobbyistes qu' ils leur offrent une multitude de
repas " à moins de 10 dollars " à la cafétéria du Congrès .
Le secteur des think tanks, pléthorique à Washington ,
prospère essentiellement grâce à les milliards de dollars qui y sont injectés .
Malgré le caractère apparemment passionné de nombre de
batailles politiques auxquelles ils participent, les think tanks s' investissent
de moins en moins dans des études politiques approfondies destinées à mieux
éclairer le choix des décideurs, et s' attachent plutôt à creuser plus avant les
ornières d' un débat déjà bien enlisé et menacé de paralysie par le pouvoir
antagoniste des gagnants et des perdants potentiels, poursuivis sans relâche par
une armée de lobbyistes .
La vulnérabilité croissante des think tanks, petits ou
grands , face à les quatre volontés de lobbies qui n' ont de cesse d' atteindre
leurs visées politiques , s' explique en partie par leur prolifération accélérée
et par le nombre croissant d' acteurs qui se partagent la masse de dollars
consacrée au champ politique .
Pour prospérer en tant que institution, un think tank est
tenu de signer une sorte de pacte faustien qui consiste à accepter l' argent des
donateurs tout en maintenant une apparence d' objectivité et de sérieux
politiques, alors même qu' il exécute les ordres de tel ou tel lobbyiste .
De surcroît, le manque de moyens de l' IRS pour mener de
véritables investigations sur le secteur sans but lucratif , conjugué à la
difficulté de faire précisément la différence entre le lobbying et ce que l' on
qualifie d' actions de sensibilisation " à l' intention vient nourrir le terreau
sur lequel prospère la corruption des think tanks .
Lorsque je travaillais encore au Sénat, une fondation dont
l' objet était de promouvoir le tennis en tant que activité périscolaire m'
avait invité à assister au Legg Mason Tennis Championship dans l'une des
luxueuses tribunes réservées par IBM . L' invitation ne faisait aucune référence
à cette entreprise, et il ne m' avait pas été signalé que j' avais été
spécialement sélectionné par elle pour participer à cette manifestation
caritative .
Dans la tribune, pendant que l' on me régalait de caviar, de
champagne et de toutes sortes de mets délicieux, j' ai rencontré une quinzaine
des plus prestigieux collaborateurs politiques du Sénat - chefs des assistants
des commissions et des bureaux personnels des parlementaires - des deux partis,
qui avaient presque tous aidé IBM et une coalition d'autres entreprises à faire
adopter au Sénat une nouvelle disposition appelée le Team Act visant à réformer
une partie de la loi sur les relations du travail qui interdisait les
négociations non réglementées entre un nombre re
En fait, on nous récompensait pour nos bons et loyaux
services .
Le Code de déontologie du Sénat comporte les exemples
suivants :
Exemple 22 .
Le Washington Press Club ( organisation sans but lucratif )
invite des membres du Sénat à son dîner annuel de remise du prix de la Presse
auquel participeront des représentants de nombreux organismes de presse et leurs
épouses .
Le Press Club fournira deux billets à chaque membre désireux
d' y participer, l'un pour le membre, l' autre pour son épouse .
Les sénateurs sont autorisés à accepter ces billets et à
convier leurs épouses au dîner .
Exemple 30 .
Une association caritative sans but lucratif qui organise un
tournoi de golf invite plusieurs sénateurs et nombre d'autres célébrités à y
participer .
L' association propose aux sénateurs de payer le billet d'
entrée d' un montant de 150 dollars afin de inciter d'autres personnes à
financer ses activités caritatives en contrepartie de la possibilité de jouer
avec des célébrités .
Les sénateurs sont autorisés à accepter l' invitation car
celle -ci émane de l' association caritative qui organise la manifestation .
"
Autrement dit, si, en tant que lobbyiste d' entreprise, vous
voulez inviter le collaborateur d' un membre du Congrès à un dîner de gala
organisé par un think tank comme la New America Foundation, vous n' avez pas le
droit d' acheter des billets pour cette manifestation et de les donner à ce
collaborateur ou à un parlementaire ; mais vous pouvez donner une liste de noms
à l' organisation sans but lucratif et faire ainsi en sorte que celle -ci invite
ledit collaborateur .
Lors du dîner de gala, le collaborateur se retrouvera tout
naturellement assis à côté de vous .
Cette pratique, qui est devenue extrêmement courante à
Washington , n' est rien d' autre qu' une opération de blanchiment d' argent
destinée à contourner l' esprit du Code de déontologie .
Les dîners annuels organisés par le Cato Institute, la
Heritage Foundation et l' American Enterprise Institute - qui , de tous les
événements organisés sur les dossiers de politiques publiques , figurent parmi
les manifestations annuelles les plus courues réunissent une foule de
responsables de l' Administration et du Congrès dont la participation est payée
par des entreprises qui ont blanchi les fonds consacrés à leur soutien et à l'
invitation de ces responsables par le biais de le think tank .
Les invitations à dîner que les lobbyistes avaient l'
habitude d' adresser tout à fait ouvertement à les membres de le Congrès et à
leurs principaux assistants passent désormais de plus en plus par des
organisations sans but lucratif qui servent d' intermédiaires .
Lorsque je travaillais au Sénat, ceux qui étaient parmi les
plus friands de ces manifestations offertes par les lobbyistes proclamaient : "
Nous respectons la lettre du Code, rien que la lettre . "
Mais la forme d' intervention en faveur de dossiers de
politique publique que les lobbyistes ont obtenue désormais de les think tanks
revêt un caractère beaucoup plus ambitieux et subtil que des invitations à des
dîners en smoking ou des voyages à Bali ou Singapour .
En effet, non seulement les think tanks réalisent des
travaux d' analyse politique ; mais, surtout, ils les diffusent tous azimuts
dans le but de convaincre l' opinion publique et les responsables publics .
C' est ainsi que les chercheurs principaux de la Brookings
Institution ont la réputation de produire des travaux beaucoup plus théoriques
que la plupart des conseillers politiques de Washington et qu' ils publient
leurs analyses dans des livres plus fréquemment que ceux de la Heritage
Foundation, par exemple, qui recourent plutôt à l' envoi par télécopie de
synthèses politiques ou à la publication de points de vue dans les pages de
libre expression du Washington Times et d'autres journaux ou magazines .
Toutefois, au cours de la décennie 1990, le phénomène
observé dans le domaine du financement de la recherche-développement
scientifique s' est produit dans celui de l' analyse des politiques publiques .
Dans le champ scientifique, au lieu de financer la recherche
fondamentale, les bailleurs de fond réclament de plus en plus de recherches
appliquées dont les objectifs sont plus précis et moins incertains .
De même, s' agissant des think tanks, alors que nombre d'
organismes de financement, en particulier les entreprises, syndicats et
fondations, semblaient se satisfaire d' un éventail diversifié de recherches sur
les politiques, ils sont aujourd'hui de plus en plus demandeurs de résultats
susceptibles de contribuer positivement à leur bilan financier .
Les exemples abondent .
L' Economic Strategy Institute ( ESI ), qui était l'une des
plus importantes institutions de Washington à travailler sur l' incidence de les
politiques microéconomiques , s' est transformé pour devenir un cabinet-conseil
constitué en organisation sans but lucratif .
Autrement dit, les entreprises ou les associations
patronales venaient voir les principaux chercheurs de l' ESI pour des opérations
qui ressemblaient davantage à des avances sur honoraires pour service rendu qu'
à des contributions en faveur de une organisation au service de l' intérêt
public .
Et ce n' est pas médire de cette institution puisque son
directeur et son économiste en chef faisaient régulièrement référence, en
public, aux compétences de l' ESI en matière de conseil et de lobbying .
Parmi les lobbyistes clients de cet institut figurait ainsi
un groupe d' entreprises désireuses de produire des rapports intellectuellement
solides pour contrer les initiatives en faveur de la lutte contre le
réchauffement climatique .
Une fois, alors qu' il était question du débat très vif qui
voyait s' affronter dans le secteur des télécommunications les opérateurs longue
distance et les opérateurs locaux, tous deux toujours à les prises avec la
lettre et l' esprit de la loi de 1996 sur les télécommunications , plusieurs
membres de l' ESI ont proposé de faire pencher la balance du côté de ceux qui
apporteraient le soutien financier le plus important à l' institut .
Cette histoire n' est pas unique en son genre et elle n' est
même pas inhabituelle .
La Progress and Freedom Foundation reçoit une large part de
son financement d' opérateurs de télécommunications locaux et d' entreprises
opposées à l' hégémonie de Microsoft dans le secteur de l' informatique ;
pourtant, lors de sa création, cette fondation s' était fixé un objet beaucoup
plus large que les questions de réglementation dans les domaines des
télécommunications et de l' informatique .
Les synthèses politiques et les pages de libre expression
publiées par cette institution ressemblent pourtant fort à des plaidoyers qui
pourraient avoir été rédigés par les entreprises ou les organisations
professionnelles concernées .
Or, en l'occurrence, le rapport a été élaboré par une
institution sans but lucratif qui bénéficie d' un régime fiscal spécial et est
exemptée de l' impôt sur les sociétés .
Autre exemple : dans un dossier où s' affrontaient des
sociétés américaines de transport en messagerie express et une société étrangère
nouvelle venue sur le marché américain, l' Economic Strategy Institute a
organisé une réunion d' information à l' intention des décideurs publics et des
médias et publié un rapport sur les pratiques du nouveau venu sans en indiquer
l' auteur .
L' absence de nom tenait au fait que les lobbyistes de l'
entreprise avaient rédigé ce rapport et l' avaient publié par l'intermédiaire de
cet institut de recherche sans but lucratif .
Il s' agit là, certes, d' exemples patents d' utilisation de
l' appareil des organisations sans but lucratif par des intérêts particuliers
pour promouvoir leur cause, mais de tels agissements sont relativement monnaie
courante à Washington .
La majorité des observateurs estiment que l' ensemble des
grandes institutions se livrent à ce genre de pratiques, même si ce n' est pas
de façon aussi évidente .
Dans le domaine de la politique étrangère, deux exemples
démontrent bien la vulnérabilité du secteur des think tanks face à la
détermination sans faille des lobbyistes .
Le premier est fourni par USA*Engage, un imposant organisme
de lobbying qui a été créé pour combattre la prolifération des sanctions
unilatérales instaurées par les Etats-Unis contre les pays qu' ils estimaient
avoir menacé leurs intérêts vitaux de sécurité nationale .
Comme les sanctions des Etats-Unis contre le Soudan , Cuba,
la Birmanie et d'autres pays ne s' accompagnaient pas de sanctions analogues de
la part de nos principaux alliés européens et asiatiques, les entreprises
américaines se sont vues privées d' un grand nombre d' opportunités commerciales
dans ces pays, opportunités sur lesquelles l' Allemagne, la France, le Japon et
même Israël étaient prêts à bondir, d'autant que les multinationales américaines
étaient ligotées par les décisions fédérales .
La mobilisation des lobbyistes a permis de rassembler plus
de 600 membres, dont des multinationales de renom comme Eastman Kodak, IBM,
Unocal, Boeing, General Electric et Caterpillar .
Ainsi que l' écrivait Jacob Heilbrunn, en 1998, dans une
brillante analyse sur cet organisme : " USA*Engage, comme son nom l' indique,
vise à établir une équation entre commerce et internationalisme, sanctions
unilatérales et isolationnisme .
Cette organisation n' est pas opposée à des sanctions
multilatérales : elle refuse simplement que les Etats-Unis fassent cavalier seul
et qu' ils se retrouvent isolés, qu' ils perdent des marchés et qu' ils s'
aliènent leurs alliés .
Ses responsables ajoutent que, loin de être de cupides
soutiens des dictatures, les entreprises sont les derniers internationalistes,
rien moins que la nouvelle avant-garde de la démocratie . "
Même en étant totalement favorable aux objectifs de
USA*Engage, on ne peut que considérer que ce projet -là dépendait en partie de
sa capacité à recruter des think tanks qui, à la fois, disposaient de praticiens
renommés des politiques publiques, comme indiqué précédemment, et s' alliaient
les meilleurs théoriciens des Etats-Unis sur ces questions pour plaider en
faveur de les objectifs politiques de l' organisme, et non pour être des
commentateurs impartiaux et non corrompus sur la totale absurdité et les limites
évidentes d' une application à grande échelle de sanction
Comme l' indique Heilbrunn, a financé un rapport élaboré par
l' Institute for a financé un rapport élaboré par l' Institute for International
Economics ( IIE ), qui est sans doute la première institution de Washington
spécialisée en politique macroéconomique, et l' a communiqué aux médias lors de
une conférence de presse convoquée en avril 1997 .
De fait, rien dans le rapport établi par l' IIE ne va à
l'encontre de la perspective générale adoptée dans la plupart de ses rapports .
Toutefois, si cet institut n' a certes pas rédigé ce rapport
avant la création de USA*Engage, il l' a toutefois élaboré à l'aide de un
financement extérieur - même si ce document est thématiquement cohérent avec ses
autres travaux -, et il a franchi la ligne jaune en rendant publique une analyse
politique lors de une manifestation qui s' inscrivait dans une action de
lobbying / sensibilisation destinée à influencer les médias et le gouvernement
.
Dans les milieux de Washington, la grande majorité des
protagonistes ne se soucient absolument pas de la distinction qui est faite ici
entre, d'une part, la question du financement d' importants travaux de politique
générale et du moment où ils sont introduits dans le débat public, et, d'autre
part, les lobbyistes qui en sont les commanditaires .
On pourrait dire que l' IIE a profité de l' opération lancée
par USA*Engage, et non l' inverse .
Le fond du problème, c' est que, même si, à bien des égards,
les objectifs de USA*Engage sont louables pour des gens convaincus des avantages
du commerce néo-libéral - et donc des limites inhérentes aux arbitrages
économiques et sécuritaires pour atteindre des objectifs de politique étrangère
axés sur des sanctions -, la mission de cet organisme de lobbying n' est pas de
défendre des intérêts publics incontestables, alors que telle est celle de l'
IIE, qui bénéficie d' avantages fiscaux pour ce faire .
Heilbrunn indique aussi que USA*Engage et l'un de ses
membres phares, la National Association of Manufacturers, ont financé une étude
de la Georgetown University sur la " très lourde facture à payer pour les
intérêts commerciaux américains " .
L' influence de cet organisme de lobbying s' est fait aussi
sentir dans un large éventail de programmes et de synthèses politiques élaborés
par le Cato Institute et la Heritage Foundation .
Un autre exemple de cette pratique - quoique sous une forme
plus insidieuse et avec des objectifs totalement cyniques , ce qui n' est pas le
cas de les travaux de USA*Engage - est fourni par le cabinet de lobbying
Jefferson Waterman International ( JWI ) qui, selon le journaliste Ken
Silverstein, " a promu des despotes sur trois continents " .
JWI se compose de responsables qui occupaient auparavant des
postes importants dans le secteur de la sécurité nationale au sein de le
gouvernement, notamment à la Central Intelligence Agency ( CIA ) ; il a souvent
travaillé pour de grandes entreprises américaines de l' industrie de l' énergie
et de la défense, tout en oeuvrant activement pour des gouvernements étrangers .
Malheureusement, c' était aussi un protagoniste majeur de la
coalition d' entreprises réunies au sein de USA*Engage .
Comme l' écrit Silverstein : Un des premiers gros clients de
JWI a été Franjo Tudjman, le président de la Croatie, qui a fait appel aux
services de ce cabinet vers 1995 pendant la guerre en ex-Yougoslavie ( ... ) .
Dans une note adressée au dirigeant croate, Waterman
écrivait que la politique étrangère et de défense des Etats-Unis était "
élaborée au premier chef " par le président, sur la base de consultations avec
le département d' Etat, le Pentagone, le Conseil national de sécurité ( NSC ) et
la CIA . " Il importe ( ... ) d' avoir dans toutes ces instances des contacts
officiels et personnels aux niveaux appropriés, ajoutait -il .
Comme vous le savez, nous sommes bien placés pour vous aider
dans ce domaine " . "
Jefferson Waterman a également informé Tudjman qu' il
assurerait le contrôle de son image dans les médias " quelle qu' en soit la
difficulté ", et qu' il contribuerait à mobiliser les grands ténors des think
tanks spécialistes des politiques publiques en faveur de le président croate si
celui -ci jugeait nécessaire de prendre le contrôle de territoires surveillés
par les Casques bleus des Nations unies .
L' ensemble des objectifs et de les visées de JWI
apparaissent clairement dans les dossiers déposés à la section chargée de l'
application de la loi sur l' enregistrement des agents étrangers, au Service de
la justice pénale du ministère américain de la Justice .
N' importe qui peut étudier de près les dossiers sur les
cabinets de lobbying et leurs stratégies pour infléchir les politiques au nom de
leurs clients étrangers .
Une consultation rapide de ces milliers de dossiers montre
qu' il y est souvent fait référence au milieu de les think tanks, à divers
intellectuels spécialistes des politiques publiques disposés à offrir leurs
services, et aux médias, comme autant d' acteurs susceptibles de monter au
créneau sur ordre du lobbyiste .
La fonction des think tanks sans but lucratif, qui est de
servir l' intérêt public, n' est absolument pas respectée : au contraire, il
ressort de ces documents que leur légitimité et le rôle particulier qu' ils
jouent dans l' élaboration des politiques sont assurément là pour être exploités
et récupérés sans coup férir à leur profit par le lobbyiste et son gouvernement
client .
Il existe bien d'autres exemples de ce franchissement
quotidien de la ligne jaune entre intérêt général et intérêt particulier dans le
cadre de les collaborations et des rapports entre institutions sans but lucratif
et lobbyistes .
Parmi les cas récents, l'un des plus intéressants concerne
l' actuel " ambassadeur " des Etats-Unis à Taiwan, qui porte officiellement le
titre de directeur de l' American Institute in Taiwan ( AIT ), organisation en
principe sans but lucratif ( aussi paradoxal que cela puisse paraître ) et
remplissant toutes les fonctions d' une ambassade sans en être une, puisque les
Etats-Unis ne reconnaissent plus la souveraineté de l' île .
Douglas Paal , le directeur de l' AIT, a été conseiller
spécial pour l' Asie de l' Est du président George H.W. Bush .
Quand il a quitté ses fonctions, Douglas Paal a fondé son
propre think tank, l' Asia Pacific Policy Center ( APPC ) .
D' après une importante enquête sur Paal et ses activités,
publiée par Joshua Micah Marshall dans l' hebdomadaire The New Republic, la
majeure partie de l' équipe de Douglas Paal - c' est-à-dire les collaborateurs
permanents de le Centre eux -mêmes ! - pensait que l' APPC était un cabinet de
conseil-lobbying .
L' APPC a lancé une lettre d' information dont l' abonnement
annuel s' élevait à plusieurs milliers de dollars et qui était diffusée
essentiellement auprès de importants organismes gouvernementaux asiatiques :
ceux -ci pouvaient certes être intéressés par cette lettre, mais leur intérêt
était surtout de promouvoir la carrière d' un proche de le président .
L' APPC n' organisait pas de programmes sur les grands
dossiers politiques à l' intention du public, pas plus qu' il ne publiait, via
Internet ou d'autres supports, des documents d' information .
Plusieurs personnalités mentionnées comme faisant partie de
son conseil d' administration, dont Brent Scowcroft, l' ancien parlementaire
Dave McCurdy et l' ancien chef du Pentagone Frank Carlucci, firent part de leur
étonnement quand ils apprirent qu' ils
La dernière année où des documents ont été fournis au fisc,
les trois principaux bailleurs de fonds de cette organisation d' intérêt public
sans but lucratif étaient le gouvernement de Singapour, le JETRO ( Japan
External Trade Organization, organisme japonais du commerce extérieur relevant
du ministère japonais de l' Economie, du Commerce et de l' Industrie ), Itochu (
maison de commerce japonaise ) et Mitsui Marine & Fire Insurance (
société d' assurance japonaise ) .
L' APPC organisait de nombreux voyages à haut niveau en
Malaisie pour des membres du Congrès, en particulier du Sénat, voyages financés
par des sources malaisiennes publiques et privées qui versaient directement des
fonds sur les comptes bancaires du Centre en tant que organisateur agréé des
missions de parlementaires à l' étranger, ce que le Comité de déontologie du
Sénat acceptait encore à cette époque .
D' aucuns que affirment que Douglas Paal était généreusement
rémunéré par le vice-Premier ministre malaisien Anwar Ibrahim qui était à
l'époque le dauphin du Premier ministre Mahathir .
Les résultats de l' enquête de Joshua Marshall , qui
remplirent un article de 4 500 mots dans un hebdomadaire phare , n' empêchèrent
pas Douglas Paal d' être nommé à Taipei, même si cet article a vraisemblablement
retardé son départ de plusieurs mois .
La question qui se pose ici est que l' APPC, organisation
censée être sans but lucratif, ne s' est pas comportée comme les Boy Scouts d'
Amérique ( BSA ) ou la Brookings Institution, ou encore comme un établissement
de soins palliatifs pour malades du sida ou d'autres institutions à vocation
sociale .
En un sens, on pourrait affirmer que son comportement relève
d' une forme de criminalité d' entreprise car, à la différence de les
organisations sans but lucratif, les cabinets de conseil sont soumis à l' impôt
sur les sociétés .
En 1997, j' ai rédigé un projet de loi qui a été adopté au
Sénat mais n' a pas franchi le cap de la commission mixte paritaire, et qui
aurait rendu obligatoire pour les organismes de relations publiques sans but
lucratif de déclarer s' ils recevaient de gouvernements étrangers, directement
ou indirectement, des sommes supérieures à 10 000 dollars .
Lors du débat sur ce projet de loi, l' American Civil
Liberties Union l' a combattu au motif que les BSA ou d'autres organisations de
ce type seraient tenus à cette déclaration s' ils recevaient des fonds de
gouvernements étrangers, risquant ainsi de passer pour des agents étrangers, ce
qui serait extrêmement dommageable pour leur activité .
C' est ainsi que rien n' a été fait pour régler un problème
bien réel, pourtant constaté par le Congrès, à savoir que un nombre croissant d'
organisations 501 ( c ) sans but lucratif, au financement opaque, mènent des
actions de lobbying auprès de le Congrès sur des questions comme l'
établissement de relations commerciales normales permanentes avec la Chine tout
en prétendant qu' il s' agit d' actions de sensibilisation des responsables
publics " .
La solution réside dans la transparence, mais rares sont
ceux qui ont trouvé une méthode satisfaisante pour parvenir à une transparence
plausible concernant le financement et les visées des institutions sans but
lucratif, dont beaucoup ont été créées ou sont contrôlées par des lobbies
.
L' un des membres de la direction de l' American Enterprise
Institute ( AEI ) m' a entretenu de ce projet de loi .
Notre conversation s' est déroulée à peu près en ces termes
:
AEI : Steve , le projet de loi de le Sénat part à l'évidence
d' une bonne intention .
La transparence concernant les financements étrangers est
une question très importante, mais vous omettez un élément quand vous vous
focalisez sur le montant en dollars au lieu de prendre en compte le pourcentage
de budget que représente l' aide allouée .
S. Clemons : J' entends bien, mais cela ne reviendrait -il
pas à permettre aux grandes organisations, qui reçoivent des subventions
relativement considérables, d' échapper à cette obligation, et à contraindre les
petites à déclarer ces contributions ?
AEI : Peut-être , mais s' agissant de l' AEI , par exemple ,
il se trouve que divers instituts de recherche de Taiwan ont été d' importants
bailleurs de fonds de notre Asia Studies Center ; or, comme vous le savez sans
doute, ces instituts sont eux -mêmes financés par le gouvernement taiwanais .
Et, comme ce dispositif a été reconduit chaque année, l' AEI
figure désormais au budget du gouvernement taiwanais .
Or, le montant global du financement que nous recevons de
Taiwan , il est important pour une organisation de petite taille, est restreint
par rapport à celle de notre Institut .
Peut-être devriez -vous prendre en compte non pas le montant
en dollars, mais un pourcentage du budget global, de l'ordre de 20 ou 30 % par
exemple . "
Cette conversation a de quoi surprendre .
Tout comme on peut s' étonner que, malgré le débat soulevé
par le fait que Douglas Paal gérait une organisation sans but lucratif comme un
cabinet de conseil, une institution de premier plan comme l' AEI considère qu'
en raison de sa taille, elle est à l'abri de les influences et des visées
lobbyistes de gouvernements étrangers .
Bien entendu, Douglas Paal est un important intellectuel
dans le débat sur les politiques publiques, qui voulait probablement faire de
son centre une organisation de premier plan dans le domaine de l' analyse
politique et qui se heurtait à des difficultés pour réunir le type de
financement capable de lui donner toute latitude pour mener des travaux de
recherche sérieux .
Et il a fait siens les objectifs à courte vue axés sur les
seuls résultats financiers des bailleurs de fonds de l' APPC . Mais son
organisation était globalement plus petite que l' Asia Studies Center de l' AEI,
centre réputé à Washington pour son soutien indéfectible aux intérêts de Taiwan
.
Conclusion
L' étude du secteur du lobbying de Washington, notamment de
les organisations qui mènent 0 des travaux de politique étrangère , ne doit plus
se cantonner aux seules institutions elles -mêmes et aux relations qu' elles
entretiennent et dont elles rendent compte consciencieusement comme leur en fait
obligation le Lobbying Disclosure Act ( loi de 1995 sur les groupes de pression
) .
Car une seconde économie s' est mise en place au sein de
laquelle les lobbies profitent d' organisations sans but lucratif moins
réglementées et qui mènent des travaux sur les politiques publiques, les
récupèrent, les détournent et les manipulent, voire en créent de nouvelles .
Souvent, ces think tanks servent de refuge à des
responsables publics qui ont été remerciés lors de un changement de gouvernement
et qui y attendent l' heure où ils seront rappelés à de hautes fonctions .
Dans cette analyse, ont été mis en lumière certains aspects
structurels de la nouvelle donne introduite récemment par le secteur du lobbying
dans le milieu des think tanks .
Les questions soulevées par cette mutation ont été
explicitées, car la communauté des spécialistes des politiques publiques de
Washington joue un rôle important dans ce jeu vigoureux mais subtil entre forces
et intérêts antagonistes qui caractérise ce que nous appelons la " société
civile " .
Laisser les lobbyistes infiltrer en toute liberté le secteur
de les organisations sans but lucratif oeuvrant dans le domaine de les
politiques publiques menace de saper définitivement la légitimité des think
tanks et le rôle important qu' ils jouent dans l' élaboration des politiques
publiques .
A l'instar de tant d'autres secteurs de la société qui sont
tombés sous le coup d' accusations de corruption ou qui y ont succombé, le
secteur des think tanks n' est nullement à l'abri de un tel risque .
Enfin, les problèmes de corruption des think tanks sont
systémiques, donc difficiles à résoudre .
L' inquiétante pratique de le " lobbying de fond " et de le
trafic d' influence via des institutions de recherche mérite d' être analysée de
façon approfondie et sérieuse .
L' IRS doit prendre des mesures à l'encontre des
organisations sans but lucratif qui ne servent pas l' intérêt public de façon
crédible et qui, en règle générale, ont davantage pour fonction de procurer des
revenus non imposables à leurs principaux dirigeants .
De surcroît, il convient d' accroître la transparence
concernant les dons importants aux organisations sans but lucratif de façon à
pouvoir évaluer les prestations de ces institutions à l' aune des fonds alloués
par leurs donateurs ou leurs " clients ", selon le cas .
La New America Foundation fait un effort remarquable pour
maintenir un équilibre entre les bailleurs de fonds et éviter ainsi que tel ou
tel ne cherche à infléchir ses activités dans un sens ou dans l' autre .
Toutefois, même cette organisation n' est pas totalement à
l'abri de cabinets ou de fondations qui chercheraient à l' utiliser au service
de leur cause politique .
Même si nous répétons à l'envi, comme d'autres
institutions, que nous n' entendons rien faire qui ne s' inscrive dans notre
vision globale du monde et dans notre perspective de " centre radical ", la
teneur de nos travaux et leur financement ou le moment choisi pour les publier
sont parfois un peu trop étroitement imbriqués .
Cette étude n' entend pas se prévaloir d' une quelconque
supériorité .
Elle veut à la fois une confession et une simple
observation de comportements nouveaux dans le secteur des think tanks, induits
par l' avidité et l' inventivité des lobbyistes de Washington .
Cette évolution relativement récente mérite un examen
attentif pour éviter qu' elle ne sape la formidable dynamique de la société
civile aux Etats-Unis .
TITRE : Le lobbying dans l'Union européenne : les intérêts des entreprises
concordent-ils avec la politique étrangère ?
AUTEUR : Alan Philip
Introduction : le contexte institutionnel du lobbying
européen
Le système de gouvernement de l' Union européenne est unique
.
Ce simple fait exige des groupes de pression qu' ils
recourent à des stratégies variées tout en conservant à l' esprit les multiples
contraintes qui résultent de la structure même de l' Union, de sa grande
diversité culturelle et politique, ainsi que des nombreux intérêts qui la
traversent .
Pendant longtemps, on accusa le système européen de prise de
décision d' être une sorte de " jardin secret " dont seuls les initiés avaient
la clef - malgré les efforts affichés de transparence des décisionnaires
européens .
L' aspect hermétique du système européen résulte certes de
cette absence de transparence à certains moments-clefs de la prise de décision,
mais il découle aussi de la complexité et de la spécificité de ce système ainsi
que de son éloignement de la plupart des capitales nationales .
La première caractéristique importante du système de
gouvernance européen concerne son cadre légal, déterminé par une série de six (
bientôt sept ? ) traités dont l' application relève des tribunaux, en
particulier de la Cour de justice des Communautés européennes ( CJCE ) .
Les traités définissent, et théoriquement limitent, les
compétences des institutions européennes, bien que il faille admettre que toute
initiative relevant d' une logique fondée sur un approfondissement des principes
du marché unique est susceptible d' être justifiée par les articles 95 et 308 (
anciennement 100a et 235 du traité initial instituant la CEE ) .
En pratique, il existe peu de contraintes empêchant l' Union
d' investir de nouveaux domaines politiques, à la condition expresse que tous
les Etats membres y soient disposés et que la Commission et le Parlement
européens y apportent leur soutien .
Il en va de même pour la politique étrangère, les questions
de sécurité, les aspects judiciaires et les affaires intérieures, si ce n' est
que la Commission et le Parlement n' ont pas d' influence directe .
En second lieu, les instruments législatifs utilisés par l'
Union ont des caractéristiques dont les spécificités doivent être assimilées par
les organes de lobbying .
La directive, adressée par l' Union à tous les Etats membres
, définit les objectifs d' une politique, mais en laisse les moyens à l'
appréciation des gouvernements nationaux .
Pour un groupe de pression, cela signifie qu' il peut
promouvoir ses intérêts au moins à deux niveaux .
Le règlement s' applique à l' ensemble de l' Union et ne
peut être modifié par les gouvernements des Etats membres .
Il est généralement assez détaillé et précis, et peut très
bien intervenir dans le cadre plus large d' une directive .
Une décision de l' Union, pouvant provenir de la Commission
, de la CJCE ou de le Conseil de les ministres avec ou sans le concours de le
Parlement européen , est obligatoire seulement pour ceux auxquels elle s'
adresse - par exemple une entreprise ou un Etat membre, pris individuellement .
Enfin, une recommandation de l' Union est un avis non
contraignant souvent destiné à exprimer une préférence politique commune à la
plupart des Etats membres, et peut être prise en considération par la CJCE
lorsque celle -ci se prononce sur une affaire .
Un troisième aspect qu' il faut garder à l' esprit concerne
les emplacements géographiques .
La plupart des principales institutions européennes sont
situées à Bruxelles, mais pas toutes .
Le Luxembourg abrite la CJCE, la Banque européenne d'
investissement ( BEI ) et le secrétariat du Parlement européen .
Strasbourg accueille les séances plénières du Parlement, qui
exigent la présence physique de plusieurs commissaires européens, accompagnés de
leur équipe, ainsi que de presque tous les députés européens, et donc de
nombreux membres actifs de groupes de pression, tous contraints à un pénible
pèlerinage mensuel dans la capitale gastronomique de l' Europe !
Les agences para-étatiques de l' Union sont éparpillées dans
tous les Etats membres, et les avant-postes de la recherche menée en interne se
trouvent en Belgique, en Italie, en Allemagne et au Royaume-Uni .
Certaines des caractéristiques les moins plaisantes de les
organisations internationales se retrouvent aussi dans le cas de l' Union .
On observe une tendance à rechercher en permanence une
répartition équitable des prérogatives, notamment pour l' attribution des postes
politico-administratifs importants au sein de les institutions européennes .
La CJCE a catégoriquement condamné toute nomination ou
mutation qui ne serait pas fondée sur le mérite, mais cela ne semble pas avoir
infléchi beaucoup une pratique qui est devenue monnaie courante .
La prise de décision au sein de l' Union dépend toujours des
dispositions hybrides introduites par le traité de Maastricht en 1992 .
Les principales politiques économiques communes ainsi que
beaucoup d'autres sont élaborées dans le cadre de le premier pilier, la
Communauté européenne, et sont soumises aux exigences institutionnelles de l'
Union .
La Commission a l' initiative des propositions législatives,
que peuvent amender le Parlement européen et le Conseil des ministres .
La CJCE juge toute infraction à la législation ainsi adoptée
et tranche lorsqu' un doute apparaît dans des affaires particulières ou
concernant les fondements mêmes du traité .
Le second des trois piliers définit la politique étrangère
et de sécurité commune ( PESC ), dont l' objectif est d' assurer une plus grande
coordination et une meilleure entente entre les Etats membres sur une série de
questions étrangères, militaires et sécuritaires .
La Commission et le Parlement ont une marge d' action très
limitée au regard du second pilier, et la prise de décision relève
essentiellement des Etats, qui agissent à l'abri de les regards .
Bien que la PESC soit aujourd'hui représentée publiquement
par Javier Solana, qui est attaché au Conseil des ministres, les opportunités
offertes aux groupes de pression pour agir à le niveau européen restent très
circonscrites .
Dans la mesure où, dans ce domaine, la plupart des décisions
ne sont prises que lorsqu' un consensus a été trouvé à le Conseil , la meilleure
stratégie à adopter pour ceux qui cherchent à avoir une influence sur ces
politiques consiste à se rapprocher de certains gouvernements dans un cadre
national .
Ceci suppose que les représentants des lobbies sachent ce
qui est en cours de discussion au Conseil, et de telles informations ( jugées
généralement confidentielles ) sont souvent plus accessibles à Bruxelles qu'
ailleurs .
Dans leurs grandes lignes, ces considérations sont valables
pour le troisième pilier qui recouvre les affaires judiciaires et intérieures (
voir l' annexe ci après ) .
Le rôle des principales institutions européennes est décrit
dans le document joint à cet article, mais quelques remarques complémentaires
devraient permettre une meilleure compréhension .
Jusqu' en 2005, la Commission continuera à être dirigée par
aux moins 20 commissaires nommés par les Etats membres, mais son président (
actuellement Romano Prodi ) verra son rôle renforcé avec de plus amples pouvoirs
pour remanier et réorganiser son équipe, et une responsabilité plus affirmée
devant le Parlement .
Depuis la démission forcée, le 16 mars 1999, de la
Commission Santer, beaucoup considèrent que la Commission a perdu de son
influence et de sa confiance en elle .
Sans doute s' efforce -t-elle de moins légiférer et de
trouver de nouvelles façons d' impliquer davantage d' acteurs dans les décisions
collectives ( voir infra ), mais son rôle de moteur du système européen au
regard de l' intégration économique et politique demeure inchangé .
La Commission est toujours directement responsable de la
conduite des affaires dans des secteurs-clefs tels que les relations extérieures
( dont le commerce international ), la gestion des marchés agricoles et la
politique de concurrence de l' Union, donnant ainsi son aval aux fusions et aux
aides étatiques, tout en traitant des affaires antitrust plus classiques .
En outre, la Commission, qui détient toujours l' unique
droit d' initiative " dans le système politique de la Communauté , représente
nécessairement la première étape pour ceux qui ont des intérêts à promouvoir,
dans la mesure où elle reste l' initiatrice " par excellence " de la politique
européenne .
De surcroît, c' est à la Commission que de tels groupes d'
intérêt doivent se plaindre s' ils estiment que la législation européenne est
trop contraignante ou mal appliquée dans les Etats membres, ou s' ils réclament
qu' une enquête soit ouverte sur des cas de dumping, de subventions étatiques
illégales ou de comportements anti concurrentiels .
C' est à elle qu' incombe la tâche délicate de convaincre
les Etats membres réticents de mettre en oeuvre les engagements communautaires
pris à Bruxelles et, si nécessaire, de conduire les gouvernements nationaux
récalcitrants devant la CJCE . C' est aussi la Commission qui, sur la base de
décisions prises en accord avec le Conseil et le Parlement européens, organise
la distribution des subventions provenant des fonds structurels, des programmes
de recherches et autres mannes communautaires .
Il peut que l' électorat se désintéresse du Parlement
européen ( la participation lors de les élections de 1999 n' était que de 52 %
), mais son pouvoir a été accru du fait des modifications introduites par les
nouveaux traités .
En effet, l' Acte unique européen de 1986 soumettait la
plupart des mesures relatives au marché unique à un vote à la majorité pondérée
au Conseil et autorisait le Parlement, une fois exprimées les opinions du
Conseil, à exercer un droit de regard, et éventuellement de veto .
Le Parlement continue à rencontrer des problèmes dans l'
accomplissement de ses nombreuses attributions et souffre de son incapacité à
traiter convenablement toutes les questions importantes .
Mais il a suffisamment de pouvoir, du fait de la nouvelle
procédure de codécision où il partage le dernier mot avec le Conseil des
ministres, pour exercer, dans la plupart des cas, une influence cruciale lors de
la phase finale de la prise de décision .
Les dernières étapes, qui nécessitent un processus de
conciliation , offrent aussi d' importantes opportunités au lobbyiste astucieux
et bien informé .
Quoique l' on accorde une grande attention aux séances
plénières du Parlement, auxquelles se réfèrent fréquemment les commissaires et
les représentants du Conseil, le détail de ses travaux est effectué par ses
vingt comités permanents, dont le président et le rapporteur sont, dans chaque
cas particulier, des acteurs importants .
Le rôle des partis politiques
au Parlement européen, les partis politiques ressemblent
plus à de vagues coalitions de gens de même sensibilité ou de mouvements qui
se trouvent porter le même nom .
Sur les questions d'importance nationale, leur
discipline interne est souvent mise à mal, bien que il existe des signes d'
une cohésion partisane croissante .
Ce sont cependant les neuf groupes politiques du
Parlement, notamment les deux formations les plus importantes, les
chrétiens-démocrates et les socialistes, qui y contrôlent la plupart des
activités ainsi que le partage des prérogatives et des avantages (
présidences de comités, temps de parole lors de les séances plénières )
entre les différentes sensibilités politiques .
Dans la mesure où il est peu probable qu' un groupe soit
un jour susceptible d' être majoritaire au Parlement, et étant donné la
nécessité imposée par les traités de se prononcer à la majorité absolue sur
les principaux défis qui se présentent aux autres institutions européennes,
le Parlement est le plus efficace lorsqu' il est capable d' établir un large
consensus à travers les différents groupes .
Le Conseil des ministres et le sommet des chefs d' Etat
et de gouvernement de l' Union connu sous le nom de Conseil européen
prennent aussi plus d'importance à mesure que le programme de l' Union s'
étoffe .
C' est notamment le Conseil, et non la Commission, qui
pilote la PESC et les questions touchant aux affaires judiciaires et
intérieures ( essentiellement la coopération policière, et la lutte contre
le terrorisme et le crime organisé ) .
Cependant le secrétariat du Conseil ne s' accommode
guère du lobbying dans la mesure où il n' a pas le même pouvoir
discrétionnaire que la Commission .
Ainsi, ceux qui ont 0 des intérêts à promouvoir doivent
s' efforcer de se faire entendre dans les capitales nationales ou auprès de
les délégations permanentes des Etats membres à Bruxelles .
Dans son travail, le Conseil est aujourd'hui subdivisé
en trois sections : l' agriculture, la PESC ... et le reste .
Mais presque toutes les délégations nationales viennent
à ces réunions avec des instructions de leur gouvernement .
D' où l' accent placé sur les efforts de lobbying au
niveau national pour faire pression sur le Conseil .
Cela peut se révéler particulièrement fructueux si un
Etat membre est sur le point d' en assumer la présidence .
En effet, chaque présidence est amenée à élaborer une
série d' objectifs pour la durée de son mandat, et elle a une influence sur
l' ordre de priorité des discussions lors de les réunions du Conseil qu'
elle anime .
Le Conseil des ministres multiplie aussi les groupes de
travail constitués de responsables nationaux qui examinent la législation et
d'autres questions .
Il existe en permanence plus de 200 groupes de ce type
en activité .
Bien que il ne soit pas possible d' exercer une pression
directe sur ces groupes, des lobbyistes dévoués sont présents " à leurs
marges ", donnant leur avis aux élus qui sortent de ces réunions afin que
ils puissent aider les responsables à mieux comprendre les implications des
idées qui ont émergé au cours de le débat .
La CJCE de Luxembourg n' est pas du tout réceptive aux
formes habituelles du lobbying, mais son influence va croissant tandis que
de plus en plus d' affaires sont portées à sa connaissance ( et à celle de
sa cour adjointe, le Tribunal de première instance ) .
C' est le résultat logique de l' élargissement des
compétences de l' Union et de l' inflation permanente qui caractérise la
législation européenne .
La CJCE peut cependant constituer une étape importante
dans les campagnes menées par les groupes de pression, et elle a pris des
décisions importantes au regard de la politique sociale et de celle de la
concurrence, pour lesquelles la législation existante reste incomplète,
obligeant ainsi à une interprétation des principes contenus dans les traités
.
Syndicats et entreprises ont fréquemment porté des
affaires devant elle afin de évaluer ce que les droits et principes que
renferment les traités et le droit jurisprudentiel signifient réellement
dans la pratique .
La décision rendue en 1986 dans l' affaire Nouvelles
frontières , par exemple , a certainement accéléré la dérégulation des
services proposés aux passagers des avions dans la Communauté européenne .
L' affaire Barber , en 1990 , a eu pour effet de
modifier radicalement les dispositions relatives aux régimes de retraite
dans la plupart des Etats membres .
L' équilibre institutionnel de l' Union
Ces commentaires visent à expliciter comment chacune des
quatre grandes institutions européennes prend part au processus de décision
au sein de l' Union .
Cependant, le lobbyiste doit aussi savoir où réside le
pouvoir dans l' ensemble du système politique .
L' Union est clairement devenue un acteur politique plus
important, à la fois internationalement et au regard de la politique
intérieure de chaque Etat membre .
Le Conseil continue d' être le principal acteur
politique sur la scène européenne, mais sa marge de manoeuvre est limitée
par d'autres acteurs .
Historiquement, les progrès de la Communauté et de l'
Union européenne ont dépendu du " dialogue " entre le Conseil et la
Commission .
Les Commissions Delors ( 1985-1994 ) étaient réputées
énergiques, et il se peut que la rapidité avec laquelle progressait l'
intégration ait inquiété, mais leurs actions se fondaient sur une étroite
collaboration avec le Conseil .
Depuis 1995, la Commission a perdu de sa confiance en
elle, a été affaiblie par des scandales et est aujourd'hui absorbée par sa
propre réforme .
Cela a considérablement renforcé l' influence du
Conseil, mais il reste que l' on ne peut envisager de véritables progrès au
sein de l' Union sans que la Commission soit de la partie .
Dans le même temps, les pouvoirs du Parlement européen
ont été progressivement renforcés, notamment avec l' invention et l'
extension de la procédure de codécision, mais aussi par rapport à la
Commission, surtout depuis que celle -ci est affaiblie .
Cela a encore accentué le marchandage, mené dans la
confidentialité, entre les différentes institutions .
Ainsi, et alors que les principales institutions
européennes voudraient accroître leurs pouvoirs, la prééminence du Conseil
reste la principale caractéristique du système décisionnel de l' Union, et
cela semble devoir durer .
Les agences de l' Union
Le rôle futur de la Commission et les différentes
manières d' éviter une centralisation excessive au sein de l' Union font l'
objet d' un débat permanent .
Une solution a consisté à séparer un certain nombre d'
agences européennes indépendantes du noyau institutionnel de l' Union .
Ces agences sont aujourd'hui une douzaine .
De fait, la première d' entre elles fut la Banque
européenne d' investissement ( BEI ), crée en 1959, à Luxembourg .
Elle a été délibérément détachée des autres institutions
européennes, bien que elle soit régie par des éléments du socle
conventionnel, les Etats membres étant directement impliqués dans la
direction de cette banque à travers la nomination des membres de son conseil
d' administration .
Europol, formée en marge de La Haye dans les années 1990
, comporte certaines similitudes avec la BEI, du fait de l' étroite
participation des Etats membres à ses activités .
Mais il s' agit là d' exceptions au modèle habituel des
agences de l' Union, pour lequel la principale contribution des
gouvernements nationaux se situe beaucoup plus en amont, lorsqu' il s' agit
de s' assurer de l' installation d' une institution européenne sur le
territoire national !
Après cela, chaque agence travaille dans un cadre fixé
par la législation européenne, mais peut évidemment faire l' objet de
pressions considérables de la part de les entreprises - au premier rang
desquelles on peut citer celles subies par l' Agence européenne pour l'
évaluation des médicaments ( EMEA ), située à Londres, qui délivre les
autorisations de commercialisation des produits médicaux pour l' ensemble de
l' Union .
Une autre agence mérite d' être mentionnée : l' Agence
européenne pour l' environnement ( AEE ), située à Copenhague .
Son rôle consiste à surveiller l' état de l'
environnement en Europe et à contrôler la mise en place et l' efficacité de
la législation environnementale européenne .
Son travail repose en grande partie sur une coopération
avec les autorités nationales de chaque Etat membre, une relation
symbiotique se développant ainsi entre les deux niveaux .
En fin de compte, si l' AEE se trouve insatisfaite des
critères environnementaux d' un Etat membre, il est probable que ce
mécontentement se répandra à travers le système bruxellois et aura des
conséquences négatives pour le pays en question .
Il est donc dans l' intérêt des Etats membres de
maintenir de bonnes relations avec l' agence et de chercher à dissiper
rapidement tout incertitude quant à leurs états de service et à leurs
pratiques en matière de environnement .
Questions à venir à propos de la gouvernance de l' Union
L' Union doit faire face à un futur plutôt incertain, la
perspective de l' élargissement venant modifier ses priorités
institutionnelles et l' équilibre financier entre les contributeurs et les
bénéficiaires nets du budget européen - tout cela au moment où la légitimité
démocratique de l' Union est de plus en plus mise en question .
du point de vue des groupes de pression, il n' est pas
du tout évident que des pays comme l' Espagne et l' Irlande, qui ont
beaucoup profité des transferts de fonds d' Etats membres plus riches,
soient toujours aussi enthousiasmé par les activités de l' Union alors que
leurs avantages à être membres apparaissent moins clairement .
Et si le traité de Nice ( 23 février 2001 ) achève le
processus de ratification, les grands Etats membres ne seront plus
représentés à la Commission que par un commissaire à partir de 2005, les
petits Etats - dont, désormais, beaucoup de nouveaux pays d' Europe centrale
et orientale - accroissant toujours un peu plus leur emprise sur cet organe
.
L' élargissement va évidemment gonfler le nombre des
députés européens, des juges à la CJCE, des membres du Comité économique et
social ( ECOSOC ) et du Comité des régions ( CDR ), diluant soi-disant le
pouvoir des grands Etats de l' ouest de l' Europe .
Cependant, une reconfiguration complexe du système de
vote à la majorité qualifiée au Conseil des ministres doit permettre aux
plus grands Etats membres de récupérer une partie de leur pouvoir .
Les quatre plus grands pays ( l' Allemagne , la France ,
l' Italie et le Royaume-Uni ) ainsi que l' Espagne ou la Pologne seront en
mesure de bloquer les décisions au Conseil des ministres, qui comprendra
alors 25 Etats .
Il peut que l' axe franco-allemand soit encore un peu
plus affaibli, mais les grands acteurs européens auront toujours la
possibilité de diriger les affaires, quoique d' une autre manière .
En tout cas, l' élargissement pourrait entraîner une
modification des priorités politiques de l' Union, qui reflétera le nouvel
équilibre des intérêts au sein de un groupe plus vaste d' Etats membres .
En un mot, on doit s' attendre à un intérêt plus faible
pour l' approfondissement de la politique environnementale, et un intérêt
renouvelé pour les questions agricoles et de sécurité .
L' élargissement de l' Union devrait centrer l'
attention sur l' application du principe de subsidiarité adopté lors de le
traité de Maastricht .
Jusqu'ici, cette déclaration d' intention ne semble pas
avoir entraîné de modification tangible du travail des institutions
européennes, si ce n' est une diminution de la production législative .
Mais la diversité des situations va s' accroître avec l'
incorporation, dans le processus décisionnel, de tant de nouveaux Etats
membres .
On peut alors envisager un regain d' intérêt pour les
décisions prises au niveau national, réputées mieux convenir aux conditions
locales .
La Commission elle -même pourrait bien se trouver
submergée par l' énorme tâche consistant à s' assurer du respect des 80 000
pages de l' acquis communautaire sur un territoire aussi vaste et divers .
Ces deux évolutions parallèles pourraient à leur tour
susciter des demandes de renationalisation des politiques actuellement
menées depuis Bruxelles, la plus souvent citée étant l' agriculture .
La Convention sur l' avenir de l' Europe ( notamment
composée de représentants des Etats membres et des pays candidats ) cherche
aussi des moyens d' enraciner le principe de subsidiarité avant la
conférence intergouvernementale de 2004 .
A lui seul, cet événement peut reconfigurer la structure
de prise de décision ainsi que les compétences de l' Union, et ce qui
découlera de cette situation particulièrement ingérable est loin de être
clair .
Une Constitution européenne simplifiée permettrait
peut-être aux citoyens et aux gouvernements nationaux de contester devant
les tribunaux certains aspects des projets politiques européens qui
outrepasseraient leurs compétences ou violeraient le principe de
subsidiarité .
Dans le même temps, il faut conserver à l' esprit deux
autres éventualités .
L' une d' elles est que le rôle de la Commission elle
-même pourrait changer devant l' ampleur du défi bureaucratique que
constitue l' élargissement .
La Commission pourrait s' orienter davantage vers une
activité de soutien ou de médiation dans l' évolution politique, en fondant
son influence et son autorité sur sa position centrale, au carrefour de
nombreux réseaux politiques et de communautés " épistémiques " .
Un autre scénario pourrait voir la Commission, avec le
concours des Etats membres et d' un large échantillon de groupements d'
intérêts, élaborer, dans des domaines précis, un programme politique
européen fondé sur le consensus et des mesures concertées prises
simultanément à plusieurs niveaux ( local, national, européen ) .
Cette " méthode ouverte de coordination " a été amorcée
par les décisions prises lors de la rencontre au sommet des dirigeants de l'
Union, à Lisbonne, en avril 2000, et elle est en cours de application dans
des domaines politiques aussi variés que l' éducation, les retraites, l'
exclusion, l' immigration ou la compétitivité industrielle .
Dans quelle mesure cela représente -t-il une perte d'
influence pour la Commission ou le Parlement ?
Il est trop tôt pour le savoir .
Mais il paraît évident que ce processus laisse des
occasions aux gouvernements nationaux et aux groupes d' intérêts pour
modifier l' agenda européen, en intervenant politique par politique .
La structure du lobbying à Bruxelles .
Le mot " lobby " est un terme vague, employé pour
caractériser une nébuleuse d' intérêts cherchant à se faire représenter et à
exercer une influence dans les centres de pouvoir où sont prises les décisions .
Dans le cas de Bruxelles, la pratique du lobbying est
particulièrement opaque : les règles régissant les rapports entre les groupes de
pression et ceux qui la subissent sont très imprécises, et la frontière entre
les organisations pratiquant le lobbying et les structures gouvernementales sont
souvent ténues .
Le mot renvoie ici à tous les acteurs du processus
décisionnel autres que les institutions européennes elles -mêmes, ce qui
comprend les intérêts sectoriels, les groupes défendant des convictions et,
parfois, les gouvernements de pays tiers .
Il serait trop facile de circonscrire le phénomène du
lobbying européen aux 800 et quelques fédérations paneuropéennes d' associations
et / ou d' entreprises nationales spécialistes des arcanes de la vie politique,
qui forment une sorte de club fermé d' interlocuteurs dialoguant avec les
institutions européennes .
En réalité, des centaines d'autres entités sont
régulièrement de la partie : cabinets d' avocats, agences comptables, cabinets
de conseil en gestion, services de consultants en politique et / ou en affaires
publiques, associations fédératives nationales, associations commerciales et
élus locaux .
A Bruxelles, il existe aujourd'hui environ 1 800
organisations qui s' adonnent au lobbying, employant près de 10 000 personnes .
Il y a vingt ans, elles étaient au nombre de 400 pour
environ 3 000 employés .
Ces organisations ne sont pas toutes présentes dans tous les
Etats de l' Union, certains de leurs membres ne travaillent pas sur son
territoire, et une large minorité d' entre elles n' ont pas leur siège à
Bruxelles .
Certaines associations industrielles n' acceptent pas, parmi
leurs membres, les producteurs japonais installés en Europe ( comme les
constructeurs automobiles ), tandis que d'autres sont très influencées par les
investisseurs étrangers ( les fabricants d' appareils électriques, par exemple )
.
En outre, le lobbying prend de plus en plus la forme de
coalitions temporaires et de structures ad hoc constituées en vue de réagir à
des propositions ou des événements particuliers .
Il y a ensuite les activités des gouvernements, notamment
les gouvernements non européens, qui, par le biais de la diplomatie ou de
démarches plus caractéristiques du lobbying, tentent de persuader les décideurs
européens de prendre en compte leurs intérêts .
En réalité, n' importe qui peut faire du lobbying auprès de
l' Union, mais peu de gens savent comment s' y prendre .
Le lobbying n' est pas véritablement réglementé, bien que la
Commission tienne à jour sa propre liste d' informations sur quelque 700
organisations .
Mais cette liste omet les intermédiaires rémunérés par de
nombreux groupes d' intérêts ainsi que les organisations éphémères issues d' un
Etat membre n' ayant pas d' affaires régulières à Bruxelles .
Le Parlement européen essaie aussi de limiter le nombre de
laissez-passer accordés aux membres des groupes de pression ( et qui constituent
un avantage pour ceux qui travaillent régulièrement à Bruxelles ) afin de éviter
aux députés d' être contraints de consacrer trop de temps à l' examen de telle
ou telle préoccupation dans le cadre de leurs activités parlementaires .
La Commission et le Parlement européens ont aujourd'hui des
règlements stricts interdisant à leurs membres ou à leur personnel de recevoir
des cadeaux importants, mais le Parlement, depuis le rapport Ford de 1996,
semble rencontrer des difficultés à s' assurer que tous les députés suivent
scrupuleusement ce nouveau code de conduite .
Deux groupes de consultants en lobbying ont rédigé des
chartes déontologiques à l' intention de leurs membres, mais seule une petite
douzaine d' entreprises les ont paraphées, cette décision étant totalement
facultative .
Tout le reste de l' activité des lobbies n' est pas
réglementée à Bruxelles, si ce n' est peut-être indirectement du fait du statut
légal des organisations en Belgique qui les laisse libres de décider pour elles
-mêmes .
Depuis le milieu des années 1980, les universitaires ont
fait des efforts croissants pour comprendre l' essence et le degré d' influence
des organisations pratiquant le lobbying à Bruxelles .
Les théoriciens de l' intégration considèrent depuis
longtemps les groupes d' intérêts comme un indicateur fondamental du caractère
des institutions européennes : soit leur influence est faible, et le cadre
institutionnel européen peut être considéré comme intergouvernemental ; soit
elle est importante, et ce cadre se rapproche alors du modèle fédéraliste ou
fonctionnaliste .
Ce débat, qui agite la communauté universitaire , est loin
de être clos, mais il semble que les opinions s' articulent autour de deux pôles
.
Le premier est le pôle " intergouvernemental libéral ",
aujourd'hui plus enclin à accepter que certaines organisations non
gouvernementales ( ONG ) aient du pouvoir au sein de le système européen .
L' autre est le pôle " néo-institutionnel ", qui soutient
que les Etats membres, les groupes d' intérêts et les institutions européennes
interagissent et s' influencent mutuellement .
L' émergence, dans les années 1990 , de la nouvelle école
institutionnaliste a principalement découlé d' études de cas sur la prise de
décision au niveau politique et individuel .
Ces études montraient que des groupes d' intérêt sectoriels
ou sous-sectoriels - qu' ils soient ancrés dans le monde de l' entreprise ou
axés sur la promotion de convictions - pouvaient jouer, et jouaient
effectivement, un rôle important dans le processus de prise de décision de la
Communauté / Union européenne .
Ce n' est que lorsqu' il s' agit de questions " politiques
de la plus haute importance " que les groupes d' intérêt sont plus ou moins
exclus du processus de prise de décision .
En d'autres termes, lorsqu' il s' agit de questions
techniques, non politisées et de peu d'importance, les ONG peuvent exercer une
grande influence .
Mais, plus une question devient politique et met en jeu des
intérêt gouvernementaux, plus il sera difficile pour les groupes d' intérêt de
contrôler le débat, sans parler d' influencer les résultats .
Quand la Communauté européenne est devenue l' Union
européenne et que de nouveaux traités ont étendu les compétences de ses
institutions, une autre évidence s' est faite jour : la structure du lobbying
avait changé .
Dans les années 1960, ces activités concernaient
essentiellement l' agriculture et l' alimentation ; les intérêts sociaux et
environnementaux commencèrent à s' organiser collectivement seulement dans les
deux décennies suivantes ; la perspective du marché unique fit naître de
nouvelles préoccupations commerciales en mal de représentation ; les traités de
Maastricht et d' Amsterdam incitèrent à la promotion de nouveaux intérêts
recouvrant le social, la santé, l' éducation, la justice et l' immigration .
Globalement, plus l' Union est devenue un acteur
international fort et cohérent ( sur les questions commerciales et
environnementales, par exemple ), plus le dialogue institutionnel s' est extrait
des zones périphériques du pouvoir à Bruxelles comme dans l' ensemble de l'
Union .
Ainsi, ces dernières années, le Trans-Atlantic Business
Dialogue ( TABD , " Dialogue transatlantique de les milieux d' affaires " ) , né
il y a à peine dix ans, est devenu l'un des plus importants forums représentant
l' opinion étrangère " à Bruxelles .
Il n' est pas non plus possible de prétendre que les
opinions des milieux d' affaires des Etats-Unis ont été, par le passé,
relativement sous-représentées auprès de les institutions européennes, dans la
mesure où l' on s' accorde à dire que le comité européen de la Chambre de
commerce américaine ( AMCHAM ) est l'un des lobbies les plus efficaces sur la
scène bruxelloise .
En revanche, on peut affirmer qu' étant donné les intérêts
économiques concurrents de l' Union et des Etats-Unis en matière de commerce
international, ajoutés à une traditionnelle propension à se brouiller sur
certaines questions, un nouveau forum était nécessaire pour améliorer la
compréhension mutuelle et insister sur les intérêts stratégiques que partagent
les deux partenaires .
La souplesse et l' opportunisme caractérisant la pratique de
le lobbying à Bruxelles doivent aussi être analysés .
Le lobbying ne s' y déploie pas dans un cadre bien établi,
et les structures dans lesquelles la représentation des groupes d' intérêt est
préalablement déterminée ( comme le Comité économique et social ou les centaines
de comités consultatifs officiels ) ne sont souvent pas les plus efficaces .
Si, dans le dispositif institutionnel actuel, l' expression
de certains intérêts particulièrement importants n' est pas possible, il est
facile de créer de nouvelles structures ou de trouver de nouveaux canaux pour
faire entendre ces points de vue .
Le plus important est de savoir comment jouer la partie
politique à Bruxelles .
Les organisations qui y sont établies doivent savoir ce qu'
il faut qu' elles fassent .
Etant donné la qualité de les systèmes de communication
modernes , les organisations et les professionnels de le lobbying qui
réussissent n' ont pas toujours besoin d' être présents à Bruxelles .
Un déficit de compétences ou de connaissances dans une
campagne précise de lobbying peut toujours être comblé par le recours à l'
univers hautement concurrentiel des cabinets de conseil .
Une étude plus approfondie de les styles de lobbying sera
entreprise plus loin .
au coeur du processus décisionnel bruxellois ( qui articule
évidemment un niveau national , et parfois aussi infra-national ), on trouve le
besoin de la Commission de recueillir des informations pour pouvoir formuler des
propositions pertinentes dans tous les secteurs et suivre les événements dans
les domaines politiques qui l' intéressent .
Ces renseignements sont fréquemment indisponibles et ne
peuvent parfois pas être fournis par les gouvernements des Etats membres .
La Commission se tourne donc inévitablement vers les organes
représentatifs afin de obtenir informations et opinions pouvant orienter son
action .
C' est là le fondement de la relation symbiotique entre la
Commission et les groupes d' intérêts, qui, à leur tour, se renseignent sur les
opinions et les projets de la Commission afin de pouvoir y répondre rapidement
ou même les anticiper .
L' état de dépendance mutuelle où se trouvent ces deux
groupes d' acteurs a été renforcée par l' hégémonie du Conseil des ministres
dans la plupart des grandes décisions de l' Union .
Mais un partenariat solide entre la Commission et de les
groupes d' intérêts bien organisés à le niveau européen peut permettre parfois
de véritablement contourner le Conseil, ou du moins de marginaliser un Etat
membre qui exprimerait de vigoureuses objections .
Ainsi, l' alliance, à la fin de les années 1970 , entre la
Commission et EUROFER ( Association européenne de la sidérurgie ) a permis de
contrer les réserves allemandes à propos de une intervention sur le marché de l'
acier, alors très touché par la crise .
Et l' enthousiasme des banquiers français, à la fin de les
années 1970 , en faveur de la libéralisation de leur environnement économique
intérieur l' emporta grâce à le concours de la Commission et des institutions
européennes, et malgré les objections de Paris .
Depuis 1986, il y a eu plusieurs changements importants dans
le système décisionnel de la Communauté / Union européenne, lesquels ont aussi
influencé la nature du lobbying sur beaucoup de points .
Les quatre traités, ou amendements aux traités existants,
conclus par les Etats membres depuis la conférence intergouvernementale de
Luxembourg , en 1985 , ont consacré la généralisation progressive du recours au
vote à la majorité qualifiée au Conseil des ministres, ce qui a rendu du pouvoir
à la Commission et au Parlement .
Le rôle de celui -ci a été élargi depuis l' institution du
suffrage universel direct en 1979, mais le changement le plus important a été l'
adoption de la procédure de codécision ( instaurée par le traité de Maastricht )
qui donne au Parlement des prérogatives décisionnelles communes à celles du
Conseil des ministres dans un nombre croissant de domaines politiques ( pour une
grande partie des politiques relatives au marché unique et à l' environnement,
par exemple ), la Commission intervenant parfois comme médiateur en cas de
désaccord entre le Conseil et le Parlement .
Dans l' Union, toute prise de décision se fait dans le cadre
de un règlement très complexe qui émane des fondements contractuels et
législatifs relatifs au secteur en question et au type de décision devant être
pris .
On dit qu' il existe au moins vingt-trois structures
décisionnelles différentes en exercice au sein de l' Union, et les stratégies de
lobbying doivent ainsi s' adapter à la fois à l' état du règlement et à l'
équilibre des forces politiques en présence .
Selon les domaines, la Commission ou le Conseil peuvent
prédominer, tandis que le Parlement peut bloquer les progrès sur certaines
questions et qu' un recours devant la CJCE en suivant la procédure légale peut
se révéler très efficace .
Ceux qui veulent promouvoir véritablement leurs intérêts à
Bruxelles avec des chances de succès doivent ainsi élaborer une stratégie
spécifique pour chaque question politique et chaque étape du processus
décisionnel .
Les styles de lobbying
Le système de prise de décision au sein de l' Union est un
mélange unique de styles de lobbying, où coexistent des cultures politiques très
diverses, de sources continentales et anglo-saxonnes, combinées aux contraintes
d' une configuration institutionnelle particulière .
Confrontées à un sujet précis, la plupart des organisations
de lobbying doivent d'abord déterminer le degré auquel elles souhaitent s'
investir .
Très souvent, ces organisations sont réticentes ou inaptes à
consacrer beaucoup de ressources à cette activité, ce qui confère un avantage à
celles qui s' en donnent la peine .
En général, il convient de suivre quelques règles
importantes .
Trouvez un Euro - groupe ( association commerciale,
corps professionnel ou un équivalent ) reflétant vos préoccupations .
S' il n' en existe aucun , formez -en un qui rassemble
des entreprises et des organisations provenant ( de préférence ) de
plusieurs Etats membres, ce qui apportera beaucoup de crédit à votre cause
auprès de la Commission .
Les décideurs européens veulent savoir si vos points de
vue représentent un véritable courant d' opinion plutôt que les intérêts
commerciaux d' une entreprise particulière .
Exprimez vos vues à temps .
La Commission, dans la mesure où elle détermine le
calendrier de les événements , est certainement l' endroit par où commencer
.
Il est préférable de l' approcher avant que la Direction
générale ( DG ) concernée ne se forge ses propres idées .
A cette fin, les organisations doivent avoir à la fois
une bonne connaissance de l' évolution de la scène politique bruxelloise et
des contacts bien placés .
Cela nécessite une certaine forme de représentation à
Bruxelles ( directement ou par procuration ) et le développement régulier d'
un réseau de relations .
Repérez les acteurs-clefs et faites pression sur eux .
La Commission, par exemple , n' est pas un monolithe
mais une bureaucratie célèbre pour son morcellement .
Ainsi, si la personne responsable d' une DG constitue
une cible évidemment importante, d'autres voies peuvent se révéler
fructueuses pour le lobbying .
Le Commissaire et son cabinet rattachés à la DG en
question doivent être approchés, ainsi que toute autre DG concernée par le
sujet ( parfois, plusieurs le sont ) .
De cette façon, tout l' environnement politique dans
lequel travaille le responsable de la DG devrait se trouver sous influence .
Il existe encore d'autres personnes dignes d' attention,
comme les membres du comité approprié du Parlement européen, ceux de l'
ECOSOC et ceux du Comité des régions .
Il faut identifier précisément la chaîne décisionnelle
pour le sujet qui vous intéresse, et chaque maillon doit faire l' objet d'
un travail de lobbying approprié .
Cherchez des alliés là où c' est possible .
A Bruxelles, l' univers du lobbying est très actif et
regroupe beaucoup de gens .
Si les positions d' une organisation semblent assez
faibles, ses membres doivent trouver d'autres alliés dans la nébuleuse du
lobbying .
Il est clair que avoir dans son camp des acteurs de
premier plan, comme la " Table ronde des industriels européens " ( ERTI,
Europe Round Table of Industrialists ) ou le comité européen de l' AMCHAM,
peut se révéler fort utile .
C' est pourquoi il faut aussi les approcher et tenter de
les influencer, de même que toute association fédérative, telle l' Union des
confédérations de l' industrie et des employeurs d' Europe ( UNICE ) .
Par ailleurs, il peut se révéler nécessaire de former un
groupe dédié à un objectif unique ou bien de rassembler une coalition aux
préoccupations plus vastes qui donnera davantage de poids aux positions
défendues par votre organisation .
Mais il peut que cette option exige l' abandon de
certaines de vos revendications dans le cadre de concessions politiques .
La profusion excessive de groupes de pression est un
vrai problème à Bruxelles .
Dès lors, les lobbyistes sérieux doivent souvent s'
associer pour être sûrs de se faire entendre .
Exercez des pressions à différents niveaux .
L' Union est un parfait exemple de système de
gouvernance à plusieurs strates dans lequel les institutions politiques d'
un niveau interagissent avec et influent sur les échelons supérieurs et
inférieurs .
Etant donné la prééminence de le Conseil de les
ministres , il est souvent essentiel d' influencer les positions des
gouvernements nationaux .
Le plus efficace est de le faire dans les capitales des
pays membres, par le biais de entreprises ou d' organisations locales .
De plus en plus, cela doit être fait en même temps que
auprès de les acteurs présents à Bruxelles et Strasbourg dont on doit s'
assurer le soutien .
Tout cela nécessite du temps, de l' argent et la mise en
place d' un réseau de relations .
Etant donné les pouvoirs décisionnaires accrus de le
Parlement européen , il n' est pas judicieux de vouloir influencer les
députés européens trop tardivement, bien que cela puisse se révéler une
bonne manoeuvre dilatoire destinée à faire ressortir un aspect non encore
considéré ou identifié d' une proposition .
Souvent, la synchronisation est un facteur essentiel,
notamment lorsqu' il s' agit de s' orienter à travers la complexité des
calendriers électoraux des Etats membres, ce qui signifie que le laps de
temps dont dispose le Conseil pour prendre une décision délicate est assez
court .
La crédibilité est un facteur essentiel de succès .
Elle peut s' acquérir de plusieurs façons : en
démontrant la représentativité de votre cause, en fournissant un service de
qualité en tant que lobbyiste ( en proposant des informations et des
analyses pertinentes, en comprenant les règles du jeu politique, les
contraintes et les potentialités des traités fondamentaux, et en arrivant
avec des idées solides qui pourront aider les décideurs européens à trouver
un compromis ) .
Cette crédibilité peut encore être renforcée si vous
trouvez des alliés improbables parmi les groupes d' intérêt " adverses " (
comme dans le cas de le dialogue de Shell avec Greenpeace ) .
Le lobbying et la politique étrangère
Au niveau de l' Union, les efforts de lobbying sont
traditionnellement et principalement concentrés sur des questions politiques
intérieures, notamment celles touchant au marché unique et au développement du
commerce .
Le commerce a cependant des dimensions à la fois intérieures
et extérieures, et dans la mesure où les institutions européennes cherchent à
réglementer ou autoriser les relations commerciales entre des pays tiers et le
marché intérieur européen, ces relations comportent une dimension de politique
étrangère .
L' Union se rend parfois coupable de ne pas reconnaître
pleinement les implications extérieures de ses décisions politiques intérieures,
l' exemple récent le plus évident en étant le fameux Livre blanc de 1985 sur l'
achèvement du marché intérieur qui omit totalement de les aborder .
Cet aspect quelque peu introverti d' une grande partie de la
politique de l' Union rend d' autant plus important pour les acteurs extérieurs
( gouvernements et entreprises ayant des intérêts sur le marché européen ) le
fait d' être représentés à Bruxelles et d' exercer des pressions sur les
décideurs de l' Union au niveau national, en plus du niveau européen .
Il n' est pas exagéré d' affirmer que les gouvernements des
pays tiers sont devenus partie intégrante de l' infrastructure du lobbying
européen .
Ce type de lobbying excède désormais les questions liées au
commerce depuis que les second et troisième piliers des compétences de l' Union,
spécifiés dans le traité de Maastricht et approfondis dans le traité d'
Amsterdam, sont d' actualité .
Il peut que le système décisionnel intergouvernemental soit
quelque peu différent, mais l' intérêt des pays tiers pour les domaines
politiques couvert par la PESC et la coopération en matière de justice et d'
affaires intérieures ( JAI ) est évident .
Cet intérêt des pays tiers peut se manifester dans un cadre
strictement bilatéral, lorsque le gouvernement ou son territoire sont
directement concernés ; ou bien, dans un cadre plus collectif, lorsque, par
exemple, un accord international est en cours de négociation sur des sujets tels
que le terrorisme, le blanchiment d' argent, le trafic de stupéfiants ou la
création d' une Cour pénale internationale .
Il est peut-être utile d' insister dès maintenant sur le
fait que la politique étrangère est un concept plutôt large et mal délimité .
Le terme est employé ici pour caractériser toute politique
menée par un gouvernement national en relation avec d'autres pays ou des
organisations internationales .
Les forces de la mondialisation ont étendu le champ d'
action de la politique étrangère au commerce des services et des biens, aux
marchés financiers, à la criminalité internationale, au terrorisme, etc .
Du fait de la croissance rapide du commerce mondial depuis
1945, les préoccupations de la politique étrangère sont devenues plus
économiques et commerciales .
D' où l' intérêt de beaucoup de gouvernements de pays tiers
pour les décisions de la Communauté européenne bien avant que les années 1990 ne
donnent jour aux traités de Maastricht et d' Amsterdam .
L' Union est la plus grande entité commerciale du monde, et
ses décisions sont d' une grande importance pour la plupart des pays impliqués
dans le commerce international .
La Communauté européenne n' a pas craint non plus d' établir
des liens entre la politique commerciale et la politique étrangère .
Ce fut clairement le cas en 1982, lorsqu' elle décida d' un
embargo à l'encontre de tous les biens provenant d' Argentine, après l'
invasion, par ce pays, des îles Malouines .
En 1986, elle menaça aussi de suspendre son accord
commercial avec la Syrie en réponse à les éléments, dans l' affaire Hindawi,
attestant que la Syrie avait hébergé en connaissance de cause une organisation
terroriste ainsi que les véritables auteurs d' une tentative d' attentat contre
un avion de ligne israélien à l' aéroport de Heathrow .
On trouve un autre exemple important dans la longue liste
des conflits commerciaux entre les Etats-Unis et la Communauté / Union
européenne .
En 1982, l' Administration Reagan se soucia des implications
stratégiques qui découlaient, pour l' Europe occidentale, de la construction d'
un pipeline destiné à l' importation de ressources énergétiques russes sur le
marché européen .
La Maison-Blanche craignait qu' une dépendance énergétique
si importante à l'égard de l' Union soviétique entame la capacité de l' Europe à
répondre vigoureusement à une menace sécuritaire émanant du bloc communiste .
Les Etats-Unis menacèrent donc de mettre sur liste noire
toute entreprise américaine ou étrangère fournissant des pièces ( voire des
services ) pour la construction de ce pipeline, les entreprises ainsi mises à l'
index étant exclues des appels d' offre de la Maison-Blanche et ne pouvant
obtenir de contrat privé avec les entreprises américaines .
La Communauté européenne annonça des mesures de représailles
commerciales au cas où la menace serait suivie d' effets, et une entreprise au
moins, British Aerospace, se trouva au banc des accusés pour avoir ignoré l'
embargo .
La position des Etats-Unis suscita des critiques très
virulentes dans le monde entier et fut d'ailleurs rapidement abandonnée .
La réglementation du régime d' importation des bananes
de l' Union
Peu d' aspects de la politique de l' Union auront
suscité de débats plus douloureux et d' activités de lobbying plus intenses
que la question de la réglementation du régime européen d' importation des
bananes .
des gouvernements du monde entier ainsi que de les
groupements d' intérêt économique et de les ONG ont passé plus d' une
décennie à faire pression sur l' Union et à porter leurs revendications
devant la CJCE, l' Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (
General Agreement on Trade and Tariffs, GATT ) et l' Organisation mondiale
du commerce ( OMC ) .
Les résultats et conséquences des décisions de l' Union
ont été évoqués de façon dramatique : le libre-échange contre le commerce
équitable ; la survie économique de quelques micro-Etats des Caraïbes ; l'
obligation morale des ex-puissances coloniales européennes de soutenir leurs
anciennes colonies ; l' incitation à la culture de drogues illicites comme
seule alternative viable à la culture de bananes ; la capacité des
multinationales américaines à adapter les règles commerciales à leur
avantage sans considération pour les autres, notamment avec l'aide de
Washington .
Le problème du régime d' importation des bananes date
des débuts de la CEE : la signature de le traité de Rome fut retardée de
plusieurs jours pendant qu' un protocole final était adopté qui autorisait
l' Allemagne à importer des bananes sans taxes ( et donc peu chères ),
tandis que la France et les autres pays pouvaient garantir l' accès à leur
marché à leur anciennes colonies et aux DOM-TOM, à des prix plus élevés .
Cet accord constituait une dénégation du principe de
marché unique .
Et lorsque d'autres Etats, comme la Grande-Bretagne,
rejoignirent la Communauté / Union européenne, l' accord fut étendu, puis
inclus dans la Convention de Lomé par laquelle l' Union accordait un accès
préférentiel au marché unique européen pour de nombreux produits des pays d'
Afrique, des Caraïbes et du Pacifique ( ACP, aujourd'hui au nombre de 77 ),
ainsi que une aide financière et alimentaire, un partage de compétences et
des systèmes de stabilisation des recettes d' exportation .
Le fondement de ces dispositions complexes fut remis en
question par le Livre blanc sur l' achèvement du marché intérieur, publié
par la Commission en 1985, et en particulier par la promesse d' abolir tous
les contrôles aux frontières au sein de la Communauté .
Les quotas et les taxes d' importation différenciées ,
qui avaient permis à les marchés nationaux voisins de définir les conditions
de le commerce de la banane complètement différemment les uns de les autres
, commencèrent à devenir inutiles et inopérantes .
Il fallait soit mettre en place un marché libre de la
banane au sein de l' Union ( avec pour effet l' éviction des producteurs
européens locaux et de beaucoup de producteurs antillais ), soit concevoir
un régime d' importation nouveau permettant de concilier de nombreux
intérêts contradictoires .
Plusieurs grands Etats européens s' étant publiquement
prononcés en faveur de la seconde option dans le but de protéger leurs
intérêts locaux et ceux de leurs ex-colonies , il était évident, dès 1986,
que la solution du marché libre ne serait pas retenue et qu' un nouveau
régime d' importation devait être élaboré .
Cela ne fut réalisé qu' en 1993, six mois après l'
entrée en vigueur du nouveau marché unique, tellement il fut difficile de
trouver un accord entre les parties .
Mais ce nouveau régime ne devait pas durer longtemps
.
Les intérêts impliqués dans le processus de lobbying sur
cette question étaient à la fois puissants et divers .
De toute évidence, les producteurs européens locaux des
Açores, de les Canaries , de Crète et de Laconie avaient trouvé une oreille
attentive auprès de leurs gouvernements respectifs ( le Portugal, l' Espagne
et la Grèce ), tous représentés au Conseil des ministres, lequel devait
donner son aval à la nouvelle réglementation sur la banane .
Les producteurs martiniquais et guadeloupéens, ainsi que
ceux de beaucoup d' anciennes colonies , pouvaient compter sur la
bienveillance du gouvernement français, soucieux de les aider .
Les producteurs des anciennes colonies et dépendances
britanniques de les Caraïbes et de le Pacifique trouvèrent un gouvernement
britannique tout aussi disposé à les assister .
Les Italiens ne tenaient pas à délaisser les intérêts
des producteurs somaliens, autre ancienne colonie .
Par ailleurs, les gouvernements caribéens constituèrent,
avec les principales entreprises cultivant la banane sur leur territoire,
une association, la CBEA ( Caribbean Banana Exporters Association ) .
Parallèlement, les producteurs d' Amérique latine
adoptèrent une attitude discrète mais comptaient sur leurs gouvernements (
la plupart des Etats d' Amérique centrale, la Colombie et l' Equateur ) pour
défendre leur point de vue .
Ils se déclaraient en faveur de un respect rigoureux des
principes du libre-échange - ce que l' Union est normalement disposée à
accepter - afin de pouvoir tirer pleinement bénéfice de leurs faibles coûts
de production, avantage qu' ils avaient sur les autres pays ACP, notamment
caribéens .
La Maison-Blanche entra aussi dans la partie à la
demande des multinationales américaines ( notamment Chiquita / United Brands
) une fois que il fut évident que l' Union avait décidé de soutenir un
régime d' importation de bananes qui pouvait être en désaccord avec les
règles du GATT ( et plus tard de l' OMC ) .
Chiquita et son directeur général de l' époque, Carl
Lindner , ont ouvertement admis avoir octroyé d' importantes donations aux
Partis démocrate et républicain afin de s' assurer que leur voix serait
entendue tout au long de le débat sur le régime européen d' importation des
bananes dans les années 1990 .
Voilà pour les acteurs gouvernementaux .
Les acteurs industriels adoptèrent plusieurs approches
différentes tandis que les problèmes émergeaient .
Parmi les entreprises productrices, certaines choisirent
de se battre ouvertement en association étroite avec leur gouvernement (
Chiquita et l' Administration des Etats-Unis, Noboa et le gouvernement
équatorien ) ; d'autres décidèrent de se prémunir et de développer des
stratégies commerciales leur permettant de résister aux conséquences les
plus prévisibles ( Dole, Del Monte et l' anglo-irlandais Fyffes ) ; tandis
que d'autres encore furent tentées de laisser les gouvernements des pays
dans lesquels elles cultivaient la banane se charger de l' effort politique
( à nouv
A l' autre bout de la chaîne, les entreprises
commercialisant les bananes dans l' Union étaient représentées par leur
association commerciale ( l' European Community Banana Trade Association,
ECBTA ), mais ne semblent pas avoir influencé d' importantes décisions sur
la question .
En effet, la nature de leur association changea durant
la période du fait du rachat des plus importantes filières de distribution
de fruits par les principaux producteurs et convoyeurs de bananes - une
conséquence évidente de l' intégration verticale du marché du secteur,
rendue nécessaire par l' intensification de la concurrence .
des ONG ont également manifesté un vif intérêt pour ce
débat, pour l' essentiel des organisations humanitaires et caritatives,
comme Oxfam ( Oxford Committee for Famine Relief ), des groupes impliqués
dans le développement des pays du Tiers-Monde, et beaucoup d' organisations
confessionnelles .
Leurs efforts conjoints ont permis de mobiliser des
centaines de milliers de gens qui ont protesté auprès de leurs gouvernements
à propos de la situation critique dans laquelle se trouvaient les
producteurs de bananes des pays ACP, attirant l' attention des médias sur la
question du commerce des bananes : de nombreux documentaires télévisés et
campagnes pétitionnaires s' ensuivirent !
L' histoire résumée du régime d' importation des bananes
de l' Union
Arrivés à ce point, il nous faut résumer l' histoire et
l' évolution du conflit commercial autour de l' importation des bananes dans
l' Union .
Cette histoire est longue et complexe .
Les origines du conflit commercial sur la banane
remontent à la création de la CEE . La signature du traité de Rome, en mars
1957, fut retardée de quatre jours tandis que un accord était recherché sur
le protocole très contesté concernant la banane .
Celui -ci accorda à la République fédérale d' Allemagne
( RFA ) une exemption du tarif extérieur commun pour les bananes que tous
les autres Etats membres étaient tenus d' appliquer .
Le consommateur allemand a joué un rôle important tout
au long de ce débat en persuadant son gouvernement de recourir à tous les
moyens possibles pour maintenir l' approvisionnement du marché allemand en
bananes à bas prix .
Comme on peut s' y attendre, les Allemands détiennent le
record de consommation de banane par habitant pour toute l' Union .
Et l' Union dans son ensemble représente 30 % en volume
du commerce mondial de la banane ( 45 % en valeur ) .
Quand fut lancé, en 1985, le programme destiné à achever
le marché unique, il devint tout à fait clair que la fragmentation délibérée
du marché de la CEE résultant de l' organisation du commerce de la banane ne
pouvait plus durer, du fait de l' élimination des contrôles aux frontières à
l'intérieur de la Communauté .
Un nouveau régime d' importation des bananes commun à l'
ensemble de la Communauté devait être élaboré, comme dans le cas de les
voitures neuves .
L' article 115 de le traité de la CEE fournissait à
chaque Etat membre la possibilité d' adopter un régime d' importation des
bananes spécifique puis de le faire valider et appliquer par la Communauté .
Les séries de conventions de Yaoundé et de Lomé
promettaient, dès 1991, qu' aucun pays ACP ne serait " placé, en ce qui
concerne ses marchés traditionnels et ses avantages sur ces marchés, dans
une position moins favorable que par le passé ou qu' aujourd'hui " .
Ainsi, tout était prêt pour de longues et classiques
négociations au sein de la Communauté, lesquelles débouchèrent sur la
décision, prise en 1993, d' introduire un régime d' importation de bananes
commun, se caractérisant par un système de quota pour l' importation des "
bananes dollars " ( initialement établi à 2 millions de tonnes ) et un tarif
extérieur commun de 20 % .
Douze Etats ACP continuaient à bénéficier d' un accès
détaxé au marché à hauteur de 620 000 tonnes de bananes par an .
La Commission devait conserver un quota discrétionnaire
qu' elle pouvait répartir librement tandis que le marché de la banane
continuait son expansion .
Les importations de bananes dollars étaient cependant
contrôlées par un système de licences uniquement accordées aux importateurs
promettant de vendre des bananes provenant des pays ACP ou d' Europe .
On prévoyait que le nouveau système accorderait 30 % des
licences d' importation ( en volume de ventes ) aux négociants ayant
commercialisé des bananes en provenance de les pays ACP traditionnels, 60 %
aux négociants ayant commercialisé des bananes dollars et 10 % aux nouveaux
venus sur le marché et aux négociants en bananes cultivées en Europe .
Le système est administré par le Comité de gestion de la
banane de l' Union et par la Commission .
Le nouvel accord fut entériné avec beaucoup de
difficulté par un vote à la majorité qualifiée, le changement d' avis du
Danemark se révélant décisif .
Cet accord fut violemment attaqué par l' Allemagne qui
le contesta, sans succès, devant la CJCE, l' accusant d' être contraire aux
principes économiques garantis par le traité de Rome .
Une autre attaque fut lancée dans le cadre de le GATT
par les Etats-Unis et plusieurs producteurs de bananes dollars d' Amérique
latine .
La décision du GATT sur le nouveau régime d' importation
conduisit à une augmentation du quota de bananes dollars à 2,1 millions de
tonnes .
Cela signifiait qu' avec la fin du GATT, en 1994, la
procédure de résolution du litige sous l'égide de l' OMC devait repartir de
zéro, cette fois à l' instigation de l' Equateur et des Etats-Unis .
En 1997, l' OMC se prononça contre le régime européen d'
importation de bananes, le déclarant discriminatoire à l'encontre des
producteurs d' Amérique latine .
L' Union introduisit des modifications dans son régime
d' importation qui entrèrent en vigueur en janvier 1999, mais un panel de l'
OMC décida en avril 1999 que, même modifié, ce régime perpétuait cette
discrimination .
Avant que l' Union ait proposé une réponse à cette
dernière décision, le gouvernement des Etats-Unis introduisait un système de
sanctions commerciales révisables ( " carrousel approach " ) d' un montant
de 200 millions de dollars contre les Etats européens, notamment ceux
favorables au régime européen d' importation des bananes .
L' Union déclara que les Etats-Unis enfreignaient les
règles de l' OMC en agissant de la sorte, mais il était évident que la
Maison-Blanche était alors exaspérée par les retards européens .
En janvier 2001, Chiquita, l'un des principaux
producteurs et négociants de bananes dollars , intenta un procès pour
dommages et intérêts à hauteur de 525 millions de dollars ( soit, à
l'époque, 564 millions d' euros ), invoquant les pertes subies depuis que le
nouveau régime avait été mis en place en janvier 1999 .
En avril 2001, cependant, l' Union semblait avoir
trouvé un compromis avec les Etats-Unis, se fondant sur une révision du
système de licences afin de favoriser les fournisseurs traditionnels du
marché européen, au grand dam d' un autre producteur et négociant américain,
Dole, et du gouvernement équatorien .
La question du commerce de la banane illustre bien les
forces et faiblesses institutionnelles de l' Union .
Les divisions au sein du Conseil des ministres furent
profondes, et le règlement du conflit par l' application du vote à la
majorité qualifiée obligea simplement la minorité dissidente à rechercher,
sans succès, un secours du côté de la CJCE . Dans cette affaire, la
Commission eut la malchance d' être emmenée par la DG VI ( celle de l'
agriculture ) qui prend toujours fait et cause pour les producteurs plutôt
que pour les consommateurs .
Mais faire évoluer la position adoptée par la DG VI fut
un véritable casse-tête " acronymique " de directions générales, chacune
avec son lot d' organisations de lobbying - la DG I ( relations extérieures
), la DG III ( affaires industrielles ), la DG VIII ( développement et
coopération ), la DG XV ( marché intérieur ), la DG XVI ( affaires
régionales ) - auxquelles il faut ajouter le Comité européen d'
administration de la banane .
C' est donc toute une superposition de problématiques
qu' il fallut démêler .
Les pays en développement ( PED ) étaient profondément
divisés en deux camps : les pays ACP et les pays non ACP . Les principes du
marché unique étaient en jeu, favorisant la consolidation du régime d'
importation de la banane au niveau de l' Union ; mais la libéralisation de
l' accès à ce marché nouvellement intégré devait être mis en balance avec
les politiques protectionnistes destinées à préserver le niveau de vie de
gens comptant parmi les plus pauvres du monde .
Sur cette question, les lignes de clivage
traditionnelles entre les Etats pratiquant le libre-échange et ceux plus
enclins à le protectionnisme se désagrégèrent, le Royaume-Uni adoptant un
point de vue plus protectionniste ( soutenu par la France, l' Italie et les
Pays-Bas ) en raison de les intérêts des PED . Finalement, et c' est
peut-être le plus important, l' ensemble des relations de l' Union avec les
Amériques furent menacées par ce conflit commercial : entre l' Union et les
Etats-Unis ( relations qui se dégraderont encore sur d'autres questions ),
entre les Etats ca
Le programme Auto-Oil
L' acceptation par l' Union, en 1997 , de les propositions
de le protocole de Kyoto sur la réduction de les émissions de gaz à effets de
serre a eu des répercussions pour les constructeurs automobiles et les
compagnies pétrolières présents sur le marché européen .
L' Union a accepté de réduire ses émissions de 8 % d' ici à
2010 par rapport à le niveau de 1990 .
Mais ces réductions devront être plus importantes dans
certains pays ( 12 % pour le Royaume-Uni ), tandis que d'autres ( l' Irlande )
seront autorisés à accroître leur niveau d' émissions ( jusqu' à 13 % ) .
Le protocole de Kyoto affecte les intérêts des entreprises
en Europe, alors qu' elles doivent déjà faire face à d' intenses pressions
réglementaires de Bruxelles pour parvenir à une allocation plus efficace des
ressources, une pollution automobile plus faible et un meilleur recyclage .
Ces pressions reflètent les préoccupations écologiques d' un
grand nombre d' Etats membres ( six d' entre eux sont considérés comme
constituant l' avant-garde de la politique environnementale ) et du Parlement
européen .
Les deux principaux groupements d' intérêt concernés et
menacés ( les constructeurs automobiles et les compagnies pétrolières ,
représentés par des fédérations paneuropéennes telles que l' Association de les
constructeurs européens d' automobile ( ACEA ) ne se sont pas laissé imposer
séparément un agenda déterminé par les institutions européennes selon des
critères politiques plus qu' industriels .
Ils ont au contraire annoncé, en 1996, qu' ils feraient des
propositions communes pour aider à réaliser les objectifs environnementaux de l'
Union, puis ceux définis à Kyoto en matière de émissions de gaz automobile d'
ici à 2008-2012, le tout en concertation avec la Commission et sous réserve de
l' approbation finale du Conseil des ministres et du Parlement .
D'autres accords ont aussi été conclus avec les
constructeurs automobiles japonais et coréens .
Malgré les appréhensions de beaucoup de députés européens,
cette approche a été acceptée et le premier programme Auto-Oil voté - et ce, en
dépit de désaccords ouverts entre les deux industries concernées sur la façon de
répartir le fardeau de la réduction des émissions de gaz d' origine automobile .
des ONG écologistes prétendent aussi que ces deux
industries ont édulcoré les exigences politiques de l' Union .
Un second programme Auto-Oil est actuellement en cours de
négociations, avec une plus grande harmonie entre les deux secteurs et une plus
grande implication des ONG .
Ce processus soulève d' importantes questions touchant la
légitimité démocratique et la nature de l' autorité habilitée à élaborer,
appliquer et évaluer une politique publique .
Il permet aussi aux intérêts industriels d' exercer un plus
grand contrôle sur l' agenda politique, et d' être hostiles au protocole de
Kyoto d' un côté de l' Atlantique tout en se montrant apparemment disposés à
aider à la réalisation des objectifs de Kyoto sur l' autre rive de l' océan
.
Aspects positifs et négatifs du lobbying
Les aspects positifs
Au premier abord, le lobbying peut être considéré comme
un élément inévitable du processus démocratique .
Les lobbyistes sont en droit de faire connaître
directement leurs points de vue aux décideurs européens ainsi que aux
membres du Parlement .
Chose rare, ce dernier n' est pas le seul organe
législatif au sein de le dispositif décisionnel européen ( il partage ce
rôle avec le Conseil des ministres ) et il n' a pas non plus l' initiative
des propositions législatives ( qui relève de la Commission ) .
Ainsi, on peut considérer de façon simpliste que le
lobbying est une manifestation de la démocratie à l' oeuvre, et qu' il est
susceptible de garantir une certaine responsabilité des institutions
européennes au moins devant ceux qui sont le plus concernés par les
décisions de l' Union .
Le lobbying se révèle aussi très utile à la Commission,
qui cherche à sonder l' opinion des entreprises et des ONG avant de prendre
des initiatives politiques radicalement nouvelles .
Elle compte alors souvent, avant de se déterminer, sur
des associations commerciales et professionnelles pour obtenir des données
et des analyses sur les secteurs concernés .
Compte tenu de la dimension relativement réduite de la
Commission et de l' impossibilité où sont ses fonctionnaires de connaître
par eux -mêmes toutes les spécificités sectorielles de chaque Etat membre,
l' échange d' informations entre la Commission et les groupes de pression
est souvent essentiel pour les deux parties .
Une Commission bien informée a plus de chances de faire
des propositions politiques légitimes et susceptibles d' être mises en
oeuvre .
Le raisonnement consiste à dire que le lobbying peut
conduire à un processus politique plus efficace, dans lequel les décideurs
sont finalement conduits à adopter les mesures ayant le plus de chances d'
aboutir aux résultats politiques escomptés, en prenant pleinement en compte
les réalités et les aspects pratiques tels qu' ils sont perçus sur le
terrain par les intérêts immédiatement concernés .
Les mêmes groupes d' intérêt peuvent donner leurs
impressions sur la mise en oeuvre de la politique de l' Union en recourant à
des méthodes identiques vis-àvis de la Commission .
Le processus de lobbying est aussi de plus en plus
interactif dans la mesure où les différents intérêts sont en concurrence
pour obtenir gain de cause et où les lobbyistes, pour se faire vraiment
écouter, doivent essayer de développer une vision européenne globale qui
aborde les questions-clefs de leur domaine politique à l'échelle de l' Union
.
Deux conséquences pourraient en résulter . pourraient en
résulter .
La première serait l' élaboration de consensus au niveau
européen dans la mesure où un ensemble d' intérêts se cherchant des alliés
est contraint de se préoccuper des autres, qui n' ont pas nécessairement des
intérêts compatibles .
L' autre conséquence, qui pourrait émerger parallèlement
à le développement de le consensus , serait que le contact direct avec les
institutions européennes favorise le processus d' intégration sur le long
terme au travers de une influence progressive sur ceux qui façonnent les
opinions, une dialectique que les universitaires ont appelé " engrenage "
.
Les aspects négatifs
Le lobbying au niveau européen est très critiqué pour
des raisons relevant de considérations démocratiques .
Il y a d'abord le relatif secret qui entoure à la fois
le processus de prise de décision et la pratique du lobbying .
Ce secret nourrit les soupçons selon lesquels les
accords sont conclu, à l'abri de les regards, entre les entreprises et les
décideurs européens, sans grands égards pour l' intérêt général ou le bien
public .
Ainsi les structures démocratiques se trouvent -elles en
un sens contournées et la responsabilité devant les citoyens marginalisée au
profit de une responsabilité prise par rapport à quelques intérêts
particuliers .
Une multinationale étrangère pourrait obtenir une plus
grande attention de Bruxelles à ses points de vue qu' un groupe
inexpérimenté de citoyens européens .
Ces soupçons sont renforcés par le fait qu' il est fort
coûteux de faire pression avec succès sur les institutions européennes, tout
comme cela exige du temps et des compétences .
D' une façon générale, l' univers du lobbying à
Bruxelles est dominé par des groupes de pression commerciaux qui défendent
des intérêts économiques pour lesquels ils sont souvent en mesure - et
disposés - à payer le prix fort .
Une telle démarche n' est pas envisageable pour des
groupes poursuivant des objectifs plus généraux ou altruistes, comme ceux
représentant les intérêts des réfugiés, des travailleurs immigrés, des
personnes handicapées ou des chômeurs .
Le raisonnement est donc que l' équilibre atteint au
sein de l' Union entre les différents intérêts penche nettement en faveur de
ceux pouvant consacrer beaucoup d' argent à la promotion de leur cause ( d'
une façon générale, il s' agit des intérêts des entreprises et des
gouvernements ) .
La Commission reconnaît le bien-fondé de cet argument en
subventionnant quelque soixante ONG actives à l' échelle européenne, mais
cette réponse comporte aussi le risque de compromettre l' indépendance des
organisations mises en places pour représenter de tels intérêts .
Une autre inquiétude concerne la représentativité des
organisations censées incarner l' opinion européenne sur tel ou tel sujet .
La Commission prête attention à la structure et au
nombre de membres des organisations qui prétendent représenter des groupes
sociaux, économiques ou professionnels particuliers .
Une question tout aussi importante consiste à savoir
dans quelle mesure les positions adoptées par une organisation au niveau
européen prennent réellement en compte les préoccupations et les exigences
des associations nationales, et si elles ont été validées démocratiquement
au sein de l' organisation .
L' arrivée d' Internet et de la messagerie électronique
a certainement modifié les moyens, pour une ONG basée à Bruxelles, de rester
en contact étroit avec ses membres au niveau national .
Mais il est encore difficile de savoir dans quelle
mesure ces pratiques ont permis une décentralisation et une plus large
contribution à la prise de décision, auparavant dévolue aux initiés qui
dirigent les groupes d' intérêts à Bruxelles .
En fin de compte, les fonctionnaires de la Commission et
les députés européens font souvent référence à l'excès de lobbying, alors
même que la structure fragmentée du processus de décision européen en est
une des causes .
On peut ainsi affirmer que les intenses efforts de
lobbying, impliquant parfois des centaines d' organisations, empêchent une
prise de décision rapide et cohérente dans le cadre de l' Union .
Conclusions : questions à venir
Malgré l' élargissement à 25 prévu pour 2004, la structure
et les évolutions futures de l' Union sont plutôt incertaines .
Pour les organisations de lobbying, l' élargissement
signifie que tout un ensemble d' intérêts entièrement nouveaux ( et parfois
contradictoires ) devront être intégrés au sein de organisations particulières,
et assimilés par les institutions européennes .
L' élargissement devrait aussi éloigner le Conseil des
ministres des préoccupations écologiques et le réorienter vers les questions de
sécurité .
L' élargissement accentuera certainement la tension existant
entre ceux qui recherchent une plus grande standardisation européenne et ceux
qui donnent la priorité au principe de subsidiarité .
Beaucoup d' entreprises aimeraient une plus grande
centralisation du pouvoir de décision .
Leur vie serait simplifiée, et leur coûts réduits, si les
décisions prises à Bruxelles s' appliquaient partout sur le territoire de l'
Union .
C' est la raison pour laquelle les grands groupes d' intérêt
représentant les entreprises firent cause commune avec les écologistes, en 1992,
contre la proposition de Jacques Delors en faveur de règles environnementales
décidées et administrées au niveau national .
En ouvrant la voie à davantage de variations nationales et
régionales dans la définition et l' application des règles, les partisans de la
subsidiarité courent inévitablement le risque de s' éloigner de la notion de
concurrence " sur un pied d' égalité " entre les entreprises, notion
constitutive du marché unique .
Mais cela ne sera -t-il pas la conséquence inévitable du
prochain élargissement, même sans aucun renforcement du principe de subsidiarité
?
Une autre question est celle du processus décisionnel
alternatif annoncé au sommet de Lisbonne, en 2000 : la " méthode ouverte de
coordination ", mentionnée plus haut .
Bien que elle envisage un partenariat interactif entre les
institutions européennes, les gouvernements nationaux et les principaux groupes
d' intérêts pour développer 0 des réponses politiques dans des domaines pour
lesquels plusieurs niveaux de gouvernement , dont celui de l' Union , sont
compétents , les inquiétudes sont déjà légion quant à le risque d' exclure les
élus du processus et de n' y inclure que les groupes d' intérêts déjà bien
connus des autorités ou ceux qui ne sont pas susceptibles de " jouer les
trouble-fête " .
Dans la mesure où les sujets déjà concernés par la méthode
ouverte de coordination sont plutôt décisifs, plus ce processus prendra de l'
importance, plus cette question deviendra sérieuse .
Finalement, l' intégration du processus décisionnel
bruxellois est rendu plus difficile par des activités de lobbying ad hoc et
protéiforme auprès de une Commission fragmentée et des autres institutions
européennes .
Il pourrait bien y avoir des arguments en faveur de forums
consultatifs plus formalisés auxquels seraient invités à participer toutes les
parties intéressées, et à travers lesquels devrait passer toute représentation
auprès de l' Union, ainsi que en faveur de la publication de tous les documents,
Position Papers et autres débats que pourront susciter de tels forums .
Non seulement cela favoriserait la transparence auprès de le
public dans son ensemble, mais cela contribuerait aussi à améliorer la
transparence au sein de la Commission et des autres institutions européennes, et
entre les différents groupes de pression .
TITRE : De Doha à Cancun: les enjeux du cycle de négociations
AUTEUR : Paul-Henri Ravier est ancien directeur général adjoint de l'OMC.
Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que la responsabilité de
l'auteur.
Dans la situation internationale actuelle, le succès d' une
négociation mondiale dans le domaine de les échanges commerciaux pourrait constituer
un signe tangible que le système fonctionne et qu' une organisation internationale
de premier rang est à même de remplir la mission que ses membres lui ont assignée .
La poursuite et la conclusion des négociations dans le
calendrier imparti constituerait également une réponse convaincante de la communauté
internationale aux détracteurs de la libéralisation des échanges et, à travers elle,
de la coopération entre nations .
Au-delà du contexte immédiat, les pays riches, comme les pays en
développement ( PED ) , ont un intérêt direct à la poursuite du cycle de Doha .
Les premiers parce que , dans une conjoncture qui semble
durablement déprimée , le succès favoriserait la confiance et montrerait que le
système commercial multilatéral peut prendre en compte des questions comme la
sécurité alimentaire, la protection de certains services publics ou l' environnement
.
Les seconds parce que il s' agit de montrer que les " règles du
jeu " peuvent être amendées dans un sens qui leur soit favorable, d'une part, en
apportant une solution à la délicate question de la mise en oeuvre des accords du
cycle de l' Uruguay, de l' autre, en rendant les pays pauvres acteurs à part entière
du commerce mondial, ce qui n' est vrai, à ce stade, que pour une quinzaine de pays
émergents et une dizaine d'autres PED . Aucune exigence n' est en effet plus
pressante aujourd'hui que celle du développement, et, qu' on le veuille ou non, la
mondialisation, c' es
Il n' existe à l'évidence aucune recette magique en la matière,
et le libre-échange ne peut en aucun cas se substituer à des institutions
défaillantes, ni pallier les affrontements internes, les politiques monétaires et
budgétaires erratiques ou l' insuffisance des flux d' aide au développement .
Mais s' il n' y a pas de recette magique pour le succès, il y en
a bien une pour l' échec : la fermeture des frontières .
Il n' est pas un seul exemple aujourd'hui pour contredire ce
point .
Un cycle, mais quel cycle ?
La préparation du cycle de Doha n' a pas échappé aux débats
traditionnels sur la configuration de la négociation : cycle large ou étroit,
long ou court, engagement unique pour tous ou accords à la carte, tout fut
envisagé, et le début des négociations n' a pas clos ces interrogations .
Cycle large ou étroit ?
Cette controverse a opposé et continue d' opposer les
tenants d' une négociation limitée à l' accès au marché, à l' agriculture et
aux services, et les partisans d' un plus grand nombre de sujets, cet
élargissement pouvant faciliter les concessions, aider à prendre en compte
les préoccupations de la société civile, et résoudre certains problèmes des
pays en développement .
Les Etats-Unis et les membres du groupe de Cairns d'une
part , l' Union européenne de l' autre , s' opposent sur le sujet ; les PED
sont également divisés, une légère majorité d' entre eux penchant plutôt
pour le cycle " accès au marché seulement " .
Certes, tel qu' il a été lancé en 2001, le cycle est
large et comprend douze sujets de négociation .
Mais, si le programme était menacé d' enlisement, des
voix s' élèveraient à nouveau en faveur de un allégement de l'ordre de le
jour .
Cycle long ou court ?
Ce débat est lié au précédent, et au fait que le cycle
de l' Uruguay a duré près de huit ans au lieu de les quatre prévus .
La crédibilité politique de la négociation repose en
partie sur le respect les délais .
En outre, les PED dont les ressources humaines sont
rares préfèrent en général un cycle court .
Doha doit en principe s' achever fin 2004 .
Engagement unique, " récolte précoce " ou accords à la
carte ?
Le cycle de l' Uruguay avait comme priorité de mettre
fin au " plurilatéralisme ", terme qui qualifie les engagements souscrits
par certains membres seulement .
De tels accords permettent de " faire avancer la machine
", avant que d'autres pays ne " prennent le train en marche " .
Leur inconvénient est d' aller à l'encontre de la
logique du système GATT / OMC, qui est d' établir des droits et obligations
identiques pour tous, et non un " patchwork " de régimes différents au
détriment de la transparence et de la non discrimination .
La " récolte précoce " est une variante temporelle du
plurilatéralisme, qui consiste à engranger certains résultats, en matière
agricole par exemple, avant la fin des négociations .
De telles pratiques, utilisées dans le passé pour des
raisons politiques - témoigner concrètement de l' avancée de les
négociations - conduisent à déséquilibrer toute la logique du cycle, où les
ultimes arbitrages sont pris en pondérant gains et pertes sur tous les
sujets .
La négociation de Doha ( article 41 de la déclaration
finale ) s' inscrit dans la logique de l' engagement unique .
Mais elle n' exclut pas des mises en oeuvre, provisoires
ou définitives, d' accords conclus dans les premières négociations .
Ces ambiguïtés ne manqueront pas d' être exploitées, ici
ou là, par tel ou tel groupe de négociateurs .
Un cycle à quel prix ?
Constructive pour les uns, dirimante pour les autres, l'
ambiguïté de la déclaration de Doha est de règle pour ce genre de document .
En l'espèce, il fallait réussir à tout prix, et le succès n'
était pas garanti .
La multiplication des dates limites, les nombreuses mentions
de les " modalités de négociation " et la référence constante à le développement
témoignent de volontaires obscurités .
Fixer des dates limites à un cycle et à ses différentes
étapes est sans conteste un procédé qui permet à certains pays riches de parer
d'avance aux critiques du type : " Il est impossible de régler tant de sujets
dans un délai raisonnable " ou " les opinions publiques s' irritent de l'
absence de progrès " .
Pour d'autres, les dates intermédiaires sont censées éviter
les tactiques dilatoires, certains participants gardant leurs cartes en main
pour éviter de " payer deux fois ", une à la date intermédiaire et une seconde à
la fin .
Pour les PED, les dates butoirs permettent d' éviter les
marchandages de fin de cycle, dont ils se plaignent de faire la plupart du temps
les frais .
La multiplication de ces dates fut sans doute à Doha un
moyen d' obtenir un compromis entre tenants d' un cycle étroit et court et
partisans d' un cycle large et long, au prix toutefois de plusieurs
inconvénients .
au plan logique, l' idée de butoir s' oppose à la notion
même de cycle, où les arbitrages se font à la fin entre tous les sujets .
au plan pratique, ces dates butoirs ne sont guère respectées
et provoquent, comme c' est le cas actuellement, des commentaires critiques sur
l' enlisement, l' échec et l' absence de perspective des discussions .
Parallèlement, la méthode produit une crispation "
volontariste " : parler de report ne relève plus du réalisme mais du défaitisme
.
L' abus du terme " modalités " est une autre illustration
des contorsions qui ont précédé l' accord .
Sur les douze sujets de négociation, il est prévu que, pour
six d' entre eux, les membres devront au préalable s' accorder sur les "
modalités " de la négociation .
L' ambiguïté du terme est destinée à rassurer ceux qui ne
veulent pas trop s' engager, en leur donnant l' impression qu' ils détiennent un
levier solide sur la négociation elle -même .
Cette interprétation a d'ailleurs été renforcée, pour les
quatre sujets de Singapour, par la réponse du président de la conférence
ministérielle lui -même à une objection soulevée par l' Inde à la fin de la
réunion de Doha .
Dans tous les cas, le terme prête à controverse car, selon
que l' on retient l'une ou l' autre interprétation, c' est tout l' équilibre du
cycle qui est modifié : agriculture, services, tarifs industriels, quelques
sujets environnementaux, antidumping et subventions dans un cas ; les mêmes
sujets plus ceux de Singapour dans l' autre .
La référence au développement, qui traverse tout le texte de
Doha, reste une des plus importantes difficultés à surmonter .
Il est avéré, depuis la fin du cycle de l' Uruguay, qu'
aucun accord ne peut recueillir de consensus sans le soutien des PED . Dès lors
( et de façon parfois un peu cynique ), les grands acteurs du jeu ( Etats-Unis,
Union européenne ) s' efforcent de gagner à leur position un nombre croissant d'
entre eux, moins par des concessions réelles que par des promesses qu' ils ont
plus ou moins l' intention, ou les moyens, de tenir .
Le cycle de l' Uruguay fut, par exemple, fondé sur un "
grand dessein " consistant à demander aux pays pauvres d'une part d' ouvrir
leurs marchés en matière de services, et d'autre part de souscrire à la
protection des droits de propriété intellectuelle en échange d' un accès aux
marchés des pays riches, en particulier dans les domaines du textile et de l'
agriculture .
Huit ans plus tard, l' équilibre douteux de ce grand
marchandage a rendu les PED beaucoup plus exigeants, et les conduit à refuser d'
entrer dans de nouvelles négociations sans engagement très sérieux en leur
faveur .
Mais que l' on parle de " traitement spécial et différencié
" ou d' assistance technique, on a " tiré des traites " sur l' avenir, qu' il
faudra bien honorer un jour ou l' autre .
Tel est le cas aujourd'hui, où le développement est passé du
statut d' obligation morale ou de voeu pieux à celui de composante à part
entière de la négociation .
Le cycle de Doha : état des lieux
Si l' on s' en tient à l' ordre arrêté à Doha, le premier
sujet est celui de la " mise en oeuvre " .
Il paraît paradoxal et peu porteur politiquement qu' une
négociation traitant de l' avenir du système commercial mondial se préoccupe
d'abord du passé, consacrant autant de temps et d' efforts à une question liée
au cycle précédent .
C' est là le principal argument de ceux qui contestent la
légitimité et l' utilité d' un nouveau cycle .
Il n' est pas abusif de dire que le sujet a saturé l' agenda
de l' OMC depuis la conférence de Singapour en 1997 .
Il fut l'une des principales causes - sinon la seule - de l'
échec de Seattle, en 1999, et a constitué, de loin, le premier sujet de
discussion entre Etats membres jusqu' à Doha et depuis lors .
Rappelons que la décision prise à Doha ne recense pas moins
de 48 " questions et préoccupations liées à la mise en oeuvre ", concernant onze
accords, sans compter les " questions transversales " liées au traitement
spécial et les " questions en suspens ", au nombre de 39 .
Même en tenant compte d' une tendance tactique à " charger
la barque " pour obtenir quelque chose en échange de l' abandon d' une demande,
il n' en demeure pas moins que le sujet, à lui tout seul, suffirait à remplir la
charge de travail de l' OMC pendant de longs mois .
Au-delà des aspects techniques, les positions politiques de
les parties en présence n' ont guère changé : " Pas de nouveaux sujets tant que
la mise en oeuvre des anciens n' est pas réglée ", disent les PED ; " pas de
règlement des anciens sujets en dehors de la négociation d' ensemble ", disent
les pays développés .
Pour tenter de concilier ces positions antagonistes, un
équilibre délicat a été bâti à Doha :
les questions de " mise en oeuvre " relevant de
négociations ouvertes dans le nouveau cycle sont traitées dans le cadre de
ces négociations ;
les autres questions, dites " en suspens " , sont
traitées par les " organes pertinents " de l' OMC .
Ce découpage correspond au souci des pays du Nord de ne pas
rouvrir, même partiellement, les négociations closes en 1994 .
A ce stade, donc, les sujets relevant de la première
catégorie ( les plus conflictuels concernent le mode de calcul de les
contingents textiles , le recours à les subventions à l' exportation , certains
aspects de l' accord ADPIC ) suivent le rythme des négociations ouvertes par
Doha sur les mêmes questions .
Ceux de la deuxième catégorie sont liés, en fait sinon en
droit, au débat sur le traitement spécial et différencié .
En effet, les pays développés ont souhaité saisir l'
occasion d' une remise à niveau du système de traitement spécial dans sa
finalité, ses principes, ses objectifs et ses instruments ( système de
préférence généralisée, accords de type Lomé ), dont la pertinence peut devenir
discutable à mesure que s' abaissent les obstacles aux échanges .
Les PED, à le contraire , s' en tiennent à une conception
plus étroite consistant à examiner des mesures pratiques ( 85 à l'heure actuelle
) pour les rendre plus " précises, effectives et opérationnelles " .
Les deux sujets sont aujourd'hui également paralysés .
La mise en oeuvre n' a fait aucun progrès récent, malgré d'
ultimes efforts de médiation du directeur général de l' OMC . Le traitement
spécial et différencié n' a rien gagné à être lié partiellement à la mise en
oeuvre, et, après avoir dépassé trois dates limites ( juillet et décembre 2002,
février 2003 ), il a été évoqué à nouveau en mai, au conseil général de l' OMC,
dans le scepticisme général .
La question agricole
des cinq sujets sectoriels ( non transversaux comme les
deux précédents ), l' agriculture donne lieu aux plus grandes controverses,
alors même que les enjeux économiques et commerciaux ne sont pas à la mesure
des querelles .
A priori, le débat ne devrait pas être d' une difficulté
insurmontable .
Sur les quatre grands sujets ( soutiens à l' export ,
soutiens intérieurs , accès au marché , questions non commerciales ), entre
les quatre acteurs ou groupes d' acteurs ( Etats-Unis , Union européenne ,
groupe de Cairns et grands PED non Cairns , menés par l' Inde ), les plages
de compromis devraient exister .
Mais les discussions sont occultées par des positions
idéologiques : " la subvention est intrinsèquement néfaste ", " la PAC est
intouchable ", " les PED sont quoi qu' il arrive victimes d' un système
injuste " ... positions contredites par les pratiques .
Tout le monde subventionne, même les pays les plus
vertueux, d' une façon qui peut fausser les échanges ; la PAC est en
constante révision, et son coût n' est pas élevé ( 0,5 % du PIB européen ) ;
enfin, il est faux que les PED aient tout à gagner d' une disparition totale
des subventions, tant est grand l' avantage comparatif des plus gros
producteurs agricoles, qui ne sont pas des PED .
Les modalités de la négociation agricole devaient être
arrêtées le 31 mars .
En l'absence de définition précise du terme, les débats
se sont crispés sur les formules de réduction tarifaire, qu' il est
difficile de considérer comme une simple " modalité ", alors qu' elles sont
un élément crucial de la négociation .
Le président du groupe de négociation, M. Harbinson , a
fait de louables efforts pendant six mois pour appliquer à l' agriculture la
même méthode que celle qui avait si bien réussi lorsque, président du
conseil général de l' OMC, il avait élaboré la déclaration de Doha : on
écoute les arguments des uns et des autres, et, plutôt que de tenter une
impossible synthèse entre des positions contradictoires, on élabore " à
titre personnel " un projet d' accord qui, ne satisfaisant complètement
personne, ne suscite aucun veto .
Cette méthode n' a pas réussi en matière agricole
puisque les deux versions successives du projet d' accord soumis aux membres
ont été rejetées, notamment par les Européens, qui voyaient sacrifiées leurs
demandes sur les aspects non commerciaux de l' agriculture ( sécurité
alimentaire, environnement, bien-être animal ... ) sans obtenir satisfaction
sur les sujets proprement commerciaux ( subvention, protection tarifaire ) .
Le sujet a donc été renvoyé à Cancun .
Les produits pharmaceutiques : une course de vitesse
Dans le domaine de la propriété intellectuelle, la
question de l' accès des pays pauvres aux produits pharmaceutiques est moins
importante pour elle -même qu' en ce qu' elle illustre la capacité - ou l'
incapacité - de l' OMC à traiter d' une question sensible pour les opinions
publiques .
Sur le fond, le débat est lui aussi largement occulté
par des positions idéologiques .
La situation désastreuse de l' Afrique subsaharienne en
matière sanitaire ( spécialement en ce qui concerne le sida ) ne dépend que
pour partie du prix des traitements .
Seraient -ils gratuits qu' ils ne changeraient rien à l'
absence d' hôpitaux, de personnels médicaux et de dispositifs de prévention
.
Inversement, le lien direct entre niveau de recherche et
niveau de protection de la propriété intellectuelle n' a jamais été
démontré, d'autant que, dans les pays riches, la recherche scientifique,
tous secteurs confondus, bénéficie de soutiens - notamment fiscaux -
déconnectés de cette protection .
La rigidité des positions tient ici à deux facteurs
rarement exposés .
Le premier est la concurrence entre grands groupes
occidentaux et industries naissantes de quatre ou cinq pays émergents (
Inde, Brésil ), où la croissance du secteur pharmaceutique repose sur une
protection partielle des droits des brevets - pour les procédés et non pour
les produits -, protection compatible avec l' accord ADPIC jusqu' en 2005 .
Une course de vitesse est donc engagée entre les uns et
les autres .
Le second est que les grands groupes occidentaux ont un
" portefeuille " de brevets qui va largement tomber dans le domaine public
dans les cinq ou dix ans à venir, et qu' ils ne sont pas sûrs de pouvoir le
remplacer à partir de technologies actuellement en phase de développement (
thérapies géniques, clonage cellulaire ... ) .
Ces groupes savent qu' ils risquent d' être supplantés
par d'autres firmes, aujourd'hui inconnues, qui exploiteront au mieux le
potentiel de ces techniques pour devenir les géants de demain .
D' où leurs crispations autour de les flexibilités
prévues dans l' accord ADPIC en matière de brevets pour les médicaments .
Doha avait permis de mettre un terme au " harcèlement
judiciaire " des grandes firmes à l'égard de les pays à industrie
pharmaceutique naissante, pour les empêcher d' utiliser à plein ces
souplesses ( importations parallèles, licences obligatoires ) .
Les discussions se sont désormais déplacées vers la
possibilité, pour les pays dépourvus de capacités manufacturières, de
demander à d'autres pays de les approvisionner en utilisant les mêmes
flexibilités, à leur place et pour leur compte .
La négociation oppose, comme souvent, les tenants d' une
interprétation stricte à ceux d' une interprétation large, avec pour points
de discorde les pays éligibles ( fournisseurs et acheteurs ), les maladies
éligibles ( maladies infectieuses seulement ou autres ), les risques de
détournement, de trafic, etc .
