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|---|---|---|
V
| ||
Fouillée, Histoire de
la philosophie, Héraclite
| ||
Ŕ 46 Ŕ
qu’elle se forme d’éléments qui restent opposés ; mais peut-être
voulait-il dire qu’elle est formée d’éléments auparavant oppo-
sés, l’aigu et le grave, mis d’accord ensuite par l’art musical
| ||
En
effet, l’harmonie ne saurait naître de choses qui restent oppo-
sées, je veux dire l’aigu et le grave ; car qui dit harmonie dit con-
sonance et qui dit consonance dit accord, et l’accord ne saurait
résulter d’éléments opposés, tant qu’ils restent opposés ; et
l’harmonie à son tour ne saurait résulter d’éléments opposés qui
ne se mettent pas d’accord
| ||
De même que l’harmonie, le rythme
est formé d’éléments d’abord opposés, ensuite accordés, les
brèves et les longues
| ||
L’accord en tout cela, c’est la musique,
comme plus haut la médecine, qui l’établit, en y mettant l’amour
et la concorde, et l’on peut dire de la musique aussi qu’elle est la
science de l’amour relativement à l’harmonie et au rythme
| ||
Et il n’est pas difficile de distinguer le rôle de l’amour dans
la constitution même de l’harmonie et du rythme
| ||
Ici il n’y a pas
double amour ; mais quand il faut mettre en œuvre à l’usage des
hommes le rythme et l’harmonie, soit en inventant, ce qui
s’appelle composition, soit en appliquant correctement les airs
et les mètres inventés, ce qu’on appelle instruction, c’est là
qu’est la difficulté et qu’il faut un artiste habile ; car nous re-
trouvons ici le principe qu’il faut complaire aux hommes sages
et viser à rendre sages ceux qui ne le sont pas encore, et encou-
rager leur amour, qui est l’amour honnête, l’amour céleste,
l’amour de la muse Ourania
| ||
Au contraire, celui de Polymnia,
c’est l’amour populaire : il ne faut jamais l’offrir qu’avec précau-
tion, de manière à en goûter le plaisir, sans aller jusqu’à
l’incontinence
| ||
De même dans notre art il est difficile de bien
régler les désirs de la gourmandise, de manière à jouir du plaisir
sans se rendre malade
| ||
Il faut donc, et dans la musique et dans
la médecine, et dans toutes choses, soit divines, soit humaines,
pratiquer l’un et l’autre amour dans la mesure permise,
puisqu’ils s’y rencontrent tous les deux
| ||
Ŕ 47 Ŕ
XIII
| ||
Ŕ Ils se rencontrent aussi tous les deux dans la constitution
des saisons de l’année
| ||
Quand les contraires dont je parlais tout
à l’heure, le chaud et le froid, le sec et l’humide, se trouvent
dans leurs rapports sous l’influence de l’amour réglé et se mé-
langent dans un harmonieux et juste tempérament, ils appor-
tent l’abondance et la santé aux hommes, aux animaux et aux
plantes, sans nuire à quoi que ce soit ; mais quand c’est l’amour
désordonné qui prévaut dans les saisons, il gâte et abîme bien
des choses ; car ses dérèglements occasionnent d’ordinaire des
pestes et beaucoup d’autres maladies variées aux animaux et
aux plantes ; les gelées, la grêle, la nielle proviennent en effet du
défaut de proportion et d’ordre que cet amour met dans l’union
des éléments
| ||
La connaissance des influences de l’amour sur les
révolutions des astres et les saisons de l’année s’appelle astro-
nomie
| ||
En outre tous les sacrifices et tout ce qui relève de la divina-
tion, laquelle met en communication les hommes et les dieux,
n’ont pas d’autre objet que d’entretenir ou de guérir l’amour ;
car toute impiété vient de ce que nous refusons de céder à l’Éros
réglé, de l’honorer, de le révérer dans tous nos actes, pour révé-
rer l’autre Éros, dans nos rapports, soit avec nos parents vivants
ou morts, soit avec les dieux
| ||
C’est la tâche de la divination de
surveiller et de traiter ces Amours
| ||
C’est elle qui est l’ouvrière de
l’amitié entre les dieux et les hommes, parce qu’elle sait ce qui,
dans les amours humains, tend au respect des dieux et à la pié-
té
| ||
Telle est la multiple, l’immense ou plutôt l’universelle puis-
sance qu’Éros possède en général ; mais c’est quand il cherche le
bien dans les voies de la sagesse et de la justice, soit chez nous,
