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|---|---|---|
Ainsi la puissance de l’amour est universelle : quand il
s’applique au bien et qu’il est réglé par la justice et la tempé-
rance, il nous procure une félicité parfaite, en nous faisant vivre
en paix les uns avec les autres, et en nous conciliant la bienveil-
lance des dieux
| ||
À Eryximaque succède Aristophane dont le hoquet a cessé
| ||
Ŕ L’Amour, dit-il, est le protecteur et le médecin des hommes ; il
les guérit des maux qui les empêchent d’être heureux
| ||
Pour ju-
ger de ses bienfaits, il faut connaître ce qu’était jadis la nature
humaine
| ||
Il y avait trois sortes d’hommes : l’homme double, la
femme double et l’homme-femme ou androgyne
| ||
Ils étaient de
forme ronde, avaient quatre bras, quatre jambes et deux visages
opposés l’un à l’autre sur une seule tête
| ||
Vigoureux et auda-
cieux, ils tentèrent d’escalader le ciel
| ||
Pour les punir, Zeus les
Ŕ 12 Ŕ
coupa en deux, leur tourna le visage du côté de la coupure, afin
que la vue du châtiment les rendît plus modestes, et chargea
Apollon de guérir la plaie
| ||
Mais dès lors chaque moitié recher-
cha sa moitié, et quand elles se retrouvaient, elles s’étreignaient
avec une telle ardeur de désir qu’elles se laissaient mourir dans
cet embrassement de faim et d’inaction
| ||
Pour empêcher la race
de s’éteindre, Zeus mit par devant les organes de la génération,
qui étaient restés par derrière
| ||
De cette manière les hommes
purent apaiser leurs désirs et enfanter, et c’est ainsi que l’Amour
rétablit l’unité primitive
| ||
Chacun de nous n’est donc qu’une moitié d’homme, et
cherche sa moitié
| ||
Ceux qui proviennent des androgynes aiment
le sexe différent du leur ; les femmes qui proviennent de la
double femme primitive aiment les femmes, et les hommes qui
proviennent de la division du double homme aiment les
hommes, et ce sont les meilleurs
| ||
Lorsque chaque moitié ren-
contre sa moitié, l’amour les saisit d’une si merveilleuse façon
qu’elles ne veulent plus se séparer : elles aspirent à se fondre
ensemble et à refaire ainsi l’unité primitive
| ||
Comme c’est l’impiété qui a causé la séparation, c’est la pié-
té envers les dieux qui nous gagnera la faveur du dieu Amour, et
qui nous fera retrouver le bonheur avec l’autre partie de nous-
même,
Agathon à son tour critique la méthode de ceux qui ont par-
lé avant lui
| ||
Ŕ Ils ont, dit-il, moins loué le dieu qu’ils n’ont félici-
té les hommes d’avoir un tel bienfaiteur
| ||
La vraie manière de le
louer, c’est d’expliquer d’abord ce qu’il est, puis ce qu’il fait pour
les hommes
| ||
Or l’Amour est d’abord le plus heureux des dieux,
puisqu’il est le plus beau et le meilleur
| ||
Il est le plus beau,
puisqu’il est le plus jeune des dieux, comme le prouve son aver-
sion pour la vieillesse ; il est aussi le plus délicat, puisqu’il fait sa
demeure dans les cœurs les plus tendres ; il est le plus subtil :
autrement il ne pourrait se glisser inaperçu dans les âmes ni en
sortir de même ; il a la grâce, il a la fraîcheur du teint, car il ne
vit que parmi les fleurs et les parfums
| ||
Il est bon, parce qu’il
Ŕ 13 Ŕ
ignore la violence et la contrainte ; il est le plus tempérant,
puisqu’il remporte sur le plaisir, tout plaisir étant inférieur à
l’amour ; le plus courageux, puisqu’il triomphe d’Arès, le plus
courageux des dieux ; le plus habile, puisqu’il inspire les poètes
et les artistes, qu’il a été le précepteur des dieux mêmes et qu’il
a détrôné la Nécessité qui régnait sur eux pour mettre à sa place
l’amour du beau et la concorde
| ||
L’Amour communique aux
hommes les dons qu’il possède lui-même, la beauté et la bonté
| ||
Il est le bien et le charme de la société humaine, l’objet de
