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|---|---|---|
Apollodore : Eh bien donc ! les voici à peu près ; mais il vaut
mieux essayer de reprendre les choses au commencement, dans
l’ordre où Aristodème me les a racontées
| ||
Ŕ 27 Ŕ
II
| ||
Ŕ « Je rencontrai, dit-il, Socrate, sortant du bain et les pieds
chaussés de sandales, ce qui n’est guère dans ses habitudes, et je
lui demandai où il allait si beau
| ||
Il me répondit : je vais dîner
chez Agathon
| ||
je me suis dérobé hier à la fête qu’il a donnée en
l’honneur de sa victoire, parce que je craignais la foule ; mais je
me suis engagé à venir le lendemain : voilà pourquoi je me suis
paré ; je voulais être beau pour venir chez un beau garçon
| ||
Mais
toi, ajouta-t-il, serais-tu disposé à venir dîner sans invitation ? Ŕ
À tes ordres, répondis-je
| ||
Ŕ Suis-moi donc, dit-il, et disons, en
modifiant le proverbe, que des gens de bien vont dîner chez des
gens de bien sans être priés
| ||
Homère non seulement le modifie,
mais il semble bien qu’il s’en moque, quand, après avoir repré-
senté Agamemnon comme un grand guerrier et Ménélas comme
un faible soldat, il fait venir Ménélas, sans y être invité, au festin
qu’Agamemnnon donne après un sacrifice, c’est-à-dire un
homme inférieur chez un homme éminent6
| ||
»
Là-dessus Aristodème dit qu’il avait répondu : « J’ai bien
peur à mon tour d’être, non pas l’homme que tu dis, Socrate,
mais bien, pour parler comme Homère, l’hôte chétif qui se pré-
sente au festin d’un sage sans y être invité
| ||
As-tu, si tu
m’emmènes, une excuse à donner ? car, pour moi, je n’avouerai
pas que je suis venu sans invitation, mais je dirai que C’est toi
qui m’as prié
| ||
Ŕ « En allant à deux, répondit-il, nous cherche-
rons le long de la route7 ce qu’il faut dire ; allons seulement »
| ||
6 Homère, Iliade, II, 468 : « Ménélas à la voix puissante vint de lui-
même chez lui »
| ||
Ce n’est pas précisément Homère, c’est Apollon qui
appelle Ménélas un faible soldat (II, XVIII, 588)
| ||
7 Iliade, X, 226 : « En allant à deux, l’un trouve avant l’autre ce qui
peut être utile »
| ||
Ŕ 28 Ŕ
Après avoir échangé ces propos, nous nous mîmes en
marche
| ||
Or, pendant la route, Socrate s’enfonçant dans ses pen-
sées resta en arrière ; comme je l’attendais, il me dit d’aller de-
vant
| ||
Quand je fus à la maison d’Agathon, je trouvai la porte
ouverte et il m’arriva une plaisante aventure
| ||
Aussitôt en effet
un esclave vint de l’intérieur à ma rencontre et me conduisit
dans la salle où la compagnie était à table, sur le point de com-
mencer le repas
| ||
Dès qu’Agathon m’eut aperçu : « Tu viens à
point, dit-il, Aristodème, pour dîner avec nous ; si tu viens pour
autre chose, remets-le à plus tard ; hier même je t’ai cherché
pour t’inviter, sans pouvoir te découvrir ; mais comment se fait-
il que tu n’amènes pas Socrate ? » Je me retourne alors, mais
j’ai beau regarder : point de Socrate sur mes pas
| ||
« je suis réel-
lement venu avec Socrate, dis-je, et c’est lui qui m’a invité à dî-
ner chez vous
| ||
Ŕ C’est fort bien fait, mais où est-il, lui ? Ŕ Il ve-
nait derrière moi tout à l’heure ; mais je me demande, moi aus-
si, où il peut être
| ||
Ŕ Enfant, dit Agathon, va vite voir où est So-
crate et amène-le
| ||
Quant à toi, Aristodème, mets-toi près
d’Eryximaque
| ||
»
III
| ||
Ŕ Alors l’enfant me lava les pieds pour que je prisse place à
table, et un autre esclave vint annoncer que ce Socrate qu’il
avait ordre d’amener, retiré dans le vestibule de la maison voi-
sine, n’en bougeait pas, qu’il avait pu beau l’appeler, il ne voulait
