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|---|---|---|
Sur tous ces
points, c’est Platon qu’il faut en croire ; car il fut un témoin oculaire du
procès et il rédigea les discours de Socrate quelque trois ans seulement
après la mort de son maître
| ||
S’il avait inventé des choses que Socrate
n’aurait pas dites, notamment la demande d’être nourri au prytanée, il
aurait été démenti et honni par les juges et les assistants, qui avaient
gardé des débats un souvenir d’autant plus exact qu’il était
relativement récent
| ||
Au reste, l’Apologie de Xénophon est fort courte : c’est un résumé
des récits que lui a faits Hermogène, et l’image qu’il nous présente de
Socrate n’y est pas toujours exacte
| ||
Quand, pour expliquer la fierté de
langage de Socrate, il nous dit qu’il était devenu indifférent à la vie,
parce qu’il craignait les ennuis de la vieillesse, il oublie que Socrate,
avec son admirable constitution, pouvait se promettre encore dix ans
de vie pour continuer sa mission, à laquelle il était invinciblement
attaché
| ||
À entendre Socrate vanter sa tempérance, son
désintéressement, sa justice, comme il le fait chez Xénophon, on ne
reconnaît ni la modestie, ni la bonhomie, ni l’ironie de l’enchanteur
qui attirait la jeunesse autour de lui
| ||
Ces qualités se retrouvent au
contraire dans les discours que Platon prête à son maître
| ||
Il le fait
parler comme il parlait sans doute à l’agora ou dans les gymnases, avec
une simplicité familière, mais toujours décente, sans prétention ni
recherche d’aucune sorte, mais, quand le sujet s’y prête, avec une
ironie mordante ou une élévation singulière
| ||
On reconnaît à son
langage l’esprit original, la moralité supérieure, l’enthousiasme
mystique de ce prédicateur qui scella de sa mort les exemples et les
leçons qu’il avait donnés pendant sa vie
| ||
Apologie de Socrate
Première partie
I
| ||
– Quelle impression mes accusateurs ont faite sur vous,
Athéniens, je l’ignore
| ||
Pour moi, en les écoutant, j’ai presque oublié
qui je suis, tant leurs discours étaient persuasifs
| ||
Et cependant, je puis
l’assurer, ils n’ont pas dit un seul mot de vrai
| ||
Mais ce qui m’a le plus
étonné parmi tant de mensonges, c’est quand ils ont dit que vous
deviez prendre garde de vous laisser tromper par moi, parce que je
suis habile à parler
| ||
Qu’ils n’aient point rougi à la pensée du démenti
formel que je vais à l’instant leur donner, cela m’a paru de leur part le
comble de l’impudence, à moins qu’ils n’appellent habile à parler celui
qui dit la vérité
| ||
Si c’est là ce qu’ils veulent dire, j’avouerai que je suis
orateur, mais non à leur manière
| ||
Quoi qu’il en soit, je vous répète
qu’ils n’ont rien dit ou presque rien qui soit vrai
| ||
Moi, au contraire, je
ne vous dirai que l’exacte vérité
| ||
Seulement, par Zeus, Athéniens, ce ne
sont pas des discours parés de locutions et de termes choisis et
savamment ordonnés que vous allez entendre, mais des discours sans
art, faits avec les premiers mots venus
| ||
Je suis sûr de ne rien dire que
de juste ; qu’aucun de vous n’attende de moi autre chose
| ||
Il siérait mal, Athéniens, je crois, à un homme de mon âge de venir
devant vous façonner des phrases comme le font nos petits jeunes
gens
| ||
Aussi, Athéniens, ai-je une demande, et une demande instante, à
vous faire, c’est que, si vous m’entendez présenter ma défense dans les
mêmes termes que j’emploie pour vous parler, soit à l’agora et près des
tables des banquiers, où beaucoup d’entre vous m’ont entendu, soit en
d’autres endroits, vous n’alliez pas vous en étonner et vous récrier
| ||
Car, sachez-le, c’est aujourd’hui la première fois que je comparais
devant un tribunal, et j’ai plus de soixante-dix ans ; aussi je suis
véritablement étranger au langage qu’on parle ici
| ||
Si je n’étais pas
athénien, vous m’excuseriez sans doute de parler dans le dialecte où
j’aurais été élevé et à la manière de mon pays
| ||
Eh bien, je vous
demande aujourd’hui, et je crois ma demande juste, de ne pas prendre
garde à ma façon de parler, qui pourra être plus ou moins bonne, et de
ne considérer qu’une chose et d’y prêter toute votre attention, c’est si
mes allégations sont justes ou non ; car c’est en cela que consiste le
mérite propre du juge ; celui de l’orateur est de dire la vérité
| ||
II
| ||
– Et maintenant, Athéniens, il est juste que je commence par
répondre aux anciennes calomnies répandues contre moi et à mes