Différentes tentatives de compromis, dont l'une
provenant de l' Union européenne et tendant à faire participer l'
Organisation mondiale de la santé à la décision, ont fait long feu .
Ces blocages sur des sujets majeurs ont " diffusé "
vers les autres, notamment le plus important d' entre eux en termes d'
enjeux économiques : les services .
Alors que les discussions, malgré des oppositions
fortes, notamment sur l' ouverture de services publics comme la santé ou l'
éducation, allaient progressant, plusieurs pays ont récemment fait savoir
qu' en l'absence de progrès substantiels sur l' agriculture, il n' y avait
pas lieu d' accélérer sur les services, pour lesquels les offres devaient
être déposées le 31 mars, date limite elle aussi dépassée .
Sur le fond, l' examen des multiples offres déposées ne
fait pas apparaître beaucoup de nouveauté, les mêmes secteurs restant
ouverts ou fermés .
Tout au plus note -t-on une évolution récente des
Etats-Unis vers une moindre ouverture en matière de services publics .
Deux remarques en conclusion .
De nombreuses propositions ont été faites depuis six
mois : ce n' est donc pas la matière qui manque, mais la volonté politique
qui fait défaut, pour trouver un compromis .
Ensuite, tout focaliser sur l' unique sujet de l'
agriculture est de bonne guerre mais ne mène à rien : il faut explorer des
voies plus ambitieuses .
Le cycle de Doha : quel avenir ?
En dépit de multiples déclarations rassurantes, il est
douteux qu' une telle négociation puisse s' affranchir du contexte mondial .
Il est, en revanche, difficile d' estimer le poids de ce
contexte .
Ainsi, la guerre du Golfe de 1991 a interrompu le cycle de
l' Uruguay pendant près de un an .
Inversement, les attentats du 11 septembre 2001 et la
réplique des Etats-Unis en Afghanistan , en fragilisant d' un coup les
structures de coopération internationale , ajoutant à l' impératif d' éviter un
second échec deux ans après celui de Seattle , ont été un élément décisif du
succès de Doha .
Le dernier conflit en Irak pourrait donc avoir des effets
contraires : accroître la paralysie tant que la situation du Proche-Orient ne
sera pas stabilisée, ou inciter au compromis pour éviter d' ajouter aux
difficultés de l' heure .
Une conjoncture difficile
Il en va de même au plan économique . " La guerre n'
arrête pas la mondialisation ", titrent certains journaux .
Ce qui est à la fois vrai et faux .
La mondialisation n' a pas eu besoin de la guerre pour
ralentir : le commerce mondial stagne depuis 2000, les flux d'
investissement baissent, et les voyages internationaux eux -mêmes ont
diminué sans que l' on puisse faire la part des risques politiques ou de la
conjoncture, continuellement déprimée depuis l' explosion de la bulle
financière en mars 2000 .
Si la guerre du Golfe de 1991 a précédé l'une des plus
importantes périodes de croissance mondiale, il est difficile d' apprécier a
posteriori l' impact de cette croissance, tant sur la fin du cycle de l'
Uruguay que sur le lancement du suivant .
Est -il en effet plus facile de faire progresser un
cycle de négociation dans une période de stagnation ( le compromis pourrait
être facilité par l' objectif commun de relance de la croissance par les
échanges ) ou dans une conjoncture élevée ( le coût de
Les perspectives économiques immédiates ne sont pas
encourageantes, mais les arguments ci-dessus peuvent aussi se retourner
aisément .
Des éléments fortuits ( nouvelle crispation en Asie et
en Chine à cause de l' épidémie du SRAS qui commence à s' y répandre ) ou
plus structurels ( remise en cause du consensus sur les bienfaits de l'
économie de marché après les scandales qui ont ébranlé
Les facteurs internes à la négociation sont les plus
importants : ils dépendent d'abord de l' objectif stratégique du cycle,
ensuite d' éléments propres au déroulement des négociations .
Comme son nom l' indique, le cycle de Doha est un cycle
de développement .
Il est incontestable que les PED ont une perception
négative du cycle de l' Uruguay .
Ce sentiment est en outre inscrit dans la critique
générale du commerce comme moteur du développement, elle -même part du débat
sur l' aide, l' annulation de la dette, la réduction de moitié de la
pauvreté à l' échéance de 2015 .
Le nombre et le poids relatif de les PED s' accroissant
continuellement au sein de l' OMC , il est assuré que le cycle n' aboutira
pas sans concessions commerciales de substance des pays développés dans les
secteurs les plus sensibles que sont l' agriculture, le textile, les droits
de douane, la propriété intellectuelle ( dont le médicament ), l'
antidumping et les subventions .
Or ces six sujets constituent, à peu de choses près, ce
qu' il est convenu d' appeler le cycle " accès au marché seulement ", qu'
appellent de leurs voeux un grand nombre de pays : Etats-Unis, groupe de
Cairns et une bonne partie des PED . Le risque est donc clair, pour l' Union
européenne notamment, de voir resurgir l' idée d' un cycle étroit, donc
court .
Une autre inconnue demeure : celle du rôle de la Chine .
Membre du club des ( futurs ) riches, ou champion des
PED ?
Probablement l'un ou l' autre, en fonction de ses
intérêts : du côté des pauvres pour l' agriculture, le textile et l'
antidumping ; du côté des riches pour la propriété intellectuelle, par
exemple .
Toute négociation possède une dynamique interne qui
tient autant à des éléments de fond qu' à des facteurs circonstanciels : l'
organisation, les relations avec les médias ou le rôle des organisations non
gouvernementales ( ONG ) peuvent être essentiels dans l' échec ou le succès
de la conférence, comme l' ont montré Seattle en 1999 ou Doha en 2001 .
Mais l' essentiel tient à des éléments objectifs .
Comment se présentent ces données à trois mois de la
réunion de Cancun ?
La préparation paraît pour le moins difficile .
Mais il est cependant trop tôt pour inférer du non
respect de plusieurs dates limites ( mise en oeuvre, traitement spécial et
différencié, accès au médicament, agriculture ) un échec de la Conférence
.
des dissenssions politiques
L' heure de vérité sonnera avec l' élaboration du projet
de déclaration des ministres, qui permettra de mesurer l' état des forces en
présence, la volonté politique d' aboutir dans les principales capitales, et
le fonctionnement du moteur transatlantique qui, s' il n' est plus
suffisant, est absolument nécessaire pour la réussite de toute négociation à
l' OMC .
Or ce moteur obéit lui -même à des cycles, et sa
dynamique ne peut se transmettre à tous ses partenaires que si ces derniers
ont la conviction que les deux acteurs principaux veulent minimiser leurs
différences et maximiser leurs points d' entente .
Les différends commerciaux entre les Etats-Unis et l'
Union européenne obéissent à des raisons techniques, mais surtout politiques
.
Techniquement, l' Organe de règlement des différends n'
ajuste pas le rythme de ses décisions, en première instance comme en appel,
sur celui du cycle de Doha .
Mais il dépend des principaux intéressés de monter ces
décisions en épingle ou d' en réduire l' impact .
A ce jour, le nombre et l' importance des litiges entre
les deux partenaires ne sont pas très différents de ce qu' ils étaient avant
Doha .
Celui concernant les FSC est de loin le plus important,
ceux concernant les organismes génétiquement modifiés ( OGM ) ou l'
aéronautique restent à l' état de menaces récurrentes ; la décision récente
concernant les mesures protégeant la sidérurgie américaine est en appel
.
Maximiser les points d' entente ( ou obtenir la
neutralité bienveillante de l' autre ) est plus difficile .
De ce point de vue, la phase pré-Doha a été exemplaire :
ouverture des Européens en matière agricole, des Etats-Unis en matière de
antidumping, neutralité sur investissement, concurrence et environnement .
Aujourd'hui, les lignes de compromis sont moins
évidentes mais existent, y compris sur les sujets les plus sensibles comme
les mesures antidumping, l' agriculture ou les tarifs industriels .
Nécessaire, l' entente euro - américaine n' est
cependant plus suffisante en raison de le poids grandissant des autres
acteurs, PED notamment .
Leur rôle, à Cancun et au-delà , continuera de s'
affirmer, et des compromis devront être trouvés sur l' accès au médicament,
la mise en oeuvre et le traitement spécial et différencié, mais aussi sur la
question des " modalités " autorisant ou non le lancement de négo-ciations
sur les quatre sujets de Singapour .
Il serait surprenant à cet égard que l' Inde abandonne
sans contreparties substantielles le levier que lui a donné le ministre
qatari par son ultime déclaration à Doha en vue de arracher le consensus .
Un résultat positif sur le médicament , de réelles
décisions en matière de mise en oeuvre et de traitement spécial et
différencié , une reconnaissance au moins de principe d' une " spécificité
développement " en matière agricole , sont un minimum en deçà duquel il est
vain d' espérer l' adhésion des PED .
Les chances de Cancun
Créer et entretenir la dynamique, telle est donc la question
.
Celle de Doha est retombée, celle de Cancun n' apparaît pas
clairement .
Les " mini-ministérielles " l' illustrent à l' évidence :
outre que elles ont échoué, elles contribuent par leur multiplication même à
irriter ceux qui, PED en tête, n' y sont pas conviés .
De même, l' accession d' un nouveau grand pays ( Russie )
semble s' éloigner, alors que celle de la Chine et de Taiwan, pourtant sans lien
direct avec Doha puisqu' il n' y avait à ce moment -là plus rien à négocier,
avait entretenu une atmosphère positive .
Ces trop nombreuses incertitudes expliquent les
interrogations sur les chances de succès de la conférence de Cancun .
D'ores et déjà, certains proposent de la reporter, ce qui, à
n' en pas douter, serait un mauvais signal .
Mais il n' est pas indispensable que la conférence de
septembre soit la " revue à mi-parcours " annoncée .
L' important est qu' elle ne soit pas un échec - au pire, un
" non événement ", comme le sont après tout beaucoup de réunions d'
organisations internationales .
On évitera donc de susciter des attentes excessives .
De ce point de vue, le message du G - 8 , réuni à Evian ,
aura dû être pesé avec précaution .
Mais si la dynamique autour de le projet de déclaration ne
s' enclenche pas vers le 15 juillet au plus tard, la situation deviendra
difficile car chacun comprendra que, faute de compromis préalable sur certains
sujets importants, tous viendront en discussion à Cancun .
Le risque d' un ordre du jour " croulant sous son propre
poids " ne peut être exclu, ce qui relancerait bien entendu les appels à un
cycle raccourci .
Dans l' hypothèse où Cancun ne débloquerait pas les points
les plus difficiles , se poserait la question des étapes suivantes .
Là aussi, les négociateurs sont pris dans un dilemme : s'
accrocher à la date du 1er janvier 2005, fin théorique du cycle, devient peu
crédible à mesure que les blocages se multiplient, mais parler d' un report
accroît une démobilisation déjà grande .
Les questions de calendrier sont essentielles dans tous les
cas : 2004 sera marquée par deux échéances : l' intégration, au 1er mai, de dix
nouveaux membres dans l' Union européenne ( avec d' éventuelles conséquences sur
le mandat et l' activité de la Commission ), les élections aux Etats-Unis en
novembre .
Beaucoup estiment que ces deux circonstances sont peu
propices à de grandes impulsions du côté de le " moteur transatlantique " .
L' horizon 2005 est plus dégagé, mais présente pour l' OMC
le même profil que 1999 : changement de directeur général et réunion
ministérielle .
Les Etats membres chercheront sans doute à éviter de
renouveler la désastreuse séquence d' événements qui a paralysé la préparation
de Seattle pendant presque la moitié de 1999 .
Le risque est réel, la désignation du directeur général
devenant maintenant un enjeu politique majeur en dépit de un rôle juridiquement
réduit .
La bonne " fenêtre de tir " pour boucler le cycle
deviendrait donc 2006, un an avant un nouveau cycle d' élections en Europe (
dont la France en 2007 ) .
Ces perspectives ne sont pas forcément réjouissantes : un
décalage de deux ans sur le calendrier initial ne serait certes pas dramatique
en comparaison de la durée du précédent cycle .
Il soulignera néanmoins les faiblesses d' une organisation
dont la nouveauté aurait dû être un gage de dynamisme .
Or, si l' on considère que la première tâche d' un forum de
négociation comme l' OMC est de " produire " des accords commerciaux
multilatéraux, force est de constater qu' à ce jour aucun grand accord n' est
sorti de l' OMC, depuis huit ans qu' elle existe .
des voix ne manqueront pas de souligner ce fait, notamment
au Congrès des Etats-Unis, toujours très vigilant sur la " pertinence " des
organisations internationales .
Même s' il ne faut pas exagérer la portée de ce type de
critiques ( ou les risques de voir les Etats-Unis se mettre en congé de l' OMC
), il n' en demeure pas moins que elles ajoutent au crédit des solutions
alternatives, dont les accords régionaux sont le principal exemple .
Les Etats-Unis ont toujours joué sur les deux tableaux,
poussant successivement ou simultanément les deux stratégies en fonction de
leurs intérêts .
On assiste en ce moment à un regain d' activité sur ce front
( accords avec le Chili, négociations avec l' Amérique centrale et le Maroc,
pour ne citer que les initiatives les plus récentes ) .
L' Union européenne n' est pas en reste, et l' Asie, depuis
le changement de position du Japon en 1998 et la montée en puissance de la
Chine, devient l'un des gisements les plus actifs d' accords régionaux .
Or, même si l' on affirme à l'envi que ces types d' accords,
à condition de être compatibles avec les principes de l' OMC, sont un marchepied
vers le multilatéralisme pour de nombreux Etats, ils n' en constituent pas moins
une menace, certes latente mais non moins réelle, pour le système multilatéral .
Ils ne sont pratiquement jamais conformes aux principes de
base de l' OMC ( car ils ne couvrent pas l' essentiel des échanges ) et créent
des compartiments dans le commerce mondial qui peuvent dériver en blocs
commerciaux hostiles en cas de événement extérieur imprévu ( forte récession,
crise financière majeure ) .
Il n' en est donc que plus impératif de contrôler leur
prolifération et, à ce jour, il n' y a pas de meilleur antidote à cet égard que
la réussite du cycle de Doha .
TITRE : Du bon usage de la mondialisation
AUTEUR : Frédérique Sachwald est responsable des Etudes économiques à
l'Ifri.
Dès les années 1970, les multinationales ont cherché à mieux
intégrer leurs activités à l' échelle mondiale .
Elles sont ainsi devenues des partisans et des acteurs centraux
de la mondialisation, cette intensification des échanges de biens, de services, de
capitaux, de personnes et d' idées qui caractérise les deux dernières décennies .
Les opposants à la " mondialisation libérale " partagent avec
certains de ses partisans la perception d' un monde en voie de intégration rapide au
sein de un vaste marché où les gouvernements ne pourraient plus mener de politiques
nationales souveraines, notamment en matière de protection sociale .
L' attitude des gouvernements eux -mêmes a varié selon les pays,
mais certains ont utilisé la mondialisation comme un bouc émissaire face à les
difficultés économiques, ce qui a renforcé l' idée selon laquelle ils seraient
devenus impuissants .
La désignation de la mondialisation comme bouc émissaire est une
attitude qui s' est particulièrement développée en France, où les dirigeants ont
favorisé l' ouverture de l' économie sans expliquer ce choix, voire en le cachant .
Ils ont promu la poursuite de l' intégration européenne et
déploré les orientations libérales de Bruxelles dans divers domaines, ouvert plus
largement l' économie aux échanges internationaux et invoqué la concurrence
étrangère pour expliquer la persistance d' un chômage élevé .
La place prise par la taxe Tobin dans le débat public au cours
de les années 1990 illustre bien cette schizophrénie française .
Certains dirigeants ont considéré qu' une telle taxe
contribuerait à " maîtriser la globalisation financière ", tout en la jugeant
irréaliste .
La perception d' un rôle passif des gouvernements, qui
subiraient l' ouverture aux échanges et ne pourraient plus mener des politiques
économiques, sociales et culturelles nationales, ne résiste pas à l' analyse de la
dynamique de la mondialisation et de ses effets .
Cet article montre que l' ouverture aux échanges internationaux
peut au contraire être interprétée comme un élargissement des possibilités offertes
aux économies nationales et comme une réponse aux difficultés rencontrées par de
nombreux pays dans les années 1970 et 1980 .
C' est d'ailleurs pourquoi les gouvernements des pays
industrialisés et des pays en développement ont, progressivement et à des degrés
variables, opté pour davantage d' ouverture .
Le bilan de deux décennies de mondialisation, à travers l'
évolution de la pauvreté dans le monde et la question de les inégalités dans les
pays riches , montre que les contextes nationaux filtrent les effets de la
mondialisation .
L' article souligne ainsi que les politiques publiques sont
essentielles pour catalyser les effets positifs de la mondialisation, comme pour
anticiper et corriger ses effets négatifs .
Et la question de la gouvernance globale, certes fondamentale
pour promouvoir une mondialisation de meilleure qualité , ne doit pas masquer le
rôle des politiques nationales .
Le choix de l' ouverture
La mondialisation est trop souvent perçue comme une force
anonyme qui impose de l' extérieur des changements aux différents pays .
L' ouverture croissante aux échanges résulte pourtant de
choix de la part de les gouvernements, qui ont cherché à bénéficier des
opportunités de l' intégration au sein de plus vastes espaces économiques .
L' ouverture aux échanges a progressé en fonction de les
politiques nationales, ce qui explique l' hétérogénéité des degrés d' ouverture
des pays et des secteurs d' activité .
Mondialisation et déréglementation
Schématiquement, l' intégration des marchés de biens, de
services et de capitaux résulte d' une dynamique de réduction de la distance
économique, qui s' exprime par le coût de l' échange ou de l' organisation
d' activités productives à l' échelle internationale .
Celui -ci se compose de coûts " techniques ", de
transport et de communication d'une part, et de coûts d' accès au marché,
d'autre part, qui varient en fonction de les réglementations .
La réduction de la distance économique résulte donc à la
fois des évolutions techniques et des évolutions réglementaires qui
déterminent le degré d' ouverture des économies .
Le processus de libéralisation commerciale multilatéral
mis en place après la Seconde Guerre mondiale sous l'égide de le GATT est
d'abord concentré sur les barrières aux échanges internationaux, telles que
les droits de douane ou les quotas d' importations .
A mesure que ces barrières ont été réduites, la
poursuite du processus d' intégration a rencontré les obstacles que
représentaient les réglementations nationales des marchés ( normes, règles
prudentielles ... ) .
La question des réglementations nationales de l'
exercice d' une activité est centrale dans les services, dont l' ouverture à
la concurrence internationale n' a été abordée qu' à partir de les années
1980 .
L' expérience de l' intégration européenne illustre
clairement l' importance des réglementations nationales et souligne la
variété des barrières à l' intégration " profonde " des économies .
Dans les années 1980, l' Europe a ainsi conçu le projet
du Marché unique pour achever l' intégration en éliminant les barrières à la
circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes qui
persistaient au sein de le Marché commun .
Après l' adoption de quelque 200 textes permettant l'
harmonisation ou la reconnaissance mutuelle des règles des Etats membres, le
Marché unique a été proclamé le 1er janvier 1993 ; dix ans plus tard,
certaines de ses composantes restent pourtant à mettre en oeuvre .
Le projet du Marché unique illustre aussi l' interaction
entre l' ouverture aux échanges et la déréglementation interne, poursuivie
par de nombreux gouvernements depuis la fin des années 1970 .
Dans différents pays, la déréglementation a été engagée
pour faire évoluer le cadre dans lequel les entreprises exerçaient leur
activité dans les secteurs où les progrès technologiques bouleversaient les
conditions de production et offraient de nouvelles opportunités .
Le processus a ainsi touché, avec des calendriers divers
selon les pays, les transports, les télécommunications et le secteur
financier .
Le projet de Marché unique, qui a combiné
déréglementation et intégration à l' échelle européenne , a été suscité par
les difficultés économiques que rencontraient les pays européens au début de
les années 1980 .
Ses promoteurs y voyaient un moyen d' accroître l'
efficacité des économies européennes et de relancer une croissance
languissante en stimulant la concurrence et l' innovation au sein de un
espace économique mieux intégré .
L' histoire de l' intégration des marchés financiers
souligne également le rôle des décisions des pouvoirs publics et les
interactions entre politiques nationales et décisions d' ouverture .
L' accroissement des flux internationaux de capitaux à
la fin de le XIXe siècle a coïncidé avec l' ère de l' étalon-or, et donc de
changes fixes, qui impliquait le renoncement, pour de nombreux pays, à
mettre la politique monétaire au service de objectifs internes .
A l' inverse, la sortie du système de Bretton Woods dans
les années 1970 et l' abandon de les changes fixes par de nombreux pays s'
expliquent par leur volonté de retrouver une plus grande flexibilité, à
travers le recours aux marchés financiers internationaux, et de maintenir
leur capacité de mener des politiques monétaires actives, notamment pour
combattre l' inflation .
Dans les années 1980, certains gouvernements ont cherché
à avoir un accès aux marchés financiers pour financer leur dette dans de
meilleures conditions, ce qui a pesé en faveur de la libéralisation .
Par la suite, les innovations financières et le
développement de nouveaux types de titres ont été de puissants facteurs d'
expansion des marchés financiers, de plus en plus utilisés par les
entreprises et les particuliers .
Dans la période actuelle, les besoins d' épargne de la
population vieillissante des sociétés industrialisées justifient en partie
le recours accru aux marchés financiers .
Enfin, les crises bancaires, notamment à le Japon , ont
souligné l' importance des risques systémiques dans les pays où le
financement des entreprises dépend trop fortement de l' endettement bancaire
.
Le choix de l' ouverture, à le commerce comme à les flux
de capitaux , s' explique ainsi dans le contexte du développement des
économies modernes, où l' innovation et les besoins en matière de gestion
des risques incitent les gouvernements à promouvoir l' extension du recours
aux solutions de marché .
Mondialisation et déréglementation appartiennent à une
même dynamique, qui voit émerger l' économie du savoir .
Il s' agit notamment d' exploiter les avancées
spectaculaires en matière de coût de communication et de traitement de l'
information, non seulement dans les industries manufacturières, mais aussi
dans les services, qui représentent une part croissante de l' activité des
économies modernes .
Intégration croissante des pays en développement
Après la Seconde Guerre mondiale, le processus d'
ouverture avait d'abord concerné les marchés des pays industrialisés, les
pays en développement ( PED ) qui participaient aux négociations
multilatérales étant autorisés à conserver des niveaux de protection plus
élevés .
Par ailleurs, de nombreux PED appliquèrent longtemps,
diverses restrictions aux investissements directs étrangers .
Après des décennies de scepticisme, voire d' hostilité,
vis-à-vis des multinationales, les PED ont largement modifié leur attitude
dans le cadre de la réorientation des politiques de développement engagée
par de nombreux pays depuis les années 1980 .
Les multinationales sont désormais considérées comme des
éléments des stratégies d' ouverture, qui doivent notamment favoriser les
transferts de technologie .
La figure 1 souligne que les pays riches ont été plus
ouverts au commerce que les pays pauvres jusque dans les années 1980, mais
que les seconds sont devenus plus ouverts dans les années 1990 .
L' ouverture des pays industrialisés a progressé dans la
décennie des chocs pétroliers, durant laquelle la valeur des importations de
matières premières a fortement augmenté .
Le degré d' ouverture a ensuite régressé, avant d'
atteindre un nouveau point haut au début de les années 2000, notamment du
fait de la croissance des échanges avec la Chine, les pays de la transition
( pour l' Union européenne ) et le Mexique ( pour les Etats-Unis ) .
L' ouverture des grands pays industrialisés reste
cependant modérée, notamment si l' on exclut les échanges intrarégionaux
pour l' Union européenne .
Le processus de mondialisation s' est amplifié dans les
années 1990 avec l' ouverture aux échanges des pays en transition et la
révision des politiques des PED à l'égard de les investissements étrangers .
Ces politiques ont permis d' attirer des investissements
étrangers et ont renforcé l' intégration de certains PED dans les réseaux
internationaux de production et de distribution .
Le cas de la Chine est emblématique de ces évolutions,
mais d'autres pays ont aussi accru leur insertion dans les courants d'
investissement et d' échanges .
Le dynamisme des flux d' investissements directs à l'
étranger ( IDE ) et le développement de les multinationales caractérisent la
période actuelle de mondialisation .
Le tableau 1 souligne qu' il existe néanmoins une
différence sensible entre la décennie 1980 et la décennie 1990 durant
laquelle l' ouverture des PED aux investissements étrangers a augmenté plus
fortement que celle des pays industrialisés .
Il indique aussi que le degré d' ouverture aux
investissements étrangers varie sensiblement d' un pays à l' autre .
L' IDE vers les PED est concentré sur un petit nombre d'
entre eux, au premier rang desquels la Chine, qui est devenue la première
destination des flux d' IDE mondiaux en 2002, devant les Etats-Unis .
Cette concentration reflète cependant en partie la
taille économique relative de ces pays, comme le montre l' indicateur de
performance ( tableau 1 ) .
Au début du XXIe siècle, si les pays riches sont
toujours les principaux acteurs des échanges internationaux, de nombreux
pays pauvres ont décidé de s' ouvrir aux échanges commerciaux et aux
investissements directs .
Globalement, ceux -ci restent très protégés, même s' ils
ont accru leur participation au processus multilatéral de libéralisation et
divisé par deux leur protection tarifaire moyenne depuis les années 1980 .
Mais certains pays très pauvres, notamment en Afrique ,
restent encore à l' écart des échanges internationaux .
Ainsi, la mondialisation a porté l' intégration des
différents marchés à des niveaux historiquement élevés, mais le processus
est fragmenté, incomplet et discontinu .
Une conception monolithique de la mondialisation risque
ainsi de masquer son ampleur et sa signification réelles .
Mondialisation, diversité nationale et politiques publiques
Non seulement l' ampleur de la mondialisation dépend en
partie des décisions des gouvernements, mais ses effets sont " filtrés " par le
contexte national, et en particulier par les institutions et les politiques
économiques .
En conséquence, les politiques nationales jouent un rôle
fondamental dans l' influence, positive ou négative, que la mondialisation peut
exercer sur une économie .
Cette seconde partie illustre le rôle central des
institutions et des politiques nationales à travers deux thèmes fondamentaux
dans les débats sur la mondialisation : l' extrême pauvreté dans les PED, et les
inégalités dans les pays riches .
Recul de la pauvreté et inégalité internationale
Depuis les débuts de l' industrialisation, la part de la
population mondiale qui vit dans la pauvreté absolue diminue .
A mesure que certains pays ont connu un processus de
développement, cette part s' est réduite, mais l' écart s' est creusé entre
les pays qui s' industrialisaient et les autres .
L' accroissement de l' inégalité de revenu entre
individus vivant dans des pays différents a ainsi été particulièrement
rapide au cours de le XIXe siècle et s' est poursuivi jusqu' aux années 1970
.
Depuis les années 1980, l' écart de revenu entre le
groupe de les pays industrialisés et les PED tend au contraire à se réduire
.
Le tableau 2 distingue plusieurs groupes de façon à
expliquer l' assertion souvent répétée selon laquelle l' écart de revenus "
entre les riches et les pauvres " s' accroîtrait .
L' écart de revenu s' accroît entre deux groupes
limités, les pays les plus riches et les pays les plus pauvres .
En revanche, la croissance d' un certain nombre de pays
pauvres depuis les années 1980 leur permet de réduire l' écart de revenu
avec les pays industrialisés .
Le cas de la Chine est particulièrement remarquable de
ce point de vue, mais d'autres pays très peuplés, comme l' Indonésie ou l'
Inde, enregistrent aussi une réduction de l' écart avec les pays riches .
Le tableau distingue en outre le cas des Etats-Unis,
pays riche qui a connu une période de croissance forte dans les années 1990
- et a accru l' écart avec de très nombreux pays, y compris européens
.
Depuis les années 1980, la réduction de l' inégalité
internationale s' explique notamment par la diminution de la part de la
population mondiale vivant dans l' extrême pauvreté .
Si cette tendance fait consensus , l' évaluation de le
niveau de la pauvreté absolue varie selon les études .
Selon la Banque mondiale, 25 % de la population mondiale
vivait avec moins de 1 dollar par jour à la fin de les années 1990, alors
que d'autres études estiment que la pauvreté absolue ne touchait que 10 % à
15 % de la population .
L' objectif de développement du millénaire d' un taux de
pauvreté inférieur à 15 % serait ainsi déjà atteint, alors que, selon la
Banque mondiale, il ne le sera qu' un peu avant 2015, date établie par l'
Organisation des Nations unies .
Malgré ces incertitudes statistiques, les différentes
estimations indiquent que nous connaissons une réduction historique de la
pauvreté dans le monde .
A la fin du XXe siècle, cette réduction s' est
accompagnée d' une amélioration des indicateurs de développement humain dans
les pays pauvres, et notamment d' un accroissement de l' espérance de vie .
Cette tendance est cependant menacée dans les pays d'
Afrique les plus touchés par le sida .
La période de mondialisation coïncide donc avec une
réduction de la pauvreté absolue et de l' écart de revenu entre pays riches
et certains pays en développement .
Cette évolution favorable, souvent mal perçue , doit
être soulignée, car elle signifie que de nouveaux pays s' engagent sur des
trajectoires de développement et qu' il est possible de sortir de la
pauvreté .
La question centrale devient alors celle des politiques
qui favorisent l' engagement d' un processus de croissance durable .
De nombreuses analyses suggèrent que la participation
aux échanges internationaux contribue à la croissance et à la réduction de
la pauvreté .
Certains pays africains pourraient ainsi souffrir de
leur insertion insuffisante dans la mondialisation .
L' analyse des interactions entre développement et
croissance ne permet cependant pas de préconiser des solutions simples,
comme un accroissement de l' ouverture, sans politiques d' accompagnement .
En effet, seuls les pays qui remplissent certaines
conditions en matière de formation ou de structures institutionnelles sont
en mesure de tirer parti de l' ouverture au commerce et aux IDE . Par
ailleurs, les multinationales tendent à investir dans des pays qui disposent
déjà de certaines infrastructures et dont les institutions garantissent un
bon fonctionnement des opé-rations productives .
Leur souci de disposer d' une main-d'oeuvre certes bon
marché, mais aussi productive, explique notamment qu' elles ne cherchent pas
à éviter les pays qui respectent les droits fondamentaux des travailleurs
.
La dynamique des inégalités dans l' économie du savoir
Depuis les années 1980, les inégalités internes ont
augmenté dans certains PED et dans de nombreux pays industrialisés .
Dans ces derniers, le progrès technique a été la cause
principale de l' accroissement des écarts de revenus ; mais l'
intensification de la concurrence que la mondialisation entraîne sur la
plupart des marchés a amplifié le phénomène .
Les deux tendances ont notamment incité les entreprises
à renforcer leur capacité d' innovation, ce qui a accru la demande pour le
travail qualifié au détriment de le travail non qualifié .
Les conséquences pour les travailleurs non qualifiés ont
varié en fonction de les caractéristiques du marché du travail d'une part,
et des politiques de redistribution de l' autre .
aux Etats-Unis, les travailleurs les moins qualifiés ont
subi une pression à la baisse de leurs rémunérations, alors qu' en Europe
les réglementations du marché du travail ont protégé les salaires .
Les travailleurs peu qualifiés et les jeunes sont, en
revanche, particulièrement touchés par l' accroissement du chômage .
A travers des mécanismes différents, la dynamique des
économies contemporaines a engendré un accroissement des inégalités de
marché entre les travailleurs .
Cette tendance a été particulièrement marquée dans
certains cas, comme aux Etats-Unis dans les années 1980, quand les
entreprises connaissaient une période de restructuration drastique,
notamment pour faire face à la concurrence japonaise .
Les politiques de redistribution ont permis de
contrecarrer la tendance à l' accroissement des inégalités de marché .
Les comparaisons internationales soulignent le caractère
plus ou moins redistributif des politiques nationales et la diversité des
choix en matière de instruments de redistribution ( minima sociaux,
fiscalité ... ) .
Dans certains pays européens et au Canada, les
mécanismes de redistribution ont permis de compenser très largement l'
accroissement des inégalités de marché .
L' évolution des inégalités dans les pays industrialisés
depuis une vingtaine d' années illustre donc la persistance des spécificités
nationales à la fois en matière de fonctionnement des marchés du travail et
de redistribution .
Ces différences de politiques publiques répondent en
partie à des préférences collectives nationales .
Ainsi, de nombreux sondages montrent que les Américains,
y compris les pauvres, sont moins sensibles aux inégalités que les Européens
.
Depuis la Seconde Guerre mondiale, le " capitalisme de
la protection sociale " a facilité l' évolution des structures industrielles
et l' approfondissement de la spécialisation internationale .
A un niveau très général, il existe d'ailleurs une
relation positive entre le degré d' ouverture des pays et l' importance des
dépenses publiques .
Dans la période récente, la redistribution a joué un
rôle important pour améliorer le sort des " perdants " de la mondialisation
que sont les personnels les moins qualifiés .
Si cette stratégie semble ne plus fonctionner , ce n'
est pas d'abord à cause de les contraintes imposées par la mondialisation,
mais, plus fondamentalement, parce que les risques que doit couvrir la
protection sociale ont changé .
L' économie du savoir dans laquelle le monde est entré
demande plus de personnels qualifiés, mais génère aussi des emplois de
service peu qualifiés et peu rémunérés .
La rapidité des évolutions technologiques dans un
contexte de concurrence accrue impose aussi un rythme de changement élevé
aux entreprises et aux salariés .
Par ailleurs, les évolutions sociologiques accroissent
les risques de dislocation des familles, et l' on sait que les enfants
pauvres vivent souvent dans des familles monoparentales dont le revenu
repose sur la rémunération d' un seul adulte .
Dans ce contexte, la lutte contre le chômage passe
notamment par la promotion de la mobilité des personnels, y compris les
moins qualifiés .
Au-delà, il s' agit de promouvoir l' égal accès à
diverses opportunités et l' assurance - pour ceux qui se retrouvent dans des
emplois faiblement rémunérés - de pouvoir évoluer, plutôt que de poursuivre
des efforts de redistribution des revenus au sens traditionnel .
Ces évolutions impliquent des réformes dans le domaine
de la formation, mais aussi en ce qui concerne le marché du travail ou les
services publics, notamment pour améliorer l' accueil des jeunes enfants et
l' accès à l' emploi des femmes .
Pour une " mondialisation durable "
La mondialisation est un processus hétérogène, inégal selon
les secteurs, et dont certains pays restent largement exclus .
Il peut être mis au service de la croissance et du
développement économique, à condition de être encadré par des principes et des
institutions de gouvernance globale, et aussi d' être promu par les
gouvernements nationaux .
Les réactions contre la mondialisation à la fin des années
1990 ont souligné le caractère incomplet des institutions de gouvernance globale
( notamment en matière de environnement ), et le manque de transparence et d'
ouverture des institutions économiques internationales .
L' une des voies d' évolution consiste à accroître la
transparence de ces institutions et la possibilité pour certains représentants
de la société civile d' exprimer leurs préoccupations au cours de les processus
de décision .
Cette évolution est désormais amorcée et doit être
poursuivie .
Au-delà, la gouvernance globale suppose à la fois de
nouvelles institutions et une meilleure articulation entre certaines
institutions existantes .
Mais les politiques nationales sont tout aussi fondamentales
pour soutenir le mouvement d' ouverture et promouvoir ses conséquences positives
.
La réflexion sur la gouvernance globale risquerait d' être
une fuite en avant si elle se substituait à la réflexion sur les politiques
nationales .
L' un des enjeux de l' actuel cycle de négociations
commerciales multilatérales est de mieux intégrer les PED dans les échanges en
leur assurant un meilleur accès aux marchés des pays industrialisés, notamment
pour les produits agricoles et textiles .
L' ouverture des marchés des pays du Sud est aussi un enjeu
important pour les échanges Nord-Sud et Sud-Sud .
Or, les évolutions souhaitables ne se produiront pas si les
politiques nationales rendent l' ouverture trop coûteuse pour certaines
catégories, notamment les travailleurs les moins qualifiés dans les pays riches
.
Comme tout choix de politique économique, l' engagement dans
la mondialisation a ses contraintes .
Pour les pays industrialisés aujourd'hui, le défi est celui
de l' accélération des réformes économiques et sociales .
Ces réformes sont un moyen de tirer parti à la fois de la
mondialisation et du progrès technologique, et de mieux répondre à l' évolution
des aspirations individuelles dans les sociétés modernes .
Le rythme et le détail des réformes souhaitables, qu' elles
concernent le marché de le travail , le système d' enseignement , la capacité d'
innovation ou le gouvernement d' entreprise , dépendent des contextes nationaux
.
Les comparaisons nationales des institutions et de les
politiques publiques sont certes devenues systématiques dans le contexte de la
mondialisation, mais elles n' amènent pas à recommander l' adoption des
institutions et des pratiques américaines .
La diversité des contextes nationaux et la richesse des
enseignements des comparaisons internationales suggèrent ainsi que il est
possible de réformer et de conserver une certaine diversité des systèmes
capitalistes .
La mondialisation rend certains facteurs de production, et
notamment le capital, plus mobiles .
Cette plus grande mobilité du capital, comme celle de les
cadres , n' a pas lancé une " course au moins-disant social " .
Elle a en revanche accru la capacité de choix de certains
acteurs économiques, qui comparent non seulement les taux d' imposition, mais
aussi les offres nationales en matière de services publics, d' infrastructures
ou de formation des personnels locaux .
Dans cette mesure, la mondialisation tend à accroître l'
écart entre les pays qui ont une bonne gestion publique et ceux qui souffrent de
problèmes majeurs en la matière, quel que soit leur niveau de richesse .
La mondialisation n' empêche pas les pays d' exprimer des
préférences collectives, que ce soit en matière de protection sociale, de
promotion de la création culturelle nationale ou de maintien des agriculteurs à
la terre .
Elle impose en revanche, comme le montrent les débats sur
les politiques agricoles ou la diversité culturelle, une plus grande
transparence et une plus grande rigueur dans l' élaboration des mesures qui
visent à mettre en oeuvre ces choix .
TITRE : Force, faiblesse, puissance ?
AUTEUR : GUILLAUME PARMENTIER
Depuis la fin de la guerre froide, le débat entre spécialistes
des relations transatlantiques s' est trop souvent contenté d' osciller entre les
bons sentiments et la simplification .
Il ne s' est pas suffisamment porté sur l' ampleur des
changements de fond rendus inévitables par le changement de système international
produit par l' effondrement du régime soviétique .
La première tendance, parfois marquée par une frilosité nourrie
par la crainte de remettre en cause l' édifice institutionnel issu de la guerre
froide , s' est exprimée le plus souvent sous la forme de satisfecits donnés à l'
Alliance atlantique pour ses progrès supposés en matière de adaptation aux
conditions de l' après-guerre froide, et parfois sous la forme plus dynamique de
projets d' élargissement, géographique et fonctionnel de l' OTAN et de l' Union
européenne .
Les travaux de la Rand Corporation, et en particulier ceux de
Larabbee , Asmus , Gompert et Kugler , avaient ainsi contribué en leur temps à
lancer le débat sur l' élargissement de l' OTAN à trois pays qui a finalement abouti
en 1999 .
Plus récemment, la discussion s' était portée sur un éloignement
supposé des valeurs sociales entre les deux rives de l' Atlantique, auquel les
événements du 11 septembre 2001 ont au moins provisoirement mis fin .
Ce débat se poursuit, mais il est maintenant limité à la sphère
de l' analyse sociale .
En termes de politique étrangère, cette discussion sur la dérive
des continents a pris la forme d' une opposition entre l' unilatéralisme de la
politique américaine et le multilatéralisme de leurs partenaires européens .
des visions divergentes
Le moindre mérite de l' article de Robert Kagan , dont
Commentaire a publié la version française , n' est pas de sortir le débat de
cette ornière .
L' opposition entre multilatéralisme et unilatéralisme ne
représente en effet qu' une conséquence, alors que les causes de la différence
d' attitudes entre les États-Unis et l' Europe à l'égard de le système
international sont plus profondes .
Outre que nulle politique aujourd'hui n' est purement
unilatérale ou purement multilatérale, la divergence sur l' unilatéralisme et le
multilatéralisme ne porte que sur les moyens employés pour mener une politique
étrangère .
Or il est clair que les Européens et les Américains ne
divergeraient pas sur les moyens si leurs visions du système international, et
des directions que celui -ci doit prendre à l'avenir, n' étaient pas différentes
.
Plutôt que de concentrer l' analyse sur les manifestations
de cette divergence transatlantique, c' est-à-dire sur un symptôme, il fallait
revenir aux causes de cette dérive, et le plus grand apport de Kagan est d'
avoir placé le débat sur un terrain plus utile, celui des visions divergentes de
la société internationale qui dominent les esprits de part et d'autre de l'
Atlantique .
Il y fallait un certain courage .
Par voie de conséquence, l' article de Kagan a rendu une
nouvelle vigueur au débat transatlantique .
aux États-Unis, les questions européennes étaient depuis
quelques années considérées comme un peu ennuyeuses : l' Europe avait pour l'
essentiel été débarrassée de ses problèmes de sécurité, et elle avait montré
dans les Balkans qu' elle avait besoin des États-Unis pour les régler, même
quand il s' agissait d' affaires régionales d' ampleur limitée .
Le débat sur l' OTAN et sur la construction européenne ,
leurs rôles , leurs élargissements , leurs structures , suscitait chez beaucoup
des bâillements d' ennui à peine dissimulés .
Ajoutée à l' eurosclérose dont le Vieux Continent aurait été
la victime, cette constatation faisait de l' Europe un objet d' étude et de
réflexion peu intéressant .
Le fait que les études européennes aux États-Unis aient
beaucoup souffert sur le plan financier, parce que elles intéressent moins les
fondations que pendant la guerre froide, s' explique en partie par le sentiment
répandu qu' il n' y a pas grand-chose de
Qu' un tel jugement sous-estime, parfois par le mépris, les
changements notables intervenus en Europe depuis douze ans n' enlève rien au
fait qu' il est largement répandu aux États-Unis .
Sans les efforts du German Marshall Fund of the United
States, les recherches sérieuses en matière européenne et transatlantique à les
États-Unis se seraient probablement taries .
Le débat transatlantique était en effet devenu pour beaucoup
d' Américains influents un débat en trompe-l'oeil, dissimulant les questions
réelles sous les poncifs et les bons sentiments, et faisant la part trop belle à
des considérations institutionnelles contraires à l' approche pragmatique qui
doit présider, pour la plupart des Américains, à la solution des problèmes
concrets .
Robert Kagan rompt avec cette approche timorée et
formaliste, sans pour autant tomber dans les excès ni dans l' analyse ni dans le
diagnostic dont sont souvent coutumiers certains de ses amis néoconservateurs .
Il ne s' agit pas pour lui de rédiger un tract
unilatéraliste comme on en voit sortir fréquemment des think tanks de la droite
néoconservatrice comme la Heritage Foundation ou l' American Enterprise
Institute .
De son fait, l' Europe redevient objet digne de discussions
et d' études dans la " communauté de politique étrangère " américaine .
À cette prise de conscience nécessaire dont il est la cause
, correspond cependant une responsabilité .
Sa thèse, par le succès qu' elle rencontre , peut en effet
avoir une influence réelle sur le jugement porté sur l' Europe par beaucoup d'
Américains .
Précisément parce que elle a été " ciselée " de façon à être
applicable aisément en apparence à de nombreuses situations concrètes, la vision
de Kagan devrait être reprise et utilisée à toutes les sauces, y compris
certaines dont le fumet sera trop fort ou trop peu subtil pour l' auteur lui
-même, par les experts, les journalistes, les staffers du Congrès et jusque dans
l' Administration .
On en voit déjà les effets dans l' affaire irakienne, où
beaucoup d' Américains ont cru pouvoir déceler une attitude " européenne "
pacifiste dans les positions françaises, pourtant inspirées du souci réel du
désarmement de Saddam Hussein et d' une disposition à utiliser la force en
dernière extrémité, comme dans les positions allemandes . Les modes sont
tellement puissantes dans le milieu politique américain au sens large du terme
qu' il est inévitable que l' article de Kagan ait un effet allant probablement
au-delà de ce que souhaitait l' auteur .
Quant aux Européens, ils se complaisent si volontiers dans
la lamentation sur les faiblesses de l' Europe qu' ils sont souvent prêts eux
aussi à adopter la thèse de Kagan sans les nécessaires réserves .
Il ne s' agit pas ici de lui faire grief des débordements
éventuels dus au succès de ses idées, mais d' éviter que le débat ne se place
sur un terrain artificiel sous l'effet de la facilité .
De part et d'autre de l' Atlantique, cet article arrive à
point nommé, mais son écho même en fait un élément à certains égards dangereux
parce que simplificateur .
C' est ici que le bât blesse .
Le défaut principal de l' argument de Kagan est en effet qu'
il grossit parfois le trait pour rendre sa démonstration plus frappante .
Cela porte son propos à confiner parfois à la caricature .
D'une part il décrit en effet les États-Unis tels qu' il
souhaiterait peut-être qu' ils se comportent sur la scène internationale,
faisant fi de développements qui ne donnent pas précisément à la politique
américaine un tour " martial " .
En second lieu, il manifeste une propension excessive,
peut-être due au fait qu' il habite maintenant à Bruxelles et voit l' Europe à
travers un prisme excessivement communautaire, à couvrir d' une teinte
bruxelloise unique une réalité européenne beaucoup plus complexe et à de
nombreux égards moins " vénusienne " que sa description ne le laisserait
entendre .
Dans les deux cas, l' interprétation de la nature de la
relation avec la puissance internationale est beaucoup plus complexe que ce qu'
indique Kagan .
L' argument est incontestable selon lequel les différences
d' attitudes entre Européens et Américains sont largement conditionnées par le
contraste structurel entre les éléments de puissance détenus par les États-Unis
et ceux dont disposent les pays européens .
Il est même à vrai dire de simple bon sens .
La primauté américaine dans la plupart des domaines qui
confèrent la puissance internationale donne aux États-Unis une liberté d' action
beaucoup plus grande sur la scène mondiale que celle dont peuvent jouir les
Européens .
Il n' est donc pas surprenant que les dirigeants américains
soient les plus soucieux d' autonomie dans l' action et que leurs homologues
européens souhaitent renforcer les mécanismes de contrôle qui permettent de
canaliser la puissance internationale et au premier chef celle des États-Unis .
Il est également certain que le jeu des institutions
européennes, qui agissent elles -mêmes comme un mécanisme égalisateur entre "
grands " et " petits " pays européens, outre que il est la conséquence d' une
méfiance de principe à l'égard de l' exercice de la puissance, a pour effet de
créer chez les Européens une préférence de principe pour un multilatéralisme qui
est la conséquence normale et attendue des processus communautaires .
Variables structurelles
Il faut cependant aller plus loin et se pencher sur
certaines variables structurelles .
La préférence des États-Unis pour la liberté d' action n'
est ni surprenante ni condamnable .
Il n' est pas douteux que les États-Unis ont en fait utilisé
leur puissance de manière modérée : Kagan avait défini dans des écrits
antérieurs la politique étrangère de son pays comme une " hégémonie
bienveillante ", et cette formule recouvre une réalité .
Pour des raisons constitutionnelles, les États-Unis ne
peuvent exercer leur puissance internationale de façon dominatrice que pendant
de brèves périodes .
Toute tentative impériale ou volontariste se solde
inévitablement par des chocs en retour réduisant la capacité du pouvoir exécutif
à utiliser la pleine panoplie des moyens dont il pourrait disposer dans un ordre
institutionnel moins équilibré .
L' histoire américaine de la seconde moitié du XXIe siècle
le démontre amplement .
Un point au moins aussi important fait cependant défaut dans
l' analyse de Kagan .
Il s' agit des moyens dont disposent effectivement Européens
et Américains face à les crises internationales, moyens qui dictent à beaucoup
d' égards les comportements de ces partenaires .
Vers la fin de son article, l' auteur rappelle le problème
posé par la faiblesse relative des moyens militaires dont disposent les
Européens, et en appelle à une augmentation de ceux -ci pour éviter le
creusement des disparités entre leurs capacités guerrières et celles des
États-Unis .
Il cite à l'appui de cette observation trois Britanniques,
dont l' actuel Secrétaire général de l' OTAN, tout en exprimant un doute quant à
la capacité des Européens à aller dans ce sens, même de façon marginale .
Le budget militaire de la France pour 2003 et la loi de
programmation militaire 2003-2007 autorisent peut-être un moindre pessimisme,
mais il est clair que le problème de la compatibilité des matériels militaires
entre partenaires transatlantiques, et surtout celle de leurs concepts
opérationnels, demande un effort plus soutenu des Européens dans ce domaine
.
Encore ne faut ne faut -il pas, comme le font certains
Américains, faire des capacités militaires des forces américaines un point de
référence pratique .
Il est légitime de s' interroger sur la justification pour
un seul pays de dépenser près de 50 % du produit militaire mondial, et d'
accroître toutes ses catégories d' armements, y compris celles dont la
probabilité d' utilisation est extrêmement aléatoire, soit que la menace qu'
elles sont censées parer soit infinitésimale, soit que leur utilisation sur des
champs de bataille concrets face à des adversaires peu sophistiqués rende le
coût de leur perte éventuelle absolument prohibitif .
C' est en regard d' une analyse des menaces potentielles que
la validité d' un effort militaire doit être appréciée .
De ce point de vue, l' attitude américaine actuelle n' est
pas fortement convaincante .
La question entre alliés consistera donc non seulement à
encourager les Européens à dépenser mieux et davantage pour leur défense,
nécessité incontestable aujourd'hui pour qui veut maintenir une Alliance
atlantique efficace et équilibrée, mais aussi de rapprocher les points de vue
des partenaires transatlantiques sur les menaces et les défis à leur sécurité,
et sur la définition des réponses à y apporter .
Ce travail de fond, qui devrait avoir lieu dans le cadre de
l' Alliance ou plus efficacement entre grands alliés , n' est pas aujourd'hui
réalisé de façon satisfaisante .
Il s' agit pourtant d' une priorité pour maintenir une
convergence de vues sur la sécurité internationale à l'intérieur de l' Alliance
.
Sur ce point, les réticences américaines sont au moins aussi
fortes que celles de leurs partenaires européens parce que une consultation
véritable sur ces points aurait pour effet de restreindre au moins marginalement
l' autonomie de décision américaine .
Sur un thème comme celui du Proche-Orient, ou sur le
nation-building, il n' est guère surprenant que l' Administration américaine
quelle qu' elle soit ne souhaite pas se trouver laminée entre le Congrès et l'
opinion d' un côté et les alliés de l' autre .
Pourtant la coopération transatlantique est à ce prix
.
Il existe pourtant un point encore plus problématique, car
plus structurel et donc encore plus difficile à lever : celui des avantages
comparatifs des alliés transatlantiques face à les problèmes internationaux .
C' est à notre sens ce qui explique le mieux les motivations
des uns et des autres dans les choix qu' ils ont opérés au cours de les
dernières années .
Ce n' est pas seulement parce que ils sont les plus forts
que les États-Unis ont choisi d' en revenir depuis la fin de la guerre froide à
une conception traditionnelle de la puissance, mettant l' accent sur l'
utilisation de la force militaire .
Depuis le début du XXe siècle, comme l' indique Kagan, les
Américains avaient tenté d' étendre à l' Europe une conception des relations
internationales différente de celle qui prévalait alors en Europe, et selon
laquelle la mise en oeuvre de politiques hostiles aux intérêts légitimes de
sécurité de ses partenaires était en fait contraire à l' intérêt national,
puisqu' il risquait de remettre en cause les fondements de l' ordre
international et en premier lieu la paix .
Ce " postnationalisme " , que les Américains qualifient d'
internationalisme " ( et qui est connu en Europe sous le vocable de " wilsonisme
" , de le nom de celui qui tenta de l' imposer à les Européens ) , permet de
transcender les oppositions brutales d' intérêts entre États .
Il est frappant que cette attitude soit aujourd'hui
qualifiée d' européenne " par les observateurs américains, alors qu' il avait
fallu rien moins que deux guerres mondiales pour que elle prévale sur le Vieux
Continent .
La raison pour laquelle les États-Unis s' en sont détachés ,
au moins en partie , au cours de les dernières années tient largement au fait
qu' ils dominent aujourd'hui le système international, où ils n' ont plus de
contrepoids réel .
Kagan a raison de souligner cet aspect des choses, encore
qu' il aurait pu ajouter à quel point cela est contraire à la tradition
américaine des checks and balances, expliquant ainsi les réticences d' une
grande partie des Américains face à cet état de fait, et en particulier la
réticence d' une majorité de l' opinion publique envers une intervention en Irak
qui impliquerait les États-Unis sans un mandat des Nations unies ou en dehors de
une coalition internationale .
Une nouvelle stratégie de sécurité
Le document sur la stratégie de sécurité nationale adopté
récemment par l' Administration Bush présente ainsi une interprétation cohérente
de la vision étroite de l' intérêt national qui semble inspirer aujourd'hui les
États-Unis .
On a beaucoup glosé sur l' accent mis par le document sur la
préemption .
Certes, le fait de donner à l' anticipation des mouvements
de l' adversaire un tour théorique est -il quelque peu hasardeux, mais il faut
bien reconnaître que les contrôles qui s' exercent sur la conduite de la
politique étrangère américaine rendent extrêmement improbable un recours
systématique à la préemption .
En outre, ce recours a parfois une légitimité, quand il s'
agit de parer à une attaque non provoquée, ou à l' utilisation de moyens de
destruction massive .
Il est en revanche un aspect de la nouvelle doctrine qui, s'
il a fait couler moins d' encre, est beaucoup plus symptomatique de l' attitude
des États-Unis dans le système international du début du XXIe siècle : il s'
agit de la volonté d' empêcher l' apparition de tout concurrent potentiel aux
États-Unis sur le plan stratégique .
Certes, le problème ne se pose pas concrètement aujourd'hui,
et n' a guère de chances de se poser à vue humaine .
Il est cependant surprenant que les États-Unis, pays qui s'
est toujours défini comme partie prenante d' une communauté internationale d'
États disposant des mêmes droits et des mêmes obligations, sanctionne en 2002
une vision qui introduit une inégalité radicale entre eux -mêmes et tous les
autres .
Traditionnellement méfiants à l'égard de tous les pouvoirs,
fussent -ils américains, les États-Unis seraient -ils devenus un État-nation
classique, sur le modèle des États européens du XIXe siècle ?
Pour utiliser un vocabulaire plus chargé, mais traduisant
cependant la réalité, les États-Unis de 2002 sont -ils devenus nationalistes ?
Il y aurait quelque paradoxe à ce que l' État qui a
cherché, et réussi au-delà de toute espérance, à vacciner l' Europe contre le
mal nationaliste ait lui -même subi sa contagion .
Il convient de poser cette question de manière directe, car
la comparaison entre les États-Unis d' aujourd'hui et les grands États européens
du XXIe siècle est féconde, même si elle n' est naturellement pas parfaite
.
La dimension militaire
Il est patent qu' existe une autre raison, au moins aussi
forte, pour expliquer la concentration croissante de la puissance américaine sur
sa dimension militaire .
C' est dans ce domaine en effet que les États-Unis jouissent
de l' avantage comparatif le plus grand par rapport à leurs partenaires et à
leurs concurrents .
Non seulement leur primauté dans le domaine militaire est
incontestable et croissante, non seulement les chances qu' un concurrent
apparaisse dans ce domaine sont extrêmement faibles, mais les États-Unis ne
disposent dans aucun autre secteur de l' action internationale d' un avantage
comparable .
Ils sont puissants sur le plan économique mais l' Union
européenne est à leur mesure, comme certaines puissances asiatiques le seront
peut-être demain .
Plus précisément, à la difficulté rencontrée par l' Europe
pour engager les sommes nécessaires à son accès à un rôle significatif en
matière militaire répondent les problèmes rencontrés par l' État fédéral
américain pour mobiliser des moyens suffisants pour remplir les tâches
internationales qui ne ressortissent pas à l' utilisation de la force militaire
.
Les chiffres parlent d' eux -mêmes .
Tandis que les moyens militaires des États-Unis croissaient
à grande vitesse après une réduction rapide de la fin de la guerre froide jusqu'
en 1994, la diplomatie et les moyens non militaires à la disposition de le
gouvernement fédéral se réduisaient en termes réels d' une façon régulière et
préoccupante .
On se rappelle bien entendu la diminution unilatérale des
contributions versées par les États-Unis aux divers budgets des Nations unies,
que seule la solidarité marquée par l' ONU à l'égard de les États-Unis dès le 11
septembre 2001 a permis de régler en partie .
On sait aussi que tous les secrétaires d' État depuis le
milieu des années 90 ont eu des raisons de se plaindre de l' affaiblissement des
moyens de la diplomatie américaine .
L' aide publique au développement avait été diminuée de
manière drastique jusqu' au sommet de Monterey, et encore une grande partie de
ce qu' il en restait était -elle attribuée à Israël .
L' augmentation annoncée à la suite des attentats du 11
septembre 2001 lors de cette réunion reste d'ailleurs encore à traduire dans la
réalité .
Où que l' on regarde, les moyens de l' action internationale
des États-Unis, quand ils ne se situent pas dans le domaine militaire , sont en
diminution sur le long terme .
Il n' est donc nullement surprenant que la politique des
États-Unis valorise la dimension de la politique internationale où son avantage
relatif est le plus grand .
Toute la question est de savoir si, face à les grands
problèmes du monde contemporain, et face à les crises auxquelles les partenaires
transatlantiques ont et auront à mettre fin, les moyens militaires sont
nécessairement les plus pertinents, surtout s' ils ne sont pas épaulés par des
moyens civils suffisants, qui demandent patience et constance .
Les exemples de l' insuffisance d' une approche
principalement militaire abondent .
Dans les Balkans, il est heureux que les États-Unis aient
pris en 1995 l' initiative d' utiliser la force militaire pour permettre l'
ouverture des pourparlers de Dayton .
Incontestablement, l' approche européenne était demeurée
trop timorée pour en imposer à Milosevic .
En ce qui concerne le Kosovo, on peut considérer que la
volonté américaine d' imposer une solution avec des moyens militaires a affaibli
la communauté internationale en contournant le Conseil de sécurité des Nations
unies et en rejetant la Russie dans une opposition de principe qu' elle n'
aurait pas nécessairement maintenue si le processus de Rambouillet avait pu
parvenir à sa conclusion .
Encore faut -il admettre que, sans la menace américaine de
recourir à la force, la communauté internationale et les Européens au premier
chef auraient été privés d' un instrument essentiel de pression .
Il n' est donc pas besoin d' opposer artificiellement une
approche militaire et une approche civile .
Il convient simplement de garder à l' esprit que la
politique étrangère a aujourd'hui besoin d' inclure ces deux dimensions, ainsi
que une capacité à définir en temps utile la politique à suivre .
Dans les Balkans, la présence militaire européenne a excédé
largement la présence américaine une fois les opérations initiales terminées .
En Bosnie comme au Kosovo, les Européens forment maintenant
l' essentiel des forces qui contribuent non seulement au maintien de la paix,
mais également à la reconstruction et à la réconciliation .
Dans ces deux domaines, économique et politique, la
contribution européenne dépasse largement celle des États-Unis .
La même chose est vraie en Afghanistan, où pourtant l'
enjeu après le 11 septembre était et demeure vital pour les États-Unis et où l'
expérience désastreuse de leur retrait à la fin de les années 80 aurait dû les
inciter à plus de patience .
Le rôle financier des Européens
Le résultat de cet état de faits est que les États-Unis sont
tentés de se cantonner à l' aspect militaire de la gestion des crises .
Le Congrès est le plus souvent hostile au nation-building,
car il répugne à la grande majorité des militaires américains .
C' était cet état d' esprit que traduisait Condoleeza Rice
quand elle affirmait en campagne présidentielle pendant l' été 2000 que les
soldats américains ne devaient pas en être réduits à aider des enfants à
traverser la rue dans les pays où ils séjournaient .
Cette attitude, couplée à une forte résistance à financer
les efforts de reconstruction civile, amène les dirigeants américains à se
focaliser sur les tâches militaires, et à tenter de faire assumer les tâches
civiles par leurs alliés .
La leçon de la guerre américaine contre l' Irak en 1991 ,
dont le financement a pour l' essentiel été assuré par des pays non combattants
, a été retenue, et étendue à l' après-guerre .
Les Européens sont naturellement les premiers alliés
auxquels les Américains font appel dans ces situations, ne serait -ce que parce
que ils rencontrent pour leur part un problème inverse de celui des États-Unis :
autant il leur est difficile de financer un effort militaire, autant il leur est
aisément loisible de contribuer, soit directement soit par l'entremise de l'
Union européenne, à la reconstruction et à la remise sur pied de la société des
pays où viennent de se dérouler des opérations de gestion de crise .
Cette situation peut avoir des conséquences désastreuses en
termes d' utilisation de leur puissance internationale : le spectacle des avions
et des missiles israéliens financés par de l' aide américaine détruisant des
installations civiles et policières palestiniennes largement financées par le
contribuable européen fournit un exemple extrême et spectaculaire de l' impasse
dans laquelle peut placer l' incapacité à influer sérieusement sur le cours des
choses, tout en s' impliquant sur le plan matériel .
L' évolution des événements dans les Balkans , où la
situation est moins contrastée , donne aussi à réfléchir à plusieurs égards .
En Bosnie comme au Kosovo, les fonds européens financent une
situation qui a été largement le résultat de plans imposés par la force
américaine, même s' il est juste d' ajouter que les plans de paix américains
devaient beaucoup dans le cas de la Bosnie au plan Juppé et dans celui du Kosovo
au quasi-accord de Rambouillet .
Le problème posé par ces interventions est cependant celui
de l' influence, ou si on préfère employer l' expression de Joseph Nye, du soft
power autant que celui de la puissance brute, traduisible en termes de force
militaire .
Les Européens n' ont certes pas la gloire de figurer avec
des mentions flatteuses sur leurs capacités militaires dans les bulletins de
CNN, mais leur contribution à la remise sur pied de pays en guerre leur permet
dans les meilleurs cas d' exercer une influence à long terme sur les sociétés de
ces pays .
Il s' agit ici de l' aide à la création d' États ou au moins
de structures étatiques, dont l' Allemagne et d'autres en Europe centrale et
orientale, l' Union européenne en Palestine et ailleurs, la France et le
Royaume-Uni en Afrique, donnent aujourd'hui l' exemple .
Il est probable que les États et les systèmes construits sur
ces bases auront une tendance naturelle à se tourner vers l' Europe non
seulement sur le plan interne, mais aussi sur les grands dossiers internationaux
.
Les Européens utilisent eux aussi leur avantage comparatif,
avantage que leur concèdent les Américains .
Les sources de l' influence
Il s' agit pour l' Union et pour ses États membres d'
étendre le modèle " européen " sur le plan international, et d' assurer à celui
-ci une légitimité d' autant plus grande que personne ne pourra le présenter
comme l' effet d' une volonté de pouvoir .
On retrouve là l'une des manifestations de l' influence dont
les États-Unis étaient coutumiers jusqu' au milieu de le Xxe siècle .
Sans doute parce que Kagan préfère celles de la puissance
classique à l' européenne, il semble les assimiler à un élément de faiblesse,
mais la réalité ne colle pas exactement à cette affirmation .
En fait, la concession que font les États-Unis , sous
l'effet de leur politique intérieure , à les Européens de cette dimension de l'
influence internationale a pour effet de diminuer leur propre influence .
Comme l' écrit Joseph Nye dans un livre récent, l'
utilisation de la force militaire, ou l' affirmation sans concession de sa
puissance, ce que nous appellerions la mise en oeuvre d' un nationalisme
traditionnel , peuvent en réalité diminuer l' influence réelle d' un pays en
diminuant sa capacité à attirer vers lui les meilleurs esprits chez ses
partenaires étrangers .
Le fait pour les Européens de s' être spécialisés,
certainement par défaut, dans cette dimension de la puissance internationale
donne un surcroît de légitimité à leurs politiques étrangères, en particulier
par contraste avec l' attitude des États-Unis .
De là provient une plus grande capacité à créer des
coalitions de circonstance sur les dossiers où les Américains sont isolés .
L' environnement, les processus judiciaires internationaux ,
la lutte contre les inégalités dans le monde constituent des questions sur
lesquelles les Européens n' ont pas nécessairement une attitude angélique ni
même altruiste .
Ils poursuivent des intérêts .
Pourtant, il leur est fait crédit sur le plan international
d' une posture " internationaliste " qui leur assure des soutiens ou à tout le
moins une moindre opposition que ce n' eût été le cas s' ils avaient affirmé
plus brutalement leurs positions .
Croit -on par exemple qu' en matière agricole les Européens
s' en tireraient à aussi bon compte dans leurs rapports avec le tiers monde s'
ils n' avaient par ailleurs l' image d' un ensemble politico-économique
conciliant ?
Ne pas l' avoir noté représente, représente, nous semble
-t-il, l'une des faiblesses principales de la thèse de Kagan .
D' un autre côté, Robert Kagan a parfaitement raison de
penser que la création d' une entité nouvelle rassemblant des nations
différentes, aux traditions et intérêts variés, rend difficile la traduction de
la masse en puissance .
Rapprocher des intérêts divers et parfois divergents tend à
contraindre dans l' action, parce que les positions communes sont difficiles à
atteindre, sont souvent le résultat de compromis diplomatiques plus formels que
réels, et ne peuvent tenir que si chacun de leurs éléments est maintenu, ce qui
ne facilite pas à proprement parler la souplesse dans les positions qui est
inséparable de la réussite diplomatique .
C' est pourquoi l' addition de capacités brutes n' équivaut
pas à une puissance plus grande .
Contrairement à ce que pensent et disent beaucoup de
Français, plus grand ne veut dire ne veut pas nécessairement dire plus fort .
Le processus d' élargissement de l' Union européenne en
fournit une illustration, puisque chacune de ses étapes a conduit à une période
de repli de l' Union sur le plan international, suivie il est vrai d' une
réaction volontariste précisément destinée à éviter le délitement de la
construction européenne .
C' est la raison pour laquelle l' Europe-puissance est un
slogan, une aspiration, plutôt que une réalité .
Incertitudes européennes
Peut-être est -ce même une contradiction .
Sur ce point, il convient d' aller plus loin que Kagan : ce
sont les conceptions mêmes de ce que sont l' État et la société politique, et
des fins qu' ils sont amenés à poursuivre, qui divergent entre pays européens .
L' expérience historique du siècle écoulé est interprétée
très différemment en Allemagne, en France et au Royaume-Uni .
Pour faire court, on rappellera que les Allemands se méfient
à la fois de l' État allemand centralisé, qui leur a apporté de grands maux, et
de sa reproduction à l' échelle européenne .
Plus que tout, ils se méfient de l' utilisation de la force
militaire, dont il est raisonnable de dire qu' elle a entraîné pour l' Allemagne
autant que pour ses voisins des conséquences désastreuses .
Il n' est pas surprenant que les Allemands décrivent en
majorité la Suisse comme le modèle qu' ils envisagent pour une Union européenne
achevée .
Pour les Français, l' État est au contraire l' expression de
la nation, et la construction européenne est vue comme un moyen de magnifier l'
influence française sur le plan international, tout en reproduisant les
caractéristiques de l' État français au plan européen .
D' où les hésitations françaises quant à l' expansion des
compétences européennes, qui sont perçues sous une forme centralisée
incompatible avec l' esprit d' un fédéralisme véritable et qui poussées à bout
tendraient à abolir les prérogatives des États membres
La France entretient également une relation complexe à
l'égard de les alliances, perçues comme ayant échoué dans la première moitié du
XXe siècle, ayant retenu la France dans ses tentatives de contenir la puissance
allemande .
Quant aux Britanniques, leur conception de la légitimité de
l' utilisation de la force militaire les place aux antipodes de l' Allemagne,
puisqu' ils peuvent légitimement lire l' histoire européenne contemporaine comme
une justification pratique mais aussi morale de l' usage des forces armées .
Leur lecture de la valeur des alliances quant à elle les
place en désaccord direct avec les Français .
Qu' on ajoute les problèmes spécifiques aux " petits "
États, qui se méfient beaucoup d' un accord de leurs grands partenaires
européens qui remettrait en cause leur faculté de défendre leurs intérêts
propres , et l' image d' une " Europe-puissance " , ou même d' une Europe
capable d' utiliser les instruments tradit apparaît bien problématique .
On en voit l' illustration dans le caractère largement
déclaratoire de la politique européenne de sécurité et de défense, et de ses
avatars antérieurs .
C' est aussi la raison pour laquelle les Européens se
spécialisent dans le soft power .
Cependant, le trait ne doit pas être forcé .
En premier lieu, parler d' Europe est toujours dangereux :
les Britanniques et, dans une moindre mesure, les Français ont une conception
plus traditionnelle de la puissance que beaucoup de leurs partenaires .
Ils sont prêts à utiliser la force quand les autres moyens
de recours sont épuisés .
On le voit bien dans l' affaire du désarmement irakien où
les positions britannique et française sont moins éloignées sur le fond qu' il
n' y paraît, toutes deux soucieuses de renforcer le rôle du Conseil de sécurité
des Nations unies, mais prêtes à faire entendre les armes si Saddam Hussein
refuse de se conformer à ses obligations internationales .
L' Espagne et l' Italie ont affirmé une attitude de principe
assez proche .
L' Allemagne a pris des positions très différentes, mais
elle ne représente pas à elle seule l' Europe .
Quand d'autres pays ont des problèmes bilatéraux à régler,
telle l' Espagne lors de son différend avec le Maroc sur l' îlot de Persil
pendant l' été 2002, il n' est pas rare qu' ils fassent entendre le langage de
la force .
La vision de l' Europe qu' a Kagan, de ce point de vue , est
trop marquée par l' approche procédurière de l' Union européenne .
La force et la morale
Si l' Europe qu' il décrit est par trop marquée par
Bruxelles, l' Amérique qu' il perçoit est quant à elle sans doute trop rêvée .
Prend -il ses désirs pour des réalités ?
Les États-Unis, même ils ils mettent moins de réserves à l'
engagement armé que leurs partenaires européens, ne sont pas devenus une
puissance sans limite .
Ils demeurent même parfois curieusement pusillanimes .
La campagne en Afghanistan en a fourni une illustration .
Même en réponse à une attaque sanglante, de sang-froid et
sans provocation comme celle du 11 septembre, les États-Unis ont manifesté une
restriction tout " européenne " au sens de Kagan dans l' action militaire, quand
il s' est agi de poursuivre les milices d' Al-Qaida dans les grottes de Tora
Bora, puisque les troupes américaines n' ont pas engagé le combat et ont laissé
l' essentiel des dirigeants et des forces terroristes s' échapper .
Ce défaut d' engagement direct des forces qui caractérise la
tactique militaire américaine dans les conflits récents s' explique sans doute
par un désir compréhensible de ne pas exposer ses hommes au combat direct, mais
il n' est pas l' expression d' un pays animé par l'esprit martial décrit par
notre auteur comme animant l' Amérique .
La dichotomie euro - américaine est sans doute beaucoup
moins forte que celle que décrit Kagan .
Et peut-être même inverse : on verrait mal les forces
britanniques ou les forces françaises laisser dans des circonstances comparables
s' échapper sans bataille les responsables d' attentats aussi meurtriers .
Le vrai problème transatlantique tient surtout aux
conceptions divergentes de l' action internationale qu' ont les partenaires
américains et européens .
Toute la question est de savoir ce qui est pertinent en
matière de puissance internationale dans le monde d' aujourd'hui .
Qu' elle est la vraie capacité à agir sur les événements :
la puissance militaire ou la persuasion ( soft power ) ?
Il existe des cas de plus en plus nombreux dans lesquels la
force militaire est inutilisable, et donc impuissante .
Cela est patent en matière de relations entre pays "
occidentaux ", dans lesquelles on voit mal les États-Unis utiliser leurs armes .
Celles -ci leur donnent dans ce cadre un prestige plus qu'
une puissance .
Mais c' est le cas de manière plus générale .
Quand au début de le mandat du président Bush un incident
militaire se produisit en mer de Chine, l' Administration n' envisagea pas
sérieusement de recourir à la force face à une puissance nucléaire : les " durs
" eux -mêmes parlaient sanctions économiques et isolement diplomatique et non
intervention militaire .
Le nombre de cas où la force militaire joue aujourd'hui un
rôle décisif est relativement réduit .
Cela ne veut pas dire qu' il faille adopter une analyse
angélique ou méprisante à l'égard de la pertinence des instruments militaires,
comme c' est trop souvent le cas en Europe du Nord : l' expérience des Balkans
montre leur pertinence .
Encore faut -il que les instruments militaires soient
adaptés aux situations concrètes : à quoi sert -il d' avoir des Apaches ou des
B2 si leur engagement est rendu improbable par la crainte de les perdre ?
L' important pour les partenaires transatlantiques est de se
rapprocher sur ces points : avant de parler de faire de l' Europe une puissance,
il s' agit de renforcer les moyens militaires de ses membres, et de se
préoccuper prosaïquement des crises à régler .
La conclusion à tirer de l' expérience balkanique, de ce
point de vue , est que l' Europe aurait été mieux servie par une intervention ad
hoc ou nationale quand Milosevic menaçait Dubrovnik que par d' ambitieux schémas
institutionnels .
Quant aux Américains, ils ne doivent pas devenir prisonniers
de leurs moyens militaires : il leur faut se donner les moyens de contribuer à
la solution des crises par d'autres moyens .
ils ils laissent les Européens reconstruire après eux aux
quatre coins du globe, ils feront de l' Europe ce qu' un observateur américain
appelait récemment le centre moral du monde .
Leur leadership n' en sera que plus contestable, et donc
plus fragile car plus contesté .
TITRE : LES POUVOIRS DE GUERRE EN DEBAT À WASHINGTON
AUTEUR : Barthélémy Courmont
Introduction
L' objectif de cette étude est double .
Il s' agit de mesurer le rôle du Congrès des Etats-Unis en
temps de guerre, que l' actualité récente de la question irakienne éclaire d' un
jour nouveau, tout en dressant un tableau plus large qui s' appuie sur les
crises majeures auxquelles Washington a fait face .
Un tel travail devrait également permettre de rappeler la
répartition des pouvoirs instituée par la Constitution, que les parlementaires
ne manquent d'ailleurs jamais de rappeler .
Il s' agit d'autre part, à la lumière de les enseignements
tirés du passé et du contexte actuel, d' évaluer les possibilités offertes à l'
Administration Bush par les débats qui ont précédé la récente guerre en Irak,
dont les parlementaires ont accepté le principe en septembre 2002, bien avant
que les opérations ne commencent, en mars 2003 .
Cette étude permettra de mieux comprendre le rôle du Congrès
en matière de politique étrangère, en particulier en ce qui concerne l' envoi de
forces armées sur des théâtres extérieurs, qui, vu de l' étranger, en représente
incontestablement l' aspect le plus significatif .
Les pouvoirs de guerre, habilement répartis par les " pères
fondateurs " , sont clairement définis dans la Constitution des Etats-Unis .
Par ailleurs, en 1973, dans un climat général de détente,
les membres du Congrès ont décidé, malgré le veto du président Richard Nixon, de
voter le War Powers Act, qui donne plus de légitimité aux parlementaires dans
les décisions prises en temps de guerre, en particulier dans le déclenchement
des conflits .
Mais la Constitution a également prévu de donner davantage
de prérogatives au chef de l' Exécutif, qui est aussi le chef des armées,
lorsqu' il s' agit de répondre à une menace de grande ampleur .
En de telles circonstances, le président est le seul
défenseur des institutions .
En fait, ce sont surtout les garants de la Constitution, c'
est-à-dire les parlementaires, qui ont accepté de limiter temporairement leurs
pouvoirs pour faire face à une situation exceptionnelle, en privilégiant l'
unité plutôt que le dialogue .
Dans l'une de ses oeuvres majeures, Jean-Jacques Rousseau
donne une définition du dictateur, investi de pouvoirs en cas de crise majeure :
" Si le péril est tel que l' appareil des lois soit un obstacle à s' en
garantir, alors on nomme un chef suprême, qui fasse taire toutes les lois et
suspende un moment l' autorité souveraine . " C' est de ce modèle que les pères
fondateurs se sont inspirés, et sur la base duquel est assuré le bon
fonctionnement des institutions des Etats-Unis depuis plus de deux siècles
.
Depuis cette époque, toutefois, un certain nombre d'
événements et d' initiatives ont quelque peu modifié les relations entre les
pouvoirs exécutif et législatif en matière de politique étrangère .
Du président ou du Congrès, il est parfois difficile de
savoir qui a le dernier mot dans la prise de décision, et leurs choix peuvent s'
inverser selon les circonstances .
Les conséquences de cette double origine de la prise de
décision ne sont pas les mêmes en temps de paix et en temps de guerre, quand les
décisions doivent être prises rapidement et par un cercle restreint de
dirigeants .
De même, le processus de décision varie selon le niveau de
la menace, ou plus exactement de la façon dont celle -ci est perçue .
Durant la guerre froide, quand les intérêts des Etats-Unis
pouvaient être rapidement menacés, le président avait la possibilité de prendre
certaines initiatives dans l' urgence sans demander l' avis du Congrès, qui ne
portait de jugement qu' a posteriori .
Cette " présidence impériale " avait le mérite d' offrir une
lecture simple de la politique étrangère, qui permettait une efficacité totale
du processus décisionnel .
C' est pourquoi " la plupart des professionnels de la
politique étrangère estimaient que la concentration des pouvoirs dans les mains
de l' Exécutif était une bonne chose " .
Mais, progressivement, à partir de la fin de la guerre
froide et de la disparition de la menace soviétique, les gouverneurs des Etats -
et surtout les membres du Congrès - ont pris une place de plus en plus
importante dans les décisions de politique étrangère, considérant qu' ils
devaient être consultés en cas de intervention extérieure .
Bien que la question des pouvoirs de guerre n' ait jamais
cessé d' être au coeur des débats de politique étrangère, elle connaît un regain
d'importance avec l' intervention militaire contre l' Irak et la " croisade "
antiterroriste engagée au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 .
Les premières mesures proposées dans ce cadre ont été
accueillies favorablement par une énorme majorité au Congrès, et souvent
soutenues par autant de parlementaires démocrates que républicains .
Ainsi, la loi sur la lutte antiterroriste, également appelée
Patriot Act , a été adoptée par les sénateurs le 25 octobre 2001, en dépit de un
contenu parfois jugé attentatoire aux libertés civiles .
Fait rare, un texte était adopté à peine six semaines après
les attentats, dans un Sénat pourtant majoritairement démocrate, et sans
susciter beaucoup de discussions .
Les sénateurs ont également su taire leurs rivalités
politiques pour critiquer les dysfonctionnements des services de renseignement,
aussi bien lors de les attentats du 11 septembre que dans le cadre de les
enquêtes sur le bio-terrorisme .
Ce n' est donc qu' une fois la " phase deux " de la campagne
antiterroriste engagée que les parlementaires ont réellement montré un certain
scepticisme quant à l' opportunité de reconduire les pouvoirs exceptionnels
accordés au président George W. Bush par le Patriot Act .
Les divergences, qui avaient commencé à se manifester dès la
campagne militaire en Afghanistan , ont pris une tout autre dimension avec les
plans de guerre contre le régime de Saddam Hussein .
Ainsi, même si les parlementaires ont soutenu, pour des
raisons essentiellement politiques, le principe d' une campagne militaire en
Irak , en octroyant , en septembre 2002 , les pouvoirs de guerre à le président
George W. Bush , ils n' ont pas manqué de rappeler l' étendue de leurs
prérogatives institutionnelles lors de multiples débats .
Le 11 septembre, s' il a profondément bouleversé la
perception de la sécurité aux Etats-Unis, n' a donc pas eu d' effet majeur sur
la relation Exécutif / Législatif en ce qui concerne les pouvoirs de guerre .
La position des parlementaires républicains en est la
meilleure illustration : politiquement proches de l' Administration, ils sont
favorables aux mesures de sécurité adoptées depuis les attentats de New York et
de Washington, mais aussi particulièrement réactifs quand il s' agit de défendre
leurs prérogatives constitutionnelles .
Un tel constat permet de mieux appréhender les crises
futures auxquelles les Etats-Unis devront faire face, et surtout de mieux
décrypter les positions du Congrès .
Une querelle Exécutif / Législatif
La question des pouvoirs de guerre n' est qu' une composante
de la rivalité opposant l' Administration au Congrès, qui caractérise l'
ensemble de la vie politique aux Etats-Unis .
Dès lors que les conditions d' une intervention militaire
sur un théâtre extérieur se trouvent remplies, les parlementaires mettent en
avant les prérogatives qui leur sont offertes par la Constitution .
Moins présents pendant la guerre froide, durant laquelle ils
ont laissé au président une plus grande liberté d' action, les membres du
Congrès sont revenus, depuis le début des années 1990, à une lecture plus fidèle
des textes rédigés par les pères fondateurs, notamment à l'occasion de la guerre
du Golfe ( 1990-1991 ) .
Il convient donc de s' attarder sur le principe
constitutionnel de cette répartition des pouvoirs, puis sur la lecture qui en a
été faite en fonction de les circonstances et de la perception de la menace
.
La Constitution et le War Powers Act
La Constitution des Etats-Unis définit les pouvoirs du
Congrès en matière de relations internationales par " la défense des
intérêts nationaux, la régulation du commerce, la déclaration de guerre, et
le soutien aux forces armées " .
Ces prérogatives sont souvent rappelées par ceux qui
défendent le rôle des parlementaires dans les affaires étrangères, en
particulier depuis la fin de la guerre froide .
De son côté, le président ne peut déclencher une guerre
ni mener d' opérations militaires qu' avec l' accord de deux tiers des
sénateurs, tout comme il ne peut, seul et sans l' aval du Congrès, nommer
des ambassadeurs .
En outre, le Congrès peut engager une procédure de
destitution du président si celui -ci met en danger les intérêts de la
nation .
Ces pouvoirs sont d' autant plus déséquilibrés qu' il
appartient également au Congrès de financer les différentes opérations, ce
qui lui donne les moyens d' influencer considérablement la politique
étrangère, voire de l' orienter dans une direction opposée à celle de l'
Administration .
En votant ou non le budget et les fonds accordés à des
interventions extérieures, les parlementaires peuvent ainsi bloquer la
politique étrangère de la Maison-Blanche chaque fois que ils considèrent qu'
elle ne répond pas à leurs aspirations ou à celles des électeurs .
Cet équilibre a été délibérément souhaité par les pères
fondateurs .
Rédigée_NEW_ il y a plus de deux siècles, la
Constitution se présente avant tout comme un " garde-fou " et se veut la
plus représentative possible des aspirations de la population .
Fait intéressant, les présidents américains ont
longtemps été sensibles à cette répartition des pouvoirs, qu' ils jugeaient
totalement justifiée puisqu' elle permettait de servir au mieux la
démocratie ; cela s' expliquait en grande partie à la fois par l' absence de
menace extérieure pesant sur le pays et par la volonté de ne pas s'
impliquer dans les questions internationales .
Ainsi, Abraham Lincoln pouvait déclarer que " le texte
de la Constitution donnant le pouvoir de guerre au Congrès était dicté,
comme je l' ai compris, par l' impératif suivant : les rois ont toujours
entraîné leurs peuples dans des guerres qui les ont appauvris, tout en
prétendant généralement qu' elles étaient faites pour leur bien .
Notre convention a compris qu' il s' agissait là de
l'une des plus grandes formes d' oppression, et a fait en sorte que il ne
fût pas dans le pouvoir d' un seul homme d' opprimer ainsi tous les autres "
.
Autre fait notable : c' est le Congrès qui décida, à
l'occasion de la guerre contre l' Espagne, en 1898, de se lancer dans une
opération militaire, ce qui eut pour effet de modifier en profondeur la
politique étrangère du pays en mettant fin à un isolationnisme quasi continu
depuis son indépendance .
Ce fut aussi sous l' influence du Congrès que les
Etats-Unis opérèrent un repli sur eux -mêmes après le traité de Versailles,
ouvrant une ère de non intervention qui ne prit fin qu' en 1941 .
Dans ses relations avec la Maison-Blanche, l' initiative
du Congrès la plus significative pendant la guerre froide a été l' adoption,
en 1973, du War Powers Act, dans un climat de détente caractérisé par les
accords bilatéraux sur le désarmement, mais également par la guerre du
Vietnam et le scandale du Watergate .
Certains parlementaires souhaitaient limiter les
pouvoirs du président afin de éviter une escalade, comme sous Lyndon B.
Johnson .
D'autres, sensibles à les dérives de le pouvoir
présidentiel , illustrées par les problèmes de le président Richard Nixon ,
ont simplement cherché à sanctionner l' Exécutif .
A ce titre, il convient de noter que le consensus sur le
War Powers Act, qui émanait pourtant du camp républicain, a largement
dépassé le traditionnel clivage partisan, preuve qu' il s' agissait bien
davantage d' une question de prérogatives institutionnelles que de l'
expression d' idées politiques .
Cette loi a pour objet de limiter les pouvoirs du
président en cas de conflit armé, en faisant intervenir le Congrès de façon
systématique dans la décision .
Elle prévoit que le président, s' il veut engager le
pays dans une opération militaire, doit au préalable obtenir l' accord du
Congrès, soit à la suite de une déclaration de guerre, soit en invoquant l'
urgence nationale provoquée par une attaque contre le territoire du pays ou
contre ses forces armées .
Dans cette seconde hypothèse, le président doit, sous 48
heures, remettre un rapport aux présidents des deux Chambres pour rendre
compte de ses actes, puis un autre six mois plus tard .
Ces rapports sont délivrés aux parlementaires, qui
jugent de la légitimité de l' opération et de sa poursuite .
Les enseignements que l' on peut tirer de ce dispositif
sont multiples .
D'une part, dans un climat marqué par la détente entre
les deux blocs et la diminution de certaines menaces - la loi faisait suite
à la signature des accords SALT ( Strategic Arms Limitation Talks ) avec l'
URSS -, les parlementaires souhaitaient contrôler les opérations extérieures
en allant au-delà de que ce que leur permettait la Constitution .
D'autre part, ce contrôle supposait une diminution du
nombre d' interventions à l' étranger, qui seraient sélectionnées en
fonction de leur importance .
Ce dispositif concernait en priorité les opérations de
faible intensité, dans lesquelles les intérêts des Etats-Unis n' étaient, en
général, pas menacés de façon substantielle .
Pendant les années 1980, le retour d' une certaine
tension internationale a permis de concilier l' affirmation de l' autorité
du président sur les questions stratégiques majeures avec le rôle accru du
Congrès dans les interventions plus limitées .
Celles -ci restent d' actualité après la fin de la
guerre froide et offrent aux parlementaires la possibilité de bloquer les
initiatives jugées inopportunes de la Maison-Blanche .
De cette manière, les pouvoirs du président dans la
conduite d' un conflit armé sont encore plus limités, le chef de l' Exécutif
devant faire approuver ses initiatives par le Congrès .
De nombreuses voix ont demandé la suppression de ce
texte ou, au contraire, plaidé pour son maintien dans un environnement
post-guerre froide .
A la suite des opérations en Bosnie, en 1995, un certain
nombre de parlementaires ont ainsi demandé que le Congrès exerce un contrôle
plus étroit sur la politique étrangère du pays, exigeant notamment que toute
opération extérieure souhaitée par le président obtienne l' accord explicite
des parlementaires .
Ces initiatives, approuvées par la majorité de les
parlementaires et souvent bipartisanes , illustrent une tendance au
renforcement des pouvoirs du Congrès - et en particulier de ceux de la
Chambre des représentants - en matière de décision de projection de forces
ou d' engagement dans un conflit armé .
La bonne conduite de la politique étrangère des
Etats-Unis suppose une complémentarité des pouvoirs exécutif et législatif .
Le président, en vertu de les pouvoirs qui lui sont
conférés par la Constitution , peut proposer une opération militaire et l'
engagement des forces armées .
De son côté, le Congrès a le pouvoir de juger et de
décider si ces orientations doivent ou non être suivies .
Ainsi, le président propose et le Congrès dispose .
De cet équilibre, fragilisé en temps de cohabitation,
dépend la cohérence des orientations du pays en matière de relations
internationales .
Cependant, la Constitution elle -même , en donnant 0 des
pouvoirs à les différents organes , ne répond pas totalement à la question
de savoir qui détient la véritable autorité dans la prise de décision .
En effet, les parlementaires ont le pouvoir de bloquer
les propositions du président, influençant de cette façon les choix de
politique étrangère .
Dans certaines circonstances, le Congrès peut même
orienter positivement les choix de l' Exécutif en faisant pression sur des
dossiers qui lui tiennent à coeur .
Ce fut le cas au cours de les années 1980, quand les
parlementaires imposèrent au président d' adopter des sanctions à l'égard de
l' Afrique du Sud, en proposant, à la suite de rapports des commissions
concernées, un certain nombre de résolutions auxquelles la Maison-Blanche ne
put se soustraire .
Ce fut également le cas pour les relations avec Cuba
lors de l' adoption de la loi Helms-Burton sur les sanctions économiques et
commerciales, en 1996 .
Dans l' ensemble, le Congrès dispose de prérogatives lui
permettant, quand le cas se présente, de bloquer les initiatives
présidentielles ou, à l' inverse, de les influencer, voire même de les
forcer .
En temps de guerre, ou sous la pression d' une menace
pesant sur les intérêts vitaux du pays, un consensus bipartisan offre en
revanche au chef de l' Exécutif de plus larges pouvoirs en matière de
politique étrangère, ce qui lui permet de prendre des initiatives sans en
aviser le Congrès au préalable .
Certains experts remarquent que le président ne respecte
que rarement le War Powers Act et ne laisse au Congrès l' appréciation d'
une intervention qu' une fois celle -ci engagée .
Ce renforcement du pouvoir présidentiel s' explique
principalement par les lenteurs du processus législatif et l' inefficacité
des débats partisans en cas de crise soudaine .
C' est ainsi que le chef de la Maison-Blanche justifie
le plus souvent l' engagement de forces armées, quand celui -ci n' a pas été
décidé avec l' accord du Congrès, qui lui est normalement indispensable, par
la lecture de la Constitution .
Les limites du Congrès pendant la guerre froide
La présidence " impériale " , héritée de la Seconde
Guerre mondiale et maintenue pendant la guerre froide , a eu pour effet de
neutraliser totalement les parlementaires dans le domaine de les relations
internationales .
Ce fut le cas lors de la guerre de Corée .
Le président Harry S. Truman n' a pas consulté les
parlementaires pour engager le pays dans le conflit, et Dwight D.
Eisenhower, son successeur, a habilement usé de son influence et des
pouvoirs dont il disposait pour se retirer trois ans plus tard de la
péninsule .
Par la suite, la guerre froide a été marquée par une
multitude d' actions initiées par l' Administration, sans que le Congrès ait
la possibilité de faire valoir ses droits constitutionnels, et ce, jusqu' à
la fin de les années 1980 et l' arrivée au pouvoir de George H.W. Bush .
Une telle attitude du président était légitimée par la
menace que faisait peser l' Union soviétique, si bien que même les plus
fervents défenseurs du War Powers Act, comme Jacob K. Javits, le sénateur
républicain de New York qui avait été à l'origine du texte, ne discutèrent
pas la décision du président Ronald W. Reagan d' envoyer, sans consultation
préalable, des marines au Liban, en 1983 .
Avec autant d' admiration que de scepticisme, Michael
Beschloss explique à ce propos que " le président était le centre du système
solaire politique américain, le centre de la politique étrangère et
intérieure, et la personne la plus puissante du gouvernement " .
Certains experts estiment légitime de donner au
président des pouvoirs plus importants en cas de crise majeure ou quand les
intérêts du pays sont directement menacés .
Dans de telles situations, les statuts sont
exceptionnellement modifiés, et le président assume pleinement son rôle de
chef des armées sans que le Congrès vienne s' interposer .
D'ailleurs, même les pères fondateurs n' avaient pas
hésité à offrir au président des pouvoirs renforcés pour répondre de façon
plus efficace aux menaces que représentaient les deux grandes puissances de
l' époque, le Royaume-Uni et la France .
Les mêmes arguments justifièrent la " présidence
impériale " de la Seconde Guerre mondiale, puis celle de la guerre froide,
les Etats-Unis étant directement menacés par l' Union soviétique, notamment
par le biais de les armes nucléaires .
David Calleo estime ainsi que, " depuis Franklin D.
Roosevelt, les Etats-Unis ont connu un long cycle de déséquilibre
constitutionnel au profit de un président - un cycle qui s' est prolongé
avec la guerre froide " .
Ainsi, et même après le vote du War Powers Act, chacun
était conscient que le président pouvait agir seul en cas de crise majeure
.
Ce consensus sur la légitimité de la toute puissance de
l' Exécutif a permis de clarifier la politique étrangère pendant plusieurs
décennies, qui sont marquées par les bonnes relations qui ont prévalu entre
les Administrations successives et le Congrès .
Dans le même temps, cela a eu pour effet d' affaiblir
les commissions chargées des affaires internationales, tant à la Chambre des
représentants qu' au Sénat .
Un officiel de l' Administration de Ronald W. Reagan a
même déclaré, à propos de la perte d'importance de ces commissions, que "
l'une était morte dans le vin, et que l' autre s' était fragmentée en petits
empires " .
Cela s' expliquait notamment par le fait que les
parlementaires privilégiaient d'autres commissions, grâce auxquelles ils
pouvaient avoir une plus grande influence, de façon plus nette encore à la
Chambre des représentants qu' au Sénat .
Certes, quelques tentatives de reprise en main de la
politique étrangère par le Congrès se sont manifestées, notamment en 1939,
quand ce dernier s' est opposé à l' intervention militaire en Europe ; mais
les parlementaires, jusqu' à la fin de les années 1980, n' ont pas été en
mesure de opposer de résistance significative à l' Administration, celle -ci
prenant seule les décisions importantes en temps de crise .
En 1988, certains parlementaires, conscients que le War
Powers Act pouvait être utilisé à des fins purement politiques , et donc
menacer la sécurité de les citoyens , ont proposé de le remplacer par un Use
of Force Act, qui laissait au président la possibilité de venir en aide aux
ressortissants des Etats-Unis mis en danger hors du territoire national .
Cette requête répondait aussi bien aux nouvelles menaces
émanant de groupes terroristes qui multipliaient les enlèvements et les
prises d' otages, qu' aux conflits de faible intensité auxquels des
Américains étaient directement exposés ( République dominicaine, Panama,
Grenade ) : l' Administration, paralysée par des contraintes
constitutionnelles, n' avait pu régler rapidement ces questions .
Limité pendant la guerre froide, tant par la nécessité
de se ranger derrière l' autorité du président que par l' absence d' une
réelle expertise des questions extérieures, le Congrès, après la disparition
de l' Union soviétique, a renoué avec une lecture plus fidèle de la
Constitution .
C' est ainsi que les parlementaires ont peu à peu
rassemblé de véritables équipes d' experts et usé de leurs prérogatives à
chaque occasion, aussi bien du fait des clivages politiques les opposant à
la Maison-Blanche ( la décennie 1990 a été marquée par une opposition
partisane quasi permanente entre l' Exécutif et le Législatif ) qu' en
raison de l' absence de menace extérieure qui, selon les textes de
Jean-Jacques Rousseau et des pères fondateurs, pouvaient justifier l'
apathie du Congrès .
L' expérience de 1990 : la guerre du Golfe et ses
opposants au Congrès
La guerre du Golfe est souvent citée comme l' exemple d'
un parfait succès de la machine de guerre des Etats-Unis, de leur habileté à
réunir des coalitions ad hoc et de leur unité dans l' épreuve .
Parallèlement à ces bons résultats, la crise du Golfe,
qui a précédé l' intervention armée, a vu s' opposer au Congrès les
partisans de l' intervention et les opposants à la guerre, plaçant souvent
l' Administration de George H.W. Bush dans une position délicate, avant que
les relations entre l' Exécutif et le Législatif se normalisent et que les
opérations puissent commencer .
Rapidement conscient que l' argument de l' invasion du
Koweït, il s' permettait de légitimer l' adoption de résolutions à le
Conseil de sécurité de les Nations unies , ne pouvait justifier l'
utilisation de la force, ni l' envoi de plusieurs dizaines de milliers d'
hommes dans la région, le président George H.W. Bush n' a eu de cesse de
placer les questions relatives à la défense de l' Arabie Saoudite au centre
de les discussions .
Par extension, la guerre contre l' Irak devenait peu à
peu une croisade du " Bien " contre le " Mal ", dans laquelle les Etats-Unis
ne défendaient pas uniquement des intérêts nationaux, mais l' équilibre du
monde libre .
Ainsi, dès l' invasion du Koweït, le Sénat, suivi de peu
par la Chambre de les représentants , s' est rangé derrière le président,
lui demandant d' agir avec tous les moyens nécessaires pour obtenir le
retrait des forces irakiennes .
Comme l' expliquait à l'époque Yves Boyer, cette
harmonie entre l' Exécutif et le Législatif ne faisait que traduire le
soutien massif de l' opinion publique, approuvant à 70 % cette action " .
En réalité, il s' agissait plutôt d' une manoeuvre de la
Maison-Blanche, exécutée en période de congés parlementaires de façon à
éviter les critiques du Capitole, une politique active de communication
devant permettre de s' assurer un soutien populaire .
Dick Cheney , alors secrétaire à la Défense , reconnut
d'ailleurs que " le fait que le Congrès soit en congé fut un avantage .
Nous pouvions profiter du mois d' août pour faire ce que
nous avions à faire, plutôt que de s' expliquer devant lui " .
L' harmonie masquait un choix délibéré de l' Exécutif
pour éviter que les débats institutionnels ne retardent l' adoption de
résolutions et n' empêchent l' envoi de forces armées au Moyen-Orient
.
Mais l' euphorie du mois d' août fut de courte durée .
Le Sénat ne tarda pas à inviter le président à venir se
présenter devant le Congrès pour expliquer ses plans .
L' argument de la défense du pays étant rapidement
écarté , les parlementaires rappelèrent au chef de l' Exécutif que les
pouvoirs de guerre étaient reconnus par la Constitution et que toute
opération extérieure devait recevoir leur aval .
En effet, si des pouvoirs exceptionnels peuvent être
attribués au président en cas de situation d'urgence, il n' en va pas de
même en cas de envoi de troupes sur un théâtre extérieur dans le cadre de
une grande offensive, quelle qu' en soit d'ailleurs la justification .
Et le fait que les deux Chambres étaient alors
majoritairement démocrates n' a fait que renforcer la vigueur du Congrès
face à les propositions de l' Exécutif républicain .
Le président George H.W. Bush , conscient que le soutien
de le Congrès ne lui était acquis pas , en dépit de l' approbation constante
de l' opinion publique à le principe d' une intervention en Irak , a
longtemps justifié le fait de ne pas se présenter devant les parlementaires
en se prévalant des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies .
Harry S. Truman avait fait de même en 1950 dans la
guerre de Corée : il avait envoyé des troupes sans en informer le Congrès,
en se fondant sur les résolutions de l' ONU . Mais le War Powers Act n'
existait pas à cette époque, et le cas de la crise du Golfe est donc
différent de celui de la guerre de Corée .
Toutefois, en 1990 comme en 1950, le principe de l'
intervention s' appuyait essentiellement sur les résolutions du Conseil de
sécurité, qui devaient l' emporter sur les considération de politique
intérieure, du moins aux yeux de l' Administration .
Le 17 septembre 1990, interrogé sur la question des
pouvoirs de guerre, Dick Cheney estimait que le War Powers Act pouvait être
considéré comme inconstitutionnel, dans la mesure où il imposait des limites
aux prérogatives constitutionnelles du président, notamment dans son rôle de
chef des armées .
De tels propos illustrent l' option qui fut choisie par
l' Administration : adopter la même position que sous les Administrations
Reagan et éviter autant que possible de se présenter devant des
parlementaires hostiles, sans pour autant avoir le moindre argument
permettant de justifier une telle attitude .
Cet épisode met en évidence le fait que, de façon
générale, le War Powers Act n' a jamais été reconnu comme constitutionnel
par l' Exécutif, qui a toujours considéré qu' il octroyait un pouvoir abusif
au Congrès .
En ce sens, l' Administration de George H.W. Bush ne
faisait que reprendre une rhétorique déjà utilisée précédemment, et qui a
continué d' être employée par la suite .
Le sénateur Sam Nunn ( démocrate , Géorgie ) , alors
président de la commission de les Forces armées , fut le premier des
parlementaires à s' élever contre la décision d' envoyer des troupes en Irak
.
Parmi les initiatives les plus marquantes, il invita
plusieurs personnalités à témoigner et à lui apporter leur soutien contre la
guerre .
Ainsi se succédèrent au Capitole l' amiral William
Crowe, le général David Jones, l' ancien secrétaire à la Défense James
Schlesinger, l' ancien secrétaire à la Marine James Webb, et l' ancien
directeur du National Security Council, William Odom .
Chacun s' éleva contre la guerre, usant d' arguments
aussi variés que l' inutilité d' une telle campagne, la mauvaise adaptation
des forces armées à ce type d' opération, les risques de pertes humaines,
les conséquences du conflit sur la stabilité de la région et du monde en
général, et la nature des objectifs à long terme ( ce point étant le plus
intéressant, puisqu' il concerne les relations entre les pouvoirs exécutif
et législatif en temps de guerre ) .
Seul Henry A. Kissinger , également invité par Sam Nunn
, ne partagea pas l' opinion des autres personnalités, considérant qu' il n'
y avait pas d' autre option que d' engager les forces armées, et que les
parlementaires devaient soutenir en bloc l' Administration .
Les réactions du président à les critiques de le Congrès
montrèrent à la fois son agacement et son impuissance .
Considérant qu' il était de son devoir de prendre des
décisions rapidement, notamment du fait des otages détenus à Bagdad, il
refusa néanmoins toute option consistant à intervenir sans consulter le
Congrès, à défaut de obtenir son accord .
Comme il l' écrivait dans son journal, le 28 novembre
199046 :
Le débat fait rage à présent, et Sam Nunn, qui, selon
moi, vise la présidence, essaie de voir jusqu' où il peut aller .
Richard Gephardt " rompt " avec le président en disant :
" Non au recours à la force, les sanctions doivent porter leurs fruits . ' '
Aucun d' eux ne semble se soucier du sort des otages ; aucun ne partage mon
inquiétude pour notre ambassade ...
Quelle ironie de voir la droite isolationniste se ranger
aux côtés de la ( vieille ) gauche incarnée par Kingman Brewster ( qui
exprimait le ) syndrome de le Vietnam !
Bob Kerrey , un vrai héros de la guerre de le Vietnam ,
et John Glenn , un autre héros , répètent : " Pas de recours à la force, pas
de recours à la force ' ' . " " ( ... ) Notre rôle de leader mondial sera de
nouveau réaffirmé, mais, si nous acceptons des compromis et que nous
échouons, nous serons réduits à l' impuissance totale, et il n' est pas
question que cela se produise .
Peu importe que le Congrès vote ou non .
Cela n' arrivera pas ... et je tiens à impliquer le
Congrès .
Le grand débat continue à propos de la déclaration de
guerre, mais l' important, c' est que nous avons besoin d' eux ; et je
continuerai à les consulter . " Ce mépris de la Constitution, même justifié
à certains égards, a eu pour effet de renforcer les rangs des opposants au
principe de l' intervention, en radicalisant les positions des uns et des
autres .
Comme l' expliquait à l'époque Stanley Hoffmann, la
réticence de l' Exécutif à soumettre sa politique à le contrôle de les
parlementaires , en vertu de la législation sur les pouvoirs de guerre , a
suscité de fortes tensions47 " .
Peu à peu, des élus républicains modérés se sont joints
aux remarques de Sam Nunn, acceptant le principe d' une intervention, mais
demandant à George H.W. Bush de se présenter devant le Congrès .
Ainsi, William Cohen , alors sénateur républicain de le
Maine , estimait que " le président devait énoncer sa proposition et
demander au Congrès s' il approuvait ou non, et jusqu' à quel point, ses
objectifs politiques48 " .
En d'autres termes, les parlementaires du propre camp du
président souhaitaient que celui -ci respecte le War Powers Act, et ce,
d'autant que le Grand Old Party ( GOP, le Parti républicain ) en avait été
l' instigateur .
D'autres élus républicains , comme le très influent
Richard Lugar ( sénateur de l' Indiana ) , se sont élevés contre la guerre
en invoquant que le fardeau serait supporté essentiellement par les
Etats-Unis .
L' argument était de faire payer davantage aux alliés le
coût de l' opération ( notons au passage que ce sont des revendications que
Richard Lugar a maintes fois répétées au cours de la décennie 1990, et qui
ont été suivies par un nombre croissant de parlementaires ) .
Ces demandes n' ont cependant pas été jugées recevables
en 1990, le Congrès applaudissant au contraire la capacité de George Bush et
de James Baker à former une coalition et à répartir le coût des opérations
entre les alliés49 .
Côté démocrate, l' opposition était encore plus
radicale, certains sénateurs, comme Edward Kennedy ( démocrate,
Massachusetts ), voulant à la fois empêcher George H.W. Bush d' agir seul et
prendre part aux décisions politico-militaires .
La presse libérale s' en est mêlée, le New York Times
citant même à titre de exemple Edouard Chevarnadze, alors ministre des
Affaires étrangères de l' Union soviétique, qui jugeait que " toute
utilisation des troupes soviétiques hors des frontières suppose une décision
du parlement soviétique " .
Fait étonnant, ce fut George Mitchell, alors leader de
la majorité démocrate au Sénat, qui vint au secours de l' Administration de
George H.W. Bush, expliquant que le moment était mal choisi pour demander au
président de s' expliquer devant les parlementaires, avant d' inciter le
Sénat, avec Robert Dole ( républicain, Kansas ), à adopter une résolution
soutenant l' action du président ( finalement adoptée le 2 octobre 1990,
avec seulement 3 voix contre ) .
Cela ne l' empêchera pas toutefois de remarquer quelques
semaines plus tard, à quelques heures du début de la campagne, que " le
président n' a pas consulté le Congrès sur cette décision ; il n' a pas
cherché le soutien du peuple américain .
Il l' a simplement fait " .
Ce qui prouvait que, même en temps de crise, l' unité du
pays restait fragile, et que la politique partisane demeurait au centre de
les discussions .
Au fur et à mesure que l' échéance du 15 janvier 1991
approchait, les positions des uns et des autres se firent de plus en plus
nettes, certains n' hésitant pas à évoquer l' impeachment si le président
choisissait de ne pas se présenter au Capitole .
George H.W. Bush s' inquiéta de la volonté du régime
irakien de se doter d' armes de destruction massive, ce à quoi Al Gore,
alors sénateur ( démocrate, Tennessee ), répliqua qu' il s' agissait d' une
manoeuvre maladroite destinée à gagner le soutien du Congrès .
Se sentant dans une situation de plus en plus délicate,
le président comprit que la guerre était inévitable, et que son issue
déterminerait son propre avenir politique .
Il estimait en effet que la mauvaise conduite des
opérations pouvait lui coûter cher, tandis que une victoire facile ne
renforcerait pas nécessairement sa position face à le Congrès et à ses
adversaires politiques .
Ainsi, et comme il l' écrivait dans son journal, le 20
décembre 1990 : " Si la guerre est rapide, avec le moins de pertes possible,
quoi que cela veuille dire, que Saddam essuie une défaite fulgurante , je
devrai en partager le mérite avec le Congrès et le monde entier .
En revanche, si cela s' éternise, non seulement on va m'
en tenir responsable, mais on va probablement entamer une procédure de
destitution contre moi, comme l' a dit Dan Inouye . " Dernier acte avant le
déclenchement des opérations militaires, et pas des moindres, James Baker
rencontra Tareq Aziz, alors ministre des Affaires étrangères de l' Irak, à
Genève, le 9 janvier 1991 .
Il lui remit une lettre de George H.W. Bush adressée à
Saddam Hussein, enjoignant le dirigeant irakien de retirer ses troupes de
Bagdad pour éviter une intervention armée .
Cette lettre contenait également les phrases suivantes :
" Les Etats-Unis ne toléreront pas l' usage d' armes chimiques ou
biologiques, ni la destruction des sites pétroliers du Koweït .
Le peuple américain réclamerait à ce moment -là la
riposte la plus violente possible ", sous-entendu l' utilisation d' armes
nucléaires contre le régime de Bagdad .
En d'autres termes, le président brandissait la menace
nucléaire - celle -ci, à l' inverse des pouvoirs de guerre, étant placée
sous sa seule autorité - en justifiant sa fermeté par le soutien de l'
opinion publique .
De tels propos sont à replacer dans leur contexte, dans
la mesure où George H.W. Bush n' avait pas encore obtenu le soutien officiel
du Congrès, qui n' interviendra que trois jours plus tard .
Le 12 janvier 1991, la Chambre des représentants devait
s' exprimer au sujet de la résolution Michel-Solarz, qui approuvait le
recours à la force pour atteindre les objectifs fixés par les Nations unies
; sa jumelle au Sénat était la résolution Dole-Warner .
La première fut adoptée à 250 voix contre 183, et la
seconde à 52 contre 47, soit la plus petite majorité jamais constatée lors
de une déclaration de guerre de toute l' histoire des Etats-Unis .
Deux autres résolutions concurrentes avaient été
proposées à la Chambre : la résolution Durbin-Bennett, qui rappelait que le
Congrès pouvait seul prendre l' initiative de déclarer la guerre, et la
résolution Gephardt-Hamilton, qui encourageait la poursuite des sanctions
économiques et refusait la guerre .
Toutes deux furent rejetées .
Ainsi, il a fallu attendre la date butoir du 15 janvier
1991 pour que les opposants à la guerre voient leurs initiatives repoussées
et que le Congrès apporte son soutien à l' Administration .
Ces votes indiquent sans aucun doute que les
parlementaires étaient conscients de la situation de blocage qu' aurait
entraînée un refus à l' avant-veille des opérations, et du risque encouru
pour la coalition dans son ensemble .
Une fois les troupes prêtes à l' assaut, ce refus aurait
en effet été mal ressenti, tant par l' opinion publique aux Etats-Unis que
par la communauté internationale .
George H.W. Bush a reconnu plus tard avoir alors compris
que " la plupart des sénateurs et des parlementaires seraient obligés de
nous soutenir si nous déclarions la guerre sans eux, mais qu' ils se
trouveraient en mauvaise posture si je réclamais officiellement une
déclaration de guerre ou bien une résolution de soutien au recours à la
force " .
Mais, finalement, comme l' expliquent Lawrence Freedman
et Efraim Karsh, la décision critique ( de lancer l' offensive ), comme tant
d'autres pendant la crise , fut prise par un nombre relativement limité de
personnes " .
Certains experts considéraient, après la fin des
hostilités, que le Sénat serait, à l'avenir, moins hostile à l' envoi de
troupes à l' étranger que lors de le vote du 12 janvier, et prédisaient un
avenir radieux pour les futures Administrations, qui disposeraient d' un "
mandat " offert par les parlementaires en matière de pouvoirs de guerre .
Ce ne fut pas le cas .
En fait, les débats décrits ici , s' ils n' ont eu pas
pour effet de bloquer la décision de George H.W. Bush de s' engager dans une
guerre contre l' Irak , ont eu des conséquences à plus long terme .
C' est en effet à partir de la crise du Golfe que le
Congrès a retrouvé une certaine légitimité en matière de pouvoirs de guerre,
les parlementaires n' hésitant plus à faire valoir leurs prérogatives face à
l' Exécutif .
L' absence de menace, l' opposition politique quasi
constante et l' héritage de l' expertise acquise alors ( c' est pendant
cette période que de véritables groupes d' experts vont se constituer à le
Congrès , ceux -ci se généralisant par la suite avec l' furent la cause .
L' argument, présenté par Anthony Lake quelques années
plus tôt, étant également que " le débat démocratique produit plus
facilement que la doctrine des décisions importantes en matière de politique
étrangère " .
Les pouvoirs de guerre sous Bill Clinton
Pendant les huit années de présidence de Bill Clinton, et de
façon encore plus nette après le double succès des Républicains aux élections de
la mi-mandat en novembre 1995, le Congrès exprima son désaccord sur les
questions relatives aux affaires étrangères, notamment en ce qui concerne l'
envoi de forces armées sur des théâtres extérieurs .
Mais le président et l' Administration furent confrontés à
une opposition qui se montra bien plus sensible à la question de la répartition
des pouvoirs qu' aux clivages politiques traditionnels .
Ces débats, renouvelés à l'occasion de les différentes
crises auxquelles l' Administration Clinton fit face , nous permettent de mieux
comprendre dans quelle mesure la fin de la guerre froide a bouleversé la
relation Exécutif / Législatif dans le domaine de les pouvoirs de guerre .
Pour la première fois, en effet, le Congrès a été en mesure
de bloquer les initiatives présidentielles, ne se contentant pas d' exprimer des
réserves, mais faisant pleinement usage de ses prérogatives .
C' est également pendant cette période que les réseaux d'
influence du Congrès se sont considérablement renforcés, notamment par la montée
en puissance des commissions chargées des questions internationales, ce qui
marqua de façon durable le retour des parlementaires dans le processus d'
élaboration de la politique étrangère .
Le retour du gridlock
Depuis que les Etats-Unis sont devenus la seule
superpuissance, les débats portant sur les relations internationales et les
interventions à l' étranger se sont déplacés vers des considérations de
politique intérieure, où le Congrès, et plus particulièrement la Chambre des
représentants, se fait directement l' écho de " la voix de l' Amérique " .
Pour conserver toute sa crédibilité et s' assurer une
cote de popularité acceptable, le président doit se montrer sensible aux
revendications de ses concitoyens, même si celles -ci vont parfois à
l'encontre des engagements internationaux du pays ; mais il doit aussi
prendre en considération les débats au Congrès, pour que les deux pouvoirs
ne soient pas en opposition .
Cela est d' autant plus perceptible en temps de gridlock
( littéralement " gros embouteillage ", mais il s' agit plutôt ici d' une
forme de cohabitation politique ), quand le président et l'une des deux (
voire les deux ) Chambres ne défendent pas les mêmes options .
Cependant, l' opposition entre le Capitole et la
Maison-Blanche a largement dépassé, sous Bill Clinton, le simple clivage
politique, répondant surtout à une différence d' appréciation de la
Constitution .
Diriger sans le soutien du Congrès
En prenant le contrôle de la Chambre des
représentants à l'occasion de les élections de 1994 ( 230 sièges sur 434
), les Républicains retrouvaient la majorité pour la première fois
depuis 1954, mettant ainsi fin à 40 ans de domination démocrate .
au Sénat, si le GOP a parfois gagné des élections
législatives, les Républicains n' ont été majoritaires qu' à dix
reprises depuis 1945 .
Au total, ils n' ont contrôlé simultanément les deux
Chambres que six fois : entre 1947 et 1949, entre 1953 et 1955, et entre
1995 et juin 2001, soit seulement durant 10 années, contre 40 ans pour
les Démocrates, et six ans de partage des pouvoirs .
Enfin, jusqu' à l' élection de George H.W. Bush, les
Républicains n' ont été qu' une seule fois à la tête des trois pouvoirs
( Maison-Blanche, Sénat, Chambre des représentants ) : c' était entre
1953 et 1955, sous la présidence de Dwight D. Eisenhower .
Quant aux Démocrates, ils ont connu cette situation
à dix reprises, soit durant 20 ans ; mais le président Bill Clinton n'
en a bénéficié que pendant les deux premières années de son premier
mandat, entre 1993 et 1995 .
En 1994, Louis Fisher signalait le souhait exprimé
par Bill Clinton de poursuivre la politique de son prédécesseur de ne
pas consulter systématiquement le Congrès en cas de opérations
militaires extérieures .
Fortement contesté par ceux qui défendaient les
initiatives de l' Exécutif, le War Powers Act a même été présenté comme
un texte dépassé et devant être redéfini, non seulement à la lumière de
les difficultés rencontrées par George H.W. Bush en 1990, mais également
en raison de la généralisation des crises de faible intensité .
En effet, Washington a été confronté à un nombre
croissant de conflits limités n' engageant que de loin ses intérêts, et
pour lesquels la consultation du Congrès n' était pas forcément jugée
nécessaire, les parlementaires se montrant assez peu sensibles au
déroulement d' opérations engageant des forces limitées .
Pourtant, c' est pendant cette période qu' ils ont
mis en avant les prérogatives que leur offre la Constitution et qu' ils
n' ont pas hésité à se prononcer sur toutes les initiatives de l'
Administration en matière de engagement des forces armées .
Ainsi, à l'occasion de toutes les opérations
extérieures auxquelles l' Administration Clinton a pris part, de
nombreuses voix se sont élevées au Congrès pour contrer la position de
l' Exécutif .
Débats autour de la question irakienne
Entre 1992 et 2000, l' Irak fut au centre de les
préoccupations des parlementaires, qui se sont intéressés aux
différentes options recherchées par l' Administration et n' ont pas
manqué de rappeler l' importance de la Constitution .
Ce fut notamment le cas en 1996 .
John McCain estimait alors que " notre capacité à
entreprendre des actions disproportionnées et efficaces, nécessaires en
de telles circonstances, ne doit pas être mise en cause par les
conséquences de notre échec à préserver l' unité de la coalition " .
Ces débats se sont encore poursuivis, les
parlementaires n' hésitant pas à proposer une résolution sur l' avenir
du régime irakien, se donnant ainsi le premier rôle dans l' élaboration
de la politique étrangère .
Défendant cette résolution, Thomas Lantos (
démocrate , Californie ) précisait que son " objectif ( ... ) était de
montrer clairement et sans équivoque à Saddam Hussein et à son
gouvernement que le Congrès soutient l' usage de la force militaire en
cas de nécessité .
Il ne doit y avoir aucun doute ni sur l' importance
de la poursuite des inspections, comme le stipulent les décisions du
Conseil de sécurité des Nations unies, ni sur la volonté du gouvernement
des Etats-Unis, ni sur le soutien du peuple américain si une action
militaire était nécessaire " .
Cette montée en puissance du Congrès allait de pair
avec de vives critiques à l'égard de l' Administration Clinton, certains
parlementaires allant jusqu' à juger que sa politique vis-à-vis de l'
Irak n' était pas clairement définie .
Ainsi, le sénateur conservateur Charles Hagel (
républicain , Nebraska ) estimait que " notre défense nationale est
garante de notre politique étrangère .
Je ne sais pas si nous avons une politique de long
terme en Irak, à part celle de maintenir les sanctions décidées par les
Nations unies et d' imposer leurs résolutions, mais ceci ne constitue
pas une politique étrangère .
Si nous devons un jour conduire les Etats-Unis à la
guerre, ce doit être pour imposer notre politique étrangère - faire
seulement la guerre n' est pas suffisant .
Nous devons imposer une politique d' ensemble et de
long terme .
