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O mon cher Criton, ne sais-tu pas que, dans tout, les hommes nuls et sans mérite font la majorité, et que les bons sont en petit nombre, mais dignes de toute notre confiance ? La gymnastique ne te paraît-elle pas bonne, ainsi que l'économie, la rhétorique et l'art militaire ?
CRITON
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Assurément
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page 434
SOCRATE
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Cependant ne vois-tu pas que la plupart de ceux [307b] qui se mêlent de ces arts sont ridicules dans tout ce qu'ils font?
CRITON
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Par Jupiter, tu dis la vérité
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SOCRATE
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Eh bien, pour cela renonceras-tu toi-même à ces occupations et les défendras-tu à ton fils?
CRITON
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Il me semble que je ferais mal
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SOCRATE
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Ne le fais donc pas, ô Criton ; n'examine point si ceux qui font profession de la philosophie sont bons ou mauvais; mais regarde la philosophie en elle-même
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[307c] Si tu la juges mauvaise, détournes-en non seulement tes fils, mais tout le reste des hommes; si tu la trouves bonne, telle qu'elle me paraît à moi-même, toi et tes enfants appliquez-vous-y de toutes vos forces
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EUTHYPHRON de Platon
ou
DE LA SAINTETÉ
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EUTHYPHRON, devin; SOCRATE
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EUTHYPHRON
[2a] Quelle nouveauté, Socrate? Quitter tes Habitudes du Lycée pour le portique du Roi! J'espère que tu n'as pas, comme moi, un procès devant le Roi ?
SOCRATE
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Non pas un procès, Euthyphron: les Athéniens appellent cela une affaire d'état
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EUTHYPHRON
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[2b] Une affaire d'état ! Quelqu'un t'accuse apparemment ; car pour toi, Socrate, je ne croirai jamais que tu accuses personne
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SOCRATE
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Certainement non
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EUTHYPHRON
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Ainsi donc, c'est toi qu'on accuse?
SOCRATE
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Justement
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EUTHYPHRON
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Et quel est ton accusateur ?
SOCRATE
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Je ne le connais guère personnellement; il paraît que c'est un jeune homme assez obscur ; on l'appelle, je crois, Mélitus ; il est du bourg de Pithos
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Si tu te rappelles quelqu'un de Pithos, qui se nomme Mélitus, et qui ait les cheveux plats, la barbe rare, le nez recourbé, c'est mon homme
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EUTHYPHRON
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Je ne me rappelle personne qui soit ainsi fait ;
[2c] mais quelle accusation, Socrate, ce Mélitus intente-t-il donc contre toi?
SOCRATE
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Quelle accusation? Une accusation qui ne marque pas un homme ordinaire; car, à son âge y ce n'est pas peu que d'être instruit dans des matières si relevées
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Il dit qu'il sait tout ce qu'on fait aujourd'hui pour corrompre la jeunesse, et qui sont ceux qui la corrompent
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C'est apparemment quelque habile homme qui, connaissant mon ignorance, vient, devant la patrie, comme devant la mère commune, m'accuser de corrompre les hommes de son âge : et, il faut l'avouer, il me paraît le
[2d] seul de nos hommes d'état qui entende les fondements d'une bonne politique ; car la raison ne dit-elle pas qu'il faut commencer par l'éducation des jeunes gens, et travailler à les rendre aussi vertueux qu'ils peuvent l'être, comme un bon jardinier donne ses premiers soins aux nouvelles plantes, et ensuite s'occupe des autres? Mélitus tient sans doute la même conduite,
[3a] et commence par nous retrancher, nous qui corrompons les générations dans leur fleur, comme il s'exprime, après quoi il étendra ses soins bienfaisants sur l'âge avancé, et rendra à sa patrie les plus grands services
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On ne peut attendre moins d'un homme qui sait si bien commencer