soit chez les dieux, qu’Éros possède la plus grande puissance et
nous procure le bonheur complet, en nous rendant capables de
vivre en société et d’être les amis même des dieux, si élevés au-
dessus de nous
| ||
Ŕ 48 Ŕ
Peut-être moi aussi, en louant Éros, j’ai commis plus d’un
oubli, mais c’est involontairement
| ||
D’ailleurs, s’il m’est échappé
quelque chose, c’est à toi, Aristophane, à le suppléer
| ||
Cepen-
dant, si tu as l’intention de louer le dieu autrement, fais-le,
puisque aussi bien ton hoquet a passé
| ||
»
C’est alors que, suivant Aristodème, Aristophane prit la pa-
role à son tour et dit : « Sans doute il a cessé, mais pas avant de
lui avoir appliqué le remède de l’éternuement ; aussi j’admire
que le bon état du corps réclame des bruits et des chatouille-
ments tels que l’éternuement ; aussitôt que je lui ai appliqué
l’éternuement, le hoquet a cessé
| ||
Ŕ Mon brave Aristophane, dit
Eryximaque, prends garde à ce que tu fais
| ||
Tu fais rire à mes
dépens, au moment de prendre la parole : c’est me forcer à sur-
veiller ton discours, pour voir si tu ne diras rien qui prête à rire,
quand tu pourrais parler en toute sécurité
| ||
» Aristophane se mit
à rire et dit : « Tu as raison, Eryximaque ; fais comme si je
n’avais rien dit ; ne me surveille pas, car je crains dans le dis-
cours que j’ai à faire, non pas de faire rire : ce serait une bonne
fortune pour nous et c’est le propre de ma muse, mais de dire
des choses ridicules
| ||
Ŕ Tu m’as décoché ton trait, et tu penses
m’échapper, Aristophane ? Fais attention et parle comme un
homme qui rendra raison
| ||
Je ne veux pas dire pourtant que, s’il
me convient, je ne te fasse grâce
| ||
XIV
| ||
Ŕ Oui, Eryximaque, dit Aristophane, j’ai l’intention de par-
ler autrement que vous ne l’avez fait, toi et Pausanias
| ||
Il me
semble en effet que les hommes ne se sont nullement rendu
compte de la puissance d’Éros ; s’ils s’en rendaient compte, ils
lui consacreraient les temples et les autels les plus magnifiques
et lui offriraient les plus grands sacrifices, tandis qu’à présent
on ne lui rend aucun de ces honneurs, alors que rien ne serait
plus convenable
| ||
Car c’est le dieu le plus ami des hommes,
puisqu’il les secourt et porte remède aux maux dont la guérison
Ŕ 49 Ŕ
donnerait à l’humanité le plus grand bonheur
| ||
Je vais donc es-
sayer de vous initier à sa puissance, et vous en instruirez les
autres
| ||
Mais il faut d’abord que vous appreniez à connaître la
nature humaine et Ses transformations
| ||
Jadis notre nature n’était pas ce qu’elle est à présent, elle
était bien différente
| ||
D’abord il y avait trois espèces d’hommes,
et non deux, comme aujourd’hui : le mâle, la femelle et, outre
ces deux-là, une troisième composée des deux autres ; le nom
seul en reste aujourd’hui, l’espèce a disparu
| ||
C’était l’espèce an-
drogyne qui avait la forme et le nom des deux autres, mâle et
femelle, dont elle était formée ; aujourd’hui elle n’existe plus, ce
n’est plus qu’un nom décrié
| ||
De plus chaque homme était dans
son ensemble, de forme ronde, avec un dos et des flancs arron-
dis, quatre mains, autant de jambes, deux visages tout à fait pa-
reils sur un cou rond, et sur ces deux visages opposés une seule
tête, quatre oreilles, deux organes de la génération et tout le
reste à l’avenant
| ||
Il marchait droit, comme à présent, dans le
sens qu’il voulait, et, quand il se mettait à courir vite, il faisait
comme les saltimbanques qui tournent en cercle en lançant
leurs jambes en l’air ; s’appuyant sur leurs membres qui étaient
au nombre de huit, ils tournaient rapidement sur eux-mêmes
| ||
Et ces trois espèces étaient ainsi conformées parce que le mâle
tirait son origine du soleil, la femelle de la terre, l’espèce mixte
de la lune, qui participe de l’un et de l’autre
| ||
Ils étaient sphé-
riques et leur démarche aussi, parce qu’ils ressemblaient à leurs
parents ; ils étaient aussi d’une force et d’une vigueur extraordi-
naires, et comme ils avaient de grands courages, ils attaquèrent