premiers accusateurs ; je répondrai ensuite aux accusations et aux
accusateurs plus récents
| ||
Car j’ai été accusé près de vous, et depuis de
longues années déjà, par bien des gens qui ne disaient rien de vrai, et
ceux-là, je les crains plus qu’Anytos et ses associés, qui pourtant sont à
craindre, eux aussi
| ||
Oui, Athéniens, les premiers sont les plus
redoutables, parce que, prenant la plupart d’entre vous dès l’enfance,
ils m’ont chargé d’accusations qui ne sont que mensonges et vous ont
fait croire qu’il existe un certain Socrate, savant homme, qui spécule
sur les phénomènes célestes, recherche ce qui se passe sous la terre et
qui d’une méchante cause en fait une bonne
| ||
Les gens qui ont répandu
ces bruits, voilà, Athéniens, les accusateurs que j’ai à craindre
| ||
Car
ceux qui les écoutent sont persuadés que les gens qui se livrent à ces
recherches n’honorent pas les dieux
| ||
J’ajoute que ces accusateurs-là
sont nombreux et qu’ils m’accusent depuis longtemps ; en outre ils
s’adressaient à vous à l’âge où vous étiez le plus crédules, quand
quelques-uns de vous étaient encore enfants ou adolescents, et ils me
faisaient un véritable procès par défaut, puisque personne n’était là
pour me défendre
| ||
Et ce qu’il y a de plus déconcertant, c’est qu’il n’est
même pas possible de les connaître et de les nommer, sauf peut-être
2
certain poète comique
| ||
Mais ceux qui, par envie ou par dénigrement,
cherchaient à vous persuader, et ceux qui, persuadés eux-mêmes, en
persuadaient d’autres, ceux-là sont les plus embarrassants ; car il n’est
même pas possible de faire comparaître ici aucun d’eux ni de le
réfuter, et il me faut vraiment, comme on dit, me battre contre des
ombres, et, pour me défendre, confondre des adversaires, sans que
personne me réponde
| ||
Mettez-vous donc dans l’esprit que, comme je
vous le dis, j’ai affaire à deux sortes d’accusateurs, d’une part ceux qui
m’ont dernièrement cité en justice, et de l’autre, les anciens, dont je
viens de parler
| ||
Persuadez-vous que c’est à ces derniers que je dois
répondre d’abord ; car ce sont eux dont vous avez entendu d’abord les
accusations, et beaucoup plus que celles des autres, plus récents
| ||
Cela dit, Athéniens, il faut à présent me défendre et tenter de vous
ôter la mauvaise impression que vous avez nourrie si longtemps, et
vous l’ôter dans un temps bien court
| ||
Je voudrais bien y parvenir, si
vous et moi devons en tirer quelque avantage, et ne pas perdre ma
peine à faire mon apologie ; mais cela me paraît difficile et je ne me
fais pas d’illusion sur ce point
| ||
Que les choses tournent donc comme il
plaît à Dieu ; je n’en dois pas moins obéir à la loi et plaider ma cause
| ||
III
| ||
– Remontons donc à l’origine et voyons sur quoi repose
l’accusation qui m’a fait tant décrier et qui a enhardi Mélètos à rédiger
contre moi cette accusation
| ||
Voyons, que disaient au juste ceux qui me
calomniaient ? Supposons qu’ils nous traduisent devant vous et lisons
leur acte d’accusation : « Socrate est coupable : il recherche
indiscrètement ce qui se passe sous la terre et dans le ciel, il rend
bonne la mauvaise cause et il enseigne à d’autres à faire comme lui
| ||
»
En voilà la teneur : c’est ce que vous avez vu de vos propres yeux dans
la comédie d’Aristophane, c’est-à-dire un certain Socrate qu’on charrie
à travers la scène, qui déclare qu’il se promène dans les airs et qui
débite cent autres extravagances sur des sujets où je n’entends
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absolument rien
| ||
Et ce que j’en dis n’est pas pour déprécier cette
science, s’il y a quelqu’un qui soit entendu en ces matières, et pour
éviter un nouveau procès de la part de Mélètos ; mais c’est que
réellement je ne m’en occupe en aucune façon
| ||
J’en prends à témoin la
plupart d’entre vous, et je vous demande de vous renseigner
mutuellement et de rapporter ce que vous savez, vous tous qui m’avez
entendu discourir
| ||
Beaucoup d’entre vous sont dans ce cas
| ||
Dites-vous donc les uns
aux autres si jamais quelqu’un de vous m’a entendu discourir peu ou
prou sur de tels sujets, et vous reconnaîtrez par-là que tous les bruits
que la foule fait courir sur mon compte sont du même acabit
| ||
IV
| ||
– Il n’y a effectivement rien de réel dans ces bruits, et si
quelqu’un vous a dit encore que je me mêle d’enseigner et me fais
payer pour cela, cela non plus n’est pas vrai
| ||
Ce n’est pas d’ailleurs que
je ne trouve beau d’être capable d’instruire des hommes, comme