pas venir
| ||
« Voilà qui est étrange, dit Agathon ; cours l’appeler
et ne le laisse pas partir
| ||
Ŕ Non pas, dis-je, laissez-le ; c’est une
habitude à lui
| ||
Il lui arrive parfois de s’écarter n’importe où et
de rester là ; il va venir tout à l’heure, je pense ; ne le dérangez
pas, laissez-le tranquille
| ||
Ŕ Laissons-le, si c’est ton avis, dit Aga-
thon ; quant à vous autres, servez-nous, enfants
| ||
Vous êtes ab-
solument libres d’apporter ce que vous voudrez, comme vous
faites quand il n’y a personne pour vous commander : c’est une
peine que je n’ai jamais prise
| ||
Figurez-vous que moi et les hôtes
Ŕ 29 Ŕ
que voici, nous sommes vos invités et soignez-nous, afin qu’on
vous fasse des compliments
| ||
»
Dès lors nous nous mîmes à dîner ; mais Socrate ne venait
pas ; aussi Agathon voulait-il à chaque instant l’envoyer cher-
cher ; mais je m’y opposais toujours
| ||
Enfin Socrate arriva, sans
s’être attardé aussi longtemps que d’habitude, comme on était à
peu près au milieu du dîner
| ||
Alors Agathon, qui occupait seul le
dernier lit, s’écria : « Viens t’asseoir ici, Socrate, près de moi,
afin qu’en te touchant tu me communiques les sages pensées qui
te sont venues dans le vestibule ; car il est certain que tu as
trouvé ce que tu cherchais et que tu le tiens, sans quoi tu
n’aurais pas bougé de place
| ||
»
Alors Socrate s’assit et dit : « Il serait à souhaiter, Agathon,
que la sagesse fût quelque chose qui pût couler d’un homme qui
en est plein dans un homme qui en est vide par l’effet d’un con-
tact mutuel, comme l’eau passe par l’intermédiaire du morceau
de laine de la coupe pleine dans la coupe vide8
| ||
S’il en est ainsi
de la sagesse, je ne saurais trop priser la faveur d’être assis à tes
côtés ; car je me flatte que ton abondante, ton excellente sagesse
va passer de toi en moi et me remplir ; car pour la mienne, elle
est médiocre et douteuse, et semblable à un songe ; mais la
tienne est brillante et prête à croître encore, après avoir dès ta
jeunesse jeté tant de lumière et s’être révélée avant-hier avec
tant d’éclat à plus de trente nulle spectateurs grecs
| ||
Ŕ Tu railles,
Socrate, dit Agathon ; mais nous trancherons cette question de
sagesse un peu plus tard, toi et moi, en prenant Dionysos pour
juge ; pour le moment, songe d’abord à dîner
| ||
»
8 Si l’on met en contact deux vases, l’un plein d’eau, l’autre vide, on
peut faire passer l’eau du vase plein dans le vide au moyen d’un fil de
laine dont un bout trempe dans l’eau du vase plein, tandis que l’autre
pend dans le vase vide : c’est une application de la loi de capillarité
| ||
Ŕ 30 Ŕ
IV
| ||
Ŕ Dès lors Socrate prit place sur le lit, et quand lui et les
autres convives eurent achevé de dîner, on fit des libations, on
célébra le dieu, enfin, après toutes les autres cérémonies habi-
tuelles9, on se mit en devoir de boire
| ||
Alors Pausanias prit la
parole en ces termes : « Allons, amis, voyons comment nous
régler pour boire sans nous incommoder ? Pour moi, je vous
déclare que je suis réellement fatigué de la débauche d’hier et
que j’ai besoin de respirer, comme aussi, je pense, la plupart
d’entre vous ; car vous étiez de la fête d’hier
| ||
Avisez donc à boire
de façon à nous ménager »
| ||
Aristophane répondit : « C’est bien
dit, Pausanias, il faut absolument nous donner du relâche ; car
moi aussi je suis de ceux qui se sont largement arrosés hier »
| ||
À ces mots Eryximaque, fils d’Acoumène, prit la parole :
« Vous parlez d’or ; mais je veux demander encore à l’un de
vous s’il est dispos pour boire : c’est Agathon