les dieux, et ce qu’Homère dit d’Éphialte et d’Otos32, on le dit
d’eux, à savoir qu’ils tentèrent d’escalader le ciel pour combattre
les dieux
| ||
32 Voir Odyssée, 307-320, où Homère raconte comment Otos et
Éphialte essayèrent d’escalader le ciel et furent tués par Apollon
| ||
Ŕ 50 Ŕ
XV
| ||
Ŕ Alors Zeus délibéra avec les autres dieux sur le parti à
prendre
| ||
Le cas était embarrassant : ils ne pouvaient se décider
à tuer les hommes et à détruire la race humaine à coups de ton-
nerre, comme ils avaient tué les géants ; car c’était anéantir les
hommages et le culte que les hommes rendent aux dieux ; d’un
autre côté, ils ne pouvaient non plus tolérer leur insolence
| ||
En-
fin Jupiter, ayant trouvé, non sans peine, un expédient, prit la
parole : « Je crois, dit-il, tenir le moyen de conserver les
hommes tout en mettant un terme à leur licence : c’est de les
rendre plus faibles
| ||
Je vais immédiatement les couper en deux
l’un après l’autre ; nous obtiendrons ainsi le double résultat de
les affaiblir et de tirer d’eux davantage, puisqu’ils seront plus
nombreux
| ||
Ils marcheront droit sur deux jambes
| ||
S’ils conti-
nuent à se montrer insolents et ne veulent pas se tenir en repos,
je les couperai encore une fois en deux, et les réduirai à marcher
sur une jambe à cloche-pied
| ||
« Ayant ainsi parlé, il coupa les
hommes en deux, comme on coupe des alizés pour les sécher ou
comme on coupe un œuf avec un cheveu33 ; et chaque fois qu’il
en avait coupé un, il ordonnait à Apollon de retourner le visage
et la moitié du cou du côté de la coupure, afin qu’en voyant sa
coupure l’homme devînt plus modeste, et il lui commandait de
guérir le reste
| ||
Apollon retournait donc le visage et, ramassant
de partout la peau sur ce qu’on appelle à présent le ventre,
comme on fait des bourses à courroie, il ne laissait qu’un orifice
et liait la peau au milieu du ventre : c’est ce qu’on appelle le
nombril
| ||
Puis il polissait la plupart des plis et façonnait la poi-
trine avec un instrument pareil à celui dont les cordonniers se
servent pour polir sur la forme les plis du cuir ; mais il laissait
33 Couper des œufs avec des crins était une expression proverbiale
| ||
Était-ce un jeu ? Était-ce une manière de divination ? Les Orphiques pra-
tiquaient la divination par l’examen des œufs (grec)
| ||
Peut-être les cou-
paient-ils en deux
| ||
Ŕ 51 Ŕ
quelques plis, ceux qui sont au ventre même et au nombril, pour
être un souvenir de l’antique châtiment
| ||
Or quand le corps eut été ainsi divisé, chacun, regrettant sa
moitié, allait à elle ; et, s’embrassant et s’enlaçant les uns les
autres avec le désir de se fondre ensemble, les hommes mou-
raient de faim de d’inaction, parce qu’ils ne voulaient rien faire
les uns sans les autres ; et quand une moitié était morte et que
l’autre survivait, celle-ci en cherchait une autre et s’enlaçait à
elle, soit que ce fût une moitié de femme entière Ŕ ce qu’on ap-
pelle une femme aujourd’hui Ŕ soit que ce fût une moitié
d’homme, et la race s’éteignait
| ||
Alors Zeus, touché de pitié, imagine un autre expédient : il
transpose les organes de la génération sur le devant ; jusqu’alors
ils les portaient derrière, et ils engendraient et enfantaient non
point les uns dans les autres, mais sur la terre, comme les ci-
gales34
| ||
Il plaça donc les organes sur le devant et par là fit que
les hommes engendrèrent les uns dans les autres, c’est-à-dire le
mâle dans la femelle
| ||
Cette disposition était à deux fins : si
l’étreinte avait lieu entre un homme et une femme, ils enfante-
raient pour perpétuer la race, et, si elle avait lieu entre un mâle
et un mâle, la satiété les séparerait pour un temps, ils se met-
traient au travail et pourvoiraient à tous les besoins de
l’existence
| ||
C’est de ce moment que date l’amour inné des
hommes Ŕ les uns pour les autres : l’amour recompose l’antique
nature, s’efforce de fondre deux êtres en un seul, et de guérir la
nature humaine
| ||
34 Les cigales font cela au moyen d’un aiguillon que la femelle a par-