Les raisons d' une entrée en guerre doivent reposer
sur bien autre chose que la seule mise en oeuvre de sanctions à court
terme " .
C' est donc sous la présidence de Bill Clinton que
le Congrès a retrouvé ses prérogatives en matière de politique
étrangère, non seulement du fait de l' opposition partisane entre les
pouvoirs exécutif et législatif et de l' absence de menace extérieure
pesant sur le pays, mais également en raison de la montée en puissance
de certaines institutions-clefs du Congrès - les commissions - et de
ceux qui les président .
L' engagement dans les Balkans
Fil conducteur de la politique étrangère des Etats-Unis
au même titre que la relation avec l' Irak, l' engagement dans les Balkans a
révélé des divergences de vue entre les pouvoirs exécutif et législatif .
Mais, plus qu' une opposition liée à des particularismes
politiques, les crises successives en Bosnie et à le Kosovo ont surtout
souligné la volonté des parlementaires d' être consultés préalablement à
toute intervention extérieure .
La Bosnie
En 1993, les débats sur la possibilité d' un
engagement militaire en Bosnie se sont accompagnés de nombreuses
critiques sur le coût des opérations, la nécessité d' engager les forces
armées et la participation des alliés européens .
Les parlementaires se sont interrogés sur les
pouvoirs de guerre accordés au président Bill Clinton et sur la
nécessité d' engager des forces armées sur un théâtre d' opérations n'
impliquant pas directement les intérêts vitaux des Etats-Unis .
Certains membres du Congrès se sont montrés
sceptiques quant à les prétentions de la Maison-Blanche à jouer les "
gendarmes du monde " .
Ils estimaient que le pays, en intervenant de façon
excessive à l' extérieur, risquait de gaspiller ses ressources et de
dévoiler trop aisément ses forces à ses adversaires .
Le sénateur John McCain ( républicain , Arizona )
pensait ainsi que, " si nous usons de nos forces et de notre prestige de
façon inconsidérée, nous gaspillerons des ressources que nous n' avons
pas " .
des remarques du même type ont été exprimées en
1995, notamment de la part de élus démocrates, qui jugeaient que l'
Administration avait prêté une trop grande attention aux aspirations de
l' aile conservatrice du Congrès en décidant d' envoyer des troupes dans
les Balkans .
Le sénateur Byron Dorgan ( démocrate ,
Dakota-du-Nord ) estimait ainsi que " l' envoi de forces pose un énorme
risque pour nos troupes et notre pays, pour un gain potentiellement très
faible pour la Bosnie " .
Pour sa part, et conscient de l' importance de la
participation financière que supposait une intervention armée, le
représentant Jerry F. Costello ( démocrate , Illinois ) considérait que
la Bosnie concernait les Européens au premier chef et que ceux -ci
devaient en assumer la principale responsabilité, écartant ainsi le
principe d' un envoi de troupes américaines sur le terrain .
Le débat sur les pouvoirs de guerre s' est encore
élargi avec l' intervention des Etats-Unis en Bosnie, car celle -ci s'
effectuait dans le cadre de l' OTAN . En effet, afin de soutenir des
opérations menées sous l'égide de les Nations unies ou de l' Alliance
atlantique, Bill Clinton autorisa de multiples actions en Bosnie sans
disposer de l' autorisation expresse du Congrès, et ce, en dépit de les
disputes permanentes entre le Capitole et le président sur les
opérations à mener .
La question se posait alors de savoir si une action
entreprise au sein de l' OTAN pouvait être conduite indépendamment des
exigences de la Constitution et du War Powers Act .
L' article 11 de le traité de l' Atlantique Nord
répond à cette interrogation en consacrant le droit national des Etats :
l' application du traité doit être conforme aux " règles
constitutionnelles " des Etats parties, ce qui, de fait, confère un
pouvoir au Congrès dans l' éventualité d' une guerre menée au nom de l'
OTAN . Le War Powers Act précise également les conditions d' engagement
des forces armées des Etats-Unis par rapport à les traités
internationaux ou conventions .
Ainsi, destinée à empêcher le recours à un traité (
ou à une loi Military Appropriations Act ou même à une résolution des
Nations unies ) pour autoriser l' engagement de troupes, la section 8 -
a prévoit qu' aucune intervention militaire ne peut être fondée sur la
base de un traité - antérieur ou postérieur à 1973 - à moins que une
clause spécifique ne l' y autorise expressément .
Néanmoins, la section 8 - b précise que les
Etats-Unis peuvent participer - sans autorisation spécifique -,
conjointement à un ou plusieurs alliés, aux opérations militaires de
haut niveau décidées par les états-majors ( " in the headquarters
operations of high-leve
Le 11 août 1992, soit encore sous l' Administration
Bush, le Sénat vota la résolution S.Res . 330, incitant le président à
travailler à une résolution du Conseil de sécurité pour faciliter l'
aide humanitaire à Sarajevo, mais précisant qu' aucune force militaire
ne saurait être introduite sans objectif clair et précis .
De son côté, la Chambre des représentants votait la
résolution H.Res . 554, qui incitait le Conseil de sécurité à prendre
des mesures pour permettre l' assistance humanitaire, y compris le
recours à la force .
Le lendemain, le Conseil de sécurité votait la
résolution 770, appelant les Etats membres à prendre " toutes les
mesures nécessaires " pour faciliter l' acheminement de l' aide à
Sarajevo .
Le 28 février 1993, les Etats-Unis commencèrent à
délivrer de l' aide humanitaire par avion, et, à partir de le 12 avril,
en application de la résolution du 31 mars ( autorisant les Etats
membres à prendre toutes les mesures nécessaires pour imposer l'
interdiction de survol militaire de la Bosnie ), ils effectuèrent des
actions aériennes dans le cadre de l' OTAN . Celles -ci étaient
destinées à imposer à la fois les sanctions et le respect de la zone de
non vol ( no-fly zone ) au dessus de la Bosnie .
Au lieu de l' annoncer avant les opérations, ce n'
est que le lendemain que le président rendit compte de la conformité au
War Powers Act de la participation des Etats-Unis .
De même, alors que le secrétaire d' Etat Waren
Christopher annonçait, l' envoi d' un effectif de 300 soldats en renfort
d' une mission de maintien de la paix en Macédoine , en application de
la résolution 795 de le Conseil de sécurité ( votée en 1992 et destinée
à éviter l' extension de la crise bosniaque à les pays voisins ce n' est
qu' un mois plus tard ( le 9 juillet ) que le président déclara cette
action conforme au War Powers Act .
Dans la perspective d' un accord de paix, la
Maison-Blanche envisagea de fournir la moitié des forces de l' OTAN ( 25
000 hommes sur 50 000 ) .
Certains parlementaires comme le sénateur Robert
Dole ( leader de l' opposition ) ont alors exigé l' approbation du
Congrès avant tout autre déploiement en Bosnie, ce qui poussa l'
assistant du secrétaire d' Etat, Stephen Oxman, à garantir que l'
Administration n' agirait pas sans le soutien des parlementaires en cas
de mise en oeuvre de l' éventuel accord de paix .
Afin de formaliser cet engagement, le Congrès vota
une disposition introduite par les sénateurs Dole et Mitchell, qui
stipulait que les fonds destinés à financer la participation de troupes
américaines pour assurer l' accord de paix ne seraient pas alloués sans
autorisation préalable du Capitole .
Alors que le conflit bosniaque perdurait et que le
président continuait de rendre compte des opérations seulement après que
celles -ci avaient été engagées, la contestation parlementaire réclamant
une plus grande implication de le Congrès s' intensifia, en particulier
au Sénat .
Ainsi, le 12 mai, les sénateurs acceptèrent à une
voix de majorité les amendements proposés respectivement par Robert Dole
( approuvant la mission de la Force de protection des Nations unies (
FORPRONU ) ) et George Mitchell ( stipulant, entre autres, que les
Etats-Unis ne pouvaient envoyer de soldats au sol sans l' accord du
Congrès ) .
Mais la Chambre des représentants ne suivit pas ce
vote, qui resta donc sans effet .
La section 8 100 de le Defense Appropriations Act
for FY 1995 ( P.L. 103 - 335 , signé le 30 septembre 1994 ) stipulait
que les fonds octroyés par la présente loi ne devaient pas financer le
déploiement des troupes chargées de mettre en oeuvre un accord de paix
en Bosnie, à moins que le Congrès ne l' autorisât .
Fin 1995, le débat sur les pouvoirs de guerre fit un
retour sur le devant de la scène, après la décision présidentielle d'
envoyer 20 000 hommes en Bosnie dans le cadre de une mission de maintien
de la paix de l' OTAN . Le Congrès vota nombre de projets de loi et de
résolutions, notamment trois dans chaque Chambre pour le seul mois de
décembre, mais ni le Sénat ni la Chambre ne parvinrent à se mettre d'
accord sur les mesures à prendre .
Cette absence de consensus permit au président de
fournir l' année suivante ( décembre 1996 ) des troupes au sol ( 8 500
hommes ) pour participer à la Force de stabilisation ( Stabilization
Force, SFOR . A nouveau, ce manque de clarté s' expliquait en grande
partie par l' opposition de certains élus démocrates ( dont Joseph
Lieberman et Joseph Biden ) aux propositions de l' Administration,
tandis que les Républicains y étaient plutôt favorables .
En fait, les élus conservateurs pouvaient
difficilement reprocher au président sa détermination après avoir
longuement critiqué ses prises de position trop hésitantes .
Ce fut le cas de Robert Dole, futur candidat
républicain à l' élection présidentielle de 1996, qui ne put que rester
silencieux sur cette question, sous peine de se contredire .
Devant cette absence de débat partisan au Sénat, ce
furent des élus républicains réputés plus modérés qui émirent des
réserves, notamment John McCain, John Warner et William Cohen .
Le dernier acte se joua le 18 mars 1998, quand le
Congrès rejeta à une majorité de 225 voix contre 193 la
contre-résolution ( H.Con.Res 227, introduite par le républicain Tom
Campbell ) visant à retirer les troupes américaines de Bosnie .
Ce vote serré illustrait nettement la gronde des
parlementaires, peu disposés à voir le conflit s' intensifier et qui
étaient prêts à contraindre Bill Clinton à aller à l'encontre de ses
engagements .
Cette situation marqua incontestablement un tournant
dans la relation entre le Législatif et l' Exécutif en matière de
pouvoirs de guerre, la Maison-Blanche se trouvant prise entre des
engagements internationaux et des contraintes de politique intérieure
.
La campagne du Kosovo
Avec l' intervention des Etats-Unis au Kosovo, le
débat sur les pouvoirs de guerre franchit une nouvelle étape, certains
parlementaires allant même jusqu' à recourir à la justice pour mettre le
président en accusation .
Est -il nécessaire de rappeler ici que cette
nouvelle crise dans les Balkans prit place au moment de l' affaire
Monica Lewinski, à l'occasion de laquelle le président Clinton fut la
cible des parlementaires conservateurs, y compris dans le camp démocrate
Cette affaire intervenait donc au plus mauvais
moment pour un président déjà soumis à de fortes pressions internes .
Cela n' empêcha pas certains parlementaires de lui
reprocher d' utiliser des considérations de politique étrangère pour
détourner l' attention des questions de politique intérieure auxquelles
il était confronté .
La controverse sur l' action au Kosovo s' amplifia
le 26 mars 1999, lorsque Bill Clinton annonça que des frappes aériennes
menées avec les alliés contre le gouvernement yougoslave avaient
commencé deux jours plus tôt .
Les parlementaires se montrèrent très partagés,
refusant de désapprouver comme de soutenir la politique du président, ce
qui eut pour effet d' affaiblir leur action .
Ainsi, le 28 avril, si la Chambre des représentants
se mit d' accord pour refuser de financer l' envoi de troupes au sol à
moins de obtenir une autorisation spécifique ( H.R 1569 ), elle ne
trouva pas de consensus sur les propositions de loi proposant le retrait
des troupes des opérations engagées ( H. Con.Res.82 ) ou une déclaration
de guerre contre l' Etat yougoslave ( H.J.Res . 44 ) .
Le même jour, la Chambre des représentants rejeta -
lors de un vote exceptionnellement partagé ( 213 voix contre 213 ) - la
résolution introduite par le Sénat, le 23 mars ( S. con.Res.21 ), qui
soutenait les frappes militaires aériennes contre la Yougoslavie .
Deux jours plus tard, une petite fraction du Congrès
entreprit d' intenter une action en justice contre le président .
Sous la férule de Tom Campbell ( républicain,
Californie ), 17 parlementaires saisirent ainsi la Cour fédérale du
district de Columbia pour réclamer que Bill Clinton obtienne l' accord
du Congrès avant de continuer la guerre aérienne ou d' entreprendre
d'autres opérations militaires en Yougoslavie .
Devant l' incapacité de s' accorder sur le principe
de mesures bilatérales bloquant les opérations, ces parlementaires
avaient décidé de porter devant la justice du pays la décision du
président et de l' Administration .
Le seul point sur lequel les parlementaires étaient
clairs concernait le soutien aux forces armées et le 20 mai, date à
laquelle le Congrès soumit à la signature présidentielle le projet de
loi de finances supplémentaires d'urgence ( H.R. 1141 ) accordant des
milliards pour financer l' opération au Kosovo, on s' attendit à une
accalmie .
Mais, le 25, comme cela faisait 60 jours que le
président avait rendu compte à le Congrès de les opérations militaires
menées à le Kosovo , les parlementaires qui contestaient l' action
présidentielle ( le groupe de les 18 ) signalèrent à la Cour que son
comportement constituait une violation patente de l' esprit du War
Powers Act .
En effet, celui -ci autorise le retrait des forces
du champ de bataille au bout de 60 jours si le Congrès, dans ce laps de
temps, n' a pas autorisé la poursuite des actions ou si le président n'
a pas réclamé un délai supplémentaire de 30 jours .
Or le président n' avait pas cherché à obtenir ce
délai supplémentaire, faisant valoir que le War Powers Act était
constitutionnellement défaillant ( defective ) .
Cependant, le 8 juin 1999, arguant du manque de
fondement légal de la plainte, le juge du district fédéral Paul L.
Friedman rejeta l' accusation selon laquelle le président avait violé le
War Powers Act ou la Constitution dans la conduite des opérations
militaires en Yougoslavie .
Loin de s' arrêter là, l' affaire prit une ampleur
considérable .
Après avoir fait appel devant la Cour compétente (
celle du district de Columbia ), qui accepta de recevoir l' appel mais
confirma, confirma, le 18 février 2000, la décision de la cour
précédente, Tom Campbell et 30 autres parlementaires saisirent la Cour
suprême des Etats-Unis, le 18 mai .
Celle -ci mit définitivement fin à l' affaire en
refusant, le 2 octobre, de s' en saisir .
Les autres crises majeures sous Bill Clinton
La Somalie
L' autre dossier important concernant les forces
engagées en 1993 est la Somalie .
Là encore, plusieurs parlementaires se sont demandés
s' il était dans l' intérêt du pays d' envoyer des troupes sur place, et
surtout de maintenir une présence militaire dans la région, notamment
après le cuisant échec de l' opération commando lancée sur Mogadiscio,
qui entraîna la mort de 18 soldats américains .
Le représentant Benjamin Gilman ( républicain , New
York ) estimait que les " forces armées ( des Etats-Unis ) devaient
rentrer à la maison le plus rapidement possible et être remplacées par
des troupes des Nations unies provenant d'autres pays, afin de remplir
la mission prévue initialement : nourrir ceux qui ont faim " .
Pour sa part, le sénateur Clairborne Pell (
démocrate , Rhode Island ), qui souhaitait collaborer davantage avec l'
Administration , menaçait celle -ci de mettre en avant les prérogatives
définies par la Constitution si elle se refusait à consulter le Congrès
: " Laissez -nous travailler main dans la main avec l' Administration
afin de trouver une alternative viable à cette politique malmenée de
toutes parts . " Le cas somalien a conduit les parlementaires à débattre
d' une autre question relative aux pouvoirs de guerre : celle de savoir
à partir de quand l' assistance hum
Dès la fin novembre 1992, le président avait proposé
l' envoi de troupes pour permettre l' acheminement de l' aide
humanitaire en Somalie ; le 3 décembre, cette proposition fut accueillie
avec joie par le Conseil de sécurité, qui vota la résolution 794
autorisant le recours à tous les moyens nécessaires pour y rétablir une
situation propice à l' assistance humanitaire .
Mais, c' est avec la montée des violences dans ce
pays ( assassinats de soldats de l' ONU, incluant des Américains ), et
surtout après le fiasco de l' opération commando lancée contre le
général Aidid, que les interrogations au Congrès prirent de l' ampleur .
Ainsi, en septembre 1993, le Congrès adoptait
plusieurs amendements au Defense Authorization Act for FY 1994 .
Ils réclamaient que le président, avant le 15
octobre 1993, consulte le Congrès sur sa politique en Somalie, notamment
sur les objectifs de la mission confiée aux Etats-Unis, et précisaient
qu' il devait obtenir son autorisation pour la poursuite du déploiement
des forces .
Le président se conforma à ces décisions en
consultant, le 7 octobre, les représentants des deux parties sur la
question somalienne pendant près de deux heures et en envoyant la
semaine suivante ( le 13 octobre ) un rapport de 33 pages au Congrès sur
les objectifs de la mission en Somalie .
Le même jour, Bill Clinton déclara le retrait de la
plupart des troupes avant le 31 mars 1994 ; le Defense Appropriations
Act for FY 1994 y apporta une garantie en mettant fin au financement des
opérations à compter de cette date, sous réserve que le président n'
obtînt pas de nouvelle autorisation du Congrès .
Le Congrès approuva l' emploi de forces militaires
en Somalie dans un souci d' aide humanitaire et surtout afin de assurer
la protection du personnel et des bases américaines .
Aussi cette autorisation fut -elle assortie de la
condition sine qua non que les forces de combat des Etats-Unis restent
sous le contrôle du commandement américain, sous la stricte autorité du
président .
Auparavant, quelques parlementaires avaient estimé
que, si le Congrès ne permettait pas aux troupes de rester, elles
devraient se retirer dans un délai de 60 à 90 jours .
Mais le département d' Etat affirma que l'
autorisation du Congrès, si elle était bienvenue, n' était pas
nécessaire dans ce cas précis .
Le 21 juillet 1993, le secrétaire adjoint Wendy
Sherman répondit à une lettre envoyée conjointement par Benjamin Gilman
et Jesse Helmes ( membres des commissions des Affaires étrangères
respectivement de la Chambre des représentants et du Sénat ) qu' aucune
Administration n' avait jamais considéré que des engagements militaires
intermittents pussent être interrompus au motif de la section 5 - b et
que, selon l' Administration, le War Powers Act ne s' appliquait qu' aux
engagements prolongés .
Le 4 août 1993, Benjamin Gilman déclarait que l' on
devrait se souvenir de cette date comme de celle de la mort du War
Powers Act, car les troupes n' avaient pas été retirées alors que des
combats avaient éclaté le 5 juin et que le Congrès avait décidé de se
détourner de l' affaire .
Le 22 octobre 1993, le même Benjamin Gilman présenta
la résolution H. Con.Res.170 ordonnant au président, conformément à la
section 5 - c du War Powers Act, de retirer les troupes de Somalie avant
le 31 janvier 1994, proposition qui fut adoptée par la Chambre des
représentants, laquelle repoussa la date butoir au 31 mars 1994 ; mais
le Sénat s' abstint de se prononcer sur cette mesure, qui resta, de
fait, non contraignante .
Toutefois, le Defense Appropriations Act for FY 1995
( P.L. 103 - 335 , signé le 30 septembre 1994 ) interdisait le
financement d' une présence militaire en Somalie au-delà de le 30
septembre 1994, sauf pour protéger le personnel américain .
En conséquence, le 4 novembre 1994, le Conseil de
sécurité décida de mettre fin à la mission des Nations unies en Somalie
avant le 31 mars 1995, et les forces américaines achevèrent leur mission
d' évacuation des troupes de l' ONU le 3 mars .
Une fois de plus, ce fut donc l' arme du budget qui
vint à bout de la détermination du président Bill Clinton et l' obligea
à se plier aux exigences du Congrès .
L' intervention en Haïti
Les propositions d' intervention en Haïti, fin 1993
et surtout en 1994 , furent à nouveau accueillies avec scepticisme par
les parlementaires républicains, qui se montrent souvent réticents à l'
envoi de troupes sur des théâtres extérieurs quand les intérêts vitaux
des Etats-Unis ne sont pas directement menacés .
Pour le représentant Douglas Bereuter ( républicain,
Nebraska ), une invasion mal définie, impopulaire et unilatérale ferait
de la politique étrangère de Clinton non plus un simple mal de tête,
mais une véritable migraine " .
Le sénateur Strom Thurmond ( républicain ,
Caroline-du-Sud ) estimait pour sa part que, " même si la situation en
Haïti intéresse les Etats-Unis, elle ne présente aucune nécessité
stratégique, aucune urgence nationale, aucune menace militaire ou
économique pour Washington ou pour le monde .
Nos intérêts se portent sur le traitement
humanitaire du peuple haïtien et la promotion de la démocratie dans
cette partie du globe .
Aussi pourquoi la plus puissante nation de la
planète irait -elle envahir cette petite nation insulaire ? " Bill
Clinton entreprit l' opération en Haïti ( qui prévoyait au départ l'
envoi d' une mission de négociation pour assurer le départ de la junte
militaire, tout en ordonnant aux troupes de se préparer à une invasion
si nécessaire ) sans l' aval du Congrès, ce qui lui valut de nombreuses
critiques .
Celles -ci conduisirent, en octobre 1994, au vote de
la résolution S.J.Res . 229 ( P.L. 1032 - 423 ), stipulant que le
président aurait dû demander l' autorisation du Congrès avant le
déploiement et ordonnant le retrait des troupes le plus rapidement
possible .
Le 20 octobre 1993, la décision d' appliquer l'
embargo, décrété le 3 juillet par le Conseil de sécurité conformément à
le War Powers Act , entraîna le mécontentement de membres du Congrès qui
se plaignaient de ne pas avoir été consultés au préalable .
Cette affaire intervenait deux jours après la
proposition du sénateur Robert Dole d' amender le Defense Appropriation
Bill ( H.R. 3116 ) de façon à requérir l' autorisation du Congrès pour
tout déploiement militaire, naval ou aérien, en Haïti, à moins que le
président n' ait au préalable émis des garanties ( certifications ) .
Après des négociations entre membres de l'
Administration et du Congrès, l' amendement concrétisé par la section 8
147 ( de la P.L. 103 - 139 ) mentionna que le Congrès ne financerait pas
d' opérations militaires en Haïti à moins que celles -ci ne soient ( 1 )
approuvées préalablement par le Congrès, ( 2 ) nécessaires à la
protection ou à l' évacuation de citoyens américains, ( 3 ) la réponse à
un cas d'urgence nationale, ou ( 4 ) que le président fixe auparavant
certains critères au déploiement .
Alors que l' embargo se durcissait ( notamment avec
la résolution 917 du Conseil de sécurité ), que les pressions sur Haïti
augmentaient et que la situation dans le pays se dégradait, Bill Clinton
déclara ne pas exclure faire usage de la force .
Beaucoup de parlementaires continuaient à affirmer
que l' autorisation du Congrès était nécessaire en cas de invasion .
Le 24 mai 1994, la Chambre des représentants adopta
un amendement au Defense Authorization Bill ( H.R. 4301 ), selon lequel
toute action militaire contre Haïti devrait être justifiée, dans une
déclaration du président au Congrès, par la nécessité de protéger les
citoyens ou intérêts américain .
Mais, le 9 juin, cet amendement fut renversé par un
nouveau vote de la Chambre des représentants ( 226 contre 195 ), et le
Sénat rejeta à deux reprises une mesure exigeant l' autorisation du
Congrès préalablement à toute action militaire des Etats-Unis .
Par la résolution 940, souhaitée par Bill Clinton,
le Conseil de sécurité de l' ONU autorisa alors qu' une force
multinationale pût utiliser tous les moyens nécessaires pour rétablir l'
ordre en Haïti, ce qui permettait l' intervention .
Le président, conscient que le soutien de les
parlementaires ne lui était acquis pas , préférait s' en remettre aux
Nations unies .
Le 3 août, le Sénat adopta, à l' unanimité, un
amendement au Department of Veterans Appropriation ( H.R. 4624 ), selon
lequel la résolution du Conseil de sécurité ne constituait pas une
autorisation pour le déploiement de forces militaires en Haïti en vertu
de la Constitution ou du War Powers Act .
Mais cet amendement ne fut finalement pas retenu en
commission .
Le même jour, le président Bill Clinton déclara qu'
il serait heureux d' avoir le soutien du Congrès, mais que celui -ci n'
était pas nécessaire dès lors qu' il agissait sous couvert d' un mandat
international .
Le 19 septembre, la Chambre des représentants
accepta la résolution H. Con.Res.290, qu prônait le retrait des forces
américaines d' Haïti le plus tôt possible, tandis que le Sénat votait
une mesure similaire ( S.Res . 259 ) .
Le 3 octobre, la commission des Affaires étrangères
de la Chambre rendait compte de la résolution H.J.Res . 416 autorisant
l' emploi des forces en Haïti jusqu' au 1er mars 1995 .
Cette résolution - qui reconnaissait que le
président aurait dû avertir le Congrès avant l' envoi de troupes ,
soutenait le retrait rapide de les forces et exigeait un rapport mensuel
sur la situation en Haïti - trouva un écho favorable au Sénat ( avec la
résolution S.J.Res . 229 du 6 octobre ) .
Elle fut votée par la Chambre des représentants le 7
octobre ( S.J.Res . 229 ) et signée par le président le 25 ( P.L. 103 -
423 ) .
Ainsi, dès le retour du président Aristide, le 15
octobre 1994, les Etats-Unis commencèrent à rapatrier leurs troupes, si
bien que à la mi-avril 1996, il n' en restait qu' une partie ( une unité
de soutien de 300 à 500 hommes ) pour mener à bien des opérations de
reconstruction .
Le 17 décembre 1997, le président Clinton ordonna au
département de la Défense de maintenir des centaines de soldats pour un
temps indéfini en Haïti .
Mais, deux ans plus tard ( en septembre 1999 ), le
Congrès vota le FY 2000 DOD Authorization Bill ( P.L. 106 - 65 ), qui ne
permettait plus au Pentagone d' y maintenir une présence militaire
au-delà de le 31 mai 2000 .
Aussi les troupes furent -elles retirées, cette fois
de façon définitive .
L' approche commune des deux Chambres du Congrès à
propos de Haïti se réduisit finalement à demander au président des
rapports détaillés sur la mission des forces envoyées sur place .
Cette attitude frustra longtemps les défenseurs des
prérogatives du Congrès en matière de politique étrangère, qui
considéraient que son action était devenue insignifiante et sans mesure
avec son rôle réel .
Le rôle croissant des commissions
Au-delà de les considérations politiques que nous avons
étudiées, la montée en puissance du Congrès au cours de ces dernières années
s' explique par la généralisation des travaux d' experts émanant des deux
Chambres : auditions de spécialistes, rapports de grande qualité, débats sur
tous les thèmes de la politique du pays .
Comme l' explique Justin Vaïsse, au Capitole " une
bureaucratie de 35 000 fonctionnaires travaille pour les parlementaires, lui
apportant l' expertise et l' information nécessaire à sa remontée en
puissance " .
Ces spécialistes officient pour les commissions, chacune
ayant une tâche clairement définie, et apportent à leurs membres tous les
informations leur permettant de prendre des initiatives, en étant souvent
mieux renseignés que les membres de l' Administration .
En effet, la spécialisation des commissions leur apporte
une grande crédibilité, surtout si on la compare avec celle des ministères,
qui doivent se pencher sur plusieurs questions et demeurent des "
généralistes " .
En participant à ces commissions, les membres du Congrès
deviennent ainsi de véritables experts dans certains domaines, en
particulier lorsqu' ils restent plusieurs années à leur tête, comme c' est
le cas au Sénat .
En ce qui concerne la politique étrangère, certains
observateurs faisaient remarquer, il y a quelques années, que les membres du
Congrès n' avaient pas les compétences nécessaires et prenaient des
initiatives qui n' étaient pas de leur ressort .
C' est au cours de les années 1990 que cette tendance s'
est inversée ; et si, pendant longtemps, l' Administration a fait autorité
en la matière, les commissions ont maintenant gagné en respectabilité,
illustrant le retour du Congrès sur le devant de la scène .
Aujourd'hui, en politique étrangère comme dans d'autres
domaines, les commissions sont au coeur du Congrès, là où, autour de un
groupe restreint d' experts, toutes les options sont discutées et les
décisions prises .
Placées au centre de la vie politique des Etats-Unis,
elles se dégagent remarquablement des querelles partisanes qui divisent le
Capitole et s' imposent comme un forum d' idées diverses .
En instaurant un dialogue bipartisan, elles apportent un
nouveau souffle au pouvoir législatif, qui en sort renforcé .
Par contraste, les deux Chambres sont restées des
assemblées inefficaces, déchirées par les luttes de partis, et souvent
incapables d' apporter des solutions concrètes .
L' évolution des commissions
La création des commissions remonte aux origines de
la démocratie aux Etats-Unis ; mais leur composition, leur
fonctionnement et leur importance ont considérablement évolué .
A l'origine, le nombre de parlementaires était
limité ; leur implication dans les commissions n' était que temporaire
et variait selon les besoins et les circonstances .
Instruments du pouvoir législatif, les commissions
servaient alors à renforcer l' autorité des membres du Congrès .
La Chambre des représentants, qui compte un nombre
plus important de parlementaires , a développé des commissions plus tôt
que le Sénat, si bien que en 1810, dix commissions aidaient déjà les
représentants dans leur travail .
En 1816, le Sénat a rattrapé son retard, éliminant
les commissions ad hoc au profit de structures permanentes .
Dès lors, l' importance des commissions s' est
accrue, et elles se sont peu à peu imposées comme une composante
indispensable du Congrès .
Pendant tout le XIXe siècle, leur nombre était
relativement important, puis il s' est réduit de façon sensible pour en
faciliter le fonctionnement .
Aujourd'hui, la Chambre compte 19 commissions, et le
Sénat, 17 .
Celles -ci directement rattachées à d'autres
commissions, avec lesquelles elles partagent une partie des membres, qui
divisent les tâches pour mieux traiter les différentes questions .
Les commissions dévolues à la politique étrangère
sont, dans les deux Chambres, celles des Forces armées, des Affaires
internationales et, accessoirement, pour le vote du budget, celle des
Finances .
Tous les experts ès relations internationales s' y
trouvent réunis, assurent le relais avec les médias, rédigent des
rapports d' information, s' entourent de spécialistes indépendants et
auditionnent les autorités militaires et les représentants de l'
Exécutif sur ces questions .
Plus encore au Sénat qu' à la Chambre, ces
commissions sont devenues un examen de passage obligatoire pour toutes
les initiatives de la Maison-Blanche .
La présidence de chaque commission est assurée par
le doyen du parti majoritaire, qui s' affirme comme le personnage
principal, usant de son influence pour contester les initiatives
présidentielles et orienter les débats de sa commission .
Si les autres membres, par la pertinence de leurs
travaux, leur expertise sur certaines questions ou les nouvelles idées
qu' ils apportent , généralement par le biais de les sous-commissions ,
peuvent s' imposer, c' est en général le président qui occupe le devant
de la scène et devient l' intermédiaire incontournable entre la
commission et le reste de la vie parlementaire .
Le parti minoritaire dispose d' un représentant qui
se fait l' écho des membres de son parti .
Dans un système partisan, ce représentant ne peut
qu' exprimer des opinions contraires à celles du président, qui ne sont
généralement pas retenues .
Cependant, avec l' accroissement du nombre d'
initiatives bipartisanes, il est devenu, en quelque sorte, le bras droit
du président et soutient parfois les initiatives de l' Exécutif en leur
apportant l' approbation de la minorité .
Ce personnage a donc pris, au fil de les années, un
rôle de plus en plus important dans le fonctionnement des commissions
.
Les limites des commissions
Parmi les principaux problèmes posés par le système
des commissions, l' âge des présidents est sans doute l'un des plus
sensibles .
En effet, la présidence de chaque commission est
assurée par le doyen de la majorité parlementaire à la Chambre ( nous
verrons dans quelle mesure ce système a évolué à la Chambre des
représentants ), ce qui a l' avantage de placer des experts aguerris à
la tête des commissions mais le désagrément de les y installer pour de
nombreuses années .
L' autre conséquence de ce système est l' inéquité
de la répartition géographique des présidents de commission .
Si la Chambre est à peu près équitable, le Sénat
offre quant à lui deux postes pour chaque Etat, ce qui n' est
représentatif ni de la population, ni de l' importance de l' Etat .
Jusqu' à 2001, les deux sénateurs du Delaware, un
Etat pourtant minuscule , étaient William Roth et Joseph Biden .
L' un était président de la commission des Finances
( aujourd'hui à la retraite ), l' autre le chef de file des Démocrates à
la commission des Affaires internationales ( dont il fut président de
juin 2001 à janvier 2003 ) .
L' âge des présidents des commissions peut également
s' avérer néfaste pour le parti dont ils sont issus .
En effet, après un grand nombre d' années passées à
la tête de commissions où ils ont réussi à s' imposer comme de
véritables piliers du Congrès, les présidents des commissions les plus
importantes négligent volontiers le jeu des partis .
Cela a pour effet de réduire encore davantage l'
importance des querelles partisanes, mais aussi de créer des pôles
autour de ces hommes d' influence, qui imposent leurs idées sans que
leur parti puisse les contrôler .
C' est ainsi que des initiatives, en totale
contradiction avec les recommandations des partis, sont parfois prises
au sein de les commissions sous l'impulsion de leur président, ce qui
peut bouleverser les orientations du Congrès .
Le débat politique aux Etats-Unis s' en trouve plus
difficilement prévisible .
Le système actuel de le Congrès met en avant à la
fois certaines personnalités et les commissions concernées par les
débats de politique étrangère .
La représentativité des parlementaires fait leur
force, mais elle ne profite malheureusement pas toujours aux intérêts de
la nation .
En effet, les revendications de l' électorat ne sont
pas du tout les mêmes selon les Etats et les membres du Congrès, en
reprenant ces opinions de façon trop systématique, s' éloignent souvent
considérablement des considérations nationales, les abandonnant à l'
Administration .
Selon Stanley Sloan, Mary Locke et Casimir Yost ,
plutôt que de juger le président sur ses ambitions de fédérer l'
ensemble de les idées exprimées par le pays , les parlementaires
devraient s' efforcer, eux aussi, de respecter des standards sur les
questions extérieures, afin de ne pas prendre de directions trop
opposées .
En effet, une trop grande disparité des opinions à
le Congrès diminue l' influence du pouvoir législatif en matière de
politique étrangère et réduit le crédit des élus, experts en relations
internationales mais insensibles aux vrais enjeux et qui se contentent
trop souvent de ne répondre qu' aux considérations purement électorales
.
Sans pour autant s' éloigner de leurs fiefs
électoraux, les membres du Congrès devraient donc prêter plus d'
attention aux affaires étrangères avant de juger les options choisies
par la Maison-Blanche .
Vers un Congrès bipartisan ?
La généralisation des initiatives bipartisanes a eu
comme effet immédiat de bloquer les initiatives présidentielles plus
facilement encore que par le passé .
Le poids des résolutions proposées à la fois par des
Républicains et des Démocrates leur permet de bénéficier d' une certaine
crédibilité et de s' imposer .
Cependant, avec des groupes d' observation composés
de parlementaires de différentes tendances et faisant appel à des
experts indépendants, les commissions peuvent proposer des solutions en
toute objectivité, qui ne heurtent pas systématiquement la
Maison-Blanche, mais viennent au contraire apporter des éclaircissements
ou des critiques constructives sur les options de l' Administration .
En outre, il est manifeste que les plus grands
succès du Congrès au cours de ces dernières années ont été le fait d'
initiatives bipartisanes, qui sont devenues un instrument essentiel du
pouvoir législatif .
En se rapprochant des ministères, et donc de l'
Administration, les opinions exprimées par les initiatives bipartisanes
consolident la politique étrangère du pays, en proposant une meilleure
communication entre les deux pouvoirs, essentielle pour mieux répondre
aux impératifs extérieurs .
Il semble ainsi avéré que le rapprochement avec le
département d' Etat, le secrétariat à la Défense et le National Security
Council, sous forme de un partenariat entre parlementaires de diverses
tendances, sont les conditions par lesquelles le Congrès retrouvera sa
crédibilité en matière de politique étrangère .
Mais une telle perspective demande des efforts aussi
bien de la part de le Congrès que de l' Administration .
La généralisation des initiatives bipartisanes a
pour effet bénéfique de faire évoluer le débat entre le Capitole et la
Maison-Blanche vers un plus grand partenariat, qui défend en priorité
les intérêts du pays .
Il s' agit, pour le président, d' un moyen de s'
assurer dans certains cas le support des membres du Congrès, comme ce
fut le cas lors de la crise du Kosovo .
En effet, malgré la majorité républicaine dans les
deux Chambres, le Sénat et la Chambre des représentants ont voté en
faveur de l' intervention, laissant de côté les querelles de parti .
Cependant, il peut également s' agir d' une arme à
double tranchant pour le chef de l' Exécutif, car les résolutions
partisanes, du fait de leur autorité et de la représentativité qu' elles
assurent aux opinions du Congrès, sont difficilement discutables et
doivent être prises en compte pour définir les orientations de la
politique étrangère .
L' autorité du Congrès, sa crédibilité et son
influence sur la Maison-Blanche sont sensiblement renforcées par les
initiatives bipartisanes, qui illustrent parfaitement la montée en
puissance du pouvoir législatif ainsi que la nécessité de trouver un
dialogue entre les deux pouvoirs, en vue de définir une politique
étrangère cohérente et représentative de l' opinion publique, comme ce
doit aussi être le cas pour les questions de politique intérieure .
Bill Clinton a éprouvé quelques difficultés à
établir ce dialogue avec ses opposants politiques, et ce, malgré son
habileté politique et la présence, lors de son second mandat, d' un
Républicain à la tête du Pentagone ( William Cohen ) .
Plus encore qu' à une querelle opposant Républicains
et Démocrates, les divergences de vues répondent donc davantage à des
logiques institutionnelles .
L' engagement militaire des Etats-Unis après le 11 septembre
2001
Fortement critiqué pendant les premiers mois de son mandat
pour son manque d' intérêt pour les questions internationales, George W. Bush se
retrouve, depuis le 11 septembre 2001, dans une situation qui semble totalement
à l' opposé de ce profil tant décrié .
C' est même lui qui se montre favorable aujourd'hui à un
renforcement de l' interventionnisme des Etats-Unis dans ce qu' il a appelé la "
croisade " antiterroriste, celle -ci s' étant accompagnée d' un certain nombre
de réformes et de mesures, toutes acceptées par le Congrès .
Il convient de distinguer ici les mesures qui ont été
adoptées pour renforcer la sécurité du territoire et les débats concernant l'
engagement des Etats-Unis sur des théâtres extérieurs .
Dans les deux cas, si l' on en croit les sondages, ces
décisions ont été largement soutenues par l' opinion publique et le Congrès s'
est montré à la fois bienveillant et incapable de contrer les initiatives de l'
Administration .
Toutefois, certains parlementaires n' ont pas manqué de
rappeler les limites, à la fois dans la durée et dans l' importance, des mesures
proposées, affirmant qu' ils ne soutiendraient pas de façon aveugle des réformes
en profondeur au nom de une " présidence impériale " retrouvée .
La sécurité intérieure
Les premières mesures qui ont été adoptées après les
attentats de New York et de Washington concernaient le renforcement de la
sécurité dans les aéroports et le traitement des étrangers sur le territoire
.
Elles ont marqué le début d' une campagne de plus grande
ampleur dont les orientations ne sont pas toutes connues, mais qui ont pour
objectif de renforcer la sécurité intérieure .
Les débats sur le recrutement d' agents fédéraux chargés
d' assurer la sécurité dans les aéroports , tel qu' il a été proposé à la
fin de le mois d' octobre 2001 , a rapidement divisé Républicains et
Démocrates à la Chambre des représentants, chacun profitant de l' occasion
pour défendre des valeurs partisanes .
Ainsi, ce sont surtout les Républicains, et parmi eux la
branche conservatrice, qui se sont montrés les plus hostiles au fait que la
" bureaucratie fédérale " ( c' est ainsi que ils la nomment ) était appelée
à se substituer aux entreprises privées chargées de la sécurité des
compagnies aériennes .
Ils estimaient que cette proposition accroissait le rôle
des pouvoirs publics, comme le souhaitaient les Démocrates, mais
reconnaissaient la nécessité de renforcer la sécurité .
John Warner ( républicain , Virginie ) a noté à ce
propos que cette mesure pourrait être effective pendant trois ans, mais qu'
ensuite les compagnies aériennes devraient pouvoir de nouveau faire appel à
des agences de sécurité privées .
Les Démocrates se sont montrés favorables à cette
mesure, tout en déplorant qu' elle s' accompagne de certaines restrictions
en matière de droit du travail, puisque les employés n' ont pas le droit de
grève et peuvent être licenciés s' ils n' accomplissent pas efficacement
leur travail .
En accord sur le principe du renforcement de la sécurité
aérienne, Démocrates et Républicains se sont opposés sur la façon de le
mettre en place, les uns voulant faire appel à des agents fédéraux, les
autres demandant un accroissement de l' aide aux compagnies privées .
Les propositions de l' Administration en matière de
sécurité dans les aéroports ont ainsi eu pour effet de diviser les membres
du Congrès, et les deux Chambres n' ont pu s' opposer de façon efficace (
car bipartisane ) au pouvoir exécutif, quand bien même elles l' auraient
souhaité .
En conséquence, nous assistons aujourd'hui à une
remontée en puissance du pouvoir fédéral sur les questions intérieures,
comparable à ce qui s' était produit entre 1917 et 1980, avant deux
décennies de stagnation .
Certains considèrent même que le 11 septembre marque le
début d' une nouvelle ère de l' Etat fédéral dont les prérogatives
continueront nécessairement de s' accroître dans les prochaines années
.
Depuis le 11 septembre, les problèmes de sécurité
intérieure sont étroitement liés aux questions de politique étrangère .
Le 26 novembre 2001, à l'occasion de une réception
donnée à la Maison-Blanche en l'honneur de la libération des deux
Américaines détenues à Kaboul, George W. Bush a souligné la volonté des
Etats-Unis de lutter contre le terrorisme dans le monde entier : " L'
Afghanistan ne constitue que le début .
Quiconque abrite un terroriste est lui -même un
terroriste .
Quiconque aide financièrement un terroriste est un
terroriste .
Quiconque met au point de les armes de destruction
massive destinées à terroriser des Etats devra rendre des comptes . " Le 3
octobre 2001, dans le cadre de la coordination des moyens de lutte
antiterroriste, le sénateur républicain du Maine, Olympia Snowe, a proposé
un texte relatif à la participation de toutes les ambassades des Etats-Unis
à la détection des groupes terroristes, par le biais de commissions
spécialisées dans chaque ambassade .
Jesse Helmes ( républicain , Caroline-du-Nord ) , ancien
président de la commission de les Affaires internationales de le Sénat , a
apporté son soutien à ce texte une semaine plus tard et il est à présent
placé sous l' autorité de ladite commission, présidée par Joseph Biden .
Par ailleurs, un projet de loi sur les visas accordés
aux étudiants étrangers a été proposé au Sénat, par des élus tant
républicains que démocrates, et apparaît à bien des égards comme moins
restrictif que ne le craignaient certains responsables universitaires .
Il prévoit entre autres choses que :
les universités accueillant 0 des étudiants
étrangers fournissent des renseignements apportant la preuve que ces
étudiants suivent réellement les cours ;
les universités communiquent l' adresse des
étudiants et toute information concernant leur scolarité .
A contrario, ce texte n' est ni restrictif en ce qui
concerne le nombre d' étudiants pouvant obtenir des visas, ni sélectif en ce
qui concerne leur origine .
Sur ces deux points, les parlementaires ont été
sensibles au fait que les étudiants étrangers constituent un atout pour les
universités du pays, répondant ainsi aux attentes des universitaires .
En effet, selon un rapport communiqué le 13 novembre
2001 par l' Institute of International Education, 547 867 étudiants
étrangers étaient inscrits dans une université aux Etats-Unis en 2000-2001,
13 % d' entre eux étant issus de pays à forte majorité musulmane .
Les campagnes sur les théâtres extérieurs
Depuis le 11 septembre 2001, fidèle à sa déclaration de
" guerre " contre le terrorisme, George W. Bush a entrepris de renforcer les
pouvoirs présidentiels en matière de politique étrangère, à un niveau
nettement plus important que ses prédécesseurs, y compris Franklin D.
Roosevelt .
Ces pouvoirs renforcés se justifient en temps de guerre,
comme le rappelait récemment Ari Fleischer .
Ainsi, les prérogatives du Congrès, élargies sous les
trois Administrations précédentes pour des raisons liées à l' environnement
international et à le cadre institutionnel , semblent s' être fortement
affaiblies .
Assumant pleinement son rôle de chef des armées, le
président s' est lancé dans une guerre contre un adversaire à sa mesure (
Al-Qaida ), mais aussi dans une bataille politique contre ceux qui n'
hésitent pas, au nom de la Constitution, à contester son autorité .
Concernant les questions de surveillance et de
renseignement, par exemple, l' Administration Bush a été critiquée par les
parlementaires, qui refusent de laisser l' Exécutif prendre des décisions
sans concertation de façon systématique, comme l' Attorney General John
Ashcroft le demandait, renforçant ainsi le pouvoir de la Maison-Blanche
.
Paradoxalement, c' est dans l' aile conservatrice des
Républicains que les critiques de la conduite des opérations en Afghanistan
se sont fait entendre, notamment en ce qui concerne les buts et le
financement de la campagne militaire .
Ce sont d'ailleurs souvent les Républicains qui
manifestent leur désaccord quand des pouvoirs de guerre trop importants sont
octroyés au chef de l' Exécutif .
A l' inverse, les Démocrates ont largement soutenu la
riposte armée contre le régime des Talibans, soupçonné d' apporter une aide
importante à Al-Qaida .
De même, les Démocrates ont accueilli favorablement les
initiatives diplomatiques de l' Administration .
De ce fait, la majorité sénatoriale voit d' un bon oeil
le rapprochement avec Moscou ( sur lequel les Républicains se montrent
beaucoup plus méfiants ), le dialogue avec Pékin et la concertation avec les
alliés, sans oublier les partenaires du monde arabo-musulman .
Ce renversement des rôles traduit le profond consensus
sur la nécessité de mener une lutte sur tous les fronts contre Al-Qaida
.
Les parlementaires du camp démocrate n' ont pas manqué
de rappeler que le président Bush, plutôt que de précipiter la riposte
contre des installations terroristes connues, a pu rassembler une coalition
internationale jetant les bases de la lutte antiterroriste, grâce notamment
aux initiatives de Colin Powell .
Les craintes de voir les Etats-Unis se lancer dans des
opérations à la hâte et sans concertation se sont révélées infondées dès
lors que la Maison-Blanche s' est engagée dans la lutte contre Al-Qaida en
faisant appel aux services de renseignement de plusieurs Etats .
Walter Russell Mead remarque sur ce point que le
multilatéralisme proposé par l' Administration Bush dans la riposte
militaire en Afghanistan et la lutte antiterroriste ne peut en aucun cas
être assimilé au wilsonisme .
Il s' agit plutôt d' un unilatéralisme suivi par des
Etats qui partagent les mêmes convictions ( Europe ), qui n' ont pas de
raison de critiquer l' attitude des Etats-Unis, ou qui pourraient en tirer
profit ( Russie et Chine ) .
Il est vrai qu' après le 11 septembre, la communauté
internationale a approuvé de façon générale les initiatives de Washington,
mais sans être invitée pour autant à en discuter la forme .
Au fur et à mesure que la campagne militaire en
Afghanistan a progressé, certains intellectuels démocrates ont cependant
dénoncé l' influence des " faucons " qui, au sein de l' Administration,
défendent les opérations militaires, particulièrement au Congrès, et le rôle
joué par les lobbies économiques dans la définition de la politique
étrangère .
Même en temps de guerre, selon eux, les intérêts
prennent le dessus sur le sentiment patriotique originel et l' argent
continue d' influencer les décisions politiques .
Par ailleurs, certains Démocrates, relayés en cela par
la presse , n' ont pas manqué de faire un rapprochement entre la riposte en
Afghanistan et la gestion de la crise du Kosovo par le président Clinton, en
1999 .
A cette époque, le gouverneur George W. Bush reprochait
à l' Administration de ne pas utiliser tous les moyens possibles pour
atteindre les objectifs fixés .
Or, Ivo Daalder et Michael O'Hanlon remarquent que le
nombre de sorties aériennes en Afghanistan est de très loin inférieur à
celui constaté au Kosovo .
De même, les objectifs politiques n' ont pas été
clairement définis, en dehors de ce que l' Administration a appelé la "
croisade " antiterroriste .
Dans une lettre adressée au président Bush, le 6
décembre 2001, le représentant Tammy Baldwin ( démocrate , Wisconsin )
estimait qu' il se sentait concerné, avec ses confrères, " par ceux qui
cherchaient, dans l' Administration et au Congrès, à étendre la campagne
militaire au-delà de l' Afghanistan ", considérant que " sans une
présentation claire et sans équivoque de la responsabilité d'autres nations
dans les attentats du 11 septembre, il était inapproprié d' étendre le
conflit " .
C' est pourquoi le soutien apporté à Bush par les
Démocrates a commencé à diminuer quand l' Administration a décidé d' aller
au-delà de la campagne antiterroriste en visant le régime irakien .
A l' inverse, les Républicains les plus conservateurs
ont revu leur jugement critique, considérant que la question irakienne, en
suspens depuis plus de 10 ans, pouvait enfin trouver une issue .
Le cas irakien
Après une restructuration en profondeur des mesures de
sécurité intérieure, l' Administration s' est lancée dans une campagne militaire
en Afghanistan et a annoncé très rapidement, après la fin des opérations en Asie
centrale, que la cible suivante de ce que le président Bush a appelé la " lutte
sans fin " serait l' Irak .
L' objectif, qui ralliait un large consensus dans les camps
tant républicain que démocrate , consistait à renverser le régime de Saddam
Hussein, même si d'autres arguments ont été mis en avant pour justifier un
déploiement militaire .
Malgré une vive opposition internationale, la guerre a été
déclenchée en mars 2003, sans l' aval des Nations unies, les Etats-Unis assumant
la quasi-intégralité des opérations militaires, soutenus par le Royaume-Uni et
l' Australie sur le terrain et par un total de 48 Etats favorables à la cause
défendue par la Maison-Blanche .
au Congrès, la perspective d' une campagne militaire à
grande échelle a définitivement tourné la page de l' union sacrée ", perceptible
après le 11 septembre 2001, et qui avait permis à la campagne afghane de se
dérouler sans encombre .
Une fois terminée cette période d' absence totale de débat
politique, les parlementaires ont repris leur rôle de contrepouvoir de l'
Exécutif, annonçant clairement qu' aucune campagne militaire en Irak ne pouvait
être décidée sans leur accord .
Ainsi, avant de convaincre la communauté internationale, l'
effort de l' Administration Bush a consisté à plaider le bien-fondé d' un
déploiement militaire devant les membres du Congrès .
Les arguments en faveur de une intervention militaire
Dans les semaines qui ont suivi les attentats du 11
septembre, tandis que se préparait l' offensive militaire contre le régime
des Talibans, l' Irak a été désigné comme la prochaine cible possible de la
" croisade " contre le terrorisme lancée par George W. Bush .
Le 20 septembre, celui -ci recevait une lettre ouverte
signée par plusieurs dizaines d' officiels, mettant l' accent sur la
nécessité de " châtier " Saddam Hussein afin de éradiquer les sources du
terrorisme international .
Les autorités sont depuis lors efforcées de rassembler
des éléments permettant d' établir un lien entre le régime de Saddam Hussein
et le terrorisme .
Ces éléments sont :
la tentative d' assassinat de l' ancien président
Bush, en 1993, au Koweït, dont l' Irak a été rendu responsable par la
CIA et le FBI ;
l' attentat du World Trade Center en 1993, dont
plusieurs pistes permettent de remonter jusqu' à la " filière "
irakienne .
- les liens entre Mohammed Atta, l'un des terroristes
du 11 septembre, et les autorités irakiennes, comme l'ont confirmé les
rencontres successives entre le terroriste et des responsables des services
secrets irakiens, notamment Al Ani, à Prague (c'est à la suite de leur
dernier entretien que le compte bancaire d'Atta aurait été crédité de 100
000 dollars, en provenance des Emirats arabes unis) ;
- l'aide financière apportée par le gouvernement
irakien aux familles des " kamikazes " palestiniens, considérés à Washington
comme appartenant à des groupes terroristes ;
- le lien possible, bien que non prouvé, entre les
attaques à l'anthrax aux Etats-Unis et les installations biologiques en
Irak, notamment Salman Pak au sud de Bagdad (on sait cependant que la piste
interne est privilégiée dans l'affaire de l'anthrax, mais tout lien avec
l'Irak n'a pas été écarté).
Ces éléments se sont renforcés dans la mesure où Bagdad
refusait, depuis 1998, d' ouvrir son territoire aux inspecteurs des Nations
unies .
Par ailleurs, les soupçons selon lesquels le régime
cherchait à se procurer 0 des armes de destruction massive constituaient un
argument avancé par les conservateurs aux Etats-Unis et repris par les
membres de l' Administration Bush .
Depuis quelques années, les thèses des conservateurs sur
la capacité de l' Irak à reconstituer un arsenal d' armes de destruction
massive ont été alimentées par plusieurs ouvrages " grand public ", dont
ceux de Khidhir Hamza, chef des services de recherches nucléaires irakiennes
jusqu' en 1995, de Richard Butler, ancien chef de la Commission spéciale des
Nations unies ( UNSCOM ) aujourd'hui au Council on Foreign Relations à New
York, et de Scott Ritter, ancien inspecteur de l' UNSCOM . Ce dernier,
opposé toutefois à une campagne militaire en Irak, proposait une descripti
Enfin, l' abondante littérature sur le terrorisme et la
prolifération des armes de destruction massive, mise en avant depuis le 11
septembre , et surtout les attaques à l' anthrax , placèrent généralement l'
Irak au centre de la menace .
Plus récemment, trois personnalités importantes dans l'
entourage du président Bush, Donald Rumsfeld , Dick Cheney et Condoleezza
Rice , n' ont pas manqué d' accuser l' Iran, l' Irak et la Syrie d' être à
l'origine des multiples attentats commis en Israël, invoquant le lien
présumé entre le régime de Bagdad et les réseaux du terrorisme international
.
L' ensemble de ces considérations ont fait de l' Irak la
cible suivante de la campagne antiterroriste menée par l' Administration .
Enfin, en publiant un rapport accablant sur la volonté
de Bagdad de reconstituer un arsenal d' armes de destruction massive et de
l' utiliser dans un avenir proche, les autorités britanniques ont apporté
leur contribution aux accusations, revenant largement sur la mauvaise
volonté affichée par Saddam Hussein depuis plus de 10 ans .
La plupart des experts européens considérèrent
rapidement que les frappes des Etats-Unis contre l' Irak étaient
inévitables, à moins que le régime ne cède et que Saddam Hussein ne quitte
le pouvoir, ce qui semblait évidemment peu envisageable .
L' un des premiers efforts consista à s' assurer le
soutien de l' opinion publique .
Selon un sondage publié par le Washington Post fin 2002,
64 % des personnes interrogées étaient ainsi favorables à des frappes contre
l' Irak .
Par ailleurs, plusieurs membres de l' Administration -
dont le secrétaire adjoint à la Défense , Paul Wolfowitz - , plaidèrent en
faveur de une extension des opérations militaires en Irak .
Une intervention sur le sol irakien nécessitait des
moyens nettement plus importants que la guerre en Afghanistan, et les alliés
de Washington, tant dans la région qu' ailleurs, semblaient peu réceptifs à
la perspective de reconstituer la coalition de 1991 .
En effet, les alliés ne partageaient plus, pour la
grande majorité d' entre eux, la position des Etats-Unis vis-à-vis des
sanctions imposées à l' Irak depuis 10 ans .
Ils furent relayés en cela par certains think tanks et
centres d' expertise américains .
Par ailleurs, une guerre contre l' Irak pouvait se faire
selon trois scénarios .
Le premier consistait à renouveler l' expérience de 1991
( sans doute avec une coalition amoindrie ) ; il nécessitait des mois de
préparation et posait de réels problèmes de politique intérieure aux
Etats-Unis .
Le deuxième scénario consistait à répéter l' expérience
de décembre 1998, à savoir des frappes contre des cibles précises en Irak .
Une telle option était plus facile à mettre en oeuvre et
ne posait pas trop de problèmes en termes d' aval du Congrès .
Mais les résultats n' avaient pas été très concluants en
1998 et n' avaient pas permis, en tout état de cause, d' atteindre les
objectifs affichés, à savoir le renversement du régime de Saddam Hussein
.
Le troisième scénario consistait à envoyer sur place
plusieurs commandos de services spéciaux chargés de liquider le dictateur
irakien .
Là encore, il n' y avait guère de difficulté pour
obtenir l' accord du Congrès, mais le succès d' une telle mission était plus
que discutable, notamment au vu des résultats médiocres obtenus par les
forces spéciales en Somalie ou, plus récemment, en Afghanistan .
De fait, la première option semblait être la seule
permettant de poursuivre l' effort de 1991, en poussant cette fois les
armées jusqu' à Bagdad pour liquider Saddam Hussein, comme le souhaitait l'
Administration .
Ce fut l' option retenue .
Mais l' objectif principal était d' assurer un succès
rapide et à moindre coût, à la fois pour profiter du large soutien de l'
opinion publique aux Etats-Unis et pour éviter de laisser le temps au régime
irakien de s' organiser .
Kenneth Pollack , ancien directeur de les affaires de le
Golfe à le National Security Council , remarquait à ce propos que, les
capacités de résistance de l' Irak étant nettement supérieures à celles des
Talibans, la préparation de l' intervention ne devait pas prendre de retard,
même s' il se montrait par ailleurs sceptique quant à sa pertinence et aux
résultats pouvant être obtenus .
Les limites d' une telle option étaient avant tout d'
ordre externe .
En effet, il fut très difficile, et même impossible, de
reconstituer une coalition du type de celle de 1990 .
La tournée de Dick Cheney dans les pays arabes , en mars
2002 , répondait nettement à l' objectif de rassembler un tel soutien, mais
celui -ci était difficilement justifiable .
En 1990, le régime de Saddam Hussein s' était rendu
coupable de l' invasion du Koweït et il avait été unanimement condamné par
les autres Etats de la région .
Depuis, les voisins de l' Irak se montraient sceptiques
quant à la poursuite des sanctions, qui avaient été plus nuisibles à la
population qu' au régime et avaient refusé de soutenir les frappes de
décembre 1998 .
Par ailleurs, si les alliés des Etats-Unis souhaitaient
condamner et combattre l' Irak souhaitaient condamner et combattre l' Irak
il y a 10 ans, ils n' avaient jamais affiché la volonté de détruire le
régime de Saddam Hussein .
Ainsi, la Turquie, l'un des plus fidèles soutiens à
Washington dans la région , voyait d' un mauvais oeil la dislocation de l'
Etat irakien, qui pouvait entraîner la création d' un Kurdistan indépendant
.
De façon générale, les alliés de 1991 dans la région n'
acceptaient de participer à une campagne militaire que si celle -ci était
mandatée par l' ONU .
au Conseil de sécurité, le consensus a éclaté après le
renvoi des inspecteurs de l' UNSCOM par Bagdad, en 1998, et la décision
conjointe des Etats-Unis et du Royaume-Uni de frapper l' Irak en
représailles .
De fait, les objectifs de Washington ne furent pas
compris, et encore moins partagés, par les autres membres du Conseil de
sécurité .
Comme le demandait, en mars 2002, Philippe Droz Vincent
, " s' agit -il de faire appliquer les résolutions de l' ONU, de renverser
Saddam Hussein ou de mettre sous tutelle un Irak potentiellement hégémonique
dans la région ? " Les mêmes critiques se sont fait entendre de la part de
les alliés européens des Etats-Unis, qui estimèrent pour certains d' entre
eux, malgré leurs divisions, que la campagne proposée contre l' Irak ne
répondait qu' à une volonté de vengeance de l' Administration Bush et d'
hégémonie dans la région .
Toutefois, les proches de George W. Bush ont démenti les
soupçons selon lesquels la Maison-Blanche accepterait de se plier au
calendrier du Conseil de sécurité des Nations unies .
Très vite, ils n' écartèrent pas la possibilité de
frapper quand ils le jugeraient nécessaire, que ce soit avant ou après la
décision de l' ONU concernant les sanctions et les missions d' inspection
sur le sol irakien . " Le président a dit que nous ne pouvions attendre d'
avoir la preuve que quelqu'un utilise des armes de destruction massive
contre les Etats-Unis pour faire quelque chose afin de l' en empêcher ",
déclarait ainsi Paul Wolfowitz dans une interview sur CNN, le 21 mars 2002 .
Dès lors, et malgré les efforts diplomatiques en vue de
convaincre Paris, Moscou et Pékin, Washington annonçait pouvoir se passer d'
un mandat de l' ONU .
Les contraintes internes
Maintes fois critiquée depuis quelques mois pour son
unilatéralisme, notamment en Europe, l' Administration Bush a envisagé d'
intervenir sans l' appui de ses alliés - ou de la majorité d' entre eux -,
prenant exemple sur l' opération menée conjointement avec les Britanniques
en 1998 contre l' Irak et sur la campagne en Afghanistan .
La puissance logistique, organisationnelle et
destructrice de l' armée de les Etats-Unis le leur permet en effet .
Au cours des 10 dernières années, l' évolution de le
matériel leur a permis de fournir des résultats plus rapides et plus
significatifs .
L' opération " Tempête du désert " de 1991 avait exigé
110 000 sorties aériennes, contre seulement 6 500 en Afghanistan, le
différentiel, même notable, des capacités de résistance des adversaires ne
pouvant expliquer à lui seul un tel décalage .
De même, la campagne du Kosovo a été faite exclusivement
depuis les airs, grâce notamment à un matériel hautement sophistiqué .
Cette évolution sensible de son arsenal militaire offre
à Washington un avantage nettement plus décisif qu' en 1991, d'autant que
les forces armées irakiennes n' ont pu, en seulement 10 ans, reconstituer un
arsenal conséquent, et ne disposaient, à la veille du conflit, que de
capacités assez limitées .
Dès lors, une campagne rapide était envisageable et
Washington pouvait faire l' économie d' une coalition à la fois difficile à
organiser et fort contraignante à bien des égards, en comparaison de son
faible apport .
De nombreux experts aux Etats-Unis, considérant qu' une
coalition briderait les capacités militaires du pays, trouvèrent là des
arguments pour justifier une intervention unilatérale .
L' exemple de l' Afghanistan joua un rôle important dans
le soutien apporté à une attaque de grande ampleur contre l' Irak .
En effet, alors que les résultats obtenus dans ce pays
étaient présentés comme significatifs par l' Administration ( à savoir un
régime stable et une prospérité plus notable qu' au temps des Talibans ),
celle -ci plaida rapidement en faveur de une intervention contre Bagdad,
avec comme argument qu' une telle campagne apporterait la stabilité dans la
région .
A l' inverse, comme l' expliquait Thomas Friedman, si le
nouveau régime afghan ne parvenait pas à s' imposer sur l' ensemble du
territoire et à faire l' unité du pays, il serait d' autant plus difficile à
Washington de " proposer " une poursuite de la campagne contre l' Irak .
Invité à l' Institut français des relations
internationales, le 28 mars 2002, Steve Szabo , de la Johns Hopkins
University ( Washington , D.C. ) , a noté que la Maison-Blanche ne prévoyait
pas une intervention aussi longue et importante que celle de 1991, notamment
du fait de l' affaiblissement des forces irakiennes ( n' oublions pas qu' en
1990, l' Administration Bush qualifiait l' armée de Saddam Hussein de "
quatrième armée au monde " ) .
Il s' agissait donc d' une quick war, c' est-à-dire d'
une intervention rapide engageant moins de forces .
il il convenait, comme Steve Szabo, de rester mesuré
quant à ces perspectives, force est de constater que ces arguments
répondaient également à la volonté de ne pas se présenter devant le Congrès
pour déclencher des hostilités, en considérant que celles -ci n'
engageraient que des moyens relativement limités et ne dépasseraient pas 60
jours .
Mais, à prendre de tels risques, l' Administration s'
exposait, en cas de résultats peu probants, à des critiques qu' il lui
aurait fallu assumer seule, car les parlementaires n' auraient pas manqué l'
occasion de rappeler qu' ils n' avaient pas été consultés .
C' est en effet au niveau de la politique intérieure que
les contraintes les plus vives, mais aussi les plus neutralisantes, se sont
manifestées .
Comme nous l' avons vu, le Congrès a le pouvoir de
limiter, voire d' interdire, des opérations militaires extérieures .
Par ailleurs, si le principe de l' engagement militaire
a été discuté depuis le 11 septembre, la perspective d' une intervention en
Irak a fait apparaître de véritables fractures au sein de le Congrès .
Déplorant l' absence de bonne volonté de la part de ses
membres, Paul Reynolds notait que " le Congrès avait refusé d' être
contraint d' étendre les pouvoirs des agences d' investigation, comme John
Ashcroft l' avait demandé .
Les parlementaires ont approuvé les mesures d'urgence,
comme celle étendant le droit de surveillance d' un téléphone à tous ceux
appartenant à la même personne .
Ils se sont cependant interrogés sur les mesures de
fond, comme le droit de garder quelqu'un à vue indéfiniment, bien que le FBI
ait déjà adopté de telles méthodes, à travers le service de l' immigration,
pour interroger des personnes .
Le Congrès était encore une fois aveuglé par la
Constitution " .
Unie jusqu'alors dans la lutte contre le terrorisme, la
classe politique à les Etats-Unis a commencé à se diviser à la suite de le
discours sur l' état de l' Union du 29 janvier 2002, dans lequel le
président George W. Bush a avancé sa thèse d' un " axe du Mal ", inaugurant
ce qu' il convient d' appeler la " phase 2 " de la campagne antiterroriste .
Le 11 mars 2002, à l'occasion de la célébration des six
mois des attentats, il annonçait, de façon encore plus nette, que la seconde
étape de la guerre antiterroriste avait débuté : " Nous n' enverrons pas de
soldats américains sur tous les champs de bataille, mais les Etats-Unis
prépareront activement les autres pays à d' éventuelles batailles . "
Vivement critiqué à l' étranger, un tel discours a reçu un écho favorable
aux Etats-Unis, Pascal Riché estimant que " l' unilatéralisme de l'
Administration Bush s' accordait parfaitement avec l' isolationnisme, qui
séduit tra
Prenant la place tenue par George Mitchell en 1990, le
leader du camp démocrate à la Chambre de les représentants , Richard
Gephardt , souvent cité comme candidat potentiel à les primaires démocrates
de 2004 , a exposé la " réponse " officielle de son parti au discours sur l'
état de l' Union .
Mettant l' accent sur la nécessité de rester unis dans
la lutte contre le terrorisme, il a rappelé que les Démocrates ne
soutiendraient pas de façon aveugle toutes les initiatives de l'
Administration, notamment dans le domaine de les réformes sociales,
cherchant ainsi d'autres terrains que la sécurité extérieure pour affirmer
leurs différences .
Thomas Daschle , leader de la majorité démocrate à le
Sénat , a lui aussi rappelé le besoin d' unité nationale, sans omettre
cependant les points de divergence .
Ainsi, comme l' expliquait Eric Lesser, tous deux " se
sont livrés à l' exercice impossible consistant à mettre de côté l' esprit
partisan en étant à 100 % avec le président dans la guerre contre le
terrorisme et à tenter, dans le même temps, des critiques sur sa politique
économique et sociale " .
Côté républicain, Trent Lott , leader de le GOP à le
Sénat , et Dennis Hastert , leader de la majorité à la Chambre , ont tous
deux rappelé que les électeurs s' attendaient à une coopération parfaite
entre les deux partis au Congrès, réduisant indiscutablement la marge de
manoeuvre des Démocrates .
Par ailleurs, Bob Stump , président de la commission de
les Forces armées à la Chambre , a mis l' accent sur la nécessité de
débloquer les fonds nécessaires pour renforcer le budget de la Défense,
lançant ainsi un appel aux Démocrates .
Ce soutien massif et sans équivoque est à mettre en
parallèle avec la résolution H.J.RES . 27, proposée par la Chambre le 6 mars
2001, et dans laquelle Ronald Paul ( républicain, Texas ), John Doolittle (
républicain, Californie ), Pete Stark ( démocrate, Californie ), Roscoe
Bartlett ( républicain, Maryland ), Virgil Goode ( démocrate, Virginie ),
Barbara Lee ( démocrate, Californie ) et Barbara Cubin ( républicain,
Wyoming ) rappelaient le rôle du Congrès dans le déclenchement des conflits
.
Un an plus tard, seul Pete Stark se montrait encore
sceptique quant à les propositions de l' Administration Bush, mais il est
resté fort isolé à la Chambre .
C' est donc une fois de plus le Sénat qui s' est montré
le plus actif dans ses réactions aux projets de guerre de l' Administration
.
Dès le 29 janvier 2002, Joseph Biden ( démocrate ,
Delaware ) , alors président de la commission de les Affaires étrangères ,
calmait ses collègues en précisant que les propositions de l' Exécutif
restaient vagues et qu' il fallait attendre un réel plan budgétaire pour en
discuter .
Dans les semaines qui ont suivi, plusieurs élus se sont
exprimés pour rappeler que le Congrès pouvait seul décider d' envoyer des
troupes sur des théâtres extérieurs .
Le 11 février, Russel Feingold ( démocrate , Wisconsin )
écrivait dans le Washington Times que " le président devait également
respecter les termes de la résolution sur les pouvoirs de guerre " .
En effet, " en vertu de notre Constitution et de la
résolution sur les pouvoirs de guerre, le président et le Congrès doivent
d'abord se mettre d' accord sur une telle extension de nos engagements
militaires " .
Le sénateur n' a pas hésité à rappeler que la
répartition des pouvoirs avait été souhaitée dès les origines de la
démocratie aux Etats-Unis, et qu' il serait par conséquent dommageable de la
remettre en question ( les arguments étaient sensiblement proches de ceux
énoncés en 1990 ) : " En divisant le pouvoir de faire la guerre, les
rédacteurs de la Constitution ont signifié que l' unité nationale était
essentielle à tout effort de guerre, et que cette unité pouvait se trouver
renforcée en répartissant l' autorité entre les deux pouvoirs démocratiques
du gouvernement .
Cette division du pouvoir de déclarer la guerre nous
force à rechercher un consensus national avant de mettre des Américains en
danger . "
Le sénateur Patrick Leahy ( démocrate , Vermont ) , qui
présidait la sous-commission de les Opérations à l' étranger au sein de la
commission de les Attributions budgétaires , a poussé plus loin cette idée
dans le domaine budgétaire .
Il affirma qu' il appartenait aux parlementaires de
chercher à concentrer les efforts sur les " zones grises ", afin de éviter
les déséquilibres, offrant une lecture totalement opposée à celle de l'
Administration Bush .
Ainsi, selon lui, " le Congrès, qui tient les cordons de
la bourse, devrait s' assurer qu' une part de l' augmentation budgétaire
proposée est consacrée à la lutte contre la pauvreté " .
Mais c' est surtout depuis le mois de mars 2002 que les
oppositions les plus vives à la perspective d' une intervention en Irak se
font entendre .
Le sénateur Robert Byrd ( démocrate , Virginie
occidentale ) a mis en avant les prérogatives des parlementaires en temps de
guerre, notamment celle consistant à exiger que le chef de l' Exécutif
vienne expliquer sa stratégie au Capitole .
Selon lui, " le Congrès a non seulement le droit, mais
aussi le devoir d' examiner d' un oeil critique la politique du président .
Demander des explications, ce n' est pas accuser ou
condamner .
Demander des explications, c' est rechercher la vérité "
.
Il s' agissait ici d' une critique qui concernait
davantage les pouvoirs de guerre que la stratégie de l' Administration elle
-même .
Thomas Daschle a repris les mêmes thèmes dans un article
publié dans le Washington Post, en mettant l' accent sur le budget
nécessaire à une intervention : " Le Congrès a l' obligation
constitutionnelle de demander où et comment ces fonds vont être utilisés . "
Si les remarques énoncées par les deux sénateurs sortaient du cadre
partisan, les réactions qui ont suivi ont été, en revanche, nettement plus
politisées, soulignant le besoin d' unité du pays dans une guerre qui n' est
pas comme les autres .
L' éditorialiste du Washington Post , Charles
Krauthammer , a ainsi pu écrire : " La guerre contre l' islam radical est
une nécessité .
Les guerres nécessaires n' ont pas de stratégie de
sortie .
Elles doivent être gagnées . " Les prises de position
contre une guerre en Irak ont également eu pour effet de diviser le camp
démocrate au Sénat, certains considérant, à l'instar de Mitchell en 1990,
que le moment était mal choisi pour s' opposer au président, et plaidant
donc en faveur de l' unité nationale .
Joseph Lieberman ( démocrate , Connecticut ) , colistier
malheureux d' Al Gore lors de l' élection de 2000 , a adopté une position
éloignée de ses confrères démocrates, plaidant au contraire, comme il l'
avait déjà fait lors de la crise du Golfe en 1990, pour un soutien aux
initiatives présidentielles .
Parallèlement à les propositions de frappes contre l'
Irak, d'autres voix se sont élevées pour réclamer un règlement du cas
irakien devant la justice internationale, prenant exemple sur le cas de
Slobodan Milosevic, jugé à La Haye .
En accusant Saddam Hussein de crimes contre l' humanité,
les autorités américaines renforcèrent la légitimité de l' opposition
interne ( comme ce fut le cas en Yougoslavie ) et espérèrent même qu' un
règlement se ferait sans recours à la force, ce qui semblait pour le moins
peu évident .
De façon générale, c' est la doctrine Bush concernant la
croisade contre le terrorisme et l' utilisation de la force pour dissuader
les adversaires qui fit l' objet de critiques de plus en plus franches .
Dans l' entourage du président, les arguments en faveur
du renforcement des prérogatives de l' Exécutif n' étaient pas jugées
essentielles dans la seule perspective du règlement d' une crise ; elles s'
imposaient également dans le bon fonctionnement d' une politique étrangère .
Dans un entretien en date du 21 février 1997, Colin
Powell , pourtant considéré comme l'un des modérés de l' Administration ,
estimait ainsi que " la menace militaire fonctionne uniquement quand les
dirigeants américains ont réellement décidé de se préparer à utiliser la
force " .
Pour le secrétaire d' Etat, il convenait de faire en
sorte que les adversaires des Etats-Unis se sentent perpétuellement menacés,
et il fallait pour cela concentrer les pouvoirs de guerre entre les mains d'
un nombre limité de personnes, ce qui est loin de conforter les prérogatives
des membres du Congrès .
Le vote au Congrès
Le 19 septembre 2002, après avoir présenté à l'
Assemblée générale des Nations unies sa position sur la situation en Irak,
George W. Bush s' est adressé au Congrès pour lui demander un vote l'
autorisant à faire usage de la force, afin de " faire appliquer les
résolutions susmentionnées du Conseil de sécurité des Nations unies, de
défendre les intérêts de sécurité nationale des Etats-Unis contre les
menaces émanant de l' Irak, et de restaurer la paix internationale et la
sécurité dans la région " .
Secondé par Donald Rumsfeld et Colin Powell, le
président a justifié la nécessité de ce vote, dans un souci d' unité, pour
faire face de façon plus crédible à la " menace que fait planer le régime de
Saddam Hussein " .
Cette initiative a été saluée par les parlementaires,
qui y ont vu une volonté d' ouverture en direction de le pouvoir législatif,
et une reconnaissance de leurs prérogatives .
Quelques éléments de critique de l' évolution actuelle de la
lutte anti terroriste .
Les commentaires abondent sur l' orientation générale des
initiatives de l' équipe Bush .
Non seulement dans la presse, mais également au sein de les
centres de recherche proches du pouvoir, qui publient rapport sur rapport
tentant d' évaluer l' actuelle politique de le gouvernement .
Les orientations sont le plus souvent critiques, que ce soit
pour dénoncer carrément les atteintes aux libertés individuelles, ou encore,
plus modestement, pour souligner les incohérences administratives, la lourdeur,
du formidable arsenal de mesures prises depuis septembre 2001 .
Autrement dit, l' attention des observateurs américains est
déjà largement concentrée sur les modalités de la mise en oeuvre de la lutte
anti terroriste .
C' est pourquoi, il nous semble plus intéressant ici de
prendre un peu de recul et de souligner les conséquences largement négatives,
selon nous, de la configuration politique actuelle .
Comme nous l' avons dit en introduction à cette brève
présentation, le fractionnement du pouvoir caractéristique du système politique
américaine a, historiquement, empêché tout débordement autoritaire, et ce même
au cours de crises graves .
Que ce soit en 1798, avec les Résolutions du Kentucky et de
la Virginie contre les Alien and Sedition Acts, ou alors au cours de les deux
guerres mondiales, où les mesures exceptionnelles prises par la Présidence ont
toujours été encadrées et placées sous la surveillance de la Cour Suprême, même
si celle -ci a soutenu les mesures présidentielles jusqu' à la fin de les
hostilités .
Dans le premier cas_NEW_ il s' agissait d' Etats fédérés en
opposition avec l' Etat fédéral, et dans le second, de la division du pouvoir en
action .
Autrement dit, les mécanismes de " correction " destinés à
protéger la liberté des citoyens et placés au coeur du système politique par les
Pères Fondateurs ont joué leur rôle historique .
Seule la suspension de l' Habeas Corpus par Lincoln lors de
la Guerre de Sécession s' est faite sans véritable contre-pouvoir : mais il est
vrai que la guerre elle -même portait sur la nature du système politique qui,
dès lors, pendant le conflit, ne fonctionnait plus véritablement .
La situation actuelle présente des caractéristiques
largement différentes .
Contrairement à l' épisode de 1798, les Etats fédérés ne
semblent plus être un contrepoids efficace à l' action de l' Etat fédéral .
Malgré toute la rhétorique conservatrice actuelle autour de
la dénonciation du " Big Government ", les équipes conservatrices à le pouvoir
contribuent toutes, à leur façon, au renforcement du poids de l' Etat fédéral .
Ainsi, les possibilités de critique venant de les échelons
inférieurs de le système fédéral sont -elles limitées .
Jusqu'à présent, seules les villes ont véritablement
critiqué les mesures anti terroristes - un grand nombre d' entre elles ont aussi
pris officiellement position contre la guerre en Irak - et ces protestations
sont restées totalement sans conséquences .
Par rapport à les mesures d' exception adoptées pendant les
deux conflits mondiaux, là aussi, la situation actuelle est sensiblement
différente .
Personne ne peut dire quand la " guerre contre le terrorisme
" prendra véritablement fin .
A l' inverse, les restrictions imposées par un conflit armé
international sont censées prendre fin à un moment précis, celui de la défaite
de l' adversaire .
Or l' avertissement du Président Bush quant à la durée de la
guerre contre le terrorisme semble, de ce point de vue, assez inquiétant .
Une guerre où on ne peut situer véritablement l' adversaire
, qui se recompose en permanence , et qui est dépourvu d' attaches territoriales
véritables est évidemment destinées à durer, tout comme les mesures d' exception
qui l' accompagnent .
Mais c' est surtout l' actuelle configuration
institutionnelle et partisane qui semble poser problème .
L' alignement entre les trois pouvoirs, à le niveau fédéral
, est exceptionnel dans l' histoire politique moderne du pays .
Et ceci pourrait avoir des conséquences certaines dans la
façon dont se mène la lutte anti terroriste .
Depuis 1945, la règle de fonctionnement de la vie politique
américaine semble être celle du " divided government ", à bien des égards proche
de la cohabitation dans le cadre français .
Tout particulièrement depuis la fin des années soixante, le
Congrès et la Présidence ont été d' orientation idéologique largement opposées,
entraînant fréquemment un blocage de la prise de décision nationale : on parle
alors de phénomène de " gridlock " .
Néanmoins, cette situation a comme avantage d' imposer une
modération des vues des uns et des autres, forçant ainsi à l' institution de
compromis généralisés .
Or depuis novembre 2002 et les dernières élections de
mi-mandat ( midterms ), le Président Bush est dans une situation exceptionnelle
d' alignement total des trois pouvoirs .
La majorité du Congrès lui est acquise et la Cour Suprême,
sous la Présidence de William Rehnquist, est clairement d' obédience
conservatrice .
Cette conjonction, déjà rare en elle -même , est renforcée
par l' important soutien populaire dont bénéficie le Président .
Son action internationale, couplée à la fermeté de ses
positions , lui garantissent une popularité certaine sur le thème de la lutte
anti terroriste, ce dont témoigne l' ensemble des sondages les plus récents
.
Dans ces conditions, le Président est en position de faire
adopter - ou en tous les cas de proposer - des mesures qui, il y a quelques
années, n' auraient même pas été envisageables .
Le projet TIP, par exemple , semble sortir tout droit de l'
imagination d' Orwell et n' aurait pas manqué d' attirer des flots de
dénonciation sur le thème du retour de " Big Brother " .
Or les dénonciations qu' il a suscité ont été extrêmement
modestes au vu de l' enjeu .
Quant à l' essentiel des mesures qui ont été adoptées dans
le cadre de la lutte anti terroriste, elles sont toutes votées par le Congrès
avec des majorités pour le moins inespérée .
et Qu' on se souvienne des négociations tortueuses de
Clinton avec le 104ème Congrès, voire enfin de Kennedy et du Sénat contrôlé par
les Démocrates sudistes, ou encore de Reagan pendant ces deux mandats, l' on
mesure alors à quel point le Président Bush est dans une position inespérée pour
un titulaire de l' exécutif .
Ainsi, le USA Patriot Act a été voté à une quasi-unanimité
au Sénat - seul le Sénateur Russ Feingold ( un démocrate du Wisconsin ) - s' y
est opposé et une majorité de 356 Représentants à la Chambre ; de plus, le
soutien pour Bush dans son action contre l' Irak est écrasant : 226 contre 133 à
la Chambre des Représentants ( 10 octobre 2002 ), et 77 cote 23 au Sénat ( 11
octobre 2002 ) .
Ceci est d' autant plus porteur d' incertitudes que les
mesures présidentielles n' entament pas sa crédibilité - bien au contraire - et
que la Cour Suprême actuelle n' est pas portée le moins du monde à remettre en
cause cette évolution, et ce pour une série de raisons .
D'abord, en règle générale, la Cour est certainement une des
institutions nationales les plus à l'écoute de les évolutions de l' opinion
publique, et ce contrairement à ce que voudrait une interprétation étroite de la
difficulté contre-majoritaire .
Etant potentiellement soumise à une critique de type
majoritaire , elle doit de faire preuve d' une grande prudence, et tenter de
refléter dans une certaine mesure les opinions dominantes, sous peine de entamer
sa légitimité .
Comme l' avait classiquement expliqué le Juge Benjamin
Cardozo lors de les Storrs Lectures à Yale en 1921, les Juges de la Cour Suprême
" ne demeurent pas coupés de leur environnement ( ... ) sur des hauteurs glacées
et distantes ; nous ne contribuerions pas à avancer la cause de la vérité si
nous agissions et raisonnions comme si c' était le cas " .
Dans le cas qui nous occupe, les Juges seront sans doute d'
autant plus favorables à un suivi de l' opinion qu' ils partagent, dans leur
majorité, les options sécuritaires actuelles .
Ainsi, dans une décision de 1996 - Felker v .
Turpin - la Cour a pris le parti de l' Etat fédéral en
soutenant la loi anti terroriste de 1996 , Antiterrorism and effective Death
Penalty Act ( PL 104 - 132 ) : la Cour a ainsi donné son accord à la limitation
des possibilités d' appel des prisonniers .
Les informations qui circulent semblent également indiquer
une certaine réticence de la Cour pour prendre en considération les critiques
formulées contre le Patriot Act .
L' action en justice conduite par l' ACLU ( American Civil
Liberties Union ) selon une procédure assez inhabituelle vient d' être rejetée
par la Cour, obligeant ainsi l' ACLU a attendre les résultats d' un recours plus
conforme .
Cela rejoint tout à fait ce que les observateurs ont déjà
remarqué depuis longtemps, à savoir à quel point la Cour tente de revenir très
largement sur certaines des décisions les plus connues en matière de libertés
civiles .
Autrement dit, depuis 1986, il y a un recul de la tendance
à la nationalisation des droits, par réaction à " l' activisme " libéral des
décennies précédentes .
Un indicateur de cette tendance est tout simplement la
baisse du nombre de cas traités par la Cour Suprême : du milieu des années 80 au
milieu de les années 90, la Cour est passée d' un chiffre annuel de 150 à 75
environ .
Mais la " dénationalisation " de les libertés civiles est
sensible à bien d'autres niveaux .
Par exemple, la Cour va renvoyer aux Etats le traitement de
la peine de mort, ou bien encore, cette fois en ce qui concerne l' avortement,
la Cour ajoute des contraintes, des limites qui, toutes, peuvent être imposées
au niveau de les Etats ( Webster v .
Reproductive Health service, Planned Parenthood v .
Casey en 1992 ), rognant de fait le droit national garanti
par Roe .
La tactique de la majorité conservatrice de la Cour est
donc toujours la même : confier de plus en plus de responsabilités aux Etats .
Et cette tendance générale risque de se poursuivre dans la
mesure où le Président Bush a, potentiellement, plusieurs occasions de
sélectionner des candidats pour la Cour Suprême .
Parmi les noms qui reviennent le plus souvent comme
candidats potentiels, J. Michael Luttig est un des plus fréquemment cité .
Il siège à la quatrième Cour d' Appel ( US Court of Appeals
of the Fourth Circuit ), où il a la réputation d' être un des Juges les plus à
droite, alors que cette Cour, du fait des sélections opérées dans les années
quatre-vingt est déjà une des plus conservatrices du pays .
D'autres possibilités restent cependant ouvertes .
Ainsi la pression serait sûrement très forte pour accorder
la préférence à un candidat conservateur d' origine hispanique, afin de
développer la " diversité " dans le judiciaire, selon les termes, connus, de l'
arrêt Bakke ( 1978 ) .
Seul Emilio M. Garzia, siégeant actuellement à la 11ème
Cour d' Appel fédérale semble être un candidat possible : en effet, son
opposition reconnue à la décision Roe v .
Wade en fait un atout tactique important pour Bush dans ses
négociations avec la frange religieuse du Parti républicain .
Une telle évolution à droite de la Cour Suprême ne ferait
que renforcer la tendance déjà existante au soutien sans faille du Judiciaire
vis-à-vis des mesures les plus strictes de la lutte anti terroriste .
L' ultime rempart aux débordements de l' Exécutif se
trouverait alors neutralisé .
au final, la lutte anti terroriste prend place dans un
contexte partisan et institutionnel extrêmement rare qui pourrait, surtout si la
guerre contre le terrorisme et celle qui se mène en Irak se prolongent,
entraîner un certain recul des libertés publiques .
La question est de savoir pour combien de temps, et à quel
point ?
Certes, Certes, historiquement, le système institutionnel
américain a parfaitement su dépasser les moments de " crispation " sécuritaire
et de lutte contre la subversion .
Mais la situation actuelle est particulière à plus d'un
titre .
Outre l' alignement institutionnel et partisan, la nature
même de le conflit où les Etats-Unis sont entraînés est source de risques .
C' est probablement de la société civile elle -même -
notamment par le biais de associations comme l' ACLU - qu' émergera un
contrepoids, soit par le biais de actions judiciaires, qui déjà se multiplient,
soit, plus radicalement, en changeant les équipes au pouvoir .
Les précédents historiques - à commencer par celui de le
propre père de George W. Bush - ne poussent pas à envisager un soutien électoral
réel issu d' un mouvement de " ralliement au drapeau " en cas de crise .
TITRE : Les chances et la signification d'une politique européenne de
sécurité et de défense dans le nouveau contexte international
AUTEUR : Jean Klein
La crise provoquée par l' intervention armée contre l' Irak pour
le contraindre à respecter les termes de la résolution 1441 du Conseil de sécurité
avant que la mission des inspecteurs de l' United Nations Monitoring, Verification
and Inspection Commissio
En l'occurrence, des analystes n' ont pas hésité à voir dans la
stratégie mise en oeuvre par les Etats-Unis une violation des normes inscrites dans
la charte de San Francisco et, dans leur penchant pour l' unilatéralisme, une
contestation radicale de la responsabilité qui incombe à l' Organisation des Nations
unies ( ONU ) pour le maintien et le rétablissement de la paix .
L' Organisation du traité de l' Atlantique Nord ( OTAN ), dont
la fonction initiale était la défense collective contre la menace soviétique et qui
est demeurée , après l' effondrement de l' ordre bipolaire , l'une des principales
organisations de sécurité serait, elle aussi, vouée au dépérissement, les Américains
préférant créer des alliances ad hoc pour défendre leurs intérêts et lutter contre
le terrorisme ( coalition of the willings ) plutôt que de voir leur liberté d'
action entravée par les contraintes d' une décision collective .
Enfin, la construction d' une Europe de la défense serait
compromise non seulement en raison de l' opposition de l' Administration de George
W. Bush à la réalisation de ce projet, mais également du fait des divisions des
Européens et de l' allégeance atlantique de la plupart des pays d' Europe centrale
et orientale qui seront admis dans l' Union européenne ( UE ) en mai 2004 .
Il ne saurait être question de vérifier le bien-fondé de ces
jugements, ni de nous livrer à des spéculations sur la légalité de la guerre contre
l' Irak ou de mesurer son impact sur la configuration du système international et
les équilibres au Moyen-Orient .
Notre propos est plus modeste et se bornera à l' examen des
conséquences de cette crise sur l' organisation de la sécurité en Europe et l'
avenir des relations transatlantiques .
Il convient en effet de se demander si les divergences entre
Européens qui se sont manifestées à cette occasion annoncent une mutation radicale
de la politique européenne de sécurité et de défense ( PESD ), sinon son abandon pur
et simple, ou s' il ne s' agit que d' une crise passagère qui ne met pas en question
les options fondamentales prises par l' UE après la guerre du Kosovo et entérinées
par le Conseil d' Helsinki en décembre 1999 .
On sait que ce projet a suscité d'emblée des réserves de la part
de les Etats-Unis et que le président Bush ne lui a pas ménagé ses critiques lors de
son premier voyage en Europe, en juin 2001 ; dans ses interventions au siège de l'
OTAN et au Conseil européen de Göteborg ( Suède ), il reprocha notamment aux
Européens l' insuffisance de leur effort de défense et dénonça leur prétention à
mener une politique indépendante alors qu' ils n' en avaient pas les moyens .
Le fait est que la plupart des Etats européens n' étaient pas
prêts à faire les sacrifices nécessaires pour réduire l' écart entre leurs capacités
militaires et celles des Etats-Unis et que la PESD restait un objectif lointain
.
Quelques mois plus tard, les attentats terroristes de New York
et de Washington créaient une situation nouvelle et donnaient lieu à l' expression
d' une solidarité sans faille des Européens avec les Etats-Unis .
L' article 5 de le traité de l' Atlantique Nord fut invoqué à
cette occasion et les actes terroristes perpétrés le 11 septembre 2001 sur le
territoire américain furent qualifiés " d' attaque armée " .
Mais, par un curieux paradoxe, la lutte contre les réseaux
Al-Qaida et le régime des Talibans qui leur offrait un refuge en Afghanistan a été
menée en dehors de le cadre de l' Alliance et les Etats-Unis ont tenu pour quantité
négligeable le concours de leurs alliés européens, à l'exception de celui du
Royaume-Uni, qui a été associé dès l' origine à l' opération militaire baptisée "
Liberté immuable " ( Enduring Freeedom ) .
D' aucuns_NEW_ D' aucuns ont interprété cette attitude comme la
confirmation de la tendance à l' unilatéralisme américain et y ont vu le signe
avant-coureur du dépérissement de la fonction militaire de l' alliance .
D'autres, à le contraire , ont souligné l' utilité de l' OTAN
comme cadre de concertation des politiques de sécurité des Etats membres et
considèrent son élargissement comme un moyen de projeter de la stabilité dans les
régions où les tensions ethniques et les contentieux hérités de la guerre froide
pourraient dégénérer en conflits ouverts .
Ces deux tendances ont été confirmées par l' évolution
ultérieure de l' OTAN, qui n' a joué aucun rôle dans la guerre contre l' Irak mais a
accueilli sept nouveaux Etats qui faisaient partie de l' organisation du Pacte de
Varsovie, voire de l' Union soviétique, comme les trois Etats baltes .
La décision a été prise lors de la réunion au sommet du Conseil
atlantique à Prague ( 20-21 novembre 2002 ) sans soulever d' objections majeures de
la part de la Russie et le Sénat américain l' a approuvée à l' unanimité le 8 mai
2003 .
Enfin, il il est entendu que la PESD doit s' inscrire dans le
cadre de l' Alliance et favoriser le développement des relations transatlantiques,
il ne semble pas que les Etats-Unis adhèrent sans réserve à un projet dont la
réalisation pourrait conférer à l' UE des moyens de décision et d' action autonomes
.
Ce qui leur importe avant tout est l' accroissement de l' effort
de défense des Européens et une répartition plus équitable des charges militaires au
sein de l' Alliance ( burden sharing ) .
Quant à la force de réaction rapide dont la création a été
décidée par le Conseil européen d' Helsinki ( décembre 1999 ) et qui devrait être
opérationnelle à la fin de l' année 2003, elle restera encore longtemps tributaire
des moyens de l' OTAN et ne pourra être engagée efficacement que si l' on parvient à
remédier aux carences dont elle souffre, plus particulièrement dans les domaines
suivants : transport à longue distance, communications par satellites, observation
spatiale, munitions guidées avec précision .
Or, le fléchissement des dépenses militaires dans la plupart des
Etats membres de l' UE ne laisse pas présager un redressement de la situation à
court et à moyen terme et, si cette tendance n' est pas inversée, on peut craindre
que l' interopérabilité des forces alliées ne soit plus assurée dès lors qu' il s'
agira de mener des actions communes pour le maintien et le rétablissement de la paix
dans le nouveau contexte international .
En outre, la coopération européenne pour la production d'
armements piétine ou subit des vicissitudes en raison de la faible intégration des
industries qui travaillent pour la défense, et les engagements pris en vue de
préserver les moyens de recherche et technologie ( R & T ) existant sur
notre continent resteront lettre morte si leur financement n' est pas garanti .
Enfin, les controverses sur les modalités d' accès de l' UE à
des capacités prédéterminées de l' OTAN ont mis en lumière les sources de conflits
avec les alliés non membres de l' UE .
Ainsi, la Turquie, qui est particulièrement vulnérable à les
nouveaux risques de le fait de sa situation géographique , a manifesté l' intention
d' être associée à un stade précoce à la préparation et à la mise en oeuvre des
opérations de gestion des crises et d' imposition de la paix qui seraient conduites
par l' UE . Cette prétention a été jugée exorbitante par les Etats membres, qui y
voyaient une atteinte à leur liberté d' action, mais la Turquie pouvait faire valoir
qu' elle bénéficiait naguère du statut de membre associé de l' Union de l' Europe
occidentale ( UEO ) et qu
au terme de négociations laborieuses, on est parvenu à s'
entendre en décembre 2001 sur une formule de compromis grâce à la médiation des
Etats-Unis et du Royaume-Uni, mais la Grèce continuait d' émettre des objections, ce
qui rendait problématique l' accès garanti de l' UE aux moyens de l' OTAN . En
définitive, cette hypothèque a été levée en décembre 2002 et l' UE a pu prendre, en
mars 2003, la relève de l' OTAN pour la conduite de l' opération " Concordia ", dont
l' objet est la surveillance de l' accord d' Ohrid qui avait mis un terme aux
affrontements interethniques
Si l' obstruction turque a défrayé la chronique de la défense
européenne au cours de les deux dernières années, on ne saurait faire abstraction de
l' attitude tout aussi distante à l'égard de la PESD des trois nouveaux membres de
l' OTAN - la Pologne, la Hongrie et la République tchèque -, qui redoutent d' être
marginalisés dans le processus de décision de l' UE et privilégient l' organisation
de la sécurité dans le cadre atlantique .
Ce penchant s' est manifesté avec éclat lors de la guerre
anglo-américaine contre l' Irak à laquelle ils ont apporté leur concours, et la
Pologne a fait preuve, en l'occurrence, d' un excès de zèle qui s' est traduit par
le choix d' un avion américain - le F - 16 - pour équiper son armée de l' air et l'
obtention d' une zone d' occupation en Irak dans le cadre de l' administration
provisoire de ce pays après la chute du régime de Saddam Hussein .
Il convient donc de faire le point sur les acquis de la PESD en
rappelant que les questions débattues aujourd'hui correspondent à des préoccupations
anciennes et que le processus se poursuit en dépit de les vicissitudes de la
politique impériale des Etats-Unis et des clivages qui sont apparus au sein de l' UE
entre les " atlantistes " et les tenants d' une " Europe européenne " .
Les prodromes d' une politique européenne de défense
La défense européenne est un thème récurrent dans les
relations transatlantiques depuis les années 1950, et elle a été une source de
malentendus après l' inflexion de la stratégie américaine qui tendait à
substituer la riposte graduée ( flexible response ) à la menace du recours
immédiat à l' arme nucléaire ( massive retaliation ) pour garantir la sécurité
de l' Europe occidentale .
Lorsque les Européens émettaient de les doutes sur les
vertus dissuasives de cette nouvelle posture et tentaient de faire valoir leurs
intérêts de sécurité spécifiques au sein de l' Alliance, ils se heurtaient
généralement aux objections des dirigeants américains, qui leur reprochaient d'
affaiblir l' OTAN par des actions divergentes .
Certes, les aspirations à une " défense européenne de l'
Europe " étaient surtout le fait des Français, et le général de Gaulle avait
donné le ton à la fois par son mémorandum de septembre 1958 relatif à la
création d' un " directoire " au sein de l' Alliance et par les plans Fouchet (
1960-1961 ) qui tendaient à favoriser l' affirmation d' une identité européenne
dans le cadre de les communautés instituées par les traités de Rome de 1957 .
Ces projets se heurtèrent à des oppositions très vives et
furent rejetés par les partenaires de la France .
Mais la question resurgit dix ans plus tard après la
signature du premier accord soviéto-américain sur la limitation des armements
stratégiques ( SALT-I ), en mai 1972 .
La stabilisation de l' équilibre sur lequel reposait la
dissuasion réciproque et les dispositions prises ultérieurement par les deux
protagonistes pour ne pas être entraînés dans un conflit suicidaire par le
comportement de tierces puissances ( accord sur avaient fait naître des doutes
sur la solidité de la garantie offerte par les Etats-Unis et avaient incité le
gouvernement français à faire de l' UEO un cadre de réflexion sur les
perspectives d' une défense européenne .
Le ministre de la Défense, Michel Debré , et le ministre de
les Affaires étrangères , Michel Jobert , firent des suggestions à cet égard
dans leurs interventions devant l' Assemblée de l' UEO, respectivement en 1972
et 1973, mais leurs appels ne furent pas entendus .
Une dernière tentative pour réveiller la " Belle au bois
dormant " de le palais d' Iéna fut faite dans le contexte de la crise des "
euromissiles ", provoquée par le déploiement des fusées soviétiques SS - 20 et
la décision de l' OTAN de relever le défi en modernisant ses armes nucléaires de
théâtre .
En octobre 1984, le Conseil des ministres de l' UEO décida
de réactiver cette organisation, en précisant que la concertation des politiques
de sécurité des Etats membres et la définition éventuelle d' une position
commune en matière de défense n' auraient pas pour objet de battre en brèche l'
OTAN mais de rééquilibrer les relations transatlantiques .
En dépit de ces précautions rhétoriques et de l' adoption,
en 1987, de la plate-forme de La Haye, qui postulait une plus grande autonomie
des Européens dans le domaine de la défense, les choses restèrent en l'état .
L' identité européenne en matière de sécurité et de défense
n' avait pu s' affirmer en raison de la persistance de l' antagonisme Est-Ouest
et du sentiment dominant en Occident que l' OTAN était la seule parade efficace
contre une attaque armée venant de l' Est et le garant de l' engagement des
Etats-Unis sur le continent .
Il en ira autrement après l' effondrement de l' ordre
bipolaire et la conclusion du traité de Maastricht ( 7 février 1992 ) qui
consacrait dans son titre V le principe d' une politique étrangère et de
sécurité commune ( PESC ) et ouvrait les perspectives d' une " défense commune "
( art .
A cet égard, la coopération franco-allemande a joué un rôle
moteur, mais il ne faut pas se dissimuler que les relations spéciales qui s'
étaient développées entre Paris et Bonn depuis la signature du traité de l'
Elysée du 22 janvier 1963 ont souvent été perçues comme l' expression d' une
politique tendant à consacrer leur primauté dans les conseils européens .
Il n' est donc pas surprenant que les initiatives prises par
le chancelier Kohl et le président Mitterrand en vue de doter l' UE de capacités
militaires propres aient été accueillies froidement et que l' annonce, en
octobre 1991, de la création d' un corps franco-allemand susceptible de se muer
en une force européenne autonome ait suscité des critiques ouvertes de la part
de pays comme les Pays-Bas, le Portugal et le Royaume-Uni .
Les Etats-Unis eux -mêmes ont pris position dans cette
querelle et, dans son discours d' ouverture à la réunion au sommet du Conseil
atlantique de Rome, le 7 novembre 1991, le président Bush avait laissé percer
son irritation et n' avait pas hésité à brandir la menace d' un désengagement
américain si les Européens ne voulaient en faire qu' à leur tête .
Comme nul ne songeait à rompre le lien transatlantique, on
parvint à s' accorder sur une formule de compromis qui tentait de concilier les
obligations découlant du traité de Washington avec les exigences d' une
participation accrue des Européens à la défense commune et à des opérations de
maintien et d' imposition de la paix en dehors de la zone couverte par l' OTAN .
Au demeurant, l' initiative franco-allemande tendait moins à la création d' une
organisation militaire intégrée selon le modèle de la Communauté européenne de
défense ( CED ) qu' au rééquilibrage des relati
Ultérieurement, les Etats-Unis ne virent plus d' objections
à l' affirmation d' une identité européenne en matière de sécurité et de défense
( IESD ) et admirent que l' UEO, qui avait vocation à devenir le " bras armé "
de l' UE, et l' OTAN, qui conservait ses prérogatives traditionnelles, étaient
complémentaires à certains égards .
Ces convergences se reflètent dans la déclaration des chefs
d' Etat et de gouvernement adoptée à l'issue de la réunion du Conseil atlantique
de Bruxelles, le 11 janvier 1994 .
Tous les Etats membres apportent leur " plein appui au
développement d' une identité européenne de sécurité et de défense ", qui
pourrait conduire à terme, comme le prévoyait le traité de Maastricht, à " une
défense commune compatible avec celle de l' Alliance atlantique " ; ils
soutiennent " le renforcement du pilier européen de l' Alliance " et se
félicitent de " la coopération étroite et croissante entre l' OTAN et l' UEO " ;
enfin, ils appuient " le développement de capacités séparables mais non séparées
" qui pourraient être mises à la disposition de l' UEO ou de l'
C' est ainsi que s' imposa le concept de " groupes de forces
interarmées multinationales " ( GFIM ), groupes qui pourraient être mis à la
disposition de l' UEO pour remplir des missions de paix auxquelles les
Américains ne souhaiteraient pas s' associer ou pour faciliter des " opérations
dictées par les circonstances, y compris les opérations auxquelles
participeraient les pays extérieurs à l' Alliance " .
Dès lors, les Etats-Unis ne virent plus d' objection de
principe à l' expression d' une volonté plus affirmée des Européens de prendre
en charge leur défense et d' assumer des responsabilités accrues pour le
maintien et le rétablissement de la paix et de la sécurité internationales .
A condition toutefois que ces actions fassent l' objet d'
une concertation étroite entre les alliés et se déroulent avec l' aval de l'
OTAN .
Au cours des années suivantes, les progrès sur la voie d'
une politique européenne de sécurité et de défense ( PESD ) ont été assez lents
et, à la veille du sommet franco-britannique de Saint-Malo ( 4 décembre 1998 ),
le constat auquel on pouvait procéder ne prêtait pas à l' optimisme : la PESC
était en " panne ", le concept des GFIM n' avait pu être appliqué et la seule
structure militaire cohérente dans l' espace euro - atlantique était l' OTAN .
Il fallut attendre le revirement de la politique européenne du Royaume-Uni à l'
automne 1998 et la prise de conscience pa
L' amorce d' une politique européenne de sécurité et de
défense ( PESD )
En application de les lignes directrices du Conseil européen
de Cologne ( 3-4 juin 1999 ), les Etats membres de l' UE ont manifesté la
volonté de se doter d' une " capacité d' action autonome s' appuyant sur des
capacités militaires crédibles ainsi que des instances et des procédures de
décision appropriées " .
Six mois plus tard, à l'issue du Conseil européen d'
Helsinki ( 10-11 décembre 1999 ), ils se fixaient comme objectif global " d'
être en mesure, d' ici l' an 2003, de déployer dans un délai de 60 jours et de
soutenir pendant au moins une année des forces militaires pouvant atteindre 50
000 à 60 000 hommes, capables d' effectuer l' ensemble des missions de
Petersberg " ; il était également prévu de créer de nouveaux organes et de
nouvelles structures politiques pour permettre à l' UE d' assurer l' orientation
politique et la direction stratégique nécessaires à ces opé
Lors de la conférence d' engagement de capacités militaires
qui s' est tenue à Bruxelles le 20 novembre 2000, les Etats membres de l' UE ont
dressé un " catalogue de forces " correspondant à l' objectif global défini à
Helsinki, tout en relevant que certaines capacités ont besoin d' être
améliorées, notamment dans le domaine dit " stratégique " : renseignements,
transport aérien et naval, états-majors pour commander et contrôler les forces,
défense contre les missiles, armes de précision, soutien logistique, outils de
simulation, etc. .
Le mois suivant, le Conseil européen de Nice ( 7-9 décembre
2000 ) décidait la création des organes permanents politiques et militaires
suivants : Comité politique et de sécurité ( COPS ), Comité militaire de l'
Union européenne ( CMUE ) et Etat-major de l' Union européenne ( EMUE ) et
définissait leur composition, leurs compétences et leur fonctionnement .
Par ailleurs, pour éviter des duplications inutiles, il
était prévu que l' UE pourrait recourir aux moyens et aux capacités de l' OTAN,
et le paragraphe 10 du communiqué final du Conseil atlantique de Washington ( 24
avril 1999 ) visait notamment " la garantie d' accès à des capacités de
planification de l' OTAN, la présomption de disponibilité au profit de l' UE de
moyens communs désignés à l'avance et l' identification d' une série d' options
de commandement européen pour renforcer le rôle de l' adjoint au SACEUR " (
Supreme Allied Commander Europe ) .
Or, du fait des rivalités gréco-turques, cette question n' a
été tranchée qu' à la fin de l' année 2002, à la veille de la prise en charge
par l' UE de l' opération " Concordia " en Macédoine .
En revanche, la planification d' une opération européenne
qui ne serait pas tributaire de les moyens de l' OTAN soulève moins de
difficultés puisqu' elle serait confiée à un état-major de niveau stratégique d'
un pays membre de l' UE . A cet égard, on laisse entendre que le niveau opératif
pourrait être représenté par l' état-major interarmées britannique ou par le
poste de commandant des forces interarmées françaises .
Enfin, des dispositions ont été prises pour organiser la
participation aux missions de Petersberg des pays alliés non membres de l' UE,
étant entendu que les relations que celle -ci entretiendrait avec les pays
associés à ce type d' opérations seraient placées sous le signe de " la
consultation, de la coopération et de la transparence totales " .
En 2001, le processus de la PESD était bien engagé et
certains estimaient que, si le rythme initial était maintenu, l' UE atteindrait
le but qu' elle s' était fixé ( headline goal ) dans les délais prévus .
D'autres se montraient plus circonspects et doutaient que l'
échéance de 2003 pût être respectée pour la constitution d' une force de
réaction rapide capable de conduire l' ensemble des opérations visées par la
déclaration de Petersberg .
C' est que tous les Etats membres de l' UE n' adhéraient pas
au projet d' une " Europe puissance " et n' étaient pas disposés à consentir les
sacrifices nécessaires à sa réalisation .
En outre, une PESD n' a de signification que si elle repose
sur des capacités de décision et d' action autonomes qui feraient de l' UE un
véritable partenaire des Etats-Unis .
Or, les dirigeants américains ne l' entendaient pas de cette
oreille et s' accommodaient difficilement d' une évolution qui se traduirait par
une mise en question de leur primauté au sein de l' Alliance .
De nombreux Etats européens leur emboîtaient le pas et
redoutaient que les " dissonances transatlantiques " ne renforcent les courants
favorables au désengagement américain et n' affaiblissent la communauté de
sécurité que constitue l' OTAN .
La question centrale est donc celle de la fonction qui
incombe à l' Alliance dans le nouveau contexte international et de sa
compatibilité avec la mise en oeuvre d' une PESD . A cet égard, les opinions
sont partagées, les uns considérant que l' Europe de la défense ne peut s'
affirmer que si elle s' émancipe de la tutelle américaine, alors que d'autres ne
conçoivent pas qu' elle puisse se réaliser contre les Etats-Unis ni sans leur
concours .
La France est en faveur de l' inscription de la politique de
défense européenne dans le cadre de l' Alliance, mais d' une Alliance rénovée où
le partage du fardeau se traduirait également par un partage des responsabilités
.
Pour dissiper toute équivoque à cet égard, le président de
la République avait souligné dans son discours du 8 juin 2001, devant l'
Institut des hautes études de défense nationale ( IHEDN ), que " l' Europe de la
défense renforce l' OTAN par l' affirmation d' un partenariat d' autant plus
solide qu' il sera mieux équilibré " et le ministre des Affaires étrangères,
Hubert Védrine, s' était exprimé en termes similaires dans un entretien avec le
quotidien Le Monde ( 13 juin 2001 ) en laissant entendre que " la défense
européenne n' est pas seulement bonne pour l' Europe, ma
Depuis lors, les incertitudes sur l' avenir de la PESD n'
ont pas été dissipées et la crise provoquée par la politique américaine
vis-à-vis de l' Irak n' a fait qu' exacerber les contradictions au sein de l' UE
. Dans un article publié dans la revue Policy Review, et dont de larges extraits
ont été reproduits dans la presse européenne, un ancien haut fonctionnaire du
département d' Etat, Robert Kagan a exalté la puissance militaire américaine,
mise au service de une " civilisation de liberté et d' un ordre du monde libéral
" et dénoncé l' incapacité des Européens à parer
La cause la plus importante de les divergences entre l'
Europe et les Etats-Unis résiderait dans la vision irénique des relations
internationales de celle -là et dans la volonté de ceux -ci d' user de la force
pour garantir l' ordre dans le monde anarchique décrit par Hobbes .
On peut discuter cette thèse, mais elle contient une part de
vérité, comme l' a souligné Hubert Védrine dans un entretien avec la revue
Enjeux ( novembre 2002 ) .
A ses yeux, " les Français sont les seuls à vouloir une
Europe puissance alors que nos partenaires imaginent plutôt une grande Suisse "
.
Mais il n' exclut pas que les prétentions de l'
hyperpuissance américaine provoquent un choc salutaire et que les Européens "
piqués au vif décident qu' ils ont eux aussi une responsabilité pour l'
équilibre, l' équité et la sécurité du monde " .
Jusqu'à présent, les ambitions affichées par les Etats
membres de l' UE sont modestes puisqu' ils ne visent que l' acquisition des
moyens civils et militaires nécessaires pour l' accomplissement des missions de
Petersberg, et il est entendu que la défense collective incombera en toute
hypothèse à l' OTAN . Il n' en reste pas moins que la question de l' assistance
mutuelle visée par l' article V du traité de Bruxelles, modifié en 1954, reste
posée et qu' il faut réfléchir à la fonction qui serait assignée à l' arme
nucléaire dans la perspective d' une défense européenne d
Par ailleurs, les forces de réaction rapide en voie de
constitution n' ont de signification que si elles sont au service de une
politique cohérente .
Or, on peut craindre qu' à la minute de vérité les Etats
membres fassent éclater leurs divergences et que l' outil militaire auquel ils
ont consacré tous leurs soins ne remplisse pas son office faute d' un consensus
sur le but politique poursuivi .
Enfin, on ne peut faire abstraction de l' impact des
attentats du 11 septembre 2001 sur la configuration de la future politique
européenne en matière de sécurité, puisque de nouvelles menaces ont surgi et que
la participation à la lutte contre le terrorisme exigera sans doute une
réorientation des choix antérieurs, l' élargissement du champ d' action des
forces de projection et l' affectation de ressources supplémentaires à la
recherche et au développement d' armes de haute technologie .
Dissonances euro - atlantiques à propos de la lutte contre
le terrorisme
Depuis l' effondrement de l' ordre bipolaire, l' OTAN a
élargi le champ de ses compétences et prête son concours aux organisations
internationales pour leur permettre de remplir leurs missions de paix .
De son côté, l' UE a manifesté la volonté d' apporter sa
contribution propre à des actions collectives menées sous l'égide de les Nations
unies en prenant appui éventuellement sur les capacités de l' OTAN ( NATO assets
) dans les domaines où ses carences sont manifestes .
Or, l' insertion de la PESD dans le cadre de l' Alliance
soulève des problèmes épineux, et l' insuffisance de l' effort de défense des
Européens risque de compromettre la réalisation de l' objectif global défini à
Helsinki en décembre 1999 .
Ainsi, la fonction traditionnelle de l' OTAN - la défense
collective contre une attaque armée - a été maintenue, mais on s' est également
soucié de trouver des parades aux " défis du changement ", et le concept
stratégique adopté par les chefs d' Etat et de gouvernement des 16 Etats membres
réunis à Rome les 7 et 8 novembre 1991 rappelle que les intérêts de sécurité de
l' Alliance peuvent être mis en cause par d'autres risques qu' une attaque armée
de type classique .
Sont notamment visés " la prolifération des armes de
destruction massive, la rupture des approvisionnements en ressources vitales ou
des actes de terrorisme et de sabotage " ( § 13 ) .
Huit ans plus tard, ce concept a été affiné lors de la
conférence au sommet de Washington ( 23-24 avril 1999 ), et les " actes relevant
du terrorisme, du sabotage et du crime organisé " ( § 24 ) figurent au premier
rang des nouveaux risques .
Après les attentats du 11 septembre, cette préoccupation est
devenue dominante et on ne saurait exclure que l' Alliance assume à l'avenir des
responsabilités accrues dans la lutte contre le terrorisme .
Toutefois, les alliés n' ont pas en la matière des vues
concordantes et, depuis plus d' un an, les controverses vont bon train, les
Européens étant indisposés par le ton manichéen du président des Etats-Unis et
le " simplisme " des méthodes préconisées pour briser " l' axe du Mal ", tandis
que les Américains leur reprochent une méconnaissance de la gravité du péril et
l' insuffisance des moyens mis en oeuvre pour le combattre .
Sans vouloir prendre parti dans cette querelle, il convient
de rappeler que les Européens ne sont pas restés passifs dans la gestion des
crises de l' après-guerre froide et dans la lutte contre le terrorisme .
Le 8 octobre 2001, cinq avions AWACS de l' OTAN et leurs
équipages , comprenant 0 des personnels d' une dizaine de pays européens , ont
été envoyés aux Etats-Unis, et des avions AWACS français ont pris la relève,
notamment pour assurer la surveillance de l' espace aérien de Bosnie-Herzégovine
.
En outre, la force navale permanente en Méditerranée qui
compte huit frégates et un bâtiment de soutien logistique a appareillé pour la
Méditerranée orientale le 9 octobre .
Ces unités ont été rejointes par la force navale permanente
de l' Atlantique .
Enfin, les opérations militaires américaines contre le
réseau Al-Qaida et le régime de les Talibans ont été appuyées par tous les
membres de l' Alliance, soit par l' envoi d' unités spéciales pour briser les
dernières poches de résistance, soit par la fourniture d' une aide humanitaire
au peuple afghan .
Par ailleurs, l' Alliance a considérablement intensifié son
action contre les dangers du terrorisme liés à l' emploi d' armes de destruction
massive ( ADM ), et la dimension proprement européenne n' a pas été absente de
cette démarche puisque des rencontres au niveau de les ambassadeurs et des
ministres des Affaires étrangères ont permis de renforcer les consultations et
la coopération entre le Conseil de l' Atlantique Nord et le Comité politique et
de sécurité de l' UE .
Or, l' importance de la contribution des Européens à les
missions de paix qui se sont multipliées depuis la fin de la " guerre froide "
est souvent méconnue aux Etats-Unis et Javier Solana, le Haut Représentant pour
la PESC, a éprouvé le besoin de faire une mise au point la veille de la
conférence au sommet de l' UE et des Etats-Unis du 3 mai 2002 .
Tout en rendant hommage au partenariat euro - américain, il
a souligné la part prise par l' UE dans la promotion de " la stabilité, de la
prospérité et de la démocratie " chez ses voisins et dans le monde .
En Afghanistan, les Européens contribuent en liaison étroite
avec les Etats-Unis à créer les conditions d' un avenir meilleur ; dans les
Balkans ils assument des responsabilités majeures dans la gestion des crises en
Macédoine, en Serbie-Monténegro et au Kosovo .
Sur les 58 000 hommes déployés dans cette région, 38 000
sont des Européens, et l' UE est le principal donateur des pays de l' Europe du
Sud-Est avec une contribution de 23 milliards d' euros au cours de les dix
dernières années .
De son côté, William Wallace , professeur à la London School
of Economics , a rappelé aux décideurs américains que, loin de pratiquer l'
appeasement, les Européens ont apporté au cours de les dix dernières années une
contribution significative à l' imposition de la paix dans des zones instables
et au relèvement de pays ravagés par des guerres civiles .
au printemps 2002, ils avaient déployé 7 000 hommes en
Afghanistan, soit des effectifs supérieurs à ceux des troupes américaines ( 5
500 ) ; ils assument l' essentiel des charges relatives à la consolidation de la
paix en Bosnie et au Kosovo ; enfin, ils contribuent à hauteur de 40 % aux fonds
d' aide des Nations unies et à hauteur de 45 % au financement des opérations de
maintien de la paix .
Ce constat permet de corriger les outrances des jugements
portés outre-Atlantique sur la passivité des Européens face à les nouveaux
risques, mais il ne permet pas d' accréditer la thèse de progrès significatifs
sur la voie d' une PESD, ni de préjuger de la conversion de l' OTAN en une
alliance globale contre le terrorisme .
