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|---|---|---|
Aussi ai-je des parents et des fils,
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Athéniens, au nombre de trois, dont l’un est déjà dans l’adolescence ,
et les deux autres tout petits
| ||
» Cependant je ne les ai pas amenés ici
pour vous engager à m’absoudre
| ||
Pourquoi donc n’en veux-je rien
faire ? Ce n’est point par bravade, Athéniens, ni par mépris pour vous
| ||
Que j’envisage la mort avec assurance ou non, c’est une autre question
| ||
Mais pour mon honneur, pour le vôtre et celui de la cité tout entière, il
ne me semble pas convenable de recourir à aucun de ces moyens, à
mon âge et avec ma réputation, vraie ou fausse
| ||
En tout cas, c’est une
opinion reçue que Socrate se distingue en quelque chose de la plupart
des hommes
| ||
Si donc ceux d’entre vous qui passent pour être
supérieurs en sagesse, en courage ou en tout autre genre de mérite
devaient se conduire ainsi, ce serait là une honte
| ||
Et pourtant j’ai vu
souvent des gens de cette sorte, qui passaient pour des hommes de
valeur, faire devant les juges des bassesses surprenantes, comme s’ils
regardaient comme un terrible malheur que vous les condamniez à
mourir, et comme s’ils devaient être immortels au cas où vous ne les
feriez pas périr
| ||
Or, j’estime, moi, qu’ils déshonorent la ville : ils
feraient croire aux étrangers que ceux des Athéniens qui se distinguent
par leur mérite et que les citoyens choisissent préférablement à eux-
mêmes pour les élever aux magistratures et aux autres honneurs, n’ont
pas plus de courage que des femmes
| ||
Ce sont là, Athéniens, des choses
que nous, qui passons pour avoir quelque mérite, nous ne devons pas
faire, et que vous, si nous les faisons, vous ne devez pas permettre
| ||
Vous devez au contraire faire voir que vous êtes disposés à condamner
ceux qui jouent devant vous ces scènes pitoyables et couvrent la ville
de ridicule plutôt que ceux qui attendent tranquillement leur arrêt
| ||
XXIV
| ||
– Indépendamment de l’honneur, Athéniens, il ne me paraît
pas non plus qu’il soit juste de prier son juge et de se faire absoudre
par ses supplications ; il faut l’éclairer et le convaincre
| ||
Car le juge ne
siège pas pour faire de la justice une faveur, mais pour décider ce qui
est juste
| ||
Il a juré, non pas de favoriser qui bon lui semble, mais de
juger suivant les lois
| ||
Nous ne devons donc pas plus vous accoutumer
au parjure que vous ne devez vous y accoutumer vous-mêmes, car
nous offenserions les dieux les uns et les autres
| ||
N’attendez donc pas
de moi, Athéniens, que je recoure devant vous à des pratiques que je
ne juge ni honnêtes, ni justes, ni pieuses, surtout, par Zeus, lorsque je
suis accusé d’impiété par Mélètos ici présent
| ||
Car il est clair que, si je
vous fléchissais et vous forçais par mes prières à manquer à votre
serment, je vous enseignerais à croire qu’il n’y a pas de dieux, et en me
défendant ainsi, je m’accuserais tout bonnement moi-même de ne pas
croire à leur existence
| ||
Mais il s’en faut de beaucoup qu’il en soit ainsi
| ||
J’y crois en effet, Athéniens, autant que pas un de mes accusateurs, et
je m’en remets à vous et au dieu de décider ce qui doit être le mieux et
pour vous et pour moi
| ||
Deuxième partie
Après le verdict de condamnation, Socrate, invité à fixer sa peine,
demande à être nourri au prytanée
| ||
XXV
| ||
– Si je ne m’indigne pas, Athéniens, de cet arrêt que vous
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venez de prononcer contre moi , c’est que j’en ai plusieurs raisons et
parce que je n’étais pas sans m’attendre à ce qui m’arrive
| ||
Ce qui me
surprend bien plus, c’est le nombre de voix pour et contre