| ||
Ŕ Moi non plus,
répondit Agathon, je ne suis pas bien en train
| ||
Ŕ C’est bien heu-
reux, reprit Eryximaque, pour moi, pour Aristodème, Phèdre et
les autres convives, que vous, les grands buveurs, soyez rendus,
car nous autres, nous n’avons jamais su boire
| ||
Je fais exception
pour Socrate, qui est également capable de boire et de rester
sobre, en sorte que, quel que soit le parti que nous prendrons, il
y trouvera son compte
| ||
Puisque donc aucun de ceux qui sont ici
ne semble être en humeur d’abuser du vin, peut-être vous en-
nuierai-je moins en vous disant ce que je pense de l’ivresse
| ||
Mon expérience de médecin m’a fait voir que l’ivresse est une
chose fâcheuse pour l’homme, et je ne voudrais pas pour mon
9 Le dîner fini, on distribuait des couronnes aux convives, on faisait
au son de la flûte trois libations, la première à Zeus Olympien et aux
autres dieux de l’Olympe, la deuxième aux héros et la troisième à Zeus
Sôter ; ensuite, on chantait un péan ; enfin, on apportait un cratère, où
les serviteurs remplissaient les coupes des convives
| ||
Ŕ 31 Ŕ
compte recommencer à boire, ni le conseiller à d’autres, surtout
s’ils sont encore alourdis par la débauche de la veille
| ||
Ŕ Pour
moi, dit alors Phèdre de Myrrhinunte, je t’en crois toujours, sur-
tout quand tu parles médecine, mais les autres t’en croiront
aussi aujourd’hui, s’ils sont sages
| ||
»
Après avoir entendu ces paroles, tout le monde fut d’accord
de ne point passer la présente réunion à s’enivrer et de ne boire
qu’à son plaisir
| ||
V
| ||
Ŕ Eryximaque reprit : « Puisqu’on a décidé que chacun boi-
rait à sa guise et sans contrainte, je propose d’envoyer promener
la joueuse de flûte qui vient d’entrer ; qu’elle joue pour elle-
même ou, si elle veut, pour les femmes à l’intérieur ; pour nous,
passons le temps aujourd’hui à causer ensemble ; si vous voulez,
je vais vous proposer un sujet d’entretien
| ||
» Ils répondirent tous
qu’ils le voulaient bien, et le prièrent de proposer le sujet
| ||
Eryximaque reprit : « je commencerai comme dans la Mé-
lanippe10 d’Euripide : ce que je vais vous dire n’est pas de moi,
mais de Phèdre ici présent
| ||
En toute occasion Phèdre me dit
avec indignation : « N’est-il pas étrange, Eryximaque, que
nombre d’autres dieux aient été célébrés par les poètes dans des
hymnes et des péans11, et qu’en l’honneur d’Éros, un dieu si vé-
nérable et si puissant, pas un, parmi tant de poètes que nous
10 Euripide a écrit deux pièces de ce nom : Mélanippe la sage, Méla-
nippe la captive
| ||
C’est à un vers de la première qu’il est fait allusion ici :
(grec) (ce que je dis n’est pas de moi, je le tiens de ma mère)
| ||
11 On appelait péans des odes composées en l’honneur d’Apollon et
accompagnées de la flûte, tandis que les hymnes étaient des odes chan-
tées avec accompagnement de cithare
| ||
Ŕ 32 Ŕ
avons eus, n’ait jamais composé aucun éloge ? Veux-tu aussi
jeter les yeux sur les sophistes habiles, tu verras qu’ils compo-
sent en prose des éloges d’Héraclès et d’autres, témoin le grand
Prodicos12, et il n’y a là rien que de naturel
| ||
Mais je suis tombé
sur le livre d’un sophiste où le sel était magnifiquement loué
pour son utilité, et les éloges d’objets aussi frivoles ne sont pas
rares
| ||
N’est-il pas étrange qu’on mette tant d’application à de
pareilles bagatelles et que personne encore parmi les hommes
n’ait entrepris jusqu’à ce jour de célébrer Éros comme il le mé-
rite ? Voilà pourtant comme on a négligé un si grand dieu ! »
Sur ce point Phèdre a raison, ce me semble