C' est que les Etats-Unis préfèrent agir seuls ou dans le
cadre de coalitions ad hoc pour riposter aux agressions dont ils sont l' objet,
et l' OTAN aurait surtout pour vocation de favoriser par des élargissements
successifs l' émergence d' une Europe " une et libre " ( whole and free ) et de
fournir aux Américains un réservoir de forces où ils puiseraient en fonction de
leurs besoins et des affinités qu' ils entretiendraient avec certains alliés .
Cependant, on est conscient de la nécessité d' adapter l'
OTAN aux nouvelles tâches qui lui incombent et, au printemps 2002, des
discussions se sont engagées à Bruxelles au niveau de les experts sur les trois
composantes principales de la stratégie de sécurité de l' OTAN, à savoir la
dissuasion, la défense et l' intervention extérieure .
A en s' tenir aux informations parues dans la presse, l'
accent serait mis sur la prévention de toute attaque menée avec des armes de
destruction massive et le renforcement des capacités défensives pour s' en
prémunir en cas de échec de la dissuasion .
Par ailleurs, le centre de gravité de la stratégie de l'
Alliance se déplacerait en direction de la Méditerranée et du Moyen-Orient, où
se situent les principaux foyers de crise et où certains Etats nourrissent l'
ambition de se doter d' armes nucléaires, biologiques et chimiques, s' ils n' en
sont pas déjà pourvus .
Dans ce contexte, il serait nécessaire d' apurer le
contentieux entre la Grèce et la Turquie, d'autant que ces deux pays seraient
prêts à compenser le retrait partiel des troupes américaines stationnées dans
les Balkans si celles -ci étaient requises ailleurs ; en outre, ils auraient
engagé une négociation avec l' Iran en vue de l' intégrer dans cette nouvelle
constellation stratégique et d' en faire un facteur de stabilisation de la
région du Golfe .
D'autres observateurs font état de projets concernant la
formation d' unités spécialisées susceptibles d' être engagées contre des camps
d' entraînement de terroristes, la création de centres pour l' évaluation des
menaces et l' échange de données sur les moyens disponibles pour se protéger
contre le bio-terrorisme .
Plusieurs parlementaires démocrates se sont cependant élevés
contre cette proposition de la Maison-Blanche .
Constatant un décalage de plus en plus perceptible entre les
orientations politiques et l' opinion publique du pays, Dennis Kucinich (
démocrate , Ohio ) , meneur de le groupe opposé à la proposition , a souligné
que " ( ses ) administrés ( étaient ) choqués de voir la direction que ( prenait
) l' Amérique " .
De son côté, Russel Feingold estimait que " l'
Administration ( demandait ) la lune sans nous donner d' informations sérieuses
" .
De même, plusieurs élus démocrates se méfiaient d' un
amendement qui donnait au président tout pouvoir pour gérer la sécurité et la
paix de la région .
Pourtant, la plupart des élus démocrates , à commencer par
les dirigeants de le Parti , estimaient être capables de travailler de concert
avec l' Administration pour mettre au point une résolution sur l' Irak soutenue
par le plus grand nombre .
L' objectif était d' atteindre rapidement un compromis sur
les termes du texte et un vote à la Chambre et au Sénat .
Nancy Pelosi ( démocrate , Californie ) espérait que les
deux camps pourraient travailler ensemble en ce sens .
Mais elle avertit l' Administration qu' elle -même et les
autres parlementaires démocrates souhaitaient des réponses concrètes sur le coût
d' une offensive en Irak en termes d' opération militaire, d' occupation, d'
économie et de guerre totale contre le terrorisme .
Le représentant John Spratt ( démocrate , Caroline-du-Sud )
, de la commission de les Finances à le Congrès , estima ce coût à 93 milliards
de dollars, sans compter les opérations de maintien de paix et les efforts de
reconstruction qui pourraient suivre .
Cependant, le camp démocrate restait divisé entre ceux qui
estimaient qu' une campagne était nécessaire et qu' il convenait de soutenir l'
Exécutif ( Joseph Lieberman et John Edwards au Sénat ), et ceux qui préféraient
se concentrer sur les dossiers de politique intérieure pour attaquer l'
Administration .
Ce fut le cas de Thomas Daschle, qui exprima son soutien à
l'idée de une campagne militaire en Irak, ce qui lui laissait le champ libre
pour critiquer l' Administration sur d'autres dossiers .
Dans une intervention remarquée au Sénat, le 25 septembre
2002, le leader de la majorité démocrate apporta ainsi son soutien à la campagne
militaire, tout en accusant la Maison-Blanche d' utiliser la menace irakienne à
des fins électorales .
En soutenant l' initiative de l' Exécutif, il se mettait à
l'abri de critiques politiciennes, ce qui lui permit de condamner l'
instrumentalisation qui, selon lui, était faite de la crise .
Ainsi, si les parlementaires furent généralement en accord
avec l' Administration sur la nécessité de régler le cas irakien, les critiques
reposaient sur l' absence de débat sur les autres points sensibles, la
Maison-Blanche étant accusée de faire la distinction entre les Républicains,
soucieux des questions de sécurité, et les Démocrates, supposés s' en
désintéresser .
Le 23 septembre 2002, le représentant Alcee Hastings (
démocrate , Floride ) introduisit au Congrès un projet de résolution ( H.J. RES
. 110 ) autorisant le président à faire usage de la force en Irak .
Mais ce texte comprenait un certain nombre de conditions que
l' Exécutif devait remplir, et sans lesquelles les parlementaires pouvaient
émettre des réserves .
Parmi ces conditions figuraient alors :
un effort préalable en vue de régler la crise par la
voie politique, en obtenant si possible le retour des inspecteurs des
Nations unies et le respect des résolutions du Conseil de sécurité ;
des éléments de preuve attestant que l' Irak cherchait à
se procurer des armes de destruction massive et pouvait menacer le
territoire des Etats-Unis ;
un plan précis sur l' après-Saddam Hussein, afin de
garantir la stabilité dans la région ;
des engagements selon lesquels la lutte contre le
terrorisme demeurait la priorité en matière de défense ;
ce texte rappelait enfin le rôle du Congrès dans le
déclenchement des conflits, comme pour informer l' Exécutif qu' une telle
décision ne pouvait être prise qu' au Capitole .
Barbara Lee , seule membre du Congrès qui vota, après les
attentats du 11 septembre, contre une résolution autorisant l' usage de la force
contre les terroristes, a reconnu que cette résolution serait probablement
adoptée par une grande majorité parlementaire .
Ce qui ne l' empêcha pas de proposer sa propre résolution :
les Etats-Unis devaient, selon elle, s' atteler à résoudre le problème irakien à
travers les Nations unies, grâce à des inspections, des négociations et autres
moyens pacifiques .
Elle rejoignait en cela les propositions avancées par
certains partenaires européens des Etats-Unis, en particulier la France .
Enfin, Robert Byrd, qui bénéficiait alors de sa position de
président pro-tempore du Sénat ( en l'absence de le président, il était chargé
d' assurer l' intérim ), rappela que les engagements de l' Administration n'
étaient pas recevables, la preuve que l' Irak
De même, il condamna vivement l' idée selon laquelle les
critiques adressées à l' Exécutif étaient un acte d' antipatriotisme .
En cela, il resta fidèle à la position qu' il avait affichée
tout au long de l' année 2002 .
Selon lui, la Maison-Blanche cherchait à obtenir des
pouvoirs de guerre dépassant de loin ceux dont elle disposait, ce qui pouvait
lui permettre de se lancer dans d'autres opérations futures sans consultation
préalable du Congrès .
Il se positionna ainsi indiscutablement comme le chef de
file de ceux qui se montraient méfiants au Sénat .
De leur côté, plusieurs républicains, dont le chef de la
majorité à la Chambre des représentants, Dick Armey ( Texas ), mirent en garde
l' Administration contre les dangers d' entraîner le pays dans une guerre en
Irak .
Mais les parlementaires du GOP devaient apporter leur
soutien de façon quasi unanime à la résolution finale, au nom de valeurs d'
unité en temps de crise, ralliant derrière eux de nombreux démocrates .
C' est finalement le 10 octobre 2002 que les deux Chambres
ont autorisé le président Bush à déclencher des opérations militaires contre l'
Irak, par 296 voix contre 133 à la Chambre des représentants, et 77 voix contre
23 au Sénat .
Le succès de ce vote s' explique par la prise de position
des leaders démocrates en faveur de la résolution, notamment Richard Gephardt (
à la Chambre ) qui en était l' auteur ; mais il convient de relativiser ce
plébiscite, car plus de la moitié des représentants démocrates votèrent contre .
Au vu des éléments évoqués plus haut, ce vote n' était pas
une surprise, et, s' il est venu conforter l' Administration dans ses positions
à l'égard de l' Irak, il n' illustre pas pour autant un regain d' influence de
l' Exécutif sur les questions de politique étrangère, et apparaît plus
conjoncturel qu' autre chose .
En tout état de cause, le soutien des parlementaires a eu
pour effet de clarifier la position des Etats-Unis, la Maison-Blanche disposant
d' un véritable mandat interne dans sa lutte contre le régime de Saddam Hussein
.
Dans sa version finale, la résolution donnait au président
Bush tous les pouvoirs qu' il avait réclamés .
Cependant, si elle l' autorisait à agir indépendamment des
Nations unies, elle tenait compte des inquiétudes de certains parlementaires en
encourageant le président à épuiser d'abord tous les recours diplomatiques, et
exigeait de lui qu' il remette au Congrès, tous les 60 jours, un rapport au
sujet de toute action unilatérale qui aurait été entreprise .
L' issue des débats est devenue évidente lorsqu' une version
modifiée de la résolution, soutenue par la plupart des démocrates, a été battue
par un vote de 270 voix contre 155 en début de journée .
Cette version exigeait que le président Bush demande au
Congrès de se prononcer une seconde fois sur le recours à la force lorsqu' il
aurait conclu que les démarches diplomatiques par le biais de l' ONU n' avaient
pas abouti .
Le représentant John Spratt ( républicain , Caroline de le
sud ) , qui avait parrainé la version modifiée , déclara : " En l'absence de une
action multilatérale, ce sera les Etats-Unis contre l' Irak et, pour certains,
les Etats-Unis contre le monde arabe et musulman . " Et Jay Inslee ( démocrate,
Washington ) de renchérir : " A mon avis, frapper un tyran et créer 10 000
terroristes ne constitue pas une victoire . " En d'autres termes, de nombreux
parlementaires attendaient l' Administration Bush au tournant et étaient prêts à
multiplier leurs critiques si l' intervention mili
En fait, il a fallu attendre la fin des opérations en Irak,
et surtout le triple attentat suicide de Riyad, pour que l' unité nationale,
généralement perceptible en temps de guerre, recommence à se diluer, et que les
critiques les plus vives concernant la lutte antiterroriste menée par l'
Administration se fassent à nouveau entendre au Congrès .
Conclusion
En s' attardant sur quelques exemples précis, en particulier
depuis la fin de la guerre froide, cette étude permet de mieux comprendre le
rôle du Congrès en matière de pouvoirs de guerre, et dans quelle mesure les
engagements extérieurs des Etats-Unis font systématiquement l' objet de débats
institutionnels opposant le Législatif à l' Exécutif .
Ces divergences sont d' autant plus marquées quand le
Capitole est politiquement opposé à la Maison-Blanche, comme ce fut souvent le
cas depuis 1994 .
Mais la domination de toutes les institutions par un seul
parti n' empêche pas les parlementaires de défendre des prérogatives qu' ils
placent à un niveau supérieur aux traditionnelles querelles politiques .
Ainsi, ce n' est pas parce que le président bénéficie d' une
majorité dans les deux Chambres du Congrès qu' il se retrouve dans une situation
plus favorable .
Un tel constat est indispensable dans le contexte actuel .
A l'occasion de les élections de la mi-mandat organisées le
5 novembre 2002, en effet, les Américains ont voté pour désigner l' ensemble des
435 représentants ( mandat de deux ans ), 34 sénateurs sur 100 ( mandat de six
ans ) et 38 gouverneurs d' Etat sur 50 ( mandat de quatre ans ) .
Après la défection de Jim Jeffords en juin 2001, les
Démocrates étaient majoritaires au Sénat, ce qui leur permettait d' y contrôler
les commissions et de faire pression sur certains dossiers présentés par l'
Administration Bush, comme la ratification du protocole de Kyoto et le bouclier
antimissile .
Par ailleurs, cette opposition partisane était souvent
perçue, de l' extérieur, comme une certaine forme de cohabitation .
Or, si cela est exact sur les dossiers de politique
intérieure, il n' en est rien en ce qui concerne les questions internationales
.
Pour la première fois depuis les élections de 1934, à la
suite desquelles le crédit de Franklin D. Roosevelt en tant que président avait
été renforcé, aucun président des Etats-Unis n' avait vu son parti politique
progresser au cours de les élections de la mi-mandat consécutives à son élection
.
En ce sens, le succès du Parti républicain est une victoire
historique : comme entre janvier et juin 2001, le parti de George W. Bush
contrôle désormais l' Exécutif, les deux Chambres du Congrès et la majorité des
Etats .
Cette victoire est -elle due au soutien de l' opinion
publique à son président ?
George W. Bush était encore crédité, 14 mois après les
attentats de New York et de Washington, de plus de 60 % d' opinions favorables,
ce qui constitue un record au bout de deux ans de présence à la Maison-Blanche .
Mais la victoire des candidats républicains s' explique bien
davantage par des campagnes de terrain que par une stratégie d' ensemble à la
tête de laquelle se serait porté le président .
Enfin, la campagne électorale a été marquée par l'
importance des financements, ceux -ci ayant été majoritairement le fait d'
initiatives locales .
Mais le seul point sur lequel cette élection apparaît comme
une victoire personnelle de George W. Bush est qu' il a lui -même choisi la
plupart des nouveaux candidats, et que ceux -ci ont connu des résultats
largement positifs .
Ainsi, parler d' un vote de soutien au président semble
caricatural, mais il s' agit indiscutablement d' une victoire personnelle du
chef de l' Exécutif, et Thomas Daschle n' hésite pas à expliquer la défaite de
son camp par la campagne menée par George W. Bush, justifiant ainsi les mauvais
résultats des Démocrates .
De même, il est difficile de voir dans cette élection une
réelle victoire du camp républicain, la campagne ayant peu porté sur des
questions partisanes, mais plutôt une défaite des Démocrates, qui n' ont pas été
en mesure de proposer une alternative, ni de mettre en avant leurs différences
de vues, sur les questions tant internes qu' externes .
En tout état de cause, le résultat de ces élections a
renforcé la position de l' Administration et mis entre parenthèses la constante
opposition partisane qui existait entre le Sénat et la Maison-Blanche depuis
1994 ( à l'exception de la période de janvier à juin 2001, quand les
Républicains étaient majoritaires dans les deux Chambres ) .
Jusqu' aux élections de novembre 2002, l' Administration
Bush pourrait être exempte de toute critique dans sa gestion des affaires
internationales, notamment au Moyen-Orient, même si la plupart de ces questions
font l' objet d' un fort consensus entre les différentes composantes politiques
du Congrès .
Par ailleurs, dans le contexte actuel, les Démocrates ont
tout intérêt à privilégier les questions intérieures dans leurs critiques
adressées à l' Administration, laissant ainsi de côté les problèmes
internationaux, à l'instar de Bill Clinton qui, en 1992, s' était concentré sur
l' économie et les problèmes sociaux et avait totalement délaissé les affaires
étrangères .
Dans ces conditions, les résultats des élections de novembre
2002 devraient avoir pour effet de laisser le champ libre aux Républicains sur
les questions internationales dans les deux prochaines années .
C' est donc à l'intérieur de le Parti républicain que les
tendances lourdes en matière de politique étrangère vont se dégager .
Il convient donc d' analyser à la fois les différents
mouvements au sein de le GOP et les relations de ce parti avec l'
Administration, et aussi dans quelle mesure certaines conceptions recevront un
écho plus ou moins favorable, et seront ainsi susceptibles, ou non, de
participer pleinement à la formulation de la politique étrangère du pays .
Parmi les personnalités les plus influentes se trouvent les
nouveaux présidents des commissions des Relations internationales et des Forces
armées au Sénat, Richard Lugar ( républicain, Indiana ) et John Warner (
républicain, Virginie ), tous deux réputés pour leurs prises de positions
conservatrices .
Plus que des divergences opposant Républicains et
Démocrates, les futurs débats sur les questions internationales mettront en
évidence les désaccords existant au sein de le GOP entre des parlementaires
conservateurs et d'autres plus " centristes ", à l'instar de ceux opposant les "
faucons " et les " colombes " au sein de l' Administration .
Ils permettront aussi de mesurer clairement l' importance
des prérogatives constitutionnelles, que les parlementaires républicains ne
manqueront pas de mettre en avant à l'occasion de les futurs engagements de l'
Administration Bush sur la scène internationale .
Si la victoire des Républicains a ainsi des effets
importants sur les questions intérieures, le Congrès se rangeant derrière les
propositions de lois de l' Administration , il n' en sera pas forcément de même
en ce qui concerne les affaires internationales, et l' équipe de George W. Bush
devra faire face, sur ce point, à la fois à l' aile droite du Parti républicain
et aux initiatives bipartisanes derrière lesquelles pourraient se ranger des
parlementaires plus " centristes ", susceptibles de s' associer aux Démocrates
en certaines circonstances .
Il sera indispensable pour l' Exécutif de savoir compter
habilement sur ces différentes tendances .
TITRE : La crise budgétaire des Etats fédérés américains
AUTEUR : François Vergniolle de Chantal
La quasi-totalité des Etats - seuls l' Alabama , le Michigan ,
New York , et le Texas ont 0 des dates différentes - ont eu à boucler leur budget
pour l' année fiscale 2003-2004 le 30 juin dernier, révélant ainsi l' ampleur de la
crise budgétaire qui les frappe .
Le constat de crise est généralisé depuis le printemps 2003 :
les différents think tanks ont tous leur avis sur la question - le Cato critiquant
l' interventionnisme fédéral, la Brookings dénonçant les irresponsables coupes
budgétaires étatiques, et Heritage le manque de responsabilité fiscale des
dirigeants - .
Ces derniers, ainsi que les lobbies intergouvernementaux (
National Governors'Association , National Association of States'Legislatures en
particulier ) , s' emploient à développer les éléments d' une rhétorique récurrente
depuis le début des années quatre-vingt-dix, et selon laquelle la crise actuelle est
a ) la pire depuis longtemps b ) totalement imprévisible c ) imputable pour l'
essentiel à la politique fédérale .
La situation est d' autant plus difficile que tous les Etats -
sauf le Vermont - sont contraints par leur constitution d' assurer un budget
équilibré .
Plus généralement, les difficultés budgétaires actuelles peuvent
être aisément interprétées comme une manifestation des impasses d' un fédéralisme
dit " coopératif " où les pressions contradictoires et les accusations mutuelles
entre les différents niveaux de gouvernement ( fédéral, fédéré, local, municipal )
sont quasi-permanentes .
C' est d'ailleurs là un thème qui revient fréquemment dans le
débat actuel, que ce soit à la droite ou à la gauche de l' échiquier politique, et
qui prend la forme d' un appel au " tri " ( sorting out ) des fonctions
gouvernementales .
Les conservateurs vont ainsi défendre un transfert plus net de
fonctions vers les Etats fédérés, alors que leurs homologues libéraux ( au sens
américain ) considèrent que l' Etat fédéral doit assumer ses fonctions nationales .
Derrière la rhétorique, il va de soi que l' équilibre financier
des Etats pose de façon aiguë le problème des relations intergouvernementales .
des Présidents comme Ronald Reagan ou Richard Nixon , en leur
temps , l' avaient parfaitement compris et tenté de le mettre en oeuvre avec des
programmes dits de " Nouveau Fédéralisme " ( New Federalism ) dont l' objectif le
plus direct était d' alléger la charge financière de l' Etat fédéral en transférant
aux Etats fédérés un nombre plus important de responsabilités .
De nos jours, comme il y a vingt ans, l' argument " fédéral "
est fortement lié aux questions budgétaires, alors qu' il est souvent présenté comme
en engagement politique, voire idéologique .
Au lieu de mettre l' accent sur les débats en cours concernant
la question du fédéralisme, nous voudrions fournir un éclairage des principaux
éléments budgétaires du problème .
Malgré la diversité des situations étatiques - le Wyoming ne
connaît par exemple aucune crise financière alors que la Californie, elle, voit une
crise politique et institutionnelle se greffer à ses problèmes budgétaires -, les
principales causes de la crise sont aisément identifiables .
Il est ainsi possible de mettre en lumière des évolutions
importantes du fédéralisme américain . Il semble à peu près acquis que le pari
conservateur de ces dernières années, celui de la " dévolution " ( devolution ), est
en passe de être gagné .
Dans une large mesure, l' actuelle crise budgétaire des Etats
fédérés est le produit du succès de la stratégie conservatrice de " Nouveau
Fédéralisme " .
La fragilité de la situation budgétaire des Etats fédérés
Dans un éditorial récent du Washington Post, un Sénateur
démocrate de Caroline de Sud expliquait que l' administration Bush avait réussi
à masquer la gravité de la situation budgétaire de l' Etat fédéral .
Le constat d' un certain oubli médiatique s' impose encore
plus pour les Etats fédérés .
En écho à la situation fédérale, les Etats sont bien en
proie à une crise budgétaire particulièrement aiguë .
Hormis les spécialistes de la question, cette crise ne
semble pourtant pas intéresser l' opinion publique américaine, et encore moins
les observateurs étrangers .
Le caractère récurrent de la crise budgétaire des Etats est
sans doute une part de l' explication - au début de la décennie
quatre-vingt-dix, la situation était assez similaire -, tout comme la
quasi-certitude d' une aide de l' Etat fédéral .
Pourtant, le problème est bien réel et il est presque
certain que ses conséquences immédiates vont lui donner rapidement une
visibilité politique .
Les hausses d' impôts, en particulier , touchent directement
les électeurs, et le lancement de la campagne présidentielle à partir de les
primaires de l' hiver 2004 va mécaniquement contribuer à faire de la crise
budgétaire étatique un enjeu politique : les candidats démocrates ne peuvent pas
laisser passer une telle occasion de critiquer la politique économique du
Président, et celui -ci devra forcément le prendre en compte .
L' ampleur du gouffre budgétaire devant lequel se trouvent
les Etats est nettement plus préoccupante qu' au début de la précédent crise .
La récession avait officiellement touchée le pays en juillet
1990 .
Dès le milieu de l' année fiscale 1991, trente Etats
faisaient face à un déficit cumulé de 15 milliards de dollars .
La solution adoptée avait été une augmentation substantielle
des impôts étatiques, d' environ 27 milliards de dollars entre l' année fiscale
1989 et celle de 1992 .
A l'époque, la hausse draconienne des impôts avait aussi
résulté du manque d' économie des Etats, et pas simplement de la mauvais
situation d' ensemble .
Ainsi, la plupart des Etats essaient maintenant de mettre de
l' argent de côté soit dans le fond général, soit dans un fond spécifique dit de
stabilisation ( on mentionne souvent ce dernier sous l' expression de " rainy
day fund " ) .
Lors de la récession de juillet 1990, les Etats avaient, en
moyenne, 4.7 % de leur budget en réserve dans l'un de ces deux fonds, soit 12
milliards de dollars ; or ceci s' est révélé largement insuffisant, d' où le
recours aux impôts .
A partir de 1993, avec le redécollage de l' économie
américaine, les Etats avaient finalement réussi à émerger de leurs problèmes
budgétaires, et en avaient profité pour revenir sur les augmentations d' impôts
: entre 1994 et 2001, 43 Etats ont baissé les impôts pour un montant de plus de
40 milliards de dollars .
Le ralentissement économique actuel a débuté à la fin de l'
année 2000 en touchant d'abord des zones industrielles autour de les Grands Lacs
et des ports du Sud ; les attentats du 11 septembre 2001 ont encore fragilisé la
situation .
Cette fois, ce sont donc les Etats du Sud ( Alabama,
Arkansas, Kentucky, Missouri, les Carolines, Tennessee, et la Virginie ) ainsi
que ceux du Midwest ( Indiana, Michigan, Ohio ) qui ont connu les premières
difficultés à partir de le printemps 2001 .
Les responsables étatiques avaient aussi tenté de pallier d'
éventuels problèmes budgétaires à venir en augmentant les réserves budgétaires :
en 1999, elles se montaient ainsi à 8,5 % du budget des Etats .
Mais pourtant, la situation est sans commune mesure avec
celle du début des années quatre-vingt-dix .
Les experts considèrent que les Etats auraient dû doubler
leurs réserves ( de 8,5 % à 18,6 % selon le Center on Budget and Policy
Priorities ) pour faire face à la force de la crise actuelle .
Ainsi, le CBPP estime qu' à présent plus de la moitié des
Etats ont des revenus inférieurs à ce qui était initialement prévu en 2002, de
sorte que 45 d' entre eux ont un déficit budgétaire pour l' année fiscale 2003
d' un montant de 25 milliards de dollars, chiffre qui devrait se monter, selon
les estimations, à 68, voire 85 milliards de dollars pour l' année 2004 .
Une large part des remous budgétaires actuels trouve son
explication dans la configuration des prélèvements étatiques .
En effet, il semblerait que le système fiscal existant
amplifie rapidement - soit à la hausse, soit à la baisse - les évolutions
économiques nationales .
Il faut donc se tourner vers la composition des revenus et
des dépenses des Etats .
La masse budgétaire des Etats est considérable, y compris
par rapport à le budget de l' Etat fédéral .
C' est une donnée peu réalisée par les lecteurs européens,
mais les Etats fédérés étant, au sein de le système fédéral, des entités
souveraines dans le domaine de compétence que leur réserve la Constitution, ils
ont à leur disposition un appareil fiscal substantiel .
En 1997, le total des revenus étatique atteignait 815
milliards de dollars .
Les Etats ont collecté en propre 584 milliards de dollars,
et l' Etat fédéral a fourni les 231 milliards de dollars restants, par le biais
de financements catégoriels ou " en bloc " ( categorical grant - block grant ),
c' est-à-dire soit en finançant des programmes spécifiques - dits " catégoriels
" - soit en attribuant une somme générale à un domaine dont la gestion courante
est laissée aux Etats fédérés .
Cette masse budgétaire des Etats se décompose classiquement
en revenus ( prélèvements ) et en dépenses .
Au niveau des prélèvements, l' impôt sur le revenu ( income
tax ) et l' impôt sur la consommation ( sales tax ) occupent les premières
places, puisqu' ils représentent chacun environ 18 % du revenu total des Etats .
Les rentrées de l' impôt sur la consommation augmentent
relativement peu .
Elles ont été dépassées par le montant de l' impôt sur le
revenu perçu par les Etats au cours de la décennie quatre-vingt-dix .
L' impôt sur la consommation a en effet été érodé par toute
une série d' exemptions accordées à différents produits, par exemple aux ventes
effectuées sur Internet, mais ces réductions varient considérablement d' un Etat
à l' autre, produisant, en fin de compte, une situation extrêmement complexe,
voire confuse .
Troisième grande catégorie, les soutiens de l' Etat fédéral
.
Plus de la moitié de ces " aides intergouvernementales "
sont des financements destinés à des programmes d' assistance sociales ( public
welfare ) tels le récent Temporary Aid to Needy Families ( TANF ) qui, depuis
1996, remplace le programme AFDC ( Aid To Families With Dependent Children ) .
Ces aides représentent la part la plus importante des
revenus des Etats - un peu plus de 28 % en 1997 - de sorte que aucun Etat ne
pourrait boucler son budget sans l' aide de l' Etat fédéral .
Dans ces conditions, l' élément fondamental pour l'
équilibre budgétaire de les Etats est bien la décision fédérale !
La crise actuelle de les Etats a lieu au moment où l' Etat
fédéral relance sa stratégie de désengagement financier entamée depuis les
années quatre-vingt .
Il ne s' agit pas bien sûr d' une simple coïncidence : au
vu de la masse des aides fédérales, c' est là l' élément déterminant des
difficultés étatiques .
A côté de ces trois grandes sources de revenu, il convient
de mentionner l' impôt sur les entreprises ( corporate tax ) qui, en 1997,
représentait un peu moins de 4 % du revenu étatique total .
Derrière ces chiffres globaux, les Etats varient
considérablement dans la composition de leur revenu .
Ainsi, neuf d' entre eux imposent peu ou pas d' impôt sur le
revenu ( le New Hampshire et le Tennessee dans la première catégorie, alors que
l' Alaska, la Floride, le Nevada, le Dakota du Sud, le Texas, l' Etat de
Washington, et le Wyoming n' ont pas du tout d' impôt sur le revenu ) .
Le Massachusetts et l' Oregon, à l' inverse , ont un impôt
sur le revenu qui constitue 30 % de leur revenu total .
La même ambivalence se relève au niveau de l' impôt sur la
consommation .
Cinq Etats ne disposent pas d' un tel impôt ( l' Alaska, le
Delaware, le Montana, le New Hampshire, et l' Oregon ), alors qu' en même temps,
la Floride, le Nevada et l' Etat de Washington voient cette taxe représenter
entre 35 et 40 % de leurs revenus .
Au niveau des dépenses budgétaires, on peut aussi identifier
quelques postes qui ressortent de façon disproportionnée dans le budget général,
et il convient également de souligner la grande hétérogénéité des Etats en la
matière .
L' éducation primaire et secondaire ( elementary and
secondary education ) représentait 160 milliards ( soit 20 % ) des dépenses des
Etats en 1997 .
Le second poste, celui de l' assistance sociale ( public
welfare ) , représentait, à la même date, 16 % des dépenses, et était
essentiellement lié à Medicaid, le programme fédéral d' assistance aux
défavorisés .
Le troisième poste, surclassé par le précédent depuis le
début de les années quatre-vingt-dix , est celui de l' enseignement supérieur (
higher education ), totalisant 12 % des dépenses .
Viennent ensuite les hôpitaux, les autoroutes, et d'autres
programmes de santé mineurs .
La composition des dépenses varie considérablement d' un
Etat à l' autre, ce qui rend compte de profondes différences historiques et
sociales .
Il est en effet possible, en première approche, de diviser
les Etats en deux catégories générales : institutionnellement, on distingue le
plus souvent deux groupes d' Etats, mais cette différence n' est pas purement
formelle .
Elle a des influences importantes quant à les politiques
publiques mises en oeuvre par les Etats .
Le premier groupe, dit " jacksonien ", est composé d' Etats
où les Exécutifs sont faibles et où l' interventionnisme des pouvoirs publics
est limité ; il s' agit surtout d' Etats du Sud .
Le second groupe, dit " progressiste " , est composé d'
Etats du Midwest, de la Nouvelle-Angleterre, de la Californie et de New York .
Le pouvoir exécutif y est puissant, et l' activisme des
pouvoirs publics ( notamment en matière sociale ) est réel .
Il va de soi que les Etats appartenant à la seconde
catégorie ont un système de prélèvement relativement familier à un Européen : un
impôt sur le revenu élevé destiné à financer un activisme public réel .
Tendanciellement, il semblerait que les Etats dits "
Progressistes " peuvent donc faire face plus aisément aux fluctuations
économiques nationales .
Le poids de l' impôt sur le revenu dans le budget de ces
Etats agit très certainement comme une forme de stabilisateur, assurant une base
fiscale solide .
Mais pourtant, le développement de leur système fiscal ne
les met pas à l'abri de importants problèmes budgétaires qui, là encore, sont
connus en Europe : comment concilier rigueur de gestion et le développement d'
une politique sociale réelle ?
Si les Etats " progressistes " sont donc plus susceptibles
de pouvoir faire face à les problèmes de conjoncture, le développement de leurs
politiques sociales pose aussi le problème de gestion des conséquences de la
crise économique - chômage en tout premier lieu - .
Ainsi, à la différence des Etats " Jacksoniens ", ceux qui
ont une tradition activiste plus prononcée ne doivent pas seulement gérer des
problèmes au niveau de leurs recettes, mais également au niveau de leurs
dépenses .
Quant aux Etats " Jacksoniens ", ils ont leurs propres
problèmes .
La dépendance plus forte vis-à-vis de l' impôt sur la
consommation accroît radicalement les risques de fluctuations majeures des
recettes fiscales en fonction de l' état de l' économie .
En cas de récession économique, la chute de la consommation
influe directement sur le niveau des prélèvements étatiques .
En fin de compte, l' organisation fiscale de ces Etats les
rend particulièrement sensible à la situation économique .
Les causes structurelles de la fragilité budgétaire des
Etats .
Dans la littérature concernant la fiscalité étatique, les
fragilités du système budgétaire sont systématiquement mises en avant .
Plus récemment, les représentants du lobby
intergouvernemental ont souligné que la source la plus immédiate de fragilité
réside dans le type de croissance économique enregistré au cours de les années
quatre-vingt-dix .
Les ménages ont vu leurs revenus boursiers considérablement
augmenter, de sorte que les rentrées fiscales des Etats ont, elles aussi, connu
une forte croissance .
La tendance s' est immédiatement renversée avec le
ralentissement économique, ce qui a largement amputé les prévisions budgétaires
des Etats fédérés .
Ces tendances conjoncturelles, régulièrement soulignées ,
sont très certainement un facteur important dans le déclenchement de la crise
budgétaire actuelle .
Mais elles sont loin de être les seules à jouer .
Les défauts structurels sont déterminants, que ce soit au
niveau de le fonctionnement fiscal des Etats que de leur rapport avec l'
autorité fédérale .
Le problème peut se résumer aisément : le coût des services
demandés aux Etats croît beaucoup plus que ce que permet leur base fiscale .
Cette dernière est en effet beaucoup trop instable, en
particulier au vu des évolutions les plus récentes .
Mais ces faiblesses fiscales sont induites par la
configuration même du système fédéral .
Les Etats ont une marge de manoeuvre relativement limitée
pour réformer leur système : tendanciellement, le système fédéral rend tout
changement d' ampleur de la fiscalité étatique difficile .
La part croissance de l' impôt sur le revenu dans le budget
des Etats a une conséquence particulièrement néfaste, celle d' accroître encore
un peu plus la sensibilité des budgets aux cycles de l' économie .
En effet, à la différence de ce qui se fait en Europe, l'
impôt des Etats fédérés est fondamentalement proportionnel et non pas progressif
.
C' est pourquoi les impôts fédérés sur le revenu tendent à
augmenter plus que la croissance ; de la même façon, ils sont beaucoup plus
sensibles à toute baisse .
Il n' y a en fait que peu d' Etats - ceux dits "
Progressistes " - qui ont un impôt sur le revenu pouvant jouer le rôle d' acteur
contre-cyclique qu' on lui connaît en Europe .
Dans ces conditions de forte " volatilité ", la seule option
qui reste ouverte à les Etats consiste à augmenter leur impôt sur le revenu ou à
le rendre plus progressif .
Dans les deux cas, le risque est le même pour chaque Etat,
celui de trop augmenter le montant des prélèvements, et de devenir moins "
attractif " que l' Etat voisin .
Cet effet de " nivellement " mutuel ( race to the bottom ) ,
très largement induit par la structure fédérale de le pays , se retrouve au
niveau de l' impôt sur la consommation .
En effet, certains Etats n' imposent pas certains biens de
consommation courante ( vêtements, produits alimentaires ) ou alors excluent les
services de toute imposition, l' objectif étant de favoriser la croissance
économique .
Mais ces Etats se placent alors dans une situation où ils
sont particulièrement sensibles aux baisses d' activité économique, même si, en
règle générale, l' impôt sur la consommation reste moins élastique que l' impôt
sur le revenu des Etats .
Le faible nombre de tranches rend cet outil
particulièrement sensible aux fluctuations de l' économie : la diminution du
nombre de contribuables dans les tranches élevées fait mécaniquement baisser le
produit de l' impôt d' une façon disproportionnée !
Enfin, à l'instar des deux impôts précédents, l' impôt sur
les sociétés subit lui aussi une pression à la baisse due à la mise en
concurrence des Etats fédérés .
Les insuffisances de les techniques budgétaires de les Etats
fédérés ne sont donc pas seules responsables des difficultés présentes .
Loin s' en faut .
Les problèmes actuels se comprennent en référence au
contexte institutionnel plus global, celui de la structure fédérale d' ensemble
.
La question de la " concurrence " fiscale entre les Etats l'
indique déjà clairement .
Mais le constat est encore plus frappant dans le cadre de le
renouveau des relations entre les Etats fédérés et l' Etat fédéral .
Les tentatives conservatrices de création d' un " Nouveau
Fédéralisme " transférant 0 des responsabilités à les Etats portent leurs
fruits, quarante ans après les premières initiatives en la matière .
Il semble que suite à l' accumulation de réformes en
apparence mineures, les relations intergouvernementales commencent à se
redéployer en empruntant un nouveau " chemin " institutionnel .
Jusqu'à présent, l' essentiel des efforts de " Nouveau
Fédéralisme " conservateur s' est appliqué aux politiques sociales .
On se souvient ainsi que dès le début des années
quatre-vingt, le Président Reagan avait proposé un vaste " échange " ( swap ) de
fonctions entre l' Etat fédéral et les Etats fédérés .
Dans son Discours sur l' Etat de l' Union de janvier 1982,
Reagan avait suggéré de prendre totalement en charge au niveau fédéral le
programme national d' assurance maladie pour les plus pauvres ( Medicaid ) en
échange d' une gestion complète d'autres programmes ( AFDC - Aid to Families
with Dependent Children -, les coupons d' alimentation - Food Stamps - et 61
programmes plus mineurs ) par les Etats .
Au total, le Président proposait, en huit ans, de transférer
des responsabilités aux Etats pour un total de plus de 57 milliards de dollars,
essentiellement dans les domaines des services sociaux, des transports, et de l'
éducation .
La nouvelle charge financière serait allégée par l' Etat
fédéral jusqu' en 1991, avec la création d' un fond spécial de transition .
A partir de cette date néanmoins, les Etats fédérés auraient
dû eux -mêmes effectuer les ajustements budgétaires nécessaires .
Ces derniers ont rapidement rejeté le projet par crainte du
surcoût budgétaire qu' il allait très certainement entraîner .
Depuis lors, les équipes conservatrices à le pouvoir ont
adopté une politique plus modérée dans ses ambitions .
Mais l' essentiel de le " modèle " de 1982 est demeuré .
L' Etat fédéral a constamment cherché à transférer ses
charges financières vers les Etats fédérés dans le domaine de la politique
sociale .
Ainsi, le transfert de responsabilités ( devolution ) vers
les Etats fédérés a été une caractéristique des vingt dernières années .
Elle a été menée essentiellement par une réorientation
budgétaire - et incrémentale - de l' Etat fédéral .
Celui -ci a réglé ses problèmes budgétaires en transférant
une part de plus en plus importante de ses fonctions traditionnelles de
politique sociale aux Etats fédérés .
Les exemples illustrant cette tendance sont légions .
Il suffit ici de mentionner le dernier avatar, la loi de
1996 ( Personal Responsibility and Work Opportunity Reconciliation Act, PL 104 -
193 ) réformant l' aide sociale en transférant le programme AFDC aux Etats et
qui, ce faisant, a considérablement allégé les finances fédérales .
Avant le vote de cette loi, l' AFDC était déjà largement
délégué aux Etats fédérés dans sa gestion .
Depuis lors, sous l' appellation de TANF, il est
entièrement de leur responsabilité, dans la mesure où il incombe aux Etats de
définir les critères d' admissibilité des prestataires, sans supervision
fédérale .
L' Etat fédéral se contente de distribuer des financements
" en bloc " ( block grants ), en sa basant sur la somme que les Etats
consacraient au programme avant l' adoption de la réforme .
Le rôle de l' Etat fédéral est donc, en apparence,
relativement limité si on le compare avec son action antérieure .
En revanche, il l' est beaucoup moins si l' on prend en
considération toute une série de nouvelles obligations d' obédience
conservatrices, crées par la loi, et qui, au final, donnent à l' Etat fédéral
une forte capacité de coercition .
En effet, si Washington ne fixe plus les critères d'
admissibilité et ne fixe plus les critères d' admissibilité et fixe plus les
critères d' admissibilité et il il réduit bien son financement, il peut
cependant imposer des règles très strictes, notamment en ce qui concerne l'
incitation au travail ( workfare ) .
Les Etats se retrouvent donc placés sous l' obligation de
mener à bien des programmes difficiles et coûteux, sans que l' Etat fédéral ne
prévoit de les financer .
du point de vue étatique, la loi de 1996 se résume donc
comme une vaste obligation fédérale conservatrice dépourvue de tout financement
approprié .
Ce sont les nouveaux " unfunded mandates " imposés par les
conservateurs qui placent les Etats en difficulté budgétaire au moindre
retournement de la situation économique .
Le constat est particulièrement flagrant dans le cas de la
politique sociale où une crise économique, même légère, risque de créer une
pression insupportable sur les budgets fédérés avec l' augmentation des demandes
d' aide sociale .
Mais pourtant, le transfert de compétences sans financement
approprié tend à se généraliser .
Ainsi, les responsables étatiques actuels dénoncent
fréquemment la loi sur l' éducation signée par le Président en janvier 2002, le
No Child Left Behind Act ( PL 107 - 110 ) .
Cette loi institue une série de requis fédéraux en termes d'
apprentissage de la lecture, et constitue de ce fait une nouvelle exigence faite
aux autorités fédérées, sans que les financements nationaux suivent : le Congrès
avait initialement prévu une enveloppe de 29 milliards de dollars, alors que les
estimations actuelles chiffrent le montant du coût total à 35 milliards de
dollars .
Néanmoins, l' exemple le plus massif est celui de la lutte
contre le terrorisme entamée depuis septembre 2001 .
Les Etats sont amenés à prendre en charge quantité de
missions nouvelles pour répondre aux exigences du tout nouveau Ministère de la
Sécurité du Territoire ( Homeland Security ) .
La surveillance d' un territoire aussi vaste que celui des
Etats-Unis ne peut se faire sans le secours des Etats fédérés qui, ainsi, se
retrouvent en première ligne de l' effort national contre la menace terroriste .
Les " premiers secours " ( first responders ) appelés à
jouer un grand rôle en cas de attaque terroriste sont de responsabilité locale
ou étatique ( pompiers, police, services médicaux ), et nécessitent un effort
financier tout particulier dans lequel l' Etat fédéral ne s' implique
volontairement pas .
Les autorités fédérales s' en tiennent à une action de
coordination ou investissent complètement d'autres secteurs ( comme la sécurité
aérienne par exemple ) . Ces nouveaux requis - le plus ancien remonte au milieu
de les années quatre-vingt-dix - alourdissent considérablement les budgets
fédérés, déjà aux prises avec des difficultés plus traditionnelles, comme l'
escalade des coûts du programme d' assistance aux plus pauvres, Medicaid .
Celui -ci représente dorénavant plus de 20 % des budgets
des Etats, et, étant donnée la démographie, sa part continue à augmenter .
En fin de compte, il semble que les succès budgétaires
fédéraux de la fin des années quatre-vingt-dix soient essentiellement dus à la
tactique de transfert des compétences .
Ces transferts ont pour contrepartie une extension des
compétences étatiques, sans que les moyens financiers suivent .
En effet, dans le meilleurs des cas, l' Etat fédéral associe
ces transferts à des financements " en bloc " ( block grants ), rompant ainsi
avec la tradition des financements joints ( matching funds ) .
Entre 1999 et 2000, les dépenses étatiques ont ainsi
augmenté deux fois plus vite que les dépenses intérieures de l' Etat fédéral .
Dans ces conditions, les Etats doivent prendre le risque d'
augmenter les impôts ou d' en créer de nouveaux .
C' est la première difficulté qui est apparue dès les années
quatre-vingt-dix, pourtant par ailleurs une période de forte croissance
économique .
Avec le ralentissement actuel et la chute des revenus
étatiques, la situation est encore plus contrainte .
Les Etats ont moins de possibilités financières, alors qu'
on attend plus d' eux, en particulier en matière sociale .
Les principales conséquences de la crise
Dans un tel cadre, il est clair que les Etats vont devoir
réajuster leur équilibre budgétaire .
Leur premier mouvement a été de se tourner vers l' Etat
fédéral pour un soutien .
Malgré l' opposition des cercles conservateurs de Washington
- Heritage est ainsi particulièrement opposée à toute forme d' assistance - le
Président Bush a promulgué une loi d' aide financière .
Le Jobs and Growth Tax Relief Reconciliation Act ( PL 108 -
27 ), signé en mai 2003, transfert 20 milliards de dollars aux Etats .
Mais les autorités fédérales ne semblent pas aller au-delà
de ce premier effort .
L' autre solution qui s' impose consiste alors en des coupes
budgétaires sévères .
Au-delà de les mesures les plus immédiates - puiser dans les
réserves, utiliser des fonds non attribués, ou même mettre un terme à les
procédure contre les entreprises de tabac dans l' espoir d' obtenir plus vite un
dédommagement - ce sont bien les dépenses programmées qui sont revues à la
baisse .
Tous les services étatiques sont affectés d' une façon ou d'
une autre .
L' entretien des parcs naturels ou de les sites historiques
voit son budget baissé, tout comme la police, les pompiers ou les écoles ; quant
à les universités d' Etat, elles voient leur coût augmenter dans une vingtaine
d' Etats ( le Massachusetts a ainsi augmenté les droits d' inscription de 24 %
en 2002 ) .
des employés de la fonction publique étatique sont
licenciés dans des Etats comme le Connecticut, la Californie, le Colorado, le
Massachusetts, l' Oregon, la Caroline du Sud, l' Utah, et la Virginie : depuis
juin 2002, le nombre d' employés étatiques a baissé de 91000 ( se stabilisant à
environ 5 millions de personnes ), tandis que le nombre d' employés municipaux
ou locaux, lui, restait stable à 13.8 millions de personnes .
Certains Gouverneurs sont même allés jusqu' à baisser leur
propre salaire, comme en Caroline du Sud et dans l' Oregon .
Dans le Rhode Island, un " audit " étatique a été lancé
sous l' autorité du Gouverneur .
Mais Mais au-delà de ces mesures qui, pour certaines sont
uniquement des effets d' annonce, ce sont les programmes sociaux qui sont
politiquement et socialement les plus aisés à diminuer en temps de crise, alors
que, paradoxalement, ils sont les plus directement concernés .
En 2002 et 2003, les Etats ont d'ores et déjà diminué les
fonds destinés à Medicaid, certains programmes scolaires, les aides à la
formation professionnelle et au logement .
Mais c' est bien Medicaid qui constitue la cible
essentielle, son coût étant en croissance constante .
L' augmentation du nombre de bénéficiaires - partiellement
liée à la crise économique - et la hausse de le prix de certains médicaments
accentuent la pression sur les budgets des Etats .
Les dépenses étatiques liées à Medicaid ont ainsi augmentées
de 12 % en 2001, en 2002, et en 2003 .
Les Etats ont donc utilisés toute une panoplie d'
instruments pour limiter cette croissance : 49 Etats ont d'ores et déjà annoncé
des réformes, telles que limiter le remboursement des médicaments ou augmenter
le ticket modérateur ( 45 Etats s' y sont engagés ), renforcer les critères d'
admissibilité ( pour 27 Etats ), réduire le niveau des prestations tels que les
soins dentaires ( ce qui concerne 25 Etats ) .
Mais pour l' instant, ces décisions n' ont eu que des effets
limités, ce qui explique que 50 % de l' enveloppe budgétaire votée au niveau
fédéral en mai soient destinés à Medicaid .
En tous les cas, il s' agit là une constante dans l'
attitude des autorités étatiques : rechercher la solution politiquement la moins
risquée, autrement dit, celle qui limite les coûts électoraux .
Ainsi, dans un premier temps, diminuer le taux de croissance
des dépenses est systématiquement préféré à une baisse brutale de ces mêmes
dépenses .
Pour la même raison, l' endettement est une solution de
court terme qui est fréquemment employée .
Depuis janvier 2003, les Etats ont déjà emprunté 230
milliards de dollars, ce qui va partiellement servir à combler les déficits .
Mais actuellement, devant l' ampleur du problème, les
autorités étatiques ne peuvent échapper à la solution la plus douloureuse
politiquement, le niveau des revenus .
Autrement dit, les Etats doivent maintenant se résoudre à
augmenter les prélèvements .
Après 7 ans de coupes budgétaires ininterrompues au niveau
de les Etats, le changement est brutal, et est en porte-à-faux par rapport à le
discours national impulsé par l' équipe Bush sur la nécessité de baisser les
impôts .
Les Etats ont augmenté soit leur impôt sur le revenu ( New
York, Massachusetts, Californie, Oregon, New Jersey ), soit leur impôt sur la
consommation ( Tennessee, Kansas, Nebraska, et la Caroline du Nord ) . A la fin
de l' année civile 2002, les augmentations des impôts étatiques ont atteint le
montant total de 6 milliards de dollars, soit l' augmentation la plus importante
depuis 1993 .
En effet, en 2001, l' augmentation totale n' avait
représenté qu' un montant de 1.8 milliards de dollars .
Par contre, lors de la crise budgétaire du début des années
quatre-vingt-dix, l' augmentation avait représenté près de 15 milliards de
dollars en une seule année .
29 Etats ont choisi d' augmenter les revenus, avec l' Etat
de New York comme champion toute catégorie - alors qu' en janvier dernier le
Gouverneur Pataki s' était engagé à éviter toute hausse des impôts - suivi de
près par le Massachusetts .
De façon assez classique, les Etats ont privilégié les
hausses les moins visibles, c' est-à-dire les moins coûteuses électoralement .
C' est la raison pour laquelle l' outil favori des
responsables étatiques reste plus que jamais l' augmentation de l' impôt sur le
tabac .
19 Etats ont augmenté cet impôt, notamment la Pennsylvanie
et l' Indiana qui l' ont plus que triplé .
Les revenus étatiques générés par le tabac ont ainsi
augmenté de plus de 2 milliards de dollars pour l' année fiscale 2003 .
Par contre, les augmentations de l' impôt sur le revenu ont
été relativement modestes : le Massachusetts n' a prélevé que 360 millions de
dollars supplémentaires pour l' année fiscale 2003, à comparer avec les 3
milliards de déficit enregistrés .
L' impôt sur la consommation a été utilisé beaucoup plus
souvent, car il est notoirement moins douloureux que l' impôt sur le revenu .
Pour l' année civile 2002, le montant total de les
augmentations à ce niveau a atteint 1.2 milliards de dollars .
L' impôt sur les sociétés, lui , n' a été manipulé que par
deux Etats, la Californie et le New Jersey ; mais ces augmentations ont été
relativement importantes, générant 2 milliards de dollars de revenus
supplémentaires pour ces deux Etats .
La crainte de voir les entreprises se délocaliser joue
vraisemblablement pour expliquer que seuls deux Etats aient eu recours à cet
impôt .
Dans l'immédiat, les Etats ont donc provisoirement réussi à
faire face leurs difficultés .
Seule la Californie demeure dans une situation des plus
problématiques .
Pour la 17ème fois au cours des 25 dernières années, la
Californie n' a pas réussi à se doter d' un budget pour l' année 2003-2004 .
Elle fonctionne donc sur un accord provisoire adopté in
extremis en juillet dernier, et qui devrait arriver à échéance dès la rentrée .
Mais aussi pour les autres Etats aussi la_NEW_ la situation
est difficile .
En fin de compte, aucun des problèmes n' est véritablement
réglé .
Les décisions prises jusqu'à présent sont toutes
ponctuelles, et n' ouvrent pas sur une véritable réforme qui serait pourtant
nécessaire .
Le débat est néanmoins en cours .
L' administration Bush a ainsi pris la décision de soumettre
une réforme de Medicaid qui donnerait aux Etats une plus grande flexibilité dans
la gestion du programme, en échange d' une limite ( cap ) au montant que l' Etat
fédéral envoie aux Etats fédérés .
L' équipe Bush pourrait donc paradoxalement saisir l'
occasion de la crise budgétaire étatique pour poursuivre le désengagement
financier de l' Etat fédéral dans le domaine de les politiques sociales entamé
depuis les années quatre-vingt .
Quant aux Etats, ils sont eux -mêmes plus conscients de la
nécessité de faire évoluer leur système fiscal .
Ainsi, une réflexion s' organise autour de la nécessité d'
intégrer les services ( et non plus seulement les produits ) dans l' assiette de
l' impôt sur la consommation, et d' y réintégrer les exemptions accordées dans
les années quatre-vingt-dix .
En étendant l' imposition, il serait sans doute aussi
possible de baisser le taux de cet impôt .
Cela mettrait le système fiscal des Etats en adéquation
avec une économie de service, fort différente de l' économie industrielle des
années cinquante, lorsque l' impôt sur la consommation a été généralisé au
niveau étatique .
Une autre piste de réflexion touche aux dépenses .
Certains Etats ( comme la Caroline du Sud ou le Colorado )
ont mis en place des indicateurs ( regroupant la croissance de la population, l'
inflation, voire le revenu individuel ) qui servent de référent pour augmenter
les dépenses .
Toute augmentation supplémentaire nécessite ainsi une
décision politique .
Conclusion
Malgré les récents votes budgétaires, les Etats sont encore
dans une situation des plus précaires .
Si la crise actuelle sert jamais de révélateur, le manque de
coordination entre Etats constitue un handicap lourd .
En tous les cas, la crise actuelle permet de relativiser les
baisses d' impôt au niveau fédéral, tant vantées par l' équipe actuelle .
Leur vote n' a été possible que suite à un désengagement
réel de l' Etat fédéral qui laisse ses partenaires fédérés confrontés à des
charges nouvelles, notamment en termes de politique sociale, sans financement .
Déjà fragilisés par le contexte économique d' ensemble et
leur propre faiblesse institutionnelle, les Etats sont ainsi placés en position
très difficile .
Actuellement, les Etats qui ont une tradition d' activisme
public restent les plus menacés : par exemple le Minnesota, New York, le
Connecticut, et enfin la Californie, où la crise budgétaire se double d' une
crise politique grave .
TITRE : Libertés civiles et lutte anti-terroriste aux Etats-Unis
AUTEUR : François Vergniolle de Chantal
Outre ses conséquences internationales, la guerre contre le
terrorisme a des effets tout aussi évidents sur la scène politique américaine .
Maintenant que l' attention des médias se concentre sur la
question irakienne, il paraît opportun de tenter une synthèse sur l' état du combat
anti terroriste aux Etats-Unis même .
Dès le vote de le USA Patriot Act en octobre 2001, le débat a
été lancé : dans quelle mesure la lutte anti terroriste doit -elle limiter les
libertés ?
Comment concilier protection des droits individuels et assurer
la sécurité de la population en cas de crise ?
Le sujet semble être ancien aux Etats-Unis : il se manifeste dès
1798 et les Alien and Sedition Acts, jusqu' à la lutte contre la subversion
communiste pendant la Guerre Froide, sans oublier les mesures d' exception prises
lors de la Guerre de Sécession ou pendant les deux conflits mondiaux .
Malgré cet héritage historique, il reste que les Etats-Unis ont
une expérience largement différente de celle des Etats européens en matière de lutte
anti terroriste .
La France, la Grande-Bretagne , ou encore l' Espagne sont tous,
à des degrés divers, touchés par des mouvements terroristes parfois depuis la fin
des années soixante, sans parler des héritages historiques respectifs .
A l' inverse, les Etats-Unis ont développé, sous l'impulsion de
certains présidents de la Cour Suprême ( Chief Justices ), particulièrement
volontaires, un cadre légal extrêmement cohérent de protection des libertés .
L' incorporation des protections de la Déclaration des Droits (
Bill of Rights ) fédérale menée sous Earl Warren ( 1953-1969 ) et largement
poursuivie par son successeur , Warren Burger ( 1969-1986 ) , protège maintenant
tous les aspects de la liberté individuelle .
C' est pourquoi il semble peu pertinent d' établir un parallèle
historique ferme entre la situation actuelle et les précédents des guerres mondiales
ou de la Guerre de Sécession, sans parler de la période révolutionnaire !
L' intensité actuelle de le débat tient à la confrontation, sans
réel équivalent historique, entre un cadre légal de protection des libertés très
développé, d'une part et, d'autre part, un relatif manque d' expérience dans le
cadre de la lutte anti terroriste .
L' objectif n' est pas ici de définir un équilibre satisfaisant
aux requis de la sécurité d'une part, et de la liberté de l' autre .
Aussi, il ne sera pas question de prendre parti, ni même de
trancher le débat .
Il semble plus pertinent de rendre compte des risques contenus
dans les évolutions en cours .
Disons -le d'emblée, la mise en oeuvre de mesures anti
terroristes ne contient pas de possibilités sérieuses de débordement autoritaire .
Fédéralisme et séparation des pouvoirs garantissent un équilibre
qui semble empêcher tout dérapage d' ampleur .
La politique actuelle, largement présidentielle , devrait, comme
toujours, être l' objet de compromis, que ce soit au niveau de la décision ou de l'
application .
Néanmoins, l' alignement idéologique réel entre les trois
pouvoirs nationaux , la Présidence , la Cour Suprême et , depuis novembre dernier ,
le Congrès , crée une configuration partisane rare, qui pourrait d' autant plus
limiter les pratiques de compromis que la population américaine soutient dans son
ensemble les mesures coercitives appliquées par l' équipe Bush .
Les mesures anti terroristes aux Etat-Unis depuis septembre
2001 .
Les premières mesures dans le sillage des attentats .
Avec le vote de le USA Patriot Act ( PL 107 - 56 ) dès
octobre 2001, Bush et ses conseillers ont considérablement renforcé les
textes déjà existant concernant la lutte contre le terrorisme ou le recueil
de renseignements et ce au moins jusqu' à la durée légale de la loi ( 2005 )
.
La définition de le " terrorisme " est considérablement
étendue, et permet de faciliter l' encadrement d' un grand nombre d'
activités .
La précédent loi anti terroriste, votée sous Clinton en
mars 1996 ( Antiterrorism Law and Effective Death Penalty Act , PL 104 - 132
) , est considérablement renforcée, et de nouveaux pouvoirs sont attribués
au Congrès .
Les quelques_NEW_ quelques limitations existantes en
matière de surveillance sont, elles, très largement amoindries .
Par exemple, le FISA ( Foreign Intelligence Surveillance
Act , PL 95 - 511 ) de 1978 , n' autorisait les écoutes téléphoniques par le
FBI que dans les cas de personnes suspectées d' être des agents d' une
puissance étrangère, et au terme d' une procédure assez lourde (
établissement d' une " cause probable " ) .
Dorénavant, ceci n' est plus nécessaire, et ce pour l'
ensemble des demandes émanant du FBI . La loi donne aussi au pouvoir
exécutif d' importantes prérogatives en matière de mise sur écoute (
téléphone, Internet ) et de relations entre les suspects d' activités
terroristes et leurs avocats .
Les fouilles secrètes d' appartement, la consultation de
fichiers d' entreprise ou d' université sont facilitées .
Au total, plus de 15 lois touchant à la sécurité
publique sont modifiées par la réforme de 2001, et, dans l' ensemble, les
possibilités de mise sous surveillance de la vie privée d' étrangers ou de
citoyens sont considérablement étendues .
Outre cet assouplissement des critères et de les
limitations en vigueur jusqu'à présent , le Patriot Act modifie également
certaines compétences des tribunaux, et permet, lorsque la sécurité
nationale est en jeu, de détenir les étrangers, parfois pour des durées
illimitées, alors même qu' aucune charge précise ne pèse contre eux .
Le texte en lui -même , malgré les oppositions de
groupes de libertés civiles - et d' une trentaine de municipalités qui ont
voté 0 des résolutions contre le texte - n' a pas suscité de véritables
mouvements d' opposition de masse, et ce d' autant moins que il a été
accepté par le Congrès avec des majorités impressionnantes ( 356
Représentants à la Chambre, et 98 Sénateurs ! ) .
Ce sont par contre les décrets d' application qui
semblent plus problématiques pour certaines franges de l' opinion publique .
Par exemple, le décret du Ministère de la Justice
autorisant l' écoute et l' enregistrement de conversations entre les avocats
et leurs clients placés en détention préventive lorsqu' ils sont soupçonnés
d' activités terroristes, dès le mois suivant .
Ou alors les quelques 500 entretiens menés par le FBI
avec des personnes d' origine arabe, suite à un autre décret du Ministère de
la Justice pris le 15 novembre 2001 .
Mais ce sont surtout les mesures du décret présidentiel
du 13 novembre 2001 qui ont causé - et causent encore - le plus de débat .
aux termes de ce décret, les citoyens étrangers
soupçonnés de terrorisme passent devant des tribunaux militaires spéciaux .
Depuis les attentats, plus de 1200 étrangers ont ainsi
été arrêtés pour des motifs divers, et placés, grâce à la loi d' octobre et
aux décrets de novembre, dans un flou juridique total quant à la cause de
leur arrestation ou la durée de leur incarcération .
Par ailleurs, jusqu'à présent, leur identité a été
gardée secrète, et l' assistance d' un avocat leur a été refusée, ce que le
Ministère de la Justice a confirmé comme étant la politique officielle le 27
novembre 2001 .
Ces prisonniers sont donc gardés dans l' incertitude
juridique la plus grande, et, même si un bon nombre d' entre eux ont été
relâchés - les estimations actuelles ne parlent plus que de 200 à 600
prisonniers - la situation de ceux qui restent ne s' améliore pas .
En août 2002, un Juge fédéral de Washington, Gladys
Kessler , a demandé la publication des noms, jusqu'à présent en pure perte :
le Ministère de la Justice a fait appel de la décision .
La situation est d'ores et déjà reproduite : d'autres
juges ont contesté les dérives du pouvoir exécutif, mais là aussi, les
résultats semblent minces .
La fragilité légale de la lutte contre le terrorisme, en
interne , est encore plus flagrante à l' extérieur du territoire .
Les prisonniers faits en Afghanistan sont déclarés "
ennemis combattants " ( enemy combattant ), une catégorie inconnue du droit
international .
Ils ont été transférés sur la base ( américaine depuis
1903 ) de Guantanamo dès février 2002 . Le Secrétaire à la Défense, Donald
Rumsfeld, a officiellement reconnu que les prisonniers de Guantanamo sont là
pour une durée illimitée .
Ils n' ont bien sûr pas d' avocats, et, selon le décret
présidentiel de novembre 2001, il serait possible de juger ces hommes par
des tribunaux militaires d' exception .
Jusqu'à présent, seule la Croix Rouge Internationale (
CICR ) a pu leur rendre visite .
Les conventions de Genève ne sont donc que très
partiellement appliquées, constat établi par un rapport d' Amnesty
International en mars 2002 .
Les libertés que s' autorisent les autorités américaines
sont encore plus claires au niveau de la collaboration internationale :
certains observateurs soulignent que les Etats-Unis utiliseraient ainsi les
règles d' extradition pour faciliter les interrogatoires .
Ainsi, une personne arrêtée en Indonésie peut, sur
demande des Etats-Unis, être transférée en Egypte, pour subir un
interrogatoire plus " adapté " .
Les chiffres sur cette pratique ne sont pas connus .
Sur ce terrain, les oppositions à l' attitude
gouvernementale sont assez clairsemées : peu de gens semblent vouloir
revenir sur le statut fait aux prisonniers capturés en Afghanistan .
Jusqu'à présent, seul un Juge fédéral de la Quatrième
Cour d' Appel ( Circuit Court ), pourtant conservateur de réputation , John
H. Wilkinson , a contesté la capacité légale du gouvernement à désigner de
sa seule autorité les " ennemis combattants " .
Mais par contre, dès que cette politique implique des
citoyens américains, la situation devient plus délicate pour l' Etat fédéral
.
alors En d'autres termes, lorsque les conditions de
détention des non Américains s' étendent aux citoyens Américains eux -mêmes,
il y a un réel débat, qui, sans forcément mobiliser l' opinion, pousse au
moins les autorités à tenter de justifier leur attitude .
Depuis la mise en oeuvre de ces textes, cela s' est
produit à plusieurs reprises .
Ainsi, au printemps 2002, avec Yaser Esam Hamdi, fait
prisonnier en Afghanistan et envoyé à Guantanamo jusqu'à ce que on découvre
sa véritable nationalité ( il est né à Baton Rouge, en Louisiane ),
emprisonné dans la base de Norfolk ( Virginie ), ou encore avec Jose
Padilla, membre d' un gang de Chicago, récemment converti à l' Islam, et
accusé d' avoir voulu fabriquer une " bombe sale ", qui, lui, est resté en
prison à Chicago : tous deux ont été désignés comme " enemy combattants ",
et placés en détention sans charge criminelle .
Les autorités semblent vouloir maintenant éviter les
procès au civil qu' il s' agisse de citoyens américains ou pas : les
bizarreries de la procédure à l'encontre de Zacharias Moussaoui, arrêté peu
avant les attentats du 11 septembre et dont le procès suit donc une
procédure " classique ", ou encore la défense de John Walker Lindh, ont,
tous deux, convaincu les autorités de la nécessité d' opérer un changement
.
Les débuts de la contestation des mesures
gouvernementales .
L' année 2002 n' a pas manqué de renforcer ces
initiatives sécuritaires .
Dès le mois de janvier, et avec le soutien du Président,
J. Ashcroft , Ministre de la Justice , a tenté de lancer son projet TIP (
Terrorism Information and Prevention System ), dont l' idée principale était
d' encourager les Américains à rapporter toute activité " suspecte " en
téléphonant à un numéro vert .
Ce " système d' information et de prévention terroriste
" , partie intégrante de le " White House Citizen Corps Program " et destiné
à s' appliquer initialement dans 10 villes , a soulevé un tel tollé qu'
Ashcroft a dû battre en retraite .
Même Dick Armey , un de les " durs " de la Chambre de
les Représentants , était réticent !
La formule de remplacement a été trouvée dès février :
au lieu de une collaboration " active " des citoyens, la solution est plus "
passive ", dans la mesure où il s' agit tout simplement de pouvoir croiser
les différents fichiers existants sur un individu .
Les autorités ont créé au sein de le Pentagone, et
toujours avec le soutien du Ministre de la Justice, un " Awareness Office "
( Bureau de la Vigilance Informatique, à la devise évocatrice de " Scienta
est Potenta " ) .
Ce nouvel organisme est chargé de mettre en oeuvre le
projet " Total Information Awareness " ( TIA ), qui devrait permettre de
piocher les informations pertinentes dans les bases de données de la vie
courante pour repérer des projets terroristes en préparation .
Les données concernées sont les fichiers informatiques
des cartes de crédit, le numéro de sécurité sociale, les permis de conduire,
et les comptes bancaires .
Mais la liste n' est pas exhaustive .
La police peut obtenir les comptes-rendus de n' importe
quel commerçant sur n' importe quelle personne, par exemple les informations
médicales dans les hôpitaux, les dossiers universitaires, et même les listes
de livres achetés ou empruntés dans les librairies et les bibliothèques .
Concrètement, cela signifie qu' afin de repérer quelques
individus, il sera nécessaire d' aller vérifier des informations sur des
millions d'autres .
Le budget initial prévu est de 10 millions de dollars
pour l' année 2003, et il est sans doute destiné à s' accroître rapidement .
La personne chargée de présenter ce projet et de le
superviser est l' ancien Amiral John Poindexter, Conseiller à la Sécurité
Nationale ( " National Security Adviser " ) sous Reagan, et qui, en 1990,
avait été condamné dans le cadre de l' Irangate pour avoir menti au Congrès
; il n' a finalement échappé à ses 6 mois de prison qu' en appel, par une
décision de 1991 .
au vu de ce parcours, le signal envoyé à l' opinion
publique est pour le moins ambiguë, et, en tous les cas, renoue avec cette
impression dominante à propos de l' administration Bush, celle d' un retour
vers les années Reagan .
L' initiative en elle -même est pour le moins
malheureuse : elle a suscité une réaction certaine au sein de l' opinion
publique qui, pour la première fois depuis le lancement de la lutte anti
terroriste, dépasse les groupes de protection des libertés civiles .
Dans ce contexte, d'autres initiatives de l' équipe
Bush ont été très mal perçues par le public .
Ainsi, le 15 novembre 2002 a marqué le début officiel
de la mise en oeuvre d' un programme d' enregistrement des ressortissants
provenant de pays suspectés d' activités terroristes et vivant aux
Etats-Unis .
Ceci concerne les ressortissants d' Iran, d' Irak, de
Libye, du Soudan, de la Syrie, y compris dans les cas de double passeport .
Dans les faits, les hommes de plus de 16 ans doivent s'
adresser à un représentant de l' immigration ou des douanes ( la date limite
officielle était la mi-décembre 2002 ) .
Ils doivent alors présenter leurs documents de voyage,
donner des preuves de résidence, passer un entretien, donner leurs
empreintes et se faire photographier, et enfin, ils doivent se signaler aux
autorités tous les ans .
Ce programme a pris un certain retard dans sa mise en
oeuvre, notamment à cause de les critiques publiques contre cette forme de
discrimination .
Par contre, d'autres mesures adoptées en 2002 , sont
nettement moins controversées, étant les conséquences directes de ce qui a
été décidé au moment de les attentats .
Le fameux Ministère de la Protection du Territoire (
Homeland Security ) a été créé suite à le vote final du Sénat par 90 voix
contre 9 en novembre dernier, permettant ainsi le passage du Homeland
Security Act ( PL 107 - 296 ) .
Cette vaste administration, dont le premier titulaire
est Tom Ridge , est entrée en fonction au début mars, et regroupe 22
services, employant au total 170000 personnes .
Mais cette nouvelle structure n' empêche pas que l'
ensemble des moyens administratifs du gouvernement soit mobilisé dans la
lutte anti terroriste .
Ainsi par exemple de le Ministère de le Trésor .
C' est en effet le directeur de la cellule anti
terroriste du Trésor américain, David Aufhauser, qui coordonne l' action de
lutte financière contre les réseaux terroristes .
Sous son égide, les Etats-Unis ont ainsi gelé les
avoirs de 251 individus et personnes morales, et environ 121 millions de
dollars .
Enfin, en décembre 2002 cette fois, les autorités ont
lancé un programme national de vaccination contre la variole, en réponse à
la peur bactériologique de l' automne 2001 .
Près de 500000 responsables des services d'urgence en
cas de attaque chimique ( " emergency workers " ) devraient être vaccinés d'
ici au printemps 2003, mais ce programme est particulièrement lent à mettre
en place, essentiellement pour des raisons financières et de prise en charge
.
La surveillance en interne se double aussi d' une
surveillance renforcée des frontières .
Les autorités se sont ainsi préoccupées de renforcer la
sécurité des quelque 300 ports américains .
Sur les 50000 containers qui arrivent chaque jour dans
le pays, plus du tiers arrivent par voie maritime, et seuls 2 % d' entre eux
sont physiquement inspectés .
En janvier 2002, l' Etat fédéral a ainsi décidé de
lancer le programme " Container Security Initiative ", demandant à certains
des grands ports internationaux de renforcer leur surveillance sur les
containers à destination des Etats-Unis .
La collaboration mise en place est surtout canadienne
avec Halifax, Montréal, et Vancouver, puis européenne, avec Rotterdam (
Hollande ), Antwerp ( Belgique ), Le Havre ( France ), et en Allemagne,
Brême et Hambourg ; enfin, Singapour participe aussi à cette initiative
.
Cet activisme a un coût, d' autant plus important qu' il
conduit à rénover, renforcer un grand nombre d' installations ou de services
.
Ainsi, une enquête réalisée par le Cabinet Deloitte
Consulting estime entre 100 et 140 milliards de dollars les dépenses
destinées à améliorer la sécurité intérieure en 2003 .
Ces sommes, importantes , comprennent à la fois les
dépenses des Etats et celles de l' Etat fédéral .
L' essentiel va financer l' incorporation de nombreuses
technologies dans les dispositifs de surveillance existant, ou encore ceux à
créer .
Le service des douanes ( Customs Service ) commence à
recevoir des scanners géants, à un million de dollars pièce, pour inspecter
électroniquement les containers qui arrivent dans le pays par bateau ou par
avion .
De même l' Etat fédéral vient d' attribuer 380 millions
de dollars au service de l' immigration ( Immigration and Naturalization
Service ) pour installer un système informatique sophistiqué qui permettra
de savoir immédiatement si l'un des 400 millions de citoyens non américains
qui arrivent chaque année sur le sol des Etats-Unis reste plus longtemps que
ne l' autorise son visa .
Le National Infrastructure Protection Center ( NIPC ),
l' organisme regroupant tous les spécialistes Internet de le FBI scrutant en
permanence le réseau , a vu son budget presque doubler, pour atteindre 125
millions de dollars .
Enfin, dernier aspect de la lutte tous azimuts entamée
contre le terrorisme, une volonté de clarifier les manquements des services
de renseignement avant le 11 septembre .
En novembre 2002, sur initiative de la Présidence, une
Commission d' enquête se met en place, comprenant 10 membres ( 5
républicains, et 5 démocrates ) pour enquêter sur les dysfonctionnements .
D'abord pressenti comme Président de cette commission,
Henry Kissinger a dû renoncer pour des raisons de conflit d' intérêts avec
ses activités privées ( Kissinger Associates ), et c' est un ancien
Gouverneur républicain du New Jersey, Thomas Kean, qui est nommé en
définitive ; il revient à Lee Hamilton, ancien Représentant démocrate, d' en
être le vice-président .
Les accusations contre les services de renseignement
américains sont en effet multipliées ces derniers mois, rendant nécessaire
une étape supplémentaire dans l' enquête .
au printemps 2002, Colleen Rowley , directrice d' un de
les 56 bureaux régionaux de le FBI , celui de le Minnesota , a lancé les
premières accusations .
Elle les a appuyés sur le rapport d' un agent, Kenneth
Williams ( basé à Phénix, Arizona ), qui enquêtait sur les musulmans suivant
des cours de pilotage à Prescott en juillet 2001 .
Il n' aurait pas été tenu compte de ses informations au
niveau national .
De même, Aukai Collins, lui aussi basé à Phénix ( un "
indic " infiltrant les milieux musulmans ) , aurait alerté ses services
centraux sur les agissements de Hani Hanjour, l'un des terroristes du Boeing
qui s' est écrasé sur le Pentagone .
Le Président n' était pas au courant de ces rapports ...
.
Par contre, John Ashcroft , le Ministre de la Justice ,
et le directeur de le FBI à l'époque ( Thomas Pickard ) eux , l' étaient
bien, d' où les accusations de flottement des services de renseignement .
Accusations qui sont d' autant plus pertinentes que le
mystère reste toujours aussi épais en ce qui concerne l' attaque du bacille
du charbon peu après les attentats du World Trade Center .
L' enquête est très lente, et d' autant plus, pour
certains, que les suspects se trouvent être des scientifiques travaillant
pour l' Etat fédéral .
En effet, à cause de la jeunesse ( et de la qualité du
bacille ), l' attention du FBI s' est rapidement orientée vers un
scientifique américain, le Dr Steven J. Hatfill, employé à Fort Derthick (
Maryland ) de 1997 à 1999, et également vers les activités d' un autre site,
à Dugway Proving Ground ( Utah ) .
Depuis que les premiers soupçons ont été formulés au
cours de l' année dernière, rien ne semble plus avoir évolué .
Les Etats-Unis souhaiteraient rallier les Européens à
cette conception extensive des tâches de l' Alliance, mais ceux -ci se
montrent réticents non seulement parce que ils ne partagent pas les vues de
Washington sur le choix des moyens pour lutter contre le terrorisme, mais
encore en raison de leurs déficiences dans le domaine de la projection des
forces et du combat de grande intensité .
Ce sont ces facteurs objectifs qui ont empêché les
Européens de participer à la première phase de l' opération " Liberté
immuable " en Afghanistan et, en l'absence de un effort de défense accru,
leur contribution à la lutte militaire contre le terrorisme ne pourra qu'
être limitée .
Budgets militaires et industries de la défense
L' insuffisance de l' effort de défense des Européens est un
thème rebattu, et l' on ne cesse de souligner l' écart entre les dépenses
militaires des Etats-Unis et celles de leurs alliés du Vieux Continent .
Ainsi, les dépenses des Européens représentent environ 60 %
des dépenses américaines, mais le produit final de ces investissements est très
inférieur aux résultats obtenus outre-Atlantique .
Par ailleurs, le budget militaire américain croît d' une
manière exponentielle et représente plus de 3 % du PIB, alors que les budgets
européens sont en décroissance réelle de 22 % depuis 1990 .
A l'exception de le Royaume-Uni et de la France qui s'
efforcent de tenir le cap, les autres pays européens ont des taux inférieurs à 2
% et les " lanternes rouges " sont l' Allemagne ( 1,4 % ) et l' Espagne ( 1,2 %
) .
Ces dérives ne sont pas de bon augure pour l' avenir de la
PESD, et la plupart des observateurs estiment que la force de réaction rapide en
voie de constitution a peu de chances d' être opérationnelle en 2003 .
Pendant la conférence sur l' amélioration des capacités
militaires de l' UE, qui s' est tenue à Bruxelles le 19 novembre 2001, on a
relevé que, sur les 54 lacunes identifiées l' année précédente, dix seulement
avaient été comblées et il ne semble pas que des progrès significatifs aient été
accomplis sur cette voie depuis lors .
La contraction des budgets de la défense interdit la
participation de l' UE à des actions communes de l' envergure de celle qui a été
menée en Afghanistan et compromet l' interopérabilité des forces américaines et
européennes ; on comprend donc les remontrances des dirigeants américains qui ne
souhaitent pas voir se creuser l' écart entre eux et leurs alliés et assister
passivement au dépérissement de l'une des " meilleures alliances de l' histoire
" .
En tout cas, l' Europe ne peut plus " jouer dans la cour des
Grands " si elle ne modifie pas radicalement sa politique de défense .
Les chiffres publiés dans des revues spécialisées, ou mis en
avant par des professionnels de l' armement, permettent de prendre la mesure du
défi américain, qui ne pourra être relevé que si les Européens définissent au
préalable leurs besoins spécifiques et prennent les mesures appropriées pour les
satisfaire sans vouloir imiter les Etats-Unis en tous points .
En 2000, les budgets cumulés de la France , de l' Allemagne
, de l' Espagne et de l' Italie ont représenté un montant de 67 milliards d'
euros contre 285 milliards d' euros aux Etats-Unis .
Ce constat n' est pas nouveau puisque les Etats-Unis,
pendant la dernière décennie, ont investi dans la défense 2000 milliards d'
euros de plus que l' Europe .
Ces écarts résultent de priorités différentes : en Europe,
les mesures sociales absorbent une partie importante des crédits publics et ne
laissent qu' une place marginale à la défense alors que les attentats du 11
septembre 2001 ont incité le gouvernement américain à accroître son budget
militaire de 50 milliards de dollars, ce qui représente une augmentation de 15 %
par rapport à l' exercice en cours .
L' écart est encore plus grand dans le secteur de la
recherche et du développement militaire où les Etats-Unis dépensent aujourd'hui
l' équivalent du budget national de la France .
Si l' on tient compte des programmes occultes ( black
programs ), les dépenses réelles pour la recherche militaire sont de 15 à 20
fois supérieures aux montants européens cumulés .
Les Européens ne pourront combler cet écart que s' ils
dépensent davantage car la recherche dans l' aéronautique et dans les
communications requiert des moyens importants pour les études en amont, la
fabrication de prototypes et les essais en condition opérationnelle .
Ce n' est qu' à ce prix qu' ils pourront mettre en oeuvre un
système informatisé pour la gestion du champ de bataille comparable à celui dont
dispose l' état-major américain .
Contrairement à une idée reçue, on ne se réjouit pas à
Washington de la faiblesse des alliés européens et l' on souhaiterait qu' ils
puissent se doter des équipements nécessaires pour participer à des opérations
communes destinées à frapper l' ennemi à l'intérieur de ses frontières, là où il
est le plus vulnérable .
Certes cet objectif peut être atteint par le biais de une
coopération transatlantique, mais celle -ci se heurte à des limites en raison de
les précautions prises outre-Atlantique pour contenir les risques de
prolifération des technologies sensibles et des contraintes imposées par le
tuteur américain sur les exportations d' armements .
Seul un financement suffisant de la recherche en Europe
permettrait de contourner ces obstacles et de mettre en oeuvre une force
militaire capable de participer à des opérations de guerre .
Deux économistes proches du président de la Commission
européenne ont abouti à des conclusions analogues après avoir fait observer que
les critiques formulées à l'encontre de l' unilatéralisme américain resteront
vaines aussi longtemps que l' Europe ne disposera pas d' une réelle capacité
militaire et d' une technologie de pointe .
Or l' Europe manque des deux, faute d' investissements .
Ils rappellent que les Etats-Unis à eux seuls dépensent plus
pour la défense que l' ensemble de leurs alliés européens et il est probable que
cette tendance ne fera que s' accentuer dans les années à venir .
Les dépenses militaires ne contribuent pas seulement à l'
équipement des forces armées en matériels performants : une fraction non
négligeable ( 10 % à 15 % ) est affectée au financement de la recherche et du
développement ( R & D ) dans les secteurs de pointe .
L' Europe a du retard dans ce domaine et sa retenue en
matière de défense ne fait que creuser l' écart avec les Etats-Unis, comme l'
atteste la répartition des brevets dans le monde : à la fin de les années 1990,
56 % étaient accordés à des demandeurs américains contre 11 % aux Européens .
Par ailleurs, ils estiment que la stagnation des économies
européennes résulte directement du retard en matière de innovation et
indirectement du faible taux d' investissement dans la R & D militaire
.
A cet égard, les incertitudes quant à l' avenir de l' avion
de transport militaire européen sont révélatrices des problèmes auxquels sont
confrontées les industries d' armement européennes .
Face à la concurrence d' un appareil proposé par les firmes
Boeing et Lockheed Martin, les pays de l' UE sont divisés : certains, comme l'
Italie, sont tentés par l' option américaine alors que d'autres, dont la France
et l' Allemagne, penchent pour l' avion construit par Airbus .
L' enjeu est de taille et il est essentiel que les Européens
fassent l' effort nécessaire pour financer ce projet et s' assurer qu' une part
importante du budget soit affectée à la R & D afin de consolider la base
technologique d' une industrie qui s' est signalée dans le passé par des "
réussites de pointe européennes " .
C' est pour faciliter la réalisation de cet investissement
que les ministres de la Défense des Quinze ont suggéré que les augmentations des
dépenses militaires soient exclues des contraintes imposées par le pacte de
stabilité et de croissance de l' euro .
Il n' en reste pas moins que l' accroissement de l' effort
de défense impliquerait une diminution des autres postes budgétaires et sans
doute une mise en question de l' Etat-providence, ce à quoi la plupart des Etats
européens ne consentiront pas de gaîté de coeur .
Toutefois, des progrès ont été enregistrés sur la voie de l'
Europe de l' armement et les premières réalisations ont été le fait des
industriels du secteur de la défense, soucieux de mettre en place des groupes d'
une taille suffisante pour affronter la concurrence mondiale .
A cet égard, la création de deux groupes européens dans le
domaine de l' industrie aérospatiale - BAE Systems et EADS - est une novation,
et il convient de souligner la singularité des industries d' armement où les
intérêts nationaux demeurent très puissants et où se combinent la concurrence et
le partenariat .
Ainsi, les coopérations européennes, voire une certaine
forme d' intégration avec le projet d' avion de transport militaire A 400 M , se
sont inscrites dans le cadre de une politique d' intégration transatlantique
croissante .
Cette tendance se renforcera sans doute à la faveur de l'
augmentation du budget de la défense des Etats-Unis car le marché américain, qui
représente 55 % du marché aérospatial mondial, est incontournable pour les
groupes européens .
La création, le 17 janvier 2002 , de l' Organisation
conjointe pour la coopération en matière de armement ( OCCAR ) peut être
considérée comme l' amorce d' un processus tendant à créer un marché européen de
l' armement, à rationaliser la pratique de la coopération et à réduire les coûts
des programmes .
Les quatre membres fondateurs - Allemagne , France , Italie
et Royaume-Uni - représentent à eux seuls 90 % de la production européenne d'
armements et l' OCCAR gère déjà sept programmes d' un montant de 800 millions d'
euros, auquel pourrait s' ajouter la commande de l' avion de transport militaire
Airbus représentant quelque 18 milliards d' euros .
Par ailleurs, la France a proposé d' inscrire des projets de
R & T dans le cadre de une stratégie européenne cohérente dans le
domaine de les avions de combat futurs .
Cette initiative faisait suite à l' adoption, en juillet
2000, par six pays européens - Allemagne, Espagne, France, Italie, Royaume-Uni
et Suède -, d' un accord-cadre en vue de favoriser les progrès de l' Europe de
l' armement .
Elle a abouti à la signature, le 19 novembre 2001, d' une
déclaration qui autorise le lancement d' une étude conjointe visant à déterminer
les capacités militaires requises à l' horizon 2020 et à identifier les systèmes
et les technologies correspondant à ces besoins .
Elle invite également à un regroupement des forces
financières et industrielles concernées par ces projets .
Ce programme de R & T ambitieux , baptisé European
Technology Acquisition Program ( ETAP ) , a été entériné par les autorités
compétentes des six Etats participants .
Enfin, des suggestions ont été faites pour remédier aux
déficits technologiques de l' UE, l' objectif étant le maintien d' une base
technologique sur l' ensemble des domaines-clefs de la défense ; il ne s'
agirait pas de pratiquer le mimétisme avec les Etats-Unis mais de déterminer des
secteurs prioritaires en fonction de les besoins requis par des missions
spécifiques .
La France s' est engagée dans cette voie et sa démarche
prospective pourrait servir de modèle à l' Europe, à condition que l' on
parvienne à s' entendre sur une politique commune en matière de R & T et
qu' on soit disposé à y affecter des ressources minimales .
Ce point de vue est partagé par certains experts allemands
qui sont, eux aussi, convaincus que l' Europe est capable de relever le défi
technologique par une harmonisation des politiques européennes d' acquisition
des armements dans le cadre de l' initiative des capacités de défense adoptée
par le Conseil atlantique de Washington en avril 1999 .
L' adoption à Prague, en novembre 2002 , d' un programme de
développement de les capacités militaires ( Prague Capabilities Commitment ) et
la création d' une force de réaction de l' OTAN ( NATO Response Force ) ,
susceptible de mener dès le 1er octobre 2 pourraient accélérer le processus de
modernisation des forces de réaction européennes et améliorer leur
interopérabilité avec les forces américaines .
En tout cas, c' est en empruntant cette voie que le nouveau
commandant des forces alliées en Europe, le général James Jones, espère rétablir
le crédit de l' Alliance et créer les conditions d' un rapprochement entre la
France et les Etats-Unis .
La politique européenne de sécurité et de défense à l'
épreuve
Avant même que n' éclate la crise de l' Irak et que les
Européens ne se divisent sur la manière dont les Etats-Unis envisageaient de la
régler, des doutes avaient surgi sur leur capacité de mettre en oeuvre une
politique de sécurité et de défense cohérente .
Certes, les chefs d' Etat et de gouvernement de les Quinze
avaient affirmé, à l'issue de le Conseil européen de Laeken ( 15 décembre 2001
), que " l' UE est désormais capable de conduire des opérations de gestion de
crise " et que le développement de ses capacités lui " permettra d' assumer
progressivement des opérations de plus en plus complexes " . Mais, dans le
rapport de la présidence, la formulation était plus prudente .
On y laissait entendre que " l' Union devra être capable de
conduire, d' ici 2003, l' ensemble des tâches de Petersberg " tout en
reconnaissant que des efforts supplémentaires devront être faits pour " conduire
de façon optimale les opérations les plus complexes " .
au plan des capacités civiles, la situation était plus
satisfaisante dans la mesure où les Etats avaient confirmé leurs engagements de
fournir jusqu' à 5 000 policiers pour la mise en oeuvre du plan d' action de
police adopté à Göteborg en juin 2001 .
En tout cas, au début de l' année 2002, le ton n' était pas
à l' optimisme et le général finlandais Gustav Hägglund, président du CMUE, a
émis des doutes sur l' opérationnalité de la PESD lors de une déposition devant
la commission des Affaires étrangères et de la Défense du Parlement européen .
Selon lui, l' UE disposait à cette date de 90 % des
capacités correspondant à l' objectif global ( headline goal ) ; mais il lui
serait difficile de mener des opérations de type militaire dans le cadre de les
missions de Petersberg .
En dépit des progrès accomplis, dix ans s' écouleraient
avant que certaines lacunes soient comblées, notamment dans le transport des
troupes puisque l' Airbus A400 M ne sera disponible qu' entre 2008 et 2011, dans
la meilleure des hypothèses .
Il est également convenu que des déficits importants se
situaient au plan du renseignement et qu' on ne pouvait envoyer des soldats dans
un environnement hostile si l' on ne disposait pas d' informations fiables .
Enfin, il a abondé dans le sens de la vice-présidente du
Parlement, Catherine Lalumière, qui avait déploré une certaine confusion dans la
répartition des tâches entre le CMUE, le COPS et le secrétaire général et mis en
cause le " flottement " de la chaîne de commandement .
Ce jugement sévère a été corroboré par les ministres de la
Défense des Quinze lors de une réunion informelle qui s' est tenue à Saragosse,
les 22 et 23 mars 2002 .
Au terme d' un examen sans complaisance de la situation
existante, ils ont constaté que le plan d' action européen pour le renforcement
des capacités militaires ( ECAP ) n' avait pas été appliqué avec rigueur et que
les lacunes identifiées l' année précédente restaient béantes .
A moins de une augmentation des budgets militaires, l'
objectif global ne serait pas atteint à la date convenue et la PESD ne serait
pleinement opérationnelle qu' en 2012 .
Certes, un accord est intervenu à Saragosse sur le
financement du futur Airbus militaire, mais toutes les incertitudes relatives à
ce projet ne sont pas levées et un rapport interne du Conseil constate qu' on ne
progresse guère sur la voie d' une véritable politique de l' armement, qui
relève largement du domaine de la rhétorique ou de l' utopie .
Dans ce contexte, la proposition du ministre espagnol
Federico Trillo d' étendre la compétence de la PESD à la lutte contre le
terrorisme pratiqué avec des armes de destruction massive ne pouvait avoir qu'
une valeur symbolique .
Au demeurant, les ministres se sont bornés à renvoyer la
question à un groupe d' études et à recommander une coopération plus étroite
entre les services de renseignements et d' observation aérienne .
Quant à le secrétaire général de l' OTAN et au Haut
Représentant de l' UE pour la PESC, ils ont participé à cette réunion et
renouvelé leurs admonestations sur l' insuffisance des crédits militaires par
rapport à les ambitions affichées par l' UE .
C' est pour faire sortir le débat de l' impasse et démontrer
la capacité de l' UE d' agir dans des cas concrets que Javier Solana a proposé
de lui confier la gestion de la force de police internationale ( International
Police Task Force ou IPTF ), déployée en Bosnie sous l'égide de les Nations
unies, et dont le mandat expire à la fin de l' année 2002 .
Parmi les missions de l' UE liées à la gestion de les crises
figure notamment la formation et l' appui des forces chargées du maintien de l'
ordre dans les zones en cours de pacification et le Haut Représentant pour la
PESC a jugé que les circonstances étaient propices pour mettre à l' épreuve la
PESD qui, jusqu'alors, se bornait à créer des institutions et se complaisait
dans des débats théoriques ou des exercices d' état-major .
Désormais, on enverrait sur le terrain près de 500 policiers
pour consolider les acquis de Dayton et accompagner les réformes de la police et
de la justice en Bosnie .
L' entreprise n' était pas sans risques car des tensions,
voire des affrontements, pouvaient surgir à l'occasion de les élections d'
octobre 2002, de la dégradation de la situation économique et de la lutte contre
la criminalité organisée .
Après l' examen du dossier par les ministres des Affaires
étrangères, cette mission a obtenu en mars 2002 l' aval du " Conseil pour l'
imposition de la paix " ( Peace Implementation Council ou PIC ) en Bosnie et du
Conseil de sécurité des Nations unies .
Il s' agira essentiellement d' une mission de conseil, de
surveillance et d' inspection des cadres supérieurs et moyens des forces de
police locales ; les fonctions exécutives exercées partiellement par l'
International Police Task Force ( IPTF ) n' incomberont pas à l' UE, et pas
davantage la création d' unités armées pour le maintien de l' ordre qui relèvera
toujours de la Stabilization Force in Bosnia and Herzegovina ( SFOR ) .
On évalue à près de 14 millions d' euros le coût de la mise
en place de cette mission de police et, à partir de le 1er janvier 2003, ses
dépenses de fonctionnement s' élèveront annuellement à 38 millions d' euros .
Le 15 janvier 2003, la mission de police européenne est
entrée en fonction pour une durée de trois ans ; elle est placée sous l'
autorité du Haut Représentant de l' ONU pour la Bosnie-Herzégovine, Paddy
Ashdown, et sous la direction opérationnelle du commissaire de police danois, M.
Frederiksen .
L' UE démontrait ainsi pour la première fois qu' elle était
prête à s' engager activement sur le terrain et à associer à sa démarche non
seulement des pays candidats mais encore des Etats extérieurs comme la Russie,
le Canada et la Suisse .
Javier Solana avait également envisagé que l' UE prenne en
charge l' opération conduite par l' OTAN en Macédoine et baptisée " Renard roux
" ( Amber Fox ) .
Il s' agissait d' une mission temporaire qui avait été
décidée en septembre 2001 à la suite de le désarmement des milices albanaises (
Essential Harvest ) et qui avait pour objet de garantir la sécurité des
observateurs de l' UE et de l' OSCE chargés de superviser la paix d' Ohrid et de
veiller au retour de l' ordre public dans les localités à majorité albanophone .
Le mandat de cette mission qui mobilisait 700 hommes, pour
la plupart européens - les principaux contingents étaient fournis par l' Italie,
la France et l' Allemagne -, avait été reconduit à plusieurs reprises à la
demande des autorités de Skopje .
Le Conseil européen de Barcelone ( 15-16 mars 2002 ) avait
approuvé la relève de l' OTAN par l' UE mais, comme l' opération Amber Fox s'
articulait aux activités de la Kosovo Force ( KFOR ), il fut entendu qu' elle
serait conduite en liaison étroite avec l' Alliance et sous le commandement de
l' adjoint du SACEUR, qui était alternativement un général allemand ou
britannique .
L' opération de maintien de la paix en Macédoine, rebaptisée
" Concordia " , a été prise en charge par l' UE le 31 mars 2003 ; elle est de
dimension modeste puisqu' elle ne mobilise que 345 hommes, placés sous le
commandement suprême de l' adjoint au SACEUR et sous le commandement opératif d'
un général français ; enfin, la continuité l' emporte sur le changement puisque
l' OTAN et l' UE agissent en partenaires et que leur coopération étroite est
considérée comme la condition du succès d' une politique de stabilisation dans
les Balkans .
Le même modèle pourrait s' appliquer à la relève de la SFOR
et la France et le Royaume-Uni ont d'ores et déjà fait des propositions à cet
effet .
Si cette initiative se concrétisait, elle constituerait la
première manifestation militairement significative de la PESD puisqu' il ne s'
agirait plus seulement de déployer quelques centaines d' hommes mais de prendre
en charge une force de 12 000 hommes, et le succès de cette mission "
renforcerait la crédibilité de l' Union dans la région et au-delà " .
La mutation du système international provoquée par l'
effondrement de l' ordre bipolaire a fait prendre conscience aux Européens de la
nécessité de s' impliquer davantage dans l' organisation de leur sécurité .
Mais elle a également mis en évidence la difficulté qu' ils
éprouvent à s' affirmer comme une puissance politique et militaire sur la scène
mondiale .
Les obstacles qui empêchent la mise en oeuvre d' une
authentique PESD n' ont pas été surmontés et, de l' aveu même des porte-parole
autorisés de l' UE, le bilan de ce qui avait été accompli au début de l' année
2002 a été jugé décevant .
On a privilégié une approche institutionnelle pour masquer
l' absence d' une volonté politique ferme et les ressources financières
affectées à la réalisation du headline goal restent manifestement insuffisantes
.
Les attentats du 11 septembre 2001 auraient pu provoquer un
sursaut mais les ministres de la Défense n' en ont pas tiré les conséquences
lors de la conférence sur l' amélioration des capacités militaires qui s' est
tenue à Bruxelles deux mois plus tard .
Cette négligence est d' autant plus fâcheuse que le Conseil
européen de Laeken a pris acte de la dimension mondiale du terrorisme et assigné
à l' UE le rôle d' une " puissance qui part résolument en guerre contre toute
violence, toute terreur, tout fanatisme, mais qui ne ferme pas les yeux sur les
injustices criantes qui existent dans le monde et ( ... ) veut ancrer la
mondialisation dans la solidarité et le développement durable " .
Certes, l' Europe a d'ores et déjà apporté sa contribution
spécifique à la lutte contre le terrorisme grâce à la variété des instruments
dont elle dispose au plan de l' infiltration des réseaux et du tarissement de
leurs sources de financement .
Toutefois, elle ne pourra soutenir l' ambition qu' elle
affiche dans ce domaine que si elle est prête à en payer le prix et à se doter
des capacités civiles et militaires lui permettant de s' affirmer comme un
acteur stratégique à part entière .
A cet égard, la crise provoquée par la guerre contre l' Irak
pourrait avoir des effets bénéfiques et servir d' aiguillon au développement de
la PESD . Ainsi, le processus de la coopération entre Européens en matière de
défense n' a pas été interrompu et le dialogue s' est poursuivi entre le
Royaume-Uni et la France en dépit de leurs divergences sur l' interprétation de
la résolution 1441 du Conseil de sécurité et sur le bien-fondé d' une action
armée pour renverser le régime de Saddam Hussein .
Le 4 février 2003 s' est tenu au Touquet le 25e sommet
franco-britannique et, à l'issue de cette rencontre, les deux parties ont
annoncé qu' elles prendraient des mesures pour accroître l' interopérabilité de
leurs groupes aéronavals et favoriser la création d' une Agence
intergouvernementale de développement et d' acquisition des " capacités
nécessaires pour les missions actuelles et futures de la PESD " .
Les autres membres de l' UE étaient invités à se joindre à
eux pour améliorer les capacités de réaction rapide et promouvoir le " principe
de solidarité et d' assistance mutuelle face à les risques de toute nature et
notamment du terrorisme " .
Ultérieurement, les dirigeants français et anglais ont
multiplié les déclarations conciliantes et souligné les convergences de leurs
politiques en ce qui concerne le rôle des Nations unies dans l' administration
de l' Irak, la relance des négociations en vue de un règlement de paix
israélo-palestinien et la construction d' une Europe de la défense .
De part et d'autre, on souhaitait surmonter les difficultés
actuelles et retrouver la voie de l' unité européenne et de la réaffirmation de
la solidarité atlantique .
Depuis la victoire des forces de la coalition en Irak, l' UE
tente de définir une position commune sur le rôle qui incomberait aux
organisations internationales dans l' administration et la reconstruction du
pays, mais la déclaration adoptée au sommet d' Athènes ( 16-17 avril 2003 ) se
borne à énoncer des principes et il s' agit de la compléter par un document plus
substantiel .
La présidence et la Commission ont fait des propositions à
cet effet aux ministres des Affaires étrangères lors de leur réunion informelle
à Rhodes et Castellorizo ( 2-3 mai 2003 ), et il appartiendra au Conseil
européen de Salonique ( 25 juin ) de se prononcer en la matière .
Par ailleurs, le Haut Représentant pour la PESC , Javier
Solana , a été chargé de rédiger un document sur la " doctrine stratégique " de
l' Union, qui serait fondé sur une analyse compréhensive des menaces et
prévoirait des actions communes avec les Etats-Unis pour lutter contre la faim,
la pauvreté et le sous-développement, mais aussi pour conjurer les risques liés
à la dissémination des armes de destruction massive .
Enfin, les quatre Etats hostiles à l' intervention armée
contre l' Irak - l' Allemagne , la Belgique , la France et le Luxembourg - ont
présenté les conclusions de la conférence de Bruxelles du 29 avril, qui avait
pour objet la relance de la défense européenne .
Ils ont souligné le caractère ouvert de leur démarche et
rappelé qu' elle visait la création d' un " pilier européen au sein de l' OTAN "
.
La plupart des mesures préconisées tendaient à favoriser la
" coopération renforcée entre les Etats qui sont prêts à aller plus rapidement
et plus loin en direction de une Union européenne de sécurité et de défense " .
Sept initiatives concrètes seraient mises en oeuvre pour
renforcer " l' efficacité des capacités militaires et éviter les duplications
inutiles par le rapprochement des outils de défense nationaux " .
L' objectif poursuivi était de garantir l' interopérabilité
des forces qui pouvaient être engagées aussi bien pour des opérations
européennes et des opérations de l' OTAN que pour des opérations conduites par
l' UE pour le compte de l' ONU . Aux yeux des quatre, " le partenariat
atlantique demeurait une priorité stratégique fondamentale pour l' Europe " et
les divergences de vues apparues pendant la guerre contre l' Irak ne devraient
pas affecter durablement la qualité des relations transatlantiques .
Il reste à se demander si les Etats-Unis partagent ces vues
et consentiront à une répartition des tâches entre partenaires égaux au sein de
une Alliance rénovée et capable de relever collectivement les défis du XXIe
siècle .
TITRE : Perceptions de la mondialisation en France et aux États-Unis
AUTEUR : Eddy FOUGIER
L' accélération du processus de mondialisation depuis la fin de
la guerre froide , liée en particulier à l' ouverture économique et à la
libéralisation de les échanges dans la plupart des régions de le globe ainsi que à
la diffusion de les nouvelles techn est devenue l'un des principaux enjeux du débat
démocratique dans un grand nombre de pays .
Ce débat est influencé par l' émergence de mouvements
contestataires qui dénoncent ce processus avec vigueur, en particulier lors de
réunions d' institutions internationales ou régionales, voire de rencontres plus
informelles comme le Forum économique mondial de Davos, censées symboliser la
mondialisation .
Cependant, ce débat entre " pro " et " anti " apparaît souvent
manichéen et simplificateur, et surtout frustrant .
En effet, les " anti " affirment être les représentants d' une
opinion de plus en plus préoccupée par ce qu' ils considèrent être les effets
négatifs de la mondialisation .
Les " pro " , plus ou moins enthousiastes , tendent à nier la
légitimité et la représentativité de ces groupes à parler au nom de cette opinion en
expliquant notamment que la représentation légitime est d'abord politique .
C' est notamment la position du premier ministre Lionel Jospin .
Chaque camp tend donc à s' exprimer au nom de une hypothétique
opinion publique sur le thème de la mondialisation .
Qu' en est -il au juste ?
L' objet de cet article n' est pas de trancher le débat sur l'
existence ou non d' une opinion publique, ni de proposer une représentation exacte
de ce que les Américains et les Français pensent de la mondialisation .
Il vise plutôt à évaluer les perceptions de la mondialisation
aux États-Unis et en France en s' appuyant principalement sur une interprétation des
grandes tendances révélées par les sondages d' opinion effectués dans ces pays sur
le thème de la mondialisation ou certains de ses aspects .
Les données pour les États-Unis sont répertoriées dans deux
études menées par des chercheurs de l' Institute for International Economics ( IIE
), Kenneth F. Scheve et Matthew J. Slaughter, et par un centre de recherche
spécialisé dans les études d' opinion, le
Program on International Policy Attitudes ( PIPA ) .
Il n' existe pas d' étude similaire pour la France .
Les résultats présentés ici s' appuient donc sur l'
interprétation de nombreux sondages sur la mondialisation réalisés dans ce pays
.
Or, l' analyse des nombreuses enquêtes d' opinion menées par les
instituts de sondage à les États-Unis et en France sur le thème de la mondialisation
permet d' aboutir à trois conclusions : d'abord, ce processus fait l' objet de
véritables préoccupations ; on observe également un clivage de plus en plus net
entre les élites et l' opinion, en particulier sur ce sujet ; enfin, une "
dualisation " des perceptions apparaît au sein de les sociétés sur le thème plus
général de l' ouverture avec une catégorie relativement importante en nombre qui se
sent de plus en plus exclue éc
Une convergence des inquiétudes de part et d'autre de l'
Atlantique
En apparence, les États-Unis et la France semblent
représenter les pôles opposés de la perception du processus actuel de
mondialisation au sein de les pays industrialisés .
La France est souvent décrite comme le pays de la
contestation de la mondialisation, le pays de José Bové, d' ATTAC ( l'
Association pour une taxation des transactions financières pour l' aide aux
citoyens ) et de l' exception culturelle, et celui dont le gouvernement est le
seul à avoir envoyé des ministres au Forum social mondial alternatif de Porto
Alegre, en janvier 2001 .
Les États-Unis apparaissent, au contraire, comme l' emblème
de la mondialisation, le pays de McDonald's, de Coca-Cola, d' Hollywood, de
Microsoft, de Wall Street, des fonds de pension, du capitalisme débridé et des
inégalités criantes .
Pourtant, la réalité est beaucoup plus complexe : les
Français ne sont pas des " globalophobes " et les Américains ne sont pas des
partisans enthousiastes de la mondialisation .
D' un certain point de vue, cette vision des États-Unis et
de la France face à la mondialisation contient une part de vérité .
Tout d'abord, il faut noter que ce phénomène est vu de
manière différente dans les deux pays .
aux États-Unis, la mondialisation est plutôt appréhendée
sous l' angle de la libéralisation des échanges, les études menées par les
instituts de sondage tendant à se focaliser sur ce thème .
En France, la mondialisation est davantage perçue dans sa
dimension financière - la libéralisation des mouvements de capitaux, le rôle des
fonds de pension et d' investissement dans le financement des entreprises, la
corporate governance et le rôle des actionnaires dans le fonctionnement de
celles -ci - et dans ses effets sur l' identité nationale et culturelle .
Les questions relatives à la mondialisation dans les
sondages français tendent donc plutôt à traiter de ces enjeux .
En outre, les perceptions de part et d'autre de l'
Atlantique divergent sur un certain nombre de thèmes étroitement associés à la
mondialisation, sur la base de différences de culture politique et économique
assez nettes .
Ce qui est considéré comme allant de soi par les uns - la
fonction de les marchés financiers et de les actionnaires pour les Américains ,
le rôle de l' État , les exceptions culturelle et agricole pour les Français -
est perçu comme une incongruité par les autres .
La différence la plus notable entre les deux pays , visible
aussi dans les résultats de les sondages , concerne le rôle respectif de l' État
et des entreprises .
Les Américains tendent, en effet, à rejeter ce qu' ils
appellent le big government, à savoir un État fédéral intervenant fortement sur
le plan économique et social, tandis que l' influence des entreprises ( big
business ) ne semble pas être le support d' une inquiétude particulière .
En France, au contraire, ce sont les entreprises et les
marchés financiers qui font l' objet d' une suspicion, tandis que l' État est vu
comme un élément protecteur et régulateur .
Cependant, au-delà de ces perceptions différenciées entre
les deux pays, les enquêtes menées aux États-Unis et en France tendent à montrer
une vision concordante sur trois types de réactions à la mondialisation : l'
évaluation du phénomène, ses conséquences économiques, et ses conséquences
sociales et culturelles .
L' opinion révélée par les sondages apparaît extrêmement
partagée sur l' évaluation générale de la mondialisation ou de certaines de ses
dimensions .
Elle est plutôt positive en ce qui concerne les conséquences
économiques globales du processus .
En revanche, elle est plutôt négative à propos de ses effets
sociaux .
Les opinions telles qu' elles se dessinent dans les sondages
de part et d'autre de l' Atlantique apparaissent relativement divisées quant à
l' évaluation de la mondialisation au sens général du terme .
Ainsi, en ce qui concerne l' Alena, symbole de ce processus
aux États-Unis, entre 40 % et 45 % des personnes interrogées ces dernières
années dans divers sondages pensent qu' il s' agit d' une bonne chose pour le
pays, tandis que 30 % à 35 % soutiennent le contraire .
En France, différentes enquêtes tendent également à montrer
un point de vue très partagé sur le sentiment qu' inspire le terme même de
mondialisation, indépendamment de ses conséquences économiques ou sociales : par
exemple, un sondage Ipsos de mai 2000 indique que 48 % des personnes interrogées
estiment qu' il s' agit de quelque chose de positif, contre 47 % qui ont une
opinion inverse .
Aux États-Unis comme en France, les personnes sondées
tendent tout de même à considérer la mondialisation comme un phénomène positif
pour l' économie dans son ensemble .
Outre-Atlantique, celle -ci globalement perçue comme ayant
des effets positifs pour le pays, les entreprises et les catégories aisées de la
population .
Une majorité d' Américains interrogés reconnaît les
bénéfices d' une libéralisation des échanges, notamment en termes de prix, de
concurrence ou de croissance économique, et souhaite que le gouvernement des
États-Unis favorise la promotion de la mondialisation ou des échanges
internationaux de manière active ou, au moins, n' en entrave pas le cours actuel
.
Ils s' opposent donc majoritairement à toute forme de
protectionnisme .
Cette perception favorable du libre-échange semble être
constante aux États-Unis .
Les chiffres de 1994, en plein débat sur l' Alena et sur le
GATT , donnent des résultats identiques .
Un sondage réalisé par Gallup en 1953 montrait déjà qu' à
l'époque, 54 % des Américains interrogés soutenaient une politique de
libre-échange .
En France, la mondialisation est perçue majoritairement
comme un facteur positif pour le pays, favorisant la croissance de l' économie
française et la compétitivité des entreprises .
Par exemple, un sondage réalisé en 1998 montrait que 58 %
des personnes interrogées considéraient la mondialisation comme un élément
positif pour le pays et
59 % pour la compétitivité des entreprises .
En septembre 1999, c' est-à-dire en pleine " affaire
Michelin ", 57 % des personnes interrogées pensaient tout de même que la
mondialisation favorisait la croissance de l' économie française .
Les sondages montrent cependant que Américains et Français
sont une majorité à avoir une vision négative des conséquences sociales de la
mondialisation, tant sur l' évolution de l' emploi, des salaires ou des
inégalités de revenus .
Les personnes interrogées tendent également à considérer que
ses effets négatifs dépassent ses effets positifs, notamment pour les salariés
.
Les Américains sondés soulignent majoritairement les
conséquences négatives de la mondialisation et de la libéralisation des échanges
sur l' évolution de l' emploi, des salaires, des inégalités, et donc sur la
situation des salariés en général .
Pour un grand nombre d' entre eux, la mondialisation n' a
pas vraiment d' effets positifs pour eux -mêmes et pour les salariés en général
.
Ainsi, 52 % des personnes interrogées affirment que l'
économie globale sera préjudiciable pour l' Américain moyen, tandis que 43 %
pensent qu' elle lui sera bénéfique .
Les résultats sont du même ordre en ce qui concerne leur
perception des conséquences de la croissance des échanges internationaux .
Si 61 % d' entre eux affirment que celle -ci est positive
pour les entreprises américaines , ils sont seulement 31 % à prétendre que c'
est le cas pour eux -mêmes et 25 % pour les salariés .
De même, 56 % des personnes interrogées pensent que cette
croissance a accru les inégalités entre riches et pauvres aux États-Unis .
Les Américains interrogés tendent, en outre, à exprimer une
méfiance particulière envers les accords commerciaux signés par les États-Unis
avec des pays à bas salaires, en particulier l' Alena avec le Mexique .
Au total, une courte majorité des Américains interrogés par
les instituts de sondage pense que l' évolution des échanges n' a pas de
bénéfices nets notables, et que les avantages en termes de prix ou de croissance
ne compensent pas les pertes d' emploi .
Globalement, ceux -ci préfèrent donc majoritairement s'
opposer à toute libéralisation supplémentaire des échanges, des investissements
et de l' immigration .
En France, un sondage réalisé en 1999 montrait que la
mondialisation économique et financière y était perçue comme une source d'
aggravation des inégalités sociales ( 65 % ) et une menace pour l' identité
française ( 56 % ) .
Dans un sondage plus ancien, 72 % des personnes interrogées
s' estimaient être personnellement méfiantes face à ce processus en raison de
ses conséquences sur la situation des salariés ou sur le système de protection
sociale .
Pour les Français sondés, la mondialisation a également des
conséquences inégales sur les catégories sociales .
De leur point de vue, elle semble favoriser les chefs d'
entreprise ( 63 % ), les cadres supérieurs ( 66 % ) et surtout les actionnaires
( 69 % ), démontrant ainsi la forte dimension financière associée à la
mondialisation en France, et constituer une menace pour les salariés ( 60 % ),
les ouvriers et les employés ( 64 % ) ainsi que les agriculteurs ( 79 % )
.
Un décalage croissant des perceptions entre opinion et
élites
La méfiance des individus à l'égard de les gouvernants , de
les experts ou plus largement de les élites dirigeantes est un phénomène
largement connu et mesurable, tant dans les réponses données dans les sondages
que lors de consultations électorales à travers un vote protestataire ou l'
abstention .
Or, le thème de la mondialisation semble aggraver celle -ci
en suscitant et, surtout, en approfondissant au sein de les sociétés des
sentiments d' insécurité, d' incompréhension, de dépossession et d' impuissance
.
En effet, les quelques enquêtes mettant en parallèle le
point de vue des élites ou des experts et celui du public montrent qu' il existe
un net décalage entre leurs perceptions, leurs préoccupations et leurs priorités
à propos de la mondialisation .
L' élite, représentée par exemple par des leaders d' opinion
, semble en avoir une vision très positive, bien meilleure que l' ensemble de l'
opinion .
Ainsi, dans le rapport relatif à l' opinion publique
américaine sur la politique étrangère, publié tous les quatre ans par le Chicago
Council on Foreign Relations, une distinction est réalisée entre le public et
des élites dirigeantes, qui sont des personnes occupant des positions
importantes et ayant une connaissance des affaires internationales .
Or, en ce qui concerne la mondialisation, le rapport de 1999
indique que 87 % des élites dirigeantes considèrent ce phénomène comme une bonne
chose pour les États-Unis, contre 54 % pour l' opinion ; 12 % seulement des
premiers pensent qu' il s' agit d' une mauvaise chose, contre 20 % pour les
seconds .
Le décalage réside bien entendu dans le fait qu' une grande
partie du public se sent directement affectée ou menacée par certains des effets
attribués à la mondialisation, alors que les experts tendent plutôt à en nier l'
existence .
La divergence d' opinion la plus notable de ce point de vue
concerne naturellement les conséquences sur l' emploi .
Un sondage de 1996 montrait ainsi des visions totalement
opposées sur ce thème entre économistes et opinion outre-Atlantique .
Celui -ci portait sur le sujet très sensible de la
perception des conséquences des accords commerciaux entre les États-Unis et les
autres pays en matière de création ou de destruction d' emplois .
54 % des personnes interrogées affirmaient que ces accords
avaient détruit des emplois, les économistes interrogés étant seulement 5 % à
suivre cette analyse ; 17 % des premières pensaient qu' ils avaient favorisé une
création d' emplois, contre 50 % des seconds ; enfin 27 % des premières, contre
42 % des seconds, soutenaient que ces accords n' avaient pas réellement de
conséquences en matière de emploi .
Enfin, sur la base de ces préoccupations différentes, les
priorités des élites et du reste de la population ne semblent pas être
réellement convergentes .
Dans l' enquête menée par le Chicago Council on Foreign
Relations, la protection de l' emploi des salariés américains figure, aux côtés
de la lutte contre la prolifération des armes nucléaires, le trafic de drogue et
le terrorisme international, parmi les quatre objectifs fondamentaux donnés par
le public à la politique étrangère américaine .
80 % de les Américains " moyens " interrogés estiment qu' il
s' agit là d' un objectif très important pour la politique américaine .
Ils le classent même au troisième rang des priorités .
Quant aux leaders interrogés, ils ne sont que 45 % à
partager ce point de vue et le classent au neuvième rang des priorités .
Ce clivage est peut-être l' élément le plus inquiétant pour
l' avenir des sociétés du monde indus-trialisé .
Les réactions aux annonces de suppressions d' emploi par des
entreprises bénéficiaires et l' incompréhension dont celles -ci font l' objet
est l' exemple même de cette divergence actuelle de priorités entre salariés et
dirigeants d' entreprises ou investisseurs, voire entre citoyens et gouvernants
.
Bien entendu, ces divergences de perceptions proviennent en
grande partie d' une différence d' expertise mais aussi d' accès à l'
information et de compréhension de celle -ci .
Ainsi, dans le sondage publié dans le rapport du Chicago
Council on Foreign Relations sur la perception de la mondialisation, le taux de
personnes qui ne se prononcent pas est de 11 % pour l' opinion et de 1 % pour
les leaders .
On peut donc supposer que ces derniers sont mieux informés,
même si la différence n' est pas vraiment nette .
Cela ne disqualifie pas pour autant le point de vue du grand
public .
En l'occurrence, l' enjeu n' est pas de savoir qui a tort ou
qui a raison, mais de comprendre les raisons pour lesquelles ce dernier
manifeste de telles réticences face à la mondialisation et d' essayer de prendre
en compte ses sentiments et ses craintes .
Un sentiment d insécurité
L' insécurité économique est l'une des conséquences
supposées de la mondialisation qui apparaît de la manière la plus nette à la
lecture des sondages d' opinion, en particulier au sein de les catégories
défavorisées .
Cette insécurité est ressentie notamment en raison de
les menaces de pertes d' emploi dans des entreprises du secteur industriel
conférant un certain nombre d' avantages sociaux ( existence de syndicats,
assurances santé, etc . ), liées aux délocalisations d' unités de production
en direction de les pays du Sud, par exemple dans les maquiladoras au
Mexique pour les entreprises américaines, ou aux menaces de fermeture d'
usines, y compris par des entreprises bénéficiaires, et ceci souvent au
profit de emplois aux conditions plus précaires dans le secteur des services
.
Elle affecte tout particulièrement les salariés les
moins qualifiés et les plus âgés .
Ce thème a été largement débattu, notamment sur la base
de un article publié par Ethan Kapstein sur le sort des salariés dans l'
économie mondiale .
Plus fondamentalement, on assiste à une sorte de rupture
d' un contrat social non écrit " qui caractérisait la démocratie
industrielle par lequel " de grandes institutions - les grandes entreprises,
les syndicats, l' État - offraient une sécurité ( aux individus ) ( ... ) en
échange de leur allégeance .
Les individus faisaient confiance à ces grandes
organisations pour assurer leur bien-être économique et personnel par la
régulation ( fine tuning ) de l' économie, l' accroissement du niveau de
vie, la protection de la santé et de la dignité des salariés, la
réglementation des entreprises dans l' intérêt du public " .
Aujourd'hui, notamment dans le sillage de la
mondialisation, ce n' est plus le cas, et ce sont en particulier les
travailleurs non qualifiés qui sont les plus touchés par cette rupture du "
contrat " de sécurité .
Un sondage publié aux États-Unis semble être très
révélateur de ce sentiment d' insécurité .
Il montre qu' une majorité d' Américains considèrent que
la création d' emplois bien rémunérés liée à la libéralisation des échanges
ne compense pas les difficultés rencontrées par ceux qui ont perdu leur
emploi .
