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|---|---|---|
Il but alors la ciguë et mourut avec une sérénité qui couronnait
dignement une longue carrière consacrée à la science et à la vertu
| ||
La condamnation de Socrate ne pouvait manquer d’être discutée
| ||
S’il avait contre lui des juges prévenus dès longtemps contre les
sophistes avec lesquels on le confondait, et des démocrates qui ne lui
pardonnaient pas ses critiques contre le régime de la fève, il avait pour
lui tous ceux qui le connaissaient bien et en particulier des disciples
fervents comme Antisthène, Eschine, Xénophon et Platon
| ||
Ceux-ci ne
tardèrent pas à prendre la défense de leur maître, et c’est pour le faire
connaître tel qu’il était que Platon écrivit son Apologie
| ||
Il est bien
certain – les divergences entre l’apologie de Platon et celle que
composa plus tard Xénophon le montrent d’une manière assez claire –
que Platon, pas plus que Xénophon, ne reproduit pas les paroles
mêmes de Socrate devant ses juges
| ||
Il a dû pourtant en reproduire
l’essentiel et réfuter à peu près comme lui les griefs des accusateurs ;
autrement le nombreux public qui avait entendu Socrate aurait pu
l’accuser de mensonge et ruiner ainsi l’effet de son ouvrage
| ||
D’ailleurs
Platon ne pouvait mieux faire pour défendre son maître que d’en
présenter à ses lecteurs une image aussi exacte que possible
| ||
On sait
par les pastiches qu’il a faits de Lysias, de Protagoras, de Prodicos et
d’autres, combien il était habile à contrefaire les talents les plus divers
| ||
Aussi l’on peut croire qu’en s’appliquant à faire revivre la figure de son
maître vénéré, il en a reproduit les traits avec une grande fidélité
| ||
L’Apologie se divise en trois parties bien distinctes
| ||
Dans la
première, de beaucoup la plus importante, Socrate discute le
réquisitoire de ses accusateurs ; dans la seconde, il fixe sa peine ; dans
la troisième, il montre aux juges qui l’ont condamné le tort qu’ils se
sont fait et il s’entretient avec ceux qui l’ont acquitté de la mort et de
l’au-delà
| ||
Première partie
| ||
– Dès l’exorde de la première partie, on reconnaît
Socrate à sa feinte modestie
| ||
Il est, dit-il, entièrement étranger au
langage des tribunaux
| ||
Aussi se bornera-t-il à dire simplement la
vérité
| ||
Il indique ensuite les deux grandes divisions de son plaidoyer :
il répondra d’abord aux calomnies propagées depuis longtemps contre
lui ; il discutera ensuite les griefs de ses accusateurs récents
| ||
On l’accuse depuis des années de chercher à pénétrer les secrets de
la nature, de faire d’une bonne cause une mauvaise et d’enseigner aux
autres à le faire aussi
| ||
C’est ainsi qu’un poète comique (Aristophane,
Nuées) l’a représenté sur la scène, « se promenant dans les airs et
débitant toute sorte de sottises »
| ||
Il proteste qu’il n’entend rien aux
sciences de la nature, qu’il n’a jamais eu de disciples, à la manière des
sophistes, qui font payer leurs leçons fort cher, tandis qu’il n’a jamais
fait payer à personne le droit d’assister à ses entretiens
| ||
D’où viennent donc ces faux bruits qui courent sur son compte ?