| ||
Aussi désiré-je
pour ma part offrir mon tribut à Éros et lui faire ma cour ; en
même temps il me paraît qu’il siérait en cette occasion à toute la
compagnie présente de faire l’éloge du dieu
| ||
Si vous êtes de mon
avis, ce sujet nous fournira suffisamment de quoi nous entrete-
nir
| ||
Si vous m’en croyez, chacun de nous, en commençant de
gauche à droite, fera de son mieux le panégyrique d’Éros, et
Phèdre parlera le premier, puisqu’il est à la première place et
qu’il est en même temps le père de la proposition
| ||
Ŕ Tu rallieras
tous les suffrages, Eryximaque, dit Socrate ; ce n’est pas moi en
effet qui dirai non, moi qui fais profession de ne savoir que
l’amour, ni Agathon, ni Pausanias, encore moins Aristophane,
qui ne s’occupe que de Dionysos et d’Aphrodite, ni aucun autre
de ceux que je vois ici
| ||
Et pourtant la partie n’est pas égale pour
nous qui sommes à la dernière place ; mais si les premiers di-
sent bien tout ce qu’il faut dire, nous nous tiendrons pour satis-
faits
| ||
Que Phèdre commence donc, à la grâce de Dieu, et qu’il
fasse l’éloge d’Éros
| ||
»
Tout le monde fut naturellement de l’avis de Socrate et de-
manda qu’on fît comme il disait
| ||
De redire tout ce que chacun
dit, je ne le pourrais pas ; car ni Aristodème ne s’en souvenait
12 Prodicos est l’auteur de l’allégorie célèbre d’Héraclès entre le vice
et la vertu, rapportée par Xénophon dans les Mémorables, II, I
| ||
Ŕ 33 Ŕ
exactement, ni moi je ne me rappelle tout ce qu’il m’a dit
| ||
Je
m’attacherai donc aux choses et aux orateurs qui me paraissent
les plus dignes de mention, je vous redirai les discours de cha-
cun d’eux, mais ceux-là seulement
| ||
VI
| ||
Ŕ Phèdre, comme je l’ai dit d’après le rapport d’Aristodème,
parla le premier et commença ainsi : « C’est un grand dieu
qu’Éros, un dieu digne de l’admiration des hommes et des
dieux, pour bien des raisons, mais surtout pour son origine
| ||
Il a
l’honneur de compter parmi les dieux les plus anciens, et la
preuve, c’est qu’il n’a ni père ni mère et que ni prosateur ni
poète ne lui en attribuent ; mais Hésiode affirme que le Chaos
exista d’abord, « puis la terre au large sein, éternel et sûr fon-
dement de toutes choses, et Éros13
| ||
»
Pour lui, c’est donc après le Chaos que naquirent ces deux
êtres : la Terre et Éros
| ||
D’un autre côté Parménide dit de la Gé-
nération : « Elle songea à Éros avant tous les dieux
| ||
» Acousi-
laos14 est du même sentiment qu’Hésiode
| ||
C’est ainsi que l’on
s’accorde de différents côtés à voir dans Éros un des plus an-
ciens dieux
| ||
Ce dieu si ancien est aussi un grand bienfaiteur
pour l’humanité ; car je ne connais pas de plus grand bien pour
un homme, dès qu’il entre dans l’adolescence, qu’un amant ver-
tueux et pour un amant qu’un ami vertueux
| ||
Car il est un senti-
ment qui doit gouverner toute notre conduite, si nous voulons
vivre honnêtement ; or ce sentiment, ni la parenté, ni les hon-
neurs, ni les richesses, ni rien ne peut nous l’inspirer aussi bien
que l’amour
| ||
Et qu’est-ce que j’entends par là ? C’est la honte du
13 Hésiode, Théogomie, 117-118
| ||
14 Acousilaos, d’Argos, logographe, écrivit en dialecte ionien plu-
sieurs livres de généalogies
| ||
Il fleurit vers - 475
| ||
Ŕ 34 Ŕ
mal et l’émulation du bien ; sans cela, ni État, ni individu ne
peut rien faire de grand ni de beau
| ||
Aussi j’affirme qu’un
homme qui aime, s’il est surpris à commettre un acte honteux
ou à supporter lâchement un outrage, sans se défendre, souffre
moins d’être vu par un père, un camarade ou qui que ce soit que
