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|---|---|---|
Tu es donc
notre enfant et notre esclave
| ||
Tu dois donc nous obéir, comme à tes père et
mère, avec plus de soumission encore, parce que la patrie et ses lois sont plus
vénérables et plus saintes que les parents
| ||
Malgré ce que tu nous dois, nous
t’avons laissé libre, quand tu es devenu majeur, de nous répudier, si nous te
déplaisions, et de t’en aller vivre ailleurs en emportant tes biens
| ||
Tu ne l’as
pas fait
| ||
En demeurant, tu as contracté par là même un engagement sacré
envers nous
| ||
Personne même n’a jamais été attaché plus que toi à Athènes et
à ses lois
| ||
Tu serais donc plus coupable que tout autre en violant les
engagements de toute ta vie, sans compter que tu t’exposerais au ridicule et
au mépris, partout où tu irais
| ||
Quant à tes enfants, soit que tu partes pour
l’exil, soit que tu partes pour l’autre monde, tes amis en prendront soin
| ||
Renonce donc à te dérober à notre autorité, si tu veux que nos sœurs, les lois
de l’Hadès, te fassent bon accueil
| ||
» Criton n’ayant rien à répondre, Socrate
conclut en disant : « Suivons la voie que le dieu nous indique
| ||
»
Le naturel exquis des détails par lesquels il débute pourrait faire croire
que les choses se sont passées comme Platon les décrit, si nous ne savions
que c’est un des talents de Platon d’introduire ses dialogues avec l’art d’un
grand poète dramatique, témoin le commencement du Protagoras, du
Phèdre, de la République
| ||
Il est donc possible, il est même probable que les
détails de l’introduction n’ont rien d’historique et sont de l’invention de
Platon
| ||
C’est son style aussi que l’on reconnaît d’un bout à l’autre de
l’ouvrage, et il est possible encore qu’il ait ajouté quelque chose de son cru à
ce qui fut réellement dit dans les entretiens où les amis de Socrate tentèrent
de le décider à s’évader
| ||
Mais on ne peut mettre en doute que le fond ne soit
vrai et que nous n’ayons ici l’essentiel des réponses et des arguments de
Socrate
| ||
Les raisons qu’il donne de sa répugnance à l’exil ne sont pas
présentés de la même façon que dans l’Apologie ; mais ce sont au fond les
mêmes, c’est qu’il ne pourra remplir sa mission
| ||
L’admirable prosopopée des
lois est peut-être de l’invention de Socrate ; en tout cas elle reflète
admirablement les scrupules de cette haute conscience que l’injustice effraye
plus que la mort
| ||
Ce respect des lois est comme un dernier trait ajouté à la
peinture du caractère de Socrate que Platon avait tracé dans l’Apologie, et
cette mort si courageusement acceptée est le digne couronnement de cette
carrière consacrée tout entière à la philosophie et à la vertu
| ||
Aussi, tout bref
qu’il est, le dialogue du Criton est, au point de vue moral comme au point de
vue littéraire, un des plus beaux et des plus émouvants de Platon
| ||
Criton
[ou Du Devoir ; genre éthique]
Personnages du dialogue :
Socrate, Criton
SOCRATE
I
| ||
– Que viens-tu faire ici à cette heure, Criton ? N’est-ce pas encore bien
matin ?
CRITON
Si
| ||
SOCRATE
Quelle heure est-il au juste ?
CRITON
Le jour va paraître
| ||
SOCRATE
Je m’étonne que le gardien de la prison ait consenti à t’ouvrir
| ||
CRITON
C’est qu’il me connaît bien, Socrate, pour m’avoir vu souvent ici
| ||
D’ailleurs il m’a quelque obligation
| ||
SOCRATE
Viens-tu d’arriver ou es-tu là depuis longtemps ?
CRITON Depuis assez
longtemps
| ||
SOCRATE
Alors pourquoi ne m’as-tu pas éveillé tout de suite, au lieu de rester assis
près de moi sans rien dire ?