| ||
Je ne
croyais pas que l’écart serait si faible ; je m’attendais à être condamné
par une majorité beaucoup plus considérable ; car un déplacement de
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trente voix , si je compte bien, eût suffi pour me faire acquitter
| ||
Dans
ces conditions, je crois pouvoir dire que j’ai échappé à Mélètos, et non
seulement je lui ai échappé, mais il saute aux yeux que, si Anytos et
Lycon n’étaient pas montés à la barre pour m’accuser, il aurait même
dû verser mille drachmes, parce qu’il n’aurait pas obtenu le cinquième
des suffrages
| ||
XXVI
| ||
– Quoi qu’il en soit, cet homme demande ma mort
| ||
Soit
| ||
Mais moi, de mon côté, que vais-je vous proposer ? Évidemment ce
que je mérite
| ||
Qu’est-ce donc ? Quelle peine ou quelle amende mérité-
je parce qu’au lieu de mener une vie tranquille, j’ai négligé ce que la
plupart des hommes ont à cœur, fortune, intérêts domestiques,
commandements d’armée, carrière politique, charges de toute sorte,
liaisons et factions politiques, me croyant trop honnête pour sauver
ma vie si j’entrais dans cette voie ; parce que je ne me suis engagé dans
aucune profession où je n’aurais été d’aucune utilité ni pour vous, ni
pour moi, et parce que je n’ai voulu d’autre occupation que de rendre à
chacun de vous en particulier ce que je déclare être le plus grand des
services, en essayant de lui persuader de ne s’occuper d’aucune de ses
affaires avant de s’occuper de lui-même et de son perfectionnement
moral et intellectuel, de ne point s’occuper des affaires de la cité avant
de s’occuper de la cité et de suivre les mêmes principes en tout le
reste ? Qu’est-ce que je mérite donc pour m’être ainsi conduit ? Une
récompense, Athéniens, s’il faut vraiment me taxer d’après ce que je
mérite, et une récompense qui puisse me convenir
| ||
Or qu’est-ce qui
peut convenir à un bienfaiteur pauvre qui a besoin de loisir pour vous
exhorter ? Il n’y a rien, Athéniens, qui convienne mieux à un tel
homme que d’être nourri au prytanée
| ||
Il le mérite bien plus que tel
d’entre vous qui a été vainqueur à Olympie avec un cheval ou un
attelage à deux ou à quatre
| ||
Celui-ci ne vous rend heureux qu’en
apparence, moi, véritablement
| ||
Il n’a pas besoin qu’on le nourrisse ;
moi, j’en ai besoin
| ||
Si donc il faut que je me taxe à ce que je mérite en
toute justice, c’est à cela que je me taxe : à être nourri au prytanée
| ||
XXVII
| ||
– Peut-être vous figurez-vous qu’en vous tenant ici à peu
près le même langage qu’à propos de la pitié et des supplications, j’ai
l’intention de vous braver
| ||
Non, Athéniens, je n’ai aucune intention de
ce genre ; voici ce qui en est
| ||
Je suis convaincu, moi, que je ne fais de
mal à personne volontairement, mais vous vous refusez à m’en croire
| ||
Nous avons eu trop peu de temps pour nous expliquer
| ||
Je crois en effet
que, s’il était de règle, chez vous, comme chez d’autres, de ne point
juger un procès capital en un seul jour, mais d’y en consacrer
plusieurs, je vous aurais convaincus ; mais il n’est pas facile en si peu
de temps de dissiper de grosses calomnies
| ||
Certain donc que je ne fais
de tort à personne, je suis bien éloigné de vouloir m’en faire à moi-
même, de déclarer à mon dam que je mérite une punition et de
proposer une peine contre moi-même
| ||
Qu’ai-je à craindre ? Est-ce de
souffrir ce que Mélètos propose contre moi, quand j’affirme que je ne
sais pas si c’est un bien ou un mal ? Irai-je, au lieu de cela, choisir des
choses que je sais être des maux et me condamner à l’une d’elles ?
Choisirai-je la réclusion ? Mais pourquoi devrais-je vivre en prison,
esclave des geôliers successivement préposés à ma garde, des Onze ?