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EUTHYPHRON
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Je le voudrais, Socrate; mais je tremble de peur du contraire : car, pour nuire à la patrie, il ne peut mieux commencer qu'en attaquant Socrate
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Mais apprends-moi, je te prie, ce qu'il t'accuse de faire pour corrompre la jeunesse
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SOCRATE
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[3b] Des choses qui d'abord, à les entendre, paraissent tout à fait absurdes : car il dit que je fabrique des dieux, que j'en introduis de nouveaux , et que je ne crois pas aux anciens ; voilà de quoi il m'accuse
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EUTHYPHRON
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J'entends; c'est à cause de ces inspirations extraordinaires, qui, dis-tu, ne t'abandonnent jamais
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Sur cela, il vient t'accuser devant ce tribunal d'introduire dans la religion des opinions nouvelles, sachant bien que le peuple est toujours prêt à recevoir ces sortes de calomnies
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Que ne m'arrive-t-il pas à moi-même,
[3c] lorsque, dans les assemblées, je parle des choses divines, et que je prédis ce qui doit arriver! ils se moquent tous de moi comme d'un fou : ce n'est pas qu'aucune des choses que j'ai prédites ait manqué d'arriver; mais c'est qu'ils nous portent envie à tous tant que nous sommes, qui avons quelque mérite
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Que faire? Ne pas s'en mettre en peine, et aller toujours son chemin
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SOCRATE
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Mon cher Euthyphron, être un peu moqué n'est peut-être pas une grande affaire: car, après tout, à ce qu'il me semble, les Athéniens s'embarrassent assez peu qu'un homme soit habile, pourvu qu'il renferme son savoir en lui-même; mais dès qu'il s'avise d'en faire part aux autres y
[3d] alors ils se mettent tout de bon en colère, où par envie, comme tu dis, ou par quelque autre raison
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EUTHYPHRON
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Quant à cela, je n'ai pas grande tentation, Socrate, d'éprouver les sentiments qu'ils ont pour moi
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SOCRATE
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Voilà donc pourquoi tu es si fort réservé, et ne communiques pas volontiers ta sagesse; mais, pour moi, et je crains fort que les Athéniens ne s'en soient aperçus, l'amour que j'ai pour les hommes me porte à leur enseigner tout ce que je sais, non-seulement sans leur demander de récompense, mais en les prévenant même, et en les pressant de m'écouter
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Si l'on se contentait de me plaisanter un peu, comme
[3e] tu dis qu'on le fait de toi, ce ne serait pas chose si désagréable que de passer ici quelques heures à rire et à se divertir ; mais si onle prend au sérieux, il n'y a que vous autres devins qui sachiez ce qui en adviendra
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EUTHYPHRON
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J'espère que tout ira bien, Socrate, et que to conduiras heureusement à bout ton affaire, comme moi la mienne
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SOCRATE
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Tu as donc ici quelque affaire? Te défends-tu, ou poursuis-tu ?
EUTHYPHRON
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Je poursuis
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SOCRATE
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Et qui?
EUTHYPHRON
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[4a] Quand je te l'aurai dit, tu me croiras fou
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SOCRATE
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Comment ! Poursuis-tu quelqu'un qui ait des ailes ?
EUTHYPHRON
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Celui que je poursuis, au lieu d'avoir des ailes, est si vieux qu'à peine il peut marcher
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SOCRATE
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Et qui est-ce donc?
C'est mon père
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SOCRATE
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Ton père !
EUTHYPHRON
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Oui, mon père
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SOCRATE
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Eh ! de quoi l'accuses-tu ?