CRITON
Par Zeus, Socrate, je m’en suis bien gardé ; car moi non plus je n’aurais
pas voulu être si tôt éveillé et livré au chagrin
| ||
Mais, vraiment, je t’admire,
toi, depuis un bon moment, en voyant comme tu dors bien, et c’est à dessein
que je ne t’éveillais pas, pour te laisser passer ton temps le plus agréablement
possible
| ||
Auparavant déjà, dans tout le cours de ta vie, j’ai apprécié souvent
ton égalité d’humeur, mais jamais autant que dans le malheur présent, en
voyant la facilité et la douceur avec lesquelles tu le supportes
| ||
SOCRATE
C’est qu’il me siérait mal, à mon âge, Criton, de me révolter, parce qu’il
me faut mourir
| ||
CRITON
On en voit d’autres, Socrate, aussi âgés que toi, qui, en butte à de tels
malheurs, ne laissent pas, malgré leur âge, de se révolter contre leur sort
| ||
SOCRATE
C’est vrai
| ||
Mais enfin pourquoi es-tu venu de si bonne heure ?
CRITON
Pour t’apporter, Socrate, une nouvelle fâcheuse et accablante, non pas
pour toi, je le vois, mais pour moi et pour tous tes amis, la plus fâcheuse et la
plus accablante, je crois, que je puisse jamais supporter
| ||
SOCRATE
Quelle est cette nouvelle ? Est-ce que le vaisseau au retour duquel je dois
mourir est arrivé de Dèlos ?
CRITON
Non, il n’est pas arrivé, mais je crois qu’il arrivera aujourd’hui, d’après
ce que rapportent des gens qui sont venus de Sounion(2) et qui l’ont laissé là
| ||
Il est clair d’après leur rapport qu’il arrivera aujourd’hui et ainsi ce sera
demain, Socrate, qu’il te faudra quitter la vie
| ||
SOCRATE
II
| ||
– Eh bien, Criton, à la bonne fortune ! Si telle est la volonté des dieux,
qu’il en soit ainsi
| ||
Cependant je ne crois pas qu’il arrive aujourd’hui
| ||
CRITON
Sur quoi fondes-tu cette conjecture ?
SOCRATE
Je vais te le dire
| ||
C’est que je dois mourir le lendemain du jour où le
vaisseau sera revenu
| ||
CRITON
C’est en effet ce que disent ceux de qui cela dépend(3)
| ||
SOCRATE
C’est pourquoi je ne pense pas qu’il arrive en ce jour qui vient, mais
demain
| ||
Je le conjecture d’un songe que j’ai eu tout à l’heure, cette nuit,
et il se peut que tu aies bien fait de ne pas m’éveiller
| ||
CRITON Quel était donc ce
songe ?
SOCRATE
J’ai cru voir venir à moi une femme belle et majestueuse, vêtue de blanc,
qui m’appelait et me disait : « Socrate, tu arriveras dans trois jours dans la
fertile Phthie(4)
| ||
»
CRITON
Il est étrange, ton songe, Socrate
| ||
SOCRATE
Il est clair, au contraire, Criton, si je ne me trompe
| ||
CRITON
III
| ||
– Il ne l’est que trop, je pense
| ||
Mais une dernière fois, merveilleux
Socrate, écoute-moi et sauve ta vie
| ||
Car pour moi, ta mort entraînera plus
d’un malheur : outre que je serai privé d’un ami comme il est sûr que je n’en
retrouverai jamais, beaucoup de gens qui nous connaissent mal, toi et moi,
croiront que j’aurais pu te sauver, si j’avais consenti à payer pour cela, mais
que je ne m’en suis pas soucié
| ||
Or, peut-il y avoir de réputation plus honteuse
que de passer pour être plus attaché à l’argent qu’à ses amis ? La plupart des
gens ne croiront pas que c’est toi qui as refusé de sortir d’ici, en dépit de nos
instances
| ||
SOCRATE
Mais pourquoi, bienheureux Criton, nous mettrionsnous tant en peine de
l’opinion du vulgaire ? Les gens les plus sensés, dont le jugement doit nous
préoccuper davantage, ne douteront pas que les choses ne se soient passées
comme elles se seront passées réellement
| ||
CRITON
Tu vois pourtant bien, Socrate, qu’il faut s’inquiéter de l’opinion du
grand nombre
| ||
Ce qui arrive à présent fait assez voir que le grand nombre est
capable non seulement de faire du mal, mais je puis dire le plus grand mal,
quand il est prévenu par la calomnie
| ||
SOCRATE
Plût aux dieux, Criton, que ces gens-là fussent capables de faire les plus
grands maux, afin qu’ils le fussent aussi de faire les plus grands biens ! Mais
en réalité ils ne peuvent ni l’un ni l’autre, car ils ne sont pas capables de
rendre un homme sage ni insensé ; et ce qu’ils font est l’effet du hasard
| ||
CRITON
IV
| ||
– Admettons qu’il en soit ainsi ; mais réponds à ma question, Socrate
| ||
Ne serait-ce pas l’intérêt que tu me portes, à moi et à tes autres amis, qui te
retient ? Crains-tu que, si tu t’échappes d’ici, les sycophantes ne nous causent
des ennuis pour t’avoir fait évader, et que nous ne soyons forcés de sacrifier