4
Gorgias le Léontin, comme Prodicos de Kéos, comme Hippias d’Elis
| ||
Chacun de ces maîtres, Athéniens, dans quelque ville qu’il se rende, a
le don d’attirer les jeunes gens, et quand ceux-ci pourraient s’attacher
sans bourse délier à tel de leurs concitoyens qu’il leur plairait, ils leur
persuadent de quitter la compagnie de leurs concitoyens pour
s’attacher à eux, et les jeunes gens les payent pour cela et se tiennent
encore pour leurs obligés
| ||
Il y a même ici, m’a-t-on dit, un autre savant
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homme, un citoyen de Paros , qui séjourne parmi nous
| ||
J’étais allé par
hasard chez un homme qui a donné aux sophistes plus d’argent que
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tous les autres ensemble ; c’est Callias, fils d’Hipponicos
| ||
Je lui posai
une question à propos de ses deux fils : « Callias, lui dis-je, si au lieu
de deux fils, tu avais eu deux poulains ou deux veaux, nous saurions
leur choisir un instructeur qui, moyennant salaire, les rendrait aussi
bons et beaux que le comporte leur nature, et cet instructeur serait un
habile écuyer ou un laboureur expert
| ||
Mais, comme ce sont des
hommes, qui as-tu dessein de prendre pour les gouverner ? Qui saura
leur enseigner la vertu propre à l’homme et au citoyen ? Je ne doute
pas que tu n’y aies réfléchi, puisque tu as des fils
| ||
As-tu quelqu’un, lui
demandai-je, oui ou non ? – Oui, répondit-il
| ||
– Qui est-ce, demandai-
je, de quel pays est-il et combien fait-il payer ses leçons ? – C’est
Évènos, Socrate, répondit-il ; il est de Paros, il prend cinq mines
| ||
» Et
moi, je trouvai que cet Évènos était un homme bien heureux, s’il est
vrai qu’il possède cet art et qu’il l’enseigne à un prix si modéré
| ||
En tout
cas, je serais moi-même bien fier et bien glorieux, si je savais en faire
autant ; mais, franchement, Athéniens, je ne le sais pas
| ||
V
| ||
– Cela étant, quelqu’un de vous dira peut-être : « Mais alors,
Socrate, quelle affaire est-ce donc que la tienne ? D’où sont venues ces
calomnies répandues contre toi ? Tu prétends que tu ne fais rien de
plus extraordinaire que les autres ; mais tu ne serais sûrement pas
l’objet de tant de bruits et de racontars, si tu ne faisais pas autre chose
que les autres
| ||
Dis-nous donc ce qui en est, afin que nous ne te jugions
pas à la légère
| ||
» Cette objection me paraît juste, et je vais essayer de
vous expliquer d’où me sont venues cette notoriété et ces calomnies
| ||
Écoutez donc
| ||
Peut-être quelques-uns d’entre vous s’imagineront-ils
que je plaisante ; pourtant, soyez sûrs que je ne vous dirai que la
vérité
| ||
La réputation qu’on m’a faite ne vient pas d’autre chose que
d’une certaine sagesse qui est en moi
| ||
Quelle est cette sagesse ? C’est
peut-être une sagesse purement humaine
| ||
Cette sagesse-là, il se peut
que je la possède effectivement, tandis que ceux dont je parlais tout à
l’heure en ont une qui est sans doute plus qu’humaine ; sinon, je ne
sais qu’en dire ; car moi, je ne la connais pas et qui dit le contraire est
un menteur et le dit pour me dénigrer
| ||
Maintenant, Athéniens, n’allez pas murmurer, même si vous
trouvez que je parle de moi trop avantageusement
| ||
Car le propos que
je vais redire n’est pas de moi ; mais celui auquel il faut le rapporter
mérite votre confiance
| ||
Pour témoigner de ma sagesse, je produirai le
dieu de Delphes, qui vous dira si j’en ai une et ce qu’elle est
| ||
Vous
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connaissez sans doute Khairéphon
| ||
C’était mon camarade d’enfance
et un ami du peuple, qui partagea votre récent exil et revint avec vous
| ||
Vous savez aussi quel homme c’était que Khairéphon et combien il
était ardent dans tout ce qu’il entreprenait
| ||
Or, un jour qu’il était allé à
Delphes, il osa poser à l’oracle la question que voici – je vous en prie
encore une fois, juges, n’allez pas vous récrier -, il demanda, dis-je, s’il
y avait au monde un homme plus sage que moi
| ||
Or la pythie lui
répondit qu’il n’y en avait aucun
| ||
Et cette réponse, son frère, qui est ici,
l’attestera devant vous, puisque Khairéphon est mort
| ||
VI
| ||
– Considérez maintenant pourquoi je vous en parle
| ||
C’est que
j’ai à vous expliquer l’origine de la calomnie dont je suis victime
| ||
Lorsque j’eus appris cette réponse de l’oracle, je me mis à réfléchir en
moi-même : « Que veut dire le dieu et quel sens recèlent ses paroles ?