C’est qu’un jour, ayant été proclamé le plus sage des hommes par
l’oracle de Delphes, il a voulu s’assurer si l’oracle disait vrai
| ||
Il a
interrogé les hommes les plus sages, les hommes d’État, puis les
poètes, puis les artisans
| ||
Il a trouvé, et leur a démontré que, se croyant
sages, ils ne l’étaient pas
| ||
Il a ainsi reconnu qu’il avait au moins sur
eux cette supériorité, c’est que, n’étant pas sage, il ne croyait pas non
plus qu’il l’était
| ||
Les jeunes gens qui le fréquentaient l’ont imité, et
tous ces gens convaincus d’ignorance, soit par lui, soit par les jeunes
gens, au lieu de s’en prendre à eux-mêmes, l’accusent de corrompre la
jeunesse
| ||
Ce sont ces calomnies invétérées qui ont enhardi Mélètos, Anytos
et Lycon à porter la plainte qu’ils ont déposée contre lui
| ||
Il va essayer
de les réfuter dans la première partie de son discours
| ||
Il entreprend
d’abord de ridiculiser Mélètos et de faire voir aux juges que ce grand
justicier ne s’est jamais préoccupé de l’éducation de la jeunesse
| ||
Il
procède comme dans ses enquêtes journalières et, par une série de
questions habilement conduites, il réduit son adversaire à déclarer que
tout le monde est capable d’améliorer la jeunesse et que Socrate seul la
corrompt
| ||
Mais comment pourrais-je le faire ? demande-t-il
| ||
Ne sais-je
pas qu’en semant le mal on ne récolte que le mal ? Comme tout
homme sensé, je ne puis donc la corrompre qu’involontairement ; dès
lors je ne mérite que des remontrances, et non un châtiment
| ||
Mélètos n’est pas plus conséquent avec lui-même, quand il accuse
Socrate de nier l’existence des dieux
| ||
D’une part, il prétend que
Socrate ne croit pas aux dieux, et de l’autre il affirme qu’il croit aux
choses démoniaques et donc aux démons, qui sont fils des dieux
| ||
C’est
comme s’il disait : Socrate croit aux dieux et Socrate ne croit pas aux
dieux
| ||
Mais pourquoi Socrate se livre-t-il à des occupations qui le mettent
en danger de périr ? C’est que, lorsqu’on a choisi soi-même un poste
ou qu’on y a été placé par un chef, on ne doit pas le déserter, dût-on y
laisser la vie
| ||
Or il s’est donné, sur l’ordre du dieu de Delphes, la
mission d’améliorer ses concitoyens, et, tant qu’il aura un souffle de
vie, il s’attachera comme un taon aux Athéniens pour les piquer et les
exciter à la vertu
| ||
Soit, dira-t-on ; mais puisqu’il veut servir les
véritables intérêts de ses concitoyens, pour quelle raison ne monte-t-il
pas à la tribune pour donner des conseils à la république ? C’est qu’une
voix divine, qui lui est familière, l’en a toujours détourné, et avec
raison ; car avec sa franchise et son attachement aux lois, il n’aurait
pas vécu longtemps
| ||
Il s’en est bien rendu compte lorsque, seul entre
tous, il osa tenir tête à l’assemblée en délire dans le procès des
généraux des Arginuses et lorsqu’il refusa d’obéir aux Trente tyrans
qui lui avaient donné l’ordre d’aller arrêter Léon de Salamine, un
innocent qu’ils voulaient mettre à mort
| ||
Soit dans sa vie publique, soit
dans sa vie privée, Socrate n’a jamais fait une concession contraire à la
justice, pas même à ceux que le vulgaire appelle ses disciples
| ||
S’il les
avait corrompus, eux-mêmes ou leurs parents se lèveraient pour
l’accuser ; mais aucun ne l’accuse
| ||
Socrate a dit ce qu’il avait à dire pour sa défense
| ||
Il s’en tiendra là :
il ne recourra pas, comme les autres accusés, à des supplications qui
sont indignes de lui et indignes des juges, lesquels ne doivent pas
céder à la pitié, mais n’écouter que la justice
| ||
Il s’en remet donc aux
juges et à Dieu de décider ce qu’il y a de mieux pour eux et pour lui
| ||
Deuxième partie
| ||
– Après ce plaidoyer, les juges allèrent aux voix et
Socrate fut déclaré coupable par une majorité de soixante voix
| ||
Dans
les procès comme celui-ci, où la loi ne fixait pas la peine, l’accusateur
en proposait une, et l’accusé, s’il était déclaré coupable, en proposait
une autre, et le jury choisissait l’une ou l’autre, sans pouvoir y rien
changer
| ||
Les adversaires de Socrate requéraient la mort
| ||
Invité à fixer
sa peine, il estima, lui, qu’au lieu d’une peine, ses services méritaient
