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À l’égard de la divination, l’art de trouver le vrai et le simple, ἀπλοῦν (car c’est là même chose), le nom qu’on lui donne en Thessalie lui conviendrait fort bien  ? tous les Thessaliens appellent ce dieu Haplôn
En troisième lieu, considéré comme archer toujours sûr de ses coups, il est, dans l’art de lancer des flèches, le dieu qui atteint toujours au but, ἀεὶ βάλλων
Enfin relativement à l’art musical, il faut remarquer que comme l’α, dans certains mots, tels que ἀκόλουθος, 52 Cratyle suivant, et ἄκοιτις, épouse, signifie ensemble48 le nom dont il s’agit exprime l’ensemble, la concordance d’une révolution du ciel πόλησις, autour de l’axe des pôles, πόλων, avec l’harmonie dans le chant que l’on appelle symphonie ; car au dire des gens habiles dans la musique et dans l’astronomie49, la révolution du monde forme une harmonie
Or le dieu dont nous parlons préside à l’harmonie, dirigeant à la fois ce double mouvement, ὁµοπολῶν, chez les dieux et chez les mortels
De même donc que ὁµοκέλευθος et ὁµόκοιτις ont produit ἀκόλουθος et ἄκοιτις, en changeant l’o en α, de même Apollôn s’est formé de Homopolôn, en ajoutant une l, pour éviter l’équivoque avec un mot dont le sens est fâcheux50
C’est ce même mot, que faute d’avoir bien compris la force du nom d’Apollon, certaines gens redoutent encore aujourd’hui comme s’il annonçait quelque fléau
Le véritable nom, au contraire, s’applique parfaitement, ainsi que nous venons de le faire voir, à toutes les attributions du dieu, à la science du vrai et du simple, à l’art de lancer des flèches toujours sûres, à l’art de purifier, à l’art de 48 - Ἀκολουθος équivaut à ensemble-sentier   ; ἄκοιτις à ensemble-lit
49 - Les pythagoriciens
50 - Apolôn, détruisant
53 Cratyle conduire en même temps Je mouvement du ciel et les concerts
Le nom des Muses et en général celui de la musique, paraῖt avoir été tiré de µῶσβαι, chercher, et de l’amour des recherches et de la philosophie
Lêtô51 a été ainsi nommée à cause de sa douceur, comme une divinité disposée à vouloir52 tout ce qu’on lui demande
Ou peut-être faut-il prononcer ce nom comme le font les étrangers : un grand nombre disent Léthô
Ce nom viendrait alors du caractère exempt de rigueur, doux et uni de cette déesse, λεῖον ἦθος
Artémis53 paraît signifier, l’intégrité, τὸ ἐτεµές, la pureté, et se rapporter à son amour pour la virginité
Peut- être l’inventeur du nom a-t-il voulu dire qu’elle connaît la vertu, ἀρετῆς ἵστωρ ; peut-être encore a- t-il voulu exprimer la haine pour le commerce de la femme avec l’homme, ἄροτον µισήµασα ; il se sera déterminé sans doute par quelqu’une de ces raisons ou bien, par toutes à la fois
51 - Latone 52 - Du verbe dorien λῶ, λῇς, λῇ
53 - Diane 54 Cratyle Hermogène  — Que diras-tu de Dionysos54 et d’Aphrodite55 ? Socrate — Voilà deux questions difficiles, fils d’Hipponicus
Les noms de ces divinités ont un double sens, l’un grave, l’autre frivole
Adresse-toi à d’autres pour le sens sérieux : pour le frivole, rien ne nous défend de nous en occuper: car aussi bien, ces divinités aiment la plaisanterie
Dionysos sera donc celui qui nous donne le vin, διδοὺς τὸν οἶνον, et ou l’aura nommé en plaisantant Didoinysos
Le vin lui-même ὁ οἶνος, qui fait que la plupart des buveurs se figurent, οἴονται, avoir l’intelligence, νοῦν, qu’ils n’ont pas, a fort bien pu être appelé οἰόνους
Pour ce qui regarde Aphrodite, ce n’est pas la peine de contredire Hésiode
Nous ferons mieux de convenir avec lui qu’elle doit son nom à l’écume, ἀφρός, de la mer d’où elle naquit
Hermogène — J’espère, Socrate, qu’étant Athénien, tu n’oublieras pas Athéné56, et que tu ne passeras pas non plus sous silence Héphaistos57, ni Arès58
54 - Bacchus 55 - Vénus 56 - Minerve 57 - Vulcain 58 - Mars 55 Cratyle Socrate — Cela ne serait pas bien
Hermogène — Non, sans doute
Socrate — L’autre nom d’Athéné est facile à expliquer