l’admiration et du désir des hommes et des dieux, l’auteur de
tout plaisir, le consolateur de nos peines, le guide de notre vie,
le bienfaiteur dont tout mortel doit chanter les louanges
| ||
Socrate parle le dernier
| ||
Après avoir payé à Agathon son tri-
but d’éloges, non sans ironie, il marque aussitôt la différence de
sa méthode et de celle des précédents orateurs
| ||
Ils ont fait
hommage à l’Amour de toutes les perfections, sans s’inquiéter si
elles étalent vraies ou fausses
| ||
Lui ne sait pas louer ainsi ; il ne
sait que dire la vérité
| ||
Il fondera d’abord son discours sur une
définition exacte et écartera les idées fausses que le vulgaire se
forme de l’Amour
| ||
Pour cela il a recours à sa dialectique ordi-
naire, et il engage la discussion avec Agathon
| ||
Ŕ Réponds-moi,
lui dit-il, l’Amour est-il l’amour de quelque chose ou de rien ? Ŕ
De quelque chose assurément
| ||
Ŕ L’Amour désire-t-il ce qu’il
aime ? Ŕ Oui
| ||
Ŕ Possède-t-on ce qu’on désire ? Ŕ Non
| ||
Ŕ Or tu
dis que l’Amour aime et désire la beauté
| ||
Il en manque donc, et
comme le beau est en même temps bon, il manque donc aussi
de bonté ? Ŕ Il faut l’avouer
| ||
Au lieu de poursuivre cet interrogatoire qui tournerait à la
confusion d’Agathon, Socrate feint de céder la parole à Diotime,
femme de Mantinée, savante en tout ce qui touche à l’amour
| ||
C’est elle qui l’a éclairé sur la vraie nature de l’Amour
| ||
Après lui
avoir prouvé qu’il n’est ni beau ni bon, elle lui montre qu’il n’est
pas pour cela laid ni mauvais, mais qu’il tient le milieu entre
l’un et l’autre
| ||
Il n’est pas mi dieu, puisqu’il manque du beau et
du bon qui sont le partage de tous les dieux, mais il n’est pas
Ŕ 14 Ŕ
non plus mortel : c’est un démon, c’est-à-dire un être intermé-
diaire entre les dieux et les hommes, chargé d’assurer les rap-
ports entre eux
| ||
Ce démon est fils de Poros (la Ressource) et de Pénia (la
Pauvreté) qui le conçut le jour de la naissance d’Aphrodite, dont
il devint le compagnon et le serviteur
| ||
Comme sa mère, il est
pauvre, maigre, mal vêtu, indigent ; mais de son père il tient le
désir du bon et du beau, la hardiesse, l’esprit d’entreprise,
l’amour de la sagesse
| ||
Si Socrate se le figurait autrement, c’est
qu’il croyait que l’Amour est ce qui est aimé, et non ce qui aime
| ||
De quelle utilité ce démon est-il aux hommes ? C’est le se-
cond point du discours de Diotime
| ||
L’Amour est l’amour du
beau ou du bon ; car le beau et le bon sont choses inséparables
| ||
Il désire le posséder toujours pour être heureux
| ||
Mais on
n’appelle pas amour toute recherche du bonheur ; le mot ne
s’applique qu’à une sorte d’acte, la génération dans la beauté,
soit par le corps, soit par l’Âme
| ||
La génération est une œuvre
divine, et la laideur ne peut s’accorder avec le divin : la beauté
seule le peut
| ||
Et pourquoi la génération est-elle l’objet de
l’amour ? C’est qu’elle assure à l’homme l’immortalité, au moins
l’immortalité que comporte notre nature mortelle
| ||
Or le désir du
bon ne va pas sans le désir de l’immortalité, puisque l’amour
consiste à désirer que le bon nous appartienne toujours
| ||
C’est ce désir de l’immortalité qui explique la passion
sexuelle et l’amour de leurs petits qui est si frappant chez tous
les animaux, puisque le seul moyen d’être immortel dans ce
monde sujet au changement, est la génération qui substitue un
individu jeune à
| ||
un vieux et assure ainsi aux hommes la perpé-
tuité
| ||
C’est le désir de l’immortalité qui gouverne les actions des
hommes
| ||
Ceux qui sont féconds selon le corps aiment les
femmes, parce qu’ils croient se procurer l’immortalité en pro-
créant des enfants
| ||
Ceux qui sont féconds selon l’esprit cher-