derrière et qui égale en grosseur le tiers de la bête
| ||
Elles percent la terre
avec cet aiguillon, qui s’ouvre alors pour laisser tomber les œufs dans le
sable, où le soleil les couve
| ||
Ŕ 52 Ŕ
XVI
| ||
Ŕ Chacun de nous est donc comme une tessère
d’hospitalité35, puisque nous avons été coupés comme des soles
et que d’un nous sommes devenus deux ; aussi chacun cherche
sa moitié
| ||
Tous les hommes qui sont une moitié de ce composé
des deux sexes que l’on appelait alors androgyne aiment les
femmes, et c’est de là que viennent la plupart des hommes adul-
tères ; de même toutes les femmes qui aiment les hommes et
pratiquent l’adultère appartiennent aussi à cette espèce
| ||
Mais
toutes celles qui sont une moitié de femme ne prêtent aucune
attention aux hommes, elles préfèrent s’adresser aux femmes et
c’est de cette espèce que viennent les tribades
| ||
Ceux qui sont
une moitié de mâle s’attachent aux mâles, et tant qu’ils sont en-
fants, comme ils sont de petites tranches de mâle, ils aiment les
hommes et prennent plaisir à coucher avec eux et à être dans
leurs bras, et ils sont parmi les enfants et les jeunes garçons les
meilleurs, parce qu’ils sont les plus mâles de nature
| ||
Certains
disent qu’ils sont sans pudeur ; c’est une erreur : ce n’est point
par impudence, mais par hardiesse, courage et virilité qu’ils
agissent ainsi, s’attachant à ce qui leur ressemble, et en voici
une preuve convaincante, c’est que, quand ils ont atteint leur
complet développement, les garçons de cette nature sont les
seuls qui se consacrent au gouvernement des États
| ||
Quand ils
sont devenus des hommes, ils aiment les garçons, et, s’ils se ma-
rient et ont des enfants, ce n’est point qu’ils suivent un penchant
naturel, c’est qu’ils y sont contraints par la loi : ils se contente-
raient de vivre ensemble, en célibataires
| ||
Il faut donc absolu-
35 La tessère d’hospitalité consistait en un osselet (grec) partagé en
deux parties
| ||
On en gardait une, on donnait l’autre à son hôte au moment
du départ
| ||
Le rapprochement des deux moitiés permettait plus tard aux
mêmes personnes ou à leurs descendants de se reconnaître et de renouer
les liens de l’hospitalité
| ||
Ŕ 53 Ŕ
ment qu’un tel homme devienne amant ou ami des hommes,
parce qu’il s’attache toujours à ce qui lui ressemble
| ||
Quand donc un homme, qu’il soit porté pour les garçons ou
pour les femmes, rencontre celui-là même qui est sa moitié,
c’est un prodige que les transports de tendresse, de confiance et
d’amour dont ils sont saisis ; ils ne voudraient plus se séparer,
ne fût-ce qu’un instant
| ||
Et voilà les gens qui passent toute leur
vie ensemble, sans pouvoir dire d’ailleurs ce qu’ils attendent
l’un de l’autre ; car il ne semble pas que ce soit le plaisir des sens
qui leur fasse trouver tant de charme dans la compagnie l’un de
l’autre
| ||
Il est évident que leur âme à tous deux désire autre
chose, qu’elle ne peut pas dire, mais qu’elle devine et laisse de-
viner
| ||
Si, pendant qu’ils sont couchés ensemble, Héphaïstos leur
apparaissait avec ses outils, et leur disait : « Hommes, que dési-
rez-vous l’un de l’autre ? » et si, les voyant embarrassés, il con-
tinuait : « L’objet de vos vœux n’est-il pas de vous rapprocher
autant que possible l’un de l’autre, au point de ne vous quitter ni
nuit ni jour ? Si c’est là ce que vous désirez, je vais vous fondre
et vous souder ensemble, de sorte que de deux vous ne fassiez
plus qu’un, que jusqu’à la fin de vos jours vous meniez une vie
commune, comme si vous n’étiez qu’un, et qu’après votre mort,
là-bas, chez Hadès, vous ne soyez pas deux, mais un seul, étant
morts d’une commune mort
| ||
Voyez si c’est là ce que vous dési-
rez, et si en l’obtenant vous serez satisfaits
| ||
» À une telle de-
mande nous savons bien qu’aucun d’eux ne dirait non et ne té-
moignerait qu’il veut autre chose : il croirait tout bonnement
qu’il vient d’entendre exprimer ce qu’il désirait depuis long-
temps, c’est-à-dire de se réunir et de se fondre avec l’objet aimé
