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, IX, 414) qu’il parviendra à une grande vieil- lesse s’il renonce à la guerre et retourne chez lui
Ŕ 36 Ŕ secourir son amant, Patrocle, et non seulement mourir pour le venger, mais encore mourir sur son corps
Aussi les dieux charmés l’ont-ils honoré par-dessus tous les hommes, pour avoir mis à si haut prix son amant
Eschyle nous fait des contes quand il affirme que c’est Achille qui aimait Patrocle19, Achille, qui l’emportait en beauté, non seulement sur Patrocle, mais en- core sur tous les héros20, qui était encore imberbe et qui, au dire d’Homère, était de beaucoup le plus jeune
Si réellement les dieux honorent hautement la vertu inspirée par l’amour, ils ad- mirent, ils aiment, ils comblent encore davantage le dévoue- ment de l’ami pour l’amant que celui de l’amant pour son ami ; l’amant en effet est plus près des dieux que l’ami, puisqu’il est possédé d’un dieu21
C’est pour cela qu’ils ont honoré Achille plus qu’Alceste, en l’envoyant dans l’île des Bienheureux
Je conclus qu’Éros est de tous les dieux le plus ancien, le plus honoré, le plus capable de donner la vertu et le bonheur aux hommes soit durant leur vie, soit après leur mort
» VIII
Ŕ Tel fut à peu près, dit Aristodème, le discours de Phèdre ; après, il y en eut d’autres dont il ne se souvenait pas bien ; il les passa et en vint à celui de Pausanias qui parla ainsi : « Il semble, Phèdre, que c’est mal poser la question que de nous faire ainsi simplement louer Éros
Si en effet il n’y avait qu’un Éros, ce se- rait bien ; mais Éros n’est pas unique, et, s’il n’est pas unique, il est juste de dire d’abord lequel il faut louer
Je vais donc tâcher de rectifier ce point, de déterminer d’abord quel Éros il faut 19 Eschyle, Myrm
fr
135-136
20 Homère, Iliade, XI, 786
21 Il a donc moins de peine et moins de mérite à se sacrifier
Ŕ 37 Ŕ louer, ensuite de louer dignement le dieu
Nous savons tous qu’Aphrodite ne va pas sans Éros ; s’il n’y avait qu’une Aphro- dite, il n’y aurait qu’un Éros ; mais, puisqu’il y a deux Aphro- dites, il est de toute nécessité qu’il y ait aussi deux Éros
Peut-on nier en effet l’existence des deux déesses, l’une ancienne et sans mère, fille d’Ouranos, que nous appelons céleste (Ourania) 22 l’autre plus jeune, fille de Zeus et de Dionè, que nous appelons populaire (Pandèmos) 23 ; il s’ensuit nécessairement que l’Éros qui sert l’une doit s’appeler populaire, celui qui sert l’autre, cé- leste
Or il faut sans doute louer tous les dieux, mais il faut es- sayer de déterminer les attributions de chacun des deux Éros
Toute action en effet n’est par elle-même ni belle, ni mauvaise Ŕ , par exemple, ce que nous faisons maintenant, boire, chanter, causer, rien de tout cela n’est beau en soi, mais devient tel, selon la manière dont on le fait, beau, si on le fait suivant les règles de l’honnête et du juste, mauvais, si on le fait contrairement à la justice
Il en est de même de l’amour et d’Éros : tout amour n’est pas beau et louable, mais seulement celui qui fait aimer honnê- tement
IX
Ŕ L’Éros de l’Aphrodite populaire est véritablement popu- laire et ne connaît pas de règles ; c’est l’amour dont aiment les hommes vulgaires
L’amour de ces gens-là s’adresse d’abord aux 22 Il y avait à Athènes deux temples d’Aphrodite Ourania, l’un à Colônos Agoraios, près du temple d’Hèphaïstos, avec une statue de la déesse en marbre de Paros de la main de Phidias ; l’autre aux Jardins (grec), au sud-est d’Athènes, avec une statue de la déesse, qui était l’œuvre d’Alcamène, élève de Phidias
23 Aphrodite Pandèmos avait son sanctuaire sur la paroi sud de l’Acropole, au-dessous du temple de Nikè (la Victoire)
C’est à ce temple que Solon rattacha la réglementation de la prostitution à Athènes