EUTHYPHRON
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D'homicide
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SOCRATE
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D'homicide ! Par Hercule ! Voilà une accusation au-dessus de la portée du vulgaire , qui jamais n'en sentira la justice : un homme ordinaire ne
[4b] serait pas en état de la soutenir
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Pour cela , il faut un homme déjà fort avancé en sagesse
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EUTHYPHRON
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Oui, certes, fort avancé, Socrate
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SOCRATE
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Est-ce quelqu'un de tes parents, que ton père a tué
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II le faut ; car, pour un étranger, tu ne mettrais pas ton père en accusation
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EUTHYPHRON
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Quelle absurdité, Socrate, de penser qu’il y ait à cet égard de la différence entre un parent et un étranger ! La question est de savoir si celui qui a tué, a tué justement ou injustement
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Si c'est justement, il faut laisser en paix le meurtrier; si c'est injustement, tu es obligé de le
[4c] poursuivre, fût-il ton ami, ton hôte
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C'est te rendre complice du crime, que d'avoir sciemment commerce avec le criminel, et que de ne pas poursuivre la punition, qui seule peut vous absoudre tous deux
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Mais pour to mettre au fait, le mort était un de nos fermiers, qui tenait une de nos terres quand nous demeurions à Naxos
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Un jour, qu'il avait trop bu, il s'emporta si violemment contre un esclave, qu'il le tua
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Mon père le fit mettre dans une basse-fosse, pieds et poings lies, et sur l'heure même il
[4d] envoya ici consulter l'exégète pour savoir ce qu'il devait faire, et pendant ce temps-là, négligea le prisonnier, comme un assassin dont la vie n'était d'aucune conséquence ; aussi en mourut-il ; la faim, le froid et la pesanteur de ses chaînes le tuèrent avant que l'homme que mon père avait envoyé fût de retour
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Sur cela toute la famille s'élève contre moi, de ce que pour un assassin j'accuse mon père d'un homicide, qu'ils prétendent qu'il n'a pas commis : et quand même il l'aurait commis, ils soutiennent que je ne devrais pas le poursuivre, puisque le mort était un meurtrier; et que d'ailleurs c'est une action impie qu'un fils poursuive
[4e] son père criminellement : tant ils sont aveugles sur les choses divines, et incapables de discerner ce qui est impie et ce qui est saint
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SOCRATE
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Mais, par Zeus, toi-même, Euthyphron, penses-tu connaître si exactement les choses divines, et pouvoir démêler si précisément ce qui est saint d'avec ce qui est impie, que, tout s'étant passé comme tu le racontes , tu poursuives ton père sans craindre de commettre une impiété ?
EUTHYPHRON
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Je m'estimerais bien peu, et Euthyphron n'aurait guère d'avantage sur les [5a] autres hommes, s'il ne savait tout cela parfaitement
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SOCRATE
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O merveilleux Euthyphron ! je vois bien que le meilleur parti que je puisse prendre , c'est de devenir ton disciple, et de faire signifier à Mélitus, avant le jugement de mon procès , que j'ai toujours attaché le plus grand prix à bien connaître les choses divines; et qu'aujourd'hui, voyant qu'il m'accuse d'être tombé dans l'erreur en introduisant témérairement des idées nouvelles sur la religion, je me suis mis à ton école
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Ainsi, Mélitus, lui dirai-je, si tu avoues qu'Euthyphron est
[5b] habile en ces matières, et qu'il a les bonnes opinions, sache que je pense comme lui , et cesse de me poursuivre ; si , au contraire , tu tiens qu'Euthyphron n'est pas orthodoxe , fais assigner le maitre avant l'écolier
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Accuse-le de perdre, non pas les jeunes gens, mais les vieillards, son père et moi : moi, en m'enseignant une fausse doctrine ; son père, en le poursuivant d'après cette doctrine
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Que si, sans aucun égard à ma demande, il continue à me poursuivre, ou que, me laissant là, il s'en prenne à toi, to ne manqueras pas de comparaître, et de dire la même chose que je lui aurai fait signifier
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EUTHYPHRON
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Je te le promets sur ma parole, Socrate ; s'il est assez imprudent pour
[5c] s'attaquer à moi, je saurai bien trouver son faible , et il courra plus de risques que moi dans cette affaire
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SOCRATE
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Je le crois, mon cher Euthyphron, et voilà pourquoi je souhaite tant d'être ton disciple, bien assuré qu'il n'y a personne assez hardi pour to regarder en face, non pas même Mélitus, lui, qui me voit si bien jusqu'au fond de l’âme, qu'il m'accuse d'impiété
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Présentement donc, au nom des dieux, enseigne-moi ce que to prétendais tantôt savoir si bien : qu'est-ce que le saint et l'impie sur, le meurtre, et
[5d] sur tout autre sujet ? La sainteté West-elle pas toujours semblable à elle-même dans toutes sortes d'actions ? Et l'impiété, qui est son contraire, n’est-elle pas aussi toujours la même, de sorte que le même caractère d'impiété se trouve toujours dans tout ce qui est impie ?
EUTHYPHRON
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Assurément, Socrate
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SOCRATE
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Et qu'appelles-tu saint et impie ?
EUTHYPHRON
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