Hermogène — Lequel ? Socrate  — Ne donnons-nous pas aussi à cette déesse le nom de Pallas ? Hermogène — Oui
Socrate — Nous ne nous tromperions pas, je pense, en faisant venir ce nom de la danse armée
Nous exprimons l’action de s’élancer soi-même en l’air d’élever quelque chose de terre, ou de lancer avec les mains, par les mots ὀχροῦν ou ὀρχεῖσθαι
Hermogène — Sans contredit
Socrate — C’est de là qu’est venu le nom de Pallas
Hermogène  — Bien  ; mais que dis-tu de l’autre nom ? Socrate — Athéné ? Hermogène — Oui
Socrate  — Ceci est plus difficile, Hermogène Je crois que les anciens ont eu sur Athéné la même idée que ceux qui se piquent aujourd’hui de bien entendre Homère
La plupart d’entre eux disent que leur auteur a fait de cette divinité la pensée et l’intelligence même  ; et celui qui a fait les noms paraît être entré dans le même sens, et plus avant encore, en l’appelant pensée de Dieu, νόησις Θεοῦ, 56 Cratyle comme qui dirait la Théonoé, ἁ Θεονόα, en ajoutant un ά au lieu de ἡ (la), suivant un dialecte étranger59, et en retranchant le ε et l’ι de νόησις
Peut-être aussi ne l’a-t-ii appelée Théonoé que parce qu’elle possède excellemment la connaissance des choses divines, θεῖα νοούση
Il n’est pas impossible non plus qu’on lait voulu appeler Êthonoé, comme étant la raison, l’intelligence dans les mœurs, νοήσις ἐν τῷ ἤθει
Ainsi l’inventeur de ce mot ou ceux qui l’ont suivi, en faisant quelques changement pour la grâce de la prononciation, en seront venus à dire Athéné
Hermogène  — Et comment expliques-tu le nom d’Héphaistos ? Socrate  — Tu veux mon opinion sur ce grand maître dans la connaissance de la lumière, φάεος ἵστωρ ? Hermogène — Oui
Socrate  — Tout le monde y reconnaîtra un dieu lumineux, φαῖστος, avec un η en avant du mot
Hermogène — Il y a apparence ; à moins qu’il ne te vienne quelque autre idée, comme cela est assez probable
Socrate  — Pour échapper à ce danger, demande- moi le sens d’Arès
59 - Le dialecte dorien
57 Cratyle Hermogène — Soit
Socrate — Si tu veux, Arès viendra de ἀρρέν, mâle, ἀνδρεῖον, viril
Ou, si tu aimes mieux : considérer son caractère âpre et inflexible, ἄρρατον, le nom d’Arès se trouvera très convenable pour un dieu si guerrier
Hermogène — Assurément
Socrate — Maintenant, au nom des dieux, laissons là les dieux ! Il n’est point de sujet que je redoute si fort
Du reste, attaque-moi sur tout ce qu’il te plaira, tu apprendra» ce que valent les coursiers d’Euthyphron60
Hermogène  — Je le veux bien, pourvu que tu me répondes encore à une question sur Hermès61, puisque Cratyle s’avise de me contester que je sois bien Hermogène (fils d’Hermès), Examinons donc le sens de ce mot Hermès, pour voir s’il a raison
Socrate  — Sûrement ce nom doit avoir trait à la parole et au discours  ; car les divers attributs d’Hermès, interprète, ἑρµηνεύς, messager, rasé voleur, séduisant discoureur, protecteur des marchés publics, tout cela se rapporte à la puissance de la parole
Or, comme nous l’avons déjà observé précédemment, le mot εἰρειν désigne 60 - Parodie d'un vers d'Homère
Iliade, liv
V, v
221
61 - Mercure 58 Cratyle l’exercice de la parole
De plus, le mot ἐµήσατο, qu’emploie souvent Homère, signifie inventer
Ainsi, en considération de ces deux choses, la parole et l’invention de la parole, et attendu que εἴρειν, c’est parler, le législateur semble nous dire au sujet de ce dieu : « Celui qui a inventé la parole, τὸ εἴρειν ἐµήσατο, il serait juste, ô hommes, qu’il fût appelé par vous Eirémès
» Mais nous croyant sans doute donner à ce mot un tour plus élégant, nous disonsHermès
c’est aussi à ce mot εἴρειν, qu’Iris semble devoir son nom, en sa qualité de messagère
Hermogène — Par Jupiter, je crois maintenant que Cratyle avait raison de ne pas vouloir que je sois Hermogène  : car je ne suis pas un très habile artisan, de paroles, Socrate  — Mais il est tout simple, mon cher ami, que Pan soit le fils d’Hermès et réunisse deux natures