Ŕ 38 Ŕ femmes aussi bien qu’aux garçons, au corps de ceux qu’ils ai- ment plutôt qu’à l’âme, enfin aux plus sots qu’ils puissent ren- contrer ; car ils n’ont en vue que la jouissance et ne s’inquiètent pas de l’honnêteté ; aussi leur arrive-t-il de faire sans discerne- ment, soit le bien, soit le mal ; car un tel amour vient de la déesse qui est de beaucoup la plus jeune des deux et qui tient par son origine de la femelle comme du mâle
L’autre, au con- traire, vient de l’Aphrodite céleste, qui ne procède que du sexe masculin, à l’exclusion du féminin24, qui est la plus vieille et qui ne connaît point la violence
De là vient que ceux que l’Éros cé- leste inspire tournent leur tendresse vers le sexe masculin, na- turellement plus fort et plus intelligent ; et même, parmi eux, on peut reconnaître ceux qui subissent uniquement l’influence de cet Éros en ce qu’ils n’aiment pas ceux qui sont encore des en- fants, mais ceux qui commencent à prendre de l’intelligence, ce qui arrive vers le temps de la puberté
En s’attachant aux jeunes gens de cet âge, ils ont bien le dessein de rester toujours en- semble et de vivre en commun, au lieu de courir à d’autres amours, après avoir trompé un jeune sot qui leur sert de risée
Il devrait y avoir une loi qui défende d’aimer les enfants, afin qu’on ne gaspille pas tant de soins pour une chose incer- taine ; car on ne peut prévoir ce que deviendra un enfant et s’il tournera bien ou mal, soit au moral, soit au physique
Les hommes de bien s’imposent spontanément cette loi à eux- mêmes ; il faudrait l’imposer aussi aux amants vulgaires, comme on les contraint, dans la mesure du possible, à s’abstenir d’aimer les femmes de condition libre
Ce sont eux, en effet, qui ont décrié l’amour des garçons, au point que certaines gens osent dire que c’est une honte de complaire à un amant ; s’ils parlent ainsi, c’est en voyant les amours déplacés de ces amants malhonnêtes ; car aucune action conforme à l’ordre et à la loi ne mérite d’être blâmée
24 Je supprime ici les mots « et cet amour est celui des garçons », qui sont une glose
Ŕ 39 Ŕ La règle sur laquelle on juge l’amour dans les autres États est facile à saisir ; car elle est simple et précise ; ici au contraire (et à Lacédémone) 25, elle est compliquée ; en Élide, en Béotie et dans les pays où l’on n’est pas habile à parler, on admet sim- plement qu’il est bien d’accorder ses faveurs à son amant, et personne, ni vieux, ni jeune, ne dirait qu’il y a là de la honte ; on veut, je crois, échapper à l’embarras de gagner les jeunes gar- çons par la parole, parce qu’on ne sait pas parler
En Ionie, au contraire, et dans beaucoup d’autres pays où dominent les bar- bares, l’amour des garçons passe pour honteux ; les barbares, en effet, craignant pour leur tyrannie, attachent de la honte à cet amour, comme à la philosophie et à la gymnastique : ce n’est pas, j’imagine, l’affaire des tyrans de laisser se former parmi leurs sujets de grands courages, ni des amitiés et des sociétés solides, comme l’amour excelle à en former
C’est ce que l’expérience apprit aux tyrans d’Athènes
L’amour d’Aristogiton et l’amitié d’Harmodios solidement cimentés détruisirent leur domination
Ainsi là où la coutume s’est établie de tenir pour honteuses les faveurs qu’on accorde à un amant, elle ne règne que par la faute de ceux qui l’ont établie, je veux dire par l’ambition des gouvernants et la lâcheté des gouvernés ; là où la loi les approuve tout simplement, c’est par la paresse d’esprit de ses auteurs ; mais chez nous la loi repose sur des raisons plus belles et, comme je le disais, délicates à débrouiller
25 Certains critiques, considérant que Lacédémone était une des ci- tés de la Grèce où l’amour des garçons était le plus en faveur, ont pensé qu’il y avait ici une erreur de copiste et qu’il fallait transposer ces mots « à Lacédémone » dans la phrase suivante et mettre Lacédémone avec l’Élide et la Béotie
Ŕ 40 Ŕ X