Car moi, j’ai conscience de n’être sage ni peu ni prou
| ||
Que veut-il donc
dire, quand il affirme que je suis le plus sage ? car il ne ment
certainement pas ; cela ne lui est pas permis
| ||
» Pendant longtemps je
me demandai quelle était son idée ; enfin je me décidai, quoique à
grand-peine, à m’en éclaircir de la façon suivante : je me rendis chez
un de ceux qui passent pour être des sages, pensant que je ne pouvais,
mieux que là, contrôler l’oracle et lui déclarer : « Cet homme-ci est
plus sage que moi, et toi, tu m’as proclamé le plus sage
| ||
» J’examinai
donc cet homme à fond ; je n’ai pas besoin de dire son nom, mais
c’était un de nos hommes d’État, qui, à l’épreuve, me fit l’impression
dont je vais vous parler
| ||
Il me parut en effet, en causant avec lui, que
cet homme semblait sage à beaucoup d’autres et surtout à lui-même,
mais qu’il ne l’était point
| ||
J’essayai alors de lui montrer qu’il n’avait
pas la sagesse qu’il croyait avoir
| ||
Par-là, je me fis des ennemis de lui et
de plusieurs des assistants
| ||
Tout en m’en allant, je me disais en moi-
même : « Je suis plus sage que cet homme-là
| ||
Il se peut qu’aucun de
nous deux ne sache rien de beau ni de bon ; mais lui croit savoir
quelque chose, alors qu’il ne sait rien, tandis que moi, si je ne sais pas,
je ne crois pas non plus savoir
| ||
Il me semble donc que je suis un peu
plus sage que lui par le fait même que ce que je ne sais pas, je ne pense
pas non plus le savoir
| ||
» Après celui-là, j’en allai trouver un autre, un
de ceux qui passaient pour être plus sages encore que le premier, et
mon impression fut la même, et ici encore je me fis des ennemis de lui
et de beaucoup d’autres
| ||
VII – Je n’en poursuivis pas moins mon enquête
| ||
Je sentais bien, il
est vrai, que je me faisais des ennemis, et j’en éprouvais de l’ennui et
de l’appréhension, mais je me croyais obligé de mettre le service du
dieu au-dessus de tout
| ||
Il me fallait donc, pour m’enquérir du sens de
l’oracle, aller trouver tous ceux qui passaient pour posséder quelque
8
savoir
| ||
Or, par le chien , Athéniens, car je vous dois la vérité, voici à
peu près ce qui m’arriva
| ||
Ceux qui étaient le plus réputés pour leur
sagesse me parurent être, sauf quelques exceptions, ceux qui en
manquaient le plus, en les examinant selon la pensée du dieu, tandis
que d’autres, qui passaient pour inférieurs, me semblèrent être des
hommes plus sensés
| ||
Il faut bien que je vous raconte mes courses,
comme autant de travaux que j’accomplissais pour m’assurer que
l’oracle était irréfutable
| ||
Après les hommes d’État, j’allai trouver les poètes, auteurs de
tragédies, auteurs de dithyrambes et autres, comptant bien que cette
fois j’allais prendre sur le fait l’infériorité de ma sagesse à l’égard de la
leur
| ||
Je pris donc avec moi ceux de leurs ouvrages qu’ils me
paraissaient avoir le plus travaillés et je leur demandai ce qu’ils
voulaient dire, afin de m’instruire en même temps auprès d’eux
| ||
Or j’ai
honte, Athéniens, de vous dire la vérité
| ||
Il le faut pourtant
|
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