par celui qu’il aime ; et nous voyons de même que le bien-aimé
ne rougit jamais si fort que devant ses amants, quand il est sur-
pris à faire quelque chose de honteux
| ||
Si donc il y avait moyen
de former un État ou une armée d’amants et d’aimés, on aurait
la constitution idéale, puisqu’elle aurait pour base l’horreur du
vice et l’émulation du bien, et s’ils combattaient ensemble, de
tels hommes, en dépit de leur petit nombre, pourraient presque
vaincre le monde entier
| ||
Un amant en effet aurait moins de
honte d’abandonner son rang ou de jeter ses armes sous les re-
gards de toute l’armée que sous les regards de celui qu’il aime ;
il aimerait mieux mourir mille fois que de subir une telle honte
| ||
Quant à abandonner son ami ou à ne pas le secourir dans le
danger, il n’y a point d’homme si lâche qu’Éros ne suffît alors à
enflammer de courage au point d’en faire un vrai héros, et vrai-
ment, ce que dit Homère, « que le dieu soufflait la vaillance à
certains héros15 », Éros le fait de lui-même à ceux qui aiment
| ||
VII
| ||
Ŕ Il est certain que les amants seuls savent mourir l’un pour
l’autre, et je ne parle pas seulement des hommes, mais aussi des
femmes
| ||
La fille de Pélias, Alceste, en fournit à la Grèce un
exemple probant : seule elle consentit à mourir pour son époux,
15 Homère, Iliade, X, 482 : (grec) (Athèné aux yeux étincelants lui (à
Diomède) souffla la vaillance, et XV (grec) (ayant ainsi parlé, Apollon
souffla un grand courage au pasteur de peuples (Hector)
| ||
Ŕ 35 Ŕ
alors qu’il avait son père et sa mère16, et son amour dépassa de
si loin leur tendresse qu’elle les fit paraître étrangers à leur fils
et qu’ils semblèrent n’être ses parents que de nom ; et sa con-
duite parut si belle non seulement aux hommes, mais encore
aux dieux qu’elle lui valut une faveur bien rare
| ||
Parmi tant
d’hommes, auteurs de tant de belles actions, on compterait ai-
sément ceux dont les dieux ont rappelé l’âme de l’Hadès : ils
rappelèrent pourtant celle d’Alceste par admiration pour son
héroïsme : tant les dieux mêmes estiment le dévouement et la
vertu qui viennent de l’amour !
Au contraire, ils renvoyèrent de l’Hadès Orphée, fils
d’Œagros, sans rien lui accorder, et ils ne lui montrèrent qu’un
fantôme de la femme qu’il était venu chercher, au lieu de lui
donner la femme elle-même, parce que, n’étant qu’un joueur de
cithare, il montra peu de courage et n’eut pas le cœur de mourir
pour son amour, comme Alceste, et chercha le moyen de péné-
trer vivant dans l’Hadès ; aussi les dieux lui firent payer sa lâ-
cheté et le firent mettre à mort par des femmes
| ||
Au contraire, ils
ont honoré Achille, fils de Thétis, et l’ont envoyé dans les îles
des Bienheureux17 parce que, prévenu par sa mère qu’il mour-
rait, s’il tuait Hector, et qu’il reverrait son pays, s’il ne le tuait
pas, et y finirait sa vie, chargé d’années18, il préféra résolument
16 Voir Euripide, Alceste, 15 sq
| ||
: Il éprouva successivement tous ses
amis, et son père, et sa vieille mère qui l’avait enfanté ; il ne trouva que sa
femme qui voulût mourir pour lui et renoncer à la lumière
| ||
17 Il est dit dans la chanson d’Harmodios et d’Aristogiton : « Bien
cher Harmodios, tu n’es pas mort : tu es, dit-on, dans les îles des Bien-
heureux, là même où sont Achille aux pieds rapides et Diomède, fils de
Tydée »
| ||
18 Ce n’est pas exactement ce que dit Homère
| ||
Thétis prédit seule-
ment (Iliade, XVIII, 94) qu’Achille mourra peu après Hector
| ||
C’est
Achille lui-même qui dit (Il
|
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