56 % des personnes interrogées sont ainsi d' accord avec
la proposition suivante : " Même si les emplois créés par la libéralisation
des échanges ont des rémunérations élevées, cela ne compense pas malgré tout
les difficultés des personnes ayant perdu leur emploi . " En revanche, 40 %
sont d' accord avec la proposition selon laquelle " c' est mieux d' avoir
des emplois bien rémunérés, et ( que ) les personnes ayant perdu leur emploi
peuvent en trouver d'autres " .
Même si le nombre de personnes ayant choisi la seconde
proposition est relativement important ( et sans doute plus élevé que ce que
l' on pourrait imaginer en France, par exemple ), on pressent bien leur
inquiétude et leur crainte de ne pas retrouver un emploi aussi bien rémunéré
et bénéficiant d' avantages sociaux comme dans l' industrie .
des sentiments d incompréhension et de dépossession
Les difficultés des instances représentatives
traditionnelles ou de les gouvernements à répondre à ce sentiment d'
insécurité , aggravé par le processus de mondialisation , semblent conduire
à des sentiments d' incompréhension et de dépossession qui apparaissent
particulièrement vifs au sein de les catégories défavorisées socialement et
culturellement .
Ces sentiments se fondent sur l' impression que les
principales préoccupations des individus ne sont pas réellement prises en
compte, y compris par les mouvements et les gouvernements progressistes, que
les grandes décisions se font plus ou moins sans leur avis et sans leur
aval, et que, désormais, l' État n' a plus réellement la capacité d' influer
sur l' évolution de la mondialisation, notamment face à le pouvoir croissant
des investisseurs institutionnels, en particulier les fonds de pension, et
des entreprises multinationales .
Une enquête Ipsos réalisée en 1999 montre, par exemple,
que le sentiment de dépossession est largement répandu en Europe :
59 % des Européens interrogés affirment avoir le
sentiment que les changements de la société se font sans eux .
Il est partagé par les personnes interrogées dans les
principaux pays européens, et c' est en France que ces chiffres sont les
plus élevés : 70 %, contre 27 %, qui soutiennent que les changements se font
avec eux .
Le thème de la mondialisation semble constituer en la
matière un facteur aggravant .
Les sondages tendent ainsi à indiquer que les individus
interrogés souhaiteraient que leur gouvernement ou les institutions
internationales prennent davantage en compte leurs préoccupations sous la
forme de un respect des normes sociales ou environnementales ; mais,
parallèlement, ils tendent à ne pas leur faire confiance pour cela et à
penser qu' ils prennent plutôt en compte l' intérêt des grandes entreprises
.
C' est l'une des critiques les plus avancées par les
mouvements contestataires de la mondialisation .
C' est ce que montre également un sondage réalisé aux
États-Unis .
Les Américains sondés considèrent ainsi, à une grande
majorité, que le gouvernement fédéral ne prend pas assez en compte leurs
propres besoins : 73 % d' entre eux pensent que c' est le cas pour ce qui
les concerne, 72 % pour ce qui concerne les salariés et 68 % pour l' opinion
en général .
En même temps, 54 % affirment que le gouvernement prend
trop en compte l' intérêt des entreprises multinationales, et 65 % pensent
que l' intérêt des entreprises préside aux décisions de l' Organisation
mondiale du commerce ( OMC ), plutôt que celui du monde dans son ensemble
.
En outre, les résultats relativement serrés de
consultations électorales ou de sondages d' opinion sur des thèmes liés à la
mondialisation et à l' ouverture de les frontières ( Maastricht , Alena ) ne
peuvent bien entendu que frustrer le nombre important de personnes qui se
sont opposées à ces textes et qui les voient tout de même appliqués, d'
autant plus que celles -ci se situent généralement dans des catégories
défavorisées de la population .
Le retentissement de groupes contestataires comme Global
Trade Watch aux États-Unis ou ATTAC en France semble être en grande partie
lié à cette volonté de reprendre possession d' une démocratie qui serait "
niée " par l' influence prépondérante des marché
Le rejet croissant de les hommes politiques , de les
partis et de les institutions publiques dans la plupart des pays
indus-trialisés et , en particulier , la montée de l' abstention et de le
vote protestataire dans les catégories défavorisées constituent autant de
symptômes de ces sentiments .
On sait, par exemple, que dans les années 1990,
notamment lors de les élections présidentielles de 1995, les ouvriers
français ont plus largement voté en faveur de les candidats du Front
national que de ceux du Parti socialiste .
Un sentiment d impuissance
Ce sentiment de dépossession conduit enfin à un
sentiment d' impuissance, exprimé notamment par les catégories les plus
vulnérables de la société .
Il se manifeste, en particulier, par la vision selon
laquelle le processus actuel de mondialisation est largement irréversible et
que les individus et l' État sont dans l' obligation de s' y conformer .
Paradoxalement, ce sentiment semble être surtout partagé
par ceux qui s' y opposent .
Ainsi, aux États-Unis, parmi les personnes interrogées
et souhaitant que le processus de mondialisation soit arrêté ou inversé, 49
% affirment que le gouvernement américain n' a pas les capacités du faire .
Ce sentiment assez généralisé semble être également le
corollaire d' une sorte de " discours de l' impuissance ", notamment face à
la montée du chômage ou de la criminalité, qui fut exprimé par les
responsables politiques et économiques, au moins depuis la crise pétro-lière
des années 1970 ; un discours qui mit en exergue les contraintes externes (
du choc pétrolier à la compétition économique mondiale en passant par l'
évolution du dollar ou de la demande américaine ), l' absence de véritable
alternative aux politiques menées et, surtout, le manque de sens global
attrib
Or, cette défiance envers les institutions publiques et
les entreprises ne tend plus à se traduire par un retrait dans la sphère
privée de la part de les individus mais, bien plutôt, par une certaine forme
d' engagement collectif, dont les manifestations de Seattle ou de Millau et
le succès rapide d' un mouvement comme ATTAC ont été, dans une certaine
mesure, le symptôme .
Ces individus, dont le niveau moyen d' éducation s' est
élevé et dont l' accès à l' information s' est amélioré , notamment par le
biais de Internet , tendent à exiger de plus en plus de transparence dans le
processus de décision des principales institutions et des entreprises et d'
avoir une influence sur leur prise de décision, en particulier sur la base
de préoccupations d' ordre éthique .
C' est ce qui explique en partie le succès des groupes
contestataires de la mondialisation et, plus largement, celui des
organisations non gouvernementales .
Les sondages d' opinion tendent ainsi à montrer qu' en
France, les personnes interrogées attachent de plus en plus d'importance à
la vie associative et au rôle des citoyens dans la société, et qu' ils font
confiance en priorité à ces derniers pour préparer l' avenir qu' ils
souhaitent .
À cet égard, un sondage CSA de septembre 2000 indique
que, parmi les évolutions plutôt positives pour l' avenir, 84 % des
personnes interrogées citent la vie associative, 72 % le développement d'
Internet et 71 % l' intervention des citoyens dans la société .
A contrario, le rôle des hommes politiques à le plan
national est cité parmi les évolutions plutôt négatives pour l' avenir par
58 % d' entre eux .
C' est donc d'abord aux citoyens qu' ils font le plus
confiance pour préparer un futur conforme à leur vue, devant les chefs d'
entreprise ( 30 % ), les élus ( 28 % ) et les associatifs ( 23 % ) .
L' émergence d' une différenciation des perceptions de la
mondialisation
Les enquêtes d' opinion de part et d'autre de l' Atlantique
tendent à révéler la division de plus en plus nette des points de vue sur la
mondialisation et, plus largement, sur l' ouverture économique et culturelle .
On observe même la formation de deux groupes dont les
éléments discriminants sont le niveau social et culturel, mais aussi les valeurs
.
aux États-Unis, Kenneth F. Scheve et Matthew J. Slaughter
ont montré que les perceptions des Américains sont partagées sur les échanges,
les investissements directs étrangers ( IDE ) ou l' immigration, c' est-à-dire
sur l' ouverture aux biens, aux capitaux et aux hommes en provenance de l'
étranger .
Le facteur discriminant le plus important réside, selon eux,
dans le niveau de qualification des personnes interrogées qui se définit par le
niveau d' éducation et de rémunération, et non, par exemple, dans le fait pour
celles -ci de travailler dans des secteurs exposés à la concurrence
internationale ou d' habiter dans une région à forte proportion de population d'
origine étrangère .
Schématiquement, les individus les moins qualifiés , se
montrent plutôt opposés à une ouverture plus grande des frontières aux produits,
aux capitaux et aux personnes, tandis que les plus qualifiés s' y montrent
plutôt favorables .
Ainsi, en ce qui concerne le soutien aux barrières
commerciales, il existerait une différence de 25 à 35 % entre les personnes
ayant fréquenté le système scolaire pendant onze années et celles l' ayant
fréquenté pendant seize ans .
En France, aucune étude similaire de cette ampleur n' a été
entreprise .
Cependant, les données accumulées tendent à corroborer l'
analyse des chercheurs américains .
Ainsi, le sondage BVA de septembre 1999 sur l' impact de la
mondialisation montre que les catégories qui y sont favorables sont
majoritairement citadines ( elles vivent dans des villes de plus de 100 000
habitants et dans la région parisienne ), ont un niveau de rémunération
relativement élevé ( 60 % d' entre elles ont un revenu net mensuel d' au moins
10 000 francs ) et sont relativement plus jeunes ( 71 % ont moins de cinquante
ans ) .
Les catégories ayant une opinion négative de la
mondialisation , quant à elles , vivent plutôt dans des communes de petite
taille ( environ 60 % vivent dans des communes de moins de 100 000 habitants ),
disposent de revenus relativement faibles ( 55 % ont un revenu net mensuel de
moins de 10000 francs ) et sont plutôt âgées ( 51 % ont plus de cinquante ans )
.
On peut remarquer que ces résultats sont relativement
proches de ceux observés précédemment sur la construction européenne .
Le référendum de Maastricht avait déjà révélé un net clivage
social et culturel : 80 % des cadres supérieurs et 61 % des cadres moyens
avaient voté " oui ", contre 63 % des agriculteurs, 61 % des ouvriers et 58 %
des employés, favorables au " non " .
En outre, 70 % des diplômés de l' enseignement supérieur et
53 % de les titulaires de le baccalauréat avaient approuvé le traité ; 61 % des
diplômés d' un BEPC / CAP et 54 % des sans diplômes l' ayant rejeté .
Les enquêtes, notamment celles menées par la Commission (
Eurobaromètre ) à l' échelle européenne , soulignent le même clivage entre
soutien et rejet de l' Europe selon le niveau d' études et de revenu .
Ainsi l' Eurobaromètre publié en avril 2001 montre -t-il une
différence de soutien notable entre les Européens interrogés ayant quitté l'
école à quinze ans ( 41 % ) et ceux ayant arrêté les études à temps plein à l'
âge de vingt ans ou plus ( 62 % ) .
Cette différence est du même ordre sur le plan social : les
cadres sont 63 % à soutenir l' UE, tandis que les travailleurs manuels, les
personnes au foyer et les chômeurs sont seulement 44 % .
Les données publiées depuis le début des années 1980
montrent que ces clivages sont plutôt constants .
Les résultats des sondages sont identiques en France en ce
qui concerne le soutien ou le rejet de l' Europe par les Français .
En fait, au-delà de les thèmes de la mondialisation et de la
construction européenne, c' est bien la question de l' ouverture économique et
culturelle du pays, et celle des valeurs que celle -ci véhicule, qui semble
faire l' objet d' opinions contrastées dans les sondages .
Les enquêtes tendent à montrer, par exemple, que la
perception de la construction européenne est plus ou moins liée à une
représentation plus globale du monde fondée sur l' ouverture ou la fermeture,
tant en ce qui concerne les valeurs, l' étranger ou la vision du monde .
Ainsi, les personnes opposées à l' Europe se montrent plutôt
favorables à des valeurs autoritaires .
Elles privilégient l' appartenance nationale et développent
une vision assez pessimiste du monde .
Les pro-Européens, à le contraire , défendent plutôt des
valeurs libérales, apparaissent plus ouverts et ont une vision assez optimiste
du monde .
On peut légitimement supposer que cette représentation
globale influe également sur la perception de la mondialisation .
La mondialisation, défi pour la démocratie représentative
traditionnelle ?
Ces préoccupations face à la mondialisation, ce clivage
entre élites et opinion et cet écart , au sein de cette dernière , entre , d'une
part , de les catégories relativement plus favorisées , optimistes et ouvertes ,
et , d'autre part , de les catégories sont à prendre en compte de manière
sérieuse par les instances représentatives traditionnelles et par les
gouvernements .
Certes, la mondialisation n' est pas la cause de l' ensemble
de ces phénomènes .
Cependant, elle tend à les aggraver et à cristalliser la
plupart des frustrations .
De ce point de vue, elle a des conséquences certaines sur la
démocratie représentative dans les pays industrialisés et constitue, d'une
certaine manière, un risque, dans la mesure où de nouveaux groupes
contestataires ou mouvements politiques, quelquefois radicaux et populistes,
sont susceptibles d' exploiter ces frustrations .
Leur retentissement actuel réside en effet, en grande
partie, sur la concomitance de leurs critiques et des préoccupations manifestées
par les opinions publiques face à la mondialisation, telles qu' elles sont
perceptibles dans les sondages, notamment lors de événements particuliers, par
exemple l' annonce de fermetures d' usine ( comme ce fut le cas au printemps
2001 avec les décisions du groupe Danone et de Marks & Spencer ) .
La prise en compte des intérêts et de les souhaits de les
catégories défavorisées apparaît dès lors comme l'un des enjeux clefs, tout
particulièrement pour les mouvements progressistes .
Le débat au sein de la majorité plurielle en France , dans
la perspective de les élections présidentielles et législatives de 2002 , ou au
sein de le parti démocrate durant la dernière campagne présidentielle à les
États-Unis en sont, ou en ont été, les révélateurs .
TITRE : Mondialisation et démocratie
AUTEUR : Zaki LAÏDI
La recherche d' une corrélation entre mondialisation et
démocratie n' est pas très aisée .
Naturellement, si l' on pose le problème - en termes normatifs
ou idéologiques, le débat s' éclaire de lui -même .
On peut en effet identifier toute une série d' éléments qui
militent en faveur de une corrélation positive entre mondialisation et démocratie,
surtout si l' on se place dans le contexte politique mondial de la fin de la guerre
froide .
Inversement, il est tout aussi aisé de repérer des facteurs qui
tendent à dévitaliser la démocratie en raison de la mondialisation du capital qui
fait fi des espaces publics nationaux, du déséquilibre croissant entre l' économique
et le politique à l'avantage de le premier, de la démultiplication des dérèglements
sociaux engendrés par la mondialisation, etc .
On pense naturellement au développement des mafias, au
blanchiment d' argent, aux trafics d' organes, de médicaments ou d' enfants .
On pense également à tous ces emplois supprimés sur la base de
considérations économiques globales sans que les personnes concernées soient
toujours consultées .
Certes, on pourra arguer du fait que ces différents dérèglements
n' ont, d'une certaine manière, rien à voir avec la démocratie, puisque ceux -ci
existent aussi dans les pays non démocratiques .
De surcroît, il est difficile, par exemple, d' attribuer un
licenciement économique à un déficit démocratique, sauf à assimiler la démocratie à
l'idée de justice .
Pourtant, cette relation de causalité n' est pas non plus
totalement incongrue si l' on admet que la mondialisation entretient un sentiment de
dépossession chez les individus, qui, directement ou indirectement, perdent
confiance dans la démocratie en tant que lieu d' expression de choix et de
préférences .
De surcroît, les pays riches ont beaucoup plaidé, depuis la fin
de la guerre froide, en faveur de une interaction entre démocratie et marché : c'
est la fameuse démocratie de marché .
Or, dans ce cas, il devient tentant de mêler dans son
appréciation les facteurs qui relèvent du marché et ceux qui sont imputables à la
démocratie .
En outre, l' imaginaire consumériste gagne le champ du politique
et de sa représentation .
La démocratie est de plus en plus identifiée à un marché où les
élections tiennent lieu d' acte d' achat .
Ceci étant, ces jugements de valeur, si importants soient -ils ,
ne nous aident pas à progresser .
D'une part, parce que ils se situent sur un registre normatif,
voire moral .
D'autre part, parce que le catalogue des articulations positives
( la mondialisation favorise la démocratie ) peut largement être compensé par un
catalogue tout aussi fourni d' articulations négatives ( la mondialisation détruit
la démocratie ) .
Pour sortir du dilemme, deux approches sont alors possibles .
sont alors possibles .
La première, de nature quantitative , consisterait à mesurer les
corrélations concrètes, par pays, entre mondialisation et démocratie .
On pourrait par exemple croiser le degré d' ouverture des
économies avec l' existence d' élections libres et concurrentielles .
À notre connaissance, ce travail n' a jamais été effectué .
Mais on peut compter sur le dévouement des " quantitativistes "
pour se livrer à un tel exercice .
En réalité, les études les plus nombreuses de ce type de
corrélation ont généralement porté sur le lien entre démocratie et développement .
Mais les conclusions tirées de ces études sont loin de être
univoques .
Les études de Sirowy et Inkeles publiées en 1991 concluent à
l'idée de une corrélation négative entre développement et démocratie .
Empiriquement, ce constat ne paraît pas aberrant .
Il suffit pour cela de se tourner vers l' Asie du Sud-Est et de
voir qu' en Corée, à Taiwan ou à Singapour, le décollage économique s' est effectué
sous la double contrainte de la guerre froide et de l' autoritarisme .
Au demeurant, l' autoritarisme politique ne conduit pas
nécessairement à l' arbitraire ou au favoritisme systématique .
Pranab Bardhan souligne à cet égard, en s' appuyant toujours sur
l' exemple asiatique, que la prévisibilité de l' action publique est plus importante
que la responsabilité ( accounta-bility ), notamment pour les investisseurs .
Ce fut le cas de Taiwan et de l' Indonésie, parce que les
dirigeants avaient une certaine vision de l' intérêt général et une capacité à
arbitrer, même brutalement, entre des intérêts particuliers contradictoires .
Ce problème des institutions est reposé aujourd'hui dans le
contexte de la mondialisation, qui oblige précisément les sociétés à effectuer des
arbitrages sociopolitiques importants au fur et à mesure que elles s' ouvrent à la
compétition .
Mais le degré d' institutionnalisation de ces arbitrages n' est
pas nécessairement indexé sur l' existence d' institutions démocratiques .
Quoi qu' il en soit , si les analyses de Sirowy et d' Inkeles
concluent à une corrélation négative entre démocratie et développement , celles de
Campos , qui remontent à 1994 , tendent à des conclusions contraires .
Ces constatations empiriques contradictoires sont renvoyées dos
à dos par Przeworski et Limongi .
Pour eux, il n' y a tout simplement pas de lien de causalité
entre démocratie et développement .
Il y a, bien sûr, interdépendance, mais les termes de celle -ci
sont très variables .
Au demeurant, ces corrélations n' ont aucun sens si elles ne
sont pas évaluées et réévaluées dans le temps .
Si l' on prend le cas de la Corée, il est indéniable que son
décollage s' est effectué sans démocratie .
Mais il paraît tout aussi évident que la poursuite de son
développement semble impensable sans démocratie .
Pourquoi ?
Tout simplement parce que entre-temps, le " temps mondial " a
fait son oeuvre .
Autrement dit, la fin de la guerre froide et la mondialisation
ont accru la légitimité de la démocratie politique et délégitimé concurremment l'
autoritarisme .
Tout ceci pour dire que, si les approches quantitatives
présentent certains avantages empiriques, elles ne règlent pas les biais
méthodologiques auxquels elles restent redoutablement soumises .
C' est pourquoi, et sans prétendre répondre à la question dans
toute son épaisseur, nous proposons de poser le problème de l' articulation entre
démocratie et mondialisation d' une autre façon, c' est-à-dire en introduisant une
distinction essentielle entre deux dimensions de la démocratie : la démocratie comme
procédure, c' est-à-dire un dispositif capable d' assurer le changement des équipes
dirigeantes au travers de élections libres ; et la démocratie comme culture, c'
est-à-dire un ensemble de règles formelles et informelles assurant à travers le
temps la libre expre
Pour simplifier, on pourrait dire que la démocratie comme
procédure renvoie au respect de certaines règles du jeu, tandis que la démocratie
comme culture s' apparenterait au respect de règles de vie intériorisées, exprimant
une confiance raisonnable en la capacité de la démocratie à garantir pluralisme et
équité .
Or, l' hypothèse que nous voulons faire est la suivante : si la
mondialisation accroît indiscutablement la légitimité et parfois l' effectivité de
la démocratie comme procédure, elle ne garantit en aucune façon le développement d'
une démocratie comme culture .
On peut même aller plus loin en disant que la mondialisation
renforce la première au détriment de la seconde .
Une des raisons essentielles de cette différenciation résulte du
rapport au temps .
La démocratie comme procédure cadre parfaitement avec la
dynamique d' un temps mondial qui valorise le présent, l' immédiat et le visible .
La démocratie comme culture n' est en revanche pas en prise avec
le temps mondial , car elle a besoin de temps .
Elle n' est de surcroît pas immédiatement ou clairement
identifiable .
Elle est toujours relative et, par -là même, contestable .
La prise en charge de la question démocratique par la communauté
internationale renforce encore ce hiatus .
On peut à peu près dire si des élections dans tel ou tel pays
sont libres - et, le cas échéant, stigmatiser les contrevenants ; en revanche, on
peut difficilement évaluer la réalité d' une culture démocratique .
On imagine fort bien une délégation du Congrès américain tancer
tel ou tel dirigeant pour ne pas respecter la démocratie ; on l' imagine moins
évaluant la culture démocratique de ce même pays .
Qu' est -ce que la mondialisation ?
Commençons tout d'abord par donner une définition succincte
de la mondialisation qui constitue la toile de fond de notre propos .
Il s' agit pour l' essentiel d' un processus d'
intensification des relations sociales planétaires, qui se traduit par une
disjonction croissante entre l' espace et le temps .
Qu' est -ce à dire ?
Que les lieux où se déroulent les événements sont
géographiquement de plus en plus éloignés des lieux où leurs conséquences s'
expriment .
Dans une société traditionnelle, l' espace dans lequel vit
et se meut l' individu est un espace physique généralement limité .
Tout ce qu' il voit et tout ce qu' il fait a pour cadre le
village où il est né .
Son horizon spatio-temporel est donc très limité .
Dans une société moderne, cet espace de référence s' élargit
pour toute une série de raisons, dont la plus importante est la spécialisation
croissante des rôles et des fonctions .
À partir du moment où l' on ne fait pas tout soi -même, on
est obligé de s' adresser à d'autres pour obtenir certains biens et services
.
La mondialisation intervient donc comme un processus d'
élargissement de l' espace de référence dans lequel les acteurs sociaux s'
insèrent .
Ainsi, en l' espace de dix ans, par exemple, l' espace de
référence des entreprises françaises s' est déplacé de l' Europe vers le monde .
En dix ans, le fait de s' européaniser s' est trouvé dépassé
par la nécessité de se mondialiser .
Mais ce qui illustre le mieux la disjonction entre l' espace
et le temps , c' est le fameux exemple des fonds de pensions .
Par leur entremise, des retraités californiens peuvent
influencer l' emploi à Argenton .
Or, les raisons qui poussent par exemple un fonds de pension
à se retirer d' une entreprise ne seront que très rarement liées au contexte
particulier de l' usine d' Argenton .
Si nous insistons sur cette notion de disjonction entre l'
espace et le temps, c' est précisément parce que elle crée un sentiment de
dépossession : dépossession des ouvriers et employés d' une usine qui se
trouvent licenciés même s' ils n' ont pas démérité ; dépossession des acteurs
politiques qui ne peuvent guère interdire de telles stratégies .
Or, même si ce débat n' a a priori rien à voir avec la
démocratie, la corrélation est dans les faits beaucoup plus forte qu' il n' y
paraît .
La dépossession ou le sentiment de dépossession face à le
changement économique altère la confiance dans les systèmes démocratiques qui
fonctionnent sur des bases territoriales nationales .
Comme le rappelle fort justement Ian Shapiro, la légitimité
de la démocratie s' atrophie si l' amélioration des conditions dans lesquelles
on la sollicite n' est pas au rendez-vous .
La démocratie comme procédure
À partir de là, comment penser l' articulation entre
démocratie comme procédure et mondialisation ?
La démocratie comme procédure correspond à ce que Przeworski
appelle la définition minimale de la démocratie .
Par définition minimale de la démocratie, il entend la
possibilité de choisir ses dirigeants au travers de élections libres .
C' est, à peu de choses près, la définition que donnait
Schumpeter de la démocratie .
C' est aussi celle de Popper, qui voit dans la démocratie le
seul système capable de débarrasser une société de ses dirigeants sans bain de
sang .
Cette définition minimaliste conduit donc à dire que la
démocratie est la forme la plus légitime d' organisation des sociétés et que la
valeur de cette légitimité est vérifiée au travers de les élections .
Or, sur cette définition minimaliste de la démocratie, la
mondialisation a indiscutablement des effets très nombreux .
Si l' on pense, tout d'abord, la mondialisation en relation
avec la chute de le mur de Berlin , on n' a guère de peine à voir qu' elle a
indiscutablement accru la légitimité de la démocratie représentative, parce que
les régimes politiques qui prétendaient expérimenter une autre voie ont échoué
sur à peu près tous les plans .
C' est pour la démocratie une victoire par défaut .
Mais le " par défaut " n' est pas à négliger .
Par voie de conséquence, la distinction entre " démocratie
formelle " et " démocratie réelle " s' est effondrée .
Cette distinction marxiste entre la " vraie " et la " fausse
" démocratie est ainsi totalement disqualifiée, car les tenants de cette
distinction n' ont réussi à promouvoir ni l'une ni l' autre de ces dimensions .
À notre connaissance d'ailleurs, même les partis d' extrême
gauche qui se réclament encore de le communisme ne revendiquent plus cette
distinction .
Ils prétendent naturellement ne nourrir aucune illusion sur
la " démocratie représentative ", mais ils ne la rejettent plus .
Même dans les pays musulmans où certains mouvements
islamistes prennent des postures anti occidentales, la relation à la démocratie
demeure plus subtile .
Sauf, naturellement, lorsqu' ils recourent à la violence,
les mouvements islamistes ne récusent pas les élections, et ceci pour au moins
une raison pratique : elles leur sont généralement profitables .
La deuxième conséquence de la mondialisation est d' avoir
considérablement réduit la légitimité de ce que l' on a appelé les " démocraties
spécifiques " .
La conjonction des idéologies nationalistes du Tiers monde
et du marxisme avait conduit à valoriser les formes " nationales " de démocratie
par opposition aux démocraties occidentales .
Certes, on a vu se développer ces dernières années des
revendications démocratiques particularistes face à ce qui apparaissait être une
hégémonie occidentale .
C' est le cas de certains régimes conservateurs d' Asie du
Sud-Est et de mouvement islamistes .
Les premiers parlent de " valeurs asiatiques " et les
seconds de " démocratie islamiste " .
Mais, dans les deux cas, il est intéressant de voir que c'
est désormais la culture et non pas la nation qui est opposée à la démocratie
occidentale .
Comme si la mondialisation avait, là aussi, fait son oeuvre
.
Elle rendrait plus difficilement tenable la résistance
nationale à une problématique mondiale .
Par ailleurs, à Singapour comme en Iran, la réalité est bien
plus complexe .
Singapour reste une société très autoritaire où la culture
démocratique demeure probablement relativement faible .
Mais, malgré le discours sur les " valeurs asiatiques ", le
caractère compétitif des élections s' y est accru .
Autrement dit, la démocratie comme procédure a gagné du
terrain .
Dans ce contexte, le discours sur l' asiatisme " semble
surtout destiné à freiner certaines évolutions sociales et culturelles dans des
sociétés autoritaires ( Singapour, Malaisie ) ou à cimenter une unité politique
de l' Asie qui reste extrêmement problématique .
Le paradoxe est que la quasi-totalité des concepteurs de l'
asiatisme " sont des intellectuels asiatiques vivant aux États-Unis, comme Tu
Weiming, intellectuels dont les travaux sont relayés, vulgarisés et
instrumentalisés par des acteurs politiques locaux .
En Iran, l' évolution est très différente mais tout aussi
intéressante .
Même si elle est encadrée, la démocratie procédurale a gagné
du terrain .
Personne ne conteste le caractère démocratique de l'
élection de M. Khatami .
Et même ses adversaires conservateurs ne peuvent s' opposer
à la tenue d' élections compétitives .
Tout ceci ne signifie naturellement pas que les cadres
nationaux dans lesquels se construit la démocratie procédurale sont identiques,
mais que l' opposition à la démocratie en tant que valeur apparaît de moins en
moins légitime .
Même dans les pays pauvres, où la démocratie pouvait
apparaître comme un luxe , la légitimité de ce discours est en net recul .
Amartya Sen a d'ailleurs montré dans ses nombreux travaux
que l' existence de procédures démocratiques ne peut pas être identifiée à des
structures purement formelles : " À de nombreux indices, on sait que la baisse
significative du taux de fertilité dans les États les plus alphabétisés de l'
Inde résulte pour une bonne part des débats organisés à ce sujet " .
En fait, l' analyse de Sen revient à dire que le formel
finit par embrayer sur le réel, que la procédure finit par devenir affaire de
culture .
Cette interprétation s' inscrit toutefois dans une
temporalité relativement longue .
Sen parle de son pays, l' Inde, où la démocratie
procédurale, précisément, est implantée depuis fort longtemps .
Or ; s' il y a une dimension absente dans la mondialisation,
c' est bien celle du temps long .
Depuis la fin de la guerre froide, la plupart des pays
occidentaux ont mis en place une " conditionnalité politique " qui conduit à
lier soutien économique et politique au " respect de la démocratie et des droits
de l' homme " .
Il faudrait naturellement s' interroger sur le lien entre
droits de l' homme et démocratie .
Mais ce débat nous entraînerait trop loin .
Indiquons simplement ici que le développement de cette "
conditionnalité politique " prend les formes d' une injonction démocratique .
Injonction où le " démocratisez -vous " se substituerait au
" enrichissez -vous " .
Or, parce que l' affichage est plus important que le
résultat effectif, l' injonction démocratique conduit à surestimer la démocratie
procédurale .
Pour l' essentiel, on exige la tenue d' élections à peu près
libres .
Et même si elles ne le sont pas totalement, on considère que
le fait qu' elles se tiennent est en soi un progrès .
Cette injonction fait naturellement l' objet d' une
instrumentalisation de la part de ceux à qui elle s' adresse .
D' où la généralisation des élections sur à peu près toute
la surface de la terre .
Cela est particulièrement frappant en Afrique où peu d'
élections concurrentielles se tenaient avant 1989 .
C' est aussi le cas du monde arabe où, sauf en Arabie
Saoudite, les élections sont généralisées .
Pourtant, dans aucun de ces pays les élections n' ont
débouché sur un changement politique .
Cette contradiction s' explique par le fait que ces
élections ne sont que très imparfaitement libres .
Tel est le cas de la Tunisie, où l' intimidation politique
des opposants est permanente et où, symboliquement, le président sortant a été
réélu avec un pourcentage de voix supérieur à la fois précédente, alors que,
formellement, les dernières élections étaient pluralistes et que celles d' avant
ne l' étaient pas .
On peut donc dire dans ce cas que la démocratie comme
procédure n' est même pas installée .
Mais cette explication ne suffit pas .
Il est probable que la faiblesse de la relation entre
élections et changements de régime tient au fait que les véritables détenteurs
du pouvoir ne participent pas aux élections .
C' est notamment le cas des monarchies, qui n' ont de
constitutionnel que le nom, même si, dans les faits, des élections compétitives
ont bien eu lieu ( Jordanie, Maroc, Koweït ) .
En réalité, il faudrait définir la démocratie minimaliste
comme la procédure au moyen de laquelle les citoyens peuvent nominalement
changer d' équipes dirigeantes, quand ce changement est perçu par celles -ci,
avant même les élections, comme un risque politique majeur de perte d' accès au
pouvoir et aux ressources qu' il offre .
La démocratie deviendrait ainsi la procédure par laquelle l'
espoir d' un changement d' ordre politique garanti par les urnes serait corrélé
à une peur réelle de perdre le pouvoir de la part de ceux qui le détiendraient .
La démocratie naîtrait quand, dans une société donnée, la
peur de perdre le pouvoir par les élections remplacerait celle de le perdre par
un putsch militaire ou une émeute .
Naturellement, une telle définition apparaît, à bien des
égards, comme très subjective .
Mais elle n' est pas nécessairement dénuée d' intérêt ou de
valeur .
Si l' on prend l' exemple du monde arabe, on constate que l'
adéquation entre espoir des dirigés et inquiétude des dirigeants ne se retrouve
dans aucun pays .
Les rares fois où cette configuration était de nature à voir
le jour , le processus politique n' a pas été conduit à son terme .
Certes, la relation entre l' espoir et l' inquiétude n' est
jamais stable .
L' espoir de les dirigés peut tourner au désespoir et l'
inquiétude des dirigeants se révéler totalement exagérée .
C' est par exemple ce qui se passe actuellement en
Indonésie, où la vieille garde de Suharto chassée du pouvoir revient
progressivement sur le devant de la scène face à l' instabilité générale et à la
division des anciens opposants .
En Afrique, on a vu de nombreux dirigeants revenir au
pouvoir après quelques années de purgatoire .
Mais cette réversibilité ne change rien à l' affaire .
L' élément essentiel pour juger 0 du sérieux de le sens
démocratique est et reste l' incertitude .
Un pays entre véritablement en démocratie quand, à chaque
élection, une équipe sortante craint de perdre le pouvoir et concède, le cas
échéant, qu' elle l' a perdu .
Le Mexique est rentré dans l' ère démocratique le jour où le
PRI au pouvoir depuis soixante-dix ans a concédé ce même pouvoir à l'un de ses
opposants .
De ce point de vue, l' élection de Vicente Fox en 2000 a
achevé un cycle de transition engagé en 1989, quand, pour la première fois, un
parti de l' opposition réussit à gagner des élections locales .
Il est extrêmement frappant de voir l' importance que les
élections, même locales, revêtent dans ce pays où, par ailleurs, les
dérèglements sociaux minent la crédibilité du système politique .
C' est d'ailleurs en Amérique latine que la démocratie
procédurale a beaucoup gagné de terrain, comme l' a montré le caractère très
disputé des dernières élections péruviennes .
Dans cette dimension procédurale de la démocratie, la
mondialisation peut apporter beaucoup, précisément parce que il existe toute une
ingénierie technico-politique disponible pour aider des pays en transition à
préparer des élections et à en garantir la transparence .
Il existe de par le monde toute une série d' instituts et d'
associations spécialisés dans l' assistance technique à la démocratie .
S' y ajoute le fait que le " label démocratique " est aussi
une ressource politique pour accéder aux ressources mondiales .
Mondialisation et culture démocratique
Nous avons jusqu'ici parlé de la démocratie comme procédure,
c' est-à-dire comme dispositif capable de promouvoir le changement politique au
travers de élections .
Il nous faut passer à une deuxième dimension du problème qui
est celui de la démocratie comme culture .
Là, les choses se compliquent de façon singulière .
Que faut -il entendre par l' idée de démocratie comme
culture ?
Essentiellement, le fait que la démocratie n' est pas
seulement une technique garantissant une alternance potentielle par le biais de
élections, mais de toute une série de pratiques institutionnelles ou non
institutionnelles capables de garantir la représentation équitabl
Autant la démocratie comme procédure doit reposer sur l'
incertitude de perdre le pouvoir ou de le gagner, autant la démocratie comme
culture doit garantir la prévisibilité et l' équité du contexte dans lequel la
compétition aura lieu .
La démocratie comme culture renvoie aussi à la notion de
performance .
La démocratie doit permettre d' atteindre certains objectifs
collectifs .
La démocratie peut être alors identifiée à la forme optimale
de recherche d' un bien commun par des voies pacifiques et concurrentielles
.
Or, sur ce plan, il est incontestable que la mondialisation
modifie singulièrement les données du problème, précisément parce que la "
déterritorialisation " qui l' accompagne rend plus difficile la définition du
bien commun .
Certes, le clivage entre la démocratie comme culture et la
démocratie comme procédure n' est pas toujours très clair .
La construction d' un État de droit relève autant de l'une
que de l' autre .
La croyance dans la fiabilité des procédures démocratiques
et leur intériorisation est un élément important de la culture démocratique .
La démocratie comme culture apparaît ainsi comme un contexte
social, culturel et éthique dans lequel un citoyen aura le sentiment que ses
attentes ou ses intérêts peuvent trouver un débouché non seulement lors de les
élections, mais en dehors de celles -c
Mais la démocratie comme culture va bien au-delà de le
respect des droits de l' homme .
Elle passe par la mise en place d' un État de droit et d' un
espace public capable de lui servir de support .
On pourrait pousser le paradoxe en disant qu' une culture
démocratique est une culture qui n' a pas besoin d' attendre les élections pour
s' épanouir ou être vécue comme telle .
Or, ce que l' on constate dans la plupart des pays , c' est
une distorsion entre la démocratie comme procédure et la démocratie comme
culture .
Ce hiatus est de nature temporelle .
La démocratie comme procédure peut se mettre en place
rapidement .
La démocratie comme culture a besoin de temps .
Dans les pays sans tradition démocratique, où l' on avait l'
habitude de se soumettre ou de prendre les armes pour se révolter, le jeu
démocratique, qui implique concessions , arrangements et compromis , ne peut pas
s' imposer en un jour .
C' est la raison pour laquelle on voit tant de partis
politiques se réclamant de la démocratie fonctionner de manière parfaitement
anti démocratique .
Par ailleurs, l' accent mis à l' échelle mondiale sur le
respect de les droits de l' homme tend parfois à mettre l' accent sur les droits
individuels en occultant les problèmes de constitution d' un espace public
démocratique .
Or, la création d' un espace public implique un dépassement
de la simple revendication des droits individuels .
Elle suppose une réflexion sur la dimension collective des
droits ainsi que sur les devoirs attachés à l' accès à ces droits .
Et bien sur ce plan, des efforts de réflexion doivent être
menés .
Surtout lorsque l' on voit combien est grande la confusion
permanente entre démocratie et droits de l' homme .
En réalité, la " démocratie comme culture " ne peut exister
et faire sens que sur le long terme .
Par long terme, nous voulons non seulement dire qu' il faut
du temps pour que une culture démocratique éclose, mais souligner aussi que l'
exercice de la démocratie prend du temps, comme l' a bien montré Juan Linz .
Il faut du temps pour consulter les différents acteurs,
ajuster leurs préférences et réfléchir aux conséquences des choix que l' on
effectue, et cela sans garantie de réussite ou de succès .
La culture démocratique implique non pas un relativisme des
valeurs, mais l' acceptation du caractère aléatoire des choix que l' on fait .
Une des façons de réduire cet aléa est, par exemple, d'
effectuer des choix de manière consensuelle .
Or, dans les sociétés d' Europe du Nord ou en Suisse, le
consensus passe par la délibération, et la délibération prend du temps .
Et s' il y a bien, à l' échelle mondiale, un facteur qui
gène ce processus d' intériorisation et de valorisation du temps long, c' est
bien la mondialisation ou ce que nous appelons le temps mondial .
En effet, parce que il établit des standards implicites ou
explicites de légitimité, le temps mondial tend à réduire la démocratie non
seulement à une revendication exigible immédiatement, mais aussi à une technique
politique capable de dégager des résultats tout aussi rapides .
Si l' autoritarisme est assimilé par exemple à la
corruption, à l' inégalité et à l' inefficacité, la démocratie est perçue comme
la recette magique qui permettra de surmonter tous ces maux .
Le temps mondial disqualifie totalement l' idée selon
laquelle la démocratie serait un processus historique lent, long et complexe, ce
qu' elle fut pourtant en Occident .
La puissance de la simultanéité planétaire alimentée par les
médias renforce l' attrait d' une " démocratie pour tous " et délégitime
violemment l' idée d' une démocratie qui ne serait adaptée que sous certaines
conditions .
Il ne s' agit pas ici de juger de la valeur de cet argument
.
Ce que l' on peut dire , c' est que la mondialisation en
tant que temporalité fondée sur la simultanéité et l' instantanéité se montre
indifférente à la notion de démocratie comme construction historique .
Le temps mondial contribue à penser la démocratie sur un
mode purement procédural et parfaitement anhistorique .
D' où ce décalage entre procédure et culture dont nul ne dit
s' il se réduira avec le temps .
Voici, à ce propos, ce que dit Elemer Hankiss de la Hongrie
: Les institutions démocratiques fonctionnent de mieux en mieux .
Mais les institutions sont plus démocratiques que les
citoyens ( ... ) .
Les populations n' ont pas le sentiment d' être vraiment
maîtresses chez elles, elles ne croient pas que les lois sont là pour les
protéger et ne pensent pas que ce qu' elles disent est vraiment important ( ...
) .
Le pouvoir lui , est pressé .
Il sait qu' il faut s' adapter vite, très vite, et il
considère qu' il n' a pas le temps d' expliquer et de discuter avec tout le
monde " .
On aurait tort de penser, cependant, que cette compression
du temps de la démocratie, et donc sa négation partielle comme culture
construite dans le temps long, soit propre aux pays en transition .
La disjonction entre démocratie comme procédure et
démocratie comme culture opère également dans les démocraties occidentales sous
l'effet de trois facteurs : la dévalorisation culturelle du temps historique, la
montée de l' individualisme, et la prégnanc
La dévalorisation culturelle du temps historique est une des
formes les plus importantes du temps mondial .
Elle est largement liée à l' effondrement des grandes
représentations téléologiques de l' histoire et du devenir, au profit de la
montée en puissance de la logique de l' urgence .
Si l' histoire, et donc le temps long, ne sont plus porteurs
de sens, c' est le présent qui devient la temporalité où se réfugie l' attente .
D' où la montée en puissance de l' urgence en tant que
catégorie de l' action, mais également de la représentation sociale .
La montée de l' individualisme explique aussi, pour une
bonne part, ce rétrécissement temporel, en ce qu' elle valorise la conquête de
droits individuels au détriment - parfois - de la préservation ou de la conquête
de droits collectifs .
Naturellement, cette dichotomie n' est pas si simple .
Mais il ne fait guère de doute que l' homo democraticus
occidental pense de plus en plus la démocratie à travers sa capacité à "
délivrer " ( au sens anglais de to deliver ) des droits dont il serait le
destinataire particulier .
Naturellement, cette conquête de droits particuliers n' est
pas en soi incompatible avec la démocratie .
Sauf qu' elle évacue de plus en plus l' idée de
responsabilité dans un espace public, en faisant du " vivre ensemble " la simple
résultante d' une agrégation d' avantages et d' intérêts particuliers . " L'
individu contemporain, ce serait l' individu déconnecté symboliquement et
cognitivement du point de vue du tout, l' individu pour lequel il n' y a plus de
sens à se placer du point de vue de l' ensemble .
On conçoit dès lors en quoi ce type de personnalité est de
nature à rendre problématique l' exercice de la citoyenneté " .
Cette dynamique réduit la valeur projective - au sens de
projet - de la démocratie pour la réduire à un " espace de services à la carte "
dont chacun mesurerait de manière sourcilleuse les coûts et les avantages .
La puissance de ce conditionnement, qui dégage un rapport à
le monde purement instrumental , se retrouve paradoxalement même dans les "
demandes de sens " de nature spirituelle ou religieuse .
Olivier Roy , qui a étudié les sites islamistes sur Internet
, montre que les " visiteurs " de ces sites n' expriment aucune curiosité pour
l' histoire, la littérature ou la culture musulmane au sens large .
Leur priorité est de trouver des réponses rapides et
concrètes à des questions qu' ils se posent .
Généralement, les demandes portent sur ce qui est licite ou
illicite pour des musulmans vivant dans des sociétés majoritairement non
musulmanes .
Naturellement, cet exemple n' est pas directement lié à l'
enjeu démocratique .
Mais il souligne combien la mondialisation, ici au travers
de Internet, renforce le primat de la procédure - en l'occurrence le code - au
détriment de la culture .
Il en découle une représentation purement instrumentale de
la démocratie et de ceux qui l' incarnent .
du coup, le politique est moins un représentant qu' un
prestataire de services .
La démocratie devient alors une sorte de salaire de
citoyenneté dont la valeur est mesurée à l' aune de son " pouvoir d' achat " .
Si l' on n' obtient pas tel ou tel service que l' on attend
d' elle, la démocratie apparaît abstraite .
Le paradoxe politique est donc de voir resurgir la vieille
distinction entre " démocratie formelle " et " démocratie réelle " que la chute
du mur de Berlin avait disqualifiée .
Cette représentation de plus en plus instrumentale de la
démocratie se renforce paradoxalement au moment où le cadre national dans lequel
elle est logée apparaît de moins en moins capable de répondre à cette attente .
Par le jeu précisément de la mondialisation des échanges et
des activités économiques, l' espace national perd de sa pertinence pour l'
action .
La dissociation des intérêts des entreprises et de les
nations conduit par la force des choses à une séparation croissante entre ordre
du marché et ordre des droits de l' homme .
Plus préoccupant encore est le fait que la sphère économique
tend parfois à considérer certaines préférences collectives exprimées
démocratiquement comme des obstacles à son épanouissement .
La pression qui s' exerce sur les États à le plan fiscal en
est l' exemple type .
Elle vise non seulement à taxer davantage le travail que le
capital mais également à taxer proportionnellement plus les " salariés immobiles
" que ceux qui peuvent jouer de leur mobilité professionnelle pour optimiser
leur situation fiscale .
Or il est bien évident que les politiques strictement
nationales peuvent contenir mais pas enrayer cette évolution .
D' où la nécessité de se doter d' institutions mondiales ou
régionales capables de réguler cette situation .
Autrement dit, la conséquence majeure de la mondialisation
est de créer une demande de démocratie à l' échelle mondiale .
Mais la satisfaction de cette demande est extraordinairement
difficile à satisfaire .
D'une part, parce que le déplacement vers le mondial ne
signifie pas l' obsolescence de le cadre national .
D'autre part, parce que l' on ne sait pas encore comment
résoudre la question de la représentation à l' échelle mondiale .
TITRE : La guerre dans le siècle
AUTEUR : Dominique DAVID
La guerre, affrontement sanglant et organisé entre communautés
humaines , est toujours un facteur privilégié de création et d' évolution des
ensembles politiques .
Il n' y a pas à cet égard de long ou de court XXe siècle, mais
plusieurs XXes siècles, où la guerre s' est confirmée comme instrument de remodelage
de la société internationale .
Pour n' avoir pas inventé grand chose en matière de horreur
guerrière, ce siècle a élargi le spectre des actes regroupés sous le nom de guerre
et profondément modifié leur approche philosophique, stratégique ou opérationnelle
.
Totalisation et industrialisation guerrières
Un changement d' échelle
Dans l' ensemble des phénomènes guerriers du siècle, le
plus visible est l' emballement de la logique dite clausewitzienne, qui
décrit aux temps modernes les guerres ordinaires, politiques, entre États .
Dans les conflits majeurs s' impose spectaculairement la
" totalisation " guerrière .
Le siècle s' inscrit ici dans une longue dialectique :
les épuisements de la guerre de Trente Ans conduisent aux conflits codés de
la deuxième moitié du XVIIIe ; à la guerre des masses inaugurée par la
Révolution succède un plus calme concert des nations, dépassé bientôt par
les premières grandes guerres modernes qu' ouvre la guerre de Sécession .
La rupture de l' équilibre des puissances européennes,
entre la guerre franco-prussienne et la Grande Guerre , ouvre la course à la
prééminence continentale .
L' Allemagne post-bismarkienne y privilégie le facteur
militaire, et le premier conflit mondial va symboliser une ère nouvelle
.
Le bouleversement des modes d' organisation est ici
déterminant .
On peut désormais, avec la mobilité du feu, la
motorisation et la transmission télégraphique des ordres, former, diriger,
déplacer de larges armées .
Napoléon commandait à Leipzig 180 000 hommes, soit à peu
près un dixième des combattants de Verdun .
L' évolution des armements donne à d' immenses armées
une efficacité nouvelle .
L' invention de la poudre sans fumée ( qui permet d'
accélérer la cadence de tir ) , puis de le feu à répétition , démultiplie la
puissance et la maniabilité du feu .
Les guerres entre États européens deviennent des guerres
nationales : idéologiquement, socialement, techniquement .
L' échelle des affrontements possibles s' en trouve
modifiée .
Pour être horrible ( Eylau ), la montée aux extrêmes de
Napoléon restait limitée .
Il s' agit désormais d' affrontements masse contre
masse, lutte potentiellement mortelle d' une société contre une autre .
Avec un problème vite perçu : comment poursuivre un
objectif politique partiel avec un instrument humain et industriel total ?
Plus pesante est la mobilisation, plus réduite la
souplesse de l' appareil : en 1914, on mobilisera intégralement contre ce
qui aurait pu ne relever que d' une dissuasion locale, de Sarajevo aux
détroits turcs .
Et l' état-major français de 1936 refusera tout
maniement limité de la force contre les maigres unités allemandes engagées
en Rhénanie .
Penser la guerre totale
La pensée de la guerre se transforme profondément dans
les deux premières décennies du siècle .
Les plus classiques théorisent l' incandescence de la
mobilisation sociale, industrielle, économique ou morale .
Foch voit ainsi la guerre moderne comme une apothéose
technico-napoléonienne, manoeuvre d' une usine à feux appuyée sur toute la
nation .
Ludendorf creuse plus loin : sa Totale Krieg n' est que
la mise de la société à disposition de la guerre .
Il critique avant de l' inverser la " formule " de
Clausewitz, parce que elle introduit un facteur politique qui bride la
puissance guerrière .
L' exigence dévoratrice des armées de masse doit primer
.
La Première Guerre mondiale fait pourtant éclater le
champ de la bataille .
En frappant à distance, le stratège peut ignorer le
blocage de la guerre de positions et intervenir systématiquement hors de l'
espace militaire .
L' avion symbolise cette révolution .
Le concept de bombardement stratégique place bientôt les
populations civiles au centre de la guerre : l' espace militaire bloqué peut
être tourné par des frappes, à l' arrière, sur les ressources vitales et
vulnérables de l' adversaire .
Giulio Douhet est le plus brillant des théoriciens de
cette " guerre intégrale ", qui délocalise le conflit, le diffuse dans l'
espace civil et conduit, via les bombardements de la Seconde Guerre
mondiale, aux stratégies anti cités de l' atome contemporain .
Les armées de Crimée, de Verdun ou d' Hiroshima semblent
appartenir à des mondes différents .
Mais la manoeuvre des armées n' est pas seule touchée .
Progressivement s' imposent de nouvelles stratégies de
construction de l' objet industrialo-militaire .
Le bricolage d' une économie de guerre à la demande
disparaît devant les exigences de la guerre technique .
Une véritable stratégie des moyens se met en place,
permanente puisqu' il s' agit de construire en masse des objets incessamment
renouvelés, puis qui se diffuse dans les secteurs civils .
L' exigence militaire fut déterminante pour les chemins
de fer prussiens avant 1870 .
Plus près de nous, les mêmes préoccupations ont pesé
lourd dans le développement des matériels aériens, la course à l' espace ou
le lancement des technologies de l' information .
Cette obsession des moyens s' exprime bientôt par des
budgets militaires surdimensionnés .
À la fin des années 80, les pays développés dépensaient
plus de 70 % des budgets militaires mondiaux .
Et du temps de sa splendeur soviétique, Moscou
consacrait presque 25 % de son PIB à des activités liées à la défense
...
Une nouvelle carte de la puissance
Si les conséquences sur les sociétés de la métamorphose
des opérations guerrières ne sont perçues que sur le long terme, le
bouleversement de la hiérarchie des puissances du concert européen est, lui,
immédiatement visible .
Saignée humainement, économiquement et moralement par la
Grande Guerre, contrainte de reconnaître qu' elle ne peut plus se défendre
seule, la France est prise entre une Grande-Bretagne rétive à toute
coalition permanente et une Allemagne trop forte pour être docile ou trop
faible pour payer les réparations .
L' Allemagne va encore miser dans les années 30 sur la
force militaire pour finir au désastre humain et moral que l' on sait .
La Russie sort exsangue du premier conflit mondial puis
réintègre le circuit international à l'issue de le second .
L' Angleterre s' épuise de 1940 à 1945 pour être
marginalisée dans un nouveau jeu que dominent une puissance des confins
européens et une puissance extérieure à l' Europe .
C' est la Première Guerre mondiale qui expose la
capacité économique des États-Unis ( traduite par une logistique qui
dominera tous les grands conflits du siècle ), ainsi que leur volonté d'
intervenir dans les espaces-pivots du monde .
C' est la seconde qui cristallise l' URSS comme grande
puissance et dessine son assise impériale en Europe .
En annonçant le club de la superpuissance .
Nombreuses sont les conséquences de ce bouleversement d'
une hiérarchie mondiale qui jouait depuis trois siècles .
des alliances d' un type nouveau se créent .
Organisation inédite de l' espace européen, l' Alliance
atlantique est très loin de les évanescentes coalitions du début du siècle .
La coexistence européenne s' ébauche dans les années 50,
ouvrant une des plus étonnantes aventures politico-juridiques des temps
modernes .
Plus largement, on tente de substituer l' idée de
sécurité avec l' autre à celle de l' imposition de la force à l'issue de
chacun des cataclysmes guerriers .
La SDN échoue parce que elle ne se donne pas les moyens
d' identifier l' agresseur ou de l' arrêter, quand nombre de pays ont des
problèmes concrets de sécurité .
L' ONU souffre, elle, de l' incapacité de son " conseil
d' administration " à fonctionner comme tel et de son absence de moyens .
D' énormes appareils militaires sont nés de la course à
la guerre totale, diffusant leur modèle militaire de la puissance ou leurs
armes .
Les idées d' universalité, de sécurité collective ,
représentent néanmoins un héritage essentiel de ce temps pour toute
réflexion sur l' organisation future du monde .
Guerres et non guerre : le pas nucléaire
Une guerre sur-totale ?
La révolution du siècle est bien la guerre totale, qui
fournit à la guerre nationale le moyen de sa folie .
L' irruption de l' atome résume cette étape en la
dépassant .
Comme tout moyen de guerre nouveau, l' atome est d'abord
pensé avec de vieux concepts .
Il couronne les bombardements stratégiques, donnant aux
théories des années 20 une traduction concrète .
L' idée de la guerre nucléaire aura la vie longue en
Chine et en URSS, où l' on planifie les frappes massives, aux États-Unis, où
l' on pense une nouvelle " victoire ", et en France même, comme en témoigne
la capacité de survie du nucléaire tactique .
L' atome thermonucléaire dépasse pourtant la guerre
totale .
Annonçant l' exclusion des deux joueurs de la
rationalité à laquelle voulait les cantonner Clausewitz, il élimine " la
guerre comme instrument de rémunération de la politique " .
Pour limité qu' on imagine l' effet de telle arme
nucléaire, nul n' a jamais déployé avec elle la garantie interdisant de
passer au stade supérieur .
La perspective des destructions possibles et l'
incapacité à maîtriser l' escalade produisent ensemble une dissuasion
nucléaire sui generis, dont tous les membres du club atomique respecteront
les codes .
L' imaginaire de guerre, sans guerre , crée le monde de
la guerre froide .
Le discours sur le futur , sur ce qui adviendrait en cas
de passage à la violence , est d' autant plus important que le saut apparaît
plus lointain .
Tout ce qui précède l' usage de l' arme sur le champ de
bataille devient donc un enjeu stratégique capital .
Le temps de paix, entré en stratégie par les exigences
de la guerre industrielle , occupe désormais une place centrale .
Dans cette stratégie déclaratoire étendue aux confins de
la stratégie_NEW_ elle -même prolifèrent les traités tentant de raisonner la
déraison nucléaire et s' affirment la course aux armements et l' équilibre
de la terreur .
C' est l' énorme capacité de destruction nucléaire qui
fait apparaître raisonnable le déploiement d'autres armes, pour une
hypothétique guerre limitée .
Mais ce rêve de limiter le risque sous ombrelle
nucléaire ainsi que le mimétisme soviétique face à des États-Unis jouant la
carte technologique conduiront à la plus extravagante accumulation d' armes
jamais connue .
La géographie stratégique de l' ère nucléaire
C' est la Seconde Guerre mondiale qui définit les
nouvelles puissances et ébranle les empires .
L' atome, lui , gèle les zones d' influence sur le Vieux
Continent et dessine une géographie stratégique qui durera quatre décennies
.
au centre, les espaces sanctuarisés ou couverts par la
dissuasion élargie : ici , la guerre serait déraisonnable et les militaires
n' interviennent que dans leur propre camp .
En bordure, des arrière-cours où les intérêts des
puissances ne sont pas sérieusement défiés par l' autre ( par exemple en
Amérique latine ) .
Quelques zones à statut stratégique particulier peuvent
aussi être isolées : le Moyen-Orient, bien sûr, ou d'autres moins visibles,
en Asie par exemple .
Au-delà, mers ou terres libres d' un trop gros danger
demeurent des espaces de manoeuvre .
Exclusion de la guerre ici, évitement de l' Autre
ailleurs, là où la confrontation reproduirait un face à face maîtrisé
seulement en Europe .
Les fameuses guerres par procuration ( Viêtnam ,
Afghanistan ) opposent donc l' intervention lourde de l'une des
superpuissances à l' action indirecte de l' autre .
La guerre froide ( non guerre chez nous , dérivation des
conflits chez les autres - par exportation d' armes ou de kits idéologiques
réinterprétant les problèmes locaux - , évitement partout de la
confrontation directe ) donne aussi naissance, dès la première moitié des
années 60, à une pratique diplomatico-stratégique nouvelle : l' arms control
.
Le missile balistique intercontinental désenclave le
territoire américain pour la première fois depuis plus de cent ans .
Leur vulnérabilité intègre définitivement les États-Unis
au jeu stratégique mondial et les contraint à ordonner leur face-à-face avec
Moscou .
L' arms control entend créer une culture de la
superpuissance à partir de le seul intérêt irréductiblement commun : la
limitation du danger .
On s' entendra sur les règles de gestion de l'
instrument du danger au lieu de s' enfermer dans une logique impuissante de
désarmement général : accords de transparence ou de limitation des arsenaux
.
S' agit -il du co-gouvernement du monde que dénonceront
les Français au début de les années 70 ?
Cette idée de cogestion d' un temps dangereux, sous une
autre forme , autorisera en Europe la percée de la Conférence sur la
sécurité et la coopération en Europe ( CSCE ) .
Le long processus ouvert à Helsinki en 1972 s' organise
autour de trois idées, dictées par la suraccumulation des armements en
Europe .
La sécurité est un objet composite, d' où l' idée de
diverses corbeilles de négociation .
La sécurité se crée d'abord dans les têtes, même si elle
s' inscrit aussi dans les objets militaires, d' où l' importance des
procédures de création de confiance qui permettront d' abaisser la garde
militaire .
La sécurité peut être gérée régionalement, d' où la
réunion de tous les acteurs de la sécurité européenne .
Avec ses complexités et ses impuissances, la CSCE est
bien l'un des objets diplomatiques les plus intéressants de ce dernier
demi-siècle .
Utilisé deux fois, l' atome rentre vite dans le silence
.
La technique, qui démultiplie sa force destructrice ,
permet ainsi le gel de la guerre froide et une nouvelle hiérarchisation de
la puissance .
Elle modèle en même temps des dialogues internationaux
spécifiques .
Au-delà des exemples déjà cités, le Traité de non
prolifération ( TNP ) sera sans doute le premier acte quasi universel à
reconnaître une inégalité flagrante ( entre les have et les have not ) pour
créer de la sécurité pour tous .
La guerre, toujours recommencée
Décolonisation : une déconstruction politique et
militaire
Hors théâtre nucléaire survient l' autre mutation
capitale : l' explosion de l' espace colonial et l' universalisation de la
forme étatique .
À la fin du XIXe siècle, en l' espace d' une génération,
Grande-Bretagne, France , Allemagne , Italie , Espagne , Portugal , Belgique
et Pays-Bas avaient ajouté à leurs territoires métropolitains plus de trois
fois la superficie des États-Unis .
Écho de quelques soubresauts de l' entre-deux-guerres,
l' écroulement colonial fait passer le nombre des États membres de l' ONU de
moins de 50 à près de 200 en quelques décennies .
Les conflits mondiaux exhibent la faiblesse des nations
colonisatrices, leur impuissance à maintenir l' ordre et leur dépendance
vis-à-vis des empires .
La Première Guerre mondiale enrôle les coloniaux dans
les armées métropolitaines .
La seconde valorise l' espace arrière, empire français
ou britannique .
Sur l' humiliation du colonisateur prospère l' idée
anticoloniale que la surpuissance américaine propage elle -même durant la
guerre .
Si la violence guerrière fait lever le vent qui balaie,
de 1945 à 1975, les empires coloniaux, elle n' est pas toujours le vecteur
de la libération .
Pour l' ensemble des États nés depuis 1945, les guerres
de décolonisation sont peu nombreuses, même si spectaculaires .
La décolonisation baigne pourtant dans la violence :
celle -ci la précède ou la suit ( sous-continent indien ), la permet (
Indochine, Algérie, Angola, Mozambique ) ou apparaît lors de le réglage des
nouveaux rapports de forces ( Suez ) .
La décolonisation est aussi une affaire militaire en ce
qu' elle fournit en réflexions inédites des écoles de guerre par trop fixées
sur l' héritage napoléonien .
La dimension globalement politique de les affrontements
est rappelée à Suez, où la victoire militaire franco-israélienne est annulée
par la pression conjointe américano-soviétique .
L' Indochine montre qu' une guerre asymétrique peut
simplement être perdue par la puissance dominante .
Et le Viêtnam, qu' un conflit ne se gagne pas forcément
sur le champ de bataille principal .
Ces affrontements inégaux répètent que la manière
traditionnelle dont nos militaires conçoivent l' occupation et la manoeuvre
du champ de bataille n' est pas universelle .
D' où la brusque floraison de discours sur les formes
non classiques de la guerre .
au tout début de ce siècle, les Boers faisaient le "
vide du champ de bataille ", semant le désarroi dans une machine militaire
habituée à décider sur un terrain choisi et limité : mise en oeuvre par le
faible de la stratégie indirecte chère à Liddell-Hart, qui recherche la
dislocation de l' adversaire en perturbant son dispositif, en l' obligeant à
de constants changements de fronts et à diviser ses forces, en menaçant ses
lignes d' approvisionnements et de communication .
Les guerres indochinoise , vietnamienne ou afghane s'
inscrivent au coeur de cette logique .
Les conflits asymétriques qui ont rendu possible ,
ponctué ou entouré la décolonisation ont contraint les armées classiques à
penser autre chose que l' apocalypse des masses militaires .
De vieilles techniques de guerre défensive se révélaient
payantes et démontraient ce que beaucoup de puissants se refusent encore à
croire aujourd'hui : le différentiel technique ne produit pas toujours un
effet stratégique décisif .
Un damier étatique nouveau
L' échec est toujours grave pour le puissant, et ses
conséquences dépassent de beaucoup le militaire .
Une république chancelle en France sous le double effet
de l' Indochine et de l' Algérie .
Le régime portugais disparaît avec la révolte d' une
armée embourbée en Afrique .
Les États-Unis subissent dans les années 70 une grave
crise politique et morale .
Son souvenir " plombe " encore aujourd'hui les
interventions extérieures de Washington, qui privilégie toujours les
stratégies et technologies permettant l' action à distance du champ de
bataille : un choix qui pèse lourd dans les actuelles crises interna
L' URSS connaît en Afghanistan son premier échec
militaire depuis 1945 ; le porte-parole des colonisés est, en 1980, condamné
à l' ONU par une majorité d' émancipés : l' image du régime ne s' en
relèvera pas .
Les guerres périphériques affaiblissent donc les
puissances et relativisent la hiérarchie dessinée par la Seconde Guerre
mondiale et le gel nucléaire .
La multiplication des États décolonisés change la donne
internationale à d'autres niveaux .
Ils disposent bientôt d' une majorité à l' Assemblée de
l' ONU, créent le Mouvement des non alignés, fournissent jusqu' aux années
80 une marge de manoeuvre appréciable à l' URSS . La plupart de ces États
tiers-mondistes, dépourvus de culture nationale et étatique, vont d'ailleurs
élever leurs structures politiques sur une armature militaire : installation
des armées comme classe dirigeante politique et économique, reproduction des
élites dans les circuits militaires, etc .
Multiplication des nouveaux États, hypertrophie des
logiques militaires internes, exportation par les puissances centrales de
conflits et d' armes qui assurent leur contrôle de la périphérie : ces
éléments expliquent que la deuxième course aux armements contemporaine se
soit déroulée au " Sud ", où n' ont guère manqué les affrontements
interétatiques .
À des degrés et des moments différents, le Moyen-Orient,
l' Asie de le Sud-Est et l' Afrique sont depuis quarante ans les grandes
zones d' accumulation d' armes ( hors grandes puissances ) .
Dans ces trois zones, les rivalités entre unités
politiques se sont souvent traduites en guerres - il pourrait en aller de
même à l'avenir .
Les affrontements militaires directs entre puissants
disparaissent .
Le monde de la guerre classique survit pourtant, dopé
par les problèmes révélés ou ouverts par la décolonisation .
Hors guerres mondiales, le siècle n' est d'ailleurs pas
chiche d' affrontements entre États, de la guerre russo-japonaise à celles
qui opposèrent l' Érythrée à l' Éthiopie, l' Iran à l' Irak, l' Inde à la
Chine, l' Inde au Pakistan, le Japon à la Chine, etc .
Pour user parfois d' armements modernes, ces conflits
renvoient à de très traditionnelles logiques de guerre : régulation
économique ou démographique, affirmation de puissance, volonté de conquête,
désir de prédation ...
Affrontement de volontés collectives armées, la guerre a
donc partout joué dans ce siècle son rôle de création : naissance du monde
central des puissances, ailleurs composition d' un damier d' États nouveaux
mais secoués pourtant d' antiques réflexes .
Le nouveau siècle, déjà ...
La revanche de la guerre
Le récent se prétend inédit : c' est presque toujours
faux mais peut-être vrai pour la fin de ce siècle .
La liquidation de la bipolarité fluidifie un système
dont on déplorait hier la rigidité, décomposant nombre de théâtres
stratégiques, avec des conséquences plus ou moins graves en Europe, en Asie
centrale, en Asie de l' Est ou en Afrique .
La disparition du cadre fourni par le système Est-Ouest,
le redéploiement de les puissances qui laisse 0 des régions entières face à
leur malheur ( à le sud de le Sahara ... ) , et la vivacité et la diversité
de ce malheur dessinent de nouveaux théâtres où les stratégies, les acteurs
et donc les conflits suivent des dynamiques inédites .
La floraison conflictuelle apparaît d' autant plus
difficile à contrôler que l' essoufflement du paramètre étatique ( pour des
raisons et à des degrés divers en Europe centrale ou en Afrique, par exemple
) active les affrontements internes ou trans-étatiques, les nouveaux acteurs
de la violence naissant du pourrissement même des institutions nationales .
Quant à le désenclavement des économies et des sociétés,
résumé par le terme de mondialisation, il relativise l' emprise des États
sur le jeu international, annonçant de nouvelles divisions, donc des
conflits, peut-être des menaces inédites .
Il accélère la circulation des technologies et des armes
qui redessine les champs d' affrontements : passage d' armes légères du
continent eurasiatique vers l' Afrique puis d' une zone africaine à une
autre, aggravation de la capacité de nuire de petits groupes désormais
équipés d' armements modernes, etc .
Ce désordre n' est que mollement combattu par les
mécanismes de sécurité régionale .
L' Europe a su préserver la complexe architecture de ses
institutions mais, dans leur aire de compétence, plusieurs guerres ont
éclaté depuis dix ans .
Ailleurs, le concept de sécurité régionale avance
lentement ( Asie ) ou partiellement ( Afrique ), mais il n' est nulle part
une réponse opératoire à la multiplication des conflits .
au niveau global, la gestion politico-diplomatique
progresse de manière peu assurée .
La communauté onusienne tente de s' imposer
juridiquement, moralement, techniquement même, si l' on tient le décompte
des opérations internationales, des discours et des textes adoptés .
Mais ni le droit des situations d'urgence, ni les
institutions de la décision internationale, ni les méthodes de coopération
militaire ne forment un appareil polyvalent de gestion des situations
conflictuelles .
Un appareil dont , au demeurant , la légitimité pourrait
être, est déjà, contestée par nombre d' acteurs internationaux, ni riches,
ni occidentaux .
N' en déplaise aux rassurants prophètes de la fin des
conflits entre États, la guerre rappelle dans la dernière décennie du
siècle, avec une belle vivacité, son classique rôle de redécoupage des
unités et théâtres politiques .
Dans le Caucase, en Asie centrale, dans les Balkans ou
en Afrique centrale, le bouillonnement conflictuel ébauche les contours
politiques - justes ou non - de nouvelles régions .
Ces conflits collectifs ignorent certes souvent les
acteurs de la vulgate clausewitzienne : armées, généraux, peuples montant à
la rescousse .
Mais ils sont pourtant la guerre dont nous avions oublié
la diversité formelle .
La guerre désétatisée ( l' État éclatant ou peinant à
décider ), la guerre démilitarisée ( les armées cédant la place à des
systèmes féodaux ou à des groupes armés en incessante métamorphose ), la
guerre décivilisée, enfin ( sans référence aux codes jurid
Au demeurant, ces violences traduisent sans doute mieux
les ressorts profonds du conflit collectif que nos guerres industrielles .
Elles disent la décharge d' énergie, la lutte sans loi
pour la survie, la joie sauvage de briser la morale et la légalité imposées
par la paix, le goût du théâtre sanglant que nos civilisations ont su,
provisoirement et récemment, brider .
La floraison de conflits peu classiques n' efface pas
pour l' avenir l' hypothèse d' affrontements interétatiques .
En écho à la décolonisation, la dernière prolifération
d' États élargit le nombre des acteurs conflictuels .
Quant aux raisons de s' affronter, elles rajeunissent :
l' accès aux ressources rares ( pétrole, eau ), les problèmes que pose la
circulation de plus en plus large des populations ( émigration économique,
réfugiés ), l' inégale détention des technologies ou leur effet mal maîtrisé
seront prétextes aux guerres fraîches de demain .
Les arsenaux en circulation restent, eux, dopés pour un
temps indéfini par la liquidation des armées de l' Est européen, et ils
comptent de plus en plus de matériels à haute capacité de nuisance, aisément
opérables .
Plusieurs guerres ?
Recrus d' histoire et de sang, nos pays approchent la
guerre de manière contradictoire .
La bonne conscience occidentale jouit de l' alternative
réinventée entre Athéna et Mars, comme s' il existait une guerre civilisée
et une guerre barbare .
aux autres la vraie guerre : virile, sauvage, sanglante,
hors civilisation, la honte de la pré-modernité .
À nous l' usage policé de la force : nos armées n' ont
jamais tant servi que depuis que on a tué la menace .
Nous rêvons d' une violence gouvernée : idéal d' une
guerre codée correspondant à la pure Raison politique .
Une Raison à la fois honnête et efficace .
Honnête, parce que s' appuyant sur un embryon de morale
commune : voir l' étonnante bonne conscience des Alliés atlantiques s'
engageant contre la Yougoslavie au nom de une " communauté internationale "
qui n' en put mais .
Efficace, parce que usant de moyens techniques détenus
par quelques puissances qui pourraient obtenir un effet décisif en se tenant
hors du champ de bataille ( armes de frappe à distance, " guerre de l'
information " ), et contrôler précisément l' escalade de la violence .
La guerre du Kosovo n' a pas démontré la validité de ces
deux thèses, mais elle fut clairement leur banc d' essai .
Le débat ne fait que commencer sur cette nouvelle sorte
de guerre : opération de police basée sur la maîtrise morale et technique de
la communauté internationale .
Ce concept exige des structures internationales de
légitimation et de décision, et la possibilité, pour les politiques et les
militaires, de faire une guerre différente de celle que nous connaissons
depuis des siècles .
Peut -on élaborer une doctrine de rétablissement de la
paix, de contrôle de la violence, pour user des appareils militaires en
limitant les fameuses " frictions " que Clausewitz disait inséparables de l'
emploi de la contrainte - et qui modifient toujours les conditions et les
buts de l' engagement armé ?
En utilisant les armes, n' entre -t-on pas dans une
logique autre, qui ne peut être ramenée jamais dans les belles allées de la
logique politique ?
Devant les fresques qui nous décrivent la troisième ère
de la guerre, devant notre récurrent espoir de résoudre techniquement nos
problèmes politiques, l' histoire vivante parle, la guerre reprend ses
leçons de choses .
Tout usage de la violence - et, encore plus , tout usage
massif , à l' occidentale - change le paysage, mais dans quel sens ?
La guerre est toujours un moment de création du monde,
mais elle ne crée pas le monde que nous voulons qu' elle crée .
du neuf si vieux ?
Prompt à se penser unique, le XXe siècle n' a pourtant
inventé ni la puissance mortifère des idéologies, ni l' hystérie guerrière,
ni la violence de masse, ni la diversité des formes du massacre, ni même le
génocide .
Il a démontré, comme ses prédécesseurs, que l' usage de
la violence collective était hélas consubstantiel à la volonté des hommes de
modeler leur temps .
La nouveauté du siècle, c' est l' injection de la
technique dans le processus guerrier, à haute dose et avec un rythme de
renouvellement neuf .
Une technique qui change la place de les appareils
guerriers dans les sociétés , renouvelle les modes opératoires militaires,
modifie les circuits de mise à disposition des armes, élargit le spectre des
aventures et révolutionne la pensée de la guerre .
Le XXe siècle a pourtant tenté, plus que d'autres, de
penser des modes de régulation internationaux qui s' éloignent du simple
décompte des forces .
Nous sommes trop près de les ébauches morales et
juridiques de ces dernières décennies pour juger leur poids historique .
Mais l' époque pourrait être propice à l' invention d'
un nouveau " mode de sécurité ", pour reprendre l' expression de Maurice
Bertrand : montage composite des différents facteurs qui produisent cette
sécurité .
Rêvons donc d' encadrer la guerre, à défaut de la tuer
.
TITRE : Les États-Unis à l épreuve de la vulnérabilité
AUTEUR : Jacques BELTRAN et Guillaume PARMENTIER
Il est délicat de prétendre tirer des conclusions solides d' un
événement aussi traumatisant que les attaques du 11 septembre contre le World Trade
Center et le Pentagone .
Les effets aux Etats-Unis en seront largement psychologiques, et
beaucoup dépendra des circonstances qui suivront : poursuite de la terreur,
réactions des dirigeants et du peuple américains, perception chez les Américains d'
un soutien ou d' une indifférence internationaux .
Les réflexions qui suivront doivent donc être interprétées comme
provisoires et sujettes à révision, l' objectif de cet article étant avant tout de
cerner les facteurs à l' oeuvre et les évolutions possibles .
L' analogie reprise par de nombreux observateurs entre les
attentats de le 11 septembre et l' attaque japonaise sur Pearl Harbor ne tient pas
aux situations politique et stratégique mais au choc psychologique ressenti par la
population américaine .
La conséquence première et fondamentale de ces attentats qui ont
provoqué la mort de milliers de civils sur le sol américain est bien d' avoir fait
disparaître le mythe, largement partagé jusque-là aux États-Unis, de l'
invulnérabilité .
Même pour l' opinion publique américaine, l' Amérique n' est
plus un sanctuaire .
Ce n' est certes pas la première fois que les États-Unis sont
frappés par des attaques terroristes .
À maints égards, les années 1990 ont été celles de la découverte
du phénomène terroriste, interne - dans les cas des attentats d' Oklahoma City et
des Jeux olympiques d' Atlanta - mais aussi international : attaque au camion piégé
contre le World Trade Center en 1993 ( déjà attribuée à Ben Laden ), contre la base
américaine de Dharan en Arabie Saoudite en 1996, contre les ambassades américaines
au Kenya et en Tanzanie en 1998 et contre la frégate USS Cole au Yémen en 2000
.
Pourtant, les attaques du 11 septembre et la psychose entretenue
par les découvertes d' enveloppes contenant 0 du bacille de le charbon donnent le
sentiment qu' un cap a été franchi .
Par le nombre très élevé de victimes, tout d'abord, qui rend
dérisoire le qualificatif d' attentat et incite à évoquer un acte de guerre, même si
l' absence d' ennemi identifié ne rend pas ce terme vraiment satisfaisant .
Par la nature des cibles, ensuite, symboles de la puissance
militaire et économique des États-Unis, qui donnent la mesure des intentions et de
l' idéologie destructrice qui animent les terroristes .
Par le mode opératoire choisi, enfin, qui accentue ce sentiment
de grande vulnérabilité : en détournant des avions de ligne intérieure ou - s' il s'
avère que les coupables sont les mêmes - en utilisant le système postal comme
vecteur de leurs attaques bactériologiques, les terroristes ont détourné l'
utilisation des fondements de la société américaine que sont la libre circulation,
les échanges et la communication .
Au-delà du nombre effroyable de victimes, la peur suscitée
outre-Atlantique vient bien de ce que les terroristes ont infiltré la nature même de
la société américaine .
Pour les Américains désormais, se protéger contre les
terroristes suppose sinon de lutter contre eux -mêmes, du moins de se méfier de leur
propre mode de vie .
Le point demeure encore ouvert de savoir, par exemple, si la loi
antiterroriste signée par le président Bush le 26 octobre 2001 ( après une
approbation ultra rapide de la part de les deux Chambres ) représente un tournant
décisif en matière de libertés publiques .
En accroissant la capacité de l' État fédéral à intercepter les
communications téléphoniques et électroniques, c' est-à-dire de ceux qui ne sont pas
détenteurs de la nationalité américaine, et en autorisant la détention des " non
citoyens ", cette loi va à l'encontre d' un mouvement de libéralisation entamé au
cours de les années 1960, et qui n' avait guère encore connu de recul .
L' arrestation et la détention, sans accès à des avocats , de
quelque mille résidents arabes posent également question .
Il est encore trop tôt pour dire quelle sera exactement, à long
terme, la réaction des États-Unis, et quelles en seront toutes les conséquences, en
particulier parce que de nombreuses inconnues subsistent encore et que les
événements à venir pourraient influer considérable-ment sur l' état d' esprit de la
population américaine et de ses dirigeants .
On ignore, par exemple, quelles seraient les conséquences d' une
deuxième vague d' attentats .
À coup sûr, la très forte tension ressentie aujourd'hui dans les
villes se transformerait en réelle psychose .
Mais quelles en seraient les conséquences politiques,
économiques, psychologiques, tant au plan interne qu' international ?
De même, on ignore si l' opinion publique restera toujours
favorable à l' engagement américain en Afghanistan .
Si le concept du " zéro mort " semble avoir vécu
outre-Atlantique et si, d' après de récents sondages, l' opinion publique semble
prête à supporter le coût d' une longue campagne , encore faudra -t-il qu' elle
reste convaincue de l' adéquation entre les moyens mis en oeuvre et l' objectif
poursuivi, à savoir la destruction des réseaux terroristes, entreprise longue et
incertaine .
Si de nouveaux attentats sont perpétrés aux États-Unis et que,
par ailleurs, les forces américaines s' enlisent en Afghanistan ou subissent des
pertes importantes, il faudra s' attendre à ce que un nombre croissant d' Américains
remette en cause l' opportunité d' une guerre lointaine, à l'heure où les
terroristes agissent sur le territoire national .
Si, traditionnellement, la capacité des opinions publiques à
supporter les coûts d' une opération militaire est liée à la conviction de mener une
guerre " juste ", elle est également fonction de la lisibilité du conflit et de la
conviction de mener une guerre " efficace " .
Enfin, au plan politique interne, on peut s' interroger sur la
pérennité de l' union sacrée qui réunit démocrates, républicains et indépendants
depuis le discours du président Bush devant le Congrès, le 20 septembre .
Si l' on a encore en mémoire l' image des représentants et
sénateurs américains applaudissant debout leur président, tous partis confondus, à
l'issue de un discours qualifié à maintes reprises et sans surprise d' historique "
, il convient aussi de signaler les tensions qui sont apparues peu de temps après
entre démocrates et républicains quant à le bien-fondé et au montant du plan de
relance de l' économie américaine annoncé par la Maison Blanche et même quant à la
fédéralisation des contrôles de sécurité dans les aéroports .
Le président va -t-il toujours bénéficier des pleins pouvoirs
qui lui ont été de facto accordés le 11 septembre ?
Ou faut -il s' attendre à ce que le jeu des partis reprenne son
cours, en particulier à l'approche de les élections de mi-mandat, avec - rappelons
-le - l' enjeu d' un possible basculement de l' ensemble du Congrès sous majorité
démocrate ?
Autant de questions dont les réponses sont encore inconnues et
qui dépendront dans une large mesure de facteurs exogènes .
On ne peut donc que se contenter, à ce stade, d' émettre des
hypothèses et tenter d' entrevoir l' impact que cette découverte de la vulnérabilité
pourrait avoir, non seulement sur la société américaine, mais également - par voie
de conséquence - sur la perception que les États-Unis auront de leur relation avec
le reste du monde .
Il peut en effet qu' au-delà de la riposte militaire, les
attentats du 11 septembre aient provoqué une réaction en chaîne qui, de l' impact
psychologique interne aux conséquences sur la politique étrangère américaine,
pourrait peser lourd sur l' évolution du système international de l' après-guerre
froide, y compris sur la nature de la relation transatlantique .
De la vulnérabilité à la peur de l' étranger
Le sentiment d' invulnérabilité du peuple américain n' était
évidemment pas total, même avant le 11 septembre .
Les sondages du Chicago Council on Foreign Relations , dont
John Rielly a commenté régulièrement les résultats dans Politique étrangère ,
montrent que les Américains craignaient dans une certaine mesure les
conséquences du terrorisme sur leur sécurité .
L' expérience de la tentative de renforcement de la sécurité
aérienne, menée par l' Administration Clinton d' août 1996 à février 1997 ,
montre cependant que cette crainte était demeurée diffuse .
La White House Commission on Aviation Safety and Security ,
présidée par le vice-président Al Gore , avait en effet conclu à la nécessité de
renforcer de façon significative les conditions de contrôle à bord des avions .
Devant la perspective d' une moindre rotation de ceux -ci,
qui aurait réduit leur rentabilité, les compagnies aériennes, et leurs relais au
Congrès, avaient résisté à cette tentative .
Le compromis auquel sont parvenues les autorités américaines
fut significatif d' un état d' esprit trop optimiste quant à la capacité des
États-Unis à demeurer invulnérables .
Les nouvelles consignes de sécurité ont en effet été
appliquées aux vols en provenance ou à destination de l' étranger, mais les vols
intérieurs en ont été exemptés .
Or, les quatre avions détournés le 11 septembre assuraient
précisément des vols intérieurs .
Une confiance sociale excessive dans une ligne de
démarcation entre God's own country et un étranger plus dangereux a ainsi
facilité la tâche des terroristes .
En bonne logique, les événements du 11 septembre devraient
réduire cette césure mentale, contribuant à persuader les Américains que leur
sort est inséparable de celui du reste du monde .
La délicate tâche de les responsables politiques consistera
à traduire ce point de vue général en résistance aux groupes de pression
organisés qui souhaitent soustraire le territoire américain à certaines mesures
restrictives .
Un tel conflit pourra se manifester à l'avenir aussi bien en
matière de libertés publiques qu' en matière de port d' armes, par exemple
.
En effet, cette découverte de la vulnérabilité pourrait bien
alimenter un sentiment de " peur de l' étranger " qui dépasserait la
traditionnelle méfiance à l'égard de les foreign entanglements et pourrait se
traduire, à terme, non seulement par une réticence à l'égard de une implication
des États-Unis dans les crises extérieures, mais également par un réflexe de
fermeture et de repli sur soi de la société américaine .
Certes, l' effet immédiat du 11 septembre a été d' ouvrir
les yeux de tous les Américains sur le rôle que le reste du monde pourrait avoir
sur le sort de la nation américaine, mais la réalité reprendra ses droits .
Rapidement, la tendance des médias à ne se consacrer pour l'
essentiel qu' aux affaires locales surgira de nouveau .
L' attention à l' étranger se relâchera, comme ce fut le cas
pendant les conflits précédents auxquels ont participé le pays .
Surtout, dans ce contexte, si l' opinion, les groupes de
pression et le secteur politique américains sont déçus par les résultats de l'
opération , le risque d' une résurgence d' une méfiance générale à l'égard de
tout ce qui provient de l' étranger se manifestera, et peut-être avec plus de
force encore que par le passé .
La mise entre parenthèses temporaire des intérêts
minoritaires dans la définition de la politique étrangère
L' une des caractéristiques essentielles du système
politique américain, et en particulier de le processus d' élaboration de la
politique étrangère , est que cette politique internationale est - dans une
large mesure - le fruit de considérations internes .
Le rôle du Congrès et le poids des lobbies ( économiques et
ethniques , en particulier ) font que la politique internationale de la première
puissance mondiale est souvent prise en otage par des groupes d' intérêts
puissants, organisés et disposant de moyens financiers considérables leur
permettant de peser sur le jeu électoral, et donc sur les choix effectués par
les élus .
Or, les attentats du 11 septembre pourraient avoir comme
conséquence d' inverser pendant au moins un temps l' ordre des priorités : les
groupes d' intérêts continueront certes à exercer des pressions pour faire
valoir les projets qu' ils défendent, mais ceux -ci seront largement
contrebalancés ou renforcés, selon les cas, par les impératifs de sécurité
nationale et de la lutte contre le terrorisme .
Ainsi, l' importance des enjeux internationaux actuels
rendrait la politique étrangère des États-Unis moins sensible aux intérêts
minoritaires, précisément parce que - de manière indiscutable - l' intérêt
national est en jeu .
Il ne faut dès lors pas s' étonner de voir les États-Unis
revenir de manière spectaculaire sur des programmes de coopération
internationale qu' ils avaient jusqu'à présent rejetés, au motif qu' ils
mettaient en cause la souveraineté et les intérêts américains .
Le programme de l' OCDE de lutte contre le blanchiment d'
argent et les paradis fiscaux - dont les États-Unis s' étaient désengagés juste
avant les attentats sous la pression de le lobby bancaire soucieux d' éviter à
les banques américaines de les régleme a ainsi été relancé par Washington .
On peut aussi s' attendre, selon le même schéma, à ce que
les Américains manifestent un intérêt nouveau pour l' accord sur le contrôle des
armes à petit calibre, rejeté il y a quelques mois à peine par le Congrès sous
la pression de la puissante National Rifle Association .
Pour autant, il ne faut pas se dissimuler que l' évolution
inverse est également possible .
Si la campagne actuelle en Afghanistan ne parvient pas à
obtenir des résultats probants dans un délai raisonnable, on pourrait assister à
terme à un choc en retour tendant à raviver la méfiance intuitive du peuple
américain envers l' étranger .
Ceci ne mènerait pas à un quelconque " nouvel isolationnisme
", au demeurant parfaitement irréalisable, mais pourrait avoir pour effet de
renforcer encore le poids des déterminants internes dans les décisions des
États-Unis en matière internationale, de limiter encore davantage la marge de
manoeuvre de l' exécutif face à le Congrès et, ce faisant, de renforcer le rôle
des groupes de pression .
La politique étrangère américaine en serait rendue plus
imprévisible, oscillant entre des périodes de retrait et des poussées d'
interventionnisme d' autant plus fortes qu' elles seraient dictées par des
contingences intérieures .
La partie qui se joue avec la campagne actuelle est donc d'
une importance capitale pour l' engagement américain futur dans les affaires
internationales .
À ce titre, elle peut conditionner l' avenir du système
international dans son ensemble .
Une nouvelle posture de défense ?
La lutte contre le terrorisme est devenue l' enjeu numéro un
du mandat de George W. Bush, et l' on peut s' attendre, au moins à court terme,
à ce que la plupart des choix de politique intérieure et internationale soient
examinés à l' aune de cet objectif .
Ceci devrait avoir des conséquences sur la posture de
défense des États-Unis .
La première conséquence pourrait être précisément un
renforcement de cette posture de défense, au détriment de les stratégies de
projection de forces .
En d'autres termes, la puissance militaire de les États-Unis
verrait ses missions recentrées sur la défense du territoire américain et de ses
bases et intérêts à l' étranger, au détriment de une utilisation de ces forces à
des fins d' intervention extérieure .
Par ailleurs, la tendance ne devrait pas être celle d' un
abandon des systèmes de défense reposant avant tout sur la technologie, mais au
contraire d' un renforcement de ces systèmes en même temps que un développement
du facteur humain .
En d'autres termes, tout ce qui servira la défense du pays
sera considéré comme indispensable .
Ainsi, contrairement à ce que l' on pourrait légitimement
conclure à la suite de les attentats, les attaques terroristes de le 11
septembre qui - loin de être menées à l'aide de missiles intercontinentaux - ont
été perpétrées par détournement de moyens civils , n' ont pas rendu caduc le
programme de défense antimissile mais pourraient bien avoir renforcé sa
légitimité .
Loin de être perçue comme un contre-exemple de l' utilité d'
un tel système, la défense antimissile pourrait sortir renforcée de cette crise,
ses partisans insistant précisément sur le risque qu' un groupe de terroristes
mette la main sur des missiles et les lance contre le territoire américain .
C' est ainsi que, quelques jours seulement après les
attentats, les sénateurs démocrates ont décidé de lever leurs objections au
niveau de dépense portant sur la défense antimissile proposé par l'
Administration pour 2002 .
Depuis le 11 septembre, l' argument des Européens selon
lequel les Américains auraient une fâcheuse tendance à surestimer la menace , à
des fins de développement industriel , est de plus en plus difficile à avancer .
Ces attentats ont ainsi fourni une caution morale à tout
programme militaire ou civil visant à accroître la protection du territoire et
des intérêts des États-Unis dans le monde .
La seconde conséquence, découlant directement de la première
, pourrait être une augmentation sensible du budget de défense américain .
En dépit de le fait que les États-Unis dépensent déjà 320
milliards de dollars par an pour leur défense, soit davantage que les neuf pays
les plus dépensiers en matière militaire après eux, on peut s' attendre à ce que
les responsables américains se montrent favorables à de nouvelles augmentations
.
Les chiffres oscillent à l'heure actuelle entre 20 et 40
milliards de dollars d' augmentation dans le prochain budget .
Par ordre de comparaison, le budget militaire annuel de la
France est de moins de 30 milliards de dollars .
Une telle attitude ne sera d'ailleurs pas sans poser
certains problèmes de fond .
En premier lieu se pose naturellement la question des moyens
.
Il est clair que une posture de défense renforcée coûte cher
et qu' à l'heure où les États-Unis connaissent un ralentissement de leur
croissance et que l' Administration Bush a décidé d' une réduction importante
des impôts, on peut légitimement mettre en doute la capacité des États-Unis à
assumer un tel choix .
Du moins, des choix budgétaires délicats seront -ils exigés
au détriment de autres secteurs, comme ceux de l' éducation et de la santé
.
Le deuxième problème est celui de la hiérarchisation des
priorités .
À force de dépenser sans discrimination, les États-Unis
risquent précisément de se priver d' une réelle politique de défense, c'
est-à-dire d' une stratégie qui - après avoir hiérarchisé les menaces -
développe les moyens d' y faire face, en fonction de les besoins relatifs .
Une politique de défense tous azimuts court paradoxalement
le risque de ne pas voir venir la menace .
Un multilatéralisme de circonstance
Certains observateurs ont cru voir dans les premières
déclarations et décisions de l' Administration Bush au lendemain des attentats
un changement de comportement important .
En tentant de constituer une coalition la plus large
possible, les États-Unis ont pu donner le sentiment de rompre avec l'
unilatéralisme initial de cette Administration .
Washington a ainsi fait appel à ses alliés - en particulier
européens - en leur demandant un soutien sans faille pour mener à bien une
riposte à laquelle ils ne manqueraient pas d' être associés .
Cette volonté de constituer une coalition internationale a
ensuite été étendue à l' ensemble des pays du monde par le biais de l' ONU, en
demandant au Conseil de sécurité de voter une résolution condamnant les
attentats et légitimant une riposte militaire .
Cette démarche a heureusement surpris ceux qui craignaient
de voir l' ONU mise de côté, comme ce fut le cas lors de la campagne aérienne du
Kosovo, et a pu donner le sentiment que les États-Unis avaient renoncé - dans
cette crise tout du moins - à l' action unilatérale .
La nature de la menace à laquelle l' unique superpuissance
est confrontée rend de facto indispensable une coopération internationale et
force donc les États-Unis à agir en concertation avec leurs principaux alliés
.
Faut -il pour autant considérer ces gestes comme des signes
d' un multilatéralisme retrouvé ?
Rien n' est moins sûr et il convient sans doute d' être très
prudent en la matière .
Si l' on admet en effet que les États-Unis - à la suite de
ces attentats - vont mettre en oeuvre une politique visant essentiellement à
éviter que de telles attaques ne se produisent à nouveau, on peut s' attendre à
ce que ce multilatéralisme apparent ne soit que de circonstance et ne masque en
réalité une politique de défense de l' intérêt national primant sur toutes les
autres considérations .
Ainsi, les États-Unis ne feraient aujourd'hui appel à une
coalition que dans la mesure où celle -ci a un effet rassurant et qu' elle est
utile pour tenter d' adoucir les conséquences internationales de leur riposte
militaire .
Mais, comme cela a déjà été signalé précédemment, on peut
tout aussi bien s' attendre à ce que ce multilatéralisme soit dénoncé par les
responsables américains dès lors qu' il serait perçu comme un obstacle à la
défense d' un intérêt supérieur .
Les États-Unis seront d' autant plus incités à ne compter
que sur eux -mêmes qu' ils auront placé la lutte antiterroriste au premier rang
de leurs priorités .
Et, dans cette perspective, l' adage multilateralist if
possible, unilateralist when necessary devrait être particulièrement d'
actualité .
Au-delà de la riposte militaire : les conséquences
diplomatiques
La riposte militaire en cours n' est d'ailleurs qu' une
étape dans la réaction des États-Unis aux attentats qui ont endeuillé la
première puissance mondiale .
Le président américain l' a fait savoir de manière très
claire en comparant cette lutte antiterroriste de longue haleine à l'
affrontement bipolaire de la guerre froide, qui avait exigé la mise en oeuvre de
moyens très variés, allant de la puissance militaire à l' influence culturelle,
en passant par l' action diplomatique et les moyens économiques .
Les Européens ne peuvent que se réjouir de cette attitude
patiente qui exclut a priori toute réplique militaire massive et entend
privilégier l' action de long terme .
Mais ils auraient tort de croire que cette riposte
américaine se fera " toutes choses égales par ailleurs " .
Les attentats du 11 septembre pourraient, au-delà de l'
action militaire en cours et des mesures politiques et économiques adoptées,
avoir des conséquences majeures sur l' ensemble du système international, par le
biais de les inflexions qu' elles pourraient produire dans l' attitude
internationale des États-Unis .
L' asymétrie du système international actuel fait que toute
modification de la posture internationale de l' unique superpuissance aura
nécessairement des répercussions sur l' ensemble des relations interétatiques .
Il faut en particulier s' attendre à ce que les États-Unis
redéfinissent leur stratégie à l'égard de un certain nombre de pays .
En proclamant que tous les pays de le monde doivent
décider_NEW_ que tous les pays du monde doivent décider doivent décider ils sont
avec les États-Unis ou avec les terroristes, le président Bush a volontairement
restreint l' alternative, montrant bien que les coalitions n' auront d' intérêt
pour les Américains que si les autres membres sont en accord avec la stratégie
élaborée par Washington .
Mais cette déclaration aura surtout pour effet de rendre les
ambiguïtés stratégiques de moins en moins tenables .
Ainsi, par effet presque mécanique, les attentats du 11
septembre ont provoqué des rapprochements spectaculaires entre les États-Unis et
certains pays comme la Russie, l' Inde et dans une moindre mesure la Chine .
D'autres, comme la Libye ou Cuba , jadis ouvertement
hostiles à l'égard de Washington , ont surpris par leurs déclarations de
solidarité .
Bien entendu, ces déclarations de compassion ne sont pas
dénuées d' arrière-pensées, mais les attentats terroristes ont sans nul doute
également fournit aux dirigeants de ces États l' argument de poids susceptible
de faire accepter, au plan intérieur, un rapprochement difficilement
envisageable auparavant .
Surtout, les attentats terroristes qui ont frappé les
États-Unis vont sans doute provoquer un débat interne et international sur l'
attitude des Américains à l'égard de un certain nombre de pays .
C' est le cas tout d'abord de la catégorie des rogue states,
dans laquelle se retrouvent, pêle-mêle et sans aucune justification sérieuse,
des États aussi divers que Cuba, l' Iran, l' Irak, la Libye ou la Corée du Nord
.
Comme il a été vu précédemment, nombreux sont ceux qui ont
exprimé leur solidarité à l'égard de les États-Unis, rompant ainsi avec leur
rhétorique anti américaine habituelle .
Or, ces marques de soutien pourraient bien remettre en cause
l' existence même de cette catégorie, dont l'un des critères établis par son
concepteur, Anthony Lake, alors conseiller national de sécurité du président
Clinton, est précisément l' animosité à l'encontre de Washington .
Si l'une des nombreuses conséquences du 11 septembre est un
rapprochement entre les États-Unis et certains rogue states , alors la liste de
ces derniers devra être revue en conséquence .
Le cas de l' Iran est, à cet égard, significatif .
Si les tensions politiques internes ( entre le président
réformateur Khatami et l' imam Khamenei ) et le passif iranien en matière de
soutien au terrorisme international peuvent faire douter de l' éventualité d' un
rapprochement rapide avec les États-Unis on ne peut pas non plus exclure que la
communauté d' intérêt qui lie Américains et Iraniens face à le régime des
Talibans ne serve de base à un rapprochement à plus long terme .
En ce sens, les attentats du 11 septembre pourraient servir
d' accélérateur à une lente évolution, entamée sous Clinton .
Toute la question, pour l' Iran comme pour les autres pays
qualifiés de rogue states , ainsi que pour la Russie , l' Inde et la Chine , est
de savoir si ces rapprochements seront durables ou si, une fois le problème
réglé en Afghanistan, les antagonismes reprendront leur cours .
Au-delà de ces améliorations des relations diplomatiques,
dont il reste à savoir si elles sont circonstancielles ou durables, la logique
voudrait que les attentats du 11 septembre amènent les États-Unis à revoir leurs
stratégies au Proche-Orient, et plus particulièrement à l'égard de Israël, de l'
Arabie Saoudite et de l' Irak .
Il est d'ailleurs notable à ce propos de noter combien les
États-Unis, au cours de les dernières années, se sont rendus politiquement
dépendants des États qui sont dépendants militairement à leur égard et dont ils
assurent la protection .
D' une relation qui aurait dû être une relation de
dépendance à sens unique, ces États alliés des États-Unis ont su faire une
relation de dépendance réciproque .
C' est naturellement vrai d' Israël, protégé par le soutien
de l' opinion publique américaine qui voit en lui, de façon quelque peu
caricaturale, un pays aux valeurs occidentales confronté à des pays arabes aux
valeurs différentes .
Cette dépendance est liée à ce partage culturel, comme on l'
a vu chaque fois que la politique israélienne s' en éloignait, que ce soit face
à le Liban ou sous la mandature Nétanyahou ou, plus récemment, avec la politique
d' Ariel Sharon à l'égard de les civils palestiniens .
Dans chacun de ces cas, le soutien du groupe de pression
proisraélien, incarné par l' AIPAC , ne s' est pas transformé en soutien de l'
opinion publique américaine .
Cependant, dans la plupart des situations, la dépendance
politique des États-Unis à l'égard de leur allié israélien demeure .
Les signes d' une inflexion modeste de la position
américaine à l'égard de le conflit israélo-palestinien sont pourtant, peut-être,
déjà perceptibles .
Les déclarations du président Bush en faveur de la création
d' un État palestinien et les pressions exercées à l'encontre d' Israël pour
éviter l' escalade militaire ont rompu avec l' attitude réservée observée
jusque-là par l' Administration républicaine .
Il devrait être clair désormais que les attentats du 11
septembre ont conduit à une communauté d' intérêt plus visible que par le passé
entre certains responsables palestiniens et américains, ces derniers craignant
avant tout d' être perçus comme engagés dans un " conflit de civilisation "
contre le monde musulman .
Il est encore difficile aujourd'hui de savoir si ces
événements auront marqué une rupture majeure dans les relations entre Washington
et Tel-Aviv .
Mais ils auront sans doute provoqué outre-Atlantique un
débat qui devrait conduire un nombre croissant d' observateurs à s' interroger
sur le bien-fondé de la politique suiviste des États-Unis à l'égard de le
conflit israélo-palestinien, ce qui pourrait donner plus de jeu à la politique
américaine sur ce dossier .
Il en est de même, pour des raisons bien différentes, à
l'égard de l' Arabie Saoudite et des monarchies pétrolières du Golfe, qui
tiennent au rôle majeur que jouent ces pays en matière de approvisionnement
énergétique des États-Unis et de leurs alliés, et de la conscience qu' il n'
existe pas d' alternative aisément repérable aux régimes actuels .
Pourtant, le rôle actif joué par Riyad dans le soutien
financier et idéologique à le développement d' un islamisme radical et parfois
extrémiste irrémédiablement hostile à l' Occident pourrait légitimement avoir
modifié l' attitude de Washington à son égard .
La question demeure de savoir si la dépendance politique
dans laquelle la diplomatie américaine s' est placée à l'égard de ses alliés au
Moyen-Orient rendra possible les évolutions nécessaires .
Enfin, bien que aucune déclaration n' ait officiellement mis
en cause l' Irak dans les attentats du 11 septembre ou dans les envois de lettre
contenant de l' anthrax, les attaques terroristes subies par les États-Unis ont
été l' occasion de remettre sur la table la stratégie américaine à l'égard de
Bagdad .
L' Administration républicaine - ou plus exactement le
secrétaire d' État Colin Powell - s' était illustrée dès le début du mandat de
George W. Bush par ses initiatives visant à modifier le régime de sanctions dans
le sens de l' adoption de mesures plus ciblées, épargnant les populations
civiles .
Cette initiative avait été considérée à l'époque, en
particulier au Pentagone, comme le signe avant-coureur d' une mesure d'
assouplissement risquée de la position américaine vis-à-vis de Bagdad .
Depuis le 11 septembre, les voix des partisans d' un recours
à la force se sont fait entendre au plus haut niveau ( l' adjoint du secrétaire
à la Défense, Paul Wolfowitz ), ceux -ci voulant saisir l' occasion de l'
opération militaire en Afghanistan pour se débarrasser de Saddam Hussein .
En dépit de leurs pressions, la Maison-Blanche semble
jusqu'à présent avoir compris les risques qu' une telle initiative ferait peser
sur la coalition internationale, en particulier dans les pays musulmans et chez
certains Européens, dont la France .
Mais rien ne permet, à ce stade, de préjuger des rapports de
force à venir au sein de l' Administration et du Congrès .
On peut s' attendre, en particulier, à ce que des analogies
soient établies entre l' Irak et l' Afghanistan, où un soutien militaire à l'
opposition ( Alliance du Nord ) a permis un changement de régime à Kaboul
.
L' impact sur la relation transatlantique
Cette redéfinition des relations entre certains États et la
première puissance mondiale ne manquera pas de concerner les Européens eux
-mêmes .
Non que l' alliance transatlantique soit remise en cause
dans ses fondements, mais parce que le bouleversement des priorités stratégiques
que ces attentats pourraient provoquer outre-Atlantique posera inévitablement la
question des priorités européennes .
Cette crise devrait tout d'abord relancer le débat sur l'
implication des États-Unis dans la sécurité de l' Europe et, plus largement, sur
le partage du fardeau pour assurer la sécurité des membres de l' OTAN, y compris
à l'égard de la menace terroriste .
Il est en effet fort probable que cette crise ait un effet
immédiat : accélérer la dévolution aux Européens de la responsabilité d' assurer
la sécurité dans les Balkans .
On peut ainsi s' attendre - après une telle attaque - à ce
que les États-Unis placent la lutte antiterroriste au premier rang de leurs
priorités et que le rééquilibrage au profit de le Moyen-Orient et de l' Asie s'
en trouve accéléré, au détriment de l' Europe .
Après les attaques sur le sol américain, l' importance de la
stabilité en Macédoine a sans doute été relativisée à Washington .
Les demandes faites aux Européens par le Pentagone de
compenser les retraits éventuels de troupes américaines des contingents
internationaux en Bosnie et au Kosovo représentent sans doute un signe
annonciateur de mouvements futurs .
D' une manière générale d'ailleurs, la relation
transatlantique va probablement connaître des modifications sensibles du fait de
l' impact du 11 septembre .
Sans s' avancer à l'excès, on peut faire le pari que deux
changements sont à prévoir .
D'une part, la guerre du Kosovo avait convaincu les
états-majors américains que l' OTAN pouvait représenter une gêne pour la
conduite d' opérations militaires, du fait du contrôle multilatéral et
pointilleux effectué par le Conseil Atlantique sur celle -ci .
Le résultat de cette méfiance s' est manifesté avec force
depuis le 11 septembre, puisque la décision prise par les Alliés d' invoquer
pour la première fois l' article 5 du traité de Washington n' a été suivie que
de mesures symboliques .
Les Américains ont préféré mener une guerre nationale sous
le couvert d' une coalition internationale, et en choisissant à la carte parmi
les Alliés ceux qui pouvaient leur apporter une contribution utile, plutôt que
de s' appuyer sur l' appareil collectif de l' OTAN . D' organisation
politico-militaire, l' OTAN est en passe de devenir un réservoir de moyens au
service de les ses membres dans des formations diverses .
En second lieu, le rôle joué par la Russie dans le conflit
actuel , et en particulier l' habilité de le président Poutine et sa capacité à
lever les objections internes à une attitude de soutien envers la campagne menée
par les États-Unis ont des chances de relancer la relation entre l' OTAN et la
Russie, qui restait peu satisfaisante .
Le processus induit par l' Acte fondateur OTAN-Russie en
1997 devrait être réactivé .
Cela pourrait changer la donne en ce qui concerne l'
élargissement futur de l' OTAN . L' Administration Bush semble en effet
déterminée à obtenir un élargissement incluant au moins l'un des États baltes
lors de le sommet de l' Alliance de 2002, qui se tiendra à l' automne à Prague .
Cependant, si la Russie continue à soutenir les Américains
dans l' entreprise dans laquelle ils se sont lancés, il est fort improbable que
cet élargissement puisse être conduit sans tenir compte des positions de Moscou
.
Il serait en effet hasardeux de prendre une mesure
considérée comme peu amicale par un allié dans la lutte contre le terrorisme .
Quels que soient les sentiments antirusses qui persistent
dans l' Administration, au Congrès et dans l' appareil militaire, il paraît
difficilement envisageable, pour des raisons politiques, de laisser à la Russie
le rôle d' unique État européen n' ayant pas vocation à participer à l' Alliance
atlantique .
On pourrait donc envisager que la liste de pays susceptibles
de participer au prochain élargissement soit effectivement approuvée à Prague,
mais que les pays de l' OTAN ajoutent que la candidature de la Russie pourrait
également être envisagée à terme .
En attendant, un renforcement de la consultation OTAN-Russie
serait défini et mis en oeuvre .
Tel est probablement le sens des paroles sibyllines du
président Poutine, prononcées le 4 octobre 2000 à Bruxelles : " Il est possible
de voir ( l' élargissement de l' OTAN ) sous un jour complètement nouveau - si
l' OTAN prend une teinte différente et devient une organisation politique .
"
L' instrument principal de la relation transatlantique est
donc probablement appelé à se transformer profondément .
Tel n' est pas, d' un point de vue européen, la moindre
conséquence des attaques du 11 septembre .
TITRE : 11 septembre : premières leçons stratégiques
AUTEUR : Dominique DAVID
Les événements du 11 septembre, comme les autres , expriment
leur monde : le nôtre .
Un monde que nous peinons à comprendre et que nous échouons
encore à gouverner, en dépit de toutes nos tentatives, de tous les modèles maniés
depuis dix ans .
Quel monde rend ceci possible ?
Si nous l' observons à travers des critères stratégiques
pour évaluer les rapports entre forces et dessiner les espaces où ils s'
exercent, ce monde apparaît, depuis dix ans, à la fois de plus en plus
décloisonné et de plus en plus provincial .
Décloisonné : l' accélération de la mondialisation a abattu
nombre d' obstacles à la diffusion des images, des biens et des hommes,
relativisant donc les équilibres locaux .
Elle s' accompagne en outre d' un discours sur son évidence,
son caractère irrépressible - discours éminemment idéologique qui se réclame de
la mort des idéologies .
Provincial, puisque, sous le grand vent de l' unification,
et à proportion de l' absence d' institutions politiques lui correspondant, les
dynamiques régionales, les abcès locaux se développent .
Le monde est peut-être unique, mais couvert d' une peau de
léopard qui montre plus de diversités, plus de contradictions .
Le terrorisme, tel qu' il apparaît dans ses habits neufs de
le 11 septembre 2001 , renvoie au double caractère de ce temps .
Il est à la fois le produit de problèmes locaux ou
régionaux, et celui de la revendication d' un universel qui s' opposerait à la
seule idée globale régnante, celle du monde vu comme un système de marchés,
symbolisé par les idées et la puissance de l' Amérique .
Le jeu du provincial et de l universel
La détermination par le local ou le régional ne peut
être niée .
Les blocages diplomatiques des derniers mois à le
Proche-Orient n' ont pu, pour de simples raisons de chronologie, produire
les attentats .
Mais le pourrissement discret, puis brutal , de la
relation israélo-palestinienne , la dégradation de long terme de la
situation dans la Corne de l' Afrique , le caractère à la fois illégitime et
inefficace de nombre de régimes arabes contestés par les mouveme ont
manifestement joué un rôle dans l' envol des actes et les mutations des
réseaux terroristes .
Les attentats contre La Mecque de la mondialisation
financière visent pourtant bien plus haut que la simple pression dans un
conflit déterminé : ils s' attaquent à un monde, celui que représente l'
Occident, et donc l' Amérique, avec sa dominance économique, militaire et
culturelle .
En espérant que les réponses de l' agressé seront
suffisamment erratiques pour aider à cristalliser un sentiment mondial,
universel, qui se lèverait contre l' universel haï de les États-Unis .
Produit monstrueux d' une combinaison de provincialisme
et d' universel, notions qui prennent un nouveau sens avec le désenclavement
et la segmentation de l' après-guerre froide, le terrorisme new look exprime
aussi la fluidité de notre environnement stratégique .
Enjeux permanents, acteurs identifiés et forces
paisiblement mesurables appartiennent au passé .
La topographie de l' international ( son découpage en
espaces ) et sa scénographie ( son éclatement en acteurs ) évoluent
rapidement, en grande partie du fait de l' affaiblissement des frontières
physiques ou techniques .
Les phénomènes terroristes prolifèrent au croisement de
quatre grandes circulations : celle des mots et des images ( qui permet de
bricoler des solidarités entre des sociétés très différentes ), celle des
capitaux ( qui autorise la mise sur pied de logistiques performantes ),
celle des armes ( qui ouvre sans cesse le champ des dangers futurs ), et
celle des hommes .
Mouvements inégalement répartis sur la planète, mais
qui, ensemble ou séparément, touchent tous les théâtres stratégiques et
rendent plus difficiles les opérations de police ou de défense intérieure,
hier aidées par la distinction claire entre l' en-dedans et l' en-dehors .
Mouvements qui créent ou métamorphosent des acteurs, des
risques, que ne sont pas habitués à traiter nos appareils de défense .
Fin de cycle ou terrorisme new look ?
Dans ce monde -là, les grandes puissances - celles qui
ont les moyens à la fois d' une défense territoriale et d' une projection
stratégique de forces - semblent hésiter entre la volonté d' intervenir dans
certaines crises, et la tentation de se replier sur leurs intérêts n
Ces puissances apparaissent ainsi doublement suspectes
aux " provinciaux " : suspectes de tenter d' imposer une volonté
internationale élevée sur des principes contestés, et de promouvoir leurs
intérêts égoïstes d' États .
Ce monde trop vite imaginé pacifié est bien dérégulé,
peu ou mal gouverné, et agité de conflits plus nombreux, aux formes
nouvelles, qui mettent souvent en oeuvre des moyens qui maximisent l'
efficience de petits groupes humains .
Dans ce contexte, l' agression du 11 septembre est à la
fois peu nouvelle et inédite .
Peu nouvelle pour l' instrument : c' est le concept d'
emploi qui fait du Boeing une arme de jet dévastatrice ( ce qui nous
rappelle opportunément qu' en stratégie innovation n' est pas toujours
synonyme d' invention technique ) .
La non revendication des attentats, notée par plusieurs
observateurs , n' est pas non plus nouvelle .
Elle est usuelle en matière de terrorisme : elle
augmente la terreur et bride la réponse en compliquant l' identification de
l' adversaire .
L' absence des tentatives habituelles de récupération s'
expliquant simplement par l' ampleur de l' horreur .
Les attentats de New York sont pourtant inédits .
Ils installent définitivement les États-Unis dans une
position de cible qui correspond à l' étendue de leur puissance .
Jusqu'ici, l' Amérique semblait ne pouvoir être touchée
gravement que par un acte de guerre massif ( attaque balistique, nucléaire
... ) ; les Européens étaient les victimes beaucoup plus vraisemblables du
terrorisme .
L' importance des moyens mobilisés, en termes de
recrutement , de formation , de financement , bref , l' organisation et la
constance dans le projet stratégique apparaissent également neufs .
ou Tout comme l' élargissement du vivier des candidats
au terrorisme-suicide, qui ne se recrutent pas, ou plus seulement, dans les
peuples souffrant d' une insupportable domination, dans les milieux sociaux
marginaux .
Enfin, le 11 septembre est inédit dans ce qu' il ne
montre pas mais laisse entrevoir : l' usage possible, avec une tactique
comparable, d' armes plus terribles encore .
Pour toutes ces raisons, ces attentats ouvrent un
nouveau front, révèlent une béance de notre défense, secouent la routine de
nos débats stratégiques .
La fracture du débat stratégique
Depuis dix ans, la grande affaire des systèmes militaires
occidentaux est la marginalisation de la menace territoriale massive .
Concepts stratégiques, modèles de manoeuvre de les forces ,
organisation même de ces forces : tout doit changer dans des pays qui ont
toujours dessiné leurs systèmes de défense pour résister à l' invasion du
territoire ou pour mener une grande guerre classique, les autres hypothèses
étant jugées secondaires .
C' est la fin, au moins provisoire, de la grande forme
guerrière, qui vise à employer, contre un adversaire clairement identifié, et au
mieux de manière décisive, une concentration de puissance potentiellement
infinie .
Les logiques, les règles , les appareils d' une vulgate
clausewitzienne soigneusement appliquée depuis deux siècles apparaissent
déclassés sur un échiquier où conflits et acteurs appellent d'autres manoeuvres,
d'autres réponses .
D' où des réformes en cascade d' appareils militaires qui
savent qu' ils n' ont guère de chance d' être utilisés " en bloc " ( concept de
modularité des forces ), ni d' être utilisés dans le seul cadre national (
concept d' interopérabilité ) .
Deux obsessions : l intervention et la technique
Après avoir écarté l' idée qu' une menace Sud pourrait
remplacer la menace Est pour légitimer des appareils militaires inchangés,
on est d'abord attaché au règlement de crises extérieures .
Si la sécurité internationale n' est mise plus en cause
par des hypothèses d' invasions massives , mais par les effets induits d'
abcès locaux , l' intervention de stabilisation prend tout son sens .
Les opérations internationales qui se sont succédé nous
ont ainsi obligés à penser l' usage de nos moyens d' action, et spécialement
de nos forces militaires, dans une autre configuration que celle du conflit
classique .
Il s' agissait bien ( voir les efforts de l' Union
européenne depuis 1998 pour définir les instruments adaptés aux " hypothèses
de Petersberg " ) de penser, pour l' en-dehors, " autre chose que la guerre
" .
Parallèlement s' affirmait, dans un contexte où la
menace était moins proche et l' engagement humain plus incertain, l' emprise
de la logique technique .
Les attitudes américaines sont ici dominantes, avec un
formidable effet de contagion sur nos raisonnements .
Deux directions ont ainsi été privilégiées : le recours
aux technologies de l' information, tout d'abord, pour acquérir à distance
une connaissance d' espaces stratégiques choisis et y agir militairement en
limitant l' engagement physique des forces, ou en en maximisant l' effet :
double problématique d' une domination à distance de l' espace d'
affrontement et du champ de bataille éventuel ; puis l' enrôlement de ces
mêmes techniques dans une entreprise visant à resanctuariser des espaces
nucléarisés contre le double risque de la prolifération des missiles
balistiques e
En bref, les débats stratégiques de ces dix
dernières années ont, spécialement en Europe, tourné autour de deux
questions-clefs :
peut -on inventer un concept intégré d' intervention
extérieure au service de la gestion des crises, englobant le militaire
dans un cadre plus large, et redéfinissant les modes d' usage de ce
militaire ?
quelle place les technologies nouvelles doivent
-elles prendre dans les stratégies militaires - concepts et matériels -,
et modifient -elles ces stratégies ?
Penser autre chose que la guerre
Ces débats ont laissé de côté l' hypothèse d' une
atteinte massive non conventionnelle aux sanctuaires .
Les systèmes de défense étaient là pour parer à une
atteinte militaire massive .
Rien ne permettait de penser que, réglés sur l'
hypothèse soviétique, ils ne seraient pas pertinents pour des affrontements
interétatiques beaucoup moins dangereux .
Quant aux hypothèses non conventionnelles, en
particulier les scénarios terroristes, on les tenait dans des limites
imaginées d' après les expériences précédentes des années 1980 ; ou on les
renvoyait aux technologies émergentes, donc à un avenir plus ou moins
lointain .
La démarche que nous avons suivie pour l' en-dehors (
découvrir et organiser " autre chose que la guerre " ) , les événements de
le 11 septembre nous forcent à l' appliquer à l' en-dedans .
Car la proclamation de l' état de guerre face à le
terrorisme ne résout nulle question .
La situation héritée des attentats n' est pas la guerre
dans sa définition sociologique : l' affrontement sanglant et armé entre
groupes humains organisés et de statuts comparables .
Et elle n' est pas non plus la guerre dans sa définition
fonctionnelle : une situation qui appelle l' utilisation de l' appareil
militaire tel qu' il est - et c' est justement pourquoi la réplique est si
difficile à concevoir ...
La question centrale n' est pas ici la qualification de
l' état d' affrontement, mais l' appréciation des vulnérabilités et, par
conséquent, celle des moyens d' y parer .
La vulnérabilité spécifique de nos sociétés développées
doit de toute évidence occuper une place centrale dans nos raisonnements .
Cette vulnérabilité est un thème récurrent ces dernières
années, mais tout se passe comme si son ampleur et sa dynamique n' avaient
été que confusément perçues .