une récompense, et il demanda à être nourri au prytanée
| ||
Et ce ne fut
point par bravade, comme l’interprétèrent sans doute un grand
nombre de juges, qu’il fit cette proposition inattendue ; mais, n’ayant
jamais fait de mal à personne, il ne voulait pas non plus, dit-il, s’en
faire à lui-même
| ||
Il ne voulait ni de l’exil ni d’une amende qu’il
n’aurait pu payer
| ||
Pourtant il offrit une mine, puis, pressé par ses amis
présents, trente mines
| ||
Troisième partie
| ||
– Là-dessus, il fut condamné à mort par une
majorité plus forte que la première
| ||
Puis, tandis que l’on exécutait les
formalités nécessaires pour le mener en prison, il reprit doucement les
juges qui n’avaient pas eu la patience d’attendre la mort d’un vieillard
de soixante-dix ans
| ||
Il s’adressa d’abord à ceux qui l’avaient condamné
et s’étaient ainsi chargés d’un crime inutile, puisqu’ils n’échapperaient
pas aux censures d’une jeunesse moins retenue que lui
| ||
Il s’adressa
ensuite à ceux qui l’avaient absous et les rassura sur son sort
| ||
La mort,
leur dit-il, ne saurait être un mal pour lui
| ||
La voix prophétique ne
l’avait point arrêté au cours du procès : c’est donc qu’elle approuvait ce
qui allait se passer
| ||
Et en effet pourquoi craindrait-il la mort ? Si c’est
un sommeil, c’est un bonheur
| ||
Si c’est un passage dans un autre lieu,
où l’on doit rencontrer les héros des temps passés, quel plaisir ce sera
de converser avec eux ! Aussi n’a-t-il point de ressentiment contre
ceux qui l’ont condamné
| ||
Enfin, avant de prendre congé d’eux, il
recommande aux Athéniens de traiter ses enfants comme il a traité lui-
même ses concitoyens et de les morigéner s’ils préfèrent les richesses à
la vertu
| ||
« Et maintenant, voici l’heure, dit-il, de nous en aller, moi
pour mourir, vous pour vivre
| ||
Qui de nous a le meilleur partage, nul ne
le sait, excepté le dieu
| ||
»
Comment, après s’être expliqué avec tant de sincérité, tant de
noblesse et de grandeur d’âme, Socrate put-il être ainsi méconnu et
condamné ? Ce n’est pas qu’il ait insuffisamment réfuté le réquisitoire
de ses accusateurs et qu’il ait, comme on l’a dit, escamoté les
accusations de Mélètos en se moquant de lui, pour éviter de
s’expliquer à fond sur les dieux et sa manière d’instruire la jeunesse
| ||
Sans doute il se faisait des dieux une idée plus haute que le vulgaire ; il
rejetait, comme le fera Platon dans la République, les combats, les
adultères, les crimes et les vices que les légendes sacrées leur
prêtaient
| ||
Mais cela ne l’empêchait pas de les honorer et de leur
sacrifier publiquement ; car il avait l’âme religieuse, mystique même,
et ce serait une erreur de voir en lui ce que nous appellerions un libre
penseur
| ||
Il pratiquait la religion courante comme le feront ses
disciples Xénophon et Platon
| ||
Il n’était donc pas condamnable de ce
chef
| ||
Il ne l’était pas davantage d’introduire des divinités nouvelles
| ||
Ce
que visait ici l’accusation, c’est le signe divin qui avertissait Socrate
quand il allait faire quelque chose de mal
| ||
Mais ce signe divin n’était
pas une chose extraordinaire dans la religion grecque, puisqu’il était
admis que les dieux avertissaient qui ils voulaient par la voie des
oracles, des rencontres, des augures ou de toute autre manière qu’il
leur plaisait
| ||
Tout au plus ses juges pouvaient-ils se choquer qu’il se
prétendît ainsi spécialement favorisé par les dieux
| ||
Quant à corrompre
la jeunesse, le reproche ne pouvait guère paraître plus fondé
| ||
Il est vrai
que quelques pères de famille auraient pu se plaindre que Socrate
s’interposât entre eux et leurs enfants ; mais n’est-ce point le cas de
tous les pédagogues et précepteurs auxquels les parents confient leurs
fils ? Ceux-là seuls qui avaient fréquenté Socrate, ou leurs parents,
auraient pu se plaindre de cette prétendue corruption
| ||
Or aucun ne se
leva pour l’accuser
| ||
Il fut cependant condamné
| ||
Quelles furent donc les véritables
causes de sa condamnation ? Socrate, qui s’y attendait, nous l’a dit lui-
même
| ||
Ce furent les haines qu’il s’attira en démasquant l’ignorance
des grands personnages en présence des jeunes gens, qui prenaient
grand plaisir à les voir confondus