chent une belle âme pour y enfanter des vertus qui doivent vivre
à jamais, et le lien de ces mariages d’âmes est plus fort que celui
des liaisons charnelles
| ||
Ŕ 15 Ŕ
Jusqu’ici nous ne sommes arrivés qu’au premier degré de
l’amour, Il nous faut monter jusqu’au degré suprême et nous
élever des beautés d’ici-bas jusqu’à la beauté absolue, en gravis-
sant un par un tous les degrés de l’échelle
| ||
On doit d’abord ai-
mer un beau corps, puis, comprenant que la beauté d’un corps
est sœur de la beauté qui se trouve dans tous les autres, aimer
tous les beaux corps ; puis regarder la beauté de l’âme comme
supérieure à celle du corps ; on verra alors la beauté qui est dans
les lois et les actions des hommes
| ||
Des actions des hommes on
passera aux sciences pour en contempler la beauté, et enfanter
avec une fécondité inépuisable les discours et les pensées les
plus magnifiques de la philosophie, jusqu’à ce qu’enfin on arrive
à ne plus voir qu’une seule science, celle de la beauté absolue,
idéale, éternelle, de laquelle participent toutes les belles choses
| ||
Vivre pour contempler cette beauté est la seule vie digne d’être
vécue
| ||
L’homme qui vivra dans cette contemplation engendrera,
non des images de vertu, mais des vertus véritables, il sera aimé
des dieux, et si jamais un homme peut prétendre à
l’immortalité, ce sera celui-là
| ||
Aristophane allait répliquer à Socrate, quand on entendit un
grand fracas à la porte
| ||
C’était Alcibiade accompagné d’une
bande de buveurs, qui demandait à entrer pour couronner Aga-
thon
| ||
Il ceint de bandelettes la tête du poète ; mais il aperçoit
Socrate et feint d’être jaloux de le voir assis près du bel Aga-
thon ; il ne laisse pas pourtant de redemander une partie de ses
bandelettes au poète pour en couronner la merveilleuse tête de
Socrate
| ||
Puis il se proclame roi du festin et demande qu’on
boive à pleines coupes
| ||
Mais Eryximaque le prie de faire comme
les autres convives et de prononcer à son tour, un éloge de
l’Amour
| ||
Alcibiade répond qu’en présence de Socrate, il
n’oserait louer personne, ni dieu, ni homme
| ||
Il fera si l’on veut
l’éloge de Socrate
| ||
On le prie de le faire
| ||
« Socrate, dit-il, res-
semble à ces Silènes qui renferment des images des dieux, et au
satyre Marsyas ; il est, comme lui, un effronté moqueur et un
joueur de flûte supérieur à lui, car, sans instrument, par de
simples discours, il tient tout le monde sous le charme
| ||
Jamais,
Ŕ 16 Ŕ
pour ma part, ni Périclès ni les autres grands orateurs ne m’ont
ému comme lui ; il me fait rougir de la vie que je mène et me
rend mécontent de moi-même
| ||
J’ai dit qu’il ressemblait aux Si-
lènes ; en effet, quand il parle sérieusement et qu’il s’ouvre en-
fin, que de trésors divins l’on voit en lui ! Il a l’air d’aimer les
beaux jeunes gens ; au fond il dédaigne leur beauté, comme il
dédaigne la richesse et les autres avantages dont les hommes
sont vains
| ||
Je le sais par expérience
| ||
Le croyant épris de ma
beauté, j’essayai de le séduire, dans l’espoir qu’il me communi-
querait sa science ; mais j’eus beau me ménager des tête-à-tête
avec lui, le défier à des exercices de gymnastique, l’inviter à
souper et le retenir sous mon toit, il n’eut que du dédain pour
ma beauté, sa tempérance est invincible
| ||
Puis, nous fîmes cam-
pagne ensemble à Potidée ; là je le vis surpasser tout le monde
par son endurance et étonner l’armée par sa facilité à supporter
le froid
| ||
Il me sauva la vie dans cette expédition, et c’est lui qui
méritait le prix de la valeur qui me fut attribué
| ||
À Délion, sa
fière attitude pendant la retraite tint à l’écart tous ceux qui au-
raient eu la velléité de l’attaquer
| ||
