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|---|---|---|
Socrate ayant établi que la
violation de la justice exige une expiation, il ne laisse au coupable aucun
espoir d’y échapper : s’il n’est pas puni dans ce monde, il le sera dans l’autre
| ||
On a souvent fait remarquer avec quelle sévérité Platon juge la rhétorique
et les orateurs athéniens
| ||
Sauf Aristide le juste, aucun ne trouve grâce devant
lui
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Périclès lui-même, dont il a fait un bel éloge dans le Phèdre, a, comme
les autres, corrompu le peuple et il a été justement condamné
| ||
Ce jugement
est d’une criante injustice et en contradiction complète avec celui que
1
Thucydide a porté sur le grand homme d’État athénien *
| ||
La rhétorique elle-même n’est pas mieux traitée que les orateurs ; elle est
ravalée au niveau de la cuisine, et ne sert, dit-il, qu’à flatter les passions
populaires
| ||
Il faut bien reconnaître que beaucoup d’orateurs en abusent pour
gagner par la flatterie la faveur du peuple ; mais, comme le dit Gorgias, la
rhétorique n’est pas responsable des abus qu’on en peut faire
| ||
Les abus se
glissent dans tous les arts : ce n’est pas une raison de répudier les arts eux-
mêmes
| ||
D’où vient donc cette passion avec laquelle Platon attaque la rhétorique ?
Il y en a des raisons générales et des raisons particulières
| ||
Platon était destiné
par sa naissance et son éducation à prendre part au gouvernement de son
pays, et la politique fut peut-être la plus grande préoccupation de toute sa vie
| ||
Mais le parti aristocratique auquel il appartenait s’était rendu odieux lors du
gouvernement des Trente, où figuraient son cousin Critias et son oncle
Charmide
| ||
D’un autre côté, la bassesse et la vénalité des démagogues
répugnaient à la noblesse de son caractère et il ne se sentait pas fait pour
lutter sur le terrain de la flatterie avec les orateurs sans scrupule qui avaient
l’oreille du peuple
| ||
Son aversion pour eux fut encore augmentée par la
condamnation de son maître vénéré, Socrate, dont le démagogue Anytos fut
le principal auteur
| ||
On sent aux allusions répétées qu’il fait à la mort de
Socrate qu’il n’attend rien de bon d’une démocratie assez injuste et aveugle
pour mettre à mort le citoyen le plus vertueux et le plus dévoué aux véritables
intérêts du peuple
| ||
La violence de ses attaques contre la rhétorique s’explique aussi par un
motif personnel
| ||
Platon venait de fonder l’Académie
| ||
Il renonçait dès lors à la
politique active pour s’adonner à la philosophie
| ||
Le Gorgias fut le manifeste
de la nouvelle école
| ||
Il s’agissait d’y attirer les jeunes gens que la rhétorique
attirait seule
| ||
Elle régnait alors en maîtresse
| ||
Les sophistes d’un côté, les
rhéteurs siciliens de l’autre se partageaient la faveur d’une jeunesse à la fois
curieuse d’une forme d’éducation supérieure et désireuse de se préparer à la
carrière politique, la seule qui convînt aux hommes de grande naissance
| ||
Il
fallait frapper l’attention de cette jeunesse, en rabaissant les maîtres chez
lesquels elle s’empressait et en exaltant la supériorité de l’enseignement
nouveau qui lui était offert
| ||
C’est à quoi servit le Gorgias
| ||
Il annonçait que
Platon reprenait à son compte l’apostolat de Socrate, mais avec des procédés
nouveaux
| ||
Il ne se sentait pas fait pour se mêler au peuple et endoctriner les
individus dans la rue ou sur la place publique, mais, à l’exemple des
Pythagoriciens, il voulait grouper autour de lui des jeunes gens bien doués et
les former à la recherche de la vérité et de la justice
| ||
C’est l’idéal nouveau
qu’il opposait à l’enseignement des sophistes et des rhéteurs et, s’il s’acharne