et de ne plus faire qu’un au lieu de deux
| ||
Et la raison en est que notre ancienne nature était telle et
que nous étions un tout complet : c’est le désir et la poursuite de
ce tout qui s’appelle amour
| ||
Jadis, comme je l’ai dit, nous étions
un ; mais depuis, à cause de notre injustice, nous avons été sé-
parés par le dieu, comme les Arcadiens par les Lacédémo-
Ŕ 54 Ŕ
niens36
| ||
Aussi devons-nous craindre, si nous manquons à nos
devoirs envers les dieux, d’être encore une fois divisés et de de-
venir comme les figures de profil taillées en bas-relief sur les
colonnes, avec le nez coupé en deux, ou pareils à des moitiés de
jetons37
| ||
Il faut donc s’exhorter les uns les autres à honorer les
dieux, afin d’échapper à ces maux et d’obtenir les biens qui
viennent d’Éros, notre guide et notre chef
| ||
Que personne ne se
mette en guerre avec Éros : c’est se mettre en guerre avec lui
que de s’exposer à la haine des dieux
| ||
Si nous gagnons l’amitié
et la faveur du dieu, nous découvrirons et rencontrerons les gar-
çons qui sont nos propres moitiés, bonheur réservé aujourd’hui
à peu de personnes
| ||
Qu’Eryximaque n’aille pas se moquer de ce que je dis,
comme si je parlais de Pausanias et d’Agathon ; peut-être sont-
ils en effet de ce petit nombre et tous deux de nature mâle ; je
parle des hommes et des femmes en général, et je dis que notre
espèce ne saurait être heureuse qu’à une condition, c’est de réa-
liser nos aspirations amoureuses, de rencontrer chacun le gar-
çon qui est notre moitié, et de revenir ainsi à notre nature pre-
mière
| ||
Si c’est là le bonheur suprême, il s’ensuit que ce qui s’en
rapproche le plus dans le monde actuel est le plus grand bon-
heur que l’on puisse atteindre, je veux dire rencontrer un ami
selon son cœur
| ||
S’il faut louer le dieu qui le procure, on a raison
de louer Éros, qui, dans le présent, nous rend les plus grands
services, en nous guidant vers l’objet qui nous est propre, et qui
nous donne pour l’avenir les plus belles espérances, en nous
promettant, si nous rendons aux dieux nos devoirs de piété, de
36 Cf
| ||
Xénophon, Helléniques, V, 2, 1
| ||
C’est en - 385 que les Lacé-
démoniens, ayant détruit la ville et les remparts de Mantinée, forcèrent
les habitants à s’établir dans des bourgs dispersés
| ||
Il y a là un audacieux
anachronisme, puisque le dialogue est censé avoir lieu en - 416
| ||
37 Les jetons coupés en deux (grec) servaient, comme les tessères, de
signes de reconnaissance pour les hôtes et pour leurs familles
| ||
Ŕ 55 Ŕ
nous remettre dans notre ancien état, de nous guérir et de nous
donner le bonheur et la félicité
| ||
Voilà, Eryximaque, mon discours sur Éros : il ne ressemble
pas au tien
| ||
Je t’en prie encore une fois, ne t’en moque point ;
mieux vaut écouter chacun de ceux qui restent ou plutôt les
deux seuls qui restent, Agathon et Socrate
| ||
»
XVII
| ||
Ŕ D’après Aristodème, Eryximaque repartit : « Je t’obéirai,
car j’ai eu du plaisir à t’entendre, et si je ne savais pas que So-
crate et Agathon sont des maîtres en matière d’amour, je crain-
drais fort de les voir demeurer court, après tant de discours si
divers ; néanmoins leur talent me rassure
| ||
»
Socrate répondit : « Tu as bien soutenu ta partie, Eryxi-
maque ; mais si tu étais au point où j’en suis, ou plutôt où j’en
serai, quand Agathon aura fait son beau discours, tu tremble-
rais, et même bien fort, et tu serais aussi embarrassé que je le
suis à présent
| ||
Ŕ Tu veux me jeter un sort, Socrate, dit Agathon ;
tu veux que je me trouble à la pensée que l’assemblée est dans
une grande attente des belles choses que j’ai à dire
| ||
Ŕ J’aurais
bien peu de mémoire, Agathon, répliqua Socrate, si, après
t’avoir vu monter si bravement et si hardiment sur l’estrade avec
les acteurs et regarder en face sans la moindre émotion une si
imposante assemblée, au moment de faire représenter ta pièce,
je pensais maintenant que tu vas te laisser troubler par le petit
auditoire que nous sommes
|
Subsets and Splits
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