Me condamner ai-je à l’amende et à la prison jusqu’à ce que j’aie fini
de payer ? Cela reviendrait précisément à la réclusion dont je viens de
parler ; car je n’ai pas d’argent pour m’acquitter
| ||
Me condamnerai-je
donc à l’exil ; peut-être est-ce la peine que vous proposeriez
| ||
Mais il
faudrait vraiment que je fusse bien attaché à la vie pour pousser
l’aveuglement jusqu’à ne pouvoir me rendre compte que si vous, qui
êtes mes concitoyens, n’avez pu supporter mes entretiens et mes
propos, et les avez trouvés si insupportables et si odieux que vous
cherchez aujourd’hui à vous en délivrer, je ne puis m’attendre à ce que
des étrangers les supportent facilement
| ||
Tant s’en faut, Athéniens
| ||
Dans ces conditions, ce serait une belle vie pour moi de quitter mon
pays, vieux comme je suis, de passer de ville en ville et d’être chassé de
partout ! Car je suis sûr que, partout où j’irai, les jeunes gens viendront
m’écouter comme ici
| ||
Si je les repousse, c’est eux qui me chasseront,
en y engageant leurs concitoyens plus âgés, et, si je ne les repousse
pas, ce seront leurs pères et leurs proches qui me banniront à cause
d’eux
| ||
XXVIII
| ||
– On me dira peut-être : « Quoi ! Socrate, si tu gardes le
silence et te tiens coi, ne pourras-tu pas vivre en exil ? » Voilà
justement ce qu’il y a de plus difficile à faire entendre à certains
d’entre vous
| ||
Car si je vous dis que ce serait désobéir au dieu et que,
pour cette raison, il m’est impossible de me tenir tranquille, vous ne
me croirez pas, vous penserez que je parle ironiquement et, si je vous
dis d’autre part que c’est justement le plus grand des biens pour un
homme que de s’entretenir tous les jours de la vertu et des autres
sujets sur lesquels vous m’entendez discourir, en m’examinant moi-
même et les autres, et si j’ajoute qu’une vie sans examen ne vaut pas la
peine d’être vécue, vous me croirez encore moins
| ||
C’est pourtant
comme je vous le dis, Athéniens ; mais il n’est pas facile de vous en
convaincre
| ||
Ajoutez à ces raisons que je n’ai pas l’habitude de me juger digne
d’aucune peine
| ||
Si toutefois j’avais de l’argent, j’aurais fixé la somme
que je devrais payer ; car ce n’aurait pas été un dommage pour moi
| ||
Mais je n’en ai pas, à moins que vous ne vouliez me taxer à la somme
que je pourrais payer
| ||
Peut-être bien pourrais-je vous payer une mine
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d’argent : c’est donc à cette somme que je me taxe
| ||
Mais Platon que
voici, Athéniens, ainsi que Criton, Critobule et Apollodore me pressent
de vous proposer trente mines, dont ils se portent garants
| ||
Je me taxe
donc à cette somme
| ||
Pour la garantir vous pouvez compter sur eux
| ||
Troisième partie
Allocution de Socrate à ses juges
| ||
XXIX
| ||
– Faute d’un peu de patience, voyez, Athéniens, ce qu’on va
dire de vous : ceux qui cherchent à décrier notre ville vont vous
reprocher d’avoir fait mourir Socrate, un sage ; car ils diront, pour
vous faire honte, que j’étais un sage, bien que je ne le sois pas
| ||
Si vous
aviez attendu quelque temps, la chose serait venue d’elle-même ; car
vous voyez mon âge : je suis déjà avancé dans la vie et près de la mort
| ||
Ce que je dis là ne s’adresse pas à vous tous, mais à ceux qui m’ont
condamné à mort
| ||
À ceux-là j’ai encore quelque chose à dire
| ||
Peut-être pensez-vous,
Athéniens, que j’ai été condamné faute de discours, j’entends de ces
discours par lesquels je vous aurais persuadés, si j’avais cru devoir tout
faire et tout dire pour échapper à une condamnation
| ||
Non, tant s’en
faut
| ||
Ce n’est pas faute de discours que j’ai été condamné, mais faute
d’audace et d’impudence et parce que je n’ai pas voulu vous faire
entendre ce qui vous aurait été le plus agréable, Socrate se lamentant,
gémissant, faisant et disant une foule de choses que j’estime indignes
de moi, choses que vous êtes habitués à entendre des autres accusés
| ||
Mais, ni tout à l’heure je n’ai cru devoir par crainte du danger rien
faire qui fût indigne d’un homme libre, ni à présent je ne me repens de
m’être ainsi défendu
| ||
J’aime beaucoup mieux mourir après m’être