toute notre fortune ou beaucoup d’argent et de subir encore quelque autre
peine ? Si tu as quelque crainte de ce genre, rejette-la ; car c’est notre devoir
à nous de courir, pour te sauver, ce risque-là, et un plus grave encore, s’il est
nécessaire
| ||
Allons, écoute-moi et ne me dis pas non
| ||
SOCRATE
Oui, Criton, c’est votre intérêt qui m’arrête, et d’autres raisons encore
| ||
CRITON
Rassure-toi donc là-dessus ; car on ne demande pas beaucoup d’argent
pour te sauver et te tirer d’ici
| ||
Et puis, ne vois-tu pas qu’on peut acheter à bon
marché ces sycophantes et qu’il ne faudrait pas beaucoup d’argent pour leur
fermer la bouche ? Tu peux disposer de ma fortune : elle suffira, j’espère
| ||
D’ailleurs, si, par intérêt pour moi, tu ne crois pas devoir dépenser mon
argent, il y a ici des étrangers qui sont prêts à dépenser le leur
| ||
L’un d’eux a
justement apporté pour cela une somme suffisante : c’est Simmias de
Thèbes(5)
| ||
Cébès aussi se met à ta disposition, et beaucoup d’autres
| ||
Donc, je
te le répète, ne va pas, pour des craintes de ce genre, renoncer à te sauver et
ne crois pas, comme tu le disais dans le tribunal, que ta situation serait
difficile, parce que, sorti d’ici, tu ne saurais plus que devenir
| ||
À l’étranger
aussi, partout où tu iras, tu seras bien accueilli, et, si tu veux aller en
Thessalie, j’ai là des hôtes qui sauront t’apprécier et qui assureront ta sécurité
de manière que tu ne sois molesté par aucun Thessalien
| ||
V
| ||
– Il y a plus, Socrate
| ||
Il me semble que tu vas commettre une faute, en
te livrant toi-même, quand tu peux te sauver et que tu cours au-devant de ce
que tes ennemis pourraient souhaiter et qu’ils ont en effet souhaité dans leur
impatience de te perdre
| ||
Ce n’est pas tout, et j’estime, moi, que tu trahis aussi
tes fils(6), que, pouvant les élever et les instruire parfaitement, tu te dérobes et
les abandonnes, et qu’en ce qui dépend de toi, tu t’en remets de leur conduite
au hasard
| ||
Ils seront naturellement en butte aux maux qui attendent
d’ordinaire les orphelins
| ||
Il faut, ou bien ne pas avoir d’enfants, ou bien
peiner avec eux pour les nourrir et les instruire ; mais toi, tu me parais choisir
le parti du moindre effort, alors que c’est le parti que prennent les gens
honnêtes et courageux qu’il faudrait choisir, surtout lorsqu’on fait profession
de cultiver la vertu pendant toute sa vie
| ||
Aussi je rougis pour toi et pour tes
amis : j’ai peur qu’on n’impute à notre lâcheté tout ce qui t’arrive, et
l’introduction du procès devant la cour, alors qu’on pouvait l’éviter, et la
façon dont le débat lui-même a été conduit, et enfin ce dénouement dérisoire
qui fait croire que, par mollesse et lâcheté, nous n’avons pas pris garde à ton
procès, puisque nous ne t’avons pas sauvé et que tu ne t’es pas sauvé toi-
même, quand c’était certainement possible, pour peu que nous t’eussions
soutenu
| ||
Vois donc, Socrate, s’il n’y a pas là, sans parler du mal qui t’attend,
quelque chose de honteux pour toi comme pour nous
| ||
Allons, réfléchis, ou
plutôt ce n’est plus le moment de réfléchir, tu dois avoir réfléchi, et tu n’as
qu’un parti à choisir, car il faut que tout soit exécuté la nuit prochaine
| ||
Si
nous attendons encore, il ne sera plus possible de rien faire
| ||
Il le faut
absolument, Socrate, écoute-moi, et fais ce que je te dis
| ||
SOCRATE
VI
| ||
– Ah ! mon cher Criton, ton zèle aurait bien du prix à mes yeux, s’il
s’accordait avec le devoir ; sinon, plus il est ardent, plus il est fâcheux
| ||
Il
nous faut donc examiner si nous devons faire ce que tu proposes, ou non ; car
ce n’est pas d’aujourd’hui, c’est de tout temps que j’ai pour principe de
n’écouter en moi qu’une seule voix, celle de la raison, qui, à l’examen, me
semble la meilleure
| ||
Les arguments que j’ai soutenus jusqu’ici, je ne puis les
rejeter parce qu’il m’est arrivé malheur ; ils m’apparaissent au contraire
sensiblement identiques et j’ai pour eux le même respect et la même
déférence qu’auparavant
| ||
Si donc nous n’avons rien de mieux à dire dans le
cas présent, sache bien que je ne te céderai pas, quand même la multitude
toute-puissante multiplierait ses épouvantails, pour nous effrayer comme des
enfants, et nous menacerait d’emprisonnements, de supplices, de
confiscations
| ||
Comment donc faire cet examen le mieux possible ?