Hermogène — Comment cela ? Socrate  — Tu sais que la parole exprime toute choses, τὸ πᾶν, qu’elle roule en quelque sorte et circule sans cesse, et qu’elle est de deux espèces, véritable ou mensongère
Hermogène — Oui
Socrate — Ainsi
la partie de la vérité en doit être légère, divine placée là~haut avec les immortels, et celle du mensonge doit résider avec le vulgaire des 59 Cratyle hommes d’une nature brutale et analogue à celle du bouc  ; car c’est dans, cette vie de bouc que prennent naissance la plupart des fables et des mensonges
Hermogène — Certainement
Socrate — Il est donc raisonnable que la puissance qui énonce toutes choses, et qui est toujours en circulation dans le monde, ἀεὶ πολῶν, soit appelée Pan Aipolos, πὰν αἰπόλος62, le fils d’Hermès à deux natures, gracieux et beau dans les parties supérieures ; velu et semblable à un bouc dans les inférieures
Ainsi, comme fils d’Hermès, Pan est ou le langage même, ou le frère du langage : et qu’y a- t-il d’étonnant à ce que le frère ressemble au frère ? Mais, mon ami, comme je t’en priais tout à l’heure, laissons là tout propos sur les dieux
Hermogène  — D’accord, mon cher Socrate, pour ces dieux-là,mais qui t’empêcherait de t’occuper d’êtres divins d’une autre sorte, tel que le soleil, la lune, les étoiles, la terre, l’éther, l’air, le feu, l’eau, les saisons, l’année ? Socrate  — Tu m’apprêtes-là bien de la besogne  ; mais je m’en occuperai volontiers, si cela peut t’être agréable
Hermogène — Tu me feras grand plaisir
62 - Le sens propre de αἰπόλος est gardeur de chèvres
60 Cratyle Socrate — Par où commencer ? Par le soleil, dans l’ordre de ton énumération
Hermogène — Soit
Socrate — Le mot ἥλιος s’explique facilement dans le dialecte des Doriens, qui disent ἅλιος
Ἅλιος doit venir de ce que le soleil rassemble, ἁλιζει les hommes aussitôt qu’il se lève, ou encore de ce qu’il tourne perpétuellement, ἀεὶ εἵλει, autour de la terre ; peut-être encore de ce que dans son cours il nuance de diverses couleurs les productions de la terre : car, nuancer c’est αἰολεῖν
Hermogène — Et la lune, σελήνη ? Socrate — Voilà un mot qui fait tort à Anaxagoras
Hermogène — Pourquoi ? Socrate — Parce qu’il semble supposer comme une doctrine bien antérieure à la sienne ce qu’il a récemment enseigné63, que la lune reçoit sa lumière du soleil
Hermogène — Comment cela ? Socrate — Les mots σέλας et φῶς n’expriment-ils pas la même chose (la lumière) ? Hermogène — Oui
Socrate — Au dire des disciples d’Anaxagoras, cette lumière du soleil que réfléchit la lune est toujours nouvelle et toujours ancienne ; car puisqu’il tourne 63 - Plut
, de plac
philos
, II, 25
61 Cratyle sans cesse en l’éclairant, il lui envoie sans cesse une lumière nouvelle ; mais celle du mois qui précède est ancienne
Hermogène — Fort bien
Socrate  — Or, bien des gens disent pour σελήνη, σελαναία64
Hermogène — C’est vrai
Socrate — Donc, comme elle a une lumière toujours nouvelle et toujours ancienne, σέλας νέον ἔνον ἀεί, on ne pouvait mieux faire que de l’appeler σελαενονεοάεια, dont on aura fait par abréviation σελαναία
Hermogène  — En vérité, Socrate, voilà un mot dithyrambique
Mais que penses-tu des mots µείς, mois, et ἄστρα, astres ? Socrate — Μείς, qui vient sûrement de µειοῦσθαι, diminuer, aurait pu se dire proprement µείης
Les astres tirent leur nom, je crois, de leur éclat, ἀστραπή ; ce dernier mot, qui désigne ce qui attire les yeux, ἀναστρέφει τὰ ὦτα, devrait se dire proprement ἀναστρωπή  ; mais on en a fait pour plus d’élégance ἀστραπή
Hermogène — Et ces mots, πῦρ, feu, et ὕδωρ, eau ? Socrate — Le feu m’embarrasse
J’ai peur ou que la muse d’Euthyphron ne m’ait abandonné, ou que la 64 - Euripide, Phœn
, v
178
Aristophane, Nub
, v
614
62 Cratyle question ne soit bien difficile
Mais remarque, Hermogène, l’expédient que j’emploie dans toutes ces questions quand elles m’embarrassent