contre eux jusqu’à méconnaître ce qu’ils avaient de bon, ses exagérations
s’expliquent en partie par le désir de faire un coup d’éclat et d’attirer
l’attention sur lui-même, et sur son école
| ||
On a cru aussi que la polémique de
Platon avec les rhéteurs visait un rival particulier, Isocrate, qui avait fondé,
lui aussi, une école où il prétendait concilier la rhétorique avec la
philosophie : c’est lui qu’il aurait attaqué sous le nom de Gorgias
| ||
On sait que
l’attitude de Platon à l’égard d’Isocrate a varié : il l’a loué dans le Phèdre, il
l’a critiqué dans l’Euthydème
| ||
Dans quels sentiments était-il à son égard,
quand il composa le Gorgias, nous l’ignorons
| ||
Mais il est vraisemblable
qu’en tranchant d’une manière si absolue la démarcation entre la rhétorique et
la philosophie il entendait opposer son enseignement à celui d’Isocrate
| ||
Peut-
être même cette critique indirecte fut-elle la cause qui changea leur sympathie
mutuelle en antipathie
| ||
En dépit des exagérations et de quelques assertions paradoxales, la valeur
du Gorgias n’en est pas moins très haute
| ||
L’idéal que nous offrent la
personne et les idées de Socrate, si passionnément attaché à la justice et à la
vertu, est d’une grandeur et d’une beauté qui emportent l’admiration
| ||
Jamais
moraliste n’a exalté la vertu avec tant de conviction, de force et de simplicité
sublime
| ||
Et si la beauté du fond nous ravit, celle de la forme n’est pas moins
captivante
| ||
La composition du Gorgias est ordonnée comme celle d’une pièce
de théâtre en trois actes de matière très variée, où l’intérêt et la vivacité du
débat croissent de l’un à l’autre, le tout couronné par un monologue qui étend
au-delà de la vie l’intérêt que la justice a pour nous
| ||
Et les personnages de ce
drame philosophique sont extrêmement originaux et vivants
| ||
C’est d’abord Socrate qui met au service de la vérité la puissance
extraordinaire de sa réflexion, la subtilité pénétrante de son esprit,
l’abondance inépuisable de ses arguments
| ||
Détaché de toute vanité,
insoucieux des opinions du vulgaire, il s’attache passionnément à la justice
| ||
La perspective même d’une condamnation capitale ne trouble ni sa résolution
de braver l’impopularité ni le calme de son âme
| ||
Ce qui achève d’éclairer son
caractère, ce sont les arrêts qu’il fait au milieu de la discussion, tantôt pour
adoucir par quelque parole courtoise la déconvenue d’un interlocuteur, tantôt
au contraire pour rabattre l’impertinence d’un autre, tantôt pour exposer sa
méthode de discussion, en complète opposition à celle des assemblées
| ||
C’est
merveille de voir avec quelle mesure et quelle justesse il traite chacun selon
son mérite
| ||
Déférent envers Gorgias, personnage vénérable, que sa patrie a
délégué en ambassade à Athènes, rhéteur illustre et très considéré, il est
beaucoup moins réservé avec le jeune Polos qui l’impatiente par son
étourderie
| ||
Enfin, avec son hôte Calliclès il garde un calme ironique et une
patience qui font ressortir à merveille la mauvaise humeur d’un adversaire
mortifié d’être battu
| ||
Gorgias de Léontium, en Sicile, le plus illustre des maîtres de rhétorique,
fut envoyé en ambassade à Athènes par ses compatriotes en l’année 427,
deux ans après la mort de Périclès
| ||
Son éloquence apprêtée fit une grande
impression sur la jeunesse athénienne, et il eut de nombreux disciples et
imitateurs
| ||
Si l’on s’en rapporte à Platon, la modestie n’était pas sa principale
vertu
| ||
« Nous devons t’appeler orateur, lui dit Socrate
| ||
– Et bon orateur,
Socrate, si tu veux m’appeler ce que je me glorifie d’être, pour parler comme
Homère
| ||