N’est-ce pas en reprenant tout d’abord l’idée que tu exprimais sur les
opinions des hommes ? Avions-nous raison ou tort de dire, chaque fois que
nous en avons parlé, qu’il y a des opinions dont il faut tenir compte et
d’autres, non ? Ou bien cette idée était-elle juste avant ma condamnation à
mort, tandis qu’à présent nous voyons avec la clarté de l’évidence que nous
l’avons émise au hasard et pour parler, mais qu’en réalité, c’était simple
amusement et bavardage ? Je voudrais donc examiner avec toi, Criton, si elle
me paraîtra changée avec ma situation, ou la même qu’auparavant, et si nous
y renoncerons ou nous réglerons sur elle
| ||
Or voici à peu près, si j’ai bonne
mémoire, ce que disaient en chaque entretien les gens sérieux
| ||
Ils disaient,
comme je viens de l’affirmer moi-même, que, parmi les opinions que
professent les hommes, il en est dont il faut tenir grand compte, et d’autres
non
| ||
Au nom des dieux, Criton, cela ne te semble-t-il pas bien dit ? Car toi,
autant qu’on peut prévoir les choses humaines, tu n’es pas en danger de
mourir demain, et tu n’as pas l’esprit troublé par la présence du malheur
| ||
Examine donc
| ||
Ne trouves-tu pas que l’on a de justes raisons de dire qu’il ne
faut pas avoir égard à toutes les opinions des hommes, mais qu’il faut avoir
égard aux unes, aux autres non, et qu’il ne faut pas non plus respecter celles
de tous les hommes, mais seulement celles des uns, non celles des autres
| ||
Qu’en dis-tu ? Cela n’est-il pas bien dit ?
CRITON
Si fait
| ||
SOCRATE
Ne sont-ce pas les bonnes qu’il faut révérer, non les mauvaises ?
CRITON
Si
| ||
SOCRATE
Et les bonnes ne sont-elles pas celles des gens sensés, les mauvaises
celles des fous ?
CRITON Sans doute
| ||
SOCRATE
VII
| ||
– Voyons maintenant comment on a établi ce principe
| ||
Un homme
qui s’exerce à la gymnastique et qui en fait son étude prête-t-il attention à
l’éloge, à la critique, à l’opinion du premier venu, ou de celui-là seul qui est
son médecin ou son pédotribe(7) ?
CRITON
De celui-là seul
| ||
SOCRATE
C’est donc de celui-là seul qu’il doit craindre la critique et apprécier
l’éloge, sans s’inquiéter du grand nombre
| ||
CRITON Évidemment oui
| ||
SOCRATE
Il devra donc agir, s’exercer, manger et boire comme en décidera
l’homme unique qui le dirige et qui est compétent, plutôt que de suivre l’avis
de tous les autres ensemble
| ||
CRITON
C’est incontestable
| ||
SOCRATE
Voilà qui est entendu
| ||
Mais s’il désobéit à cet homme unique, s’il
dédaigne son opinion et ses éloges pour suivre les avis de la foule
incompétente, n’en éprouvera-t-il aucun mal ?
CRITON Certainement si
|
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