Des sociétés modernes hautement vulnérables
au coeur du débat, ce théorème : la vulnérabilité
globale de les sociétés sophistiquées croît plus rapidement que les moyens
techniques d' y parer .
Ce qui ne signifie pas que ces sociétés soient à tout
moment menacées, ni qu' elles soient, inévitablement, de plus en plus
menacées, mais que leur sophistication diversifie les vulnérabilités et en
change la nature .
Par la concentration de leur habitat, des ressources
nécessaires à leur survie et des réseaux d' échanges, par la sophistication
de leurs mécanismes économiques ou techniques, nos sociétés sont évidemment
vulnérables à des agressions qui n' exigent que la réunion de moyens limités
- ceux -ci pouvant être raffinés ( le progrès technique crée aussi des
moyens d' attaque ) ou rustiques .
Stratégiquement, la démonstration du 11 septembre est
limpide .
Pour frapper un pays développé de telle sorte qu' un
coup limité ait un large effet, il faut refuser d' entrer sur le champ d'
affrontement où ce pays contrôle une écrasante palette de moyens, et le
frapper là où sa sophistication est une faiblesse et non une force .
Il y a tout à parier que si, dans un proche avenir, un
conflit met en cause les sanctuaires des pays développés, l' affrontement
tournera autour de ces vulnérabilités : systèmes informatiques et
médiatiques, approvisionnement des grandes zones urbaines, maillons
dangereux de la chaîne industrielle, populations mal protégeables contre des
attaques de masse, etc .
Le progrès technique est inégal selon les zones de la
planète, les acteurs y recourent donc de manière diversifiée .
Et le progrès technique a, en matière de défense, des
effets contradictoires .
La technique est donc le problème stratégique, et non le
moyen de résoudre ce problème, constat qui nous emmène loin de certains
réflexes américains : installer la technique au centre de le raisonnement
stratégique, c' est sans doute se préparer à des guerres qui n' auront
jamais lieu .
Il n' y a aucune raison de penser que l' ennemi
acceptera d' entrer sur le champ de bataille ( numérique ou non ... ) que
nous contrôlerons, ou qu' il voudra bien tirer la salve de missiles que nos
systèmes sont précisément faits pour intercepter .
Il serait aussi dangereux d'ailleurs de tout voir à
travers les formes d' affrontement et les instruments d' hier, par exemple
en négligeant les percées qui créent de nouveaux moyens d' agression .
Il faut appréhender le monde des rapports de forces en
suivant la totalité de ses formes et des hypothèses qu' il nous impose .
Tâche immense, impossible, mais qui suppose d'abord de
récuser le mythe du monde unique .
Pas plus en matière de stratégie qu' en économie, nous
ne vivons dans un monde à logique univoque, tel système militaire, tel
concept pouvant parer à la quasi-totalité des futurs possibles .
Les espaces stratégiques sont hétérogènes, les acteurs
disposant de leviers efficaces de plus en plus nombreux, et leurs stratégies
de plus en plus diverses, dans un monde où coexistent le " sauvage " et le "
mutant " technologique .
Nous ne pourrons pas maîtriser cette réalité complexe en
haussant ou en baissant le curseur technique de nos armes : il faut en
revenir au politique .
Stratégies militaires et stratégies de sécurité
Le temps nous le rappelle brutalement : la sécurité est le
produit volatil de facteurs composites - alors que nous avons hérité de la
guerre froide l' idée qu' elle était, pour l' essentiel, un produit militaire
pouvant se stabiliser par l' accumulation de moyens matériels .
Produit volatil : la sécurité " consolidée ", absolue, n'
existe pas, d'abord parce que elle n' est jamais qu' une perception, ensuite
parce que aucun système total, totalitaire, de défense n' élimine le risque .
Produit de multiples facteurs : diplomatiques ( qui
organisent et régulent les rapports conflictuels ), économiques ( qui usent des
échanges pour développer et rapprocher, en même temps que ils définissent les
richesses mobilisables pour la défense ), cul
Imaginer une sécurité basée sur la seule défense militaire
est tout aussi irresponsable qu' inefficace .
La lutte contre le terrorisme, comme toute stratégie de
sécurité , combine donc de multiples manoeuvres .
Même si l' urgence impose le démantèlement physique des
réseaux terroristes, seule une démarche complexe, intégrée , peut nous garantir
- et toujours relativement - contre leur éternel et proliférant retour .
Le militaire demeure au coeur de ces stratégies de sécurité
.
L' expérience du 11 septembre va pousser à aborder d' un
autre oeil le débat sur des moyens qui n' ont aucune vertu en soi et ne valent
que dans un environnement déterminé .
Quelle peut être désormais la pertinence des systèmes de
défense territoriaux : quelle défense du territoire définir qui ne renvoie pas
aux modèles du XIXe siècle ?
Quelle réflexion mener sur les armes du champ de bataille,
si nous ne connaissons ni le champ, ni la bataille ?
Quel rôle pourraient jouer les systèmes techniques d'
interception, si l' on considère que les missiles constituent désormais un moyen
privilégié d' exporter les conflits au coeur de nos sociétés ?
Recompositions géopolitiques et institutionnelles
Le traumatisme du 11 septembre est gros de
recompositions géopolitiques dont il est difficile d' apprécier l' ampleur (
peut-être surévaluée sous l'effet de le choc ) .
La réunion de l' immense majorité des États contre le
terrorisme international ne sera pas la plus difficile à former .
Il est en effet une menace pour tous ces États, quels
que soient leurs objectifs ou leur degré de démocratie .
L' adhésion des populations pose de tout autres
problèmes .
Elle pourrait être gravement mise en cause, si se
formait une dynamique de peuples s' identifiant comme victimes de la logique
de mondialisation, et tournée contre ceux qu' ils en jugeraient
bénéficiaires .
Si une telle dynamique collait à une division
culturelle, par exemple singularisant le monde musulman, elle conduirait
droit à la catastrophe .
Toute stratégie militaire, diplomatique , économique ou
culturelle susceptible d' aggraver cette perception d' un écart par rapport
à le phénomène dominant de mondialisation impulsé par le monde riche , toute
stratégie qui faciliterait une cristallisation endosserait une lourde
responsabilité à long terme .
C' est dans cette perspective aussi que doit être
apprécié le déploiement de certains systèmes militaires .
L' érection de hauts murs contre des menaces inactuelles
peut se transformer en incitation à tourner la forteresse, politiquement (
en faisant naître une vraie opposition, voire une vraie menace ) ou
militairement ( en utilisant des méthodes inédites ) .
C' est là une partie de la problématique des systèmes d'
interception des missiles balistiques à longue portée .
Cette éventuelle cristallisation anti occidentale -
objectif majeur de les terroristes à la Ben Laden - ne peut être écartée que
par une stratégie multimodale : réunion la plus large des États dans un
souple front de coopération anti terroriste ; aide économique, politique,
militaire, à la stabilisation régionale, au Proche-Orient, en Asie centrale,
voire en Asie du Sud-Est ; incitation à la démocratisation de régimes
largement rejetés en même temps que l' Occident qui les soutient ; enfin,
intégration, chez nous, de populations issues d' une immigration qui se
développe dé
Les structures de sécurité adaptées à le monde modifié
par le 11 septembre seront, pour l' essentiel, définies par les États -
surtout pour ce qui concerne la défense du territoire .
Les cadres " durs " de sécurité vont, au moins
provisoirement, reprendre la main .
Pour un ensemble " mou " comme l' Union européenne, cela
suggère soit une re-nationalisation des politiques de défense des
États-membres, soit une " nationalisation " relative de l' Union, avec la
redéfinition des objectifs et des moyens de la Politique commune de sécurité
et de défense, qui se limite pour l' heure à la gestion des crises
extérieures .
Les échéances sont capitales pour l' Union .
et Qu' elle démontre qu' elle peut répondre à l'
interpellation nouvelle, elle sortira de son inexistence politique .
Qu' elle prouve qu' elle est en situation dans le
nouveau jeu, avec des arguments propres sur les concepts stratégiques
pertinents, sur la conception d' une technologie moins impériale dans les
discours et les pratiques militaires, ou même sur le modèle politique et
social de la mondialisation, et l' Union se placera au centre de le débat
.
L' Alliance atlantique, quant à elle , va voir se
redéployer le débat sur son champ d' intervention, et donc sur son ouverture
.
En restera -t-elle au statu quo ante : coalition
militaire à objectif limité, ornée d' un zeste de sécurité collective - mais
de peu d' utilité, apparemment, dans une situation mettant sans conteste en
cause la sécurité d' un de ses membres ?
Ou, tout en limitant ses élargissements, deviendra
-t-elle enfin l' Alliance tous azimuts rêvée, mezza voce ou non, selon les
temps, par les États-Unis ?
Ou sera -t-elle encore le support du large front
politique formé sous la houlette américaine : auquel cas il faudrait qu'
elle s' élargisse beaucoup, sous une forme à définir, y compris et d'abord à
la Russie, en relativisant, ou laissant diluer, sa définition militaire
?
On peut imaginer qu' on se dirige vers un double système
de solidarités .
Les solidarités politiques et de coopération s'
exprimeraient dans un grand ensemble à définir, et les solidarités de
défense et de sécurité dans des ensembles plus restreints, et peut-être
durcis .
Dans aucune de ces perspectives l' Organisation de les
Nations unies ( ONU ) n' apparaît très pertinente, ce qui pourrait annoncer
un nouveau retrait, de fait, de son influence .
Sans réforme profonde, l' organisation mondiale apparaît
bien incapable de dépasser ses propres proclamations - légitimes, mais
courtes .
Une hypothèse optimiste serait que la prise de
conscience du décalage actuel pousse à des décisions rapides, et que l' ONU
puisse alors être le cadre d' expression de la solidarité politique et de
ses implications concrètes, par exemple en matière de contrôle collectif des
armes .
Redessiner les débats de défense ?
Les options de défense concrètes devront aussi être
adaptées à l' évolution des risques .
On peut surtout penser à quatre orientations .
1 ) Une révision de nos vulnérabilités en fonction
de ce que nous avons appris des événements, et de ce que nous savons des
évolutions des technologies et de leur circulation .
2 ) Le développement de moyens d' observation, de
détection ( l' affirmation d' une capacité européenne est plus urgente
que jamais ), d' alerte et de renseignement ( définition des objectifs,
puisque les " services " voient d'abord où on leur demande de
3 ) L' appui sur les fonctions de police, de
sécurité intérieure, de protection contre les effets d' armes nouvelles,
et de projection de forces spéciales, ces dernières pouvant être
appelées à dissoudre, à l' extérieur, une menace qui ne relèverait pas d
4 ) L' approfondissement de la réflexion sur les
défenses antimissiles de théâtre .
L' utilité de ces dernières pourrait être réévaluée
à la lumière de les événements récents, dans l' optique de protections
ponctuelles du territoire ou de troupes déployées à l' extérieur .
On ne donne ces orientations qu' à titre de exemple
.
Toutes dépendent d' une démarche plus fondamentale :
celle qui redéfinira l' espace pertinent pour penser nos politiques de
défense et de sécurité .
Et cet enjeu ne peut pas être strictement national .
Les événements du 11 septembre et ceux qui les ont
suivis nous obligent à repenser à la fois le contenu de nos politiques
et l' espace de leur définition ; et la dimension collective, c'
est-à-dire, pour nous, européenne, s' impose à chaque fois .
La fin du système bipolaire a imposé une large révision
de nos politiques de sécurité, mais le monde va plus vite que les
adaptations institutionnelles .
C' est une autre étape qui s' ouvre aujourd'hui, sans
que nous en connaissions les contours, ni le terme .
Les décisions qui vont être prises devront pourtant
rester assez souples pour ne pas biaiser notre compréhension des évolutions
en cours .
Car si le temps de la décision politique est rapide,
celui de l' intelligence de le monde est lent .
TITRE : GÉOÉCONOMIE DU BASSIN CASPIEN
AUTEUR : Gaël Raballand
Le pourtour Caspien est capital pour le développement des pays
d' Asie centrale et du Caucase .
Pourtant, si on exclut l' Iran et la Russie ( dont le centre de
gravité économique ne se trouve pas autour de la mer Caspienne ), les économies de
la région sont de petite taille .
Evalué à parité de pouvoir d' achat , le Produit Intérieur Brut
de les cinq pays d' Asie centrale est inférieur à 200 milliards de dollars .
Ce chiffre ne souffre d' aucune comparaison avec les grands pays
asiatiques .
Ainsi, le poids de la région est inférieur à celui de la
Malaisie, il représente moins du tiers du PIB de l' Indonésie, moins du quart de
celui de la Corée et plus de 20 fois inférieure à la Chine ou au Japon .
L' exploitation des hydrocarbures doit renforcer
considérablement le poids économique de ces Etats .
Quelles sont les spécificités des économies de la région par
rapport à les autres pays en transition ou par rapport à les autres pays riches en
hydrocarbures ?
En outre, comme elles ont choisi des politiques économiques
parfois totalement opposées, il est pertinent de s' interroger sur les différences
de trajectoires .
Pour avoir une approche comparative cohérente, l' étude se
consacrera essentiellement aux pays de Transcaucasie et d' Asie centrale en se
consacrant sur les pays riverains de la Caspienne et de facto en excluant l' Iran et
la Russie .
En analysant les économies de la région, il s' avère que les
économies du bassin Caspien sont confrontées à trois handicaps communs ( I ), et
même si les trajectoires économiques se sont révélées bien différentes ( II ), le
système économique soviétique reste très présent dans le bassin ( III ) .
Les économies du bassin Caspien sont confrontées à trois
handicaps communs
1. Les économies du bassin Caspien sont confrontées à
trois handicaps communs
Le handicap géographique : des économies enclavées
Les pays du bassin Caspien sont les seuls Etats du monde
enclavés avec des ressources importantes en hydrocarbures si on excepte le
cas du Tchad .
Comme l' a résumé Gian Maria Gros-Pietro, président d'
ENI, " étant donné que le transport maritime est le mode de transport le
moins onéreux , la principale question ( pour le bassin Caspien ) revient à
déterminer quel est le port le plus intéressant économiquement .
Géographiquement, le Golfe Persique possède le plus d'
attrait mais, dans ce cas, le pétrole Caspien sera en concurrence avec celui
du Moyen-Orient " .
L' Asie centrale est la région au monde la plus éloignée
de la mer .
Effectivement, le Golfe Persique est le plus proche
débouché sur la mer mais il se trouve, tout de même, à plus de 2000
kilomètres à vol d'oiseau .
Or, Tachkent se trouve à 4000 kilomètres de Pékin, à
5000 kilomètres de Séoul, à plus de 5500 kilomètres de Singapour et à près
de 5000 kilomètres de la mer Noire .
L' absence d' accès à la mer a un impact économique
négatif .
L' enclavement provoque un déficit de croissance très
important par rapport à un Etat côtier .
L' étude empirique la plus large et la plus récente
prouve que les Etats enclavés souffrent par rapport à les Etats côtiers d'
un déficit de 1,5 % par an pour les pays à revenu faible et moyen .
L' impact est tout aussi négatif sur le commerce, par
rapport à un Etat côtier, un pays enclavé commerce en moyenne 70 % de moins
à niveau de développement et à taille égaux .
La principale explication réside dans le surcoût de
transport lié à cette position géographique .
Le transport maritime s' est considérablement développé
depuis des siècles car étant le moyen de transport le moins onéreux .
Il a été estimé que le transport continental est deux
fois plus élevé que le transport maritime .
D' après les calculs du FMI, les coûts de transport
sont, pour un Etat enclavé en développement, deux fois supérieurs à ceux
consacrés par un pays côtier en développement .
Ce surcoût est, par exemple, lié au passage des
frontières .
Au sein des pays de la CEI, la corruption, la faiblesse
de l' Etat , l' état de les infrastructures , l' absence de routes
alternatives confèrent une rente de situation aux Etats de transit et
contribuent ainsi à l' appauvrissement des pays du bassin Caspien ( cf .
figure pour les mécanismes de transmission de l' enclavement sur le
développement économique ) .
Le handicap historique : des pays en transition
L' analyse de l' héritage du système économique
soviétique est capitale pour comprendre les économies de la région car,
nonobstant des conditions initiales très différentes, elles ont atteint un
stade de développement proche, notamment pour les pays du flanc sud de la
Russie .
L' héritage du système soviétique
Même si les éléments négatifs prédominent, le
soviétisme a eu des aspects positifs sur le développement économique de
l' Asie centrale .
Tout d'abord, cette région jouit d' un capital
humain important : malgré des signes peu encourageants aujourd'hui, l'
analphabétisme a toujours été inexistant dans la région : 1 à 3 % de la
population alors que ce pourcentage est proche de 40 % dans le cas de
pays à faible revenus ( ce que sont les pays d' Asie centrale ) .
L' Asie centrale et le Caucase se sont développés
moyennant des subventions directes ou indirectes, en grande majorité, en
provenance de la Russie .
Au sein de l' Union, les deux pays les plus
bénéficiaires de cette aide étaient le Kazakhstan et l' Ouzbékistan .
C' est ainsi que le premier a reçu des subventions
équivalentes en moyenne à 14,7 % par an de son produit national utilisé
et 5,3 % pour le second .
En terme de montant, les subventions versées au
Kirghizstan et à le Tadjikistan étaient inférieures .
Néanmoins, en pourcentage, celles -ci étaient très
importantes tout du moins pour le Kirghizstan ( 15,5 % ) et un peu plus
faibles pour le Tadjikistan ( 8,8 % ) .
Ainsi, dans le cas du Kirghizstan, par exemple, près
de un sixième des biens consommés et des capitaux investis , chaque
année , étaient, en fait, des dons en provenance de les autres
Républiques .
Grâce à la distorsion de prix au sein de l' URSS, la
fiction d' un commerce assez peu déséquilibré était entretenue .
Or, avec des estimations aux prix mondiaux en 1988,
seul le Turkménistan et la Russie conservaient un commerce excédentaire
tandis que le Kazakhstan, le Tadjikistan et le Kirghizstan accusaient un
déficit commercial supérieur à 15 % du PIB . La conséquence de ce
système était une inefficacité économique croissante .
En 1970, le revenu national produit par habitant
équivalait à 83 % de la moyenne de l' URSS, en 1979, ce pourcentage
était tombé à 66 % et 51 % en 1989 .
La contrepartie économique résidait dans une
dépendance des Républiques du sud de l' Union vis-à-vis de Moscou
notamment pour l' approvisionnement, la technologie et l' exportation
.
Granberg ( 1993 ) a calculé l' interdépendance
existant entre Républiques de l' URSS . Il apparaît que, si les liens
économiques avec les autres Républiques avaient été coupés à la fin de
les années 80, le Kazakhstan et les autres Républiques d' Asie centrale
auraient tout juste produit le quart de leur produit national .
La part de la Russie était prépondérante puisque
respectivement 42,5 % et 36,3 % du produit national du Kazakhstan et des
autres Républiques d' Asie centrale étaient le fait de la Russie .
L' Asie centrale ne pouvait se passer économiquement
de la Russie .
Les exportations des pays de la région vers les
autres Républiques d' URSS représentaient au minimum 90 % du total des
exportations et 85 % des importations avec des records pour le
Turkménistan ( avec 92 % pour les exportations ) .
L' héritage soviétique a produit des effets très
importants dans la phase de transformation post-socialiste dans la
dernière décennie .
Les difficultés actuelles de la stabilisation
macroéconomique
Tous les Etats du flanc sud de la Russie ont été
confrontés aux mêmes phénomènes macroéconomiques .
Malgré les spécificités de chaque pays, la
transition peut être caractérisée par plusieurs étapes :
baisse très importante des agrégats de
production entre 1990 et 1992 ;
éclatement de la zone rouble à l' automne 1993 ;
hyperinflation au cours des années 1993-1994 ;
reprise de la croissance en 1995-1996 ;
impact de la crise russe ( 1998-1999 ) .
Sur la décennie, le PIB a baissé en moyenne d' un
tiers pour les Républiques de la CEI, le Kazakhstan ayant accusé une
baisse de 30 % mais la chute étant de près de 50 % pour le Turkménistan
.
Encore aujourd'hui, la stabilisation macroéconomique
est difficile .
Ces pays sont confrontés à un déficit chronique de
la balance commerciale .
Dans un contexte d' érosion des ressources fiscales
très rapide, l' endettement est structurellement croissant .
L' endettement concerne aujourd'hui tous les pays de
la région ( cf . tableau 1 ) .
Les économies de la région peinent à sortir de l'
héritage économique soviétique et sont, de plus en plus, en voie de
tiers-mondisation .
Le handicap économique : des économies en voie de
tiers-mondisation
La paupérisation de l' Etat et des populations
A cause de la récession transitionnelle et l'
érosion des recettes, la marge de manoeuvre des autorités économiques s'
est réduite graduellement .
Il est symptomatique de constater que l' illettrisme
a notablement progressé dans la dernière décennie .
C' est d'ailleurs la seule région au monde qui s'
est trouvée dans ce cas .
La scolarisation dans les écoles primaires est ainsi
en baisse sensible .
Alors que ce pourcentage était proche de 100 %
durant l' époque soviétique, il est proche de 80 % aujourd'hui en Asie
centrale selon l' UNICEF .
Malgré les investissements du centre en périphérie
au sein de l' URSS, l' Asie centrale était la région la plus pauvre de
l' Union .
Alors que le pourcentage de pauvres était en moyenne
de 12, cette moyenne était pour les cinq pays d' Asie centrale de 45 % .
L' inégalité et la pauvreté étaient ainsi présentes
en Asie centrale du temps de l' URSS, ces tendances ont été renforcées
dans la dernière décennie .
Hormis les deux grandes puissances régionales,
Russie et Iran, tous les pays de la région sont des pays à faible
revenu, si ce n' est le Kazakhstan qui est à revenu moyen ( cf . tableau
2 ) .
La hausse de la démographie contribue encore au
renforcement de la pauvreté .
Hormis le cas du Kazakhstan et de l' Arménie, les
pays de la région ont connu une expansion démographique très importante,
atteignant presque 2 % par an dans le cas de le Turkménistan et de l'
Ouzbékistan .
Les populations de la région sont ainsi de plus en
plus jeunes et avec des ressources limitées .
Aussi, l' économie parallèle, pour ne pas dire ,
criminelle , se développe .
Même si la production de drogue en Asie centrale
reste assez faible, limitée au Tadjikistan ( vallée de Pendjikent ) et à
l' Est du Turkménistan pour l' opium et les régions d' Issyk-Koul et du
sud-Kazakhstan pour le cannabis, la région est devenue la principale
région de transit de l' opium afghan .
Il a été estimé que de 30 à 50 % de l' activité
économique au Tadjikistan est liée à la production ou au commerce de
drogue .
Ce commerce pourrait être plus ou moins
institutionnalisé si on se reporte aux scandales des dernières années
impliquant des gardes-frontières russes, des officiels en charge de la
lutte contre le trafic de drogue voire même d' officiels proches du
Président turkmène, S.Niyazov .
Avec les problèmes d' autorité rencontrés par l'
Etat et la pauvreté croissante des populations, la criminalisation des
économies se renforce avec la multiplication des trafics ( contrebandes,
drogue ) dans des régions fragilisées comme le Tadjikistan, le sud
Kirghizstan ou la Géorgie .
Une dépendance accrue vis-à-vis de l' extérieur
Les économies de la région sont ainsi devenues de
plus en plus dépendantes de l' aide et de l' investissement étrangers
.
L' IDE ( investissement direct étranger ) est
nécessaire pour mettre en valeur les ressources de la région .
Pourtant, il reste encore très faible .
Parmi les pays en transition, l' Asie centrale est
le parent pauvre du point de vue de l' IDE . La BERD a calculé, sur la
période 1989-1999, que l' IDE par habitant avait été de 668 dollars pour
les pays d' Europe centrale et orientale .
Pour les pays de la CEI, ce ratio était près de cinq
fois inférieur, s' élevant à 140 dollars .
Si on excepte le Kazakhstan qui a attiré près de 80
% de l' IDE en Asie centrale, l' IDE est inférieur à 50 dollars par
habitant .
Malgré les hydrocarbures et les métaux, l' Asie
centrale n' a reçu que 0,3 % des IDE investis dans le monde sur la
période 1998-2000 .
Ce chiffre était nul dix ans plus tôt mais seuls les
pays en développement du Pacifique sud ont attiré moins de capitaux que
les pays d' Asie centrale sur cette période de trois années .
L' investissement est faible .
Les pays de la région ont ainsi recours à l'
endettement extérieur .
L' endettement total de les pays de le Caucase
méridional et d' Asie centrale a dépassé les 25 milliards de dollars, ce
qui représente en moyenne plus de 60 % du PIB de cette région ( voir
tableau ) .
Plus que le chiffre, c' est le rythme d'
accroissement qui est inquiétant .
En effet, partis sans dette en 1992, ces Etats ont
eu recours massivement à l' endettement à tel point que des pays de la
région font déjà partie des pays les plus endettés au monde dix ans
après l' indépendance, à l'instar de le Kirghizstan et du Tadjikistan .
La majorité des pays Africains ont été confrontés à
ces mêmes problèmes dans les années 80, à savoir trois décennies après
l' indépendance .
Dans ce contexte de nécessité de commercialiser les
ressources naturelles pour faire face à les problèmes de financement, l'
exploitation des hydrocarbures revêt une importance capitale pour ces
économies .
Les économies riches en hydrocarbures de la région ,
Azerbaïdjan , Kazakhstan et Turkménistan , deviennent ainsi de plus en
plus des économies de rente .
Le commerce des pays de la région se rapproche de
plus en plus d' un pays en développement : ils exportent des matières
premières et importent des biens à forte densité technologique .
Ainsi, la part du coton et de l' or dans les
exportations totales de l' Ouzbékistan est de 60 %, les métaux et le
pétrole représentent 45 % des exportations totales du Kazakhstan et le
gaz et pétrole, 50 % des exportations totales du Turkménistan .
des économies de rente :
3. Des économies de rente :
Les dernières études empiriques montrent que, depuis
la fin de la seconde guerre mondiale, les pays avec d' importantes
ressources naturelles ont connu des taux de croissance plus faibles que
ceux qui n' en avaient pas . " La malédiction des ressources naturelles
" est la règle et non l' exception .
Comme le remarquent Sachs et Warner ( 2001 ), aucune
explication théorique de ce phénomène n' est pour lors reconnue
universellement .
Plusieurs canaux de transmission de cette relation
négative entre ressources naturelles et croissance ont été avancés : ( 1
) un faible investissement dans l' éducation ( 2 ) un comportement
rentier de la part de les dirigeants de ces pays ( 3 ) une confiance
excessive dans l' avenir qui conduit à l' adoption de politiques
économiques inappropriées ( 4 ) la théorie de la maladie hollandaise
.
Il est important de savoir si les pays du bassin
Caspien semblent ou non échapper à la malédiction des ressources
naturelles en étudiant la situation dans laquelle sont ces Etats pour
ces différentes questions . Les pays du bassin Caspien sont, de toute
façon, extrêmement dépendants des hydrocarbures comme le montre le
tableau 3 .
D' après Gylfason ( 2001 ), un pays est moins enclin
à investir dans le capital humain ( l' éducation ) lorsqu' il possède
des revenus confortables tirés des ressources naturelles .
Empiriquement, cette corrélation négative est
vérifiée .
Dans le cas des pays du bassin Caspien, il y a bien
investissement plus faible dans l' éducation mais ce mouvement est
général dans les pays de la CEI depuis l' indépendance .
Cette baisse serait même moins faible pour l'
Azerbaïdjan et le Kazakhstan ( mais plus forte pour le Turkménistan ),
cf . tableau 4 .
En revanche, on peut redouter de plus en plus le
comportement rentier de la part de les dirigeants des pays du bassin
Caspien .
Ainsi, l' Azerbaïdjan et le Kazakhstan se sont dotés
de fonds pétrole qui réunissent tout ou partie des revenus liés aux
exportations d' hydrocarbures .
Mais, dans les deux cas, contrairement aux
recommandations des organisations internationales, ces fonds sont placés
sous l' autorité du président avec un droit de regard limité pour le
parlement, voire nul dans le cas de l' Azerbaïdjan .
En outre, dans ce dernier, ce fonds est
extra-budgétaire ayant pour conséquence de siphonner une bonne partie du
budget azéri accroissant ainsi l' opacité dans la gestion budgétaire
.
La confiance excessive dans l' avenir est présente
dans les discours officiels puisque ces Etats se sont proclamés " Koweït
de l' Asie centrale " comme l' Azerbaïdjan et le Turkménistan .
Pourtant, on en peut nullement les comparer à un
pays du Moyen-Orient .
Comme démontré dans la seconde partie, cette
confiance a sûrement conduit le Turkménistan à l' adoption d' une
politique économique vouée à l' échec .
L' une des questions récurrentes à propos de ces
économies concerne la maladie ou plutôt le syndrome hollandais ( dutch
disease ) .
Ces pays connaissent -ils aujourd'hui ce syndrome
?
Rosenberg et Saavalainen ( 1998 ) ont montré qu' une
adaptation aux économies en transition était nécessaire pour appliquer
les modèles de base de cette théorie .
Les principaux symptômes de ce syndrome sont l'
appréciation excessive du taux de change réel ( overshooting ) après la
découverte massive d' hydrocarbures, un déséquilibre croissant des
comptes courants et surtout une croissance sectorielle déséquilibrée
.
Dans le cas des économies en transition, le taux de
change réel est considéré comme sous-évalué à l' équilibre .
Le phénomène d' overshooting et ses conséquences sur
l' économie réelle ( perte de compétitivité internationale et
déséquilibre 0 des comptes courants , inflation par exemple ... ) est
donc plus limité .
En outre, l' arrivée de capitaux est normale dans le
cas de les pays en transition, voire nécessaire, s' il est provoqué par
des investisseurs étrangers qui renforcent la capacité productive du
pays ( dans le pétrole, le raffinage ou autre secteur productif à
moyenne ou forte densité technologique, par exemple ) .
Le principal souci, pour ces économies , concerne le
déséquilibre de la croissance .
D' après la théorie, on doit assister à un
accroissement du secteur des biens non échangeables ( services ) ainsi
que celui du secteur extractif au détriment de les biens échangeables (
manufacturier et agricole ) .
Avec l' appréciation du taux de change réel, la
conséquence est la perte de compétitivité du secteur des biens
échangeables hors pétrole et, à terme, une hypertrophie du secteur des
hydrocarbures .
Or, c' est ce qui se passe aujourd'hui dans la
région .
Ainsi, en Azerbaïdjan, c' est le secteur pétrolier
et gazier qui a connu la plus faible baisse de sa production ( - 15 %
entre 1992 et 1999 ) .
En revanche, tous les autres pans de l' économie ont
connu des baisses catastrophiques : - 68 % pour la chimie et la
pétrochimie, - 71 % pour la production cotonnière, - 84 % pour l'
industrie agroalimentaire, - 90 % pour l' industrie légère et même - 93
% pour la métallurgie .
Le secteur pétrolier en Azerbaïdjan se développe en
marge du reste de l' économie .
Enfin, la manne pétrolière et gazière permet de
faire perdurer le système de contrainte budgétaire molle en
subventionnant des entreprises dans les secteurs hors pétrole et gaz et
ainsi maintient les dysfonctionnements des entreprises ainsi que les
phénomènes de gaspillage .
La société pétrolière nationale azérie facture à ses
clients un prix trois à quatre fois inférieur aux prix mondiaux .
Avec les arriérés de paiement, on estime ainsi à 14
% du PIB azéri qui est versé aux entreprises sous forme de subventions
indirectes en énergie .
Aussi, il n' est pas étonnant de constater encore
aujourd'hui que l' intensité énergétique est très forte dans les pays du
bassin Caspien .
L' Azerbaïdjan et surtout le Turkménistan ( ainsi
que l' Ukraine et l' Ouzbékistan ) sont les pays au monde qui produisent
le moins rapportés à un kilogramme d' équivalent pétrole d' après une
étude de la Banque Mondiale .
En effet, en 1997, seulement 1,33 dollar étaient
produits avec 1 kilogramme d' équivalent pétrole d' énergie consommée en
Azerbaïdjan et ce chiffre n' était que de 0,98 pour le Turkménistan .
En outre, en 1989, ce chiffre était supérieur ( 1,39
dollar ) pour l' Azerbaïdjan, c' est à dire que l' on produisait plus
avec la même quantité d' énergie consommée .
Bien évidemment, dans les pays voisins, pauvres en
ressources, l' énergie consommée est bien mieux utilisée .
En Arménie, ce ratio était de 4,3 en 1997 et 7,7 en
Géorgie, c' est à dire qu' on produisait près de 6 fois plus avec la
même quantité d' énergie . Même si le modèle théorique de dutch disease
ne s' applique pas in extenso dans le bassin Caspien, des symptômes
apparaissent déjà tels que croissance sectorielle déséquilibrée .
Les pays du bassin Caspien cumulent des handicaps
liés à l' histoire ( avec la sortie du système économique soviétique ),
à la géographie ( avec l' enclavement ) et à la fatalité économique (
avec la sortie du sous-développement ) .
Face à ces multiples défis, les Etats ont essayé de
répondre de différentes manières .
Aujourd'hui, il apparaît que les trajectoires économiques se
sont révélées bien différentes dans le bassin Caspien
Les politiques économiques menées dans la dernière décennie
par le Kazakhstan et l' Azerbaïdjan , d'une part et par l' Ouzbékistan et le
Turkménistan , d'autre part ont été diamétralement opposées .
Pourtant, dix ans après l' indépendance, les résultats de
les deux voies sont mitigés .
Plus que des choix voulus par les autorités en place, ils
apparaissent plus comme des options imposées par les conditions économiques
initiales dans lesquelles se trouvaient les Etats de la région .
La multiplicité des trajectoires
Deux grandes approches : l' ouverture ou la
substitution aux importations .
Deux grandes approches de politique économique s'
affrontent sur le flanc sud de la Russie .
La première rassemble la majorité des Etats de la
région .
Il fut conforme aux souhaits de la communauté
internationale avec une ouverture commerciale et du marché des taux de
change avec la convertibilité de la monnaie nationale, un effort de
privatisation des moyens de production pour attirer les capitaux
étrangers .
Le Kazakhstan et surtout l' Azerbaïdjan ont suivi
très tôt cette voie .
Tous les pays de la région sont, plus ou moins, se
dirigent dans cette même direction .
La seconde approche regroupe l' Ouzbékistan et le
Turkménistan .
Dans ce dernier pays, cette politique est menée à
son paroxysme .
Ces deux Etats s' appuient sur un modèle de
développement autocentré avec une substitution des importations .
L' économie reste très réglementée avec une absence
d' ouverture commerciale et du marché des changes .
Dans ces deux pays perdure l' Etat producteur .
Ce système repose sur un taux de change artificiel
surévalué qui facilite l' importation de machines ou de biens
nécessaires à l' industrialisation du pays .
Mais cette politique a un coût élevé qui explique
les problèmes actuels de financement de ces pays .
Par le biais de la surévaluation du taux de change
officiel, un mécanisme d' incitation à l' importation a été mis en place
au détriment de les exportations .
Le FMI a ainsi calculé que le transfert des
exportateurs vers les importateurs était équivalent à 16 % du PIB . Les
trois piliers de ce système sont la distorsion de prix, la ponction sur
le secteur agricole ( notamment sur celui du coton ) et le mécanisme de
redistribution au profit de secteurs classés comme stratégiques par le
régime .
Il est indispensable que le coton soit acheté aux
producteurs à un prix inférieur aux prix mondiaux .
Le profit engrangé par l' Etat ouzbek, par exemple
, permet ainsi l' investissement industriel .
En 1996, le prix d' achat imposé aux producteurs (
qui s' impose à tout producteur ) était inférieur de 30 % aux prix
mondiaux .
Ce système se développe également au Turkménistan
au détriment de l' agriculture et plus particulièrement des petits
producteurs .
Le FMI a calculé que l' Etat turkmène achète ( au
taux de change officiel ) le coton et le blé entre 50 et 60 % des prix
mondiaux, ce qui représente annuellement un transfert de l' agriculture
au profit de le reste de l' économie équivalent à 15 % du PIB .
des fortunes différentes
En analysant le tableau sur la performance de la
production entre 1989 et 1998, il apparaît clairement que c' est l'
Ouzbékistan qui sort vainqueur de cette confrontation avec le Kazakhstan
et l' Azerbaïdjan .
En effet, la baisse de la production cumulée n' a
pas dépassé 15 % alors que la moyenne pour les douze pays de la CEI s'
est établie à plus de 50 % sur la même période .
Néanmoins, il serait réducteur de vouloir sacrifier
le modèle d' ouverture prôné par les organisations internationales dans
la région .
En effet, le Turkménistan a connu des résultats bien
plus mauvais que le Kazakhstan en pratiquant la politique inverse
.
Plus que la politique économique, c' est la
structure même de l' économie à l' indépendance qui a largement
conditionné le choix des politiques économiques suivies au cours de la
dernière décennie .
L' importance décisive des conditions initiales
L' importance de la politique économique
Sans nul doute, les options de politique économique
choisies ont eu un impact sur les dix années de transition .
En effet, la non ouverture de l' économie ouzbek et
la subvention de nombreux combinats par différents biais comme les
arriérés interentreprises ou le financement grâce à des banques
publiques ont limité la baisse de le PIB . La production est ainsi
restée artificiellement élevée dans certaines entreprises .
De même, les politiques kazakhe et azéries ont
provoqué une paupérisation des populations d'autant que l' Etat joue de
moins en moins le rôle de garant des politiques sociales .
La politique économique est, pour une certaine part,
responsable de la baisse des revenus et de la hausse du chômage .
Néanmoins, elle a permis une reprise plus forte de
la croissance dans la seconde moitié des années 90 .
Alors que le Turkménistan et l' Ouzbékistan sont
encore confrontés à des problèmes structurels de stabilisation
macroéconomique, le coeur du problème à le Kazakhstan et en Azerbaïdjan
est désormais la gouvernance économique et la gestion de la rente
.
Ainsi, Ainsi, malgré l' importance des politiques,
il semble que des raisons plus profondes expliquent les différences de
trajectoires macroéconomiques dans les pays de la région .
Pourtant la trajectoire macroéconomique résulte
principalement des conditions initiales
Plus qu' un choix, c' était un devoir pour le
Kazakhstan et l' Azerbaïdjan d' ouvrir leurs économies .
En effet, ces deux pays avaient cruellement besoin
de capitaux .
La capacité de financement domestique étant trop
limitée , un système autarcique était impossible dans ces deux pays .
Ils avaient besoin de capitaux pour reconvertir l' appareil de
production et développer l' exploitation des hydrocarbures ou développer
la production métallurgique .
Le Kazakhstan a toujours été une économie fondée sur
les industries extractives .
Ainsi, en 1990, plus des deux tiers de la production
industrielle kazakh provenait de ces industries .
En revanche, l' Ouzbékistan, est un pays agricole
spécialisé dans l' industrie cotonnière .
Ainsi, les industries extractives ne représentaient
que 12 % de la production industrielle en 1990 .
C' était aussi le pays le moins industrialisé de
tous les pays de l' ex-bloc de l' Est .
Grâce à ses ressources, ce pays avait la possibilité
de devenir rapidement autosuffisant dans les domaines énergétique et
alimentaire .
Enfin, la garantie de posséder des revenus à l'
exportation importants de le fait de le coton et de l' or ( 3 à 4
milliards de dollars annuels ) pouvait permettre à l' Ouzbékistan de
mener une politique de substitution aux importations .
Le Turkménistan est, quant à lui trompé de choix de
politique .
En effet, ce pays n' a pas les ressources
suffisantes pour mener une politique de développement autocentré .
L' autosuffisance alimentaire est quasiment
impossible étant donné la croissance démographique et les facteurs
climatiques ( son territoire est constitué à 85 % de désert ) si ce n'
est au prix de graves dommages à l' environnement .
Conséquemment, les politiques d' investissement et
de construction publiques se font au détriment de les cultures
commercialisables comme le coton et en ayant recours massivement à l'
endettement extérieur .
La pérennité d' un tel système est ainsi en cause
d'autant que la principale hypothèque réside dans la volatilité des
revenus .
En effet, encore aujourd'hui, ce pays est totalement
dépendant de la Russie pour ses exportations de gaz qui représentent 80
% des exportations .
Nonobstant les conditions initiales très différentes
et les politiques économiques diamétralement opposées, les
caractéristiques économiques des Etats de la région restent assez
proches .
Ceci s' explique par une rémanence du système
économique soviétique encore aujourd'hui .
La sortie totale de le système n' a pas encore eu
lieu et, sur de nombreux points, les économies de la région fonctionnent
encore sensiblement de la même manière .
Le système économique soviétique reste très présent dans le
bassin Caspien
Même parmi les pays de l' ex-URSS, les Etats du bassin
Caspien sont en retard dans les réformes structurelles .
Ainsi, aussi bien le Kazakhstan que l' Azerbaïdjan ou le
Turkménistan possédaient de les indices cumulés de libéralisation économique
inférieurs à les pays de la CEI . De nombreuses caractéristiques héritées de la
période soviétique ont perduré .
Un fonctionnement soviétique de l' économie : la
subordination de l' économique au politique
Qu' on parle de jouzisme, de tribalisme ou de népotisme
selon les Etats, la réalité reste peu différente .
L' économie est subordonnée à la politique dans la
région .
Or, la pratique politique est, elle -même, le produit de
plusieurs influences .
Les interactions actuelles entre société, pouvoir et
économie, résultat de nombreux héritages .
Les sociétés centre-asiatiques se sont forgées au
contact de nombreuses influences extérieures .
Ces différents emprunts ont contribué, d' une
manière générale, à la constitution d' un pouvoir fort, voire
autocratique, ayant une mainmise sur tous les pans de la société y
compris l' économie .
Les présidents de la région ont repris une pratique
autocratique du pouvoir .
Ce qu' on appelle aujourd'hui la " mémoire de la
démocratie " ( democracy memory ) est pour ainsi dire inexistante en
Asie centrale .
C' est pourtant un mythe relevé par Martha Brill
Olcott ( 2001 ) que de penser que seuls les présidents dirigeant avec
une main de fer peuvent se maintenir au pouvoir dans la région .
Bien évidemment, le pouvoir préfère se référer à la
pratique autocratique mongole ou aux khanats de la période
pré-soviétique pour diriger sans compromis aujourd'hui .
Pourtant, comme l' explique Olcott, la majorité des
élites urbaines ( notamment dans les capitales ) voudraient une solution
plus démocratique .
Mais ces Etats sont majoritairement ruraux et, même
au sein de les villes, la mentalité est empruntée de cette conscience
héritée des campagnes .
Or, dans la majorité des campagnes
centre-asiatiques, la conscience politique est très faible et la
majorité des populations de la région considèrent que le pouvoir en
place doit être symbolisé par un homme fort .
Dans ces conditions, la société comme l' économie
doivent être au service du pouvoir .
Lié à cette conscience politique dans les campagnes,
on peut se référer à l' influence du milieu naturel .
A ce propos, la thèse de Wittfogel ( 1977 ) sur l'
Etat hydraulique semble très pertinente en Asie centrale .
D' après lui, l' économie hydraulique qui a pour but
l' irrigation et le contrôle de les eaux est nécessairement politique .
Pour développer efficacement l' agriculture, elle
requiert une forte hiérarchisation et une grande coopération entre les
individus .
Cette dernière développant ainsi un fort
communautarisme .
Dans ces conditions, " le caractère despotique du
gouvernement hydraulique n' est pas sérieusement contesté " .
Dans l' économie hydraulique, existerait même " une
tendance cumulative au pouvoir incontrôlé " .
C' est d' autant plus pertinent pour l' Asie
centrale que le Turkménistan, l' Ouzbékistan ou le sud du Kazakhstan
sont des pays d' oasis .
Dans la région, l' eau a joué un rôle capital dans
le développement des villes, régions et puis des Etats .
En suivant le raisonnement de Wittfogel ( 1977 ),
on peut mieux comprendre pourquoi un pouvoir autocratique s' est
développé dans la région .
Cette influence de l' Etat hydraulique est
probablement lointaine .
Néanmoins, elle induisait une certaine pratique
autocratique du pouvoir et une subordination de l' économique au
politique .
C' est exactement ce que le système soviétique a
promu en Asie centrale et dans le Caucase méridional .
Et c' est cette influence, qui s' appuie
probablement sur de nombreux héritages, qui reste très vivace .
du temps de l' URSS, la culture, l' économie et tous
les pans de la société devaient être, coûte que coûte, au service de l'
idéal politique qui était la construction du premier Etat communiste de
l' histoire .
Bien évidemment, ce système politico-économique a eu
des conséquences fâcheuses sur l' économie qui restent présentes même
dans les entreprises .
Par exemple, l' absence de responsabilisation des
salariés dans les entreprises est largement héritée de cette époque .
Le problème de la compétence à le sommet de l'
entreprise est un problème économique récurrent dans la région .
Plusieurs influences expliquent ainsi l' absence de
frontière claire entre pouvoir politique et économie .
Ceci a des conséquences très importantes sur le
fonctionnement actuel de ces économies .
Cet effet pourrait même encore se renforcer si on se
réfère aux phénomènes apparus dans les Etats riches en hydrocarbures
.
L' apparition de la maladie politique hollandaise
dans le bassin Caspien
Empiriquement, il a été montré qu' un afflux soudain
de ressources financières lié à l' exploitation de matières premières
renforce l' inégalité de revenus .
Lam et Wantchekon ( 2000 ) ont essayé de démontrer
quel était l' impact de cet afflux financier sur la gestion politique d'
un pays .
Dans ce cas, apparaît ce qu' ils ont appelé un
phénomène de " political dutch disease " ou de maladie hollandaise
politique .
L' abondance des ressources provoque directement et
indirectement une plus grande inégalité de revenus .
L' effet direct s' explique par l' enrichissement de
l' élite au pouvoir, l' effet indirect induit un appauvrissement de la
population à cause de les phénomènes de maladie hollandaise .
En étant responsable de la distribution de la rente,
l' élite au pouvoir consolide son pouvoir car elle peut créer des
groupes de pression de poids à peu près égal mais concurrents et ainsi
diviser pour mieux régner .
Ainsi, si cette théorie était validée dans la
Caspienne, le pouvoir des Présidents Aliev, Nazarbaev et Niyazov ne
seraient pas véritablement menacés pour peu que ils sachent redistribuer
une partie de leurs revenus à une partie de l' oligarchie dirigeante
.
Le type d' exploitation des hydrocarbures est
intimement lié à la situation politique comme le montrent Luong et
Weinthal ( 2001 ) dans le cas de les pays du bassin Caspien .
En effet, elles expliquent que les stratégies de
développement des hydrocarbures sont fonction de deux éléments : la
possibilité ou non de se procurer des ressources alternatives à l'
exploitation des hydrocarbures et le niveau de la contestation politique
.
Ainsi, en Ouzbékistan et au Turkménistan, l'
agriculture ( et notamment le coton ) fournit d' importants revenus aux
budgets nationaux si bien que le pouvoir a préféré un engagement assez
limité des entreprises étrangères et conserver aux mains de l' Etat le
secteur pétrolier et gazier pour pérenniser le statu quo hérité de la
période soviétique .
L' Azerbaïdjan a hérité, à l' indépendance, d' un
appareil économique dépendant économiquement des hydrocarbures et avec
des ressources nationales de financement faibles .
Aussi, a -t-elle dû faire appel aux entreprises
étrangères tout en conservant la mainmise sur ce secteur en maintenant
dans le secteur public la compagnie pétrolière nationale . En Russie, la
privatisation du secteur a été " nationale " avec une faible
participation étrangère pour accéder aux demandes des barons locaux et
a, en conséquence, limité la contestation politique .
Enfin, le Kazakhstan avait crucialement besoin de l'
exploitation des hydrocarbures car ne possédant pas de source
alternative de revenus sans investissement massif .
Aussi, ce pays a eu recours à la participation
importante des entreprises étrangères .
Comme la contestation politique a toujours été assez
forte dans ce pays, Astana est allé plus loin en privatisant une partie
du secteur pour faire rejeter la responsabilité sociale de la crise
économique sur les entreprises étrangères .
Tous ces points sont résumés dans le tableau 6
.
Conséquemment, il apparaît que les stratégies de
développement des hydrocarbures sont liées à des conditions économiques
mais surtout à la situation politique .
La gestion de la rente est corrélée à la force de
les institutions .
Karl ( 2000 ) explique qu' au regard des expériences
au Moyen-Orient et en Amérique latine que de véritables institutions
politiques et sociales aient été mises en place avant que le boom
pétrolier n' intervienne .
On peut douter de l' efficacité économique des
institutions politiques aujourd'hui dans le bassin Caspien .
Von Hirschhausen et Waelde ( 2001 ) décrivent l'
Etat dans les économies du bassin Caspien comme étant " autocratique,
dominé par des structures de clan ..., ( pays ) où il n' existe pas de
séparation entre Etat et économie " .
L' Etat est devenu source de profit car le secteur
privé reste assez faible et vulnérable lorsqu' il n' est pas lié au
pouvoir .
Il existe aujourd'hui une rémanence du dirigisme
étatique .
Même le pays où le secteur avait été le plus ouvert
, le Kazakhstan , procède à une certaine reprise en main avec la
constitution d' un monopole d' Etat, Kazmounaïgaz, au printemps 2002 .
Reviennent également régulièrement des déclarations
d' officiels pour remettre en cause les contrats déjà signés avec les
entreprises étrangères .
Dans la région, l' Etat est de plus en plus
discrédité par le secteur privé .
Parmi vingt pays en transition étudiés en 2001, l'
Azerbaïdjan était le pays où l' indice de capture de l' Etat était le
plus élevé, c' est dire que les entreprises interrogées percevaient une
corruption de l' Etat à tous les échelons .
Le problème crucial aujourd'hui reste celui de la
gestion de la rente .
En 2000, sur 90 pays étudiés par Transparency
International pour connaître la perception de la corruption, le
Kazakhstan était 66ème, la Russie 83ème et l' Azerbaïdjan 87ème .
En 2002, ces pays sont respectivement 88ème, 74ème
et 95ème sur 102 pays étudiés, c' est dire que la situation s' est
améliorée sensiblement en Russie mais s' est détériorée au Kazakhstan et
reste catastrophique en Azerbaïdjan .
Dans tous les pays de la région, le pouvoir
politique a désormais la mainmise sur le secteur pétrolier .
En Azerbaïdjan, le fils du président, Ilham Aliev ,
est vice-président de la compagnie pétrolière nationale et au
Kazakhstan, le second gendre du président, Timour Koulibaev, est
vice-président de la compagnie pétrolière et gazière nationale,
Kazmounaïgaz .
Comme dans le système soviétique, l' économie,
notamment avec le secteur pétrolier et gazier , est subordonnée au
pouvoir politique .
Mais le système économique soviétique reste présent
notamment dans le fonctionnement même de ces jeunes économies .
Le fonctionnement des économies du bassin reste très
soviétique
Bien évidemment, avec la désintégration de l' URSS, les
économies du flanc sud de la Russie ont entamé une série d' évolutions
capitales .
Pourtant, derrière certains chiffres se cache une
réalité un peu différente mettant en exergue la perpétuation de l' ancien
système économique .
malgré la désintégration commerciale, la Russie
reste le principal partenaire économique dans la région .
Il est vrai que le commerce entre ex-Républiques de
l' URSS a fait une chute sans précédente puisque pour les pays d' Asie
centrale, il est passé d' environ 90 % à 30 % en moyenne .
Pourtant, les ex-Républiques, notamment la Russie ,
sont encore des partenaires commerciaux privilégiés .
Le commerce avec la Russie représente encore plus du
quart du commerce total ( et plus de 40 % des importations ) .
Le commerce avec la Russie a décliné dans la mesure
où ces Etats riches en hydrocarbures n' exportent pas d' hydrocarbures
vers la Russie, elle -même productrice .
Ainsi, c' est la part des autres pays d' ex-URSS qui
reste assez importante : le Turkménistan commerce ainsi à près de 30 %
avec les autres ex-Républiques ( hors Russie ) et l' Azerbaïdjan à plus
de 10 % .
Des pays comme l' Ukraine sont ainsi devenus des
partenaires incontournables de ces pays producteurs de pétrole et de gaz
.
Le désenclavement avec le flanc sud, symbolisé par
l' Iran , reste encore assez hypothétique .
Pour Téhéran, le commerce avec toutes les
ex-Républiques de l' URSS ( hors Russie ) représente moins de 3 % de son
commerce total .
Même le Turkménistan, qui possède près de 1000
kilomètres de frontière avec l' Iran , ne commerce que faiblement avec
son voisin du sud ( 11 % du commerce total ) .
Ceci est symptomatique du rôle économique encore
joué par Moscou .
Derrière les chiffres, perdurent certaines
dépendances économiques vis-à-vis de la Russie .
Ainsi, le Kazakhstan et le Turkménistan sont, pour
lors, quasiment exclusivement dépendants de la Russie pour l'
exportation de leurs hydrocarbures .
Moscou possède ainsi un moyen de pression très fort
.
Ainsi, suite à le différend opposant l' Etat
turkmène à la société Gazprom à propos de le montant des droits de
transit pour l' utilisation du gazoduc de la société russe, le PNB
turkmène avait chuté de 25 % en 1997 .
L' Azerbaïdjan est, dans une même situation
inconfortable, vis-à-vis de la Russie concernant la situation
énergétique intérieure, tout comme le Kazakhstan .
La production gazière est, aujourd'hui exclusivement
consacrée à la consommation intérieure .
En revanche, les exportations de pétrole sont en
constante augmentation .
C' est principalement du pétrole brut qui est
exporté .
Le niveau actuel de les cours de pétrole brut rend
attractive cette option pour les Azéris .
En outre, le raffinage a considérablement chuté
depuis 1992 .
En théorie, la capacité de traitement est de 20
millions de tonnes, mais certains experts l' estiment plutôt à 14
millions et la production de produits raffinés n' a été que de 8
millions en 2000 .
Certaines régions sont ainsi confrontées à des
problèmes de pénuries d' énergie, principalement dans les régions
rurales .
L' Azerbaïdjan doit donc se résoudre chaque année à
importer du gaz de Russie depuis 2000 pour ne pas connaître à nouveau la
grave crise énergétique qu' il avait traversée à l' hiver 1999-2000 .
La société pétrolière nationale a alors signé, à l'
hiver 2000, deux accords de livraison de gaz, l'un avec le duo de
sociétés russe Itera et allemande Debis et l' autre avec la société
russe Transnaphta .
En 2002, Itera a livré près de 4 milliards de mètre
cube de gaz .
Ainsi, malgré la chute des relations commerciales,
la Russie reste extrêmement présente dans le domaine économique sur son
flanc sud .
Le tissu économique reste imprégné du système
économique soviétique
Le tissu économique, dans les pays d' Asie centrale
et de le Caucase méridional , reste empreint du système économique
antérieur de par la gestion, les pratiques etc .
Les entreprises de la région restent liées aux
anciens réseaux fournisseurs et clients .
A titre de exemple, les anciennes pratiques
commerciales, comme le troc ou les échanges de compensation , survivent
.
L' imbrication des économies est illustrée par le
secteur crucial de l' électricité au Nord du Kazakhstan .
Ainsi, les compagnies russes d' électricité
conservent des positions fortes dans cette région à cause de arriérés
croissants dans le domaine de l' énergie .
Dès 1996, Sverdlovskenergo ( filiale du monopole
Electricité de Russie ) avait acquis deux mines de charbon ( Severnyi et
Bogatyr ) dans le bassin d' Ekibastouz ( région de Pavlodar, Nord
Kazakhstan ) pour mettre fin aux arriérés de paiement liés aux
fournitures d' électricité vers cette région .
Un second pas a été franchi en septembre 2000
lorsque ces deux mines ont été intégrées dans une nouvelle société
dénommée Uraltek .
Le charbon extrait est ainsi convoyé en Russie pour
servir de combustible à quatre centrales thermiques russes .
En janvier 2000, les Kazakh avaient annoncé qu' ils
allaient se lancer dans la construction d' une voie de chemin de fer
entre la région de Pavlodar et la région russe d' Omsk pour réduire les
coûts de transport du charbon kazakh .
Electricité de Russie continue une politique où le
Nord du Kazakhstan est totalement intégré au réseau sud-sibérien .
Ainsi, le monopole russe a acquis, en avril 2000, la
moitié des actions de la grande centrale thermique du Nord du pays (
Ekibastouz - 2 ) .
Cette prise de participation a été le fruit d' un
accord intergouvernemental signé en janvier 2000 à Moscou .
Cela a mis fin à un différend concernant la dette
énergétique du Kazakhstan vis-à-vis de son voisin du nord .
Le système soviétique est ainsi toujours présent .
Joomart Otorbaev, vice-premier ministre kirghize le
déclarait dernièrement : " Il y a encore beaucoup de soviétique en nous,
la mentalité et les méthodes pour la prise de décision ... le système
soviétique de gestion qui a été enterré avec l' Union soviétique est
encore avec nous " .
Cette déclaration est d' autant plus intéressante
qu' Otorbaev semble être l' archétype de l' élite centre-asiatique "
occidentalisée " .
Parlant couramment anglais, ayant enseigné aux
Etats-Unis, il fut représentant de Philips pendant de nombreuses années
.
Même si les apparences semblent contraires, le
système soviétique est loin de avoir disparu en Asie centrale et dans le
Caucase méridional .
Conclusion
Azerbaïdjan, Kazakhstan et Turkménistan sont confrontés à
des défis économiques communs tels que l' enclavement, la transformation
post-socialiste ou encore tout simplement le sous-développement .
Pourtant, des deux côtés de la mer Caspienne, les politiques
économiques menées ont été fort différentes .
Malgré ces différences de choix, les trajectoires
économiques de ces Etats restent assez semblables .
Ces jeunes Etats restent encore bien empreints par le
système économique soviétique qui a fondé leur modèle de développement pendant
soixante-dix ans .
La perspective la plus crédible de sortie pour ces Etats
devrait vraisemblablement provenir de leurs richesses minérales .
Encore faut -il éviter l' écueil des Etats rentiers .
Ceci est le plus important défi auxquels sont confrontées
ces nouvelles économies indépendantes .
TITRE : LES TRANSFORMATIONS DE L'US ARMY
AUTEUR : Etienne de Durand
Introduction générale
Pour l' observateur extérieur, l' impératif de "
transformation " de les forces armées américaines et les polémiques qui
entourent le sujet ont de quoi surprendre à plus d'un titre .
et Pourquoi " transformer " une armée universellement
reconnue comme la première au monde, dont les performances durant la dernière
décennie ont été très supérieures à celles de les années 1970 et 1980 ?
Pour qui connaît en revanche la nature emphatique et le
caractère cyclique des débats stratégiques aux Etats-Unis, la Revolution in
Military Affairs ( RMA , ou révolution dans les affaires militaires ) et ses
succédanés risquent d' apparaître comme l' éternel retour du même " .
Le danger est donc double, selon que l' on sous-estime la
portée de ce qui se passe aujourd'hui ou, qu' à l' inverse, on prenne au pied de
la lettre les déclarations officielles et le va-et-vient des critiques et des
réponses, sans parvenir à en distinguer les éléments significatifs perdus au
milieu de le " bruit " .
Il convient pour cette raison de faire la part entre les
controverses concernant la stratégie générale du pays, les objections de fond
adressées aux forces américaines par certains critiques extérieurs et les
arguments intéressés qui s' inscrivent, si naturellement aux Etats-Unis, dans la
routine des querelles budgétaires entre armées .
Comme l' attestent en surface les documents programmatiques,
tant du département de la Défense que des hiérarchies militaires, les trois
armées, à l' exception toutefois du corps des Marines, se sont approprié les
objectifs et le vocabulaire de la RMA et de la " transformation " .
Il n' est que de se reporter au document Joint Vision 2020,
aux équivalents internes de chaque Service ( Army Vision 2010 ) ou au texte de
la Quadrennial Defense Review ( Revue quadriennale de défense ou QDR ) pour le
constater : il est désormais rare qu' un programme d' armement ou une
réorganisation de structures ne soient pas présentés comme transformational - ce
qui amène bien entendu à s' interroger sur la réalité de cette conversion des
militaires aux thèses de la RMA . Au vrai, les appréciations portées à
l'intérieur de chaque armée sur les mérites de la " transfo
Les évolutions parallèles de la technologie et de le
contexte international ont bien eu un effet double, tant au niveau objectif,
avec l' allongement des portées et l' augmentation de la précision, qu' au
niveau de les perceptions engendrées par le succès des opérations aériennes .
Latente au début des années 1990, cette double pression de
la réalité et de les discours construits autour de elle s' est renforcée au fur
et à mesure, pour s' exprimer ouvertement à partir de 1999, tout
particulièrement en direction de l' armée de terre américaine ( Army ), jusqu' à
rendre intenable la défense du statu quo .
A la différence de la Navy ou de l' US Marine Corps ( Marine
), l' Army occupe une place centrale dans le débat stratégique actuel, parce que
elle représente un cas d' école, un repoussoir ou un test critique pour le
courant qui se réclame de la RMA, pour les traditionalistes sceptiques comme
pour l' analyste extérieur cherchant à mesurer la progression des réformes en
cours et la réalité de leurs enjeux .
Parmi ces derniers, on peut citer en vrac la redéfinition
des rôles respectifs de la manoeuvre terrestre et des frappes à longue portée,
la nécessité ou non du combat rapproché, l' impact des communications modernes
sur le commandement ou encore les modalités de l' interarmisation .
De façon plus fondamentale parce que plus politique, l'
échec du plan de transformation de l' Army ou même certaines formes de sa
réussite, selon les modalités qui seront privilégiées , pourraient affaiblir
considérablement cette institution dans le débat stratégique et budgétaire
américain, jusqu' à remettre partiellement en cause la fonction et l' existence
même des forces terrestres autres qu' expéditionnaires, ce qui ne saurait
manquer d' altérer en profondeur la posture militaire des Etats-Unis et leur
répertoire d' options envisageables .
En d'autres termes, la réforme entreprise par l' Army est
susceptible d' entraîner des conséquences non neutres sur la stratégie générale
des Etats-Unis concernant l' emploi de la force, et donc sur leurs alliés .
Evaluer le détail de le plan Shinseki et ses répercussions
possibles implique cependant au préalable de replacer cette réforme dans son
contexte historique et politique .
L' urgence de la transformation procède pour l' Army de
facteurs multiples, à la fois structurels et conjoncturels .
Les premiers s' expliquent par l' inadaptation grandissante
de l' Army au contexte stratégique actuel, inadaptation qui tient elle -même à
des raisons profondément enracinées dans la " culture " de l' institution, c'
est-à-dire dans la façon dont elle perçoit sa propre histoire et les
enseignements qu' elle en retient .
Parmi ces raisons, on trouve à la fois une préférence
marquée pour le combat de haute intensité, le " contre-modèle " vietnamien et
les " leçons " qui en ont été tirées, telle la " doctrine Powell ", enfin les
débats doctrinaux des années 1980 ou encore le triomphe du Golfe .
De façon plus immédiate, cette inadaptation partielle est
devenue visible, c' est-à-dire politiquement dommageable pour l' institution,
lors de l' intervention occidentale au Kosovo .
C' est bien le Kosovo en effet, et plus spécifiquement le
fiasco du déploiement et de la non utilisation de la " Task Force Hawk ", qui a
contraint l' Army à modifier les orientations définies auparavant en interne et
à précipiter ce qui, jusque-là, était davantage un processus de modernisation et
d' anticipation qu' une " transformation " .
En ce sens, comprendre les pressions en faveur de la
transformation comme les résistances manifestées , et plus généralement
appréhender les enjeux de la réforme en cours , suppose de replacer le débat
dans son contexte historique, en partant de l' héritage " des cinquante
dernières années et de ce qui fait la culture de l' Army, pour s' interroger
ensuite sur la nature du plan Shinseki, ses origines immédiates et la rupture
qu' il introduit par rapport à les initiatives antérieures comme " Force XXI "
et " Army After Next " .
L' étude se conclut par une évaluation du projet qui prend
en compte les aspects opérationnel, stratégique et politique .
L' héritage
Contrairement à ce que pourrait laisser croire un survol
superficiel de l' histoire militaire des Etats-Unis, la fin de la guerre froide
ne constitue que l'une des ruptures intervenues dans l' histoire des cinquante
dernières années de l' Army : il existe des précédents infiniment plus nombreux
qu' on ne l' imagine généralement, et qui ne se limitent ni à la
professionnalisation initiée en 1973, ni même aux transitions entre périodes d'
engagements massifs et périodes de calme relatif .
Il n' est pas exagéré de dire que l' Army n' a jamais cessé
d' expérimenter de nouvelles structures de force, stimulée par trois séries de
facteurs : les changements de la politique étrangère américaine et des postures
stratégiques correspondantes, les développements autonomes de la technologie et,
enfin, la volonté propre des cadres de l' institution d' améliorer les
organisations existantes et de tester des concepts d' emploi innovants .
Fait de bifurcations, de réorientations et de retournements,
cet héritage complexe constitue l' arrière-fond indispensable à qui veut
comprendre l' institution d' aujourd'hui, ses pesanteurs, ses aspirations et
tout ce qui représente finalement la " matière première " du plan Shinseki
.
La tradition de la " grande guerre "
Quatre périodes principales sont repérables dans l'
histoire de l' Army, depuis la matrice des deux guerres mondiales jusqu' à
l' opération " Tempête du désert " ( " Desert Storm " ), en passant par les
années 1950 et le Vietnam .
Les guerres mondiales, matrices de l' armée de terre
américaine
Pendant tout le XIXe siècle, et si l' on met entre
parenthèses la guerre de Sécession, l' Army a d'abord été " a Frontier
Army ", c' est-à-dire une " armée d' avant-postes " de très petite
taille ( 5 000 hommes en 1815 ) et dans laquelle les fonctions d'
ingénieur et de bâtisseur l' emportaient souvent sur les devoirs du
soldat .
Ni sa très lente montée en puissance au cours de le
siècle précédent, ni les rares expéditions militaires ou " aventures "
coloniales ( guerre mexico-américaine de 1846 , guerre
hispano-américaine de 1898 ), ni même la guerre de Sécession, découverte
violente mais temporaire de le combat à grande échelle , n' ont
fondamentalement modifié cet état de choses .
En parallèle cependant, le corps des officiers a
très tôt manifesté son intérêt pour la " stratégie " et son ambition
profonde d' imiter les grands modèles européens : d'abord la France,
héritière de Napoléon - la plupart des généraux de la guerre de
Sécession connaissaient le Mémorial de Sainte-Hélène -, puis l'
Allemagne triomphante de la fin du siècle, y compris les fragments
déformés de la théorie clausewitzienne, notions ou simples formules
telles que " centre de gravité ", " bataille décisive " ou "
anéantissement de l' ennemi " .
En ce sens, il est juste de dire que l' armée de
terre américaine est d'abord l' héritière d' une tradition "
franco-prussienne " de la " grande guerre ", au même titre que l' US
Navy s' est toujours explicitement pensée comme la légataire universelle
de la Royal Navy .
C' est à l'occasion de la Première Guerre mondiale
qu' émerge l' armée de terre américaine moderne .
A l' école des Français et des Britanniques pendant
deux ans, l' armée américaine redécouvre la guerre de haute intensité
moderne, avec ses corollaires obligés comme la mobilisation de la
population masculine, la mise sur pied d' une économie de guerre et la
réorganisation de la production industrielle au profit de l' appareil
militaire .
Bien que les Etats-Unis aient obtenu la création d'
un commandement et l' attribution de secteurs du front à leur profit,
leur armée prit tardivement part au conflit et ne parvint donc pas à
assimiler complètement la complexité de la tactique moderne, engendrée
par l' accroissement sans précédent de la puissance de feu - ce dont
témoignent par exemple les combats menés dans l' Argonne en 1918 .
Le bilan des opérations fut mitigé, dans la mesure
où l' armée américaine n' eut pas le temps de mettre au point une "
solution " tactique originale au problème de l' offensive, mais s'
appuya sur les doctrines française et anglaise pour mettre sur pied la
division " carrée ", sans en être véritablement satisfaite et sans
parvenir d'ailleurs à maîtriser le détail tactique des opérations aussi
bien que ses alliés .
au final, l' Army s' est surtout reposée sur le
nombre de soldats et la quantité de matériels à sa disposition .
En sens inverse, l' expérience de la Première Guerre
mondiale a permis de jeter les bases des procédés de mobilisation
humaine et industrielle nécessaires en guerre totale, ainsi que celles
d' un bagage tactique minimum .
La démobilisation de 1919, si elle a maintenu un
effectif de 100 000 hommes , c' està-dire très supérieur à les
précédents contingents de temps de paix , s' est toutefois soldée par un
retour à la routine et par un manque certain d' investissement dans les
domaines novateurs comme les chars .
Réduit par manque de moyens à suivre les évolutions
doctrinales allemandes ou françaises pendant la meilleure part de l'
entre-deux-guerres, le commandement, sous la direction de les généraux
Craig et Marshall , accélère ses préparatifs à partir de 1935 en
réorganisant les structures de l' Army et en préparant les plans d' une
remobilisation massive .
Testée de 1936 à 1939 par des manoeuvres de plus en
plus importantes, dont les fameuses " Lousiana maneuvers " de 1939, l'
adoption de la " division triangulaire " correspond à une mise à niveau
de l' armée de terre américaine par rapport à ses homologues européennes
; la même attention au détail et à l' expérimentation est apportée à la
constitution de divisions blindées ( armored ) .
Dans l' ensemble, l' expérience de la guerre valide
ces modèles, tout en mettant en évidence le besoin fréquemment exprimé
par les généraux de compléter les divisions sur le terrain par des
unités spécialisées non divisionnaires ( unités anti tanks ou
antiaériennes, artill
Pour cette raison, les autres modèles divisionnaires
étudiés ( divisions mécanisées , légères , de cavalerie ) sont
abandonnés pendant la guerre .
Toutefois, c' est davantage dans le domaine de la
logistique et de la gestion que l' armée américaine fait preuve d' une
originalité certaine .
Très axée sur l' efficacité gestionnaire, les
économies d' échelle et la mise sur pied de forces de grande taille,
entièrement motorisées et dotées de matériel en grande quantité , l'
armée américaine porte assez peu d' attention à la qualité des
équipements ou des personnels .
En particulier, l' attribution des spécialités et le
système de remplacement souffrent d' une véritable obsession de l'
efficience " économique et gestionnaire .
Cette politique consiste tout d'abord à placer
systématiquement en première ligne, c' est-à-dire dans l' infanterie,
les recrues les moins qualifiées, au niveau de les hommes du rang comme
des officiers, afin de réserver les éléments les plus talentueux pour
les états-majors .
Dans la mesure où de nombreux officiers d' active se
sont simultanément tournés vers des spécialités plus attractives en
termes d' avancement ou de paie ( en particulier l' Army Air Corps,
future Air Force ), les armes de mêlée, et singulièrement l' infanterie,
souffrent d' un manque avéré d' officiers et de sous-officiers de
qualité et doivent incorporer des hommes du rang qui ont, pour la
plupart, un Q.I. en dessous de la moyenne .
La faiblesse structurelle ainsi créée est encore
renforcée par le système de remplacement en vigueur : au terme d' un
séjour individuel à l' arrière ( repos exceptionnel, blessure ), les
soldats sont envoyés dans n' importe quelle unité qui en exprime le
besoin, et non dans l' unité d' origine .
Obligés de combattre au milieu de " étrangers ", les
soldats ne peuvent constituer ces " groupes primaires " dont la cohésion
est un facteur si important pour l' efficacité au combat, comme le
déterminent d'ailleurs les travaux américains de sociologie militaire
des années 1940 et 1950 .
Dans ces conditions, il n' est guère surprenant que
les premiers engagements de la Seconde Guerre mondiale se soient soldés
par des résultats assez décevants, que l' on pense à l' Afrique du Nord
en 1942 ou à l' Italie un an plus tard .
Sur un plan purement tactique, toutes choses étant
égales par ailleurs - mais elles ne le sont jamais , étant donné la
supériorité alliée en aviation tactique et en puissance de feu plus
généralement - , l' armée américaine ne peut rivaliser avec la
Wehrmacht, ce qu' attestent toutes les études comparatives menées sur le
sujet .
A l'exception de unités d' élite comme les 82e et
101e aéroportées, les unités américaines, à l'instar de leurs homologues
britanniques , compensent leur infériorité tactique par un recours
systématique aux appuis-feux de l' artillerie terrestre et navale et de
l' aviation tactique .
Ainsi, et exactement à l' inverse de ce que donnent
à voir les films de guerre de l' époque et ceux qui ont suivi, ce sont
les Allemands qui combattent en situation d' infériorité marquée et qui
compensent par la ténacité, l' ingéniosité tactique et l' utilisation du
terrain ( reliefs montagneux en Italie, bocage normand ) ce qui leur
fait défaut en termes d' équipement, de mobilité et de puissance de feu
; ils parlent d'ailleurs de " Materialschlacht ", ou " guerre de
matériel ", pour décrire le " style opérationnel " américain .
Par une suite de campagnes et d' engagements qui ne
sontpas sans rappeler la Première Guerre mondiale, l' armée américaine
s' impose donc sur le front occidental par le biais de un combat d'
attrition s' appuyant sur la supériorité industrielle du pays et sur une
logistique impressionnante .
Dans la foulée, elle applique le modèle
lointainement hérité de la guerre de Sécession : stratégie militaire d'
anéantissement de l' adversaire, recherche de la victoire complète et
occupation du territoire .
au final, et malgré les déboires rencontrés en cours
de route, la Seconde Guerre mondiale n' en représente pas moins un
triomphe pour l' Army qui remporte là une victoire décisive, tant
militairement que politiquement, au prix de pertes infiniment plus
réduites que celles subies par les autres belligérants, et sans que un
échec majeur ait jamais remis en cause l' institution .
A l'issue des deux guerres mondiales, les traits
distinctifs majeurs de l' armée apparaissent nettement et semblent
fixées pour longtemps : l' organisation se caractérise par la mise sur
pied de grandes divisions ( plus de 15 000 hommes ) autonomes,
similaires les unes aux autres, et appuyées sur une logistique sans
équivalent, qu' il s' agisse d' approvisionnements ou d' évacuations
sanitaires .
A l'exception de chefs comme Patton, le style
opérationnel est rarement brillant, s' apparente davantage à la "
bataille conduite " qu' au Blitzkrieg et cherche systématiquement à
substituer le matériel aux hommes .
Ces défauts tactiques ou opérationnels laissent d'
autant moins de traces que l' euphorie de la victoire va de pair avec la
défense d' une cause perçue comme juste par l' écrasante majorité de la
population, et est immédiatement suivie par une période de prospérité
économique qui tranche avec le souvenir de la dépression de 1919 .
Jusque dans ses conséquences sociales, le conflit
est un succès, qu' il s' agisse des progrès de l' intégration raciale au
sein de le contingent ou surtout du GI Bill of Rights de 1944, qui
octroie des bourses aux vétérans afin de parfaire leurs études et assure
ainsi un élargissement spectaculaire des classes moyennes .
Tout ceci explique que la Seconde Guerre mondiale
ait pu rétrospectivement faire figure de modèle, la nostalgie allant
d'ailleurs s' accroissant au fur et à mesure que les vicissitudes de la
politique étrangère américaine et l' évolution des technologies
militaires entraînent l' armée conçue et commandée par Marshall,
Eisenhower, MacArthur et Patton, dans des directions et sur des théâtres
d' opération imprévus .
La Corée et l' ère atomique "
La victoire sur l' Allemagne nazie et le Japon
impérial s' est conclue de façon traditionnelle selon les normes
américaines, c' est-à-dire par une démobilisation aussi rapide et
impressionnante qu' avait été la mobilisation ; dès 1947, et malgré les
charges de l' occupation, l' armée américaine, avec 10 divisions, n' est
plus que l' ombre de la force qui comprenait 90 divisions deux ans plus
tôt .
Le déclenchement de la guerre de Corée prend d'
autant plus par surprise l' armée et le gouvernement américains que l'
essentiel de l' effort s' était porté jusque-là sur l' Air Force,
nouvellement créée en 1947, et sur les armes atomiques contrebalançant
l' avantage soviétique en matière de forces conventionnelles et,
singulièrement, terrestres .
L' offensive initiale des Nord-Coréens met en
lumière le sous-équipement et le sous-entraînement des forces "
tactiques " ( non nucléaires ) américaines, qu' il s' agisse de
coopération interarmées ou de combat terrestre toutes armes, ou plus
simplement du volume des forces disponibles - on parle déjà de "
divisions creuses " .
Ce sont ainsi la situation péninsulaire de la Corée
et la résistance des Marines qui sauvent de justesse l' Amérique d' une
première défaite .
Le débarquement d' Inchon, en provoquant l' entrée
dans le conflit de les " volontaires chinois " , engendre une seconde
retraite précipitée, qui se stabilise en un combat d' attrition coûteux
et non décisif .
Le refus du président Truman de procéder à un
bombardement atomique de le territoire chinois et l' obligation de
protéger simultanément l' Europe placent les militaires américains dans
une situation inconfortable et heurte la tradition stratégique nationale
: pour la première fois de leur histoire moderne, les Etats-Unis ont
intérêt à préserver le caractère limité de l' affrontement, ce qui
restreint d' autant les possibilités opérationnelles et surtout interdit
d' obtenir l' objet naturel " de la guerre, à savoir la victoire par
écrasement total de l' ennemi .
Si la guerre de Corée se solde par une
réorganisation globale de la politique de défense, avec la création du
département du même nom et l' accroissement permanent du budget et des
forces des trois armées ( Army à 20 divisions ), elle n' en constitue
pas moins un souvenir amer et une " non victoire " aux yeux de nombre d'
Américains, à commencer par les militaires eux -mêmes .
En particulier, elle engendre un sentiment de rejet
à l'encontre des " engagements terrestres " .
Soucieuse de réduire les dépenses et d' éviter ce
que l' on appelle déjà à l'époque un quagmire ( " bourbier " ), la
stratégie dite de le " New Look " décidée par l' Administration
Eisenhower passe par une augmentation considérable des crédits dévolus
aux armes nucléaires et à l' Air Force, et par une réduction à
proportion de la part allouée aux forces conventionnelles : le budget de
l' Army est réduit de moitié en quatre ans et le nombre de divisions
tombe à 14 en 1960 .
En ce sens, et alors que le conflit semble
rétrospectivement avoir illustré les dangers de l' impréparation et les
limites de la dissuasion nucléaire, les années 1950 représentent pour l'
Army à la fois une période de disgrâce politique et de doute existentiel
quant à l' utilité des forces classiques à l' âge nucléaire .
Sur le premier point, l' Army, à l'instar de la Navy
, ne peut qu' assister impuissante à l' ascension de l' Air Force et du
Strategic Air Command . " Révolte des amiraux " en 1949, guerre de
Corée, avancées communistes dans le Tiers Monde, rien n' y fait : la
meilleure part des crédits va aux armes nucléaires et à leurs vecteurs,
en l'occurrence les bombardiers .
Il faudra attendre les années 1960 pour voir la fin
du " tout nucléaire " .
Or, contrairement à la Navy qui se lance dans la
conception des premiers sous-marins nucléaires lanceurs d' engins ( SNLE
) sous l'impulsion de l' amiral Rickover, l' Army ne peut espérer que
quelques " miettes ", comme les engins nucléaires tactiques ( missiles
Thor, systèmes Davy Crockett ), les systèmes antiaériens ou les
premières défenses antimissiles, tous éléments marginaux et souvent
déficients qui ne permettent pas de faire contrepoids aux ambitions de
l' Air Force .
Ce premier et vif débat autour de les " rôles et
missions " respectifs de les trois armées se double de très importantes
incertitudes tactiques quant à les possibilités laissées aux forces
terrestres : dans la mesure où l' on pense devoir forcément évoluer sur
un champ de bataille nucléaire, c' est bien l' utilité et finalement l'
existence même des armées qui semble en jeu - les revues militaires de
l' époque font état de ces interrogations grandissantes .
Si l' ère atomique ( 1945 - 1953 ) ne paraît pas
encore menacer fondamentalement les forces terrestres - les armes
nucléaires sont d'abord perçues comme de " super-obus " qui obligent à
une plus grande dispersion - , la mise à le point et la fabrication e
dites tactiques, semblent sonner le glas de tous les principes
jusqu'alors immuables de la guerre terrestre : concentration logistique
des moyens, concentration physique des troupes, offensive, exploitation
...
C' est dans ce cadre et sous la direction du général
Ridgway que l' Army se lance, à partir de 1954, dans une série d'
initiatives visant une réforme radicale de ses procédures tactiques, et
qui consiste pour l' essentiel à réorganiser les divisions de manière
plus " dispersée " et avec des effectifs moindres, de manière à réduire
leur vulnérabilité aux frappes nucléaires .
Cette dispersion physique suppose une grande
mobilité tactique, des capacités de transport aérien tactique - le
potentiel des hélicoptères fait l' objet d' études approfondies - et des
moyens de communication et de commandement performants .
De ATFA - 1 à la réforme " pentomique ", en passant
par PENTANA, qui vise le long terme, ces réorganisations s' appuient sur
toute une série d' exercices ( Follow Me, Blue Bolt, Sage Brush, Eagle
Wing, Quick Strike, Swift Strike ... ) et de wargames .
Le modèle " pentomique " est sans doute le plus
radical, qui comprend 5 " Battle Groups ", disposés en pentagone, très
espacés les uns des autres et complètement autonomes - ils ont absorbé
les niveaux brigade et bataillon - afin de réduire la vulnérabilité au
feu nucléaire et de permettre à la division de continuer le combat même
après des pertes sévères .
Lancé en 1956 par le général Taylor, le concept
donne lieu à différentes réorganisations qui ne produisent pas les
résultats escomptés, faute de manoeuvres assez poussées, mais surtout
parce que la technologie et l' argent nécessaires font défaut : sur sa
lancée des années précédentes, l' Army continue d' acquérir massivement
des armes nucléaires tactiques ( 43 % de son budget en 1956 ) et ne peut
investir dans des technologies de pointe en matière de communications .
En l'absence de ces dernières - la technologie
fondamentale n' était de toute façon pas suffisamment avancée -, les
échelons de commandement " pentomiques " ne peuvent efficacement
contrôler leurs unités .
Finalement, devant des critiques internes
grandissantes et confrontée à la possibilité de nouveaux engagements
américains en Asie du Sud-Est, l' Army abandonne en 1958 le concept "
pentomique " et lance l' année suivante MOMAR I, étude nouvelle qui
envisage une mécanisation massive de toutes les unités .
L' Army adopte en 1964 une structure divisionnaire
beaucoup plus traditionnelle, proche de la structure de la Seconde
Guerre mondiale, dite ROAD .
Cette série d' échecs est intéressante à quatre
niveaux différents : elle illustre premièrement la difficulté d' une
réforme en profondeur, pourtant menée en interne par l' institution elle
-même .
En second lieu, elle montre, dans des conditions
technologiques il est vrai très différentes de celles qui prévalent
aujourd'hui, à quel point il est difficile de conserver réactivité,
puissance offensive et solidité défensive avec un dispositif très
dispersé .
De façon incidente, l' expérience a ancré dans de
nombreux esprits la notion que les méthodes éprouvées étaient bien
préférables à des " concepts " peut-être innovants, mais qui faisaient
courir un risque inutile d' échec catastrophique ; le camp des
traditionalistes en sort renforcé, même si le processus de réforme
produit quelques innovations isolées, en l'espèce les unités héliportées
.
Enfin, parce que ces réformes en cascade -
pratiquement une par an - sont d'abord politiquement motivées, elles
imposent à un processus par nature délicat un rythme et un calendrier
irréalistes compte tenu de les contraintes propres de l' innovation
militaire .
Une réforme qui a pour objectif , dans un contexte
stratégique donné , de prouver l' utilité de l' institution dans la
compétition interservice court en effet le risque d' être conduite trop
rapidement et d' entraîner des résultats décevants sur un plan
strictement opérationnel .
La défaite vietnamienne
L' engagement vietnamien représente une étape
essentielle dans l' évolution de l' institution, non seulement parce que
il marque les limites du " American / Army Way of War ", mais aussi en
raison de les " leçons " générales qu' en retire l' armée .
En ce sens, et quel que soit l' intérêt militaire du
conflit, ce sont bien ses conséquences sur les rapports
civilo-militaires et les conceptions dominantes au sein de le corps des
officiers qui s' avèrent déterminantes sur le long terme .
L' arrivée au pouvoir de John Kennedy , convaincu
qu' il faut vaincre les guérillas communistes sur leur propre terrain et
que la stratégie de les représailles massives n' est pas crédible,
replace l' Army au centre de les préoccupations stratégiques américaines
.
Le nouveau président insiste en particulier sur l'
importance des forces spéciales et sur ce que l' on appelle alors la "
contre-insurrection " .
Cependant, et malgré la création des Bérets verts,
l' Army globalement ne suit pas, à peine remise d' une décennie d'
expérimentations tous azimuts et focalisée sur le combat de haute
intensité réclamé par la nouvelle stratégie de " riposte graduée " .
Réorganisée sur le modèle ROAD, elle n' engage qu'
une seule innovation importante, cette fois couronnée de succès : la
création en 1964 de la première unité de combat héliportée, la 11e Air
Assault Division, rebaptisée First Cavalry Div ., Airmobile, en dépit de
les réticences des traditionalistes et de la résistance acharnée de l'
Air Force, qui entend se réserver le monopole du ciel .
S' appuyant précisément sur le concept d'
enveloppement vertical ", la First Cav . et les unités héliportées
remportent tout d'abord une série de succès ( engagement de Ia Drang,
octobre - novembre 1965 ) grâce à l' extraordinaire mobilité conférée
par les hélicoptères .
En réaction, le Nord-Vietnam et le Viêt-Cong
repassent en " phase 2 " dans la " guerre révolutionnaire ", soit des
opérations de guérilla qui visent à harceler l' ennemi, jouent sur la
durée et évitent les engagements majeurs .
Or, et quoi qu' on pense des errements de la
stratégie générale décidée par les autorités politiques ou de la
campagne de bombardements du Nord-Vietnam, il est tout à fait clair
rétrospectivement que l' Army n' a fait preuve d' aucune imagination
tactique lors de les opérations menées au Sud .
A cet égard, le manque d' intérêt des plus hautes
autorités de l' Army à l'égard de les guerres de basse intensité en
général , et de la spécificité de le conflit vietnamien en particulier ,
se traduit par une myopie tactique et une rigidité dans l' organisation
qui exercent des effets dommageables pendant tout le conflit .
Celui -ci prend systématiquement la forme d'
opérations de ratissage ( search and destroy ops ) qui donnent de bien
maigres résultats, malgré des pertes en augmentation et de très
importants dommages collatéraux .
C' est qu' en effet l' Army se refuse à employer les
méthodes éprouvées de lutte anti guérilla, telles que la dispersion des
unités, le quadrillage du pays et la protection des populations, tout en
cherchant en vain à obliger son adversaire à livrer et à perdre une
bataille décisive, ou du moins une succession d' engagements si coûteux
que l' armée nord-vietnamienne ne pourrait progressivement plus
poursuivre la lutte .
C' est le fameux " cross-over point ", point de
rupture à partir duquel les ressources humaines ennemies doivent aller
en déclinant .
Il s' agit d' une pure stratégie d' attrition, qui
passe notamment par une application indiscriminée de la puissance de feu
américaine, ce qui logiquement produit de nombreuses pertes civiles, et
donc sert la propagande et le recrutement menés par le Viêt-Cong, tout
en poussant les officiers américains à exhiber des " résultats " mesurés
à l' aune du " body count ", ou décompte des cadavres .
Défaut supplémentaire, l' Army a conservé le
déplorable système de rotation des unités et des hommes hérité de la
Seconde Guerre mondiale, dont les effets pervers sont encore amplifiés
par les appréhensions politiques de Lyndon Johnson, qui refuse d'
appeler les réserves et se contente d' amplifier le draft .
Il en résulte une absence préjudiciable de cohésion
des unités de base, ainsi que une insuffisance de personnels formés : l'
essentiel des conscrits expérimentés repartent après un " tour ", soit
une année .
au final, ce sont les milices sud-vietnamiennes et
les actions de la CIA ( opération Phoenix ) qui s' avèrent les plus
efficaces contre le Viêt-Cong, tandis que le général Westmorland se
contente de persévérer avec la même stratégie générale d' attrition en
réclamant davantage de troupes .
Comme on le sait désormais, ce n' est finalement qu'
à l'occasion de l' offensive du Têt, lancée délibérément en 1968 par
Hanoi, que le cross-over point est atteint en ce qui concerne du moins
le Viêt-Cong, l' armée nord-vietnamienne étant alors obligée de prendre
le relais .
A ce stade, toutefois, l' offensive a produit ses
effets politiques, et les Etats-Unis commencent à se désengager .
La montée des tensions politiques en Amérique , et
en particulier sur les campus , pousse d'ailleurs Johnson puis Nixon à
envoyer majoritairement au Vietnam, et plus encore en première ligne,
des recrues provenant des classes défavorisées et donc des minorités
ethniques, amplifiant ainsi les pratiques de la Seconde Guerre mondiale
.
Ressentie comme une injustice, ce système de
recrutement se conjugue à la détérioration de la situation sur le
terrain pour produire une nette dégradation du moral des troupes, au
point de menacer la viabilité du contingent présent au Vietnam : la
révolte contre les officiers, les nombreuses occurrences de fragging, l'
usage répandu des drogues, bref toutes les images traditionnellement
associées à la guerre du Vietnam dans les représentations communes,
correspondent précisément aux années 1969 et 1970 .
A la fin de l' engagement vietnamien, l' Army est au
bord de la décomposition : certains de ses éléments sont en révolte
ouverte, le corps des officiers a l' impression d' avoir été trahi par
l' arrière ", et les Etats-Unis, singulièrement l' armée de terre,
viennent de subir leur " première " défaite .
La débâcle se conclut logiquement par l' abandon de
la conscription et la constitution d' une armée de métier qui,
d'ailleurs, peine considérablement à attirer des volontaires de qualité
pendant toute la décennie, tant l' image de l' institution a été ternie
pour longtemps .
au terme de ce bref rappel historique, il convient
de souligner tout ce que la défaite a de déstabilisant pour l'
institution : au Vietnam, ce ne sont pas seulement les défauts
traditionnels de l' armée qui ont joué contre elle, puisque même ses "
points forts " l' ont en quelque sorte trahie ; à tout prendre, le
système de gestion du personnel est sans doute moins à blâmer que le
choix irréfléchi d' une stratégie d' attrition, spécialement inadaptée à
un contexte de guérilla .
De la rénovation au triomphe
La défaite vietnamienne est l' occasion pour l' armée de
terre d' une introspection poussée et d' un retour aux sources
intellectuelles .
Si les conséquences politiques de cette remise en
question en viennent à obérer durablement la flexibilité de l' Army , les
avancées doctrinales et qualitatives qui marquent la période n' en sont pas
moins bien réelles .
Le retour à la " grande guerre " et ses conséquences
Dans la foulée du Vietnam, les années 1970
permettent à l' Army d' engager une autocritique qui prend des allures
d' examen de conscience .
Les " leçons " politiques et opérationnelles que l'
institution tire de son engagement vietnamien participent toutefois
davantage d' une reconstruction a posteriori que d' une analyse
objective de la réalité historique, perdue au milieu de controverses
multiples .
Cet exercice d' introspection débouche sur la
reconstitution d' une force à maints égards " traditionnelle " .
En parallèle, s' est fait jour une sorte de
perception communément admise ( conventional wisdom ), qui pèse encore
aujourd'hui sur les marges de manoeuvre internes de l' Army et, plus
généralement, sur les rapports civilo-militaires .
L' abandon de la conscription ne se fait pas au
profit de une armée professionnelle plus facile à engager politiquement,
bien au contraire .
Retenant du Vietnam l' insuffisant soutien des
autorités politiques et les effets pervers d' un engagement qui ne dit
pas son nom, la hiérarchie militaire, toutes armées confondues ,
entreprend de se structurer de telle sorte qu' il soit impossible à
l'avenir pour le président des Etats-Unis d' engager des moyens
militaires de manière graduelle en espérant éviter un débat public sur
le sujet .
Pour ce faire, les trois Services imbriquent
ensemble les forces d' active et les réserves, délégant à ces dernières
une bonne partie des fonctions de soutien jusqu' à rendre pratiquement
infaisable d' engager les premières de façon significative sans
mobiliser les secondes - concept " Total Force " .
L' Army en particulier n' est pas optimisée pour l'
emploi discret et immédiat de ses capacités : la fin du Vietnam, le
passage à la all-volunteer force et la refocalisation sur le théâtre
européen favorisent des structures, des équipements et une mentalité
spécifiques, très orientés sur la " grande guerre " et très réservés
quant à d' éventuelles " aventures " sur des théâtres secondaires ou des
réformes doctrinales risquées .
La critique de la responsabilité politique n'
affecte pas seulement l' organisation des forces, mais influence
également l' attitude d' ensemble des officiers vis-à-vis des rapports
civilo-militaires en général et de l' usage de la force en particulier .
Les " civils " sont considérés avec méfiance, pour
ne pas dire hostilité, et le corps des officiers adhère progressivement
à ce que l' on pourrait appeler une " théorie prussienne " des rapports
entre autorité politique et hiérarchie militaire .
En lieu et place de la " théorie classique " (
exposée par exemple par Samuel Huntington dans The Soldier and the State
et encore d' actualité aujourd'hui en Europe ), cette théorie
révisionniste, entièrement dérivée de le Vietnam , considère que les
militaires doivent assumer la direction d' ensemble des opérations, dès
lors que les politiques ont opté pour le recours à la force .
Il s' agit d' éviter à la fois l' usage "
gesticulatoire " ( signaling ) des capacités militaires et le "
micro-management " des opérations elles -mêmes .
Si elle pose en principe une séparation nette des
responsabilités ( le politique décide du " pourquoi " et du moment, le
militaire du " comment " ), cette théorie a une tendance naturelle à "
déborder " de son cadre : sous prétexte de conseiller le politique quant
à les modalités du recours à la force et au bien-fondé des différentes
options, les militaires en viennent à se prononcer sur le bien-fondé de
l' usage de la force .
On en veut pour preuve l' analyse de la défaite
américaine au Vietnam opérée par le colonel Harry Summers, dont l'
ouvrage, On Strategy, sous couvert d' un retour à Clausewitz, développe
une critique sévère de la gestion du conflit par les politiques et met
en forme ce nouveau " prussianisme " .
Depuis sa publication, l' ouvrage représente
d'ailleurs une véritable " bible " pour les officiers et est inclus dans
la liste de lectures obligatoires dans le cursus de l' Army .
Ravivée par l' expérience malheureuse du Liban (
1983 ), cette conception du rôle des armées en général et de les forces
terrestres en particulier est formalisée une première fois dans ce qu'
il est convenu d' appeler la " doctrine Weinberger " ( 1984 ), appelée à
devenir la " doctrine Powell " quelques années plus tard .
Y est posée une série de principes destinés à guider
le politique en circonscrivant les conditions légitimes d' emploi de la
force au regard de la rationalité militaire .
Ces principes sont au nombre de six :
des intérêts vitaux, américains ou alliés ,
doivent être en jeu ;
la victoire, à le sens classique et militaire de
le terme , doit être explicitement recherchée ;
les objectifs politiques et militaires doivent
être clairement formulés, afin de éviter toute évolution
involontaire et imprévue de la mission ( mission creep ) ;
il faut engager d'emblée un volume suffisant de
forces, afin de éviter l' escalade et l' enlisement ;
en préalable à l' intervention, le pouvoir
exécutif doit obtenir de la part de le Congrès et de l' opinion une
" assurance raisonnable " de soutien ;
la force ne doit être utilisée que comme ultime
recours .
A l'évidence, il s' agit là de conditions
extrêmement restrictives, qui excluent pratiquement toute intervention
autre qu' une guerre classique autorisant un usage illimité de la force
.
Particulièrement en faveur auprès de l' Army, la
doctrine Weinberger légitime ex post les préférences a priori de l'
institution pour la " grande guerre " et les théâtres majeurs de la
guerre froide : en quittant l' Asie de le Sud-Est , l' Army est
instantanément refocalisée sur ce qu' elle estime être son " coeur de
métier " et sa raison d' être, le combat de haute intensité .
Autrement dit, l' armée américaine a pour mission de
se préparer à contrer une avancée soviétique dans les zones où elle est
déjà présente via des prépositionnements massifs d' unités et d'
équipements ( Europe, Corée du Sud ) ; le " reste " est du ressort des
Marines et de l' Air Force .
AirLand Battle " et le renouveau doctrinal de l' US
Army
Très affirmé dès que le primat de la grande guerre
et des spécialités correspondantes semble menacé, ce conservatisme s'
accompagne toutefois au long de la période d' un réel effort matériel et
intellectuel pour faire face à la supériorité conventionnelle attribuée
aux forces du pacte de Varsovie .
Bien que l' amélioration de la qualité des
personnels ne s' opère que lentement, et que les résultats opérationnels
soient en demi-teinte ( échec retentissant de l' opération " Desert One
", demi-succès de la Grenade ou de Panama ), l' Army lance pendant cette
période tous les armements majeurs appelés à connaître la consécration
lors de la guerre du Golfe : missiles antichars TOW, chars M1 Abrams,
véhicule de combat d' infanterie Bradley, hélicoptères Apache et jusqu'
au système antimissile Patriot .
Tous ces programmes sont d'abord conçus dans la
perspective d' un affrontement conventionnel en Europe contre le pacte
de Varsovie : le développement des forces nucléaires soviétiques à tous
les niveaux ( stratégique, intermédiaire et tactique ) durant les années
1960 et 1970 rend en effet délicat, aux yeux des responsables de l'
OTAN, de se reposer sur la seule dissuasion pour contrebalancer l'
avantage conventionnel soviétique, qui paraît d'ailleurs aller en s'
accroissant .
Par-delà les nécessités de la stratégie générale de
" riposte graduée ", ces développements procèdent également, on l' a vu,
des préférences profondes de l' institution .
Au niveau de l' organisation et de la doctrine, les
décennies postérieures à le Vietnam donnent lieu à une renaissance
remarquable .
Le thème dominant tient en une formule simple : "
Fight outnumbered and win ", combattre en situation d' infériorité mais
gagner .
Outre les équipements majeurs mis en chantier à
l'époque , la réponse à le défi soviétique passe par une refonte
doctrinale en plusieurs étapes : création en 1973 d' un centre de la
doctrine ( TRADOC ) sous la direction du général DePuy, redécouverte des
" classiques " de la littérature stratégique comme Clausewitz,
publication du FM 100 - 5 ( Field Manual, operations ) Active Defense en
1976, et dans la foulée lancement de DRS, nouvelle étude de
réorganisation divisionnaire ...
C' est dans ce contexte qu' intervient la querelle
opposant " traditionalistes " et " partisans de la guerre de manoeuvre
", les seconds reprochant aux premiers de s' en tenir à une " pure
logique d' attrition " .
A la suite de ces controverses, l' attrition désigne
dans le vocabulaire américain contemporain l' application linéaire de la
puissance de feu et plus généralement des moyens matériels : dans cet
échange qui obéit grosso modo aux lois de Lanchester, la victoire va à
la partie qui dispose des réserves les plus nombreuses, à moins de un
différentiel qualitatif considérable .
A ce jeu -là, comme le soulignent les critiques des
" maneuverists " à l'encontre du FM de 1976, les forces occidentales
sont forcément perdantes face à la supériorité mécanisée soviétique, et
la pire des solutions consiste à leur laisser l' initiative en se
cantonnant à une stratégie défensive, même " active " .
En sens inverse, ils proposent d' adopter le
paradigme de la " guerre de manoeuvre ", qui repose tactiquement sur la
recherche d' avantages de position, et à l'échelle de le théâtre sur des
pénétrations audacieuses, sur le modèle des campagnes napoléoniennes et
surtout du blitzkrieg allemand ; il s' agit, par une prise de risque
calculée, de provoquer un " choc opératif " dans le système adverse et
d' obtenir des résultats disproportionnés ( non linéaires ) au regard du
rapport de force quantitatif .
Au niveau tactique comme au niveau opératif, il s'
agit également de " saturer " le système de commandement adverse en le
prenant systématiquement de vitesse ; en bref, rechercher et exploiter,
dans l' espace comme dans le temps, les points faibles de l' adversaire
.
Sous la direction du général Starry, qui a remplacé
DePuy, l' édition de 1982 de le FM 100 - 5 reprend partiellement à son
compte les préceptes du " maneuver warfare " ou style de guerre
manoeuvrier .
Ce paradigme doctrinal se répand sûrement tout au
long de les années 1980, au sein de le corps des officiers comme
d'ailleurs auprès de les Marines ou des alliés de l' OTAN . D' un point
de vue pratique, cependant, il s' agit d' un succès en demi-teinte, dans
la mesure où les stratégies opérationnelles retenues, " AirLand Battle "
au sein de les forces américaines et " doctrine Rogers " au sein de l'
OTAN, doivent autant à la technologie qu' au paradigme de la guerre de
manoeuvre .
En se proposant de détruire les second et troisième
échelons soviétiques par des frappes dans la profondeur, conduites par
l' Air Force ou par ses propres systèmes à longue portée ( ATACMS ,
Apache ), l' Army entreprend bien de synchroniser les capacités de ses
divisions au niveau opératif, mais elle tire surtout parti des
possibilités offertes par des technologies déjà en place à l'époque :
munitions aériennes de précision, sous-munitions antichars délivrées par
l' artillerie à longue portée, etc .
En parallèle à " AirLand Battle ", le général Starry
lance en 1978 les initiatives " Army 86 " et " Division 86 ", qui
concernent l' organisation et les structures de force .
Fondée sur des analyses et des expérimentations
approfondies, " Army 86 " propose deux modèles ( Heavy Division 86 et
Infantry Division 86 ) qui se situent dans le prolongement des divisions
ROAD toujours en vigueur, mais incorporent des capacités supplémentaires
tout à fait significatives .
Avec 20 000 hommes et une brigade d' hélicoptères d'
attaque, la Heavy Division 86 est véritablement conçue pour répondre en
profondeur à l' offensive échelonnée prônée par la doctrine soviétique ;
bien que approuvé, le plan est toutefois revu à la baisse faute de
moyens suffisants ( hommes, équipements ) et d' argent, et c' est une
version réduite qui est finalement appliquée par le plan " Army of
Excellence " ( 1983 ) .
Censée servir sur n' importe n' importe quel théâtre
d' opérations, la division d' infanterie doit répondre aux impératifs
suivants : mobilité, flexibilité et puissance de feu accrue, ce qui veut
dire concrètement être aérotransportable en C - 141 et pouvoir résister
à une unité ennemie dotée de chars T - 72 .
des résultats mitigés et un coût là encore
prohibitif conduisent à l' abandon pur et simple du projet - il convient
toutefois de souligner la ressemblance frappante, en termes d'
objectifs, entre ce projet et l' actuel plan Shinseki .
La rançon de cette intense focalisation sur la
problématique de le " front central " se manifeste rapidement, dès la
fin des années 1970 : face à les percées soviétiques dans le
Tiers-Monde, l' Army ne dispose pas de forces à la fois facilement
projetables et capables d' infliger un coup d' arrêt à l' adversaire .
Les années 1980 sont ainsi le théâtre d'
expérimentations diverses, tant au niveau de les matériels que des
organisations, afin de mettre sur pied une division légère qui soit
viable .
C' est dans ce cadre qu' est tout d'abord lancé en
1980 le projet HTLD de " division légère technologique " ( Hi-Tech Light
Division ) : il s' agit de protéger le golfe Persique face à une
éventuelle attaque-éclair soviétique depuis l' Afghanistan, en mettant
sur pied une organisation radicalement nouvelle fondée sur l'
exploitation de technologies émergentes, en particulier un véhicule
léger, donc déployable par avion, mais doté d' une réelle capacité
antichar ( Armored Gun System ) .
Après trois ans de recherches et d'
expérimentations, et parce que il est clair que les technologies
requises n' arriveront pas à maturité avant au moins une décennie, le
général Wickham propose un projet moins ambitieux et plus classique, le
développement de la HTMD, division motorisée mixte ( une brigade lourde
toutes armes, une brigade légère toutes armes et une brigade d'
infanterie ) censée combler le " trou " entre divisions légères et
divisions lourdes .
Une fois encore, les problèmes pécuniaires et
technologiques conduisent au démantèlement du projet .
Tout comme Infantry Division 86, ces tentatives
répétées présentent de nombreux points communs avec l' actuel plan
Shinseki : il s' agit de pouvoir déployer rapidement et sur de grandes
distances une force terrestre apte à conduire, en conjonction avec les
autres Services, une action retardatrice avant l' arrivée des forces
lourdes .
A l'époque comme aujourd'hui, la technologie est
envisagée comme un moyen de compenser l' infériorité organique des
forces légères en termes de protection et de puissance de feu .
Malgré les insuffisances de certains matériels, le
concept est loin de manquer d' intérêt et préfigure à maints égards les
solutions proposées aujourd'hui .
au final, le poids institutionnel des heavies, ou
armes lourdes ( armée blindée cavalerie , infanterie mécanisée ,
artillerie ), mais surtout le manque d' argent et l' immaturité de les
technologies requises empêchent ces projets d' aboutir .
au terme de toutes les expérimentations menées entre
1975 et 1985, l' armée se rabat sur le plan " Army of Excellence " (
1983 ), qui comprend une version allégée du projet Division 86 pour les
unités lourdes, développe les moyens de commandement au niveau de les
corps et tranche le problème insoluble des unités légères en créant de
pures divisions d' infanterie à spécialité " géographique " ( par
exemple la 10e Light Infantry Division - Mountain ) .
Avec des effectifs réduits ( 10 000 hommes ),
dépourvues de véhicules et dotées d' une autonomie logistique de 48
heures, ces divisions ne demandent que 450 sorties aériennes pour être
déployées mais sont explicitement réservées à des missions de basse
intensité .
Leur faiblesse intrinsèque suscite d'ailleurs, au
sein de l' Army comme en dehors, des critiques nourries qui dénoncent
tantôt leur inutilité en situation de combat, tantôt leur faible
autonomie .
Quatre de ces divisions sont progressivement mises
en place .
En définitive, et en dépit de une application en
demi-teinte des avancées doctrinales, les années 1980 s' achèvent par
une incontestable amélioration de l' Army : les efforts en matière de
recrutement ( augmentation des salaires, campagnes de publicité ), d'
entraînement et de matériels portent leurs fruits et les forces
terrestres qui sont envoyées dans le Golfe en 1990 sont probablement les
plus homogènes et les meilleures jamais constituées par les Etats-Unis
.
Desert Storm " : un triomphe contesté
La guerre du Golfe représente un triomphe collectif
pour les forces armées américaines .
Dans la perspective de l' Army, les opérations, et
en particulier la phase terrestre , dite " guerre de les 100 heures " ,
consacre le bien-fondé de la plupart des initiatives précédentes : les
Abrams comme les Apache apportent la preuve de leur supériorité complète
sur les matériels soviétiques présentés comme comparables, les troupes
font une démonstration de professionnalisme et le haut-commandement de
l' Army n' oublie pas de souligner l' importance du fameux " mouvement
tournant gauche " ( left hook ) accompli par le VIIe corps avec le
XVIIIe corps en flanc-garde .
A y regarder de plus près, toutefois, il s' agit d'
un triomphe de courte durée .
il il efface bien le " syndrome vietnamien " et
restaure le prestige des " armes américaines ", les analyses
postérieures font apparaître l' infériorité patente de l' adversaire à
tous les niveaux imaginables : commandement, équipement, formation de la
troupe, motivation, sans parler bien entendu de l' écrasante supériorité
aérienne et " électronique " - on ne dit pas encore " informationnelle "
- des alliés .
La manoeuvre de flanc est d'ailleurs un échec, dans
la mesure où l' attaque du Marine Corps le long de la côte, bien loin de
" fixer " les Irakiens, donne à Saddam Hussein le signal de la retraite
générale : pris de vitesse, le mouvement tournant frappe dès lors
largement dans le vide et ne rencontre sur sa route que les unités
délibérément placées en flanc-garde par le dictateur irakien afin de
sauver ce qui peut l' être de son armée .
En définitive, l' objectif militaire consistant à
enfermer l' armée irakienne et à détruire la Garde républicaine - avec ,
sans doute , en arrière-plan l' intention de faire chuter le régime par
ce biais - n' est pas atteint, et n' aurait sans doute pas pu l' être,
sauf à engager des opérations de grande envergure dans les zones
habitées de l' Irak, Bassorah en particulier .
Quelles qu' aient pu être les insuffisances de l'
opération, elles importent moins cependant que ses retombées au niveau
de les perceptions .
La " guerre de les 100 heures " a en effet été
précédée, dans tous les sens de cette expression, par une campagne
aérienne de six semaines sans équivalent dans l' histoire .
Le paradoxe n' est pas mince, qui veut que " Tempête
du désert " marque à la fois l' apogée de l' Army de l' après-Vietnam, à
dire vrai son premier triomphe militaire depuis 1945, et " lance " dans
le même mouvement le thème et l' école de la RMA, qui jouent dans un
sens globalement défavorable aux intérêts de l' institution .
Ce paradoxe se résout toutefois, dans la mesure où
cette même guerre du Golfe a représenté un triomphe bien plus grand
encore pour l' Air Force, et a véritablement relancé les débats autour
de l' Air Power " .
La première moitié des années 1990 est ainsi le
théâtre d' une importante littérature sur le conflit de 1991 qui, dans
l' ensemble, s' attache à souligner l' arrivée à maturité " ( the coming
of age ) de l' arme aérienne et prend parti plus ou moins nettement en
faveur de la nouvelle version de l' Air Power ", telle que présentée,
par exemple, par John Warden, lui -même à l'origine du plan de
frappes
Instant Thunder " .
Cette controverse est non seulement le fait des
partisans attitrés de l' Air Force, mais elle reçoit encore une sanction
presque officielle avec le lancement de la Gulf War Air Power Survey,
étude approfondie sur le modèle de celles conduites après la Seconde
Guerre mondiale - rien de tel n' a en revanche été produit au profit de
les opérations terrestres .
Très peu de temps après la guerre du Golfe, l' Army
redécouvre ainsi, selon la formule popularisée durant les années 1950,
que " le véritable ennemi, c' est l' Air Force " .
De fait, le déroulement de cette campagne a
instantanément placé l' armée de terre dans une position défensive dont
elle n' est en réalité pas sortie depuis lors .
A ce constat amer, s' ajoute encore la douloureuse
réduction de format consécutive à la fin de la guerre froide et
entreprise dans la foulée du Golfe : en quelques années, l' armée perd 8
divisions sur 18 et se redéploie massivement vers le territoire
américain .
Conclusion : la " culture " de l' US Army et les
leçons objectives des réformes passées
Après avoir passé en revue cinquante ans d' histoire
de l' Army, deux séries de considérations semblent s' imposer, qui ont
trait respectivement à la culture de l' institution et aux
caractéristiques des processus de réforme réussis .
Le succès de la guerre du Golfe tranche avec tous
les engagements précédents de l' Army : il s' agit d' une opération de
haute intensité, reposant sur une logistique impressionnante et un usage
extensif de la puissance de feu, s' inscrivant enfin dans un cadre
politique clair, qu' il s' agisse des objectifs fixés par le politique,
du déroulement de l' intervention ( début et surtout fin ) ou du soutien
de l' opinion américaine .
En d'autres termes, " Tempête du désert "
représente, en accord d'ailleurs avec la volonté explicite de la
hiérarchie militaire, un véritable " retour aux sources ", en
l'occurrence l' expérience réussie et transfigurée en modèle de la
Seconde Guerre mondiale .
Et c' est cette orientation qui constitue la culture
de l' Army, son " coeur de métier " historique et la définition minimale
commune à la plupart de ses membres, par-delà les revirements des "
stratégies de sécurité nationale " et les réorganisations successives .
A ce propos, il convient de souligner que les
réformes les plus réussies, telles que ROAD ou Army of Excellence, se
sont toutes situées dans la perspective de la " grande guerre " ; a
contrario, les forces américaines et l' Army tout spécialement ont
exhibé des difficultés plus ou moins marquées dès lors qu' il s' est agi
d' intervenir dans le cadre de guerre limitées, telles qu' opérations de
stabilisation mélangeant civils et combattants, guerres de guérilla ou
même guerre classique circonscrite dans certaines limites ( Corée ) .
Résultant de cette histoire singulière en même temps
que elles la renforcent, les doctrines Weinberger et Powell sont à la
fois l' écho de ces préférences au niveau stratégique et l' expression
d' un modèle idéal de relations avec l' autorité politique qui traduit
au fond une méfiance considérable à l'égard de cette dernière .
Parce que elles desservent souvent l' Army dans la
routine des querelles interservices, ces relations civilo-militaires
tendues contribuent plus d' une fois à une absence de soutien politique
et budgétaire, dommageable lors de les tentatives de réforme - ce n' est
guère qu' en situation de conflit à grande échelle que l' Army prend le
pas sur ses rivales, pour retomber derrière l' Air Force après la Corée
ou le Vietnam, ou derrière la Navy lors de le build-up reaganien .
Ce manque de soutien politique paraît d' autant plus
curieux de prime abord que l' Army a multiplié, tout au long de la
période, les tentatives de réforme - on ne compte pas moins d' une
vingtaine de projets de réorganisation divisionnaire .
De cette fois on de plans et de réformes émergent
quelques régularités : l' innovation " prend " mieux en temps de paix,
car elle réclame du temps et de multiples expérimentations ; la
transformation des organisations, des structures et de la doctrine
fonctionne lorsqu' elle est graduelle, qu' elle rencontre un large
soutien dans le corps des officiers et s' appuie sur des concepts
éprouvés ainsi que sur des matériels existants, au moins au niveau de la
technologie .
C' est notamment la cas du projet Division 86, très
bien pensé .
En sens inverse, un écart trop important entre les
ambitions et les moyens ( Army 86 ) , et surtout la précipitation
engendrée par des motifs politiques ( modèle " pentomique " ) et le
développement de concepts anticipant sur les avancées technologiques (
HTLD ) produisent invariablement de mauvais résultats .
Enfin, succès ou échecs, ces réformes présentent des
points communs frappants avec le plan Shinseki : depuis cinquante ans,
l' Army cherche en effet à améliorer simultanément la puissance de feu (
lethality ), la mobilité stratégique ( deployability ) et tactique et la
flexibilité, entre autres logistique ( sustainability ) .
Si, à certains égards, ce sont là de les objectifs
constants à travers l' histoire et communs à de nombreuses organisations
militaires , et si , en parallèle , le combat de haute intensité contre
les forces soviétiques a dominé durant la guerre froide , le problème de
le déploi ont pas moins constitué une préoccupation récurrente de l'
Amérique et de son armée, prisonnière de la situation géographique
particulière du pays .
Concernant les solutions proposées, la filiation est
tout aussi nette et, depuis les années 1970 particulièrement, l' Army
attend des avancées technologiques qu' elles lui permettent d' échapper
autant que possible à l' arbitrage entre déployabilité et capacité de
combat .
En définitive, et malgré l' évolution du
vocabulaire, l' Interim Brigade Combat Team ( IBCT ) actuellement en
développement s' inscrit dans une longue série de réformes, et il
convient de garder ce passé à l' esprit dans l' analyse du projet actuel
.
Une transformation brusquée
Dépositaire de cet héritage complexe et du succès
fraîchement acquis de l' opération " Desert Storm ", l' Army de les années 1990
se trouve confrontée à trois problèmes majeurs, qui ne se recoupent ni
chronologiquement, ni analytiquement .
Immédiatement après la guerre du Golfe interviennent les
effets de la fin de la guerre froide en termes de crédits et de volumes de
forces ; cette réduction de format s' achève à peu près vers 1995, avec une
armée de terre rognée de 40 % .
Dans la foulée, toutefois, les forces armées américaines
doivent faire face à la multiplication sans précédent des projections et des
interventions tout au long de la décennie ; du point de vue de l' Army, les
opérations de stabilisation sont particulièrement préoccupantes, étant donné les
effectifs qu' elles mobilisent dans la durée et les problèmes de gestion de
personnel qu' elles suscitent .
En toile de fond, enfin, le débat autour de la RMA s'
amplifie tout au long de la période, et l' accent mis sur les capacités de
frappe à longue portée place l' Army dans une position défensive .
En parallèle à ces développements extrinsèques, l' Army
conduit en interne deux projets de modernisation, " Force XXI " et " Army After
Next " .
ils sont bien, de la part de l' institution, une réponse aux
arguments avancés par l' école de la RMA, réponse qui mêle d'ailleurs rejet et
récupération de l' argumentaire " révolutionnaire ", ils n' en constituent pas
moins une démarche originale, articulée aux besoins et aux conceptions propres à
la " première force terrestre du monde ", comme l' armée américaine aime à le
rappeler .
Lancé en 1999, le plan Shinseki doit être interprété comme
le point de convergence des pressions externes et du processus interne ; reste à
mesurer l' importance de facteurs plus immédiats, le lancement de l' Interim
Force " ayant bien entendu pour fonction de faire taire les critiques suscitées
par les déboires de la " Task Force Hawk " quelques mois plus tôt, et celles,
non moins déstabilisantes, en provenance de le nouveau secrétaire à la Défense à
partir de 2000, Donald Rumsfeld .
Les années 1990 : défense et politique
L' héritage de la guerre froide se révèle être à double
tranchant : si, d' un côté, l' on retrouve pour partie dans le plan Shinseki
les expérimentations doctrinales et les tentatives de réorganisation de la
période précédente, de l' autre, la culture politique et stratégique de l'
Army constitue indéniablement un frein à l' adaptation de l' institution au
contexte nouveau de l' après-guerre froide .
Dans la foulée de la guerre du Golfe, la priorité des
militaires américains, toutes armées confondues , va à la préservation de l'
héritage des années 1980, qu' il s' agisse du format global de forces ou des
programmes en cours de développement .
En parallèle, les armées et tout particulièrement l'
armée de terre restent attachées à la doctrine Weinberger, bientôt
rebaptisée doctrine Powell, ainsi que au primat politique et doctrinal de la
grande guerre mécanisée .
L' Army nouveau modèle : guerre froide " lite !
"
Avec la fin de la guerre froide se profile pour l'
Army la hantise de l' armée creuse " : la fin de chaque conflit a été en
effet marquée par la démobilisation massive des forces terrestres .
En conséquence, loin de se lancer dans des
innovations ou dans des réorganisations ambitieuses, l' institution
consacre toute son énergie à défendre les acquis .
Dix ans plus tard, le succès obtenu paraît mitigé
.
La réduction du volume global de forces s' opère en
plusieurs étapes, de 1990 à 1997 ; plus que n' importe quel autre
facteur, ce sont les attentes économiques de l' électorat et la
contrainte budgétaire qui guident la restructuration .
Anticipée par l' Administration sortante, cette
réduction inévitable avait donné lieu à un premier plan, " Base Force ",
qui traduisait assez exactement les attentes des militaires en proposant
pour l' après-guerre froide un volume global de forces représentant 80 %
de celui des années 1980 .