» Quand Socrate le prie de répondre brièvement : « C’est encore une
chose dont je me flatte, dit-il, que personne ne saurait dire en moins de mots
les mêmes choses que moi
| ||
» En dépit de ces mouvements de vanité,
communs d’ailleurs à tous les sophistes de ce temps, Gorgias discute avec
mesure et dignité, suit de bonne grâce Socrate dans les détours de sa
dialectique, et sur la question de la rhétorique, c’est lui qui a raison en
reconnaissant que la rhétorique, comme toute chose, est sujette aux abus,
mais qu’elle n’est pas responsable du mauvais usage que des orateurs
malhonnêtes peuvent en faire
| ||
La contradiction où le jette Socrate n’existe
que si l’on admet avec celui-ci qu’un homme qui sait la justice ne sera jamais
injuste, opinion sans cesse démentie par l’expérience
| ||
En introduisant après Gorgias deux autres interlocuteurs, Platon laissait à
Socrate la possibilité de maltraiter à son aise la rhétorique et les rhéteurs, sans
s’attaquer directement à l’illustre vieillard dont il avait à ménager la
susceptibilité
| ||
Le premier est Polos
| ||
Ce Polos, d’Agrigente, était un disciple
de Gorgias, dont il avait, au dire de Philostrate, payé fort cher les leçons, car
il était très riche
| ||
Il est question de lui, avec d’autres sophistes célèbres, dans
le Théagès, 128 a et dans le Phèdre, 267 c
| ||
Il laissa quelques écrits, entre
autres un ouvrage intitulé les Correspondances entre membres de phrase
| ||
Dès
le début, plein de confiance en lui-même, il s’offre à répondre à la place de
Gorgias fatigué, et il fait à Khairéphon une réponse en termes alambiqués,
qui sont sans doute une parodie de sa manière
| ||
Dès qu’il est entré en scène
pour succéder à Gorgias, le ton de la discussion change
| ||
Polos est jeune et
tranchant et il intervient impétueusement en termes provocants à l’égard de
Socrate
| ||
Socrate, qui n’a pas à le ménager, comme il ménageait Gorgias, lui
réplique tantôt avec une ironie piquante, tantôt avec une franchise brusque
| ||
Mais Polos a beau traiter de haut les prétendus paradoxes de Socrate, il finit
par se rendre à ses arguments et reconnaître qu’Archélaos, l’usurpateur
scélérat, qu’il présentait comme le plus heureux des hommes, en est au
contraire le plus malheureux et que pratiquement la rhétorique n’est d’aucun
usage
| ||
Jusqu’ici Calliclès, chez qui la réunion a lieu, s’est contenté d’écouter avec
une stupéfaction grandissante l’argumentation de Socrate
| ||
Ce Calliclès, qui
nous est inconnu, était sans doute un de ces jeunes Athéniens de famille riche
que tentait la carrière politique et qui s’y préparaient à l’école des sophistes et
des rhéteurs
| ||
Voyant Polos réduit au silence, il se précipite au secours de la
rhétorique
| ||
Il a appris des sophistes que la loi, faite par les faibles contre les
forts, ne mérite aucun respect, que les forts s’en affranchissent et tâchent de
conquérir le pouvoir pour être à même de satisfaire toutes leurs passions
| ||
C’est ce que devrait faire un homme comme Socrate, au lieu de perdre son
temps à philosopher
| ||
Socrate répond à ses exhortations par des compliments
ironiques, puis engage la discussion
| ||
Il a tôt fait de réfuter les sophismes de
Calliclès
| ||
Mais celui-ci n’est pas de ceux qui reconnaissent leurs fautes ou
leurs erreurs
| ||
Dès qu’il se voit battu, il se met à railler, il traite d’arguties les
raisonnements de Socrate, il affecte de n’y rien comprendre, il refuse même
de répondre, ou, s’il continue à le faire, c’est à la prière de Gorgias ; encore
ne le fait-il qu’en rechignant ; il prie à la fin Socrate de parler seul
| ||
L’attitude
de cet homme, si confiant en lui-même et si audacieux dans son immoralité,
est d’un comique achevé