Ŕ En effet26, si l’on fait réflexion que, suivant l’opinion cou- rante, il est plus beau d’aimer ouvertement que d’aimer en ca- chette, et surtout d’aimer les jeunes gens les plus généreux et les plus vertueux, fussent-ils moins beaux que les autres ; que, d’autre part, les amoureux reçoivent de tout le monde des en- couragements extraordinaires, comme s’ils ne faisaient rien que d’honorable ; que le succès leur fait honneur, l’insuccès, honte, et que la loi donne à l’amoureux qui entreprend une conquête la licence de faire avec l’approbation publique toutes sortes d’extravagances qu’on n’oserait pas commettre, si l’on voulait poursuivre et réaliser tout autre dessein, sans encourir les re- proches les plus graves, Ŕ si en effet un homme consentait, en vue de recevoir de l’argent de quelqu’un ou d’obtenir une magis- trature ou quelque autre place, à faire ce que font les amants pour l’objet aimé, quand ils appuient leurs prières de supplica- tions et d’objurgations, font des serments, couchent aux portes, descendent à une servilité qui répugnerait même à un esclave, il serait empêché d’agir ainsi et par ses amis et par ses ennemis, les uns lui reprochant ses adulations et ses bassesses, les autres l’admonestant et rougissant pour lui, tandis qu’au contraire on passe à l’amant toutes ces extravagances et que la loi lui permet de les commettre sans honte, comme s’il faisait quelque chose d’irréprochable ; et, ce qu’il y a de plus fort, c’est que, selon le dicton populaire, seul le parjure d’un amant obtient grâce de- vant les dieux, car on dit qu’un serment d’amour n’engage pas ; c’est ainsi que les dieux et les hommes donnent à l’amant toute licence, comme l’atteste la loi d’Athènes Ŕ si, dis-je, on fait ré- flexion sur tout cela, on sera conduit à penser qu’il est parfaite- 26 On trouvera dans cette longue phrase, dont j’ai gardé la contex- ture, un exemple de l’aisance avec laquelle Platon manie le style pério- dique
Ŕ 41 Ŕ ment honorable dans cette ville et d’aimer et de payer d’amitié qui nous aime
Mais en revanche quand on voit les pères mettre les garçons qu’on poursuit sous la surveillance de pédagogues, défendre à ces enfants de parler à leurs amants et prescrire aux pédagogues de faire observer cette défense ; quand on voit, d’autre part, que les garçons de leur âge et leurs camarades, lorsqu’ils les voient nouer de telles relations, leur en font honte, et que les vieillards, de leur côté, ne s’opposent pas à ces taquineries, n’en blâment pas les auteurs et ne leur trouvent point de tort, quand on con- sidère, dis-je, ces procédés, on pourrait croire au contraire que l’amour des garçons passe ici pour une chose infamante
Voici ce qui en est, à mon avis
L’amour n’est pas une chose simple
J’ai dit en commençant qu’il n’était de soi ni beau ni laid, mais que, pratiqué honnêtement, il était beau, malhonnê- tement, laid
Or c’est le pratiquer malhonnêtement que d’accorder ses faveurs à un homme mauvais ou pour de mauvais motifs ; honnêtement, de les accorder à un homme de bien ou pour des motifs honorables
J’appelle mauvais l’amant popu- laire qui aime le corps plus que l’âme ; car son amour n’est pas durable, puisqu’il s’attache à une chose sans durée, et quand la fleur de la beauté qu’il aimait s’est fanée, « il s’envole et dispa- raît27 », trahissant ses discours et ses promesses, tandis que l’amant d’une belle âme reste fidèle toute sa vie, parce qu’il s’est uni à une chose durable
L’opinion parmi nous veut qu’on soumette les amants à une épreuve exacte et honnête, qu’on cède aux uns, qu’on fuie les autres ; aussi encourage-t-elle à la fois l’amant à poursuivre et l’aimé à fuir ; elle examine, elle éprouve à quelle espèce appar- tient l’amant, à quelle espèce, l’aimé
C’est pour cette raison qu’elle attache de la honte à se rendre vite : elle veut qu’on 27 Expression d’Homère (Iliade, II, 71), en parlant du songe d’Agamemnon
Ŕ 42 Ŕ prenne du temps ; car l’épreuve du temps est généralement sûre
Il n’est pas beau non plus de céder au prestige des ri- chesses et du pouvoir, soit qu’on tremble devant la persécution et qu’on n’ose y résister, soit qu’on ne sache pas s’élever au- dessus des séductions de l’argent et des emplois ; car rien de tout cela ne paraît ni ferme ni stable, outre qu’une amitié géné- reuse ne saurait en sortir