Aussitôt au pouvoir, l' équipe de Bill Clinton met
au point la Bottom-Up Review, ou révision de fond en comble, qui se
traduit par une nouvelle diminution, moins prononcée que la première .
Au final, et parce que elle a été la plus touchée,
l' Army passe de 18 divisions en 1990 à 12 en 1995 ( format " Base Force
" ), puis à 10 aujourd'hui .
Outre le nombre de grandes unités, sont également
réduits au cours de les années 1990 les effectifs en hommes et en
matériels des divisions, en particulier blindées et mécanisées ; elles
comprennent aujourd'hui quelque 15 000 hommes, soit environ 3 000 de
moins que dans le format défini par " Army of Excellence " .
Concernant les équipements, la majeure partie de la
décennie 1990 se passe à améliorer les matériels existant, en faisant
premièrement en sorte que toutes les unités d' active soient dotées des
dernières versions des plateformes majeures ( chars Abrams, VCI Bradley,
hélicoptères Apache ), deuxièmement en poursuivant les programmes lancés
pendant les années 1980 ( canon Crusader¸ hélicoptère Comanche ) .
Si le processus s' opère le plus souvent au
détriment de les unités de réserve ( Army National Guard et Army Reserve
), qui héritent des équipements les plus vétustes, la fin de la décennie
voit à l' inverse la réorganisation de certaines unités de réserve, par
exemple celles désactivées quelques années avant comme la 24th mech, en
unités viables censées compléter les divisions d' active, partiellement
ou intégralement, au sein de les corps .
au terme, l' institution parvient, en dépit de les
réductions successives, à préserver l' essentiel : ses structures, sa
doctrine et ses principales unités, certaines d' entre elles en réserve
.
De la sorte, est garantie la possibilité théorique
d' une remontée en puissance, en cas de résurgence d' une menace majeure
.
Durant les années 1990, toutefois, ce n' est pas
tant l' éventualité d' une telle résurgence qui rend la réserve si
précieuse, mais plutôt les diverses " urgences " ( contingencies ), dans
les Balkans, à Haïti et ailleurs, qui nécessitent de faire appel aux
réservistes afin de soulager les unités d' active .
La multiplication sans précédent des opérations
extérieures de toute nature , de le maintien de la paix à les alertes
dans le golfe Persique , impose en effet à une structure quasiment
réduite de moitié par rapport à les années 1980 un rythme opérationnel (
operational tempo ou op-tempo ) difficilement soutenable,
stratégiquement comme humainement .
Avec au bout du compte seulement dix grandes unités
autonomes - les brigades doivent être considérablement " augmentées " en
moyens de commandement et autres avant d' être employées de façon
indépendante -, le rythme de rotation pose des problèmes considérables :
les personnels sont mécontents d' être si longtemps à l' étranger, ce
qui a une incidence négative sur le taux de réengagement ( personnel
retention ), et ils ne peuvent remplir les objectifs en matière de
entraînement ; sur le plan stratégique, enfin, les unités engagées dans
les Balkans ou ailleurs ne sont évi
Ainsi, dans un contexte de budgets déclinants, les
forces armées américaines , et l' Army au premier chef , sont obligées
de privilégier la disponibilité opérationnelle par rapport à la
modernisation, sans parler même d' innovation révolutionnaire ou de "
transformation " .
Pendant la majeure partie de la décennie écoulée,
les experts sont d'ailleurs nombreux qui dénoncent la " catastrophe en
préparation " ( the Coming Defense Train Wreck ) : de nombreux systèmes
d' armes ont atteint ou dépassé leur demi-vie ( quinze ans ou davantage
) et les crédits permettant de les remplacer par une nouvelle génération
ou du moins de les améliorer font défaut .
Fort logiquement , compte tenu de le vieillissement
de les matériels et d' un taux d' utilisation plus élevé en opérations ,
les frais de maintenance augmentent régulièrement .
En définitive, la période 1991-2000 laisse de
nombreux problèmes en suspens, et l' Army ne parvient à se sauvegarder
que sur le court terme .
La mort lente de la doctrine Powell
La préservation de l' héritage des années 1980 ne
concerne pas seulement le format et la structure des forces, mais aussi
leurs conditions d' emploi et plus généralement la nature des rapports
civilo-militaires .
La première moitié des années 1990 représente à
maints égards le triomphe du " conservatisme " décrit plus haut, et qui
est alors reformulé par Colin Powell, le très influent président du
Comité des chefs d' états-majors ( Chairman of the Joint Chiefs of Staff
) .
La " doctrine Powell " reprend ainsi les éléments de
la " doctrine Weinberger " en en soulignant les aspects militaires ( les
objectifs doivent être clairs et réalisables, la force doit être
utilisée comme dernier recours, mais de façon décisive, overwhelming
force selon la formule ) et en ajoutant la prise en compte des risques,
des conséquences à terme et de la situation finale ( end-state ) créés
par l' intervention .
Ces conditions si contraignantes qu' elles
restreignent pratiquement l' engagement militaire à la seule défense de
les intérêts vitaux sont répétées à plusieurs reprises au cours de les
années 1990 et font en réalité office d' arme politique aux mains des
républicains .
Trois expériences sont à cet égard formatrices : "
Desert Storm ", " Restore Hope " et les opérations de maintien de la
paix dans les Balkans .
Le contraste entre le succès de 1991 et l' échec
humiliant de 1993 semble de prime abord donner raison à Colin Powell et
à ses craintes concernant la sensibilité de l' opinion américaine à
l'égard de les pertes .
Les sondages effectués le lendemain de la mort de
les 18 rangers font pourtant davantage apparaître un désir de revanche
qu' une hyper-sensibilité aux pertes exigeant le retrait .
A court terme, toutefois, l' abstention l' emporte,
et les Etats-Unis choisissent de se désengager de Somalie et de rester
passifs face à le génocide rwandais comme à la situation en Bosnie .
L' institution militaire en général , Colin Powell
et le leadership de l' Army en particulier , jouent de tout leur poids
face à l' Administration démocrate, affaiblie par la question des
homosexuels dans l' armée comme par la Somalie ; c' est ainsi Colin
Powell qui met son veto à toute intervention américaine en Bosnie .
Dans la foulée, Bill Clinton rédige la Presidential
Decision Directive 25, ou PDD 25, qui explicite les conditions d'
engagement des troupes américaines dans des opérations de basse
intensité en reprenant pour l' essentiel à son compte les principes de
la doctrine Powell .
En réalité, et par-delà les vicissitudes entourant
l' opération commando contre Aïdid, le fiasco somalien résulte d'abord
de l' instrumentalisation politique qui en est faite par les
conservateurs, aussi opposés au président Clinton qu' au principe même
des opérations de stabilisation entreprises pour des intérêts "
marginaux " .
Ces réticences face aux diverses contingencies qui
apparaissent ça et là se poursuivent durant toute la décennie jusqu' au
Kosovo, et contribuent grandement à modeler ce que l' on peut appeler
rétrospectivement la " stratégie de l' ère Clinton ", qui privilégie
systématiquement les frappes aériennes et préfère ne pas engager de
moyens terrestres .
L' Army est tout spécialement attentive aux dangers
de l' engagement rampant ( mission creep ) et des pertes afférentes, et
se structure autant que elle le peut pour rendre, par avance, impossible
des interventions de ce type .
C' est dans cette perspective qu' il convient de
comprendre le principe de " force écrasante " et le primat des unités
lourdes : seul un déploiement massif est susceptible de minimiser les
risques pendant les opérations, et la lourdeur même ( logistique et
politique, puisque les réserves sont indispensables ) des forces
existantes assure qu' elles ne pourront être employées facilement, c'
est-à-dire lorsque des intérêts secondaires sont en jeu .
Dans ce cadre, les doctrines Weinberger et Powell
ont d'abord pour fonction de populariser ces préférences auprès de les
politiques et de l' opinion, jusqu' à enfermer l' Army dans un paradigme
d' emploi massif qui se révèle aussi inadapté que contre-productif .
Outre, en effet, la multiplication des opérations de
toute nature pendant les années 1990 , cette structuration massive
voulue par l' Army fait également le jeu des autres Services, et
singulièrement de l' Air Force, en les plaçant automatiquement en
première ligne, et donc dessert les propres intérêts de l' armée de
terre .
En dépit de menaces de retrait de moins en moins
crédibles parce que réitérées chaque année, l' engagement durable des
forces terrestres américaines en Bosnie à partir de 1995 , qui suit et
précède de près Haïti et le Timor, marque dans les faits la fin de la
doctrine Powell ; la crédibilité " stratégique " du Général est de toute
façon remise en cause, dans la mesure où il s' est systématiquement
opposé à toutes les interventions américaines, depuis Panama jusqu' à la
Bosnie, en passant par le Golfe en 1991 .
Or, de multiples facteurs politiques - solidarité
avec les alliés , pressions de l' opinion - se combinent pour rendre
intenable dans la pratique ce principe d' abstention quasi permanente .
En parallèle à l' abandon de la doctrine Powell, les
PKO ( Peace Keeping Operations ) font apparaître l' inadaptation des
structures et même des équipements de la " première force terrestre du
monde " : l' organisation divisionnaire ne facilite pas des déploiements
rapides, les brigades ne sont pas autonomes ; les engins comme l' Abrams
sont impressionnants mais dépassent le gabarit routier normal, et
éprouvent donc le plus grand mal à entrer dans les villages ou à
négocier les routes de montagne bosniaques que leurs chenilles
détruisent ...
Etant donné le contexte politique et l' attention
médiatique qui entourent les opérations de paix , il devient également
problématique de définir et plus encore d' appliquer des " règles d'
engagement " ( ROE ), c' est-à-dire d' ouverture du feu, qui limitent à
la fois les risques de " bavures " et de pertes militaires tout aussi
dommageables politiquement .
La combativité des troupes a enfin tendance à s'
émousser, et le rythme des rotations interdit le plus souvent un
ré-entraînement rigoureux au combat .
En bref, et si tous les contingents occidentaux
rencontrent peu ou prou ces problèmes, l' Army est singulièrement prise
à contre-pied : le combat de haute intensité pour lequel elle s' est
préparée et structurée joue en sa défaveur dès lors que la rapidité et
la souplesse de la réponse ( responsiveness ) priment sur la puissance (
decisiveness ) .
Estimant que des forces de combat peuvent effectuer
des missions de maintien de la paix au prix de quelques ajustement
mineurs, alors que l' inverse n' est pas vrai, l' institution préfère
néanmoins maintenir le cap tout en assurant au jour le jour les tâches
de maintien de l' ordre .
Plus profondément, toutefois, l' expérience des
Balkans explique que l' Army, contrairement à la Navy ou à l' Air Force,
ait pris, ou repris, conscience de la dimension humaine de la guerre et
de l' importance politique de la présence de troupes au sol : une
stratégie de frappes ne permet pas toujours de contrôler un territoire
habité, et il est des conflits qui ne se concluent pas avec les
opérations militaires offensives, mais nécessitent sécurisation et
reconstruction, c' est-à-dire occupation dans la durée .
Ainsi, et alors que les SSC ( Small-Scale
Contingencies ) représentent une contradiction flagrante avec les
aspirations doctrinales et stratégiques de l' Army, entièrement tournées
vers la " grande guerre ", elles n' en ont pas moins joué un rôle
décisif en préparant les esprits au plan Shinseki .
De " Task Force Hawk " aux " Rumsfeld Reviews " :
les tribulations politiques de l' Army
Par rapport à tous les facteurs et tendances à l'
oeuvre durant les années 1990, qui s' agrégeaient sans susciter pour
autant de crise majeure, il est clair que le fiasco de la " Task Force
Hawk " en avril 1999 a fait figure de réveil extrêmement brutal pour l'
armée de terre .
Il s' agissait pourtant de déployer en Albanie un
bataillon d' hélicoptères Apache, afin de les engager éventuellement au
Kosovo en sus des opérations aériennes alors en cours .
Non seulement la phase de déploiement s' est avérée
considérablement plus longue que prévue, mais encore elle a été ponctuée
par plusieurs incidents, dont la perte de deux hélicoptères et d' un
équipage .
au final, " Task Force Hawk " n' a tout simplement
pas été engagée, malgré un déploiement considérable : 6 200 hommes, 24
hélicoptères, une batterie MLRS, soit 26 000 tonnes d' équipement
acheminées par 442 rotations de C - 17 et 269 de C - 130 pour un coût de
480 millions de dollars .
A ce compte -là, l' Air Force et la Navy ont eu la
partie facile, et il suffit de parcourir la presse ou les articles
spécialisés de l' année 1999 pour constater que de plus en plus d'
experts ou de commentateurs s' interrogent sur la nécessité pour les
Etats-Unis de conserver une armée de terre importante, dès lors que les
moyens de frappe à distance et les Services correspondant démontrent une
réactivité supérieure et une capacité autonome à emporter la décision .
A l'évidence, les événements ne se sont pas déroulés
aussi simplement, et les raisons exactes qui ont poussé Slobodan
Milosevic à capituler font encore aujourd'hui l' objet de débats .
L' essentiel ne réside pas là, cependant, mais bien
dans la perception d' inutilité ( irrelevance ) qui s' est attachée à l'
Army et risque de lui coûter cher dans la bataille budgétaire à venir
.
Le Kosovo, en effet , a lieu un an avant les
élections générales, elles -mêmes suivies d' une seconde " Revue
quadriennale de défense ", d' un nouveau gouvernement et d' une
législature renouvelée ; pour la première fois depuis longtemps existe
donc l' opportunité d' un changement de stratégie et d' une réallocation
des crédits et des " rôles et missions " correspondant au sein de le
département de la Défense .
En bref, l' Army risque gros et ne peut se permettre
de donner l' impression qu' elle poursuit sur sa lancée ( " business as
usual " ) comme si rien ne s' était passé ; dans le contexte de l'
après-Kosovo, l' inertie ne peut qu' être politiquement dommageable
.
Ce point est d' autant plus important que les deux
candidats principaux ont, au moins rhétoriquement, fait allégeance à la
RMA et ont promis de moderniser l' appareil militaire américain .
George W. Bush , en particulier , en a repris l'un
des slogans les plus répandus, à savoir la nécessité de " sauter une
génération d' armements " .
En outre, son entourage semble clairement séduit par
les frappes à distance et très réticent à l' endroit des opérations de
stabilisation ; l' Army se retrouve donc attaquée " par le haut " et "
par le bas " .
L' arrivée aux affaires de Donald Rumsfeld ,
partisan convaincu de la RMA , se traduit d'ailleurs par le lancement
immédiat en 2001 d' une série de " revues " qui menacent tant les
programmes en cours que les structures de force : dans le cadre
budgétaire restrictif de l' avant - 11 septembre, le financement de la "
transformation militaire " proclamée a de fortes chances d' entraîner
une réduction du nombre de divisions terrestres .
Dans ce contexte politiquement chargé, et dont l'
urgence va croissant entre 1999 et 2001, l' Army n' a donc pas d' autre
choix que d' embrasser " intégralement la rhétorique de la RMA et de
proposer dans la foulée un projet " révolutionnaire " qui d'emblée
permette d' occuper le terrain " budgétaire, ce qui passe par des
acquisitions de matériels à très brève échéance, tout en remédiant aux
insuffisances mises en lumière par le fiasco albanais et en préservant
ce qui peut l' être des acquis doctrinaux des années passées .
L' Army entre modernisation progressive et ambitions
futuristes
Une fois absorbées les réductions de format consécutives
à la fin de la guerre froide, l' Army se retrouve simultanément confrontée à
la multiplication des interventions et à la montée en puissance de l' école
de la RMA, qui met en cause les formats, les doctrines et les équipements
existant .
Les exercices de réflexion et d' expérimentation lancés
par l' Army à partir de 1994 répondent pour partie à ces pressions, tout en
reflétant les choix propres de l' institution .
L' Army face à la RMA
Après 1995, et compte tenu des engagements
internationaux des Etats-Unis, on aurait pu croire finie la période de
réductions des forces et de diminution des crédits .
Il n' en a rien été dans les faits, comme le montre
la première QDR, lancée en 1997, et qui avait apparemment pour fonction
première de préparer les inévitables réductions de format que ne
manquerait pas d' entraîner après 2000 un budget de la défense stagnant
- de modestes réductions d' effectifs sont ainsi organisées à partir de
cette date .
C' est seulement à partir de 1999 que la bonne santé
de l' économie américaine et la disparition du déficit fédéral
convainquent l' exécutif, d'ailleurs sous la pression conjointe du
Congrès et des interventions en cascade, d' augmenter les crédits
alloués à la défense .
En ce sens, les premiers projets innovants lancés
par l' Army durant les années 1990 , " Force XXI " et " Army After Next
" , visent d'abord à préparer le long terme tout en absorbant le choc de
l' après-guerre froide, c' est-à-dire la réduction du format global et
des crédits, et en continuant d' assurer les missions spécifiées dans la
Bottom-Up Review, à savoir mener victorieusement et simultanément deux "
conflits régionaux majeurs " ( Major Regional Contingencies ou MRC )
dans le Golfe et sur la péninsule coréenne .
au fur et à mesure que s' amplifie le mouvement de
la RMA, les initiatives doctrinales lancées acquièrent une fonction
supplémentaire : " préempter " les critiques des tenants de la RMA en
incorporant leur vocabulaire et, pour partie seulement, leurs
recommandations .
Pour de nombreux partisans d' une modernisation
accélérée, c' est-à-dire " révolutionnaire ", les seules marges de
manoeuvre budgétaire disponibles , en période de austérité , sont en
effet à rechercher dans l' arrêt des programmes " non révolutionnaires "
( legacy programs ) et dans la réduction du format des forces terrestres
.
Or, dans la mesure où les interventions semblent
démontrer les unes après les autres, du Golfe au Kosovo, que le "
complexe de reconnaissance-frappe " en cours de formation se suffit
pratiquement à lui -même et que les alliés au sol de toute façon ne
manquent pas, la position de l' Army apparaît de plus en plus fragile et
à la merci de une décision politique .
En outre, les capacités de frappe à longue distance
ne cessent de s' améliorer et de se répandre pendant les années 1990 :
les munitions de précision ( PGM ou Precision Guided Munitions )
représentent ainsi 10 % du tonnage total utilisé pendant " Desert Storm
", 35 % pour " Allied Force " et plus de 60 % pour " Enduring Freedom "
( " Liberté immuable " ) ; l' arrivée du guidage par GPS permet d'
obtenir une grande précision par tous les temps, et pour une fraction de
ce que coûtent les missiles de croisière .
L' arrivée à maturité " de les frappes précises à
distance de sécurité , voire à très grande distance , ne semble pas
seulement réaliser les attentes des avocats historiques de l' Air Power
" depuis Mitchell ; plus fondamentalement, elle met en question la
nécessité du combat de près, qui constitue bien entendu la raison d'
être des forces terrestres .
Grâce à les progrès considérables de l' électronique
et de l' informatique ( doublement de la puissance des processeurs tous
les dix-huit mois ), la révolution de la précision s' accompagne d'
améliorations tout aussi spectaculaires en matière de acquisition (
capteurs ), et surtout de traitement et de diffusion de l' information (
bande passante ) jusqu' à promettre la possibilité d' un champ de
bataille rendu " transparent " et donc entièrement ouvert à des frappes
discriminantes conduites à grande distance - l' inflation linguistique
n' est pas en reste : on passe du
Dans le même ordre d' idées, la Navy entend
exploiter au mieux les nouvelles possibilités des technologies de l'
information et lance le concept de network-centric warfare ou paradigme
de la " guerre réseau-centrée ", c' est-à-dire fondé sur l' échange
continu d' informations entre les différentes plateformes .
Force XXI " : l' expérimentation progressive de la
digitalisation
La première initiative de l' Army consiste justement
à essayer d' exploiter les progrès en matière de C4ISR . " Force XXI "
se résume ainsi en un mot : la digitalisation, soit le fait d' équiper
les différents véhicules et systèmes d' armes, et en particulier les
véhicules de commandement, avec des terminaux informatiques reliés les
uns aux autres et les programmes informatiques correspondant .
Dénommés collectivement FBCB2, pour Force XXI Battle
Command, Brigade and Below, ces logiciels gèrent simultanément le
commandement, le positionnement terrestre par GPS, les transmissions par
radio et satellite, l' identification ami-ennemi ou encore les courriers
électroniques et les images .
Les programmes et le réseau ( intranet tactique )
fonctionnent sur des terminaux dédiés rajoutés aux plateformes
existantes ( appliqué ) ou intégrées dès l' origine pour les plus
modernes d' entre elles ( Apache Longbow, M1A2 Abrams ) .
Une brigade comprend plus de 1 000 ordinateurs
.
La digitalisation doit permettre de réduire la
friction inhérente aux opérations militaires, en assurant aux unités la
capacité de maîtriser leur environnement ( localisation des " amis ",
des ennemis et des neutres ) et de communiquer leur situation tactique,
et en donnant aux chefs la possibilité d' une manoeuvre beaucoup plus
rapide .
En ce sens, la digitalisation fonctionne comme un "
multiplicateur de force ", c' est-à-dire qu' elle permet d' accélérer le
cycle " OODA " et donc d' accroître la mobilité et la puissance de feu .
Dans le même temps, toutefois, la digitalisation
pose de délicats problèmes de commandement : il s' agit de savoir jusqu'
à quel niveau hiérarchique distribuer l' information, et plus
généralement quelle approche du commandement adopter .
Mis en lumière par " Force XXI " ¸ ces_NEW_ XXI " ¸
ces ¸ ces problèmes sont loin de avoir été résolus depuis lors .
Lancé en 1994 par le général Sullivan, le projet
Force XXI est conduit sous la responsabilité du TRADOC, qui organise une
série d' expérimentations, de manoeuvres et de wargames ( les AWE ou
Advanced Warfighting Experiments ) .
Etant donné les réductions alors en cours et les
multiples opérations outre-mer impliquant l' Army , il est décidé de
donner la priorité aux unités lourdes et de procéder de façon
progressive et focalisée, en digitalisant brigade par brigade la 4th
Infantry Division, désignée comme EXFOR ou Experimental Force .
Le fait de concentrer ainsi l' innovation sur une
seule unité qui passe tout son temps à le National Training Center , à
s' entraîner contre l' OPFOR , permet non seulement de travailler sur la
durée, mais encore d' expérimenter différentes possibilités .
Pas moins de 11 options sont ainsi examinées, qui
semblent avoir repris certains projets de réorganisation divisionnaire
remontant aux années 1970 et 1980 .
En particulier, TRADOC analyse l' impact de la
digitalisation en termes de modularité : il s' agit de savoir s' il est
désormais possible d' organiser des brigades permanentes constituant les
éléments fixes de divisions ad hoc .
De même, est essayé un format divisionnaire mixte,
un peu à la manière de TRICAP, qui mélange infanterie légère, blindés et
hélicoptères .
Le modèle intérimaire, ou " Force XXI Interim
Division ", retient finalement une organisation assez proche de la
division lourde normale, mais avec des capacités interarmes renforcées,
en particulier infanterie, feux à longue portée, reconnaissance et
renseignement - ces derniers points correspondant sans surprise aux
programmes de modernisation alors en cours, obusier automoteur Paladin,
missile à longue portée ATACMS et hélicoptère de reconnaissance armée
Comanche .
Si le projet est en définitive absorbé par les plans
suivants, il n' en laisse pas moins plusieurs héritages importants .
En premier lieu, la nature progressive et focalisée
de l' expérimentation a assuré son relatif succès, sans pour autant
parvenir à résoudre les difficiles questions de commandement soulevées
par la digitalisation .
En deuxième lieu, " Force XXI " a ouvert la voie, du
double point de vue de la méthodologie et de la doctrine, aux projets
suivants, " Army After Next " et " Objective Force " : le premier
reprend et projette dans le long terme les implications de la
digitalisation ; le second en retient les applications directes en
matière de C4ISR, mais aussi le principe d' unités expérimentales
permanentes, en l'espèce les " brigades interarmes intérimaires " .
En troisième lieu, enfin, " ForceXXI " a débouché
sur le système FBCB2 ( Force Battle Command, Brigade and Below ) et le
programme de digitalisation en cours de certaines unités lourdes .
Army After Next " : le paradigme du combat de haute
intensité futur
Contrairement à " Force XXI ", qui cherche à mettre
à profit les avancées existantes de la technologie, " Army After Next "
( AAN ) se focalise spécifiquement sur le long terme, soit par
construction la période 2015 - 2025 .
En conséquence, il s' agit davantage d' une vision
et de structures de forces théoriques que d' un programme à proprement
parler .
En l'absence des technologies concrètes requises,
AAN a consisté pour l' essentiel en une série de wargames .
C' est l' occasion pour l' Army d' expliciter ses
objectifs de long terme, de se projeter dans un avenir lointain et, par
là, de réitérer ce que sont ses préférences profondes .
En explorant les possibilités à long terme de la "
révolution de l' information ", l' Army a cherché à prendre en compte
les menaces futures telles qu' elles sont notamment annoncées par les
partisans de la RMA : prolifération des armes de destruction massive,
dissémination partielle des technologies de pointe ( niche capabilities
) et recours systématique au déni d' accès .
La problématique envisagée est double : comment
préserver la possibilité de l' intervention à grande distance face à les
stratégies de déni d' accès, qui interdisent de procéder à une montée en
puissance progressive ; comment améliorer la capacité de manoeuvre
terrestre face à l' augmentation prévisible de la puissance de feu
produite par la diffusion des frappes de précision ?
Les wargames conduits de 1996 à 2000 font émerger
deux réponses simples, la vitesse et la profondeur : il va s' agir pour
l' armée de terre de multiplier par dix ( " by an order of magnitude " )
la réactivité stratégique et la vitesse d' exécution tactique, et d'
opérer sur l' ensemble du théâtre .
S' agissant de l' arrivée en force sur un théâtre
sous la menace de frappes adverses ( forcible entry ), la solution
proposée passe par des opérations " dispersées " ( distributed ), c'
est-à-dire non linéaires ; l' absence d' un front et d' une zone arrière
bien délimités doit permettre de minimiser la vulnérabilité initiale .
De même, et pendant toute la durée des opérations,
la maîtrise des technologies de l' information est pensée comme
autorisant la délocalisation hors du théâtre de nombreuses fonctions de
commandement ou de soutien, en sorte que les unités sur place puissent
limiter leur logistique et " se retourner " en tant que de besoin (
reach back ), via en particulier les communications satellites, vers les
moyens basés hors du théâtre .
Ce " parapluie informationnel " doit également
permettre de maintenir un tempo tactique et opératif très élevé, tel que
l' action des forces terrestres conjuguée aux frappes à longue distance
fournies par les autres armées puisse saturer d'emblée et définitivement
la " boucle de décision " ( OODA loop ) ennemie .
En bref, la rapidité des opérations permet de saisir
des avantages de position dans l' espace comme de déborder l' adversaire
dans le temps, et donc de dominer son processus de décision .
A l'évidence, on retrouve là les principes
fondamentaux du paradigme de la guerre de manoeuvre tel qu' il a été
élaboré pendant les années 1980, à ceci près que les opérations non
linéaires menées sur toute la profondeur de territoire ennemi ont
remplacé la synchronisation séquentielle des capacités aéroterrestres
.
Pour intéressant qu' il soit d' un point de vue
théorique, le projet AAN et les conclusions qui en sont tirées ne vont
pas sans soulever de nombreuses questions .
Le cadre posé par AAN est clairement celui,
classique, de la grande guerre mécanisée, mais les moyens envisagés,
supériorité " spatio-informationnelle ", feux ultra-précis à distance de
sécurité, etc ., vont tout aussi clairement dans le sens préconisé par
la RMA . Tout en proclamant que seules les forces terrestres sont à même
de contrôler territoires et populations, l' Army apparaît d'ailleurs
singulièrement réticente à s' engager de près et compte en fait se
reposer dans le futur sur la maîtrise américaine de l' information,
comme elle s' est reposée en 1991 sur la su
Les problèmes épineux comme le combat en zone
urbaine ou difficile sont laissés simplement de côté , et la manoeuvre
semble avoir principalement pour but d' obliger l' adversaire à se
concentrer en réponse, et ce faisant à se rendre vulnérable aux feux à
longue portée .
Or, l' US Air Force est évidemment mieux placée, à
l'heure actuelle en tout cas, pour revendiquer cette conception des
opérations militaires et surtout mettre en pratique les feux à longue
portée, partie décisive de cette stratégie .
En outre, les réticences de l' Army à l' endroit de
les " Operations Other Than War " et la focalisation sur le combat de
haute intensité rentrent également en contradiction avec le slogan du "
contrôle de l' espace ", et surtout apparaissent singulièrement décalés
par rapport à les réalités immédiates auxquelles doit faire face l'
institution .
Le projet " Mobile Strike Force "
Dans la continuation du plan AAN, l' Army entreprend
à partir de 1996 de constituer une " Mobile Strike Force " .
A l'origine, celle -ci doit se composer d' un Q.G.
d' un nouveau type, plus agile logistiquement, puis d' unités modulaires
de niveau brigade, aux effectifs et à la composition variables ( entre 3
000 et 5 000 hommes ), définis en fonction de la mission .
Il s' agit de disposer d' une force initiale utile
sur tout le spectre des opérations, qui permette à la fois de réduire la
vulnérabilité des forces terrestres en cours de déploiement (
problématique de l' entrée de vive force, ou forcible entry, étudiée
lors de les wargames conduits dans le cadre " Army After Next " ), et de
répondre rapidement aux opérations de basse intensité et urgences
diverses de type humanitaire qui sollicitent l' armée de terre .
Initiée par le général Reimer, " Strike Force "
passe par la constitution d' un Q.G. dédié, combinée à une série de
manoeuvres et de tests conduite par le 2nd Armored Cavalry Regiment .
On retrouve là, héritée de FXXI, l' idée de
processus d' expérimentation focalisé sur une unité-test ( test-bed unit
) .
Dans une perspective à long terme, la transformation
du 2nd ACR en " Strike Force " représente une sorte de prototype pour
AAN . A plus court terme, le projet mise sur la digitalisation afin de
délocaliser de nombreuses fonctions désormais remplies par des éléments
non organiques ; le Q.G. " Strike Force " doit s' en trouver plus léger
et donc plus facilement déployable .
Par là, le général Reimer reprend à son compte,
quoique de façon limitée, les différentes propositions de réorganisation
lancées à la fin de les années 1990, et qui recommandent d' abandonner
le système divisionnaire, trop lourd, au profit de unités intermédiaires
dotées d' une réelle autonomie d' action mais comparables à des brigades
en termes de volume .
En ce sens, et contrairement à FXXI ou AAN, " Strike
Force " a représenté la première tentative véritable d' adaptation de l'
Army aux exigences du contexte international, par opposition à des
scénarios de grande guerre correspondant aux préférences de l'
institution .
L' ironie du sort a voulu que ce projet arrive en
phase de développement au printemps 1999, juste au moment où le Kosovo
révélait au grand jour les déficiences de l' Army, menaçant de dégénérer
en une véritable affaire politique .
Le " plan Shinseki " : la " transformation " de l' Army
A considérer tout ce qui précède, depuis l' histoire
doctrinale de l' institution, riche d' expérimentations et de projets en
tous genres s' intéressant, entre autres, aux interventions hors des
théâtres habituels de la guerre froide, jusqu' au traumatisme causé par "
Task Force Hawk ", e on ne peut que constater tout ce que le projet "
Objective Force " doit au passé proche, ou lointain, de l' Army .
Dans le plan initié en 1999 par le général Shinseki,
nouveau chef d' état-major, on retrouve en effet tant les facteurs
conjoncturels comme le fiasco albanais ou les attaques montantes des
partisans de l' Air Power que les aspirations fondamentales de l' armée de
terre ou les débats traditionnels qui la traversent en interne quant à sa
mission première .
Plus précisément, le plan Shinseki reprend la démarche
et les résultats de FXXI et d' AAN, tout en incorporant des éléments plus
anciens, par exemple les tentatives des années 1980 pour créer une division
puissante mais facilement déployable, HTLD ou HTMD . La démarche est en fait
triple, puisqu' il s' agit simultanément de moderniser sélectivement les
forces lourdes ( " Legacy Force " ), de constituer des unités " moyennes " (
" Interim Force " ) équilibrant les avantages et les inconvénients
respectifs des divisions lourdes et des divisions légères ; enfin, de lancer
l
Il existe toutefois une différence essentielle avec les
initiatives précédentes, qui tient à l' accélération considérable du "
calendrier " : là où " Strike Force " prévoyait un Q.G. et peut-être une
unité en 2003, le plan " Interim Force " entreprend de mettre sur pied 5, 6
ou même 8 brigades interarmes d' ici à 2007 ; le raccourcissement est encore
plus net pour " Objective Force ", censée entrer en action à partir de 2008,
quand " Army After Next " se projetait à l' horizon 2025 .
Si cette accélération témoigne de l' urgence politique
de la réforme , elle n' en constitue pas moins un pari risqué, eu égard à l'
état des technologies comme aux besoins budgétaires impliqués, et que le
général Shinseki a évalué entre 40 et 70 milliards de dollars .
La " Legacy Force ", force de précaution et réserve
stratégique
Compte tenu de les impératifs conjoints de la
transformation et de la disponibilité opérationnelle, il était
indispensable que l' Army réduise ses investissements en matière de
recapitalisation des forces, c' est-à-dire de modernisation progressive
.
Pour cette raison, il a été décidé de limiter le
programme de digitalisation des forces - initialement censé être
appliqué aux unités lourdes puis aux unités légères - au seul IIIe
Corps, désormais désigné comme " force de contre-attaque " et plus
spécialement chargé de l' Asie de l' Est ( " PACOM " ), la Corée étant
l'un des derniers théâtres susceptibles de requérir d' importantes
forces lourdes .
Comprenant la 1st Cav .
Division, la 4th Infantry Division ( Mech ) et le
3rd Armored Cavalry Regiment , ainsi que de les éléments de soutien et
de les unités de réserve " mariées " à les divisions d' active , le "
Counterattack Corps " constitue la réserve stratégique de l' armée de
terre et participe à la défense du territoire tout en étant prêt à se
déployer et à engager des actions " décisives " .
A ce titre, le " porte-drapeau " de la " Legacy
Force " est appelé à bénéficier d' un plan de recapitalisation
partielle, mêlant le rajeunissement de l' ensemble des plateformes en
service et l' amélioration de certains systèmes : passage de la version
M1A1 à la version M1A2 ( System Enhancement Program ou SEP ) pour le
char Abrams, passage au Bradley M2A3 et à la version AH-64D Longbow de
l' hélicoptère Apache, enfin intégration des derniers systèmes
digitalisés de commandement ( ABCS ) .
Avec la réforme de la réserve, désormais plus
étroitement associée à l' armée d' active, cette recapitalisation
modérée s' étend aux unités de réserve du IIIe Corps .
Outre le à la fois Ve Corps ( " Victory Corps " ),
basé en Allemagne et plus spécialement axé sur la coopération au sein de
l' OTAN et le maintien de la paix dans les Balkans , l' Army comprend le
Ier Corps ( " America's Corps " ), qui supervise la transformation et
les deux brigades expérimentant le nouveau format IBCT à Fort Lewis et
ne compte par ailleurs que des unités de réserve, enfin le XVIIIe Corps
aéroporté, plus spécialement chargé de répondre rapidement aux urgences
susceptibles de se manifester, en particulier au Moyen-Orient ( " ARCENT
" ou Composante terrest
Justement appelé " Contingency Corps ", le XVIIIe
rassemble les unités ( 101st Air Assault, 82nd Airborne, 10th Mountain,
3rd Mech . ) devant être " transformées " les premières au sein de "
Objective Force " .
Pensée pour limiter les risques associés à la
transformation, cette répartition fonctionnelle est également
géographique et dessine les contours possibles d' une armée de terre " à
plusieurs vitesses ", avec le XVIIIe Corps en pointe, les Ier et Ve
Corps en seconde ligne et moins opérationnels, enfin le IIIe Corps comme
réserve " décisive " .
En plus de ses vertus stratégiques, entre autres en
termes de déploiement, cette réorganisation constitue sans doute une
concession faite aux différents courants qui traversent l' Army : les
armes ( branches ) lourdes, traditionnellement dominantes, et qui sont
défavorables au plan Shinseki, conservent un " espace préservé " avec
les IIIe et Ve Corps, tandis que les " lights " du XVIIIe sont appelés à
bénéficier en premier des retombées de la transformation .
Interim Force " : les brigades interarmes
intermédiaires
La brigade interarmes intermédiaire, dite IBCT ( "
Interim Brigade Combat Team " ) , a été lancée en octobre 1999 et vise
deux grands objectifs : préparer la voie aux systèmes et aux formations
futures de l' Objective Force ", et corriger les déficiences constatées
récemment en matière de déploiement rapide et de " versatilité " des
forces terrestres américaines, ce qui implique une réorganisation des
structures .
D'abord appelé " Medium Brigade ", l' IBCT est
annoncée " lethal, survivable, mobile, deployable, sustainable,
all-spectrum " .
Ce sont là autant de qualificatifs " codés " qui
reprennent les qualités respectives des forces lourdes et légères : les
deux premiers font référence aux capacités offensives et défensives (
puissance de feu et protection ) des heavies, le troisième à leur
mobilité tactique tout terrain, là où les unités d' infanterie sont
pratiquement immobiles ; en sens inverse, ces dernières sont très
mobiles stratégiquement, puisque légères, faciles à déployer et à
soutenir .
On le voit, il s' agit du vieux problème de la "
brèche " ( gap ) entre forces légères et forces lourdes .
Tandis que les premières arrivent en quelques jours
sur le théâtre, mais ont une faible valeur militaire, en particulier
contre un adversaire mécanisé, les secondes ont besoin quant à elles de
plusieurs semaines pour se déployer, ce qui crée une fenêtre de
vulnérabilité maximale entre, en gros, la première et la sixième semaine
pour un déploiement dans le golfe Persique .
En outre, les wargames et les analyses ont bien fait
apparaître que la vulnérabilité principale de la posture stratégique
américaine tenait à ces délais de déploiement importants et que les
adversaires des Etats-Unis chercheraient probablement à leur interdire
l' accès au théâtre .
Pour répondre à ces critiques, qu' on retrouve
fréquemment chez les partisans de la RMA ou de l' Air Power ( l' US Air
Force insiste sur sa réactivité, responsiveness ), le plan " Army Vision
" d' octobre 1999 a fixé des objectifs très ambitieux : déployer une
IBCT en 96 heures, la première division en 120 heures, et le corps
entier en 30 jours, et ce, n' importe où dans le monde .
A cette mobilité stratégique impressionnante,
traditionnellement associée aux seules unités légères, doivent
correspondre une égale mobilité tactique et un certain degré de
protection pour les personnels, puisque l' IBCT doit pouvoir être
engagée de façon autonome et sur tout le spectre des opérations .
Eu égard à ces considérations, la brigade
intermédiaire est " montée " ( mounted ), c' est-à-dire qu' elle dispose
en propre de véhicules de type " blindés légers à roues " .
Le choix du LAV-III ( Light Infantry Vehicle ), dont
de les versions antérieures sont en service dans les forces armées
canadiennes et l' US Marine Corps , tient justement à sa légèreté : à 17
tonnes sans blindage externe ajouté, le Stryker, tel qu' il a été
rebaptisé, peut tenir dans un C - 130, avion qui constitue encore
aujourd'hui le gros de la flotte de transport aérien tactique des pays
occidentaux, Etats-Unis en tête .
En outre, le choix d' une plateforme à roues , par
opposition à les chenilles , permet d' accroître notablement la mobilité
sur routes et de réduire les besoins logistiques ( carburant, pièces
détachées ), et l' équipage est à l'abri de les munitions de petit
calibre ( jusqu' au 14,5 mm ) .
Enfin, la désignation d' un châssis commun à tous
les véhicules spécialisés ( véhicule de commandement , antichar ,
artillerie ) constitue là aussi un avantage logistique important, le
caractère interchangeable des pièces détachées entraînant une nette
simplification des procédures de maintenance et de réparation .
En ce qui concerne sa composition, l' IBCT hérite
assez directement des initiatives de réforme précédentes, à commencer
par la " Mobile Strike Force " .
Il s' agit en effet d' une brigade d' environ 4 000
hommes, mais prévue pour recevoir en augmentation des éléments
divisionnaires ( génie, renseignement, hélicoptères ... ) ou pour s'
articuler elle -même au sein de un dispositif plus large .
Elle comprend 3 bataillons d' infanterie, 1
bataillon d' artillerie orienté sur le tir de contre-batterie, plusieurs
sections de mortiers, 1 bataillon de soutien, quelques moyens antichar (
1 compagnie ) et les éléments de commandement .
L' ensemble constitue à proprement parler une unité
d' infanterie montée, comparable à ce que furent les " dragons " au
XVIIe siècle : les plateformes ont d'abord pour fonction de transporter
les troupes, puis de les appuyer au combat, mais celui -ci est effectué
à pied ( dismounted ) .
Ce format, assez classique en apparence , assez
classique en apparence, a cependant ceci d' original qu' il dissocie les
hommes des plateformes en situation de combat, initiative qui va à
l'encontre des traditions de l' infanterie mécanisée américaine, très "
véhiculaire " ; il est en outre clairement orienté vers le combat en
terrain difficile, zone urbaine ou montagneuse, là encore tout ce que l'
armée de terre institutionnelle " préfère généralement éviter .
L' innovation la plus visible tient à l' inclusion
des dernières avancées en matière de C4ISR et à l' incorporation d' une
composante originale, l' escadron de reconnaissance, de surveillance et
d' acquisition des cibles ( Reconnaissance, Surveillance, Target
Acquisition ou RSTA squadron ) .
Dans la foulée des expérimentations conduites
pendant la décennie et culminant avec " Force XXI ", les éléments de l'
IBCT ont été mis en réseau les uns avec les autres, tout en réservant
explicitement la possibilité de relier en temps quasi réel la brigade à
n' importe quelle autre unité, qu' elle appartienne à l' Army, l' Air
Force ou à un contingent allié .
Décrite comme un pas significatif en direction de la
jointness ( " interarmisation " ), la brigade interarmes a été optimisée
pour bénéficier de l' appui-feu ou du soutien logistique externe - on
retrouve le concept de reach-back - lors de une opération de grande
envergure ou en cas de urgence .
au niveau tactique, l' escadron RSTA reproduit les
mêmes fonctionnalités, centralisant et distribuant le renseignement .
Grâce à les UAV et capteurs perfectionnés (
acoustique, systèmes REMBASS ) qu' il incorpore, l' escadron RSTA est
plus qu' un simple détachement de reconnaissance au sens classique, car
il est censé pratiquer la reconnaissance à distance, et non par contact
.
De la sorte, l' IBCT peut couvrir un espace très
important ( 50 km x 50 km ) et s' adapter aux situations les plus
diverses, offensive ou défensive, de basse comme de haute intensité
.
au final, ce type d' organisation semble idéalement
adapté aux " urgences " diverses et autres Small-Scale Contingencies
auxquelles l' armée de terre a été appelée à faire face à le cours des
années 1990 .
Facile à déployer, mobile à l'arrivée et offrant
néanmoins aux hommes qui la composent une certaine protection et une
puissance de feu non négligeable, l' IBCT est certes prévue pour couvrir
tout le spectre opérationnel, mais il paraît assez clair qu' elle a été
optimisée pour la moitié inférieure de ce spectre et que, pour l' heure,
un conflit de haute intensité la verrait probablement reléguée à un rôle
d' appoint - par exemple flanc-garde à la manière de la division Daguet,
saisie d' un objectif secondaire, etc .
Reste donc à savoir ce qu' elle peut véritablement
accomplir, et en particulier si elle permet de combler la " brèche "
entre lights et heavies, ou si, comme le prétendent certains critiques,
elle est essentiellement optimisée pour les missions de stabilisation (
l' expression SASO, pour Stability and Support Operations, a
officiellement remplacé Operations Other Than War ) .
Dans la même perspective, il est sans doute trop tôt
pour déterminer la valeur réelle de la mise en réseau des éléments de la
brigade, et l' impact de cette interconnexion sur le tempo, la sûreté et
l' efficacité des opérations .
En ce sens, et pour que l' IBCT remplisse sa
fonction d' unité expérimentale ( test-bed unit ) au profit de l'
Objective Force " à venir, il faut encore qu' elle soit mise à l'
épreuve de la réalité .
Objective Force " : le " système des systèmes "
terrestre
Si l' Interim Force " emprunte aux années 1980 (
HTLD et HTMD ) et aux initiatives plus récentes comme " Force XXI " et "
Mobile Strike Force ", le projet " Objective Force " doit quant à lui
beaucoup à " Army Vision 2020 " et à " Army After Next " : loin de les
obligations terre-à-terre ( si l' on ose dire ) liées aux SASO, "
Objective Force " semble, pour ce que l' on en connaît aujourd'hui, se
focaliser sur le combat de haute intensité et les possibilités offertes
en la matière par les technologies les plus avancées, en cours de
développement et surtout en projet .
En outre, ce projet est par nature beaucoup plus
ambitieux, puisqu' il est prévu que ce format remplace à partir de
2008-2010 l' intégralité de l' Army, legacy forces comme interim forces
.
Les développements technologiques anticipés et la
qualité attendue, entre autres au niveau de les plateformes , sont
censés être tels que la capacité de l' ensemble des forces à traiter les
opérations de basse intensité s' en suivra naturellement .
Il s' agit en effet de mettre sur pied une force
intégralement digitalisée, connectée en temps réel à tous les moyens
interarmées ou coalisés, dotée de moyens d' acquisition et de frappe à
longue portée, enfin utilisant une famille de véhicules empruntant aux
blindés légers leur faible poids et les avantages associés, et aux
blindés lourds leur puissance de feu et leur niveau de protection
.
Avec les éléments interconnectés de l' IBCT ou des
divisions FXXI comme modèle, le but est de relier l' intégralité des
plateformes et des personnels jusqu' à obtenir un " système des systèmes
" terrestre, parfaitement intégrable au système des systèmes interarmées
et éventuellement multinational .
Le paradigme suivi est bien celui de la " guerre
réseau-centrée " ( network-centric warfare ), qui entend s' appuyer sur
les échanges d' information comme un multiplicateur de force et d'
efficacité à tous les niveaux : boucle " sensor to shooter " raccourcie,
protection multidimensionnelle, logistique sur mesure ...
L' Army entend tirer parti des progrès
technologiques en cours, en particulier en termes de C4ISR (
acquisition, traitement et dissémination de l' information ), mais aussi
en matière de carburant, de matériaux composites ou encore de munitions,
bref tout ce qui touche aux plateformes .
L' Army nouveau modèle en projet doit en effet s'
articuler autour de le FCS ou Future Combat System, la famille de
véhicules futurs censés réunir les qualités des plateformes légères et
des plateformes lourdes, et dont une vingtaine de variantes sont
envisagées à l'heure actuelle .
Conduite par de très nombreux laboratoires et
bureaux d' étude sous la direction de Boeing et de SAIC en tant que
intégrateurs-systèmes, cette recherche doit déboucher sur un premier
démonstrateur en 2003, et sur des prototypes en 2007 .
Par-delà les matériels et le concept général, l'
organisation de l' Objective Force " et les structures de force sont
encore à l' étude ; l' Army veut aller vers davantage de modularité, et
compte rassembler toutes ces composantes diverses à l'intérieur de un
modèle simplifié, comprenant " unités d' action " ( units of action ), "
unités de commandement " ( units of employment littéralement, qui
déterminent l' emploi des " unités d' action " et leur adjoignent des
capacités non organiques telles qu' hélicoptères ou unités de génie ) et
unités de soutien délocalisées - le
Parce que elle réorganiserait l' ensemble des
structures de force, la modularité irait dans le même sens que la
plateforme commune FCS . Seraient ainsi définitivement abolies les
distinctions entre lights et heavies .
A l'évidence, le projet d' ensemble suppose des
avancées technologiques considérables, puisque la simplification de la
logistique, le tempo des opérations et jusqu' à la réconciliation des "
cultures " de l' Army passent par la réalisation du FCS, plateforme
unique déclinée en variantes nombreuses et réunissant les avantages
combinés des véhicules légers et des blindés lourds .
Sont concernés pêle-mêle les carburants - l' Army
place de grands espoirs dans les piles à combustible -, l' allégement et
l' amélioration simultanée des blindages et des moyens de défense active
ou encore les canons électrochimiques .
Or, les estimations les plus courantes en la matière
soulignent que la plupart de ces technologies ne seront pas prêtes avant
2020, soit douze ans après l' entrée en service théorique du FCS .
Demeurent enfin de nombreuses inconnues politiques et budgétaires .
Sans savoir pour l' heure à quoi l' Objective Force
" est appelée à ressembler réellement, il est difficile d' émettre un
avis définitif .
En l'état, le projet laisse cependant plutôt
sceptique .
Evaluations croisées
Malgré un accueil initialement favorable, le projet Shinseki
fait aujourd'hui l' objet d' un intense débat aux Etats-Unis, particulièrement
au sein de la communauté de défense et de l' armée de terre elle -même .
Bien que largement conditionné par les rivalités entre
Services et les motivations politiques, ce débat permet de mettre en évidence
les faiblesses du projet, qu' il s' agisse de l' utilité limitée des IBCT - dont
l' intérêt principal semble finalement résider dans la mobilité tactique - ou
des doutes qui entourent l' Objective Force " .
Tout en se détachant du schéma doctrinal classique de l'
armée de terre, ce projet n' apporte pas corrélativement de réponses claires aux
questions délicates qui vont de pair avec la digitalisation du champ de
bataille, la prééminence d' une logique de ciblage et les rivalités interarmées
.
Evaluation militaro-opérationnelle : les insuffisances
de l' IBCT
pourtant Que ce soit au niveau de les capacités de
combat, de la reconnaissance ou même de la mobilité stratégique, sa raison
d' être, l' IBCT souffre de limitations réelles .
Pour autant, la brigade actuellement en formation paraît
à même de répondre aux missions de basse intensité pour lesquelles elle a
été vraiment créée .
En outre, elle permet de tester sur le terrain à la fois
des concepts novateurs comme la reconnaissance électronique et le
reach-back, mais aussi de remettre progressivement en cause la structure
divisionnaire rigide héritée de l' histoire de l' Army .
Mobilité stratégique et tactique
Le lancement des IBCT s' est fait en réaction au
fiasco de " Task Force Hawk " et le général Shinseki est
systématiquement revenu sur la rapidité de déploiement qu' autoriserait
cette nouvelle organisation, à tel point que la " déployabilité " des
brigades intermédiaires - " 1 brigade en 96 heures, 1 division en 120
heures et un corps en 30 jours " - est devenue le principal argument de
l' Army auprès de le Congrès .
Or, l' analyse détaillée de le véhicule Stryker et
plus encore de les réalités logistiques et géographiques , conduit à des
conclusions nettement moins optimistes .
Tout d'abord, il convient de souligner que les temps
de déploiement de l' Army sont, à l'évidence, sans comparaison avec ce
que peut faire n' importe quelle autre armée, et surpassent même les
moyens américains lors de la guerre du Golfe .
Le prépositionnement de matériels et l' augmentation
des gros transports de troupes navals et aériens ( avions C - 17 , fast
sealift ships , MLRS ou Medium Roll -on , Roll-off Ships ) pendant les
années 1990 ont permis une amélioration modeste, mais réelle .
L' étude conduite à ce sujet dans le cadre de la
Bottom-Up Review ( Mobility Requirements Study , MRS BURU ) a ainsi
prévu le déploiement de la Ready Brigade d' une division légère 4 jours
après le lancement de l' opération, le reste de la division arrivant à
C+ 12 ; la première brigade lourde arrive à C+ 15, le reste de la
division ainsi que une autre ( probablement la 101e ) à C+ 30 ; l'
ensemble du Contingency Corps doit être en ordre de bataille à C+ 75 .
Toutefois, les unités lourdes ne peuvent être
opérationnelles " au sortir du bateau ", et surtout ce calendrier
suppose des prépositionnements importants de matériels pour être
respecté - les Army Prepositioned Stocks ou APS . En d'autres termes, le
système fonctionne essentiellement pour la région du Golfe, l' Europe et
l' Asie du Nord-Est, c' est-à-dire les zones stratégiques
traditionnelles .
Au vu de ces chiffres, et en gardant à l' esprit les
délais de déploiement proclamés pour l' IBCT, il est clair que l'
objectif est d' aligner les temps de déploiement des forces " moyennes "
sur celui des forces légères, ce qui suppose d'abord que les véhicules
soient transportables à bord d' avions C - 130, qui forment le gros des
moyens de transport de l' US Air Force .
Or, le Stryker a suscité à cet égard de nombreuses
difficultés : le véhicule d' origine est trop large pour l' avion, et
son blindage insuffisant a dû être renforcé, au point de dépasser, pour
8 des 10 versions du LAV-III, de 1,5 tonne, le seuil autorisé de 20
tonnes .
Rajouter un blindage extérieur ( " applique armor "
) prend du temps à l'arrivée et complexifie le transport lui -même .
En outre, les trois IBCT en cours de formation sont
toutes stationnées aux Etats-Unis, ce qui interdit pratiquement d'
utiliser des C - 130 au rayon d' action trop limité, et oblige à
recourir aux transports " stratégiques " comme le C - 5 et le C - 17,
dont les capacités impressionnantes sont compensées par le nombre limité
de ces appareils et la demande importante dont ils font l' objet de la
part de les autres armées, l' Air Force en particulier .
Ce sont là toutefois des problèmes temporaires,
susceptibles d' être réglés à l'avenir ; il n' en va pas de même pour ce
qui est de la " légèreté artificielle " de l' IBCT ou des limitations
intrinsèques au déploiement par voie aérienne .
En premier lieu, le choix du transport aérien
apparaît problématique, car il fait dépendre la rapidité de déploiement
des capacités aéroportuaires des pays hôtes : il ne suffit pas en effet
de mesurer la contenance et la capacité d' emport des avions de
transport, il faut encore prendre en compte le trafic maximum (
throughput ) des installations aéroportuaires d' arrivée ( nombre et
longueur des pistes, équipement de manutention ), qui sont presque
toujours très inférieures aux normes rencontrées en Occident dans les
aéroports majeurs, civils ou militaires .
A l'aide de une simulation par ordinateur utilisant
le logiciel JFAST ( Joint Flow Analysis System ), le Lieutenant-Colonel
Jonathan Brockman a pu ainsi établir une estimation du temps de réaction
de l' IBCT dans un scénario de crise au Rwanda : parce que l' aéroport
de Kigali ne peut gérer quotidiennement que 400 " Short Tons ", contre 2
800 à McChord Air Force Base par exemple, le déploiement prendrait 29
jours en incluant les 6 jours nécessaires au transit hors de l' aéroport
.
Pour tenir la limite des 96 heures, il faut donc
disposer sur le théâtre soit d' un aéroport moderne et de grande taille
( une capacité de 2 500 Short Tons est nécessaire au départ et à
l'arrivée ), soit de plusieurs aéroports accessibles .
Si cette dernière éventualité semble correspondre à
l'idée de opérations " distribuées " , elle se heurte cependant à deux
réalités, la première étant que chaque point de débarquement doit être
sécurisé pour les appareils de l' Air Force, ce qui implique de
nouvelles charges logistiques, la seconde que la " dispersion " des
opérations rencontre des limites en termes de commandement et de
protection des éléments séparés .
L' on imagine mal les éléments d' une IBCT arrivant
par de multiples points d' entrée distants les uns de autres de
plusieurs dizaines de kilomètres, voire davantage ; la brigade a été
pensée comme un tout susceptible d' opérer sur une zone plus vaste ( 50
km x 50 km ) qu' il n' est habituel pour une brigade, non comme un
réservoir de forces détachant des éléments autonomes, en particulier en
situation de combat .
Même en supposant l' accès simultané à 3 aéroports,
la simulation démontre qu' au moins 11 jours sont nécessaires, soit 7 de
plus que l' objectif fixé par le général Shinseki .
Compte tenu de ces multiples contraintes, l' auteur
de cette étude logistique recommande en conclusion de s' appuyer
davantage sur le transport maritime - plus rapide de quelques jours dans
le scénario que le transport aérien -, d' augmenter les capacités
américaines en la matière et de prépositionner à l' étranger l'
équipement d' au moins une IBCT, de façon à pouvoir utiliser
simultanément les trois composantes du transport stratégique, MLRS et
fast sealift ships, C - 17 et C - 130, et APS .
En second lieu, et certainement afin de faciliter
son acheminement par air, l' IBCT n' embarque avec elle qu' une
logistique très austère, ce qui implique que la zone d' arrivée permette
de couvrir ses besoins en carburant, munitions et eau ; telle quelle, la
brigade emporte uniquement l' équivalent de 3 jours de combat .
Dans le même ordre d' idées, les capacités EVASAN de
la brigade sont très limitées ( 20 blessés peuvent être traités ), et ce
bagage logistique " frugal " serait encore plus inadéquat en cas de
ajout au sein de l' IBCT d' unités non organiques - les hélicoptères
prévus à cet effet sont particulièrement contraignants d' un point de
vue logistique .
Qu' il s' agisse d' augmentation de la brigade, d'
évacuation sanitaire ou plus simplement de " persistance logistique " (
sustainability ), l' IBCT devra donc très largement compter sur un
soutien extérieur présent sur le théâtre .
Théoriquement supérieure, en particulier sur route,
à celle d' une unité équivalente équipée de véhicules à chenilles, la
mobilité de la brigade pourrait donc être sévèrement limitée par l'
insuffisance du soutien organique .
Capacités de combat
D' un point de vue tactique, l' IBCT est d'abord une
unité d' infanterie montée, et pour laquelle il est explicitement prévu
que les soldats combattent " à pied " ( dismounted ) .
Ceci tient sans doute à la gamme complexe de
missions que la brigade est appelée à remplir, et qui impliquent
forcément d' opérer en terrain difficile : le maintien de la paix
suppose à tout le mois de pouvoir circuler en zone urbaine ou boisée .
Plus profondément, on soupçonne les concepteurs de
l' Interim Force " d' avoir voulu privilégier la présence au sol et au
contact des populations, par opposition au combat " monté ", afin de
battre en brèche la tradition dominante de l' armée de terre américaine
et son goût pour la " grande guerre mécanisée " .
La composition de la brigade est à cet égard
révélatrice : les sections de mortier et groupes de snipers y tiennent
une plus large place que les moyens antichars .
Dans le même temps, toutefois, de nombreux critiques
soulignent les insuffisances dont souffre l' IBCT en termes de puissance
de feu et de protection .
A l'occasion des tests, le Stryker est en effet
révélé inférieur aux attentes de l' Army, et il a fallu reprendre la
conception du blindage en respectant les impératifs de poids, sans que
l' on sache pour le moment ce que sera le résultat .
De nombreux officiers et la majorité des experts
mettent d'ailleurs en doute ce choix et font valoir que l' Army possède
d' importants stocks de M - 113 - certaines versions seraient
supérieures au Stryker en protection et en légèreté, quoiqu'à chenilles
- ou qu' elle aurait dû poursuivre le projet M8 Armored Gun System .
Dans l' attente, il est nécessaire de revêtir le
véhicule d' un blindage extérieur supplémentaire, ce qui ralentit les
opérations et induit une vulnérabilité initiale .
Pour ce qui est de la puissance de feu, et compte
tenu de les stocks de munitions très réduits de l' unité, le bataillon
d' artillerie a pour fonction première de détruire d' éventuelles
batteries adverses et ne peut guère remplir l'une des missions
traditionnelles de l' arme, à savoir le feu de neutralisation (
suppressive fire ) .
des mortiers en abondance au sein des bataillons et
en section organique sont censés pallier ce manque, d' autant moins
significatif aux yeux des défenseurs du projet que les tirs de
neutralisation par artillerie lourde apparaissent politiquement
inadaptés à la plupart des contextes opérationnels envisageables .
Toutefois, et jusqu' à l'arrivée des obus de mortier
de dernière génération, censés être extraordinairement précis, les
mortiers ne sont pas davantage discriminants, et ne sauraient prétendre
aux mêmes effets militaires que l' artillerie, qu' il s' agisse d'
interdire une zone ou de détruire des blindés grâce à des munitions
intelligentes de type SADARM . Conjuguée au fait que la brigade ne
comprend qu' une simple compagnie antichars dotée du système Javelin,
dont la portée est inférieure à celle de la plupart des blindés, cette
carence en artillerie se traduit par un
La même appréciation peut être portée concernant les
capacités en tir direct, avec un seul peloton ( platoon ) de " Mobile
Gun Systems " - sachant que c' est cette dernière version du Stryker qui
logiquement pose le plus de problème de poids, et que son canon devra
peut-être subir un allégement .
au final, l' IBCT apparaît plus spécialement adaptée
aux missions d' infanterie et, en l'absence de augmentation
divisionnaire, relativement fragile dans le cadre de un affrontement de
moyenne intensité .
Face à une situation de ce type, le concept d'
emploi de la brigade prône l' évitement et le repli .
En ce sens, l' escadron RSTA de reconnaissance
électronique est la première ligne de défense de l' IBCT et l'
avant-garde " de l' Objective Force ", largement orientée sur le combat
à distance et la supériorité " informationnelle " .
Reconnaissance électronique
On ne saurait trop insister sur le rôle central joué
par l' escadron RSTA, non seulement comme composante essentielle de la
brigade interarmes intermédiaire, mais encore comme " démonstrateur " et
à vrai dire seul élément de l' IBCT qui annonce le système des systèmes
que doit être l' Objective Force " .
Par bien des aspects, la viabilité même de l' IBCT
dépend du succès avec lequel l' escadron remplira ses fonctions de
surveillance, de reconnaissance et d' acquisition d' objectifs .
L' acquisition de cibles à longue distance est en
effet la condition sine qua non des frappes de précision, la précision
devant permettre, en se substituant au volume des feux terrestres
classiques, d' alléger la logistique requise et donc d' améliorer la "
déployabilité ", ce qui explique pour partie l' austérité " de la
brigade .
L' escadron RSTA remplit également la fonction,
encore plus critique, de " protection de la force " : l' acquisition à
distance de sécurité doit permettre d' éviter le contact, et donc les
nombreuses exigences qui en découlent en termes de protection et de
puissance de feu organiques ( blindage, tir direct, volume des feux ) .
En d'autres termes, le concept de l' IBCT s' appuie
lourdement sur la reconnaissance, de la surveillance à l' acquisition d'
objectifs en temps réel, pour suppléer aux déficiences de la brigade par
rapport à les unités lourdes classiques .
Pour ce faire, l' Interim Force " et plus encore l'
Objective Force " partent d' une conception " transformée " de la
reconnaissance, qui ne va pas sans soulever quelques interrogations .
Il s' agit de substituer à la reconnaissance par
contact la reconnaissance électronique, conduite entièrement à distance
de sécurité .
Les conséquences associées à ce changement affectent
profondément la conduite des opérations, sont désormais regardées comme
partiellement inutiles certaines des fonctions classiques des unités de
cavalry de l' armée de terre, telles que la sécurisation physique d' une
zone, la sûreté des communications ( flanc-garde, etc . ) et l' attaque
" probatoire " ( probe ) ou de diversion visant ou permettant l'
économie des forces .
Or, il s' agit là d' un pari reposant sur des
hypothèses non encore vérifiées, et pour certaines d' entre elles
douteuses .
Il faut tout d'abord rappeler que la technologie est
pour l' heure loin de être suffisante .
Malgré les progrès considérables réalisés en matière
de acquisition et de traitement de l' information, la surface terrestre,
et en particulier les terrains complexes , se prête très bien au
camouflage et à la dissimulation : les capteurs actuels ne permettent
que fort mal l' acquisition d' objectifs dans les zones urbaines,
montagneuses ou boisées, et rien ne permet pour l' heure d' affirmer que
l' amélioration technologique rendra à moyen terme le " médium terrestre
" aussi fluide et transparent que l' air ou la mer peuvent l' être .
Ne serait -ce qu' avec le développement des zones
densément peuplées, les zones urbaines tout spécialement, le rôle du
terrain devrait demeurer essentiel .
En outre, la fusion en temps réel de données
provenant de capteurs multiples ( infrarouges , radars , acoustiques )
continue de poser un problème mathématique de premier ordre, qui
surpasse la capacité de calcul informatique actuelle, en dépit de les
progrès exponentiels en la matière .
On est donc encore loin de pouvoir frapper de façon
discriminante un grand nombre de cibles " discrètes " et surtout mobiles
.
En sens inverse, la reconnaissance par contact
constitue un gage de sécurité qui renseigne sur le dispositif ennemi
comme sur ses " dispositions morales ", là où la reconnaissance à
distance ne renseigne en réalité que sur des " signatures "
électroniques .
L' information " dont parle la RMA est en effet
constituée par les coordonnées géoterrestres de signatures émises par
les différents individus ou plateformes .
En d'autres termes, la reconnaissance électronique
ne fournit qu' un signalement, une direction et un volume théoriques, en
aucun cas elle ne peut renseigner sur ce que la doctrine soviétique
appelait la " corrélation des forces ", qui précisément ne s' apprécie
que par le combat .
Généralisant à partir de son expérience des
engagements, Clausewitz faisait déjà valoir cet argument au niveau de la
stratégie générale : la " montée aux extrêmes " repose justement sur le
caractère " incalculable " et donc imprévisible du rapport de force, et
oblige donc à la prudence en termes de moyens, par exemple la
redondance, le " gâchis " ...
Le raisonnement est directement applicable au niveau
tactique : sans reconnaissance active, on ne peut par exemple apprécier
la combativité et le niveau général de l' ennemi .
A l'instar de le Battle Damage Assessment ( BDA )
pratiqué par l' US Air Force, la reconnaissance électronique ne donne au
mieux que des indications sur le dispositif physique de l' adversaire,
et l' on sait toutes les difficultés et les incertitudes qui entourent
le BDA lors de les campagnes de frappes aériennes, depuis la guerre du
Golfe jusqu' au Kosovo et à l' Afghanistan .
Le renseignement électronique conduit à une
focalisation quasi exclusive sur les " plateformes " ennemies,
détectables et donc " comptables ", comme l' a illustré le problème des
pertes irakiennes pendant la guerre du Golfe .
Le général Schwarzkopf avait demandé aux
planificateurs de l' offensive aérienne de neutraliser 50 % du potentiel
mécanisé irakien, autrement dit la moitié des plateformes présentes au
Koweït et au sud de l' Irak, pour que la phase terrestre des opérations
puisse être engagée dans des conditions optimales .
Non seulement cette proportion ne fut jamais
atteinte ( la réalité se situe probablement autour de 30 % ), mais
encore la Defense Intelligence Agency se fonda -t-elle sur ces
évaluations pour produire sa propre estimation des pertes ennemies .
En réalité, les 100 000 morts irakiens annoncés à
l'époque , chiffre tenu depuis lors pour exact, correspondent tout
simplement aux effectifs théoriques des véhicules, multipliés par le
nombre théorique de véhicules détruits .
Un bon exemple a contrario est fourni par l'
offensive irakienne sur Al-Khafji, qui a indiqué au général Boomer,
commandant de l' US Marine Corps, l' état véritable des forces
irakiennes et donc la réalité du rapport de force .
Enfin, la reconnaissance électronique suppose que
soit toujours conservée une supériorité technologique américaine aux
effets décisifs, c' est-à-dire ni égalée par un peer competitor, ni
surtout contrée par le recours à des postures asymétriques .
Or, les recours à disposition de l' adversaire sont
multiples, depuis des stratégies low-tech et à faible coût, comme le
camouflage, la dispersion des unités sur le terrain et parmi les
populations, jusqu' à l' emploi de moyens plus sophistiqués, comme le
brouillage, l' attaque systématique des plateformes porteuses de
capteurs ( JSTARS, AWACS, UAV ) ou même la détonation en haute
atmosphère d' une arme nucléaire, qui détruirait à peu près la moitié de
la flotte globale de satellites, dont on sait l' importance cruciale
pour le C4ISR . En d'autres termes, et en dépit de
A l'échelle de l' IBCT, la destruction des UAV et de
quelques capteurs peut réduire l' escadron RSTA à une unité de
reconnaissance plutôt sous-équipée en véhicules et capacités de
reconnaissance par le feu par rapport à son équivalent " non transformé
" .
Enfin, la " conscience de la situation
opérationnelle " ( situational awareness ) engendrée par les moyens
électroniques peut bien entendu être complétée par le renseignement
humain, mais elle n' en reste pas moins, étant donné les limitations de
capteurs, orientée majoritairement vers les véhicules .
Autrement dit, son utilité au niveau " individuel "
, c' est-à-dire non véhiculaire , risque d' être réduite .
Conclusions provisoires
En définitive, l' Interim Force " souffre d' un
certain nombre de limitations sérieuses .
Les objectifs fixés par le général Shinseki en
matière de déploiement paraissent irréalistes dans la plupart des
situations envisageables, compte tenu de les infrastructures
aéroportuaires des pays d' arrivée, et la " déployabilité " actuelle des
forces terrestres américaines est loin de être aussi catastrophique que
ne le prétendent les défenseurs de la RMA . L' Army a utilisé l'
argument de la mobilité stratégique, mais l' analyse fait apparaître que
l' intérêt principal des IBCT réside dans leur mobilité tactique,
supérieure à celle des forces " traditionnelles ", dès
Sous ce rapport, la légèreté logistique de la
brigade interarmes ne ferait d'ailleurs que magnifier ses insuffisances
en termes de puissance de feu et de protection .
Est également en cause la viabilité du Stryker .
Pour ces raisons, l' IBCT ne semble pas destinée à
l' entrée en force " ou, telle quelle, aux opérations de combat dans des
théâtres austères ; sa mission première reste les opérations de
stabilisation ( SASO ) .
En déduire, comme le font certains, que l' utilité
de l' IBCT se limite à " refaire le Kosovo " paraît en revanche exagéré
.
Si les analyses précédentes soulignent effectivement
que l' IBCT a pour fonction première de gérer le bas du spectre, l' idée
même d' une brigade interarmes orientée vers le combat d' infanterie
constitue une tentative ouverte de remettre en cause la culture et les "
armes " dominantes de l' institution .
Parallèlement, l' inclusion de l' escadron RSTA
devrait permettre de confronter à l' épreuve de la réalité certains des
concepts-phares de la " transformation ", comme le caractère
surdéterminant de l' information ou la viabilité du combat à " distance
de sécurité " ( standoff engagement ) .
Dans cette perspective, les critiques suggérées à
propos de l' IBCT semblent devoir s' appliquer plus largement encore à
la future " Objective Force " .
Evaluation stratégique : le couple feu-manoeuvre et l'
interarmisation
il il correspond à la projection dans l' avenir des
nouveaux concepts utilisés par l' IBCT, le projet " Objective Force "
tranche toutefois beaucoup plus nettement avec l' héritage culturel et
doctrinal de l' armée de terre .
Dans la foulée du discours de la RMA, l' Army a en effet
développé avec " Objective Force " une vision du combat futur articulée sur
les rôles respectifs des feux à longue distance et de la manoeuvre, ainsi
que sur une refonte du commandement et de l' accès au soutien interarmées .
Bien que elle incorpore aussi des éléments propres à la
tradition du combat terrestre, cette vision du combat futur semble accepter
la thèse du " changement de paradigme " militaire, sans toutefois apporter
de réponses claires aux questions multiples que suscitent la digitalisation
du champ de bataille, la prédominance d' une logique de ciblage et l' état
des relations interarmées .
Le commandement
Les progrès en matière de traitement et de
dissémination de l' information sont porteurs d' interrogations très
réelles concernant non seulement les rapports entre autorité politique
et commandement opérationnel, mais aussi la nature même des relations
hiérarchiques au sein de les armées .
Malgré plusieurs années d' expérimentation de la
digitalisation, l' Army n' a toujours pas trouvé, semble -t-il, de
solution satisfaisante à une série de problèmes complexes, rendus plus
difficiles encore par les rivalités entre Services .
La communication en temps réel et le volume d'
information qu' il est désormais possible de transférer autorisent en
effet les échelons les plus élevés de la hiérarchie, autorités
politiques comprises, à s' impliquer très directement dans les
opérations et à réduire d' autant la marge de manoeuvre et l' initiative
des échelons intermédiaires .
Si l' on en croit les divers exemples historiques,
depuis la guerre de Sept Ans jusqu' aux campagnes de bombardement du
Nord-Vietnam, l' immixtion du pouvoir civil dans le détail des
opérations est rarement bénéfique .
En sens inverse, la dissémination de l' information
à les plus bas échelons et la formation d' une " image commune de la
bataille " ( common operational picture ) peuvent amener certains
militaires à prendre des décisions qui relèvent normalement de leurs
supérieurs ou même de l' autorité politique, et qui n' ont pas été
avalisées .
Les avancées de la technologie des communications
posent donc le problème de l' équilibre à trouver entre maintien d' une
hiérarchie politiquement légitime et exploitation des " structures en
réseau " et de l' initiative individuelle permises par la technologie :
le " micro-management " nuit à l' efficacité tactique et suscite une
paralysie " opérative " ; l' absence de délimitations claires est peu
démocratique et s' est révélée parfois difficilement compatible avec la
définition rigoureuse d' une stratégie .
Bien que ces éléments affectent tous les Services,
ils paraissent particulièrement problématiques dans le cas de l' Army .
Cette sensibilité spécifique de l' armée de terre se
vérifie déjà au niveau de les relations civilo-militaires, puisque les
risques de pertes qui vont plus naturellement de pair avec les
engagements au sol ne peuvent que renforcer chez les politiques la
tentation du micro-management .
L' arrêt des opérations terrestres en février 1991 ,
prématuré à le regard de l' objectif militaire de destruction de la
Garde républicaine irakienne , a ainsi tenu à une intervention directe
de l' autorité politique, soucieuse d' éviter la perception de " pertes
inutiles " au sein de l' opinion - et la guerre du Golfe se distingue
pourtant de la plupart des autres opérations conduites ces vingt
dernières années par la relative autonomie tactique et opérationnelle
laissée aux militaires .
La sensibilité particulière de l' Army se vérifie
bien davantage encore au niveau de les fonctions de commandement et de
contrôle .
Là où l' Air Force déploie le plus souvent quelques
milliers de personnels et organise des strike packages d' une quinzaine
d' avions qui interviennent par vagues successives, l' Army doit
contrôler des dizaines d' unités, des milliers de véhicules et des
dizaines de milliers de soldats .
En ce sens, et si le nombre de ses plateformes
devrait être, selon certains, considéré par l' Army comme une
opportunité lui permettant de tirer parti au maximum des possibilités du
network-centric warfare, cette pléthore garantit également que les
problèmes de commandement générés par cet accroissement inédit des
capacités de communication rejaillissent plus brutalement sur l' Army
.
Or, les problèmes que le " temps réel " et l'
interconnexion de les unités suscitent sont fort nombreux .
Tout d'abord, les progrès considérables réalisés
dans le domaine de la diffusion de l' information restent inférieurs à
l' explosion de la demande, à tel point que la bande passante maximale
offerte par les ondes radios, même à très haute fréquence, paraît d'ores
et déjà insuffisante .
Cet appétit pour des communications permanentes
incluant les messages et la voix , mais surtout l' image , génère à son
tour ce qu' il est désormais convenu d' appeler une surcharge d'
information ( information overload ), qui concerne la capacité de
traitement informatique, mais surtout les opérateurs eux -mêmes, au
point que le temps réel se trouve parfois ralentir le cycle décisionnel
et donc le tempo des opérations .
Aucune solution n' est en vue pour l' instant, et il
semble même que les problèmes associés au processus de digitalisation en
cours dans l' Army depuis plus de cinq ans aient été volontairement
minimisés par l' institution .
au niveau tactique, enfin, la communication
instantanée et " sans verrou ", sur le modèle d' Internet , est
susceptible, dans des conditions permissives, de favoriser la diffusion
de fausses informations auprès de la population ou de propager au sein
de les troupes un effet de panique local, comme ce fut déjà le cas en
1940 du côté français avec la radio .
On peut penser également aux soldats israéliens,
reliés en temps réel à leur famille grâce à les téléphones portables, au
grand dam des autorités militaires .
L' ubiquité des communications modernes pose donc de
délicats problèmes de commandement : quelle part de contrôle sacrifier,
quelle part de risque accepter afin de maximiser les avantages de la
situational awareness et des " structures horizontales " autonomes ?
Bannir les contrôles afin de laisser jouer à le
maximum l' initiative individuelle risque fort d' entraîner des
désagréments, voire des répercussions politiques .
A l' inverse, si des verrous et des procédures
hiérarchiques sont systématiquement réintroduits dans le réseau, celui
-ci redevient pour l' essentiel semblable aux structures " verticales "
habituelles et perd une grande partie de son intérêt .
En d'autres termes, et qu' il s' agisse de surcharge
d' information ou d' effets indésirables, aucune solution radicale n'
est satisfaisante . n' est satisfaisante .
Il est bien entendu possible de réguler plus
finement le trafic en définissant des modalités de contrôle flexibles,
laissant par exemple à chaque échelon le soin de définir les critères de
filtrage, de façon à éviter la surcharge et à limiter les possibilités
de fuite .
Cette position a, par exemple, la faveur de l' US
Marine Corps, qui y voit naturellement un gage de souplesse tactique :
l' initiative et le commandement décentralisés ( mission orders ) sont à
la base de la guerre de manoeuvre, paradigme dont le Corps se réclame
très officiellement .
En période de conflits le plus souvent limités, mais
fortement médiatisés, la logique de l' Auftragstaktik appliquée à l'
information paraît toutefois difficile à mettre en pratique, puisqu' une
décision en apparence tactique peut avoir des répercussions politiques .
L' Army a pour sa part historiquement favorisé la
centralisation du commandement, même durant les périodes, comme les
années 1980, où la doctrine officielle prônait l' initiative et la
décentralisation .
Tirer pleinement parti de les technologies de la
communication supposerait d'ailleurs, comme cela s' est fait dans l'
industrie, d' aller vers des structures plus " horizontales ", c'
est-à-dire de supprimer certaines hiérarchies ou organisations
intermédiaires, à commencer par la division .
Si le plan Shinseki semble bien prendre cette
direction en faisant de la brigade l' unité de base de la manoeuvre
opérative, il est encore trop tôt pour savoir ce que recouvriront les
unités de commandement ( units of employment ) prévues par l' Objective
Force " .
Apparemment, l' Army hésite à relier directement les
" brigades " ( UA ) à un état-major de niveau corps, et pense à des "
unités de commandement " intermédiaires, soit des structures de
commandement de niveau divisionnaire .
Quelle que soit la solution idéale finalement
préconisée, elle se heurtera à plusieurs obstacles majeurs, si elle va
nettement dans le sens de le commandement décentralisé .
Il faudrait tout d'abord revoir en profondeur l'
instruction des officiers, l' armée de terre actuelle réservant aux
seuls colonels pleins et aux généraux une formation généraliste et "
stratégique " ; la culture de l' institution en serait profondément
affectée .
En second lieu, la suppression des niveaux
intermédiaires ne pourrait qu' exacerber les problèmes d'
interarmisation : qu' un colonel à la tête d' une brigade puisse
directement faire appel au soutien interarmées risque d' être mal
ressenti, et par la hiérarchie de l' Army, qui craindra un "
asservissement " de ses unités disjointes au profit par exemple de l'
Air Force et préfèrera négocier au plus haut les modalités de la
coopération, et par les autres Services, qui ne veulent pas être en
permanence placés en soutien, c' est-à-dire " aux ordres " de l' Army .
La révolution de l' information engage ainsi une
redéfinition du commandement, avec toutes les difficultés et les risques
que cela implique, entre autres dans les relations entre les armées
.
Logique et limites du ciblage
Mesurer les dangers et les implications pour l' Army
d' une domination sans partage de la RMA nécessite d' opérer un détour
intellectuel et de rappeler les principes et les limites de la stratégie
du ciblage .
La logique de la précision du feu entraîne en effet
implicitement avec elle la suprématie de l' attrition et l' oubli
potentiel des effets moraux, tout en stimulant le recours à des postures
asymétriques chez l' adversaire .
Au niveau le plus fondamental, la RMA trouve son
origine dans les progrès fantastiques réalisés par la précision et le
traitement de l' information .
L' accroissement continu de la puissance de feu
depuis cinq siècles est interprété a priori comme une réponse,
techniquement imparfaite, au manque de précision : on aurait multiplié
le volume de munitions tirées afin de augmenter la chance statistique de
toucher l' objectif visé .
Dans cette optique, la substitution de la précision
à le volume , de la qualité à la quantité , constitue évidemment un
progrès considérable .
Toutefois, l' argument selon lequel les frappes de
précision pourraient à elles seules être décisives , grâce à le choix de
les cibles , de l' organisation et de le tempo de l' attaque , paraît
largement trompeur .
L' Air Power ", et plus largement la logique de le
ciblage , participent en effet fondamentalement d' une stratégie d'
attrition, la qualité, c' est-àdire ici la technologie qui permet des
frappes précises, ayant simplement remplacé le volume de feu, c'
est-à-dire la quantité .
Pour se mettre à même de comprendre les implications
ultimes de la logique de ciblage qui est au coeur de la RMA, il faut par
hypothèse partir d' une situation d' égalité relative entre deux
adversaires semblables .
et Si l' on suppose deux adversaires
approximativement égaux, et qui ont la possibilité de tout voir, tout
atteindre, tout détruire , alors la relation décrite par le
mathématicien britannique Lanchester dans sa " loi de le carré " en 1916
s' applique parfaitement : la masse importe davantage que la qualité, et
la victoire va à celui qui dispose du dernier shooter .
Les exemples historiques se rapprochant
tendanciellement de le modèle lanchesterien ne manquent pas, que l' on
pense à nombre des grandes batailles de l' âge classique, telles celles
de Malplaquet ou Zorndorf, à la guerre de Sécession ou encore à la
Grande Guerre sur le front occidental jusqu' en 1917 .
Chacun de ces cas présente une situation
opérationnelle et tactique bloquée, où la puissance de feu interdit ou
entrave considérablement les possibilités de mouvement offensif et
conduit donc à une paralysie tactique se soldant par des pertes élevées
et des résultats non décisifs .
Les batailles classiques forment peut-être la
meilleure illustration de ce que pourrait être un champ de bataille
conforme à la RMA : les généraux peuvent, comme leurs troupes
d'ailleurs, voir une bonne partie du terrain .
L' équivalent du théâtre moderne est en effet à
l'époque physiquement " transparent ", étant donné la taille réduite des
champs de bataille ( rarement plus de 5 km de front ) .
Cette transparence relative et surtout la
difficulté des mouvements offensifs transforment ces affrontements en
une sorte de fusillade mutuelle, généralement très meurtrière, comme le
fut Malplaquet .
En d'autres termes, et si le raisonnement théorique
qui part de l' égalité relative de les belligérants est retenu, les
technologies émergentes, dans l' utilisation que projettent d' en faire
les partisans de la RMA, risquent de favoriser la puissance de feu au
détriment de la mobilité, et donc la défense au détriment de l' attaque
.
Outre que les résultats que l' on peut obtenir dans
ce type de contexte sont généralement très coûteux, reste à savoir si
les Etats-Unis disposeront forcément de plus de shooters que leurs
adversaires, ou si ces derniers ne parviendront pas à profiter
suffisamment de la prolifération technologique pour interdire toute
manoeuvre et tout déploiement aux forces terrestres américaines - de ce
point de vue, le problème des stratégies de déni d' accès sur lequel le
Pentagone se focalise tant aujourd'hui pourrait n' être que la partie
émergée de l' iceberg, dès lors que les ris
En ce sens, c' est-à-dire d' attaquer, parce que il
appartient aux Etats-Unis, à court et moyen terme, de projeter leurs
moyens militaires sur des théâtres extérieurs, la RMA et surtout sa
diffusion pourraient donc être porteuses de mauvaises nouvelles, tout
spécialement pour l' Army .
La maîtrise américaine en matière de C4ISR et de
frappes de précision à distance, et plus généralement la supériorité des
Etats-Unis pour tout ce qui touche au combat de haute intensité, induit
des effets pervers majeurs, que l' on rassemble généralement
On peut penser aux stratégies de déni d' accès, au
recours aux ADM, à l' attaque ciblée des plateformes qui sont au coeur
du système des systèmes, satellites, AWACS et JSTARS, ou encore à l'
emploi systématique du camouflage, mais le plus simple reste encore d'
attirer les forces américaines sur des terrains qui annulent ou du moins
réduisent fortement l' efficacité du complexe de reconnaissance-frappe,
de façon à les contraindre au combat rapproché .
Comme il a été vu plus haut, l' acquisition
électronique d' objectifs se heurte tant aux limites actuelles et
prévisibles de la technologie qu' à l' opacité naturelle de certains
terrains .
Le moral, la différence qualitative de les soldats
et le terrain peuvent donc jouer comme autant de facteurs d' égalisation
face à une supériorité quantitative en hommes ou en matériels .
Ce problème tout à fait réel n' a pas encore été
perçu dans toute son acuité, dans la mesure où les dernières
interventions américaines, majoritairement aériennes, ont presque
toujours bénéficié d' un soutien au sol grâce à des alliés locaux
coordonnant leurs actions avec les frappes américaines, ou tout du moins
représentant une menace potentielle obligeant l' adversaire à se
regrouper .
Du Kosovo à l' Afghanistan, ce modèle de coopération
a été raffiné en un triptyque comprenant alliés au sol, forces spéciales
et moyens de frappes, au point de ailleurs de faire dire à certains que
les Etats-Unis pouvaient désormais se passer d' armée de terre ...
Sans pour autant négliger le caractère relativement
novateur de ce triptyque, il est impératif de ne pas perdre de vue le
rôle propre joué par l' Alliance du Nord à l' automne 2001, ni non plus
le caractère incomplet de la victoire remportée .
Les poches de résistance qui ont subsisté après la
chute de Kaboul ont donné lieu à des combats qui ont justement permis d'
apprécier les capacités de résistance d' une infanterie préparée,
entraînée et motivée, face à la logique du ciblage .
En particulier lors de l' opération " Anaconda ",
les moyens considérables de reconnaissance-frappe, pourtant appuyés à le
sol et en dépit de leur précision " exquise " , ne sont pas parvenus à
réduire les fantassins adverses retranchés dans des abris naturels
camouflés ; il a fallu procéder au pilonnage systématique des positions
ennemies suivi par l' avancée prudente des troupes de la 10th Mountain,
auparavant clouées au sol par les tirs de neutralisation au mortier,
tandis que les hélicoptères étaient endommagés par de simples RPG7 .
Non seulement les troupes terrestres américaines et
afghanes se sont révélées nécessaires pour obliger l' adversaire à s'
exposer aux feux à longue portée, aériens ou autres, mais encore a -t-il
fallu le plus souvent " finir le travail " en débusquant les derniers
adversaires enterrés et en exploitant prudemment les succès
micro-tactiques les uns après les autres .
A cet égard, les combats de Tora-Bora et surtout de
Shah i-Kot ont exhibé davantage de ressemblances avec les assauts
pesamment " synchronisés " de la Première Guerre mondiale qu' avec les
opérations ultra-rapides, " simultanées " ( non sequential ) et "
décisives " envisagées par l' Army .
L' autre conclusion temporaire qui émerge de ces
événements a trait à l' impréparation relative de l' infanterie
américaine, souvent obligée de faire appel aux SAS britanniques ou
australiens ou aux meilleurs contingents des chefs de guerre afghans .
Peu surprenante au regard des préférences de longue
date de l' Army, cette " révélation " se trouve confirmée par certains
officiers américains, qui soulignent que les opérations de stabilisation
menées pendant les années 1990 ont " émoussé " les unités classiques
comme la 82e, et qu' en matière de infanterie au sens strict, les
Etats-Unis ne disposent plus que des bataillons de rangers et d' une
partie des Marines .
Or, ce qu' Edward Luttwak a appelé la " logique
paradoxale de la stratégie " veut justement que la prépondérance des
frappes à distance entraîne un recours systématique à l' asymétrie et
donc un besoin de plus en plus marqué en infanterie, et pas simplement
lors de les opérations de stabilisation .
Répondre à ces besoins tout en limitant les pertes
de façon drastique constitue une gageure .
Dans la continuation du programme Land Warrior, l'
Army sponsorise pour l' instant des études sur le fantassin du futur :
celui -ci bénéficierait non seulement des dernières avancées en matière
de connexion, d' acquisition d' objectifs et de C4ISR, mais encore de
technologies véritablement révolutionnaires en matière de robotique, de
protection et d' autonomie .
L' usage massif de micro-robots ou de drones
terrestres ( UGV mules ) faciliterait grandement la reconnaissance ou le
soutien .
L' interconnexion du soldat avec l' intranet
militaire permettrait de l' appuyer ou de l' évacuer plus rapidement, et
surtout de le faire profiter pleinement de la situational awareness
procurée par le réseau des capteurs : anticipation de la menace,
détection des sons, des mouvements et des explosifs, ou encore
reach-back quasi instantané vers l' appui-feu interarmées .
En terrain couvert, toutefois, les embuscades et l'
engagement de près demeurent inévitables, et il n' est donc d' autre
solution que d' augmenter considérablement les moyens de protection
passive des fantassins : est requise une armure qui résiste aux armes de
petit et de moyen calibre et n' entrave pas la mobilité individuelle,
exigence qui requiert à son tour des progrès dans le domaine de les
matériaux composites et quelque chose comme un " exo-squelette " doté de
micro-moteurs performants - dans ce domaine, la technologie en est
encore aux balbutiements, et des prog
On le voit, le fantassin en armure lourde relève
pour le moment de l' anticipation et de la recherche fondamentale, non
de la recherche appliquée et de l' acquisition à moyen terme .
En définitive, la logique du ciblage et son
corollaire obligé, l' attrition, quoique valables dans certaines
circonstances, négligent quelques-unes des réalités les plus
fondamentales du combat .
De fait, la précision du feu n' a pas toujours
vocation à remplacer le volume, tout simplement parce que les munitions
tirées n' ont pas toutes pour objet de détruire ou de tuer .
Comme le sait n' importe quel chef de section d'
infanterie, la saturation du champ de bataille, par exemple par tir de
barrage , a d'abord pour finalité de " faire baisser les têtes ", ce qui
permet à l' attaquant de faire mouvement et au défenseur de freiner ou
d' arrêter le mouvement adverse .
Depuis toujours, le combat terrestre est en effet
fondé sur une combinaison feu-mouvement au niveau de les unités
élémentaires : parallèlement à les effets de destruction directe qu' il
cause, le feu vise un effet moral sur les troupes ennemies, comme Ardant
du Picq en son temps l' a montré .
A cet égard, les partisans de la RMA, souvent
américains , ont largement négligé leurs propres sources d' information
: qu' il s' agisse de " Linebacker " en 1972 ou de " Desert Storm ",
tous les témoignages des prisonniers de guerre concordent pour souligner
l' effet de terreur créé par les bombardements de B - 52 ou les tirs de
barrage de l' artillerie moderne .
Compte tenu de l' incidence de la détermination du
soldat individuel, il paraît hasardeux de négliger ainsi le rôle de l'
infanterie ou les " effets de panique " ; la guerre du Golfe a bien
montré l' importance de la motivation et de l' entraînement des troupes,
et le caractère extrêmement déséquilibré du résultat de la campagne ne
s' explique pas seulement par l' écart technologique et quantitatif
.
Aujourd'hui très isolés, alors qu' ils dominaient le
débat intellectuel et doctrinal dominaient le débat intellectuel et
doctrinal il y a de cela quinze ans, les partisans de la " guerre de
manoeuvre " n' en ont pas moins raison de souligner les insuffisances de
la " logique du ciblage " et d' insister a contrario sur l' importance
des feux de neutralisation, de la reconnaissance par contact et de l'
engagement de près, bref tout ce qui participe de la dimension humaine
et morale du combat .
L' accent sur les frappes à longue portée ne peut
que susciter l' asymétrie chez l' adversaire complètement dominé -
situation actuelle - et entraver, voire interdire, la manoeuvre au sol
lorsque celui -ci dispose de PGM en quantité - situation future
potentielle .
L' avenir de la manoeuvre terrestre
La majeure partie de l' armée de terre américaine
est bien entendu consciente des opportunités et des contraintes
engendrées simultanément par la progression de la puissance de feu, et
sait bien que les résultats militaires " décisifs " - c' est-à-dire
concluants à leur niveau, sans préjuger pour autant du résultat global
de la guerre - ont historiquement dépendu, au sol en tout cas, d' une
combinaison associant mobilité et puissance de feu ( mobile striking arm
), par exemple l' attelage léger des canons de Gribeauval pour Napoléon
ou le char pour les Allemands en 1940
Durant la décennie écoulée, les études à long terme
de l' Army sont d'ailleurs focalisées sur la place exacte et les
modalités de réalisation de la manoeuvre terrestre dans le combat
interarmées futur ; il s' agissait simultanément de tirer parti des
possibilités en matière de frappes à longue distance et de préserver à
son profit une mobilité stratégique et tactique suffisante .
Concernant la capacité à " voir et frapper en
profondeur " ( see deep, shoot deep ), l' Army compte à la fois sur ses
moyens propres, actuels et futurs, et sur le soutien interarmées .
Sur le premier point, l' hélicoptère furtif
Comanche, le drone Shadow , le missile ATACMS et le système d'
artillerie HIMARS devraient déjà conférer à l' armée de terre des moyens
considérables .
Pour l' Objective Force " comme pour l' IBCT, la
difficulté principale devrait être de parvenir à intégrer un système d'
artillerie performant au châssis du FCS, que l' on suppose léger .
L' intégration des feux fournis par les autres
armées renvoie directement au problème de la jointness ; il est à ce
titre abordé plus loin .
Concernant maintenant la manoeuvre sur un champ de
bataille saturé par les PGM, les solutions ne sont pas aussi aisément
identifiables .
Celles retenues dans le projet " Objective Force "
consistent à accroître considérablement, et la dispersion entre les
unités de manoeuvre, et le tempo général des opérations .
So far , so good : on retrouve là les formules
historiquement utilisées dans des contextes marqués par une augmentation
brutale de la puissance de feu, par exemple pendant la Première Guerre
mondiale .
Il reste toutefois à répondre aux deux questions qui
ne manqueront pas d' émerger à court terme, comme elles l' ont fait lors
de changements similaires à travers l' histoire : comment et à quel
niveau intégrer efficacement le feu et la manoeuvre, et par quels moyens
conserver une mobilité suffisante ?
A considérer l' exemple du front occidental entre
1914 et 1918, il apparaît clairement qu' il s' est révélé extrêmement
difficile et coûteux en vies humaines de résoudre le blocage tactique
engendré par l' accroissement sans précédent de la puissance de feu .
Il a fallu rien moins que une réorganisation
intégrale de la tactique élémentaire, avec les effets associés sur le
commandement, l' organisation et la formation des troupes .
Seuls les Allemands ont d'ailleurs pleinement
maîtrisé, à l' attaque comme en défense, les procédés nouveaux, tandis
que les Alliés ne se sont jamais complètement résolus à développer l'
autonomie nécessaire au niveau de les unités élémentaires - sections
chez les Alliés, groupes chez les Allemands .
Il s' agissait d'abord d' intégrer beaucoup plus "
bas " dans la hiérarchie des unités le principe du combat toutes armes,
en dotant ces unités élémentaires de mitrailleuses, grenades et
mortiers, et en leur conférant une autonomie sans précédent depuis le
XVIe siècle .
Il a fallu ensuite entraîner ces unités élémentaires
pour que elles apprennent à combiner en permanence le feu et le
mouvement, en interne comme dans leurs relations avec les autres unités
d' infanterie ou le soutien d' artillerie .
A partir de 1918, la tactique d' infanterie moderne
est ainsi fondée sur une combinaison feu-mouvement au niveau de les
groupes de combat élémentaires, là où en 1914 le bataillon était l'
unité tactique de base et comportait en général quelques pièces de
campagne et quatre mitrailleuses ...
La fin de l' ordre linéaire souple, la dispersion et
l' autonomisation de les unités , enfin l' intégration de le combat
toutes armes à bas niveau ont véritablement révolutionné le combat
terrestre, au point de le rendre très complexe et d' interdire en fait à
des troupes insuffisamment formées de s' y essayer avec succès .
Cet exemple historique a valeur d' analogie par
rapport à le contexte contemporain, et l' on peut légitimement comparer
les feux à longue portée et les forces terrestres d' aujourd'hui avec l'
artillerie et l' infanterie de 1914 - 1918 .
Dans cette optique, il s' agit de procéder à une
redéfinition de la tactique et des opérations qui prenne en compte l'
évolution des armements ( allongement des portées, précision quasi
absolue à terme ) et des moyens de communication ( temps réel, boucle "
sensor to shooter " ) .
Toute une série de questions s' ensuivent : si l' on
se doute qu' il est nécessaire, aujourd'hui comme autrefois, d' intégrer
les moyens interarmées à plus bas niveau, reste à identifier le niveau
optimal et à réorganiser le commandement comme les unités - que doivent
-elles embarquer de façon organique et que peuvent -elles externaliser ?
A cet égard, le format projeté pour le couple "
UA-UE " ( units of action / employment ) , comme d'ailleurs le modèle "
FXXI " avant lui , présente de nombreuses ressemblances avec des formats
plus anciens comme TRICAP : les éléments de soutien et les proportions
varient, mais le coeur de l' unité reste constitué par des hélicoptères
et des blindés - on ne sait pas encore si les UA correspondront à l'
infanterie montée des IBCT ou à une version futuriste des unités
blindées actuelles .
A première vue, il ne va pas de soi que l' ampleur
de la réorganisation soit en proportion de la RMA annoncée .
Plutôt que une critique, cette observation entend
souligner ce que justement la Première Guerre mondiale avait déjà montré
: en l'absence de conflit de haute intensité, il est très difficile d'
anticiper les structures de force et les organisations adaptées, même en
ayant abondamment recours à des manoeuvres et des wargames - de ce point
de vue, et en raison de l' urgence politique de la transformation, il n'
est pas certain que l' Army se donne actuellement le temps nécessaire .
Reste également à organiser l' appui-feu des unités
terrestres, en sorte que elles puissent avoir recours en temps réel et
avec une grande flexibilité aux capacités de frappe des autres Services,
ce qui pose une nouvelle fois le problème de la jointness .
Si l' on met entre parenthèses la définition des
formats optimum, l' intégration des moyens interarmées et la
réorganisation du commandement, demeure enfin le problème majeur de la
mobilité physique des unités .
A cet égard, " Objective Force " semble se démarquer
de l' IBCT par l' incorporation massive d' éléments héliportés à
l'intérieur de les UE . En l'absence de percées technologiques tout à
fait spectaculaires, on voit mal en effet comment le FCS, quelle que
soit sa forme ultime, pourrait non seulement réunir les qualités
respectives des véhicules légers et des chars lourds, mais surtout
permettre une multiplication par dix du tempo des opérations, tel que
cela a été envisagé dans " Army After Next " .
Seule une plateforme volante, hélicoptère pur ou
engin hybride de type V - 22 , pourrait éventuellement produire un tel
résultat .
Or, les hélicoptères nécessitent une maintenance
très importante : ce qu' ils ajoutent ex post aux opérations se paie
donc ex ante, au niveau logistique .
De plus, ils posent presque autant de difficultés de
déploiement par avion que les chars ( leur plus faible masse est
compensée par leur volume ), et leur rayon d' action actuel reste limité
.
La réalisation pleine et entière de " Army Vision
2020 " suppose donc des progrès technologiques considérables, tels que
l' autonomie et la simplicité d' entretien des hélicoptères soient
multipliées par cinq ou par dix .
Les analyses qui précèdent ont fait apparaître que
l' IBCT était structurée autour de deux innovations principales, le
primat de l' infanterie et la reconnaissance électronique, qui permet d'
éviter le contact et de bénéficier de l' appui des feux à longue portée
.
il est impossible de déterminer aujourd'hui laquelle
de ces deux conceptions partiellement contradictoires est finalement
appelée à l' emporter dans le futur, on pressent toutefois une
divergence entre l' Objective Force " et l' Interim Force ", divergence
qui pourrait à terme rompre l' équilibre actuel, privilégier les feux à
longue distance et finalement faire triompher au détriment de le " grunt
" une sorte d' Air Power " terrestre .
Or, une appréciation objective du contexte
conflictuel à venir et de l' exigence de réactivité et de vitesse
conduirait plutôt à privilégier un mixte d' unités héliportées et d'
infanterie montée d'abord orientée sur le combat de près .
Quelle que soit la solution finalement retenue à
l'intérieur de " Objective Force " ou en dehors, les frictions entre l'
Army et ses Sister Services ne manqueront pas de se manifester .
Evaluation politique : les ambiguïtés du projet
Les analyses qui précèdent ont souligné à plusieurs
reprises le caractère tout à la fois récurrent, problématique et déterminant
de l' interarmisation : la viabilité même du plan Shinseki, à court comme à
moyen terme, procède de l' intégration réussie des capacités interarmées, et
jamais sans doute l' armée de terre ne s' était trouvée en pareille
situation de dépendance .
En parallèle, cependant, l' ambition full-spectrum
affichée par l' Army ne peut que rentrer en contradiction ouverte avec les
intérêts bien compris des autres armées, qu' il s' agisse de missions ou de
budgets .
Dans cette optique, la jointness devient immédiatement
une question politique faisant intervenir l' influence respective de chaque
Service auprès de les autorités civiles et plus largement, engageant avec
elles un débat sur les modalités d' emploi de la force .
L' Army et la " jointness "
De prime abord, il peut sembler paradoxal de ranger
l' interarmisation parmi les problèmes politiques, puisqu' il s' agit d'
une question opérationnelle et que le problème de l' intégration des
feux à longue portée transcende le débat traditionnel entre " Air Power
" et " Land Power " et passe désormais à l' intérieur même de chaque
armée .
aux Etats-Unis, toutefois, la nature éclatée de les
institutions et le rôle spécifique de le Congrès en matière budgétaire
ont presque toujours transformé la jointness en problème hautement
politique .
Il convient donc de commencer par un état des lieux
avant d' aborder successivement les aspects opérationnel et politique du
problème .
A maints égards, l' interarmisation fait figure d'
arlésienne du débat stratégique américain : régulièrement annoncée,
presque universellement louée mais exigée plus souvent encore, elle
relève à l'évidence du programme plus que de la réalité dans un pays
marqué par l' indépendance historique de la Navy, de l' Army et de l'
Air Force, et pour qui la redondance des moyens est un luxe abordable et
même souhaitable .
des progrès ponctuels, en particulier dans le
domaine de les communications , font que désormais les Services peuvent,
à haut niveau en tout cas, communiquer entre eux en situation
opérationnelle - ce n' était pas le cas lors de l' intervention à la
Grenade .
En outre, sous la pression de l' actuel secrétaire à
la Défense, l' ancien commandement atlantique, également chargé de la
jointness , s' est vu déchargé de ses premières responsabilités afin de
pouvoir se concentrer sur la coopération entre les armées américaines
elles -mêmes et entre celles -ci et leurs alliés .
L' année 2003 devrait d'ailleurs être marquée par la
création d' unités et d' états-majors interarmées permanents ( Standing
Joint Task Forces ou SJTF ) .
Il s' agit dans un premier temps de favoriser l'
entraînement interarmées, afin de en finir avec une situation absurde
dans laquelle les armées se forment et s' équipent séparément, alors qu'
elles sont appelées à intervenir côte à côte .
L' exemple des interventions récentes comme l'
âpreté des querelles entre Services laissent cependant sceptique .
A l' inverse des discours et des doctrines prônant
l' interarmisation et l' initiative locale, la guerre du Golfe s' est
caractérisée par une gestion hautement centralisée de l' information et
une péréquation du commandement opérationnel en fonction de les
classiques rivalités interarmées, et non par l' exploitation des
opportunités offertes par la jointness et le " temps quasi réel ", et on
pourrait en dire autant du Kosovo à une autre échelle .
Comme le remarque l'un des experts interviewés,
jusqu'à présent, en fait d' interarmisation, il a été davantage question
de départager les responsabilités que d' intégrer les capacités " .
Au fur et à mesure que se concrétisent les réformes
voulues par Donald Rumsfeld, l' approbation de principe a de fortes
chances de se muer en une obstruction sourde par laquelle chaque armée
tentera de préserver son " pré carré " .
Tant que la formation et l' équipement des troupes
incomberont, de par la loi, aux Services, il sera extrêmement difficile
d' aller systématiquement contre leur volonté conjointe .
Que le débat sur l' interarmisation soit revenu sur
le devant de la scène au cours de les années récentes ne s' explique pas
par un échec retentissant - comme cela avait été le cas avec " Desert
One ", fiasco à l'origine de la loi Goldwater-Nichols et de la création
des Combatant Commands ou commandements opérationnels interarmées - mais
bien par la conjonction de facteurs budgétaires et d' évolutions
technologiques .
Outre la baisse des budgets de défense des années
1990, qui nécessairement a exacerbé la compétition, les armées ont dû
progressivement faire face à une réalité incontestable : l' efficacité
opérationnelle suppose dès aujourd'hui et plus encore à l'avenir une
intégration croissante de leurs capacités respectives .
Ceci tient tout d'abord à la multiplication des
plateformes ou des capacités interarmées utilisées simultanément par
tous, quel que soit l' opérateur " d' origine : satellites d'
orientation, d' observation et de communication, UAV, renseignement en
général .
En second lieu, l' allongement de la portée des
armes amène à obsolescence la distinction entre rear, close et deep
battle zones, et conduit naturellement chaque armée à " empiéter " sur
les prérogatives habituelles des autres .
La solution traditionnelle consistant à créer une
délimitation artificielle ( Fire Support Coordination Line ou FSCL )
risque d' être de plus en plus difficile à mettre au point et à
respecter, et pourrait surtout se révéler contre-productive ; une partie
de la Garde républicaine irakienne s' est d'ailleurs échappée en 1991,
car elle se trouvait hors de portée des hélicoptères de l' Army, mais à
l'intérieur de " sa " partie de la FSCL, au grand dam des aviateurs qui
survolaient les environs de Bassorah .
Cette disparition des lignes de partage claires qui
avaient prévalu traditionnellement entre l' Army, l' Air Force et la
Navy pose un problème majeur, à la fois opérationnel et politique
.
S' il se vérifie, le changement de paradigme suscité
par la RMA oblige l' Army, on l' a vu, à repenser les organisations, le
commandement, les structures de force et peut-être même la tactique
élémentaire .
Il s' agit, pour les opérations terrestres, d'
intégrer les feux et la manoeuvre à une échelle inédite, aussi bien vers
le bas, à l'intérieur de les unités, que vers le haut, entre les
Services .
Or, cette évolution, de le combat toutes armes de l'
armée de terre vers le combat interarmées terrestre , suscite
immédiatement un problème aigu de subordination, à la fois objectif et
intéressé, et qui se résume à la question suivante : quelle est l' armée
" décisive ", qui doit donc être " soutenue " ( supported ) par les
autres, réduites au rôle de " supporting services ", sachant que
désormais elle participent toutes aux opérations qui se déroulent à
terre ?
Là où le débat traditionnel opposait les adeptes du
" bombardement stratégique " aux tenants de la coopération interarmées
au profit de une décision forcément emportée par les troupes terrestres
( doctrine AirLand Battle ), le débat contemporain opère une "
révolution kantienne " et fait passer la ligne de partage à l' intérieur
même de ce qui était le domaine réservé de l' Army, les opérations au
sol .
La plupart des partisans actuels de l' Air Power s'
accordent en effet pour estimer, avec les ceux de la RMA, que le
caractère décisif des frappes - aériennes - ne réside plus tant dans le
choix de cibles " stratégiques " que dans la capacité à détruire toute
possibilité ou centre de résistance visible .
Dans cette optique, les forces terrestres, qu' elles
appartiennent d'ailleurs à l' Army ou à l' USMC , ont fort logiquement
pour mission de " débusquer " les cibles adverses, de les obliger à se
manifester et à se concentrer, devenant ainsi vulnérables aux frappes .
Les " deux armées de terre " américaines , à l'
inverse , persévèrent à penser que les feux à longue portée jouent à
l'échelle de le théâtre le même rôle de soutien, parfois fondamental et
néanmoins toujours subordonné, que l' artillerie par rapport à les armes
de mêlée .
On pourrait croire à ce stade que la controverse
oppose l' Army et l' USMC d' un côté, la Navy et l' Air Force de l'
autre .
S' il en va bien ainsi " philosophiquement ", la
réalité est autrement plus complexe, car cette opposition se double d'
une opposition potentielle exactement inverse : les Services qui gèrent
majoritairement les capacités de frappes comme ceux qui sont organisés
pour le combat de près chassent sur les " mêmes terres " .
Pour ces raisons, ce qui devrait être un débat
opérationnel et technique portant sur la manière la plus efficace d'
intégrer les capacités et de créer une véritable synergie se transforme
en une querelle sur " les rôles et les missions ", avivée par la
réduction constante des crédits de défense durant les années 1990 comme
par la disparition du " compétiteur de rang égal " .
Quel pays peut en effet prétendre aujourd'hui s'
opposer en haute mer à la Navy ou dans les airs à l' Air Force ?
Parce que le contrôle de leur " médium " naturel ne
constituait plus un problème et donc une justification, la Navy et l'
Air Force se sont très naturellement réorientées vers des stratégies "
du littoral " ( from the sea ) ou counter-land .
En parallèle, la réorientation " tous azimuts " de
la stratégie générale américaine a, on l' a vu, obligé l' armée de terre
à sortir de son rôle historique d' ultime et décisif recours, afin de se
projeter plus rapidement sur les théâtres de crise, empiétant au passage
sur les prérogatives des Marines .
Selon la façon dont elle est organisée, la jointness
fait ainsi courir à chaque armée le risque de se voir subordonnée aux
autres Services dans le cadre de opérations dirigées vers l' intérieur
des terres : feux à longue portée comme soutien de forces terrestres
opérant désormais sur toute la profondeur du théâtre, sorte de AirLand
Battle gigantesque d' un côté, manoeuvre comme élément de " soutien " à
des frappes décisives de l' autre .
Rôles, missions et budgets
C' est à la lumière de ce contexte de rivalités
interarmées qu' il convient d' apprécier les orientations retenues par
l' Army dans son effort de " transformation " .
Si l' on met entre parenthèses le problème épineux,
et à dire vrai central, de la faisabilité du " Futur Combat System ", le
plan " Objective Force " vise à réformer l' armée de terre dans le sens
de la projection de force tous azimuts et pour ce faire repose sur l'
intégration des feux interarmées, le développement des capacités
héliportées et le renouveau de l' infanterie .
Or, les relations entre Services et la culture
interne de l' Army ne favorisent guère la réalisation de l' Objective
Force " .
Face aux prétentions des autres Services, l' Army
refuse évidemment d' être cantonnée à un rôle de soutien, qu' il s'
agisse de " débusquer " l' ennemi au profit de l' Air Force, de conduire
des opérations de nettoyage ( mopping-up ) sur les franges du théâtre ou
de " maintenir l' ordre " après coup, comme au Kosovo .
Or, le paradoxe veut que l' Army soit l' institution
la plus menacée par la transformation, en même temps que elle est la
plus dépendante des trois Services : moins dotée que la Navy ou l' Air
Force en capteurs et moyens de frappe à longue portée, elle en a
toutefois impérativement besoin pour opérer ; de surcroît, les
interventions de la dernière décennie ont mis l' Air Force à tel point
en valeur que des experts et des commentateurs toujours plus nombreux se
demandent si le maintien d' une force terrestre aussi importante se
justifie encore .
L' armée de terre est donc fortement incitée à
concurrencer l' Air Force et la Navy dans le domaine de les frappes à
longue portée, de façon à réduire sa dépendance et à démontrer qu' elle
est elle aussi " transformée " .
Or, l' Air Force est évidemment mieux placée, à
l'heure actuelle et pour un certain temps encore, pour revendiquer et
surtout mettre en pratique une pure stratégie de ciblage - la Navy elle
-même a d'ores et déjà du mal à suivre .
Même à supposer que l' Army de 2025 dispose des
plateformes ultrarapides requises, ainsi que de moyens de frappe à
distance autonomes, elle n' en deviendrait pas moins, en souscrivant
pleinement à cette conception des opérations militaires, chargée d' une
mission de soutien, à savoir " débusquer " par ses feux les unités
adverses au profit de un complexe de reconnaissance-frappe dont elle
sera au mieux le partenaire junior - les plateformes aériennes devraient
garder un net avantage en termes de réactivité, d' allonge et de volume
de munitions de précision tirées .
Les Marines revendiquent d'ailleurs a contrario l'
esprit d' infanterie " nécessaire à la conduite d' opérations décisives
dans n' importe quel contexte et sur n' importe quel terrain : ce choix
restrictif correspond à la fois à la taille réduite du Corps et à ses
préférences doctrinales .
En parallèle, l' Interim Force " pour partie mais
surtout la volonté explicite de le général Shinseki de faire à terme de
l' armée de terre une force de " premier recours " heurtent de front les
intérêts de l' US Marine Corps, de même d'ailleurs que la probable et
importante composante héliportée de l' Objective Force ", qui pourrait
avoir occasionnellement besoin de stationner sur des bateaux, si les
progrès technologiques espérés ne se réalisent pas .
Le problème a dû en réalité se poser déjà pour l'
IBCT : parce que les porte-hélicoptères sont considérés comme des
capital ships, la Navy est, de par la loi, seule habilitée à les
posséder et à les commander .
Il était donc exclu de lancer un programme
comparable aux BPC ( bâtiments de projection et de commandement )
français et il n' y avait dès lors pas d' autre choix que de privilégier
le transport aérien et de ne pas trop mentionner les hélicoptères, à
court terme en tout cas .
Ainsi, l' existence du Marine Corps interdit à l'
Army de jouer la Navy contre l' Air Force , et l' oblige en fait à
passer par son " ennemi véritable " .
Dans le même temps, les forces spéciales, et pour
partie les Marines , ont repris à leur compte les missions
traditionnelles d' infanterie comme le combat urbain, l' infiltration ou
même les raids en profondeur, à côté des rangers .
La réorientation massive de l' armée de terre dans
cette dernière direction eût été de toute façon délicate .
Outre que une bonne partie de l' institution s' y
serait opposée, le combat rapproché et les thèmes afférents ne sont
certes pas à la mode : les défenseurs de la RMA insistent constamment
sur la nécessité du " see deep, shoot deep " et tournent en dérision les
résistances des traditionalistes comme autant de mauvais prétextes .
Ils ont ainsi beau jeu de faire valoir que l' Army
s' est éloignée depuis longtemps déjà du " corps à corps " en
privilégiant la puissance et la létalité des plateformes : les chars
américains ne détruisaient -ils pas les T - 72 irakiens à distance de
sécurité ?
L' argumentaire traditionaliste serait d' autant
plus faible et bêtement conservateur qu' il ne percevrait ni l' ampleur
des progrès technologiques en cours, ni surtout que la " révolution de
la précision " ne fait que poursuivre une tendance naturelle et
ancienne, à laquelle l' Army a pleinement participé .
Les armes traditionnellement dominantes de l'
institution ne sont pas véritablement en désaccord avec ce raisonnement,
premièrement parce que elles estiment politiquement intenable le risque
de pertes significatives qui va de pair avec le combat rapproché,
deuxièmement parce que une telle réorientation risquerait de se traduire
par une baisse significative et durable des crédits alloués à l' Army,
troisièmement parce que l' institution risquerait de finir en force de
maintien de l' ordre ( constabulary Army ), enfin parce que elles
estiment pouvoir tirer parti en interne
Les heavies espèrent d'ailleurs sans doute que le
FCS sera au final une version allégée et plus moderne des véhicules
lourds d' aujourd'hui, de façon à rétablir le primat de l' affrontement
mécanisé .
Les lights et les membres de l' Army Aviation "
aspirent à l' inverse à profiter de la transformation pour rééquilibrer
à leur profit les rapports de force au sein de l' institution .
Obligé de prendre en compte ces aspirations
antinomiques, le leadership de l' Army entend pour sa part réconcilier
tous les éléments disparates de l' institution, en finir avec la
prédominance de certaines branches, sans pour autant en privilégier
d'autres, et occuper le terrain budgétaire face à la Navy et à l' Air
Force tout en répondant à la pression politique qui s' est accentuée
depuis le Kosovo, et qui interdit de s' en tenir au business as usual en
matière de programmes .
Dans cette optique, on s' explique sans doute mieux
le choix du véhicule Stryker en lieu et place de solutions soit plus
innovantes ( AGS ou autre ), soit moins onéreuses ( M113 ) .
De même, il était vraisemblablement impossible de
lancer un nouveau projet d' hélicoptère, ou d' orienter le FCS dans
cette direction, sans mettre immédiatement en danger le Comanche, déjà
menacé par les nombreuses voix qui se sont élevées pour souligner que
les UAV pourraient se charger à l'avenir de la reconnaissance armée à
basse altitude - en outre, l' Army est susceptible à l'avenir de s'
intéresser au V - 22 Osprey, s' il s' avère viable .
Pour ce qui est du moyen / long terme, le maintien
sélectif de quelques programmes de modernisation généralement orientés
ou " vendus " comme étant transformational et le lancement du FCS
permettent à la fois de satisfaire les traditionalistes et les
avant-gardistes .
De la sorte, l' armée de terre entend préserver,
voire même augmenter, sa part des crédits d' équipement, déjà inférieure
à celle de ses concurrents .
Si elle permet de satisfaire partiellement les
demandes des politiques comme les préférences des diverses composantes
de l' institution, cette stratégie de développement tous azimuts place
cependant l' Army dans une logique d' affrontement avec tous les autres
services .
Comme ces derniers ne manquent pas de le faire
savoir, c' est bien d'abord la stratégie budgétaire de l' Army qui est
full-spectrum : avec le lancement de l' Interim Force " et de l'
Objective Force ", concurremment au maintien de la " Legacy Force ", le
contribuable américain serait de facto en train de subventionner trois
armées de terre, pour accomplir des missions qui pour certaines d' entre
elles sont déjà remplies par l' US Marine Corps ou l' Air Force .
L' Air Force en particulier fait valoir que l' Army
aurait dû se montrer plus prévoyante durant les années 1990, et qu' elle
devrait réduire ses structures de force plutôt que de faire financer sa
transformation par les autres armées .
L' augmentation très substantielle des crédits de
défense décidée à la suite du 11 septembre n' a probablement fait que
reporter dans le temps la crise budgétaire et interarmées stimulée tant
par le discours de la transformation que par l' évolution réelle des
technologies et des équipements .
Defense Politics " et emploi de la force : la
fragilité du plan Shinseki
Au vrai, il convient de bien isoler ce qui
appartient réellement au débat fondamental évoqué plus haut, qui oppose
des conceptions antagonistes de la guerre, et ce qui relève plus
simplement des intérêts bien compris des divers lobbies, militaires,
industriels et autres .
Quelle que soit l' âpreté des querelles entre
Services, en effet, l' Army est d'abord menacée par l' atmosphère
intellectuelle et politique qui prévaut à Washington en matière de
stratégie et d' usage de la force .