| ||
On y voit au naturel l’orgueil puéril d’un homme
infatué qui s’obstine à fermer les yeux à la raison et qui boude comme un
enfant pris en faute
| ||
Platon a donné dans la peinture de ce caractère un
éclatant exemple de ses hautes qualités dramatiques
| ||
Il est difficile de déterminer à quelle époque il faut placer l’entretien qui
fait l’objet du Gorgias
| ||
Ce n’est pas qu’on manque ici d’allusions à des faits
précis : c’est qu’il y en a trop au contraire et qui conduisent à des conclusions
divergentes
| ||
503 c : Calliclès demande à Socrate s’il n’a pas entendu vanter le
mérite de Périclès mort récemment
| ||
Or Périclès mourut en 429
| ||
471 a-d : il
est question de l’usurpation d’Archélaos
| ||
Or c’est en l’année 413
qu’Archélaos s’empara du trône de Macédoine
| ||
Ailleurs, 473 e, Socrate
rapporte qu’ayant à présider l’assemblée, il prêta à rire par son inexpérience
| ||
Il semble bien qu’il s’agit du rôle qu’il joua dans l’affaire des Arginuses en
406
| ||
Enfin Calliclès et Socrate font tour à tour mention de Zèthos et
d’Amphion, personnages de l’Antiope d’Euripide, qui ne fut jouée qu’à la fin
de la guerre du Péloponnèse
| ||
Aussi Stallbaum et d’autres placent l’entretien
autour de 405
| ||
Mais comment Calliclès pouvait-il dire en 405 que Périclès
était mort récemment ? D’autre part, Gorgias étant venu à Athènes en 427,
n’est-il pas plus naturel de supposer que c’est vers 427, époque où il jouit à
Athènes d’une vogue extraordinaire, qu’eut lieu sa rencontre avec Socrate ?
Cette date pourrait s’accorder avec le conseil que Calliclès donne à Socrate
de changer de carrière (486 c) et d’abandonner la philosophie pour la
politique
| ||
Ce conseil est au contraire dérisoire, si le dialogue est placé en 405,
époque où Socrate avait 64 ans
| ||
On ne change pas de carrière à cet âge : on
prend sa retraite
| ||
Contre cette date on objecte les anachronismes ; mais,
quand il pouvait en tirer quelque effet littéraire ou philosophique, Platon
n’éprouvait aucun scrupule à en faire usage, témoin le Ménexène, où Socrate,
mort en 399, prononce l’oraison funèbre des soldats morts dans la guerre de
Corinthe en 396
| ||
Il serait plus important de savoir à quel moment de la carrière de Platon le
Gorgias fut composé
| ||
Les allusions émouvantes à la mort future de Socrate
ont fait croire que Platon était encore sous l’impression plus ou moins voisine
de l’événement, quand il rédigea cet ouvrage
| ||
Stallbaum en place la
composition peu après la mort de Socrate ; A
| ||
Croiset entre 395 et 390
| ||
Il est
plus probable qu’il fut composé en 387, s’il est vrai qu’il soit, comme on le
pense aujourd’hui, le manifeste de la nouvelle école fondée par Platon
| ||
Ainsi
s’expliquent la violence de ses attaques contre les écoles des rhéteurs rivales
de la sienne et l’ardeur avec laquelle il prône la vie philosophique
| ||
Au
moment où il renonce définitivement à la politique active où l’appelait sa
naissance, il tient à justifier sa résolution, et c’est aussi à ce dessein que
répond le Gorgias
| ||
Gorgias
[ou sur la Rhétorique, réfutatif]
Personnages :
Calliclès, Socrate, Khairéphon, Gorgias, Polos
| ||
CALLICLÈS
I
| ||
– C’est à la guerre et à la bataille, Socrate, qu’il faut, dit le proverbe,
prendre part comme vous faites
| ||
SOCRATE
Est-ce que nous sommes, comme on dit, arrivés après la fête ? Sommes-
nous en retard ?
CALLICLÈS
Oui, et après une fête délicieuse ; car Gorgias vient de nous faire entendre
une foule de belles choses
| ||
SOCRATE
La faute en est, Calliclès, à Khairéphon que voici : il nous a fait perdre
notre temps à l’agora
|
Subsets and Splits
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