Il ne reste donc, étant donné l’esprit de nos mœurs, qu’une seule manière honnête pour l’aimé de complaire à l’amant ; car de même qu’il n’y a, nous l’avons dit, ni bassesse ni honte dans la servitude volontaire, si complète soit-elle, de l’amant envers l’aimé, ainsi n’y a-t-il aussi qu’une autre servitude volontaire qui échappe au blâme c’est la servi- tude où l’on s’engage pour la vertu
XI
Ŕ C’est une opinion qui fait loi chez nous que, si quelqu’un se résout à en servir un autre, parce qu’il espère, grâce à lui, faire des progrès dans la sagesse ou dans toute autre partie de la vertu, cet esclavage volontaire ne comporte non plus ni honte ni bassesse
Il faut que ces deux lois concourent au même but, et celle qui concerne l’amour des garçons, et celle qui concerne la philosophie et les autres parties de la vertu, si l’on veut qu’il soit beau d’accorder ses faveurs à un amant ; car lorsque l’amant et l’aimé s’accordent à prendre pour loi, l’un, de rendre au bien- aimé complaisant tous les services compatibles avec la justice, l’autre, d’avoir toutes les complaisances compatibles avec la jus- tice pour celui qui le rend sage et bon, l’un pouvant contribuer à donner la sagesse et toutes les autres vertus, l’autre cherchant la science et la sagesse ; quand donc cet accord se rencontre, alors seulement il est honnête de se donner à un amant ; autrement, non pas
Alors il n’y a pas de honte même à être trompé, tandis qu’en tout autre cas, trompé ou non, on se déshonore
Si en effet quelqu’un se rend à un amant par cupidité, parce qu’il le croit riche, et qu’il soit trompé et n’en obtienne pas d’argent, l’amant Ŕ 43 Ŕ se trouvant être pauvre, il n’encourt pas moins de honte ; un tel homme, en effet, découvre le fond de son âme et laisse voir que pour de l’argent il est prêt à toutes les complaisances envers le premier venu, et cela n’est pas beau
Le même raisonnement s’applique à celui qui se rend à un amant, parce qu’il le croit vertueux et qu’il espère se perfectionner grâce à son amitié : s’il est trompé, l’amant se trouvant être mauvais et sans vertu, sa déception est néanmoins honorable ; car lui aussi montre le fond de son âme, et laisse voir qu’il est prêt à toutes les complai- sances envers n’importe qui, pour acquérir la vertu et devenir meilleur, et ceci, en revanche, est singulièrement beau
La con- clusion est qu’il est parfaitement honorable de se donner en vue de la vertu
Cet amour est celui de l’Aphrodite céleste, céleste lui-même, utile à l’État et aux particuliers ; car il contraint et l’amant et l’aimé à veiller soigneusement sur eux-mêmes pour se rendre vertueux
Tous les autres amours appartiennent à l’autre déesse, la populaire
Voilà, Phèdre, tout ce que je puis t’improviser sur l’Amour, pour payer ma quote-part
» Pausanias ayant fait une pause Ŕ voilà une allitération que les sophistes m’ont apprise Ŕ le tour d’Aristophane, dit Aristo- dème, était venu ; mais le hasard voulut que, soit pour avoir trop mangé, soit pour autre chose, il fût pris d’un hoquet et mis hors d’état de parler
Il dit au médecin Eryximaque, assis au- dessous de lui : « Il faut, Eryximaque, ou que tu fasses cesser mon hoquet, ou que tu parles à ma place, en attendant qu’il cesse »
Eryximaque répondit : « Je ferai l’un et l’autre
Je par- lerai à ta place, et quand tu seras débarrassé de ton hoquet, tu parleras à la mienne
Maintenant si tu veux bien, pendant que je parlerai, retenir ta respiration, peut-être en seras-tu quitte ; si- non, gargarise-toi avec de l’eau ; si ton hoquet résiste, prends quelque chose pour te gratter le nez et te faire éternuer, et, quand tu auras éternué une ou deux fois, si tenace que soit ton hoquet, il passera
Hâte-toi de prendre la parole, dit Aristo- phane ; de mon côté, le suivrai tes prescriptions »
Ŕ 44 Ŕ XII