| ||
Mais il y eut d’autres raisons
| ||
Dès
avant les attaques d’Aristophane, comme on le voyait discuter comme
les sophistes et disputer avec eux, le peuple ignorant le prenait lui-
même pour un sophiste
| ||
Or les sophistes, destructeurs des vieilles
traditions, passaient pour des impies, des athées et des professeurs
d’immoralité
| ||
C’est aussi l’idée que beaucoup se faisaient de Socrate,
et, comme il le dit lui-même, ce n’est pas dans le peu de temps que lui
mesurait la clepsydre qu’il pouvait les détromper
| ||
Il est certain aussi,
bien qu’il n’en soit pas question dans l’Apologie, qu’à ces raisons
morales s’ajoutèrent aussi des raisons politiques
| ||
Ses relations avec les
jeunes gens riches, qui seuls avaient le loisir de le suivre, le rendaient
suspect aux chefs du parti populaire
| ||
Il ne cachait pas d’ailleurs le
dédain que lui inspirait le régime de flatterie et d’incompétence
qu’était la démocratie athénienne
| ||
Enfin, bien qu’il ne soit pas fait
mention dans l’Apologie de Critias et d’Alcibiade, on peut croire que
les rapports qu’il avait eus avec ces deux hommes funestes
renforcèrent dans l’esprit des juges la conviction qu’il corrompait la
jeunesse
| ||
C’est ce qui me semble résulter du passage 33 a et b, où il
affirme qu’il n’avait jamais fait de concession contraire à la justice,
même à ceux que ses calomniateurs appelaient ses disciples, et où il
ajoute ensuite que, si quelqu’un de ceux qui l’ont entendu tourne bien
ou mal, il n’en est pas responsable
| ||
Polycratès insistera sur ce point
dans son Accusation contre Socrate ; mais il est à présumer qu’on
avait dit à ceux des jurés qui l’ignoraient que Critias et Alcibiade
avaient suivi les leçons de Socrate
| ||
Malgré ces haines et ces
préventions, il est à peu près certain, étant donné la faible majorité qui
le déclara coupable, que, s’il eût voulu s’abaisser aux supplications et
s’il eût amené ses enfants pour émouvoir la pitié des jurés, il eût été
acquitté, et l’on peut dire que, s’il ne le fut pas, c’est qu’il se laissa
volontairement condamner
| ||
C’est sa ^syaXnyopta, c’est-à-dire la fierté
de son langage, qui le perdit dans l’esprit de ses juges
| ||
Sa demande
d’être nourri au prytanée, en dépit de ce qu’il put dire, fut prise pour
une bravade et fit passer un certain nombre de ceux qui l’avaient
absous d’abord dans le camp de ses adversaires
| ||
La fierté avec laquelle Socrate s’était défendu avait frappé tous
ceux qui avaient assisté à son procès
| ||
C’est ce dont témoigne
Xénophon, qui n’était pas présent, mais qui le tenait d’Hermogène, un
fidèle ami de Socrate, qui avait suivi les débats
| ||
C’est d’après les récits
d’Hermogène que Xénophon a composé lui aussi une Apologie de
Socrate, qu’il publia quelques années, semble-t-il, après celle de
Platon
| ||
Les deux auteurs s’accordent sur les points essentiels, sur les
trois phases du procès : réfutation de l’accusation, fixation de la peine,
allocution finale aux juges, et sur le fond de l’argumentation de
Socrate pour se disculper des trois griefs allégués contre lui
| ||
Mais il y a
des divergences sur des points de détail
| ||
Chez Platon, la voix divine
arrête Socrate, mais ne le pousse jamais à agir ; chez Xénophon, elle ne
se borne pas à l’arrêter, elle lui indique aussi ce qu’il doit faire
| ||
Chez
Xénophon, nous entendons le jury murmurer, quand Socrate parle de
ses avertissements divins, et se récrier plus fort encore, quand il
rapporte l’oracle recueilli par Khairéphon
| ||
Autre différence : Socrate,
chez Xénophon, refuse absolument de proposer une peine contre lui-
même, parce que ce serait se déclarer coupable ; mais il ne demande
pas à être nourri au prytanée
| ||
C’est ce qu’il fait chez Platon, avant de
condescendre à proposer d’abord une mine, puis, sur les instances de
ses amis, trente mines
| ||
Enfin, dans l’allocution finale, Xénophon ne
parle pas des idées que Socrate exprime, dans Platon, sur la mort et
sur l’espoir qu’il a de s’entretenir dans l’Hadès avec Palamède et les
autres héros anciens : il se borne à dire que Socrate se console de sa
mort en la comparant à la mort injuste de Palamède
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