Mais ce qui est le plus admi-
rable en lui, c’est l’originalité de ses discours ; eux aussi ressem-
blent aux Silènes : grossiers d’apparence, ils renferment un sens
divin
| ||
Voilà ce que j’avais à dire de Socrate
| ||
Profite de mon ex-
périence, Agathon, et ne te laisse pas prendre au jeu de cet
homme qui, sous couleur d’aimer, capte l’amour d’autrui
| ||
»
On rit de la candeur d’Alcibiade
| ||
Socrate détourna
l’attention des louanges qu’il venait de recevoir en badinant sur
la jalousie du jeune homme, et en priant Agathon de n’y point
avoir égard et de venir plutôt s’asseoir à sa droite, pour qu’il fit
son éloge
| ||
Mais une nouvelle bande de buveurs arriva qui rem-
plit toute la salle de tumulte
| ||
On se remit à boire jusqu’à ce que
le sommeil eut réduit les plus intrépides
| ||
Socrate seul tint
jusqu’au matin, puis se rendit à ses occupations habituelles
| ||
Le Banquet n’est pas le seul ouvrage où Platon ait traité de
l’amour
| ||
La plus grande et la plus belle partie du Phèdre est
consacrée à la même question
| ||
Platon y distingue deux espèces
Ŕ 17 Ŕ
d’amour, l’amour vulgaire et l’amour honnête
| ||
L’amour vul-
gaire, qui ne vise qu’au plaisir est égoïste, jaloux, tyrannique ; il
ne va jamais sans injures et querelles violentes et il aboutit fata-
lement à la brouille et à l’abandon
| ||
Les deux discours où Lysias
et Socrate exposent ces idées sont comme le commentaire du
passage où Pausanias établit l’existence de l’Amour vulgaire,
serviteur de l’Aphrodite populaire
| ||
L’amour honnête correspond
à l’Amour céleste, serviteur de l’Aphrodite céleste
| ||
La doctrine
est donc la même dans les deux ouvrages, mais elle est présen-
tée d’une manière différente : dans le Phèdre, elle est rattachée
au système des Idées et de la réminiscence
| ||
Les âmes humaines
ont jadis suivi le cortège des dieux, lorsqu’ils vont contempler
de l’autre côté du ciel le monde des Idées
| ||
Mais, entravées dans
leur essor par les passions brutales, elles n’ont pu, et pas toutes,
que l’entrevoir, pour retomber ensuite sur la terre
| ||
Une seule
Idée, celle de la Beauté, dont l’éclat resplendit entre toutes les
autres, a laissé en elles un souvenir durable ; et toutes les fois
qu’ici-bas elles rencontrent quelque objet où brille l’image de la
beauté absolue, elles s’élancent vers lui, elles l’aiment, ou plutôt
elles aiment la beauté absolue dont il porte le reflet
| ||
Cette théo-
rie a séduit les poètes depuis Pétrarque jusqu’à nos jours, et son
règne n’est pas fini, parce qu’elle contient une part de vrai
| ||
Quand nous recevons le coup de foudre, par exemple, n’est-ce
pas l’idéal révélé soudain qui ravit tout notre être
| ||
Il est vrai
que nous ne remontons point dans le ciel pour y trouver
l’origine de cet idéal : il est en nous, il est notre œuvre, et voilà
pourquoi il diffère en chacun de nous
| ||
Le Banquet nous offre une autre explication de l’amour
| ||
Diotime, qui représente Platon lui-même, le définit la généra-
tion dans la beauté, et le rattache au désir d’immortalité qui tra-
vaille tous les êtres vivants
| ||
L’homme veut se survivre à lui-
même, et tous les travaux des ambitieux et des artistes ont pour
but l’immortalité ; mais leurs efforts ne perpétuent que leur
nom, tandis que l’amour perpétue l’homme lui-même dans ses
enfants
| ||
Voilà pourquoi c’est un sentiment universel, qui gou-
verne non-seulement les hommes, mais tous les êtres vivants
| ||
Ŕ 18 Ŕ
Cette explication de l’irrésistible instinct qui porte les sexes l’un
vers l’autre, est certainement ce que l’on a trouvé jusqu’ici de
plus juste et de plus profond sur ce sujet
| ||
Mais Platon va plus loin
|
Subsets and Splits
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