Ŕ Alors Eryximaque prit la parole : « Il me paraît néces- saire, puisque Pausanias, après avoir bien débuté, n’a pas déve- loppé suffisamment son sujet, d’essayer de compléter son dis- cours
J’approuve, en effet, la distinction qu’il a faite des deux Éros, mais la pratique de mon art, la médecine, m’a fait voir que ce n’est pas seulement dans les âmes des hommes, à l’égard des belles créatures, qu’Éros fait sentir sa puissance, qu’il a beau- coup d’autres objets et règne aussi sur les corps de tous les ani- maux, sur les plantes, en un mot sur tous les êtres, et qu’Éros est réellement un grand, un admirable dieu, qui étend son em- pire à toutes les choses divines et humaines28
Je parlerai d’abord de la médecine, pour faire honneur à mon art
La nature corporelle est soumise aux deux Éros ; car ce qui est sain dans le corps et ce qui est malade sont, il faut bien le reconnaître, des choses tout à fait différentes, qui désirent et aiment des choses différentes
L’amour qui règne dans une par- tie saine diffère donc de celui qui règne dans une partie malade
Ainsi, de même qu’il est beau, comme le disait tout à l’heure Pausanias, d’accorder ses faveurs aux honnêtes gens, et hon- teux, aux débauchés, de même aussi, quand il s’agit du corps, il est beau et même nécessaire de complaire à ce qui est bon et sain dans chacun Ŕ et c’est précisément cela qu’on appelle la médecine ; Ŕ mais il est honteux de céder et il faut résister à ce qui est mauvais et maladif, si l’on veut être un habile praticien
La médecine, en effet, pour la définir d’un mot, est la science 28 Eryximaque reprend la doctrine des anciens philosophes qui pré- tendaient que les éléments discordants qui composent l’univers avaient été conciliés et ordonnées par la concorde et l’amitié
Cf
Aristophane, Oiseaux, 695 sqq
: « La race des dieux n’exista point avant qu’Éros eût mêlé toutes choses
Quand elles furent mêlées les unes aux autres, on vit naître le ciel, l’Océan, la terre et la race immortelle de tous les dieux bienheureux
» Cf
aussi Aristote, Métaph
, I, 4
Ŕ 45 Ŕ des mouvements amoureux du corps relativement à la réplétion et à la vacuité, et celui qui discerne dans ces mouvements le bon et le mauvais amour est le médecin le plus habile29 et celui qui peut changer les dispositions du corps au point de substituer un amour à l’autre, et qui sait faire naître l’amour là où il n’est pas, mais devrait être, ou l’ôter de là où il se trouve, est un bon prati- cien
Un bon praticien, en effet, doit être capable d’établir l’amitié et l’amour entre les éléments les plus hostiles du corps
Or les éléments les plus hostiles sont les éléments les plus con- traires, le froid et le chaud, l’amer et le doux, le sec et l’humide et les autres analogues
C’est parce qu’il sut mettre l’amour et la concorde entre ces éléments que notre ancêtre Asclèpios, au dire des poètes que je vois ici30, et je les en crois, a fondé notre art
La médecine est donc, comme je l’ai dit, gouvernée tout en- tière par le dieu Éros, comme aussi la gymnastique et l’agriculture
Quant à la musique, il est clair, pour peu qu’on y prête at- tention, qu’elle est dans le même cas
C’est peut-être ce qu’Héraclite voulait dire, bien qu’il ne se soit pas bien expliqué, quand il affirmait que l’unité s’opposant à elle-même produit l’accord, comme l’harmonie de l’arc et de la lyre31
C’est une grande absurdité de dire que l’harmonie est une opposition ou 29 Hippocrate (De Flat, p
296, éd
Foês) définit ainsi la médecine : « La médecine est addition et retranchement, retranchement de ce qui est par excès, addition de ce qui fait défaut, et celui qui pratique le mieux ces deux choses est le meilleur médecin »
30 Il désigne les deux poètes de la compagnie, Aristophane et Aga- thon
31 « Tout, en se divisant, se réunit, comme l’harmonie de l’archet et de la lyre »
Héraclite, frg
45 (Bywater)
À cette image de la lyre Héraclite joignait encore celle de l’arc, où la corde tendue et détendue s’oppose et s’unit tour à tour au demi-cercle qui la soutient