A cet égard, le plan Shinseki se trouve
littéralement pris sous les feux croisés de critiques qui appartiennent
pourtant à des écoles de pensée différentes .
En premier lieu, le débat américain autour de le
plan Shinseki et plus largement de l' avenir de l' armée de terre laisse
apparaître une majorité plus ou moins virulente de sceptiques .
Pour résumer, on dénombre essentiellement quatre
points de vue sur la question .
A l'origine de nombreuses controverses globalement
dirigées contre l' Army et en faveur de l' Air Force, l' école de l' Air
Power " n' est foncièrement hostile ni aux IBCT, ni à " Objective Force
", qui vont dans le sens de la précision, du moment que l' Army finance
elle -même sa transformation .
En outre, l' Interim Force " en particulier est
appelée à être dans une situation de forte dépendance ( transport,
soutien, appui-feu ) vis-à-vis de l' Air Force .
Les partisans civils de la RMA, moins liés à ce
dernier Service , sont en revanche très critiques à l' endroit des IBCT,
trop lourdes et trop chères par rapport à ce qui serait leur mission
réelle, le maintien de la paix .
Dans la mesure où il se réclame explicitement de l'
idée de guerre " réseau-centrée ", le projet " Objective Force " est
pour sa part accueilli favorablement .
Sur ces deux derniers points, les "
traditionnalistes " , présents pour l' essentiel au sein de les branches
dominantes de l' Army , ne sont paradoxalement pas loin de partager l'
opinion des tenants de la RMA : les IBCT orientent l' Army dans la
direction dangereuse des opérations de stabilisation et l' éloignent du
combat de haute intensité, qui doit rester sa raison d' être .
Ils se séparent bien entendu des deux premières
écoles en restant attachés à la doctrine Powell et par leur vive
opposition aux véhicules légers qui, d' après eux, manquent de
protection et de puissance de feu au point de être inutiles .
L' Interim Force " en particulier n' a pour eux
aucune utilité et menace l' identité de l' Army .
Les maneuverists demeurent également sceptiques
vis-à-vis du corpus de pensée de la RMA, rejettent la recherche
systématique de la distance et de la précision et insistent sur l'
importance des feux de neutralisation et du combat rapproché .
Ils diffèrent des traditionalistes en ce qu' ils
acceptent pour l' institution la nécessité du changement de format et de
la réorientation des missions, et réservent leurs critiques aux
modalités de la réforme en cours .
De leur point de vue, la refonte des structures et
de la formation constituent des priorités plus urgentes que l'
acquisition d' équipement nouveaux, d'ailleurs douteux ; il faut aller
franchement et rapidement vers la modularité des structures de force,
une interarmisation véritable et un commandement décentralisé, et " les
équipements suivront " .
A l' image du débat stratégique américain, les
appréciations généralement portées sur la transformation de l' Army s'
attachent majoritairement aux aspects techniques, opérationnels et
budgétaires ; ce faisant, elles laissent partiellement dans l' ombre la
dimension politique du débat, pourtant essentielle .
Depuis la fin de la guerre froide, les échéanciers
internes dominent la vie politique américaine ; il s' en suit une
déconnexion entre le débat stratégique, très focalisé sur la dimension
purement militaire et technique des débats stratégiques, et les débats
de politique étrangère, plus généraux mais souvent biaisés par des
considérations de politique intérieure .
En premier lieu, la hiérarchie civile du Pentagone
compte dans ses rangs des adeptes nombreux et convaincus de la
transformation, depuis Donald Rumsfeld lui -même jusqu' à Steven Cambone
et Arthur Cebrowski .
L' équipe au pouvoir n' a pas non plus caché ses
réticences initiales vis-à-vis des opérations de stabilisation et du
nation-building ; l' IBCT semble d'ailleurs susciter davantage d'
enthousiasme pour ce qu' elle annonce que pour ce qu' elle permet
aujourd'hui .
En règle générale, cette école de pensée s'
intéresse davantage au C4ISR, aux capacités de frappes à longue portée
et aux moyens permettant de contrer le déni d' accès, qui pourraient
tous être requis dans vingt ans contre la Chine, qu' aux structures
actuelles, regardées comme pesantes et de plus " engluées " dans des
opérations de police internationale qui n' en finissent pas .
Aussi a -t-il été rapidement clair, malgré le
soutien verbal accordé au plan " Objective Force ", que l' Army était
plus spécialement dans la ligne de mire de Donald Rumsfeld en matière de
annulations de programmes et même de réduction de format .
Comme pour mieux signifier sa disgrâce, on a même
été jusqu' à annoncer très en avance le nom du successeur du général
Shinseki .
A en s' tenir à ces éléments, aux déclarations de l'
actuel secrétaire à la Défense ou à l' ambiance au sein de l'
institution, on aurait presque pu croire l' Army condamnée à brève
échéance .
Du 11 septembre jusqu' à aujourd'hui, les événements
ont partiellement redirigé les esprits vers l' extérieur et suscité une
aubaine budgétaire .
Dans le contexte actuel, l' Army est bien
évidemment requise, et le sera bien plus encore en cas de intervention
en Irak .
A cet égard, il est à n' en pas douter important
pour l' institution et les bastions conservateurs en son sein que cette
seconde campagne se passe bien, mieux en tout cas que l' Afghanistan,
qui a surtout mis en valeur les forces spéciales .
Après tout, le Contingency Corps et le
Counterattack Corps ont justement pour vocation d' écraser un adversaire
mécanisé, respectivement dans le Golfe et en Corée, et un fiasco dans
les circonstances présentes, qui plus est sur les théâtres mêmes pour
lesquels les heavies se sont préparés, serait impardonnable et
entraînerait sans doute des conséquences irréparables pour l' Army
.
En second lieu, toutefois, le risque politique
principal ne vient sans doute pas des " aléas de la conjoncture " ou des
changements de gouvernement ; après tout, l' Army est présente sur tout
le territoire américain et peut donc compter autant que les autres
Services sur le soutien appuyé du Congrès - a contrario, qu' il ait été
possible de " tuer " le programme Crusader s' explique justement par le
fait que l' industriel n' était implanté que dans un seul état, contre
près de 40 pour le F - 22 Raptor .
Le danger de long terme, qui menace d'ailleurs l' US
Marine Corps tout autant que l' Army , a sans doute plus à voir avec la
phobie des pertes que les hommes politiques et les militaires supposent
à leur propre population .
Contrairement à une légende tenace qui attribue
cette phobie des pertes à la société civile en propre, toutes les études
d' opinion font justement apparaître une réalité beaucoup plus nuancée .
Le problème des pertes résulte en fait des
particularités du système politique américain, qui organise une
distribution équilibrée des pouvoirs entre les institutions, et en
particulier entre la présidence et le Congrès .
Ce système de " freins et de contrepoids " oblige au
compromis et à la minimisation des risques : en l'absence de discipline
de parti dans les Chambres, l' exécutif peut se retrouver censuré à tout
moment s' il met en danger la réélection des membres de son propre parti
.
L' expérience malheureuse du Vietnam a bien entendu
amplifié le phénomène, tout d'abord en mettant un terme à l' ère de la "
présidence impériale " qui avait caractérisé la guerre froide, en second
lieu en poussant l' institution militaire à intervenir de plus en plus
ouvertement dans le débat, entre autres par le biais de le Congrès .
Autrement dit, et après une lente mais sûre montée
en puissance du pouvoir présidentiel face à les prérogatives
congressionnelles en matière de politique étrangère, les années 1970 ont
été l' occasion d' un retournement significatif, qui s' accélère avec la
fin de la guerre froide : le président doit désormais faire face à la
fois au Congrès et à l' institution militaire, chaque acteur veillant
jalousement sur son " pré carré " et essayant auprès de l' opinion de
faire assumer par les autres les risques ou les déconvenues éventuelles
.
Parce que aucun de ces acteurs ne veut se retrouver
en position de devoir assumer un échec ou une catastrophe , et préfère
prendre les devants en prêtant à la population des sentiments très
tranchés à cet égard, il est politiquement très risqué aux Etats-Unis de
s' engager dans une intervention susceptible de produire des pertes
significatives .
Militaires et civils sont otages les uns des autres,
la présidence est à la merci de le Congrès et le parti au pouvoir est
vulnérable aux accusations de l' opposition .
Conclusion
au terme de cette étude émergent plusieurs conclusions, qui
concernent aussi bien les chances de réalisation du plan Shinseki que l' avenir
de l' Army et les conséquences du processus de transformation pour les alliés
des Etats-Unis, quel que puisse être son résultat final .
Les événements récents n' ont pas été tendres avec l' Army,
depuis le fiasco albanais jusqu' aux difficultés de l' opération " Anaconda " .
Par nature passagers, ces incidents de parcours ne
signifient pas grand-chose par rapport à les vrais problèmes de l' institution,
qui ont à voir avec la concurrence que lui livrent les autres Services et l'
atmosphère politique qui conditionne aux Etats-Unis l' usage de la force .
A maints égards, l' Army se retrouve dans la situation peu
enviable d' être attaquée à la fois par le haut, la Navy et l' US Air Force s'
étant réorientées vers la surface terrestre, et par le bas, les forces spéciales
ayant apporté la démonstration de leur flexibilité et de leur efficacité en
Afghanistan .
La riposte est d' autant moins aisée à organiser que l'
armée de terre risque de s' aliéner durablement l' US Marine Corps et, par voie
de conséquence, la Navy, si elle prétend désormais se réorganiser dans une
logique expéditionnaire, ce qui l' oblige à passer par l' Air Force pour se
déployer - et ce, alors que les deux Services devraient être des alliés naturels
face à les prétentions de l' Air Force .
Enfin, les réticences de la classe politique mais aussi de
la hiérarchie militaire interdisent sans doute à l' armée de jouer complètement
la carte de la présence au sol et du combat de près, depuis les opérations de
stabilisation jusqu' au " combat d' infanterie " .
Dans ces conditions, le plan Shinseki constitue une réponse
courageuse, qui cherche à préserver l' avenir et l' unité de l' institution en
matière de équipements, de missions et de culture commune .
Les insuffisances et les ambiguïtés ne manquent pas,
cependant, qui pourraient faire dérailler le projet .
L' IBCT, tout d'abord , semble faiblement soutenue, à l'
intérieur comme à l' extérieur de l' institution, et ses caractéristiques la
condamnent sans doute à ne jouer qu' un rôle marginal en dehors de les
opérations de stabilisation .
Dépendant d' avancées technologiques pour le moins
aléatoires, Objective Force " traduit également les hésitations de l' Army quant
à sa mission première, présence au sol ou participation " décisive " au combat
de haute intensité futur .
A vouloir couvrir ainsi le spectre des possibles, l' Army
court le risque de faire contre elle l' unanimité et de perdre la compétition
interarmées .
Pour ces raisons, il est bien difficile pour l' heure d'
émettre une prédiction crédible .
Le projet peut échouer complètement, laissant l' Army
marginalisée au profit de les autres Services ; il peut s' orienter entièrement
vers la logique de ciblage et le combat " véhiculaire ", l' Army abandonnant
alors aux Marines, aux forces spéciales et peut-être à la réserve les missions
de stabilisation et le combat rapproché .
Entre ces deux extrêmes, l' Army peut parvenir à ne mener à
bien que une partie du plan - l' IBCT très probablement - et revoir à la baisse
les ambitions affichées dans " Objective Force " dès que le contexte politique
le permettra .
A ce jour, la réussite intégrale du projet paraît très
improbable, et ne garantirait de toute façon pas l' émergence d' un partage des
tâches interarmées satisfaisant .
Wall Street et le gouvernement d' entreprise
AUTEUR : Yves-Marie Péréon, Chartered Financial Analyst, est diplômé de
l'Ecole supérieure de Commerce de Paris (1989). Depuis 1995, il travaille à New York
pour une banque française. Titulaire d'un DEA sur " La France vue par la presse
américaine entre 1936 et 1947 " (Université de Franche-Comté, 2003), il prépare
actuellement une thèse de doctorat sur le même sujet à l'Université Paris I.
Introduction
L' année 2002 a été marquée par une série de scandales
financiers qui ont ébranlé la confiance de l' investisseur américain - autant
dire du citoyen - dans l' intégrité et la transparence des marchés financiers .
L' enchaînement des faits, tout d'abord .
La faillite d' Enron était déclarée en décembre 2001, celle
de Global Crossing en janvier 2002 .
Pour son rôle dans l' affaire Enron, le cabinet d' audit
Arthur Andersen était mis en examen en mars .
En juin, Enron reconnaissait avoir versé un total de 310
millions de dollars en espèces à ses dirigeants au cours de l' année 2001 et
WorldCom corrigeait ses comptes de 3,8 milliards de dollars .
Le 21 juillet, la faillite de WorldCom était déclarée .
Le 24, la Securities and Exchange Commission ( SEC ) portait
plainte contre les dirigeants d' Adelphia, accusés d' avoir dissimulé 2,3
milliards de dollars de dettes dans des sociétés non consolidées .
En août, l' ancien Chief Executive Officer ( CEO ) de
ImClone était mis en examen pour délit d' initié .
En septembre, c' était au tour du CEO et du Chief Financial
Officer ( CFO ) de Tyco d' être mis en examen pour corruption : il leur était
reproché d' avoir détourné 600 millions de dollars, dont 170 millions de prêts
personnels accordés par la société .
Enfin le 5 novembre 2002, Harvey L. Pitt , président de la
SEC et champion de le laisser-faire réglementaire , était contraint de
démissionner .
Tous ces scandales se sont produits dans un contexte
économique morose, très différent de l' euphorie des années 1990 : la " bulle
Internet " a éclaté ; les profits boursiers ne sont plus là pour inciter les
investisseurs à l' indulgence envers les dirigeants d' entreprises un peu trop
désinvoltes avec les règles de l' éthique .
La crise de confiance est profonde et risque de retarder le
retour à la croissance .
Pour tenter de la surmonter, l' Administration et le Congrès
américains ne sont pas restés passifs : le Sarbanes-Oxley Act, signé par le
président George W. Bush le 30 juillet 2002, a introduit des réformes majeures
dans les domaines de la comptabilité et de la gouvernance d' entreprise .
Il constitue le plus important ensemble de mesures
législatives relatives au reporting financier et au contrôle interne depuis le
Securities Act de 1933 et le Securities Exchange Act de 1934 .
De nombreuses dispositions ont suscité l' intérêt des médias
et de l' opinion publique : à titre d' exemple, les directeurs généraux ( CEO )
et les directeurs financiers ( CFO ) ont désormais l' obligation de certifier
par écrit non seulement que l' information financière rendue publique par leur
société est complète et exacte, mais encore qu' ils ont mis en oeuvre des
contrôles et des procédures encadrant la publication de cette information
.
Cependant pour important qu' il soit, le Sarbanes-Oxley Act
n' est pas la seule innovation affectant la gouvernance des entreprises
américaines .
Tout un ensemble de textes ont été élaborés et mis en
application au cours des derniers mois, notamment par la SEC et le Financial
Accounting Standards Board ( FASB ) .
Le Sarbanes-Oxley Act s' inscrit ainsi dans un mouvement
plus vaste de réforme des pratiques comptables des sociétés cotées, qui vise à
un retour à la rigueur après l' exubérance des années 1990
Au-delà des multiples conséquences pratiques de la loi dans
le quotidien des entreprises, la gravité de la crise mérite que l' on s' attarde
à étudier le processus par lequel les médias, le monde politique et Corporate
America y ont réagi .
Fallait -il faire confiance au jeu spontané des mécanismes
d' autorégulation du marché ou choisir la voie du volontarisme législatif et
réglementaire ?
Les lignes qui suivent n' ont pas l' ambition de trancher ce
débat théorique ; leur objectif est plus modeste : rappeler le contexte des
réformes mises en oeuvre par le Sarbanes-Oxley Act, en décrire le contenu ainsi
que celui des autres changements intervenus au même moment, notamment dans le
domaine des normes comptables et formuler quelques observations sur la manière
dont les acteurs de l' économie américaine s' adaptent à leur nouvel
environnement .
Une réelle crise de confiance des investisseurs américains
Aucun des acteurs traditionnels des marchés financiers n' a
été épargné par les scandales de l' année 2002 .
Héros déchus de la libre entreprise, les CEO occupent le
premier rang au banc d' infamie .
Le 24 juillet 2002, trois membres de la famille Rigas, dont
John Rigas , le patriarche qui avait fondé le groupe de télécommunications
Adelphia en 1952 , ont été arrêtés .
Ils sont accusés de fraude financière massive et surtout d'
avoir " pillé " Adelphia pour leur profit personnel .
Kenneth Lay , le président de le courtier en énergie Enron ,
Jeffrey Skilling , le CEO , et Andrew Fastow , le CFO , sont rendus responsables
de la disparition des milliers d' emplois du groupe et de celle, partielle ou
totale, de l' épargne des actionnaires .
La presse s' est plu à détailler avec une précision féroce
les avantages financiers consentis, au détriment des actionnaires de la société,
à Dennis Kozlowski, le CEO de Tyco : son appartement de New York à 18 millions
de dollars, les 11 millions nécessaires à sa décoration et jusqu' à un rideau de
douche au prix extravagant .
Mais les " pirates de la nouvelle économie " ne sont pas les
seuls coupables .
Les complaisances du bureau d' Arthur Andersen à Houston ,
chargé d' auditer les comptes d' Enron , ont causé la chute du cabinet tout
entier .
Ni le départ des dirigeants compromis, ni le secours de Paul
Volcker , l' ancien président de la Federal Reserve ( Fed ) , n' ont pu sauver
l'un des plus prestigieux cabinets internationaux d' audit et de conseil .
C' est justement ce mélange des genres entre deux fonctions
très différentes, l' audit et le conseil, qui est en cause .
Le cabinet est soupçonné d' avoir continué de certifier les
comptes d' Enron pour ne pas perdre le flux de commissions générées par les
autres services rendus au groupe : en 2000, les services d' audit rendus par
Arthur Andersen à Enron ont produit 25 millions de dollars de commissions,
contre 27 millions pour les services " non- audit " .
Cette situation est représentative d' une évolution qui
affecte l' ensemble de la profession : en 1988, 55 % des revenus des 5 grands
cabinets provenaient des services comptables et d' audit et 22 % des services de
conseil .
En 1999, ces chiffres s' élevaient respectivement à 31 et 50
% .
La branche conseil des cabinets d' audit n' est pas le seul
prestataire de services à avoir fait preuve d' une trop grande créativité .
Les banques d' investissement sont mises en cause elles
aussi pour avoir vendu aux entreprises clientes des montages financiers toujours
plus inventifs et toujours plus risqués .
La presse n' a pas manqué de montrer du doigt les millions
de dollars de commissions gagnés par Citigroup et JPMorgan pour leurs services
d' ingénierie financière auprès d' Enron .
Une autre catégorie de professionnels de les banques d'
investissement est vivement prise à partie : les analystes .
Ils conseillent les investisseurs en émettant des
recommandations - buy, sell ou neutral, par exemple - en conclusion des rapports
de recherche publiés sur les sociétés qu' ils suivent .
Ils sont supposés agir en toute indépendance à l'égard des
sociétés en question .
Or l' expérience des derniers mois a montré que ce principe
était loin d' être toujours respecté .
Eliot Spitzer , Attorney General de New York , s' est
illustré dans le combat judiciaire pour revenir à des pratiques plus saines .
Plusieurs banques d' affaires employant de les analystes ont
ainsi été condamnées par les tribunaux .
Le cas de Jack B. Grubman , en charge de le secteur de les
télécommunications chez Salomon Smith Barney , est représentatif : il a maintenu
sa recommandation en faveur de l' achat ( buy ) du titre WorldCom bien après que
le cours se fut effondré .
En septembre 2002, Salomon a dû payer une amende de 5
millions de dollars pour avoir publié des rapports de recherche ayant induit en
erreur les investisseurs .
Néanmoins, J.B. Grubman a pu quitter Salomon dans des
conditions financières très avantageuses .
Certains analystes, et parmi eux les stars de la profession
, ont donc émis des recommandations qui ont fait perdre beaucoup d' argent à
leurs clients .
Dès lors, leur compétence et leur honnêteté sont devenues
suspectes .
Quant aux agences de notation, de nombreux observateurs
estiment qu' elles n' ont guère fait preuve d' une plus grande lucidité :
Moody's et Standard and Poor's, qui constituent un quasi-duopole, et Fitch qui,
aux Etats-Unis, détient une part de marché plus modeste, ont été accusées d'
avoir réagi avec une extrême lenteur à la dégradation de la situation financière
de certaines grandes sociétés, tout particulièrement de celle d' Enron qui n' a
été classée below investment grade que le 28 novembre 2001, quatre jours avant
que la faillite ne soit déclarée .
Or leur intime connaissance de la réalité financière des
entreprises notées leur dû leur permettre de mieux anticiper ces événements
.
alors S' il n' est plus possible de se fier aux CEO, aux
auditeurs, aux analystes, aux banquiers d' affaires, et jusqu' aux stars de la
télévision, à quel saint vouer le marché ?
Jamais à cours d' imagination, l' Amérique s' est découvert
un nouvel intercesseur, le whistle-blower .
A la fin 2002, Time Magazine a nommé Sherron Watkins, Coleen
Rowley et Cynthia Cooper " personnes de l' année " .
Les trois femmes ont été consacrées whistle-blowers, celles
qui ont " sifflé l' alarme " .
Si Coleen Rowley est l' officier du bureau du Federal Bureau
of Investigations ( FBI ) à Minneapolis qui a alerté sa hiérarchie sur les
activités de Zacarias Moussaoui avant les attentats du 11 septembre 2001, les
deux autres se sont illustrées dans le domaine de la libre entreprise .
Sherron Watkins est cette vice-présidente d' Enron qui, au
cours de l' été 2001, a écrit au président Kenneth Lay pour l' avertir des
pratiques comptables douteuses de son groupe .
En juin, Cynthia Cooper a informé le conseil d'
administration de WorldCom des pertes de 3,8 milliards de dollars dissimulées
par la comptabilité de la société .
Selon Time Magazine, qui est allé jusqu' à comparer leur
courage à celui des héroïques pompiers de New York, S. Watkins et C. Cooper n'
ont pas hésité à risquer leur carrière au nom de l' intégrité professionnelle
.
La crise de confiance est donc bien réelle .
Les premières victimes sont les salariés des sociétés
déchues, licenciés par milliers .
Ils sont doublement touchés car leurs fonds de pension sont
affectés par l' effondrement du cours des titres de leur ex- employeur .
Mais l' onde de choc est ressentie par tous les
propriétaires de ces titres, au premier rang desquels les banques créditrices,
dont le cours en bourse a accusé l' effet Enron " .
L' impact sur les marchés financiers est donc à la fois
profond et durable .
Les irrégularités comptables révélées par les affaires
L' affaire Enron, dans tous ses développements , est une
sorte d' anthologie des irrégularités comptables que de trop nombreux acteurs
des marchés financiers américains ont acceptées avec complaisance au cours des
dernières années .
Financements non consolidés alors qu' ils auraient dû l'
être, conflits d' intérêts, profits gonflés artificiellement, violations des
principes du code d' éthique, rien ne paraît manquer à la liste .
C' est ainsi que les Special Purpose Entities ( SPE ),
entités juridiques qui ne font pas partie du périmètre de consolidation des
sociétés, ont connu leur heure de gloire dans les médias .
Enron en a utilisé une multitude dans le cadre de plusieurs
opérations douteuses .
Il s' agissait le plus souvent de partnerships domiciliés
dans des paradis fiscaux comme les îles Caïmans .
Andrew Fastow , le CFO d' Enron , en était le General
Partner et en assurait la direction, ce qui lui permettait de percevoir à titre
personnel d' importantes commissions .
L'un de ces SPE, étudié en détail par le Subcommittee on
Oversight and Investigations de le Congrès dans sa session de le 14 mars 2002 ,
donne une assez bonne idée de leur fonctionnement .
Enron avait investi dans une société d' Internet, Rythms,
dont les titres avaient connu une progression spectaculaire, lui permettant de
réaliser une plus-value estimée début 1999 à environ 300 millions de dollars .
Les titres étant reconnus en valeur de marché à l' actif de
le bilan d' Enron , ce profit était susceptible de disparaître si les cours de
Rythms s' effondraient .
En raison de restrictions réglementaires, Enron n' était pas
autorisé à vendre ses actions Rythms immédiatement .
Pour protéger ses gains, le groupe pouvait acheter une
option de vente des titres ( put ) à un prix d' exercice établi préalablement .
Or aucune contrepartie indépendante n' aurait été prête à
garantir ainsi le cours d' actions extrêmement peu liquides, volatiles et par
conséquent extrêmement risquées .
En juin 1999, un SPE fut donc créé spécialement à cet effet,
sous le nom de LJM . LJM s' engagea à couvrir le risque des actions Rythms en
vendant à Enron un put à cinq ans avec un prix d' exercice de 56 dollars par
action .
Pour pouvoir assumer ses engagements, LJM reçut 3,4 millions
d' actions Enron .
Le montage n' était pas viable économiquement, car, si les
cours de Rythms et d' Enron chutaient simultanément, le SPE risquait de se
trouver dans l' incapacité de faire face à ses engagements au titre du put .
Cela revenait, pour Enron, à se garantir lui -même .
Pourtant le cabinet Arthur Andersen , auditeur d' Enron ,
accepta le schéma qui lui fut présenté par Fastow .
Le conseil d' administration, consulté lui aussi en juin
1999 , leva les dispositions du code d' éthique qui interdisaient à Fastow d'
agir en tant que General Partner de LJM . Enron put ainsi gonfler
artificiellement ses profits de l' année 1999
Mais l' utilisation systématique des SPE ne s' arrêta pas là
.
Enron s' en servit aussi pour dissimuler l' ampleur de son
endettement .
Comme de nombreuses sociétés du secteur de l' énergie, Enron
était autorisé à reconnaître des revenus futurs dérivés de contrats " prépayés "
dans lesquels l' acheteur paye d'avance des marchandises - pétrole, gaz ou
électricité - qui lui seront livrées à une date ultérieure, parfois sur
plusieurs années .
Bien que légale dans le cadre des contrats de fourniture d'
énergie, cette pratique fut utilisée agressivement dans plusieurs autres
domaines .
des actifs d' Enron furent ainsi vendus à des SPE contrôlées
par Fastow, autorisant le groupe à reconnaître un profit immédiat .
Bien entendu, l' endettement contracté par ces SPE dans le
cadre de ces arrangements n' apparaissait pas dans les comptes consolidés du
groupe .
Ce montage a permis à Enron de gonfler artificiellement ses
profits et de dissimuler une part importante de ses dettes : pour l' année 2000,
les profits opérationnels réels étaient inférieurs de 50 % au montant déclaré
dans ses états financiers, et l' endettement total réel, supérieur de 40 %
.
Un tel écart entre l' image comptable et la réalité
économique ne laissait pas tout le monde indifférent .
Dans un mémo daté du mois d' août 2001, Sherron Watkins,
vice-président au sein de la direction financière d' Enron , informa le
président Kenneth Lay du risque d' implosion présenté par l' échafaudage de plus
en plus fragile des SPE . Le cabinet d' avocats Vinson & Elkins fut
chargé d' enquêter sur la base de ces allégations .
S. Watkins s' opposa à cette sélection, car le cabinet avait
été retenu comme conseil juridique dans le montage d' un certain nombre de SPE .
Lay passa outre à cette objection .
Le rapport préliminaire publié par Vinson & Enkins
le 21 septembre s' abstint de porter un jugement sur les pratiques comptables de
Fastow .
La lettre de S. Watkins ne produisit donc aucun résultat
concret - sinon d' attirer sur elle l' attention de ses supérieurs
hiérarchiques, qui envisagèrent de la licencier et demandèrent même à ce sujet
l' avis de ...
Vinson & Elkins .
Elle fut finalement mutée dans un autre service .
Son témoignage devant un comité du Congrès, quelques mois
plus tard , lui valut l' admiration des médias et la satisfaction, sans doute
amère, de voir sa lucidité et son courage reconnus par certains de ses anciens
collègues .
Mises en lumière dans leurs moindres détails lors des
auditions du Congrès, les pratiques qui avaient cours au sein de la direction
financière d' Enron étaient contraires à l' orthodoxie comptable à plusieurs
titres .
En utilisant des entités hors bilan, le groupe a réalisé des
profits fictifs .
L' endettement et les engagements contractés à travers ces
entités n' ont pas été reportés dans les états financiers consolidés .
En conséquence, les informations financières publiées à
destination des marchés financiers étaient loin de donner une " image fidèle "
de la situation financière réelle du groupe .
La chute d' Enron a suscité une réflexion de fond sur le
danger d' échec systémique des mécanismes d' autorégulation des différentes
catégories d' intervenants, dirigeants, membres du conseil d' administration,
auditeurs, comptables, juristes, banquiers .
Elle a aussi mis en lumière les dysfonctionnements du
contrôle interne, en particulier les rapports de force qui réduisent les
whistle-blowers au silence .
Si les dirigeants de WorldCom ou d' Adelphia n' ont pas eu
l' imagination créatrice de ceux d' Enron, les autres scandales de l' année
2002, par leur nombre et leur ampleur , ont pu donner le sentiment que la
réputation de transparence des marchés financiers américains était, sinon
usurpée, du moins très exagérée .
Une loi pour restaurer la confiance
Dans ce contexte, le Congrès a éprouvé la nécessité d' agir
pour restaurer la confiance .
La loi signée par le président en juillet 2002 -
officiellement Corporate and Auditing Accountability , Responsibility and
Transparency Act - est connue sous le nom de ses deux promoteurs au Congrès .
Paul S. Sarbanes , sénateur démocrate de le Maryland depuis
1977 , est aujourd'hui Ranking Member - c' est-à-dire le plus Senior des membres
issus de la minorité démocrate - du comité chargé des affaires bancaires, le
Senate Banking, Housing and Urban Affairs Committee .
Au moment de la signature de la loi qui porte son nom, avant
que les élections de novembre 2002 ne renversent la majorité, il en était le
président .
Michael G. Oxley, représentant républicain de l' Ohio depuis
1981, préside quant à lui le comité de la Chambre des représentants sur les
services financiers, le House Committee on Financial Services .
La loi, préparée sous le patronage de deux vétérans de le
Congrès , un démocrate et un républicain , bénéficie donc en apparence d' un
large support bipartisan, dans la grande tradition parlementaire américaine .
Son élaboration, pourtant , ne s' est pas faite dans l'
unanimité, et des considérations de politique conjoncturelle ne sont pas
étrangères à son adoption au cours de l' été .
Si Enron avait sensibilisé certains membres de le Congrès à
la nécessité d' agir pour restaurer la confiance , ce fut sans doute WorldCom,
quelques mois plus tard, qui fit pencher la balance du côté des partisans de la
réforme .
Un premier projet de loi présenté par Michael Oxley avait
été voté par la Chambre des représentants le 24 avril 2002 .
Cependant le texte final reprend essentiellement les
dispositions, plus restrictives, d' un document présenté début avril par le
sénateur Sarbanes devant le Senate Banking, Housing and Urban Affairs Committee
.
Les débats du Congrès se sont étendus sur plusieurs semaines
.
Le comité du Sénat y a consacré une dizaine de sessions,
recevant les contributions de nombreux experts : l' ancien président de la Fed,
Paul Volcker, d' anciens et actuel présidents de la SEC, d' universitaires,
représentants des cabinets d' audit et des grandes sociétés américaines .
Le projet de loi a été adopté séparément par les deux
chambres du Congrès en juillet .
Dans un discours prononcé au Sénat le 8, Paul Sarbanes en
énonçait les objectifs : " Cette législation est conçue pour traiter les
faiblesses systémiques et structurelles qui, je pense, ont été mises en lumière
au cours des derniers mois et qui montrent un échec de l' audit et un
effondrement du sens des responsabilités des entreprises et des banques d'
affaires . " La loi fut signée par le président le 30 juillet .
L' exécutif républicain avait d'abord regardé avec méfiance
l' initiative des parlementaires .
La conversion tardive de l' administration est bien le signe
qu' une action publique était devenue indispensable pour rétablir la confiance
dans le bon fonctionnement des marchés financiers .
Le discours du président le 9 juillet à Wall Street , avec
ses admonestations moralisatrices et ses menaces de prison pour les dirigeants
délinquants , avait déçu .
La presse avait à nouveau évoqué les conditions dans
lesquelles, bien avant son arrivée à la Maison-Blanche, George W. Bush avait
vendu les actions de la société Harken Energy juste avant l' effondrement de
leur cours .
Le paraphe apposé au bas du Sarbanes-Oxley Act venait donc
opportunément rappeler à l' investisseur-électeur que le président n' était pas
indifférent à ses malheurs boursiers .
Dans son discours prononcé à l'occasion de la cérémonie de
signature, le président insistait sur la nécessité d' un retour à la morale,
dans le style qui est le sien : " Faire prendre des risques à un investisseur en
le trompant, cela s' appelle du vol .
Les dirigeants des entreprises doivent comprendre le
scepticisme éprouvé par les Américains et prendre des mesures pour définir des
critères clairs du bien et du mal .
Ceux qui enfreignent les règles salissent un grand système
économique qui offre des opportunités à tous . " Il poursuivait en mettant l'
accent sur les aspects répressifs de la loi : " Plus d' argent facile pour les
criminels d' entreprise, mais des temps difficiles . "
Une fois la loi signée, certaines de ses provisions sont
entrées en application immédiatement, d' autres à la fin du mois d' août .
La mise en oeuvre de les dernières a été confiée à la SEC,
qui a reçu mission des traduire en une série de textes réglementaires à publier
au cours des mois suivants .
L' activité législative a continué dans des domaines plus
spécifiques .
Michael Oxley a ainsi récemment demandé au General
Accounting Office ( GAO ) de préparer un rapport sur les commissions des fonds
mutuels ( mutual fund fees ) .
L' objectif est notamment d' étudier la transparence de ces
commissions, les conditions dans lesquelles les ordres de bourse sont dirigés de
manière préférentielle sur certains courtiers, etc .
Dans un discours prononcé le 15 janvier, ce dernier plaçait
sa proposition dans la ligne tracée par la loi qui porte son nom : " Il s' agit
d' un effort de bon sens pour restaurer la confiance des investisseurs, dans l'
esprit des réformes mises en oeuvre par le Sarbanes-Oxley Act de l' année
dernière . " Bien que cette proposition du représentant Oxley ne soit pas d' une
ampleur comparable à celle de la loi signée durant l' été 2002, elle témoigne du
souci des législateurs américains de poursuivre leur action dans le domaine de
la réglementation financière .
Mais le débat politique n' a pas pris fin le jour de la
signature de la loi .
Les démocrates exigeaient depuis longtemps le départ du
président de la SEC, Harvey Pitt .
Le 25 octobre, la Commission annonçait la composition du
Public Company Accounting Oversight Board ( PCAOB ), organe de surveillance des
cabinets d' audit institué par la loi .
Ses cinq membres étaient présentés comme des modèles de
compétence et d' intégrité .
Le juge William H. Webster , Partner de le cabinet d'
avocats Milbank Tweed , ancien directeur de le FBI et de la Central Intelligence
Agency ( CIA ) , expert souvent appelé à participer ou à diriger 0 des missions
d' enquête sur des sujets sensibles , en en être le premier président .
La presse révéla bientôt que Webster avait siégé au comité
d' audit de US Technologies, une société accusée d' avoir présenté des
informations financières incorrectes .
Comment lui faire confiance pour diriger le conseil chargé
de réformer et de surveiller la profession comptable ?
Webster dut démissionner .
En novembre, George W. Bush saisit l' opportunité présentée
par la victoire républicaine aux élections de mi-mandat pour remplacer Harvey
Pitt, démissionnaire le 5 novembre, par William H. Donaldson, dans le cadre d'
un vaste mouvement de changements aux postes économiques et financiers les plus
élevés de l' administration .
Depuis son entrée en fonction, le nouveau président de la
SEC a proclamé à plusieurs reprises sa volonté de restaurer la confiance des
investisseurs, et ses déclarations semblent prises au sérieux par la presse .
Son premier succès a été de convaincre le très respecté
William J. McDonough, président de la New York Federal Reserve, d' accepter de
diriger le PCAOB . Annoncée en avril, cette nomination devait devenir effective
à la mi-juin
Les principales dispositions du Sarbanes-Oxley Act
La législation américaine sur les sociétés cotées en bourse
n' est pas récente .
La création de la SEC en 1934 répondait à un souci analogue
de restaurer la confiance des investisseurs, ébranlée par la crise boursière de
1929 .
Le Securities Act de 1933 , le Securities Exchange Act de
1934 , le Trust Indenture Act de 1939 et l' Investment Company Act de 1940
datent de l' Administration Roosevelt .
Le Securities Act, en particulier , précise que les
informations diffusées lors d' une émission de titres, notamment les états
financiers de la société émettrice, ne doivent être ni frauduleuses ni
trompeuses .
Le Sarbanes-Oxley Act s' inscrit donc dans une tradition
ancienne .
Il vise à réformer en profondeur la gouvernance des
entreprises en instituant un organe de surveillance des sociétés d' audit, en
renforçant l' indépendance des auditeurs, en les rendant plus responsables, et
en améliorant la qualité de l' information financière mise à la disposition du
public .
La loi établit tout d'abord le PCAOB, dont les cinq membres
sont nommés par la SEC, en consultation avec le président de la Fed et le
secrétaire au Trésor .
Deux de ses membres doivent être des experts comptables
certifiés ( Certified Public Accountants ou CPA ) .
Pour garantir leur indépendance, la loi stipule qu' ils ne
doivent recevoir aucune rémunération en provenance d' une société d' audit .
Les cinq membres du PCAOB devaient être nommés par la SEC
avant le 28 octobre 2002
Chargé de superviser les auditeurs des sociétés cotées, le
PCAOB exerce son autorité dans plusieurs domaines : - il enregistre les
auditeurs qui préparent les rapports d' audit pour les émetteurs ; - il définit
des standards d' audit, d' éthique et de contrôle de qualité ; - il inspecte les
activités des sociétés d' audit ; - il enquête sur les violations potentielles
des lois sur les marchés et des standards professionnels d' audit ; - il s'
assure de l' application de sa propre réglementation .
Mais le Sarbanes-Oxley Act ne se contente pas d' instituer
un organe de surveillance à l'échelle de la profession .
Il s' attache aussi à réformer le fonctionnement interne des
sociétés cotées en bourse, en modifiant la composition et le fonctionnement de
leurs comités d' audit .
Ces comités doivent être composés de Directors ne recevant
aucune rémunération en provenance de sociétés d' audit ; trois au moins de ces
Directors doivent être indépendants ; un au moins doit être un Financial Expert,
notion que la SEC était chargée de définir .
Le rôle des comités consiste désormais à superviser le
travail effectué par les cabinets d' audit, à établir des procédures pour
instruire les plaintes relatives au contrôle interne de la société et à résoudre
les conflits éventuels entre les auditeurs et le management de la société
.
La loi interdit aux cabinets qui auditent les comptes d' un
émetteur de fournir, en même temps, des services d' une autre nature .
Ces services prohibés incluent notamment la tenue des
comptes de la société, le management ou la gestion de ses ressources humaines,
les services de courtage, de conseil en investissement ou d' investment banking,
les services d' évaluation, le conseil en systèmes d' information .
Les autres types de services, s' ils ne sont prohibés pas a
priori , doivent néanmoins être approuvés par le comité .
Innovation qui a eu un grand écho médiatique, le CEO et le
CFO de les sociétés cotées doivent désormais certifier par écrit, en y apposant
leur signature, les rapports annuels et trimestriels .
Plus précisément, ils doivent certifier non seulement l'
exactitude des états financiers et de l' information financière publiés par leur
société, mais encore que les procédures de reporting et les contrôles internes
ont été définis et sont mis en place, et que toute information financière
matérielle est bien portée à leur connaissance .
Enfin ils doivent identifier, le cas échéant, les faiblesses
matérielles de ce reporting .
En cas de violation de ces obligations, les peines prévues
par la loi sont lourdes : 1 million de dollars et 10 ans d' emprisonnement en
cas de violation consciente ( knowingly ) de ces obligations, 5 millions de
dollars et 20 ans en cas de violation volontaire ( willfully ) .
Ces dispositions sont entrées en vigueur immédiatement
.
Elle aussi d' application immédiate, une des dispositions de
la loi stipule que les procédures d' instruction des plaintes relatives au
contrôle interne doivent garantir l' anonymat des salariés qui portent à la
connaissance du comité d' audit d' éventuelles irrégularités comptables .
Par ailleurs, elle institue des peines très lourdes pour
quiconque exercerait volontairement des représailles, un licenciement par
exemple, à l'encontre d' un salarié ayant communiqué des informations à la
justice .
Ces dispositions visent à protéger les whistle-blowers dont
le rôle s' est avéré si important dans les affaires Enron et WorldCom .
L' activité boursière des membres du conseil d'
administration et des dirigeants des sociétés cotées est strictement encadrée .
Ceux -ci voient leur capacité d' émettre des ordres en
bourse restreinte lors des périodes de blackout pour les fonds de pension et
doivent déclarer, dans leurs rapports annuels et trimestriels, s' ils ont adopté
un code d' éthique pour certaines catégories d' employés, notamment les
principaux cadres de leur direction financière, et, le cas échéant, expliquer
pourquoi ils ne l' ont pas fait .
Si une société émettrice est amenée à corriger ses états
financiers à la suite d' une violation matérielle, le CEO et le CFO doivent
rembourser personnellement les rémunérations et profits perçus au cours de la
période de 12 mois qui suit l' émission ou la publication du document non
conforme .
Dans le domaine de la comptabilité, les rapports annuels des
sociétés doivent déclarer toutes les opérations hors bilan d'importance
significative, ainsi que les relations avec des entités non consolidées qui
pourraient à l'avenir avoir un impact financier matériel .
Ils doivent aussi inclure un rapport sur le contrôle interne
.
La loi inclut d' autres dispositions, notamment dans les
domaines suivants : - rotation des Partners des sociétés d' audit tous les cinq
ans ; - interdiction des prêts personnels aux dirigeants de l' entreprise
;
déclaration des transactions de bourse effectuées par les
membres du conseil d' administration, les cadres et les propriétaires de plus de
10 % des actions de la société ; - aggravation des peines associées aux
violations de la loi .
Avec quelques adaptations mineures, la loi s' applique bien
sûr aux sociétés étrangères dont les titres sont cotés sur les marchés
américains .
Les textes d' application de la Securities and Exchange
Commission et les nouvelles normes comptables édictées par le Financial
Accounting Standards Board
De nombreuses dispositions de la loi donnaient instruction à
la SEC d' émettre de nouvelles réglementations .
Ces instructions étaient assorties de dates limites .
La SEC avait ainsi quelques mois pour adopter des règles
définitives au sujet des comités d' audit ( avant le 26 avril 2003 ), au sujet
des autorisations relatives aux services de conseil rendus par les sociétés d'
audit ( avant le 26 janvier 2003 ), et pour définir la notion d' expert
financier " au sein des comités d' audit ( avant le 26 janvier 2003 ) .
Dans l' ensemble, ce calendrier a été respecté .
A la fin du premier trimestre de l' année 2003, la plupart
des dispositions du Sarbanes-Oxley Act sont entrées en vigueur, à cette réserve
près que certaines nouvelles obligations déclaratives, notamment celles qui
portent sur les entités hors bilan, concernent l' exercice se terminant le 15
juin et ne seront donc " visibles " dans les états financiers des entreprises
qu' après cette date .
La notion d' expert financier " au sein de les comités d'
audit avait suscité beaucoup de commentaires lors du vote de la loi .
Sa définition a été formulée dans un texte adopté par la SEC
le 15 janvier 2003 : l' expert financier " doit être capable de comprendre le
rôle des comités d' audit, les procédures du contrôle interne et de reporting,
les états financiers et les principes comptables ; il doit pouvoir porter un
jugement sur l' application de ces derniers et avoir une expérience préalable
dans le domaine de la préparation, de l' audit ou de l' analyse des états
financiers .
La SEC va jusqu' à préciser les conditions dans lesquelles
cette expérience doit avoir été acquise - le fait d' avoir siégé dans un comité
d' audit par le passé ne constitue pas nécessairement une expérience suffisante
pour y demeurer en tant qu' " expert " .
Alors que la SEC déclinait les dispositions générales du
Sarbanes-Oxley Act dans une série de textes d' application, un domaine laissé de
côté par la loi faisait l' objet d' une réforme profonde dont l' origine peut
être attribuée à l' effet Enron " : les normes comptables .
La comptabilité des sociétés américaines est régie par un
ensemble de normes connues sous le nom de US GAAP, les United States Generally
Accepted Accounting Principles .
Les US GAAP sont du ressort exclusif du FASB, un organisme
rattaché à la SEC depuis sa création en 1973 .
Sa mission est de définir des standards de comptabilité et
de reporting financier dans l' intérêt de l' ensemble des utilisateurs de l'
information financière, investisseurs et créditeurs .
Le FASB est en principe indépendant, mais il est parfois
accusé de ne pas être insensible aux pressions politiques, ainsi lorsqu' il s'
est abstenu, dans les années 1990, d' édicter de nouvelles règles, plus
contraignantes, au sujet des stock-options .
La critique la plus fréquemment adressée à le FASB est d'
être trop lent à s' adapter au changement et de publier des normes beaucoup trop
complexes .
Au fur et à mesure que les mécanismes de la " comptabilité
créative " d' Enron étaient dévoilés dans la presse et portés à la connaissance
du public, le FASB a dû prendre conscience de la nécessité de réformer les
normes s' appliquant aux financements hors bilan et aux SPE . Aux Etats-Unis, le
régime général de consolidation est défini par un texte datant de 1959, ARB 51 .
Ce texte applique le principe selon lequel le contrôle d'
une entité est exercé par le détenteur d' une majorité des actions assorties d'
un droit de vote : si une filiale est détenue à plus de 50 % par sa maison-mère,
elle doit donc être consolidée sur le bilan de cette dernière .
des textes plus récents étaient venus préciser cette règle
générale .
Ils instauraient une exception pour une catégorie
spécifique, les Qualifying Special Purpose Entities ( QSPE ) .
Ces QSPE étaient définies comme des entités dont le contrôle
n' était pas assuré par un vote de la majorité des propriétaires des fonds
propres .
Le contrôle de la QSPE pouvait être exercé par un ou
plusieurs sponsors lui apportant un support financier .
C' était à l' apporteur du plus grand support, principal
bénéficiaire de la QSPE, de consolider ce dernier sur son bilan .
A contrario, pour que le sponsor ne consolide pas la QSPE,
il lui fallait démontrer qu' il n' en était pas le principal bénéficiaire et n'
en exerçait pas le contrôle .
Concrètement, au-dessus d' un seuil minimum de 3 % de fonds
propres, les QSPE ne devaient pas être consolidées sur le bilan du sponsor .
Le minimum de 3 % était supposé suffisant pour assurer l'
indépendance financière, présente et future, de l' entité .
Or ces normes comptables se sont avérées inefficaces pour
empêcher Enron de recourir massivement aux SPE et dissimuler ainsi, dans des
entités hors bilan, une part importante de son endettement .
Une réforme de leur statut a donc paru nécessaire .
Mais, en s' attaquant au statut des QSPE, le FASB risquait
de faire plusieurs victimes collatérales .
De nombreuses entités sont en effet structurées comme des
QSPE de manière parfaitement légitime .
C' est en particulier le cas des véhicules de titrisation
qui, aux Etats-Unis, jouent un rôle essentiel dans le financement des
entreprises industrielles et des institutions financières .
Une entreprise peut ainsi vendre à un conduit de papier
commercial ( Asset Backed Commercial Paper Conduit, ABCP Conduit ) créé
spécialement à cet effet tout ou partie de son poste de créances commerciales
existantes et futures .
Ce conduit se finance à court terme sur le marché du papier
commercial, à un coût beaucoup moins élevé que celui d' un crédit bancaire
classique .
Dans la plupart des cas, une banque assure la gestion de ces
conduits, qui ne sont pas autonomes dans leurs décisions .
L' entreprise cédante réduit ainsi la taille de son bilan et
s' assure d' une source de financement à bon marché .
La banque sponsor conserve son rôle d' analyse et de
décision dans le processus de crédit, mais le financement n' apparaît pas sur
son bilan .
Les conduits ne sont pas les seuls véhicules de titrisation
qui ont pu se développer en s' accommodant des contraintes du régime des QSPE .
La plupart des Collateralized Debt Obligations ( CDO ), qui sont des véhicules
d' investissement indépendants jouant un rôle majeur sur le marché des prêts
bancaires, ont des fonds propres supérieurs à 3 % .
Leur sponsor détient souvent moins de 50 % de ces fonds
propres et la gestion en est assurée par une société de services spécialisée,
filiale du sponsor, dont les droits sont strictement limités dès lors qu' il s'
agit de prendre des décisions déterminantes pour la vie de la CDO .
L' impact de normes comptables trop restrictives risque donc
d' être sévère sur des marchés organisés précisément pour assurer un financement
déconsolidé à leurs intervenants .
Les premières propositions, émises par le FASB fin juin 2002
, ont suscité un vif débat dans les milieux professionnels concernés, qui
avaient jusqu' au 30 août pour formuler leur réponse .
De nombreux acteurs, juristes , banquiers , analystes de les
agences de notation notamment , évoquant le risque d' une disparition pure et
simple de pans entiers de le marché de la titrisation , ont accusé le FASB de
réagir maladroitement aux pressions du Congrès soucieux de rassurer à tout prix
les investisseurs .
Le texte final, publié le 17 janvier 2003 , est connu sous
le nom de FIN 46 ( FASB Interpretation Number 46 ) .
Il tient compte, en partie, des débats qui ont suivi la
publication du projet initial .
FIN 46 abandonne la notion de QSPE . Il définit un nouveau
type d' entité, les Variable Interest Entities ( VIE ) et précise dans quelles
conditions ils doivent être consolidés .
Il s' agit tout d'abord de savoir si une entité est bien une
VIE, et ensuite d' identifier son principal bénéficiaire, qui devra le
consolider sur son bilan .
alors Si une entité présente l'un des critères suivants,
elle entre dans la catégorie des VIE :
les fonds propres de l' entité ne sont pas suffisants
pour financer ses activités sans recourir à une injection de fonds propres
supplémentaires .
Concrètement, ce critère est mesuré par un seuil minimum
de 10 % de fonds propres, nettement supérieur au minimum de 3 % retenu par
les anciennes normes comptables ;
collectivement, les propriétaires des fonds propres ne
détiennent pas de droits de vote leur permettant de prendre des décisions au
sujet des activités de l' entité, n' ont pas l' obligation d' absorber une
perte éventuelle de l' entité et ne reçoivent pas les profits résiduels
éventuels de l' entité .
Une fois qu' il a été établi qu' une entité est une VIE, par
opposition à une Voting Interest Entity toujours régie par la règle des 50 %,
son bénéficiaire principal doit être identifié .
Il s' agit de l' entité qui absorbe la majorité des pertes
anticipées et reçoit une majorité des profits résiduels .
C' est à elle de consolider la VIE sur son bilan .
Le texte énumère un certain nombre d' exceptions aux règles
générales, et surtout assortit le seuil minimum de 10 % de fonds propres d' une
précision très importante : s' il est démontré, au moyen d' un modèle
quantitatif, que le pourcentage de fonds propres est supérieur au montant
anticipé des pertes futures ( expected loss ), l' entité n' est pas une VIE mais
une Voting Interest Entity qui sera consolidée sur le bilan du détenteur de la
majorité de ces fonds propres .
Cette exception tient compte des arguments avancés par les
professionnels de la titrisation lors de la phase de consultation qui a suivi la
publication du projet initial du FASB . Le passif du bilan de certains véhicules
de titrisation, notamment celui de la plupart des CDO, est en effet structuré de
manière à ce que le pourcentage de fonds propres, généralement inférieur à 10 %,
soit néanmoins supérieur à la perte anticipée, calculée sur la base des
caractéristiques de l' actif en termes de risque de crédit, de maturité, de
rentabilité et de diversification .
Il est donc raisonnable de penser que beaucoup de CDO ne
seront pas qualifiées de VIE et n' auront pas à être consolidées .
L' adaptation des entreprises américaines à leur nouvel
environnement
Paradoxalement, l' impact des nouvelles normes comptables ,
dont les ambitions sont plus modestes que celles de la grande réforme de la
gouvernance d' entreprise votée par le Congrès , se révèle beaucoup plus direct
.
L' application de FIN 46 a été immédiate pour les VIE créées
après le 31 janvier 2003 .
Pour celles dont la création est antérieure, les nouvelles
règles sont entrées en vigueur à partir du 15 juin 2003 .
Les différentes parties concernées en sont donc encore au
stade de l' analyse et de l' interprétation .
A court terme, les conduits de papier commercial sont les
plus touchés .
La reconsolidation de leurs encours aurait un impact
considérable sur la taille du bilan et les ratios financiers des banques
américaines sponsors de ces conduits .
Les montants en jeu sont en effet énormes : le marché des
conduits de papier commercial approche 700 milliards de dollars d' encours
totaux, et les premières banques américaines actives dans ce domaine (
Citigroup, Bank of America, Bank One ) pourraient avoir à reconsolider chacune
plusieurs dizaines de milliards de dollars d' encours de papier commercial .
A ce stade, les banques n' ont pas encore arrêté une
position définitive et poursuivent leurs discussions avec le FASB et les
cabinets d' audit .
Mais ce climat d' incertitude s' est déjà traduit par un
ralentissement significatif de l' activité .
Comme ces conduits sont de gros acheteurs de titres
obligataires émis par les CDO, la demande pour ce type de papier en est affectée
à son tour .
Les banques étrangères, européennes notamment , qui ne sont
soumises pas à FIN 46 , bénéficient ainsi d' un avantage comparatif non
négligeable .
Il y a là, du point de vue des institutions financières
américaines, un effet pervers dont les conséquences à moyen terme restent à
mesurer .
L' effet du Sarbanes-Oxley Act est sans doute à la fois plus
profond et moins visible à court terme .
Certes les entreprises américaines ont dû immédiatement se
mettre en conformité avec leurs nouvelles obligations .
Elles ont réagi en créant rapidement des comités d' audit
qualifiés et indépendants, en instituant un reporting immédiat des ordres de
bourse passés par les membres de leur conseil d' administration et par certaines
catégories de salariés, en établissant et en documentant des procédures de
contrôle interne, et en permettant l' audit des ces procédures .
Dans un article paru le 17 mars 2003, BusinessWeek a tenté
de faire le point sur les conséquences du nouvel environnement juridique pour
les directeurs financiers des grandes entreprises américaines .
Le magazine insiste sur la considérable charge de travail
supplémentaire représentée par leurs nouvelles obligations déclaratives et sur
les conséquences financières sévères auxquelles ils sont désormais exposés à
titre personnel .
Selon une enquête d' opinion commanditée par le magazine et
réalisée auprès de 214 CFO et de 75 CEO choisis parmi les dirigeants des 1 500
sociétés cotées suivies par Standard & Poor's, 91 % des CFO pensent que
leur travail est en train de devenir plus difficile et 62 % déclarent travailler
plus longtemps .
Cependant, ils sont peu nombreux à vouloir démissionner,
peut-être parce que leur position dans l' entreprise s' améliore .
Plus d' un tiers, 36 % , disent qu' ils sont désormais
davantage sur un pied d' égalité avec le CEO, tandis que seulement 28 % disent
qu' ils en sont encore loin . " Le fait que les CFO aient à s' engager par écrit
renforce leur poids politique dans l' entreprise ; l' argument " c' est moi qui
signe Sarbanes-Oxley " leur permet de surmonter bien des objections dans les
discussions stratégiques .
Leurs relations avec le comité d' audit devraient devenir
plus étroites et leurs échanges plus rigoureux que par le passé .
Pour les CFO qui parviendront à passer le test, la réforme
pourrait bien finir par apparaître comme une étape déterminante dans la
progression de leur carrière .
De leur point de vue, le tableau est donc loin d' être
entièrement négatif, même si " près d' un tiers des CFO ne pensent pas que les
nouvelles règles établies par le Sarbanes-Oxley Act ou imposées par la SEC
rendent un autre Enron moins probable " .
Mais CFO et membres des directions financières ne sont pas
les seules catégories d' employés des sociétés cotées auxquelles la loi a imposé
des responsabilités supplémentaires .
Les juristes eux aussi sont concernés, en particulier par
les dispositions relatives à la protection des whistle-blowers .
Dans son édition de mars 2003, le Journal of the American
Corporate Counsel Association ( ACCA ) illustre par une petite histoire les
nouvelles obligations du juriste d' entreprise : " Vous vous asseyez pour
siroter votre café du matin, et le téléphone sonne .
A l' autre bout de la ligne, un employé vous informe qu' il
croit que la société a surestimé ses profits et que ses rapports à la SEC
étaient incorrects .
Vous enquêtez sur ces allégations et découvrez qu' elles
sont peut-être vraies .
Le lendemain matin, le manager de l' employé vous appelle en
demandant l' autorisation du licencier pour des " problèmes de performance " .
On dirait que vous n' êtes pas le seul à qui il a parlé .
Et maintenant, Et maintenant, que faire ? " L' ACCA
recommande à ses lecteurs de sensibiliser leur entreprise à l' importance d' un
bon programme de compliance interne, d' adapter le code d' éthique et les
définitions de fonction des managers, d' établir des procédures d'
investigation, de mettre en place un programme de formation au sujet des
nouvelles dispositions de la loi et enfin de documenter par écrit les "
problèmes de performance " invoqués par un manager pour licencier l'un de ses
collaborateurs, afin que ce dernier ne puisse pas se prévaloir indûment de la
protection accordé
L' exemple des CFO et de les juristes montre que les
entreprises américaines ne font que commencer à s' adapter à leur nouvel
environnement juridique et réglementaire .
Il faudra du temps pour que le comportement quotidien de
Corporate America soit modifié de manière perceptible .
aux yeux de nombreux observateurs, les réticences sont bien
réelles .
S' ils reconnaissent les progrès accomplis au cours des
derniers mois, ils demeurent sceptiques sur la volonté des entreprises
américaines de jouer le jeu de la transparence .
Pourtant des associations professionnelles ont pris des
initiatives qui vont dans la direction souhaitée par les partisans de la réforme
.
Ainsi l' Association of Investment Management Research (
AIMR ), qui rassemble de nombreux analystes financiers , travaille depuis
longtemps sur ces sujets, en concertation avec la SEC notamment .
Dans le domaine de la formation universitaire des futurs
acteurs de la vie économique, un " cas Enron " figure au programme de plusieurs
diplômes " MBA ", qui comportent d'ailleurs souvent des cours d' éthique .
La contribution des universités et de les centres de
recherche ne se limite pas à sensibiliser les futurs CEO et CFO à leurs
nouvelles responsabilités .
Les acteurs du monde académique jouent un rôle important
dans l' évolution d' un paysage juridique, réglementaire et comptable qui
demeure extrêmement mouvant .
Certains se déclarent satisfaits de la nouvelle loi et font
confiance aux mécanismes d' autorégulation des marchés pour s' ajuster
spontanément et restaurer la confiance des investisseurs .
D' autres la trop trouvent trop timide et réclament des
mesures plus contraignantes, comme par exemple une prohibition absolue, pour un
cabinet, d' exercer les fonctions d' audit et de conseil auprès d' une même
entreprise, ou la rotation systématique des cabinets d' audit .
Sur ces deux derniers points, Robert Litan , responsable de
les études économiques de la Brookings Institution , souligne que c' est avant
tout l' indépendance des cabinets d' audit à l'égard du management de la société
qui est en jeu .
Cette indépendance est désormais mieux protégée par leur
rattachement au comité d' audit, qui est une émanation du conseil d'
administration .
Quant à la rotation systématique des cabinets, Robert Litan
rappelle que la profession est déjà très concentrée - après la disparition d'
Arthur Andersen, les cinq grands ne sont plus que quatre - et que rien ne permet
d' exclure, dans le processus de sélection périodique, un accord entre le
cabinet sélectionné et le management .
Dans son jugement global sur le Sarbanes-Oxley Act, Litan
reste prudent .
Avant que la loi ne soit votée, le marché avait, selon lui,
commencé à faire fonctionner les mécanismes d' autorégulation .
Les procès ne font que commencer et les peines,
vraisemblablement très lourdes, qui seront prononcées devraient avoir un effet
dissuasif sur l' ensemble des acteurs .
Mais, si la loi ne résout pas tous les problèmes et
occasionne des dépenses supplémentaires pour les entreprises, elle devrait
contribuer à restaurer la confiance .
Conclusion
Plus que d' un mandat donné par les électeurs américains à
leurs représentants au terme d' un débat de fond sur la gouvernance d'
entreprise, l' ensemble des réformes adoptées au cours des derniers mois
résultent de la conjonction de la pression des médias, des convictions anciennes
mais isolées de quelques législateurs, de l' opportunisme politique de la plus
grande partie de leurs collègues et des membres de l' Administration et du souci
de certains organes de régulation, notamment le FASB, de se défendre des
critiques dont ils étaient l' objet .
L' objectif proclamé de ces réformes est de " rendre
impossibles de nouveaux Enron " et de restaurer ainsi la confiance des
investisseurs .
Il est encore trop tôt pour tenter un bilan définitif et l'
appuyer sur un comptage statistique du nombre des " affaires " .
Bien des aspects, abordés très brièvement ou ignorés dans le
cadre de cette étude , mériteraient d'ailleurs d' être analysés de manière
beaucoup plus approfondie - notamment les conséquences de ces nouvelles règles
pour les entreprises étrangères .
Les effets à moyen terme de la réforme, lorsqu' ils pourront
être mesurés , alimenteront le débat théorique entre les partisans du jeu
spontané des mécanismes d' autorégulation et ceux du volontarisme législatif .
Quelle que soit l' issue de ce débat, il ne faut pas perdre
de vue que ces scandales ont fait surface à un moment de l' histoire récente -
la fin de l' année 2001 et le début de l' année 2002 - qui est aussi celui où l'
on observe un sommet dans la courbe des défauts parmi les entreprises
américaines .
De " nouveaux Enron " sont toujours susceptibles d'
apparaître, ainsi lorsqu' au début du mois de juin le président de Freddie Mac a
été remercié pour avoir refusé de coopérer avec une mission d' audit interne sur
les pratiques comptables de la société .
Le marché est devenu beaucoup plus sensible aux questions d'
éthique : Richard Grasso, le président du New York Stock Exchange ( NYSE ), a dû
démissionner le 17 septembre à la suite de la révélation de son salaire par la
presse : le montant, très élevé, en était déterminé par un Board constitué de
représentants de sociétés dont le NYSE était chargé d' assurer la surveillance .
Et dans le domaine judiciaire, Eliot Spitzer poursuit son
combat contre les pratiques de trading frauduleuses sur les titres de certains
mutual funds .
Mais la fréquence des scandales est aussi, et sans doute
avant tout, fonction de la conjoncture économique .
C' est le retour de la croissance qui permettra de tourner
la page, de revenir au bull market et de restaurer durablement la confiance des
investisseurs .
Il y faudra bien plus que des textes de loi et des normes
comptables .
TITRE : Pour une relance du cycle du développement : refonder le consensus
multilatéral après Cancun
AUTEUR : Jean-Marie Paugam, chercheur à l'IFRI
Liesse des ONG, doutes sur le sens de l' échec . Rien ne s' est
passé à Cancun comme anticipé . Il n' y a pas eu réellement de négociations : le
débat n' a démarré que tardivement, pour avorter très rapidement .
Les alliances ne sont plus ce qu' elles étaient : la fracture
agricole a eu lieu, mais autour de coalitions nouvelles, opposant les anciens rivaux
transatlantiques aux pays émergents réunis par le très jeune " G21 " qu' emmenait le
Brésil .
L' échec a été formellement constaté sur un enjeu de règles :
celui qui opposait les pays les plus pauvres du " G90 ", aux partisans du lancement
de négociations nouvelles sur les " sujets de Singapour " .
Comble d' imprévu ", les comportements contestataires s'
invitaient formellement dans l' enceinte de l' OMC par des manifestations jusqu'ici
inconnues de ce club à l' ambiance traditionnellement feutrée, loué par ses habitués
pour l' esprit d' efficacité et la " mentalité d' affaires " qui préside d'
ordinaire à ses travaux : des négociateurs expérimentés ont été choqués par les
applaudissements de discours officiels parfumés d' un tiers-mondisme que l' on
croyait suranné, qui, dénonçant la " rhétorique de résistance ", qui, la " dérive
onusienne ", qui, - maléfice suprê
Echec pour tous ou succès de certains ?
Cancun marque certainement un tournant dans la gouvernance de l'
organisation car les rapports de force nouvellement établis resteront dans les
mémoires, sinon dans la forme des nouvelles alliances .
L' échec, déjà provoqué à Seattle par les pays en développement
, pouvait avoir des allures accidentelles .
Mais leur démonstration de force était voulue et assumée à
Cancun, y compris au prix du résultat atteint .
Coup d' arrêt au programme de développement de Doha ?
Peu évidentes sont les voies d' une relance du cycle de
négociation et, plus globalement, du système commercial multilatéral créé depuis l'
instauration de l' OMC . Tenter d' éclairer ces voies de relance suppose, comme
toujours, de revenir préalablement sur les causes de l' échec .
Le jeu de " qui perd-perd " : retour sur les causes de l'
échec de Cancun
Les auspices initiaux de la conférence de Cancun étaient
plutôt favorables .
Le travail préparatoire était bien avancé .
Un accord d' étape paraissait d' autant plus atteignable que
l' on avait significativement vidé son projet de l' essentiel de ses ambitions
de substance, en prévoyant de reporter à plus tard les échéances délicates du
chiffrage des concessions économiques réciproques .
Surtout, un compromis avait été atteint, avant Cancun, sur
la douloureuse question de l' articulation entre droit des brevets - protégé par
l' OMC - et l' assouplissement de l' accès aux médicaments génériques essentiels
pour permettre aux pays en développement d' affronter les grandes crises
sanitaires qui les frappent .
Devenue test de la capacité de l' OMC à intégrer les
préoccupations du développement et les considérations humaines élémentaires, la
question n' avait pu être résolue qu' au prix d' un ralliement, tardif et
conditionnel, des Etats-Unis, du fait de la résistance de leur industrie
pharmaceutique au projet de compromis depuis longtemps accepté par les autres
membres de l' OMC . Juridiquement, cet accord demeure le seul résultat concret
et attendu de Cancun, avec l' adhésion à l' OMC de deux nouveaux membres, pays
moins avancés, le Cambodge et le Népal .
Trois grands thèmes du programme de Doha formaient le coeur
des discussions et conditionnaient l' accord sur le futur du cycle .
Il s' agissait d' adopter une " approche-cadre ", pour
préparer les futures " modalités " ( i ) de libéralisation du commerce agricole,
( ii ) de réduction des barrières aux échanges industriels, ( iii ) de
négociations de règles internationales nouvelles sur les sujets dits " de
Singapour ", regroupant la facilitation des échanges, la transparence des
marchés publics, l' investissement et la concurrence .
Enfin, la question du coton devait se révéler primordiale
dans la relation Nord-Sud, bien que non abordée explicitement par le programme
de Doha .
Elle avait été introduite quelque mois plus tôt dans l'
ordre du jour par le Président Blaise Compaoré, portant à Genève la parole de
quatre pays d' Afrique de l' Ouest - Bénin, Burkina-Faso, Mali, Tchad - : ces
derniers demandaient l' élimination en trois ans des subventions à la production
de coton pratiquées par les pays développés et l' instauration d' un mécanisme
de compensation financière des dommages subis par les producteurs africains,
durant la période transitoire .
Le traitement de ces sujets devait mettre aux prises des
alliances de pays relativement classiques et bien repérées : les grands
exportateurs agricoles contre l' Union Européenne et ses quelques alliés, dont
la Corée et le Japon ; en matière industrielle, les pays développés contre les
pays en développement - à l'exception des pays les moins avancés - ; sur les
sujets de Singapour, essentiellement l' Europe et toujours ses alliés de l' Asie
développée - Japon, Corée -, contre plusieurs grands pays en développement, au
premier rang desquels l' Inde, la Malaisie et les Phi
Le scénario escompté pour produire un accord ne s' est pas
réalisé : des raisons tactiques, systémiques et stratégiques expliquent une
spirale d' échec .
1 . " L' entreprise d' une génération " s' arrête à 15
heures : erreurs tactiques, recherche des coupables, théories du
complot
La conférence de Cancun s' est ouverte sur fond de
désaccord, portant essentiellement sur la partie agricole du document devant
servir de base aux conclusions des ministres .
Le texte préparé par le Président du Conseil Général de
l' OMC s' inspirait largement d' un projet d' accord, proposé conjointement
par les Etats-Unis et l' Union Européenne, qui étaient parvenus, in
extremis, à un rapprochement de leurs positions, ce que les PED souhaitaient
depuis longtemps .
Paradoxalement, ce rapprochement a provoqué un rejet de
la part d' un groupe de pays en développement, le " G21 " ou " G 20 + " .
Hâtivement formé avant Cancun, à l' initiative du
Brésil, rejoint par l' Inde, la Chine et l' Afrique de le Sud et soutenu par
plusieurs pays en développement , le G21 proposait un texte alternatif sur
l' agriculture .
Simultanément, les pays africains ont raidi l' ensemble
de leurs positions - notamment sur l' accès au marché et les questions de
Singapour - mais surtout, indiqué faire d' un progrès sur la question du
coton la condition sine qua non d' un succès à Cancun .
Dès lors, les trois premiers jours ont été consacrés à
des discussions procédurales informelles sur la manière de concilier les
textes devant servir de base de travail, sur fond de menaces d' échec
formulées par les plus hautes autorités brésiliennes, en cas de non prise en
compte des positions du " G21 " .
Un compromis a été proposé par les organes dirigeants de
l' OMC, permettant à la négociation de démarrer, pour échouer 24 heures plus
tard .
Le Président de la Conférence, M. Derbez , Ministre de
les Affaires Etrangères Mexicain , décidait de clôturer les débats, après
avoir constaté un blocage sur le premier thème qu' il avait mis à l'ordre du
jour : les questions de Singapour .
A qui la faute ?
Les explications tactiques abondent sur les
responsabilités de l' échec .
Nombre comportent des éléments plausibles, d' autres
sont fausses, certains faits sont troublants .
Trois " théories du complot " ont ainsi été esquissées
faisant alternativement porter la responsabilité de l' échec à l' Europe, au
G21 et aux Etats-Unis .
Qui en s' tient à les faits connus doit constater que
les conditions de clôture de la conférence de Cancun étaient surprenantes,
voire anormales .
L' ordre du jour de les débats prévoyait en effet de
discuter des " sujets de Singapour " et de l' agriculture : la conférence a
été interrompue après discussion du premier sujet, avant que le second n'
ait pu être abordé .
Après deux ans d' enlisement des négociations de Doha,
l' agriculture représentait clairement le sujet central du cycle,
conditionnant aux yeux de tous les participants les possibilités d' accord
sur les autres .
Les questions de Singapour n' apparaissaient que comme "
variable dépendante ", conditionnée par l' agriculture .
L' interruption de la conférence sur ce sujet fut
choquante : la capacité à surmonter le blocage ne pouvait être totalement
appréciée avant discussion de la question agricole .
Par ailleurs, le blocage n' opposait pas les grands
acteurs du débat : l' Europe, principal proposant des quatre sujets de
Singapour, l' Inde, principal opposant .
L' Europe avait accepté d' abandonner les deux sujets
considérés comme les plus contentieux - concurrence et investissement - .
Cette proposition se révélait inacceptable pour le "
groupe des 90 " - qui réunissait les pays africains et les PMA - et
raidissait la Corée .
Formellement donc, alors que le coeur du débat opposait
les partenaires transatlantiques au G21 sur l' agriculture, la conférence de
Cancun aurait échoué sur un conflit Corée - Afrique concernant les sujets de
Singapour . Enfin, le temps ne pressait pas, la plupart des délégations
ayant prévu de pouvoir prolonger le séjour à Cancun .
Quelques mois plus tôt, un Ministre appelait ses
collègues de l' OCDE à réussir le cycle de Doha en y reconnaissant " l'
entreprise d' une génération " .
L' entreprise a été interrompue à 15 heures ...
A qui profite le crime ?
A personne, si l' on admet que le programme de Doha est
porteur de bénéfices potentiels importants pour l' économie mondiale .
A court-terme, le succès diplomatique revendiqué par
certains pays de le Sud est à rapporter à leur échec économique : les
politiques agricoles des grands pays développés n' ont trouvé à Cancun
aucune raison de se réformer .
Les producteurs de coton africain n' ont emporté du
Mexique aucun motif d' espoir .
Le système GATT ne répond plus : limites du
mercantilisme, évolution des rapports de force, nouveaux acteurs
Doit -on " payer " les règles de droit ?
La méthode mercantiliste à l' épreuve .
Depuis l' instauration du GATT, le libre-échange
progressait aux rythmes de cycles de négociations, paradoxalement mus
par le mercantilisme de l' échange de concessions réciproques d' une
valeur commerciale équivalente .
Relativement naturelle pour échanger des baisses de
protection douanière sur les biens industriels, cette méthode est
devenue plus complexe lorsque l' Uruguay Round en a élargi le champ aux
secteurs de l' agriculture et des services, auxquels venaient s' ajouter
des règles : l' équivalence des concessions inter-sectorielles devenant
plus complexe à apprécier, le principe d' engagement unique " a été posé
pour garantir la capacité de chacun à apprécier l' équilibre du résultat
final .
La mise en oeuvre des résultats du cycle d' Uruguay
a toutefois engendré une profonde frustration des PED . Pour eux, les
grands acquis théoriques demeuraient pratiquement inexistants dans le
domaine des services, faibles en termes de libéralisation agricole et
lointains ( 2005 ) en termes de démantèlement des quotas textiles .
Par contre, les nouvelles disciplines élaborées en
matière de propriété intellectuelle, évaluation en douane , mesures sur
l' investissement liées à le commerce , devaient trouver une application
plus rapide .
Le cycle de Doha a repris la méthode d' Uruguay, en
engageant, dans un grand marchandage global, les questions d' accès au
marché, qui impliquent des sacrifices économiques immédiats et les
questions de règles, qui recèlent un potentiel d' amélioration du
bien-être à long terme, mais exigent des efforts administratifs coûteux
.
A la lueur de l' expérience d' Uruguay, les PED ont
logiquement conclu que la négociation des règles des sujets de
Singapour, devrait être préalablement " payée ", en espèces sonnantes et
trébuchantes, d'abord agricole .
Les pays développés approchaient les sujets de
Singapour de manière différente .
Au-delà de ses seuls intérêts mercantiles, l' UE
portait les quatre sujets en y voyant les ingrédients nécessaires à l'
affirmation du rôle de l' OMC comme centre de gouvernance économique
mondiale, producteur de bien commun par le droit .
Grand investisseur et commerçant, le Japon avait une
approche plus mercantile et pratique, en privilégiant l' investissement
et la facilitation des échanges .
Les Etats-Unis retenaient une approche plus
pragmatique encore, se concentrant sur les résultats qui leur
paraissaient atteignables et utiles - transparence des marchés publics
et facilitation des échanges - et préférant poursuivre hors de l' OMC,
par accords bilatéraux, les deux autres objectifs de régulation .
Tous les pays développés avaient, par contre, un
point commun : celui de refuser de " payer " par davantage de
libéralisation agricole ( impliquant des ajustements à coût politique
immédiat élevé ) l' élaboration de règles de droits ( dont le bénéfice
économique potentiel se diffuse à moyen ou long terme ) .
La méthode mercantiliste, issue de les négociations
de le GATT , a rencontré à Cancun ses limites, pour traiter
simultanément des enjeux de libéralisation et de régulation .
Certains deviendraient -ils aussi égaux que d'
autres ?
Le " consensus censitaire " à l' épreuve
Lors de la création de l' OMC, les négociateurs
pouvaient se référer à deux modèles de gouvernance .
Celui de l' ONU , fondé globalement sur le "
suffrage universel " et l' égalité de les Etats à l' assemblée générale
- sous réserve de le Conseil de Sécurité - était aussi celui de l'
ancien GATT . Celui des institutions économiques et financières de
Bretton Woods était par contre fondé sur le " suffrage censitaire ", lié
au stock de capital détenu .
Issus du GATT, qui était resté essentiellement un "
club de riches " aux intérêts économiques comparables, la plupart de ces
négociateurs admirait l' efficacité du deuxième système .
Mais, malgré son caractère économique, la mission de
l' OMC reposait sur un fondement différent de celle de Bretton Woods :
si par construction les pays riches peuvent seuls mobiliser les
capacités de financement des déséquilibres macro-économiques et du
développement des pays pauvres, le commerce est censé être un bien
commun accessible à tous, pour peu que ses conditions soient libres .
Tout l' enjeu de l' OMC est donc de définir les
règles qui permettront à chacun de mieux intégrer le système mondial d'
échange, en réduisant le protectionnisme qu' il subit de la part des
autres .
Confier aux grandes puissances le pouvoir "
censitaire " de définir les règles reviendrait à leur demander d'
auto-évaluer leur niveau de protection .
Le système n' aurait aucun intérêt pour les autres
participants .
La règle de l' égalité était donc inévitable .
L' OMC a hérité des défauts des deux systèmes :
formellement instituée sur un modèle ONUSIEN, dotant chaque Etat d' une
voix et d' une prise de décision majoritaire, elle fonctionne en réalité
par consensus, mais ne possède ni " conseil de sécurité " ni de système
de pondération reflétant l' importance économique des acteurs .
Dès lors, la pratique de la négociation à l' OMC s'
est informellement inspirée d' un modèle censitaire : une entente entre
les plus grands acteurs du commerce mondial, les partenaires
transatlantiques d'abord, " Quad " ensuite, était, jusqu'ici, suffisante
pour aligner tous les membres sur un consensus .
L' adhésion massive des PED, à partir de les années
1980 et après la création de l' OMC , a doublement changé la donne .
D'abord au plan politique : sur 148 membres de l'
OMC, une vaste majorité est formée par des PED disposant chacun d' une
voix, dont ils ont découvert le pouvoir à Seattle, avant de l' utiliser
à Cancun .
Qu' en est -il de le rapport de force économique ?
On peut penser que l' affirmation du G21 reflète la
montée en puissance des économies émergentes dans le commerce mondial .
Au début du cycle d' Uruguay ( 1986 ), les pays
aujourd'hui groupés par le G21 représentaient quelques 6 % des
exportations mondiales de biens et services ; à la veille du cycle de
Doha ( 2000 ) leur part relative avait pratiquement doublé pour
atteindre plus de 11 % du commerce total, proportion à comparer au poids
individuel des Etats-Unis ( 12,1 % ), du Japon ( 6,4 % ) du Canada ( 5,5
% ) et de l' UE ( 39 % ) : ces quatre membres de la " Quad " pèsent
ensemble pour près des deux tiers du commerce total .
Mais ces indicateurs sont trompeurs si on n' isole
pas le cas de la Chine, qui n' est entrée à l' OMC qu' en 2001, à Doha .
Il est frappant de constater que, sans la Chine, le
rapport des forces commerciales entre les pays de la Quad et le G21 est
resté pratiquement inchangé depuis le cycle d' Uruguay : si
politiquement le Brésil a été identifié comme le leader du G21,
économiquement la crédibilité de ce nouveau groupement dépend largement
de la participation de la Chine .
Petits pays pauvres et grandes ONG riches : l'
influence de la " diplomatie non gouvernementale " .
Celles de les ONG qui ne refusaient pas en bloc l'
existence de l' OMC , particulièrement dans le monde anglo-saxon ,
revendiquaient depuis plusieurs années des moyens d' influence sur une
institution qui ne leur reconnaissait pas de statut .
Avant le cycle de Doha, cette revendication se
concentrait sur le mécanisme de règlement des différends .
Depuis le lancement du cycle, elle porte également
sur les négociations .
Cancun a manifesté l' évolution des méthodes d'
intervention de certaines grandes ONG, évolution déjà très perceptible,
dans la sphère de l' ONU, lors du sommet de Johannesburg : celles -ci
assistent ou influencent des petits états, dépourvus de capacités
suffisantes de négociation, pour orienter l' agenda .
Oxfam revendique ainsi d' avoir contribué à l'
élaboration du dossier du coton, qui a eu une influence psychologique
décisive sur le sort de la conférence de Cancun .
A cette assistance technique, les ONG de terrain
ajoutent leur capacité de sensibilisation politique des populations .
A Cancun, plusieurs ministres africains ont indiqué
sans voile qu' ils se trouveraient politiquement le dos au mur si aucun
mouvement n' était fait sur le dossier du coton, apportant avec eux des
pétitions de dizaine de milliers de producteurs, ou, comme la Ministre
du Sénégal, une résolution votée à l' unanimité de son parlement .
Le Commissaire européen à l' agriculture , M.
Fischler , ne s' est pas trompé sur le rôle de ces nouveaux acteurs : il
imputait une partie de la responsabilité de l' échec de Cancun à
certaines ONG, avant d' estimer que la redéfinition des relations entre
membres de l' OMC et ONG devait être la première priorité de réforme de
l' organisation .
Le libre-échange ne suffit plus : géographie des doutes
face à la globalisation
La question stratégique posée par Cancun est de savoir
si les membres de l' OMC estiment encore avoir un intérêt à promouvoir une
libéralisation multilatérale globale .
L' échec de Cancun a révélé les doutes fondamentaux des
participants à la négociation .
L' agriculture du nord a peur du Sud
La première nouveauté de Cancun a été l' alliance
transatlantique sur l' agriculture .
Loin d' être dérisoire par rapport aux attentes des
PED et notamment des PMA, la proposition euro - américaine n' en
consacrait pas moins une approche globalement conservatrice, pérennisant
les politiques agricoles menées dans les pays les plus riches .
Les partenaires transatlantiques n' étaient
peut-être pas les plus défensifs et certainement pas les plus immobiles
.
Leur entente stratégique représentait donc un
élément profondément nouveau dans le système d' alliance traditionnel .
Le Japon et la Corée avaient mal accepté ce
rapprochement - " trahison " - de l' Europe avec les Etats-Unis .
L' alliance agricole transatlantique avait été
rendue possible après l' accord de Luxembourg de juin 2003 qui, en
réformant la PAC, permettait de trouver un point d' intersection aux
trajectoires inversées des politiques agricoles européennes et
américaines depuis l' Uruguay Round .
Depuis 1992 et avec " agenda 2000 "_NEW_ les
subventions européennes s' étaient considérablement " américanisées " en
progressant régulièrement sur deux axes : la réduction du niveau de
soutien aux prix et, surtout, le " découplage " progressif des aides .
Inversement, depuis le Fair Act de 1996 et le Farm
Bill de 2002, le régime de soutien américain s' était considérablement "
européanisé ", d'une part du fait de l' augmentation massive des
concours publics au revenu agricole, d'autre part du fait de la tendance
au " recouplage " partiel des aides américaines, en particulier via le
nouveau mécanisme des " marketing loans " .
L' approche-cadre ", c' est à dire une approche non
chiffrée, proposée par l' Europe et les Etats-Unis comme base de
négociation agricole consacrait donc globalement l' état de fait atteint
des deux côtés de l' Atlantique .
Elle prévoyait un effort de réduction des soutiens
internes les plus directement liés aux quantités produites, dans des
limites des marges de manoeuvres disponibles après le " Farm Bill " et
la réforme de la PAC . Elle ne retenait pas l' objectif d' élimination
globale des subventions à l' exportation, mais traitait pour la première
fois avec parallélisme les objectifs de réduction des subventions à l'
exportation américaines ( aide alimentaire, crédits à l' exportation )
et européennes ( restitutions aux exportations ) et en admettait l'
élimination pour les productions
Le texte soumis par l' OMC comme base de discussion
s' inspirait largement de l' approche transatlantique , mais renforçait
ses exigences dans le sens souhaité par les PED, en particulier sur les
ambitions de réduction des subventions internes et l' élimination des
subventions aux exportations .
Il fut radicalement rejeté par le " G 21 ", qui ne
parvenait à réaliser une synthèse entre les intérêts de ses membres
offensifs et défensifs sur la protection douanière, qu' en réclamant de
faire porter l' intégralité des efforts de réforme agricole aux pays
développés .
Les négociateurs américain et européen ont eu beau
jeu de prophétiser l' implosion de ce groupe hétéroclite, " mariage de
la carpe et du lapin ", le G21 a montré à Cancun que son ciment n' était
pas de plus mauvaise qualité que celui qui avait permis aux partenaires
transatlantiques de s' entendre sur les subventions et de surmonter,
optiquement, la profonde divergence de leurs intérêts en matière d'
accès au marché .
Les deux côtés partageant leur ambiguïté sur le
niveau de libéralisation à atteindre en matière de droits de douane
agricoles , la question de les subventions devenait logiquement centrale
.
Elle était radicale pour les pays du G21 .
Ces derniers représentent une majorité de la
population mondiale, dont une forte proportion, voire une majorité pour
la plupart, vit en milieu rural .
Leur structure d' exportation révèle une
sur-proportion des produits agricoles bruts et des denrées alimentaires
par rapport au poids de ces produits dans le commerce mondial .
Dans ces conditions, comme le relève D. Cohen à
propos des soutiens dans les pays développés, quel que soit le canal par
lequel transitent les aides , ces subventions sont une mauvaise nouvelle
pour les autres paysans du monde, qu' ils aient vocation à être
exportateurs ou pas " .
Enfin, les partenaires transatlantiques
convergeaient objectivement pour cantonner le dossier des subventions au
coton dans le cadre global de la négociation agricole, sans le
distinguer des autres produits, pour ne pas risquer de créer un
précédent ouvrant la voie à d' autres négociations sectorielles .
L' Europe donnait quelques signaux d' ouverture et
indiquait qu' elle s' apprêtait à réformer son régime de subvention dans
ce secteur, l'un des absents de la réforme de l' été 2003 .
Les Etats-Unis proposaient de globaliser le sujet en
traitant l' ensemble des problèmes de la filière, allant de la fibre au
vêtement .
Intellectuellement intéressant et habile, cet
argumentaire apparaissait trop grossièrement comme un simple contre-feu
tactique, visant à " noyer " la demande africaine dans une négociation
plus complexe .
La proposition américaine fut néanmoins reprise dans
son intégralité par les autorités de l' OMC, entraînant une
radicalisation irréversible des pays africains, qui voyaient ainsi
disparaître leur seul intérêt à négocier pour un succès à Cancun .
En accompagnement de cette fin de non recevoir, le
projet de déclaration suggérait benoîtement d' encourager " la
diversification des économies dans lesquelles le coton représente une
majorité du PIB " .
L' industrie du Sud a peur de la Chine : le rôle des
préférences
La deuxième nouveauté fondamentale de Cancun a été
la volonté d' une grande partie des pays du Sud, en particulier d'
Afrique et de Méditerranée, de conserver les avantages liés aux
préférences douanières accordées par leurs grands partenaires du Nord .
Compte-tenu de leur part très faible dans le
commerce mondial, la compétitivité globale et le potentiel de l'
industrie chinoise leur apparaissent désormais comme une menace majeure
pour leurs créneaux d' industrialisation naissante ou récente .
Le révélateur de cette menace a été le secteur du
textile et de l' habillement .
Le grand acquis de l' Uruguay Round , pour les
industriels de le Sud , avait été l' engagement de démantèlement du
système de quotas commerciaux issus de l' ancien " accord multi-fibre "
.
Trop longtemps attendue, la disparition de ces
quotas limitant leur capacité d' exportation est, paradoxalement,
devenue la hantise de nombre de petits pays producteurs, à mesure que se
profilait l' échéance de leur suppression totale au 1er janvier 2005 .
Face à la montée en puissance très rapide de la
Chine dans ce secteur, les quotas sont devenus des garanties de débouché
plutôt que des obstacles à leurs exportations .
Une fois ces quotas disparus, seule une préférence
douanière leur apparaît de nature à compenser le différentiel de
compétitivité avec la Chine .
Or, le niveau des préférences douanières dont ils
bénéficient dans le cadre de les accords passés avec les pays de la "
Quad " serait mécaniquement réduit par une réduction générale des droits
de douanes à l' OMC . En extrapolant sur la compétitivité de leurs
autres industries face à " l' atelier global ", ces pays concluent à la
menace d' une réduction tarifaire multilatérale .
Paradoxalement, c' est donc, en partie, du fait des
préférences qu' ils leurs accordent, que les pays du Nord ont perdu "
leur " Sud à Cancun .
Aucun des grands réseaux naturels de solidarité
économique - Europe et pays ACP ; Etats-Unis et pays latino-américains -
n' a fonctionné : le G90, qui s' opposait à l' Europe sur les " sujets
de Singapour ", réunissait majoritairement les pays ACP ; les membres du
G21 étaient majoritairement latino-américains et liés par des accords
préférentiels ou engagés dans des négociations de libre-échange avec les
Etats-Unis .
3 . c Bretton-Woods arrive en retard
Le droit de l' OMC dispose théoriquement de tous les
outils et garde-fous permettant de gérer avec souplesse l' intensité et
le rythme des politiques d' ouverture entre pays de niveaux de
développement différents : ces éléments sont d'ailleurs des objets de
négociation majeurs dans le cadre du programme de Doha, tant au titre de
la " mise en oeuvre " - ajustement des conditions d' application des
accords précédents - que du " traitement spécial et différencié " -
prise en compte des contraintes particulières des PED dans les
négociations - .
Mais la doctrine sur laquelle repose l' organisation
se limite fondamentalement à professer les bienfaits du libre-échange
sur la croissance, tout en admettant la nécessité d' en ajuster le
rythme en fonction des situations particulières .
Les institutions de Bretton Woods ont également
fondé une partie de leur argumentaire pour le développement sur la
libéralisation commerciale .
Cancun a montré les limites du pouvoir de conviction
cette seule doctrine .
En 2002, la Conférence de Monterrey avait formulé un
nouveau consensus international sur les stratégies de développement .
Ce consensus de Monterrey mettait globalement à jour
l' ancien " consensus de Washington " en lui ajoutant deux éléments
nouveaux : une affirmation de la responsabilité des pays en
développement dans l' amélioration de leur gouvernance et performances
institutionnelles, un engagement de contrepartie des pays du Nord à
accroître leur aide au développement . Dans la sphère commerciale ce
consensus trouve des points d' application très naturels et concrets :
la participation à l' effort de libéralisation et de renforcement des
règles contribue à l' amélioration des systèmes
Faute d' aide, les pays demeurent dépourvus de
capacités administratives à négocier et mettre en oeuvre leurs
engagements juridiques .
Les conditions concurrentielles demeurent inégales
sans d' investissement dans l' infrastructure productive nécessaire à l'
essor de leur compétitivité .
Le lien entre politique commerciale et politique d'
aide n' a pourtant pas encore été correctement investi par les grands
bailleurs d' aide .
Si ce lien est théoriquement établi dans les
politiques régionales de l' UE, il demeure pratiquement inexistant dans
sa politique multilatérale .
Un effort de systématisation a été entrepris à l'
OMC, depuis les conférences de Singapour et Doha ( 1996 - 2001 ),
relayées par la Conférence des Nations-Unies sur le commerce des PMA (
2000 ), mais demeure principalement cantonné au terrain de l' assistance
technique .
Or cette forme d' aide ne permet guère d' aborder
les problèmes fondamentaux des pays les plus pauvres face à la
libéralisation : la capacité à exporter est différente de la capacité à
négocier en ce qu' elle relève globalement de la défaillance des
infrastructures, de la formation de la main d' oeuvre, de l' absence de
systèmes de contrôle sanitaire ...
Les institutions de Bretton-Woods ont commencé à
intégrer la problématique du commerce dans leurs programmes .
Mais les efforts engagés par la Banque Mondiale se
sont jusqu'ici plutôt traduits par des études - visant essentiellement à
démonter les gains potentiels de la libéralisation multilatérale, en
particulier dans l' agriculture - que sur des programmes concrets de
constructions de capacités exportatrices .
Le FMI est resté très longtemps réticent à
contribuer à la recherche de solutions spécifiques au problème de l'
impact sur les finances publiques de la perte de recettes douanières
pour les pays en développement réalisant des efforts de désarmement
tarifaire multilatéral .
FMI et Banque Mondiale ont annoncé à Cancun de
nouvelles propositions, intéressantes mais encore vagues, sur ces
terrains : sans doute trop peu trop tard .
Les pays en développement ne perçoivent donc pas
encore les manifestations concrètes des efforts d' assistance qui les
aideraient à s' engager en confiance dans de nouvelles entreprises de
libéralisation .
aire de Cancun un acte fondateur : pour une relance
politique du cycle du développement
Il est à peu près acquis que Cancun a enterré l' espoir d'
une conclusion du cycle de Doha dans les délais fixés, au 1er janvier 2005 .
Deux grandes échéances officielles sont aujourd'hui prévues
: une réunion du Conseil Général de l' OMC, en décembre 2003, une conférence
ministérielle qui devrait se tenir, en principe à Hong-Kong, vers fin 2004 .
Entre les deux, l' élection présidentielle américaine risque
de figer toute dynamique de négociation .
Une reprise rapide est d' autant moins vraisemblable qu'
américains et européens ont indiqué rester pour l' instant sur l' expectative .
Face aux menaces du statu quo et aux limites des idées de
relance technique, la réflexion s' impose sur les conditions de relance
politique du cycle .
Les menaces du statu quo
Le gouvernement des juges : un test politique à
venir pour l' ORD
L' interruption du cycle de Doha à Cancun emporte
une menace immédiate pour l' OMC : celle du transfert de responsabilité
du " législateur " vers " le juge ", de la négociation de règles vers le
mécanisme de règlement des différends, en particulier en matière
agricole .
au 31 décembre 2003 expirera la " clause de paix ",
adoptée avec la conclusion de l' Uruguay Round, qui protégeait
temporairement les membres de l' OMC du risque de contentieux contre
leurs régimes de subvention à l' agriculture .
En cas d' accord à Cancun, cette clause aurait du
logiquement être prolongée pour garantir un climat serein de négociation
.
du fait de l' échec de Cancun, on peut s' attendre à
ce que les membres de l' OMC cherchent à obtenir, par le contentieux,
les objectifs de réforme agricole non atteints par la négociation .
D'ores et déjà, deux panels ont été constitués en
2003 à l' initiative du Brésil, l'un contre le régime de subventions aux
exportations de sucre de l' UE, l' autre contre le régime de subvention
au coton des Etats-Unis .
Indépendamment de la clause de paix, les tensions
liées aux contentieux sont déjà fortes .
Les Etats-Unis ont lancé une dispute très sensible
pour l' opinion publique, contre le régime communautaire d' autorisation
de mise sur le marché des OGM . De son côté, l' Europe se dirige vers la
mise en oeuvre de sanctions commerciales contre les Etats-Unis, faute de
mise en conformité de ces derniers avec les décisions de l' ORD ( organe
de règlement des différends de l' OMC ) dans l' affaire du FSC / ETI,
ou, du fait de la vraisemblable prochaine confirmation en appel de la
condamnation de la mesure de sauvegarde adoptée en 2002 par le Président
Bush dans le secteur
Compte-tenu de l' importance des enjeux politiques
en cause, une multiplication des contentieux commerciaux, en alternative
à les négociations , pourrait achever d' affaiblir ce qui reste de l'
OMC : la crédibilité du système de règlement des différends serait minée
par une multiplication des cas de non- respect de ses décisions ; les
objectifs mêmes de l' organisation seraient minés par la montée en
puissance de rétorsions commerciales croisées liés à ce non- respect .
La recherche d' une forme de pacte de " modération "
, sinon de " non- agression " , apparaît donc comme un préalable à tout
espoir de reprise des négociations multilatérales .
L' inconnue américaine, le risque protectionniste
Ce risque apparaît d' autant plus réel que l'
administration Bush a adressé plusieurs signaux de défiance vis à vis du
multilatéralisme commercial .
Le forum de l' OMC ne se voit pas reconnaître de
prééminence sur les autres forums de négociation dans la politique
commerciale américaine ; les Etats-Unis se sont affranchis de ses règles
en 2002 pour protéger leur secteur de l' acier et se montrent
extrêmement réticents à mettre en oeuvre les décisions de l' ORD les
condamnant : une mise en conformité est aujourd'hui attendue dans 5
affaires importantes gagnées par l' Union Européenne .
Les facteurs de tensions s' accumulent également
dans les relations commerciales sino-américaines : depuis longtemps
formulées par le secteur du textile-habillement, les demandes de
protection pourraient se multiplier dans l' industrie américaine, sous
l' influence notamment du facteur monétaire ( sous-évaluation estimée
par les autorités américaines de la parité du Yuan contre dollar ) .
Le déficit des paiements courants des Etats-Unis,
nourri par le déficit commercial , apparaît de moins en moins soutenable
au niveau atteint en 2003 ( plus de 5 % du PIB ) .
Alors que les Etats-Unis demeurent le principal
facteur de croissance mondiale, le risque d' une montée du
protectionnisme américain apparaît très réel .
La conjugaison d' une UE contrainte de mettre en
oeuvre 0 des sanctions commerciales contre les Etats-Unis pour faire
respecter les décisions de l' ORD et d' une montée de le protectionnisme
américain , représenterait une menace pour l' économie mondiale .
Les risques de la tentation régionale : l' Afrique à
la trappe
Faute d' accord multilatéral, les puissances
commerciales peuvent privilégier la voie bilatérale ou régionale pour
promouvoir leurs objectifs de libéralisation .
De fait, les premières déclarations des autorités
américaines tendent déjà à privilégier cette seconde voie après l' échec
de Cancun : M. Zoellick a indiqué qu' il choisirait ses pays
interlocuteurs entre " can do " et " won't do " .
L' Union Européene avait choisi de renoncer au
lancement de nouvelles initiatives de négociation de libre-échange,
bilatérale ou régionale, pendant la durée du cycle de Doha .
Après Cancun, la Commission a également fait savoir
qu' elle souhaitait prendre le temps de la réflexion et du débat interne
pour examiner toutes les options et envisager de réorienter
éventuellement dans ce sens la politique commerciale de l' Union
Européenne .
La théorie économique reste divisée sur les mérites
respectifs du régionalisme et du multilatéralisme .
Les gains potentiels de la libéralisation
multilatérale apparaissent supérieurs à ceux de la libéralisation sur
une base régionale .
Ces derniers se partagent traditionnellement entre "
effets de création " - qui débouchent sur un accroissement du commerce
global -, et " effets de détournement " de la richesse - qui se
matérialisent par une simple substitution de sources d'
approvisionnement .
L' enjeu de l' articulation entre multilatéralisme
et régionalisme est donc de maximiser les effets de création et limiter
les effets de détournement .
Le droit de l' OMC prévoit des dispositions pour
garantir la complémentarité des deux dynamiques .
Sous cette réserve, il n' y a en soi rien de
choquant à l'idée de poursuivre une option régionale ou bilatérale .
L' Union Européenne en incarne elle -même le
meilleur exemple historique et son réseau d' accord avec les pays tiers
régit d'ores et déjà près de 80 % de ses échanges extérieurs, par un
régime de libre-échange ou d' ouverture préférentielle de son marché .
Economiquement, l' Union Européenne aurait
probablement intérêt à progresser, au-delà des engagements de l' OMC,
par de nouvelles initiatives régionales : en effet, seules échappent
aujourd'hui à son réseau de préférences réciproques, ses relations avec
les deux zones les plus dynamiques du monde, l' Asie de l' Est ( " ASEAN
+ 3 " ) et l' Amérique du Nord .
Les pays les plus pauvres et en particulier l'
Afrique pourraient être les principales victimes d' un nouvel essor du
régionalisme de la part des grandes puissances commerciales .
D'abord, parce qu' un tel mouvement contribuerait
vraisemblablement à intensifier la tendance à la structuration de l'
économie mondiale autour du triangle Chine / Asie de l' Est - Union
Européenne - Etats-Unis, risquant de confiner l' Afrique subsaharienne,
qui r M. Zenawi .
L' affirmation d' une alternative régionaliste
crédible à le multilatéralisme signerait de facto une forme de " Yalta
institutionnel " dans la globalisation : aux pays commerçants de
négocier entre eux des accords de commerce, aux institutions de Bretton
Woods de s' occuper du " traitement social " des pays les plus pauvres
.
Ensuite, parce qu' en cas d' initiatives dans leur
direction, le rapport de force bilatéral serait naturellement peu
favorable aux économies les plus pauvres .
Cette réalité est évidente dans le rapport Nord-Sud,
comme l' ont montré, immédiatement après Cancun, les pressions
américaines sur les pays d' Amérique Centrale et andine pour qu' ils
sortent du G21 : le Costa-Rica, la Colombie et le Pérou ont annoncé leur
retrait du groupement, après avoir entendu les menaces du Président de
la Commission des Finances du Sénat américain .
Mais cette menace existe de manière tout aussi
évidente du fait de l' apparition de nouveau rapports de force et de
stratégies protectionnistes " Sud-Sud " .
Un indicateur révèle ce nouvel état de fait : une
majorité des enquêtes d' antidumping initiées dans le monde, oppose
aujourd'hui des pays en développement entre eux .
Le parlement européen ne s' est pas trompé sur cette
menace en réaffirmant clairement sa priorité au multilatéralisme dans sa
résolution sur les résultats de Cancun .
Surmonter les obstacles au consensus : les voies d' une
relance technique de l' OMC
L' échec de Cancun a ouvert trois débats sur les moyens
de relancer les négociations commerciales en trouvant de nouvelles méthodes
pour parvenir à forger un consensus .
Un agenda allégé ?
On pourrait estimer que les sujets de Singapour
ayant formellement provoqué l' échec, leur suppression de l'ordre du
jour permettrait du surmonter .
La tentation pourrait être la même sur l' ensemble
des sujets sur lesquels aucun progrès n' a été constaté depuis le
lancement du programme de Doha : commerce et environnement, indications
géographiques, questions de mise en oeuvre, certains groupe de travail .
L' idée de recentrer l' OMC sur son " coeur de
métier " , la libéralisation de l' accès à les marchés , est récurrente
chez les négociateurs .
Elle répond fondamentalement à la vision américaine
du cycle de négociation à laquelle s' opposait initialement une "
conception européenne de la mondialisation " marquée par la recherche d'
un équilibre entre libéralisation et régulation des échanges mondiaux
.
Il paraît douteux qu' une telle approche suffise à
relancer les débats : d'une part, parce que malgré leur rôle formel dans
l' échec, les sujets de régulation n' étaient pas au coeur des enjeux de
Cancun ; d'autre part, parce que la proposition d' abandon des deux
sujets les plus difficiles ( investissement, concurrence ) n' avait pas
permis de débloquer la négociation sur place .
En réalité, les ambiguïtés de l' agenda de Doha
reflétaient un équilibre entre trois grandes approches : celle d' une
majorité de PED qui souhaitaient limiter les discussions à l' existant,
à travers les thèmes de la mise en oeuvre des accords d' Uruguay et les
questions de développement ; celles des tenants d' un pur cycle de
libéralisation ; celles des partisans d' un renforcement du rôle de l'
OMC dans la gouvernance multilatérale .
Il est à craindre que toute altération de cet
équilibre ne revienne à ouvrir une boîte de pandore et éloigne d' autant
la perspective d' une reprise des négociations de substance .
La pondération de l' importance des sujets de
l'ordre de le jour pour chaque participant ne pourra évoluer réellement
qu' au regard des perspectives de progression des différents sujets par
la voie régionale ou bilatérale .
C' est déjà l' approche américaine, qui privilégie
les accords bilatéraux pour traiter de l' investissement .
C' est déjà largement l' approche européenne, qui s'
efforce de faire reconnaître la protection de ses indications
géographiques via ses négociations bilatérales ou régionales : si celles
-ci lui permettent d' atteindre ses objectifs, la pression pour des
progrès à l' OMC se réduira en la matière .
Une OMC à deux vitesses ?
De fait, l' OMC se reconnaît déjà à deux vitesses
par le jeu du principe de traitement spécial et différencié qui autorise
une asymétrie d' engagements de la part des pays en développement face
aux pays développés .
Le consensus était également globalement atteint à
Cancun sur l' idée d' exonérer les pays les moins avancés de tout
engagement contraignant en matière de libéralisation de l' accès au
marché industriel .
Le Président de la République française a également
proposé à ses partenaires du G8 l' idée d' un " régime commercial
spécifique pour l' Afrique ", idée reprise à son compte par l' Union
Européenne au sommet d' Evian, mais qui avait rencontré l' opposition
des Etats-Unis .
Après l' échec de Cancun, la France a relancé cette
idée .
L' idée est donc présente et le droit de l' OMC
offre d' autres techniques que le traitement spécial et différencié pour
différencier le niveau d' obligation entre membres .
La principale est celle des accords dits "
plurilatéraux ", dont les obligations ne lient que ceux des membres qui
l' acceptent, sous réserve du consensus de tous pour recourir à cette
technique dérogatoire ; une possibilité équivalente consisterait à
prévoir des clauses d' entrée ou de sortie ( " opt-in " ou " opt-out " )
de la négociation de certains accords, par dérogation au principe " d'
engagement unique " .
Le recours à ces techniques pourrait être fécond
pour contribuer à une relance de la négociation, et surmonter en
particulier l' impasse mercantiliste liant les sujets de Singapour aux
questions d' accès au marché .
S' agissant de règles sur l' investissement et la
concurrence, ayant vocation à représenter un bien collectif, il serait
intellectuellement justifiable des développer par une stratégie
incitative, fondée sur le volontariat, sachant que les pays en
développement nourrissent de grands doutes sur l' intérêt de telles
règles pour leurs stratégies de croissance .
De fait, l' intérêt économique d' un régime
multilatéral de l' investissement pour les pays en développement reste
par exemple controversé : sa mise en place, à l' OMC, sur une base
volontaire, par certains pays, permettrait d' en mieux évaluer les
effets .
On peut alors faire le pari que si ces règles
révèlent leur intérêt, les effets de concurrence et d' émulation
joueraient à plein si certains PED décidaient d' y souscrire : l' Inde
s' imaginerait -elle pouvoir rester hors d' un accord auquel souscrirait
la Chine ?
Pour créer une dynamique de confiance et d'
incitation, les pays développés pourraient s' engager à faire bénéficier
l' ensemble des membres de l' OMC des engagements qu' ils prendraient
dans ce cadre .
Enfin, une approche volontaire répondrait à la
contestation des sujets de Singapour par la plupart des mouvements de la
société civile, dénonçant la volonté d' imposition de nouvelles normes
aux pays en développement .
Le principal risque d' une telle approche serait
politique en ce qu' elle pourrait accentuer la bipolarisation Nord-Sud
et un désengagement des pays développés de l' OMC, pour lui préférer d'
autres cadres, par exemple celui de l' OCDE . Le risque paraît réduit
compte-tenu de l' échec fracassant de l' AMI en 1998 .
En tout état de cause, l' enceinte de l' OMC
offrirait plus de chances de succès à une telle démarche que celle de l'
OCDE, parce qu' elle offre davantage de garanties procédurales aux pays
en développement .
Ceux -ci auraient d'abord à accepter le principe d'
ouvrir ou non de telles négociations " plurilatérales ", de décider s'
ils souhaitent ou non y participer, de souscrire ou non des engagements
à la conclusion .
Une réforme institutionnelle ?
L' Union Européenne a ouvert le débat sur la
modernisation de l' OMC, qualifiée de " médiévale " par le Commissaire
Lamy .
Les Etats-Unis ont d'emblée indiqué qu' un tel débat
serait une perte de temps .
Bis repetita placent, la question de la réforme de
l' organisation avait été mise à l'ordre du jour après Seattle .
des progrès ont d'ailleurs été réalisés depuis en
matière de transparence interne et externe des débats .
A la lueur de l' échec de Cancun, de nouvelles
questions sont ouvertes, sur lesquelles un progrès paraît souhaitable,
en particulier concernant les pouvoirs respectifs du Président des
conférences ministérielles et du Directeur Général de l' Organisation,
dans l' organisation des débats et des procédures de consultation
.
Mais la question centrale reste celle de la méthode
de production d' un consensus entre 148 pays sur plus de 20 sujets de
négociation .
De facto, malgré la contestation ouverte à Seattle,
l' OMC n' a jamais pu se passer de l' ancienne pratique du GATT, dite
des " green room ", réunions informelles, restreintes aux principaux
membres de l' organisation, pour élaborer les projets de consensus .
C' est d'ailleurs en " green room " qu' à été décidé
l' arrêt de la conférence de Cancun, avant officialisation en réunion
plénière .
L' institutionnalisation de cette pratique, la
définition de ses règles , procédures , garanties de transparence de le
résultat de les débats représenterait le principal enjeu pour surmonter
les contradictions du " consensus censitaire " et améliorer le
fonctionnement institutionnel .
Mais les chances de parvenir à l' élaboration d' un
tel " conseil restreint " à l' OMC apparaissent extrêmement limitées .
Techniquement, elle supposerait de s' accorder sur
la représentativité des grandes catégories de pays et d' intérêts,
impliquant de figer les alliances et sur l' établissement de procédures
de consultation interne aux groupes de pays représentés par un
mandataire .
Le débat sur les voies d' une relance technique du
cycle reproduit donc très largement ceux qu' avait engendré l' échec de
Seattle, sans réelle traduction concrète depuis .
Il comporte des éléments utiles, mais ne pourra
occulter les préalables politiques à la relance du cycle du
développement .
Faire de Cancun un acte fondateur : les conditions de
relance politique du programme de Doha
Les ambiguïtés politiques qui avaient permis de
construire l' agenda de Doha ont fonctionné comme " deal breaker " à Cancun,
révélant les divergences de conception Nord-Sud sur le partage des
responsabilités commerciales globales, la priorité économique de l'
agriculture, l' apport de la libéralisation au développement .
Aucun progrès vers un consensus ne paraît désormais
possible sans affronter ces grandes questions politiques et éliminer les
ambiguïtés .
Compte-tenu de l' asymétrie des niveaux de
développement, le sens moral voudrait sans doute que les pays développés
assument la responsabilité d' une relance du cycle de Doha, en offrant de
nouvelles concessions sur le terrain agricole .
Indépendamment des résultats de Cancun, la Commission
européenne s' est d'ores et déjà engagée dans une proposition de réforme des
organisations communes des marchés du sucre, du coton, du tabac et des
produits méditerranéens .
Si ces propositions aboutissent, elles lui confèreront
une marge de manoeuvre nouvelle .
La proposition française à le G8 d' un moratoire sur les
subventions à les exportations déstabilisatrices pour les marchés africains
pourrait également être utilement retravaillée .
Mais le sens commun suggère le réalisme .
Les Etats-Unis ont voté en 2002 une loi agricole et vont
entrer en période électorale : hormis la découverte d' un intérêt
sécuritaire, rien ne paraît aujourd'hui susceptible de venir faire évoluer
leurs positions de négociation .
L' UE vient de réformer la PAC et l' échec de Cancun
pourrait affaiblir la stratégie réformatrice de la Commission, qui liait les
négociations de l' OMC aux résultats des réformes agricoles internes .
Le Japon reste également en posture très défensive sur
l' agriculture .
Aucun pays développé ne fera donc de nouvelle concession
unilatérale . ne fera donc de nouvelle concession unilatérale .
Inversement, aucun pays en développement ne peut
réalistement espérer obtenir satisfaction à l' OMC sans prendre le moindre
engagement en contrepartie : la stratégie agricole du G21 demandant tous les
efforts aux pays développés ne peut déboucher que sur une impasse .
L' enjeu pour l' OMC est donc de forger de nouvelles
bases d' accord politique permettant d' envisager une relance globale de ses
travaux . L' hypothèse de la convocation d' une réunion ministérielle
extraordinaire de l' OMC début 2004 a été envisagée .
On voit mal comment une telle réunion pourrait parvenir
à un accord technique sur les mêmes bases qu' à Cancun .
Une réunion de ministres, dans un forum à caractère
purement politique , pourrait par contre être utile et les institutions de
Bretton Woods devraient y être associées .
Trois débats doivent être affrontés pour tenter de
reconstruire un consensus politique sur la libéralisation multilatérale
doivent être affrontés pour tenter de reconstruire un consensus politique
sur la libéralisation multilatérale
Simplifier les équations : des accords partiels au
sein du programme de Doha
Face à la difficulté des membres de l' OMC à évaluer
l' équilibre des concessions globales à entreprendre au titre de l'
agenda de Doha, un accord politique pourrait être recherché sur la
définition d' équilibres intermédiaires, demeurant unis entre eux par le
principe d' engagement unique .
Les subventions agricoles de le Nord et le
protectionnisme industriel à le Sud sont en accusation : Cancun a donc
montré qu' il n' y aurait pas d' accord agricole possible sans accord
industriel .
Or, la plupart des membres de l' OMC expriment un
niveau d' ambition inversement proportionnel, entre l' agriculture et l'
industrie .
Le premier enjeu d' un nouveau compromis politique
doit donc être d' admettre que les efforts de libéralisation devront
être proportionnels dans les deux secteurs, sur la base la plus
ambitieuse possible .
Ces champs de négociations sont suffisamment balisés
et le travail technique de préparation de Cancun était suffisamment
avancé pour que soit éclairé l' équilibre commercial des concessions
réciproques .
Les négociations relatives à les services peuvent
alors relever d' une logique sectorielle propre dans laquelle le
compromis Nord-Sud devra être essentiellement recherché entre progrès de
l' ouverture aux investissements et aux mouvements temporaires de main
d' oeuvre .
Sur les sujets de Singapour, l' option d' accords
plurilatéraux devrait être examinée et la négociation de ces sujets de
Singapour mise en balance avec celle des autres règles : les pays en
développement ont un intérêt direct au renforcement des disciplines sur
l' antidumping, aux questions de mise en oeuvre et de traitement spécial
et différencié ; les Etats-Unis réclament l' élimination des subventions
aux pêcheries et s' intéressent à deux sujets de Singapour ; le Japon et
l' UE demeurent motivés par les quatre sujets, ainsi que, pour cette
dernière par l' environneme
Mise à jour des responsabilités globales : un nord
mais plusieurs Suds
L' OMC vit sur un modèle hybride et dépassé, en ne
reconnaissant que trois catégories de pays : pays développés, pays en
développement et pays les moins avancés : la catégorie des pays en
développement est subjective puisqu' elle relève purement d' une "
auto-déclaration " ; la catégorie des PMA est objective et relève de
critères précisément définis au sein de l' ONU . Ces catégories ne
permettent pas de différencier le niveau de responsabilité économique
que doivent prendre les pays émergents dans leurs engagements à l' OMC :
Singapour, Chine, Cameroun, Côte d' Ivoire
Les pays développés voudraient dès lors introduire
des mécanismes de " différenciation " pour tenir compte des évolutions
intervenues au sein du groupe des pays en développement .
Ces derniers refusent radicalement toute évocation
directe et indirecte du sujet .
Ce conflit porte une responsabilité majeure dans l'
échec de Cancun : il empêche tout avancée forte sur la question du
traitement spécial et différencié de la libéralisation, particulièrement
en matière agricole .
Or, aucun pays développé n' envisagera d' accorder
les mêmes concessions et flexibilités au Cameroun qu' au Brésil ou à l'
Inde .
Inversement, les pays émergents ont beau jeu de
faire porter l' ensemble de la responsabilité de la libéralisation aux
pays développés .
Le cas du coton est révélateur : Brésil et Inde
soutiennent - à juste titre - la demande africaine d' élimination des
subventions américaine et européenne mais entretiennent simultanément
des droits de douanes très élevés sur leurs propres importations de
coton, brut ou transformé .
Cette question est aujourd'hui " explosive " parce
que politiquement centrale .
Faute de réussir à engager un débat constructif, les
ambiguïtés structurelles du programme de Doha ne pourront, au mieux,
être surmonté que via des compromis globaux " Nord-Sud " fondés sur des
concessions minimales : c' était l' approche tentée à Cancun .
Accompagnement de la libéralisation : pas de
commerce sans aide accrue
Renforcer l' intérêt des PED à participer à les
négociations commerciales et leur fournir plus de " confort " face à les
coûts de l' ouverture suppose de développer des stratégies d' aide liant
beaucoup plus directement les programmes d' assistance aux pays aux
efforts de libéralisation entrepris . La Banque Mondiale a commencé à
intégrer cette dimension, en particulier dans sa stratégie envers les
pays méditerranéens unis à l' UE par un accord d' association et en
systématisant l' intégration de la dimension commerciale dans la
formulation de ses stratégies pays .
Le FMI a par ailleurs annoncé à Cancun une approche
cadre pour aider les pays en développement à affronter les déséquilibres
de balance des paiements liés à l' ouverture commerciale .
L' amplification de cet effort et la systématisation
du lien entre commerce et aide passe d'une part, par l' affirmation
politique d' une véritable coresponsabilité de l' OMC et des
institutions dans la poursuite de l' agenda de libéralisation
multilatérale des pays en développement, d'autre part, par la mise en
place de nouveaux moyens de financement du développement .
C' est le sens de l' engagement de principe exprimé
en septembre 2003 par le Directeur Général du FMI et le Président de la
Banque Mondiale pour développer un programme global de réponse aux
besoins d' ajustement et d' investissement résultant de la
libéralisation entreprise par les pays en développement .
Il importe que cet engagement trouve une
matérialisation rapide dans des programmes-cadres, précis, concrets et
visibles .
L' Europe et les Etats-Unis, qui avaient su
converger à Monterrey dans l' annonce d' un accroissement de leur effort
d' aide à le développement , ou à le G8 d' Evian dans l' annonce de
moyens supplémentaires pour la lutte contre le Sida , devraient exercer
ensemble un " leadership " sur ce terrain : la question mériterait d'
être inscrite à l'ordre du jour de leur coopération, dans le cadre des
structures de dialogue économique et commercial bilatéral mise en place
par le " nouvel agenda transatlantique " de 1995
Enfin, peut -on prendre au sérieux l' idée de "
compensation financière " temporaire des effets du protectionnisme,
deuxième volet de la demande des pays d' Afrique de l' Ouest pour
traiter le dossier du coton .
Intellectuellement l' idée relève de la
problématique classique du principe " pollueur-payeur " : le
protectionnisme des uns produit des externalités négatives pour les
autres, susceptibles d' être réduites par un mécanisme de désincitation
financière .
Sur cette base, la recherche de ressources
financières nouvelles liant enjeux commerciaux et aide à le
développement pourrait concrètement être envisagée à court-terme à
partir d' un mécanisme " d' amende " ou de " compensation financière
négociée ", en cas de refus de mise en conformité après une condamnation
à l' OMC . Face au risque de multiplication des contentieux et au
déséquilibre des rapports de force entre économies riches et pauvres
dans la mécanique des rétorsions commerciales, cette piste alternative
des sanctions financières mériterait d' être mieux explorée .
C' est aussi parce qu' il n' a pas suffisamment
investi le champ de l' aide liée à la libéralisation commerciale que le
système commercial a perdu le " Sud " à Cancun et que les ONG
caritatives ont occupé la place laissée vide .