défendu comme je l’ai fait que de vivre grâce à ces bassesses
| ||
Car ni
dans les tribunaux, ni à la guerre, personne, ni moi, ni un autre, n’a le
droit de chercher à se dérober à la mort par tous les moyens
| ||
Souvent,
dans les combats, on voit bien qu’on pourrait échapper à la mort en
jetant ses armes et en demandant quartier à ceux qui vous
poursuivent
| ||
De même, dans toute espèce de dangers, on trouve mille
autres expédients pour échapper à la mort, si l’on est décidé à tout
faire et à tout dire
| ||
Seulement ce n’est peut-être pas cela qui est
difficile, Athéniens, d’éviter la mort : il l’est beaucoup plus d’éviter le
mal ; car il court plus vite que la mort
| ||
Dans le cas présent, c’est moi,
qui suis lent et vieux, qui ai été atteint par le plus lent des deux, tandis
que mes accusateurs, qui sont forts et agiles, l’ont été par le plus
rapide, le mal
| ||
Et maintenant moi, je vais sortir d’ici condamné à mort
par vous, et eux condamnés par la vérité comme méchants et
criminels, et moi, je m’en tiens à ma peine, et eux à la leur
| ||
Peut-être
fallait-il qu’il en fût ainsi et je crois que les choses sont ce qu’elles
doivent être
| ||
XXX
| ||
– Après cela, je désire vous faire une prédiction, à vous qui
m’avez condamné ; car je suis à présent au moment où les hommes
lisent le mieux dans l’avenir, au moment de quitter la vie
| ||
Je vous
prédis donc, à vous, juges, qui me faites mourir, que vous aurez à
subir, aussitôt après ma mort, un châtiment beaucoup plus pénible,
par Zeus, que celui que vous m’infligez en me tuant
| ||
Vous venez de me
condamner dans l’espoir que vous serez quittes de rendre compte de
votre vie ; or, c’est tout le contraire qui vous arrivera, je vous l’affirme
| ||
Vous verrez croître le nombre de ces enquêteurs, que j’ai retenus
jusqu’à présent, sans que vous vous en aperceviez
| ||
Car si vous croyez
qu’en tuant les gens, vous empêcherez qu’on vous reproche de vivre
mal, vous êtes dans l’erreur
| ||
Cette façon de se débarrasser des
censeurs n’est ni très efficace, ni honorable ; la plus belle et la plus
facile, c’est, au lieu de fermer la bouche aux autres, de travailler à se
rendre aussi parfait que possible
| ||
Voilà les prédictions que je voulais
vous faire, à vous qui m’avez condamné, sur quoi je prends congé de
vous
| ||
XXXI
| ||
– Mais pour vous qui m’avez acquitté, j’aimerais causer avec
vous de ce qui vient de se passer, pendant que les magistrats sont
occupés et qu’on ne m’emmène pas encore où je dois mourir
| ||
Attendez
donc, mes amis, jusqu’à ce moment ; car rien ne nous empêche de
causer ensemble, tant que cela est possible
| ||
Je voudrais vous montrer
comme à des amis comment j’interprète ce qui m’est arrivé
29
aujourd’hui
| ||
Et en effet, juges , car vous méritez, vous, ce titre de
juges, il m’est arrivé quelque chose d’extraordinaire
| ||
Dans tout le cours
de ma vie, la voix divine qui m’est familière n’a jamais cessé de se faire
entendre, même à propos d’actes de mince importance, pour
m’arrêter, si j’allais faire quelque chose de mal
| ||
Or aujourd’hui il m’est
arrivé, comme vous le voyez vous-mêmes, une chose que l’on pourrait
regarder et qu’on regarde en effet comme le dernier des maux
| ||
Or, ni
ce matin, quand je sortais de chez moi, le signe du dieu ne m’a retenu,
ni quand je suis monté ici au tribunal, ni à aucun endroit de mon
discours, quoi que je voulusse dire
| ||
Et cependant dans beaucoup
d’autres circonstances il m’a arrêté au beau milieu de mon propos
| ||
Aujourd’hui, au contraire, il n’est jamais intervenu au cours même du
débat pour s’opposer à aucun de mes actes ni à aucune de mes paroles
| ||
À quel motif dois-je attribuer son abstention ? Je vais vous le dire
| ||
C’est que ce qui m’est arrivé est sans doute un bien et qu’il n’est pas
possible que nous jugions sainement, quand nous pensons que mourir
est un mal ; et j’en vois ici une preuve décisive : c’est que le signe
accoutumé n’aurait pas manqué de m’arrêter, si ce que j’allais faire
n’avait pas été bon
| ||
XXXII
| ||
– Voici d’autres raisons d’espérer fermement que la mort
est un bien
|
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